Pie XII 1945 - I HISTOIRE DE L'UNION DE L'ÉGLISE RUTHÈNE AVEC LE SAINT-SIÈGE


III

PERSÉCUTION ACTUELLE CONTRE L'ÉGLISE RUTHÈNE UNIE

Par les faits de l'histoire authentique, brièvement évoqués dans la présente lettre, Nous avons vu, Vénérables Frères, les grands et nombreux avantages et bénéfices procurés à la nation ruthène par son union avec l'Eglise catholique. Rien d'étonnant, car si « Dieu s'est plu à faire habiter en Jésus-Christ toute la plénitude » (Col 1,19), il est certain que la jouissance de cette plénitude ne peut être le partage de celui qui est séparé de l'Eglise, « qui est son Corps » (Ep 1,23) ; « quiconque, en effet — ainsi que l'affirme Notre prédécesseur de vénérée mémoire, Pelage II — n'est pas en paix et en communion avec l'Eglise ne peut avoir Dieu avec lui » 13.

Nous avons vu aussi la somme de tribulations, de privations, de dommages et de mauvais traitements que dut supporter ce cher peuple ruthène pour défendre, selon ses forces, sa fidélité à l'unité catholique ; cependant, la divine Providence l'a heureusement délivré par le rétablissement plusieurs fois renouvelé de la paix.

Dans les circonstances présentes, Notre coeur paternel éprouve une profonde angoisse en voyant une nouvelle et furieuse tempête menacer cette Eglise. Les renseignements parvenus jusqu'à Nous sont peu nombreux, il est vrai, mais ils suffisent à remplir à juste titre Notre âme d'inquiétude et d'anxiété. Voici l'anniversaire du jour où, il y a trois cent cinquante ans, cette ancienne communauté chrétienne s'unissait sous de favorables auspices à son suprême Pasteur, successeur du bienheureux Pierre ; mais ce jour lui-même s'est changé pour Nous en « jour de détresse et de tribulation, jour de désolation et de dévastation, jour d'obscurité et dte sombres nuages, jour de nuées et de ténèbres » (So 1,15).

C'est avec une affliction profonde que Nous avons appris que, dans les régions récemment attribuées à la Russie, Nos Frères et fils très chers appartenant à Ha nation ruthène souffrent de dures tribulations à cause de leur fidélité au Siège apostolique et que nombreux sont ceux qui s'efforcent, par tous les moyens, de les arracher du giron de l'Eglise Mère et de les pousser contre leur volonté et contre le devoir très strict de leur conscience à s'unir à l'Eglise et à la communauté des dissidents. C'est pourquoi le clergé de rite ruthène, la nouvelle s'en est répandue, s'est plaint dans une lettre adressée aux chefs de l'Etat, que sa propre Eglise, dans la région qu'on appelle aujourd'hui l'Ukraine occidentale, ait été placée dans une situation très difficile du fait que tous les évêques et un grand nombre de prêtres ont été incarcérés, avec interdiction en même temps pour quiconque d'oser prendre en main la direction de l'Eglise ruthène elle-même.

Nous savons également, Vénérables Frères, que l'on cherche à justifier ces rigueurs et ces cruautés par de prétendus motifs politiques. Pareille façon d'agir n'est pas nouvelle et ce n'est pas aujourd'hui qu'on l'applique pour la première fois : souvent au cours des siècles, les ennemis de l'Eglise, n'osant pas avouer ouvertement qu'ils tenaient la religion catholique pour une ennemie et la persécuter franchement en plein jour, ont, très habilement et avec des raisons spécieuses, accusé les catholiques de conspirer contre l'Etat ; tout comme jadis les Juifs accusèrent le divin Rédempteur lui-même devant le gouverneur romain en disant : « Nous l'avons surpris en train de bouleverser notre nation et d'interdire de payer le tribut à César » (Lc 23,2). Mais les faits eux-mêmes et les événements proclament aisément et mettent en pleine lumière quel a été et est encore le motif de semblables persécutions. Qui donc ignore qu'Alexis, élu récemment patriarche par les évêques dissidents des Russies, dans sa lettre à l'Eglise ruthène — lettre qui n'a pas peu contribué à déchaîner cette persécution — exalte ouvertement et prêche la défection d'avec l'Eglise catholique ?

Ces vexations Nous peinent d'autant plus profondément, Vénérables Frères, que presque toutes les nations de la terre s'étant réunies par l'intermédiaire de leurs représentants, alors que l'affreux conflit faisait encore rage, avaient, entre autres déclarations, solennellement proclamé dans leur assemblée que, désormais, il ne devait plus y avoir de persécution d'aucune sorte contre la religion. Nous en avions conçu l'espoir qu'à l'Eglise catholique aussi seraient accordées partout la paix et la liberté qui lui sont dues, étant donné surtout que toujours l'Eglise a enseigné et enseigne actuellement que c'est toujours un devoir de conscience d'obéir à l'autorité civile légitimement constituée, quand elle commande dans la sphère et dans les limites de sa juridiction. Malheureusement, les faits que Nous avons rappelés plus haut dans cette lettre ont profondément et douloureusement affaibli et presque détruit Nos espoirs et Notre confiance pour ce qui concerne la Ruthénie.

C'est pourquoi, les moyens humains semblant se révéler sans proportion avec de si graves calamités, il ne reste plus, Vénérables Frères, qu'à prier instamment le Dieu très miséricordieux qui « rendra justice aux nécessiteux et vengera les pauvres » (Ps., cxxxix, 13), afin qu'il veuille, dans sa bonté, apaiser cette terrible tempête et y mettre enfin un terme. Nous vous exhortons instamment, ainsi que le troupeau confié à vos soins, par des prières suppliantes et de pieuses pratiques de pénitence, de vous efforcer avec Nous d'obtenir de Celui qui éclaire de sa lumière céleste les esprits des hommes et plie leurs volontés à son suprême vouloir, qu'il prenne son peuple en pitié, n'expose pas son héritage à l'opprobre (cf. Joël, Jl 2,17) et libère le plus tôt possible l'Eglise de Ruthénie de la situation critique et dangereuse dans laquelle elle se trouve.

Mais en ces tristes et angoissantes circonstances, Notre coeur paternel se tourne tout particulièrement vers ceux qui sont si durement opprimés. Vers vous tout d'abord, Vénérables Frères, évêques de la nation ruthène, qui, bien qu'accablés sous le poids de grandes tribulations, êtes constamment bien plus préoccupés et inquiets du salut de votre troupeau que des offenses et des torts qu'on vous fait, suivant la parole : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis» (Jn 10,11). Bien que le présent soit sombre et l'avenir incertain et angoissant, ne perdez pas courage, mais « donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes » (1Co 4,9), signalez-vous de façon que tous les fidèles aient les yeux fixés sur votre patience et votre vertu exemplaires. Supportant avec courage et constance cette persécution et enflammés de charité divine pour l'Eglise, vous êtes devenus « pour Dieu la bonne odeur du Christ parmi ceux qui sont sauvés et parmi ceux qui se perdent » (11 Cor., 11, 15). Si, emprisonnés et arrachés du milieu de vos fils, il ne vous est pas possible de leur enseigner la sainte religion, vos chaînes, elles, n'en annoncent et n'en prêchent pas moins le Christ d'une façon plus pleine et plus noble.

Nous Nous tournons maintenant paternellement vers vous, chers fils, honorés du sacerdoce, qui devez suivre de plus près les traces du Christ qui « a souffert pour nous » (1P 11,21) ; et, partant, supporter et soutenir plus que les autres l'assaut de la bataille. Vos tribulations Nous affligent profondément, c'est vrai ; elles Nous réjouissent pourtant, car, faisant Nôtres les paroles du divin Rédempteur, il Nous est permis de Nous exprimer ainsi avec la plupart d'entre vous : « Je connais tes oeuvres, ton amour, ta foi, ta bienfaisance, ta patience, et tes dernières oeuvres sont plus nombreuses que les premières » (Ap 11,19).

Continuez, Nous vous y exhortons, à persévérer dans votre foi avec fermeté et constance en ces temps de douleur, à soutenir les faibles et à encourager ceux qui vacillent. Prévenez, s'il le faut, les fidèles confiés à vos soins qu'il n'est jamais permis de renier ou d'abandonner le Christ et son Eglise même en apparence et en manifestations verbales ; démasquez les astucieuses habiletés de ceux qui promettent aux hommes des avantages terrestres et un bonheur accru en cette vie, mais qui font périr leurs âmes. Montrez-vous vous-mêmes « comme des ministres de Dieu, par une grande constance dans les tribulations, dans les nécessités, dans les détresses ; par la pureté, par la science, par la longanimité, par la bonté, par un esprit saint, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la puissance de Dieu, par les armes offensives et défensives de la justice » (11 Cor., 6, 4 et suiv.).

Nous Nous tournons enfin vers vous tous, catholiques de l'Eglise ruthène, aux privations et souffrances desquels Nous prenons part d'un coeur paternel. Nous n'ignorons pas que des pièges très perfides sont tendus à votre foi. Il semble même qu'il faille craindre que, dans un proche avenir, des tribulations encore plus grandes vont atteindre ceux qui ne consentiront pas à trahir leur devoir sacro-saint à l'égard de la religion. C'est pourquoi, encore une fois, très chers fils, Nous vous exhortons instamment à ne pas vous laisser abattre par des menaces et des maux d'aucun genre, pas même par l'exil et par le danger de perdre la vie et, ainsi, à ne jamais trahir votre fidélité envers l'Eglise Mère. Il s'agit, en effet, comme vous le savez, du trésor caché dans un champ : « L'homme qui l'a trouvé l'y cache à nouveau, et, dans sa joie, il s'en va, vend tout ce qu'il a et achète ce champ » (Mt 13,44). Rappelez-vous également ce que le divin Rédempteur a dit dans l'Evangile : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. Cdlui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi. Celui qui sauvera sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera » (Mt 10,37 et suiv.). A cette divine sentence, il Nous plaît d'ajouter ces mots de l'Apôtre des gentils : « C'est là une parole certaine : si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui ; si nous persévérons dans l'épreuve, nous régnerons avec lui, si nous le renions, lui aussi nous reniera ; si nous sommes infidèles, lui restera fidèle, car il ne peut se démentir» (2Tm 2,11-13).

Nous ne croyons pas pouvoir mieux confirmer et terminer Notre paternelle exhortation, chers fils, qu'en vous adressant ces avertissements du même Apôtre des gentils : « Veillez, soyez constants dans la foi, travaillez virilement et fortifiez-vous » (1Co 16,13). « Soyez obéissants à vos supérieurs » (He 13,17), évêques et prêtres, lorsqu'ils vous commandent pour votre salut et suivant les préceptes de l'Eglise : résistez avec intrépidité à tous ceux qui, sous quelque forme que ce soit, tendent des pièges à votre foi, « vous efforçant de conserver l'unité de l'esprit par le lien de la paix. Il n'y a qu'un seul corps et un seul esprit, comme aussi vous avez été appelés par votre vocation à une même espérance » (Ep 4, 3, 4). Au milieu de vos souffrances et de vos angoisses de toutes sortes, rappelez-vous « que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en vous » (Rm 8,18). « Mais le Seigneur est fidèle, il vous affermira et vous préservera du mal » (2Th 3,3).

Nous espérons que vous répondrez à Notre exhortation avec bonne volonté et courage, sous l'inspiration et avec l'aide de la divine grâce, et alors Nous vous souhaitons et Nous implorons avec instance du Père des miséricordes et du Dieu de toute consolation (11 Cor., 1, 3) des temps meilleurs et plus tranquilles pour vous.

Comme gage des grâces célestes et en témoignage de Notre bienveillance, Nous accordons de tout coeur, à chacun de vous, Vénérables Frères, et à votre troupeau, mais d'une manière très spéciale aux évêques, aux prêtres et à tous les fidèles de l'Eglise ruthène, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AU SACRÉ COLLÈGE ET A LA PRÉLATURE ROMAINE

(24 décembre 1945J1

Dans ce premier discours d'après-guerre au Sacré Collège, le pape annonce la création dans un prochain consistoire de trente-deux cardinaux et souligne la supranationalité, l'unité indivisible, l'universalité de l'Eglise, en même temps qu'il précise pour le monde entier les présupposés fondamentaux d'une paix juste et durable.

Noël d'attente et de prière.

Dans les six dernières années, nous tous, Vénérables Frères et très chers fils, nous avons dû éprouver, en cette veille de la Nativité du Seigneur, l'amer contraste entre les sentiments de sainte allégresse, d'union intime et fraternelle dans le service du Seigneur, que la chère fête de Noël fait naître dans les âmes, et les tristes rancunes et les désirs de vengeance qui dominaient dans le monde ; entre les suaves accents du Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus et les voix discordantes de la haine dans le fracas d'une guerre fratricide ; entre la douce clarté de Bethléem et la lueur sinistre des incendies ; entre l'aimable splendeur qui rayonne du visage du céleste Enfant et le signe de Cain, marqué pour longtemps encore sur le front de notre siècle.

Aussi, quel soupir de soulagement sortit de toutes nos poitrines à la nouvelle que le sanglant conflit avait pris fin, d'abord en Europe, ensuite en Asie ! Que de ferventes supplications étaient montées, durant ces longues années de lutte, vers le trône du Très-Haut, pour qu'il abrégeât les jours d'affliction, qu'il arrêtât la main des anges qui portaient les vases de la colère de Dieu pour les péchés du monde ! Maintenant, pour la première fois, la famille humaine célébrera de nouveau, grâce à la miséricorde divine, la fête de Noël, sans que l'effroi de la guerre sur terre, sur mer et surtout dans les airs, vienne remplir tant de coeurs de crainte et d'angoisse mortelle. Que, pour un tel changement de situation, d'humbles actions de grâces soient rendues par nous tous au Seigneur tout-puissant !

La paix de la terre? La vraie paix? Non, mais seulement 1'«après-guerre », expression douloureuse et trop significative ! Que de temps faudra-t-il pour guérir le malaise matériel et moral, que d'efforts pour cicatriser tant de plaies ! Hier, on a semé sur d'immenses territoires les destructions, les malheurs, les misères, et aujourd'hui qu'il s'agit de reconstruire, les hommes commencent à peine à se rendre compte de ce qu'il faudra de perspicacité et de prudence, de rectitude et de bonne volonté pour ramener le monde des dévastations et des ruines physiques et spirituelles, au droit, à l'ordre et à la paix.

C'est pourquoi ce Noël reste encore un temps d'attente, d'espérance et de prière au Fils de Dieu fait homme, afin que lui, « le Roi pacifique..., dont toute la terre désire l'apparition » 2, donne au monde sa paix.

Le prochain consistoire. Ses caractéristiques.

Comme on l'a déjà annoncé, pour la première fois depuis que le Seigneur, malgré Notre indignité, a voulu Nous élever au souverain pontificat, Nous procéderons, s'il plaît à Dieu, à la création de nouveaux membres du Sacré Collège. Dans Notre discours de Noël de l'an dernier, Nous avions fait allusion aux graves et multiples difficultés qui Nous avaient malheureusement empêché jusque-là de pourvoir aux nombreuses vacances douloureusement produites dans la Curie romaine. Il Nous sera donc d'autant plus agréable de Nous voir prochainement entouré ici d'un nombre si considérable de nouveaux cardinaux qui, pour leurs insignes vertus et pour leurs mérites signalés, Nous ont semblé particulièrement dignes d'être élevés à la pourpre sacrée ! Cet événement exceptionnel mérite, à Notre avis, d'être illustré de quelques considérations particulières.

a) Le nombre des futurs cardinaux.

Nous remarquerons avant tout que, par cette promotion, le Sacré Collège sera au complet. On sait que Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Sixte V, publia à ce sujet la constitution Postquam verus, du 3 décembre 1586 ; après avoir fait observer que dans les temps anciens le Sacré Collège avait été trop restreint et, au contraire, trop nombreux dans les temps plus récents, il fixait à 70 le nombre des cardinaux, à la ressemblance des 70 anciens d'Israël (cf. Ex 24,1 Ex 24,9), et il interdisait, par des clauses très sévères, de le dépasser pour quelque motif que ce fût, même le plus urgent. Sans doute, les Pontifes romains, ses successeurs, ne seraient pas liés par cette disposition s'ils jugeaient opportun de l'augmenter ou de le diminuer ; toutefois, il n'apparaît pas que jamais aucun d'entre eux ait dérogé à cette loi, qui a même été explicitement confirmée dans le canon CIS 231 du Code de Droit canonique. L'effectif complet du Sacré Collège, avec 70 cardinaux, a été assez souvent atteint durant les XVIIe et XVIIIe siècles ; jamais, au contraire, durant le XIXe siècle ni, jusqu'à ce jour, durant le XXe siècle. Pour ne citer qu'un seul exemple, Nous rappellerons le consistoire secret du 17 mai 1706, dans lequel Clément XI voulut créer autant de cardinaux, à savoir 20, qu'il en manquait pour compléter le nombre de 70 : creare intendimus eos omnes, nempe viginti, qui ad septuagenarium Vestrum numerum complendum in praesens desunt, Cardinales 3 ; et même comme l'un des nouveaux nommés, Gabriel Filippucci, avait renoncé à cette émi-nente dignité, Clément XI, dans le consistoire suivant du 7 juin de ¦la même année, accepta cette renonciation et nomma aussitôt, à la place restée ainsi vacante, Michelange Conti, qui fut ensuite son successeur immédiat, sous le nom d'Innocent XIII *. Nous avons voulu revenir à cet antique usage et, tout en portant au complet le nombre des membres du Sacré Collège, respecter en même temps la limite posée par Sixte V. Nous regrettons que l'observation de cette limite Nous ait empêché de comprendre, dans Notre première création, bien d'autres prélats et religieux, spécialement de la Curie et du clergé de Rome qui, surtout pour les longs services rendus au Saint-Siège, en auraient aussi été bien dignes.

Il Nous a paru d'autant plus convenable de ne pas dépasser cette limite que jamais, dans un même consistoire, ne fut créé un aussi grand nombre de cardinaux, à savoir 32. Les deux plus grandes créations avaient eu lieu jusqu'ici sous les papes Léon X et Pie VII qui, en un seul consistoire, ont créé 31 cardinaux : Léon X, disions-Nous, qui, après avoir manifesté dans le consistoire du 26 juin 1517 son intention de nommer 27 cardinaux, dans celui du 1er juillet de la même année, en créa au contraire 31 5, et Pie VII qui, après son retour à Rome, se préoccupant du Sacré Collège, très diminué en nombre à cause des événements très durs de cette époque, créa également, dans le consistoire secret du 8 mars 1816, 31 cardinaux, dont cependant 21 furent publiés par lui et 10 réservés in petto °.

3 Clément XI, P. M., Orationes consistor., Rome 1722, p. 32.
" Arch. Consist. Acta Vicecancell. 2, fol. 39 et 40.


b) La nationalité des futurs cardinaux.

Une autre caractéristique de cette création sera la variété des nations auxquelles appartiennent les futurs cardinaux. Nous avons voulu que soient représentés le plus grand nombre possible d'origines et de peuples, et que le Sacré Collège soit, par conséquent, une vivante image de l'universalité de l'Eglise. Nous avons vu les années passées de Notre pontificat affluer dans la Ville éternelle, malgré la guerre, ou plutôt par suite de la guerre, des hommes de toutes nations et des régions les plus éloignées ; maintenant que le conflit mondial a cessé, Nous aurons de même la consolation, s'il plaît au Seigneur, de voir affluer autour de Nous des membres nouveaux du Sacré Collège, provenant des cinq parties du monde. Rome apparaîtra vraiment ainsi comme la Ville éternelle, la Ville universelle, la Ville tête du monde, Caput mundi, l'Urbs par excellence, la Ville dont tous sont citoyens, la Ville siège du Vicaire du Christ, vers laquelle se tournent les regards du monde catholique tout entier, et l'Italie, terre bénie qui accueille dans son sein cette Rome, n'en demeurera pas diminuée ; bien plus, elle brillera aux yeux de tous les peuples comme participant à cette grandeur et à cette universalité.

La supranationalité de l'Eglise.

L'Eglise catholique, dont Rome est le centre, est supranationale par son essence même. Ceci s'entend en deux sens : l'un négatif et l'autre positif. L'Eglise est mère, Sancta Mater Ecclesia, une vraie mère, la mère de toutes les nations et de tous les peuples, non moins que de tous les individus, et précisément parce qu'elle est mère, elle n'appartient pas et elle n'e peut pas appartenir exclusivement à tel ou tel peuple ni même à un peuple plus qu'à un autre, mais à tous également. Elle est mère, et par conséquent elle n'est ni ne peut être une étrangère en aucun lieu ; elle vit, ou du moins par sa nature telle doit vivre, dans tous les peuples. En outre, comme la mère, avec son époux et ses enfants, forme une famille, l'Eglise, en vertu d'une union incomparablement plus étroite, constitue, plus et mieux qu'une famille, le Corps mystique du Christ. L'Eglise est donc supranationale, en tant qu'elle est un tout indivisible et universel.

L'unité indivisible de l'Eglise.

L'Eglise est un tout indivisible, car le Christ, avec son Eglise, est indivis et indivisible. Le Christ avec son Eglise constitue, pour employer une pensée profonde de saint Augustin 1, totus Christus, « le Christ total ». Cette intégrité du Christ, selon le saint Docteur, signifie l'unité indivisible du chef et du corps, in plenitudine Ecclesiae, dans cette plénitude de vie de l'Eglise, qui réunit tous les pays et tous les temps de l'humanité rachetée, sans exception.

ï Serm. CCCXLI, c. I ; Migne, P. L., 39, col. 1493.


Solidement fixée par une si profonde racine, l'Eglise, placée comme elle est au centre de l'histoire du genre humain, dans le champ agité et bouleversé des énergies divergentes et des tendances opposées, a beau se trouver en butte à tous les assauts qui menacent son indivisible intégrité ; bien loin d'en être ébranlée, elle fait rayonner sans cesse sa vie propre d'intégrité et d'unité, et elle répand toujours dans l'humanité déchirée et divisée des forces nouvelles destinées à guérir et à unir : forces unifiantes de la grâce divine ; forces de l'Esprit unificateur dont tous les hommes sont affamés ; vérités qui gardent partout et toujours leur valeur ; idéals qui partout et toujours enflamment.

Il apparaît par là que toute entreprise qu'on a tentée ou que l'on tente pour faire de l'Eglise la captive ou l'esclave de tell ou tel peuple particulier, pour la confiner dans les limites étroites d'une nation, ou encore pour la bannir, a été et est un attentat sacrilège contre le Christ total, en même temps qu'une atteinte néfaste à l'unité du genre humain. Un tel démembrement de l'intégrité de l'Eglise a diminué et diminue — d'autant plus gravement qu'il se prolonge davantage — pour les peuples qui en sont les victimes, le bien de leur vie réelle et pleine.

Mais l'individualisme des nations et des Etats dans les siècles derniers n'a pas seulement cherché à blesser l'intégrité de l'Eglise, à affaiblir et à entraver ses forces d'union et d'unification, ces forces qui furent jadis pour une part essentielle dans la formation de l'unité de l'Occident européen. Un libéralisme suranné voulut créer l'unité sans l'Eglise et contre l'Eglise au moyen de la culture laïque et d'un humanisme sécularisé. Çà et là, comme fruit de son action dissolvante et en même temps en opposition avec lui, lui succéda le totalitarisme. En un mot, quel fut, après un peu plus d'un siècle, le résultat de tous ces efforts tentés sans et souvent contre l'Eglise ? La tombe de la saine liberté humaine ; les organisations forcées ; un monde qui, pour les brutalités et la barbarie, pour les destructions et les ruines, mais surtout pour la désunion funeste et pour le manque de sécurité, n'avait pas connu son pareil.

Dans un temps troublé comme l'est encore le nôtre, l'Eglise, dans son intérêt propre et dans celui de l'humanité, doit faire tout le possible pour mettre en valeur son intégrité indivisible et indivisée. Elle doit être, aujourd'hui plus que jamais, supranationale. Cet esprit doit pénétrer et imprégner son chef visible, le Sacré Collège, toute l'activité du Saint-Siège sur qui, spécialement aujourd'hui, pèsent des devoirs importants qui concernent non seulement le présent, mais plus encore l'avenir.

C'est ici, avant tout, une question d'esprit : il s'agit d'avoir le sens juste de cette supranationalité, et non de la mesurer ou de la déterminer suivant des proportions mathématiques ou d'après des statistiques rigoureuses sur la nationalité de chaque personne en particulier. Durant les longues périodes de temps où, par disposition de la Providence, la nation italienne, plus que toute autre, a donné à l'Eglise son Chef et beaucoup de collaborateurs au gouvernement central du Saint-Siège, l'Eglise, dans son ensemble, a toujours conservé intact son caractère supranational. Et, même, bien ides circonstances ont contribué, précisément par ce moyen, à le préserver de dangers qui, autrement, auraient pu se faire plus fortement sentir. Que l'on pense, par exemple, aux luttes pour l'hégémonie des Etats nationaux européens et des grandes dynasties dans les siècles passés.

Même après la conciliation entre l'Eglise et l'Etat par les pactes du Latran, le clergé italien, dans son ensemble et sans préjudice pourtant d'un amour naturel et légitime de la patrie, a continué à être un soutien fidèle et un tenant de la supranationalité de l'Eglise.

Nous souhaitons et Nous prions qu'il demeure tel, spécialement le jeune dlergé, en Italie et d'ans l'univers catholique tout entier ; en tout cas, les conditions délicates du présent exigent qu'on soit particulièrement attentif à sauvegarder cette supranationalité et cette unité indivisible de l'Eglise.

L'universalité de l'Eglise.

Supranationale, parce qu'elle embrasse d'un même amour toutes les nations et tous les peuples, elle est encore telle, comme Nous l'avons dit, parce que nulle part elle n'est étrangère. Elle vit et se développe dans tous les pays du monde, et tous les pays du monde contribuent à sa vie et à son développement. Autrefois, la vie de l'Eglise, sous son aspect visible, déployait sa vigueur de préférence d'ans les pays de la vieille Europe, d'où elle se répandait comme un 'fleuve majestueux, à ce qu'on pouvait appeler la périphérie du monde ; aujourd'hui, elle se présente, au contraire, comme un échange de vie et d'énergie entre tous les membres du Corps mystique du Christ sur la terre. De nombreuses régions, dans d'autres continents, ont depuis longtemps dépassé le stade missionnaire de leur organisation ecclésiastique ; ils sont gouvernés par une hiérarchie propre et ils donnent à toute l'Eglise des biens spirituels et matériels, alors qu'auparavant ils ne faisaient que les recevoir.

Ce progrès et cet enrichissement de la vie surnaturelle, et même " naturelle, de l'humanité, ne révèlent-ils pas le vrai sens de la supranationalité de l'Eglise ? Cette supranationalité ne la fait pas se tenir, comme suspendue, dans un lointain inaccessible et intangible au-dessus des nations ; au contraire, comme le Christ fut au milieu des hommes, l'Eglise, en qui il continue à vivre, se trouve également au milieu des peuples. Comme le Christ a assumé une véritable nature humaine, l'Eglise, également, prend en elle la plénitude de tout ce qui est authentiquement humain, et elle en fait une source de force surnaturelle, en quelque lieu et sous quelque forme qu'elle le trouve.

Ainsi se réalise toujours plus dans l'Eglise ce que saint Augustin glorifiait dans sa Cité de Dieu : « L'Eglise, écrivait-il, recrute ses citoyens dans toutes les nations et c'est en toutes les langues qu'elle groupe sa communauté qui pérégrine sur la terre ; elle ne se préoccupe pas des différences dans les coutumes, les lois, les institutions ; elle ne retranche ni ne détruit rien de tout cela, mais elle le conserve plutôt et elle s'y adapte. Mais ce qui est différent dans les diverses nations, s'il n'empêche pas la religion de 'l'unique, souverain et vrai Dieu, est toutefois ordonné à l'unique et même fin de lia paix sur la terre. » 8

Comme un phare puissant, l'Eglise, dans son intégrité universelle, jette son faisceau de lumière en ces jours obscurs que nous traversons. Non moins ténébreux étaient ceux où le grand Docteur d'Hippone voyait ce monde, qu'il aimait tant, commencer à sombrer. Cette lumière, alors, le réconfortait, et à sa clarté il saluait, comme en une vision prophétique, la nouvelle aurore d'un jour plus beau. Son amour pour l'Eglise, qui n'était autre que son amour du Christ, fut sa consolation béatifiante. Puissent tous ceux qui, aujourd'hui, dans les douleurs et les périls de leur patrie, souffrent des peines semblables à celles d'Augustin, trouver comme Qui, dans l'amour de l'Eglise, de cette maison universelle qui, selon la divine promesse, demeurera jusqu'à la fin des temps réconfort et soutien !

Pour Nous, Nous désirons rendre cette maison-là toujours plus solide, toujours plus habitable pour tous, sans exception. C'est pourquoi Nous ne voulons rien omettre qui puisse exprimer visiblement la supranationalité de l'Eglise, comme signe de son amour pour le Christ, qu'elle voit et qu'elle sert dans la richesse de ses membres répandus par tout le monde.

L'oeuvre de paix.

A cette heure où nous célébrons la naissance de Celui qui est venu pour réconcilier les hommes avec Dieu et entre eux, Nous ne pouvons pas omettre de dire un mot de l'oeuvre de paix, que les classes dirigeantes de l'Etat, de la politique et de l'économie ont entrepris d'édifier.

Avec une abondance d'expérience, de bonne volonté, de sagesse politique et de puissance d'organisation comme il n'y en avait peut-être jamais eu jusqu'ici, on a commencé les préparatifs pour l'établissement de la paix mondiale. Jamais peut-être, depuis que le monde est monde, les dirigeants de l'ordre public ne se sont trouvés en face d'une entreprise aussi vaste et aussi complexe par le nombre, la grandeur et la difficulté des questions à résoudre ni aussi grave par l'étendue et la profondeur de ses conséquences pour le bien ou pour le mal, comme celle de redonner aujourd'hui à l'humanité — après trente ans de guerres mondiales, de catastrophes économiques et d'appauvrissement incalculable — ordre, paix et prospérité. Très grande, formidable est la responsabilité de ceux qui s'apprêtent à mener à bonne fin une oeuvre aussi gigantesque.

Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans l'examen des solutions pratiques qu'ils pourront donner à des problèmes aussi ardus ; Nous croyons pourtant de Notre charge, en continuation de Nos messages de Noël précédents durant la guerre, d'indiquer 'les présupposés moraux fondamentaux d'une paix vraie et durable ; ce que Nous ramènerons à trois brèves considérations :

Trois présupposés fondamentaux d'une paix vraie et durable.

1° Le moment présent requiert impérieusement la collaboration, la bonne volonté, la confiance réciproque de tous les peuples. Les motifs de haine, de vengeance, de rivalité, d'antagonisme, de concurrence déloyale et déshonnête, doivent être maintenus loin des débats et des décisions politiques et économiques. « Qui peut dire — ajouterons-Nous avec la Sainte Ecriture (Pr 20,9-10) : J'ai purifié mon coeur, de mon péché je suis net ! Poids et poids, mesure et mesure ! Deux choses en égale horreur à Yahvé. » Qui donc exige l'expiation des fautes par la juste punition des criminels, à cause de leurs délits, doit apporter tous ses soins à ne pas faire lui-même ce qu'il condamne chez les autres comme faute ou comme délit. Qui veut des réparations doit les demander en se basant sur l'ordre moral, sur le respect des droits naturels inviolables, qui subsistent même chez ceux qui se sont rendus sans conditions au vainqueur. Qui demande sécurité pour l'avenir ne doit pas oublier que la seule garantie véritable consiste dans la propre force intérieure, c'est-à-dire dans la sauvegarde de la famille, des enfants, du travail, dans l'amour fraternel, dans l'abandon de toute haine, de toute persécution et vexation injuste de citoyens honnêtes, dans la concorde loyale entre Etat et Etat, entre peuple et peuple.

2° A cette fin, il est nécessaire que partout on renonce à créer artificiellement, par la puissance de l'argent, d'une censure arbitraire, de jugements unilatéraux, d'affirmations fausses, une « opinion publique » — comme on l'appelle — qui fait se mouvoir la pensée et la volonté des électeurs à la façon de roseaux agités par le vent. Que l'on attribue sa valeur réelle à la vraie et notable majorité, formée par tous ceux qui vivent honnêtement et tranquillement de leur travail au sein de leurs familles et qui veulent faire la volonté de

Dieu. A leurs yeux, les contestations pour des frontières plus favorables, la lutte pour les trésors de la terre, même si elles ne sont pas nécessairement et a priori immorales en elles-mêmes, constituent en tout cas un jeux périlleux qu'on ne saurait affronter sans risquer d'occasionner un monceau de morts et de ruines. Ils sont l'immense majorité les pères et les mères de famille probes et honnêtes qui voudraient protéger et défendre l'avenir de leurs enfants contre la prétention d'une politique de pure force, contre l'arbitraire d'un totalitarisme d'Etat fort.

3° La force de l'Etat totalitaire ! Cruelle et sanglante ironie ! Toute la surface du globe, rouge de sang versé durant ces années terribles, proclame bien haut la tyrannie d'un tel Etat.

L'édifice de la paix reposerait sur une base croulante et toujours menaçante, si l'on n'en finissait pas avec un pareil totalitarisme, qui réduit l'homme à ne plus être qu'un pion dans le jeu politique, un chiffre dans les calculs économiques. D'un trait de plume, il change les frontières des Etats ; par une décision péremptoire, il soustrait l'économie d'un peuple, qui, pourtant, est toujours une partie de toute sa vie nationale, à ses possibilités naturelles ; avec une cruauté mal dissimulée, il expulse lui aussi des millions d'hommes, des centaines de milliers de familles, dans la misère la plus sombre, de leurs maisons et de leurs terres, en les déracinant et en les arrachant à une civilisation et à une culture que des générations entières avaient travaillé à former. Lui aussi pose des limites arbitraires à la nécessité et au droit d'émigrer, au désir de coloniser. Tout cela constitue un système contraire à la dignité et au bien du genre humain. Et pourtant, selon l'ordre divin, ce n'est pas la volonté et la puissance de groupements fortuits et variables d'intérêts, c'est l'homme qui, avec son travail au milieu de la famille et de la société, est le maître du monde. Ainsi, ce totalitarisme échoue-t-il en ce qui est l'unique mesure du progrès, c'est-à-dire la création des conditions sociales toujours supérieures et meilleures, pour que la famille puisse exister et se développer comme unité économique, juridique, morale et religieuse.

A l'intérieur de chaque nation particulière, comme au sein de la grande famille des peuples, le totalitarisme de l'Etat fort est incompatible avec une vraie et saine démocratie. Comme un bacille dangereux, il infecte la communauté des nations et la rend incapable d'être garante de la sécurité des nations particulières. Il représente un péril continuel de guerre. La future oeuvre de paix veut bannir du monde tout usage agressif de la force, toute guerre offensive : qui pourrait ne pas saluer de tout coeur un tel projet et surtout sa réalisation efficace ? Mais si ce doit être là autre chose qu'un beau geste, il faut exclure toute oppression et tout arbitraire au-dedans comme au-dehors.

Etant donné cet état de choses incontestable, une solution unique demeure : le retour à Dieu et à un ordre établi par Dieu.

Plus se soulèvent les voiles sur l'origine et Je développement des forces qui ont déchaîné la guerre, plus il devient diair qu'elles étaient les héritières, les propagatrices et les continuatrices des erreurs qui avaient comme élément essentiel la négligence, le renversement, la négation et le mépris de la pensée et des principes chrétiens.

Si c'est donc ici que gît la racine du mal, il n'y a qu'un seul remède : retourner à l'ordre fixé par Dieu, même dans les relations entre les Etats et les peuples ; revenir à un vrai christianisme dans l'Etat et entre les Etats. Qu'on ne dise point que ce n'est pas là une politique réaliste. L'expérience aurait dû apprendre à tous que la politique orientée vers les réalités éternelles et les lois de Dieu est la plus réaliste et la plus concrète des politiques. Les politiciens réalistes, qui pensent autrement, ne créent que des ruines.

Les prisonniers de guerre et détenus politiques.

Et maintenant, enfin, après avoir, rapidement sans doute, considéré les conditions présentes du monde, Notre regard ne peut pas ne pas s'arrêter encore une fois sur les multitudes, encore nombreuses, des prisonniers de guerre.

Tandis, en effet, que Nous Nous apprêtons à passer dans le recueillement, l'allégresse intérieure et une fervente prière la sainte fête de Noël, qui, avec une harmonie séculaire ne s'éteignant jamais, raffermit et ennoblit les liens de la famille humaine et rappelle au foyer domestique, comme pour un rendez-vous sacré, celui-là même qui en vit habituellement éloigné, Nous pensons avec une profonde tristesse à tous ceux qui, malgré la proclamation de la fin de la guerre, devront, cette année encore, passer la douce solennité en terre étrangère, et éprouver, dans la nuit de la joie et de la paix, le tourment de leur situation incertaine et de leur éloignement de leurs parents, de leurs épouses, de leurs enfants, de leurs frères, de leurs soeurs, de tous ceux qui leur sont chers.

Et, tout en voulant donner le juste tribut de Notre reconnaissance et de Nos éloges aux autorités, aux oeuvres et aux personnes qui ont cherché et cherchent à rendre moins dure et moins longue leur pénible situation, Nous ne pouvons taire la peine éprouvée quand Nous avons appris qu'en plus des souffrances inévitables dues à la guerre, d'autres ont été infligées volontairement aux prisonniers et aux déportés ; quand Nous avons vu, en quelques cas, se prolonger sans raison suffisante la durée de leur captivité, quand le joug de la captivité, déjà accablant par lui-même, a été aggravé du poids de travaux fatigants et non nécessaires, ou quand, méprisant avec facilité les normes sanctionnées par des conventions internationales et celles encore plus inviolables de la conscience chrétienne et civile, on leur a humainement refusé le traitement qui se doit, même aux vaincus.

A ces fils encore retenus en prison, que Notre message arrive sur les ailes des anges de Noël et que leur parvienne, porteur de réconfort, d'espérance et de lumière, Notre souhait, partagé par tous ceux qui ont le vif sentiment de la fraternité humaine, de les voir rendus avec ordre et avec soin à leurs familles anxieuses et à leurs occupations normales du temps de paix.

Et Nous sommes certain d'interpréter l'aspiration de tous les hommes de jugement sain, en étendant ce souhait aux détenus politiques, hommes, femmes et adolescents, exposés parfois à de dures souffrances, à qui on ne peut reprocher, tout au plus, que leurs idées politiques passées, sans aucun acte délictueux, aucune violation de la loi. Nous mentionnerons aussi avec une sollicitude émue les missionnaires et les civils qui, en Extrême-Orient, par suite de graves événements récents, vivent dans la souffrance et dans le danger. C'est un devoir naturel évident de traiter tous ces malheureux d'une manière humaine ; bien plus, Nous estimons que la pacification et la concorde souhaitées à l'intérieur des peuples et entre les peuples ne pourraient mieux débuter que par 'leur libération et, le cas échéant, par la juste et équitable réhabilitation qui leur est due.

C'est avec ces sentiments et ces voeux sur les lèvres et dans le coeur que Nous invoquons sur vous, Vénérables Frères et très chers Fils, comme aussi sur tous Nos bien-aimés fils et filles dispersés sur la terre, l'abondance des grâces du divin Sauveur, en gage desquelles Nous vous accordons, avec une paternelle affection, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1945 - I HISTOIRE DE L'UNION DE L'ÉGLISE RUTHÈNE AVEC LE SAINT-SIÈGE