Pie XII 1946 - INDUSTRIE ÉLECTRIQUE ITALIENNE


ALLOCUTION AUX ENFANTS ASSISTÉS PAR L'U.N.R.R.A.

(26 janvier 1946) 1

Aux enfants de l'U. N. R. R. A. (United Nations Relief and Reabili-tation Agreement), le Saint-Père adresse une allocution charmante pour leur rappeler combien ils sont nombreux en Italie et dans le monde, qu'ils ne doivent pas se décourager des défauts qu'ils constatent en eux, mais s'apprêter à devenir des hommes utiles à leur pays et à l'Eglise.

Quand Jésus voyait les enfants qui accouraient vers lui joyeux, le divin Maître les recevait avec le plus aimable sourire, avec toute l'affection de son coeur et ne permettait pas qu'on les éloignât de lui. Comment donc ne serions-Nous pas joyeux Nous aussi, heureux de te accueillir et de les voir ici assemblés ? Vos bienfaiteurs des Nations Unies qui vous assistent avec tant de générosité, hérauts de la gentillesse, dispensateurs de la charité, et aussi pionniers de la concorde et de la paix dans le monde — loin de vous tenir éloignés de Nous, vous ont conduits ici avec empressement. Que Notre ardent merci aille donc à eux comme aussi à toutes les personnes bienfaisantes, aux institutions et aux autorités publiques qui s'occupent de vous et de votre bien, en même temps que Nous faisons Nôtres, les adressant à eux, les paroles mêmes de Jésus : « Toutes les fois que vous avez fait quelque chose à un de ces petits parmi mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,40). Nous ressentons une profonde compassion à voir souffrir ces petits, à voir pleurer leurs parents qui, quoique ne souffrant pas moins qu'eux, et parfois encore davantage, de la faim et du froid, n'ont de larmes que pour leurs petits ; aussi sommes-Nous reconnaissant à ceux qui contribuent à une oeuvre aussi sainte de pitié et de secours. C'est dans ces senti

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VII, p. 355.

ments, chers enfants, que Nous vous saluons au nom de Jésus en cette monumentale basilique, édifiée sur la tombe glorieuse du premier pape et dans laquelle vous vous trouvez aujourd'hui rassemblés en si grand nombre. Cette basilique est immense et la plus grande du monde ; et pourtant vous la remplissez, et il semble qu'elle voudrait s'élargir, s'élargir encore davantage pour faire place non seulement aux autres enfants de Rome que vous représentez et qui n'ont pu venir avec vous, mais aussi à tous vos petits frères et soeurs d'Italie et du monde qui sont dans le besoin, et aussi pour accueillir tous ceux qui, petits et grands, écoutent la voix du Seigneur et ont l'ardent désir de répondre à sa parole. Mais même si cette basilique pouvait s'agrandir encore davantage et s'agrandir indéfiniment, elle serait encore trop petite pour les contenir tous. Parce que, temple de pierre, elle n'est, dans sa beauté et sa grandeur, qu'un symbole de l'amour immense de Jésus et une image de son Eglise vivante, à laquelle le divin Rédempteur invite tous les hommes sans exception. Chers enfants, priez pour que les hommes ne soient pas sourds à la voix du Christ, pour qu'ils l'écoutent et se laissent émouvoir par sa bonté, lui qui les aime tant et qui, les bras étendus sur la croix, veut les attirer tous à lui.

Mais Jésus ne se contentait pas d'accueillir les enfants avec bonté, ni de considérer comme fait à lui-même le bien qu'on leur faisait. Il veut, en plus d'une occasion, les proposer comme modèle aux grands, à qui il disait : « Si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des Cieux » (Mt 18,3) ; par ces paroles, le divin Maître avertissait les grands de se faire semblables aux petits non pas par l'âge et par l'expérience, mais par la simplicité, l'humilité, la fuite de l'envie, de la rancune, de la haine, de la vaine gloire, de la cupidité désordonnée des richesses, des plaisirs, des honneurs. Mais peut-être ces paroles de Jésus pourront paraître très surprenantes à plus d'un d'entre vous qui, en les entendant, pense en son coeur : « Comment, moi, un modèle ? Moi qui, jusqu'à présent ai été si peu docile, si peu obéissant, si peu studieux, si peu travailleur, moi qui n'ai pas toujours marché dans le bon chemin ? » Les enfants qui approchaient Jésus avaient probablement aussi leurs défauts ; peut-être quelques-uns avaient déjà commis des péchés. Les péchés de l'enfant offensent tellement le coeur de Jésus ! Mais l'enfant qui aurait manqué peut-être davantage par faiblesse, par inattention, par la séduction des mauvais conseils, que par sa propre malice, se laisse plus facilement instruire et remettre sur le droit chemin et il est plus


ENFANTS ASSISTÉS PAR L'U.N.R.R.A.

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vivement désireux de se transformer. Pauvres petits garçons, pauvres petites filles qui avez commis quelque chute pour vouloir trop faire les grands, refaites-vous un coeur de petits, redevenez aimant la prière, redevenez purs, obéissants, fidèles au devoir, à l'étude, au travail.

De cette manière, plus tard, quand vous serez devenus grands, vous serez honnêtes, vertueux, heureux de cette vraie et sainte joie que donne la bonne conscience et vous vous rendrez utiles à votre pays et au monde en contribuant à le rendre meilleur. Soyez courageux pour faire le bien et résister au mal. Ne rougissez jamais devant les ennemis de votre âme ; ne dégénérez jamais des hautes pensées des enfants de Dieu. Combattez vos petits et vos grands défauts, sans trêve, avec persévérance et confiance. Ne permettez pas qu'avec votre âge croissent aussi vos défauts, qu'ils tendent des embûches à votre vertu, qu'ils vous ravissent l'innocence, cette fleur de la jeunesse. Il est vrai que pour cela vous aurez besoin d'une grande grâce de Dieu. Nous la demandons pour vous, chers fils, par l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie avec toute l'effusion de Notre coeur paternel, en même temps que Nous invoquons sur vous, sur vos parents, sur vos familles, sur vos insignes bienfaiteurs et sur les nations qu'ils représentent les plus larges bénédictions du Ciel.

Ainsi monte en ce moment vers Dieu Notre prière fervente sur les ailes de l'espérance et de l'amour. Que sur ces âmes adolescentes, ardentes et pures comme de frêles roses qui au premier matin offrent au soleil, qui les inonde de lumière et d'ardeur, les parfums délicats et les fraîches couleurs de leurs pétales à peine ouverts, ô Seigneur, descende votre Esprit, divin dispensateur des dons, doux hôte de l'âme, doux rafraîchissement. O Dieu de bonté, si vous jugez, dans votre infinie sagesse, ne pas devoir pour leur bien leur épargner la douleur, si vous voyez qu'ils ont besoin de cette initiation, de cette purification, de ce creuset pour les raffiner, de cette épreuve de patience, de cette lumière de l'esprit, de ce signe de solidarité humaine, de cette pierre de touche de l'amour, faites au moins que l'abondance de votre grâce soutienne leur âme confiante, les fortifie dans les dangers, les assure dans les incertitudes du chemin. Faites qu'ils soient toujours par leurs vertus la consolation et la joie de leurs parents et de leurs éducateurs et pour tous l'exemple d'une vie franchement chrétienne ; dirigez-les vers la tendresse et l'affection, la prière et l'action, la charité et le sacrifice, qui sont dans les desseins admirables de votre Providence ; et, après leur avoir accordé les biens indispensables de la terre qui passent, accordez à leurs âmes qui aspirent vers vous, Seigneur, les biens impérissables du Ciel, où vous êtes la lumière et la joie infinie des coeurs pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

Suivent quelques paroles en anglais, dont voici la traduction :

L'appel des enfants s'élève au-dessus des régions ravagées par la guerre. Affamés, souffrant du froid, infirmes, ils appellent, hélas ! en vain, la mère qui leur donnerait à manger et les vêtirait, la main douce qui apaiserait leurs corps douloureux et las. Les rues de la ville se font tristement l'écho des cris hâbleurs et du rire creux de nombre d'enfants sans défense, sans guide, qui sont en train de glisser sur la pente du vice et du crime. Leur voix est celle de demain et elle lance ce défi : sont-ils tels ceux qui façonneront et bâtiront l'avenir ? A travers eux, nous entendons la voix de leur Créateur et c'est un appel, un appel jaillissant des profondeurs de son amour infini : ce que vous faites pour eux, c'est pour Moi que vous le faites ; je vous le rendrai au centuple. Nous prions avec ferveur pour que l'abondante bénédiction de Dieu descende sur vous tous !


ALLOCUTION AU NOUVEL AMBASSADEUR D'ITALIE

(10 février 1946)1

Au nouvel ambassadeur d'Italie près le Saint-Siège, S. Exc. M. Pascal Diana, venu lui présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife a répondu par cette allocution :

Les nobles paroles que Votre Excellence Nous a adressées au moment d'inaugurer ses hautes fonctions expriment avec un accent de profonde émotion son intime conviction de l'importance de la mission qui lui est confiée et des responsabilités exceptionnellement délicates qu'elle comporte dans les conjonctures présentes et dans les difficiles et instables conditions d'un après-guerre encore indécis et incertain.

Le peuple italien, dont vous êtes maintenant auprès de Nous le représentant et le protecteur, a toujours été particulièrement aimé de Nous, et, en ces années de souffrances et d'angoisses, il est plus que jamais près de Notre coeur.

Victime d'une guerre dans laquelle il a été entraîné contre les sentiments et 'la volonté de sa grande majorité, et que Nous-même avons cherché vainement à conjurer, il Nous est devenu doublement cher, et son angoisse présente est un nouveau et spécial titre à Notre sollicitude paternelle et à Notre empressement à lui venir en aide.

Aussi, quand Nous tendons Nos mains pour secourir d'une façon particulière Nos fils et Nos filles d'Italie, plus durement frappés par l'épouvantable conflit, dans l'esprit du divin Samaritain, Nous obéissons non seulement à un devoir de charité, mais encore à une intime impulsion de Notre âme.

Des générations entières, peut-être, devront porter la lourde res

1 D'après le teïte italien des A. A. S., 38, 1946, p. 178 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 66.

ponsabilité de cette horrible guerre. Cependant, Nous avons confiance dans la générosité, dans la valeur, dans la force de résistance, dans les riches qualités de nature et dans la robuste foi chrétienne qui sont l'apanage du peuple italien ; confiance par-dessus tout dans l'aide de la divine Providence qui l'a choisi pour établir au milieu de lui le roc inébranlable sur lequel repose le Siège de Pierre. Aussi, Nous ne doutons pas que de son côté, rassemblant dans un sentiment de concorde et de discipline toutes ses forces personnelles, et soutenu par la sage compréhension et l'assistance bienveillante des autres peuples, il sera à même d'apporter à son tour sa précieuse contribution à l'établissement d'un nouvel ordre social fondé sur l'équité et sur le droit.

Dans cette attente et avec cet espoir, Nous donnons de tout coeur à S. A. R. le lieutenant général du royaume, à la famille royale, au gouvernement et à tout le peuple italien, et en particulier à Votre Excellence, la Bénédiction apostolique implorée.

A l'adresse d'hommages présentée par le nouvel ambassadeur de Belgique près le Saint-Siège, S. A. le prince de Croy, le Saint-Père a répondu par ces paroles de bienvenue :

Dans les paroles d'une haute élévation que Votre Altesse Séré-nissime vient de Nous adresser en Nous présentant les lettres par lesquelles S. A. R. le prince régent 'de Belgique, au nom de S. M. le roi des Belges, vous accrédite auprès de Nous comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Nous avons été heureux de trouver, une fois de plus, le solennel témoignage des sentiments de fidélité aux traditions religieuses qui font l'honneur de la nation belge et dont elle est légitimement fière.

La nation belge ! Cette nation qui, malgré son amour passionné de la paix, a été par deux fois, en une seule génération, le théâtre de guerres exterminatrices ; cette nation dont la liberté et l'indépendance furent, durant des années, non point courbées, certes ! mais meurtries par le joug de la domination étrangère ; cette nation qui, aux heures les plus sombres, a su, sous l'oppression, demeurer fidèle à elle-même et à sa mission, attendre avec une héroïque constance sa libération et travailler, dès le premier instant de sa liberté recouvrée, à faire surgir des ruines une vie nouvelle : une telle nation, si grièvement blessée par une avidité effrénée de domination, se sent, du fait même de sa douloureuse expérience, d'autant plus pleinement liée à sa noble tâche de favoriser, d'une manière efficace et dans un esprit haut et large, l'oeuvre de la paix.

Nous supplions le Seigneur de conduire cette ardente aspiration des peuples à une plus palpable réalité. Or, la première et indispen

(13 février 1946)1

sable condition est l'empressement loyal de tous les Etats, des grandes puissances mondiales en particulier, à consacrer leurs forces au service du droit et non à sa plus ou moins franche violation.

Avec la ferme confiance que la noble nation belge pourra goûter les heureux fruits d'une si désirable évolution, Nous recommandons d'un coeur fervent, à la protection du Tout-Puissant, votre auguste souverain, S. A. R. le prince régent, la famille royale, le gouvernement et le peuple belge tout entier, ce peuple tant aimé et d'autant plus aimé de Nous que ses souffrances ont été plus grandes et son héroïsme plus admirable. Daigne le Seigneur bénir et féconder son oeuvre si ardue de reconstruction de l'avenir dans un esprit de justice et de paix.

A Votre Altesse, enfin, Nous avons plaisir à donner l'assurance que, dans l'accomplissement de la mission qui lui est confiée, elle trouvera toujours de Notre part le plus bienveillant appui, en gage duquel Nous lui accordons de grand coeur, selon son désir, Notre paternelle bénédiction.

(16 février 1946) 1

En réponse à l'adresse de S. Exc. M. Paul Churruca y Dotres, marquis de Aycinena, nouvel ambassadeur d'Espagne près le Saint-Siège, venu présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife a prononcé l'allocution suivante :

C'est avec une vive satisfaction que Nous avons reçu des mains de Votre Excellence, qui a su accompagner cet acte solennel de si nobles et si hautes expressions, les lettres de créance par lesquelles le chef de l'Etat espagnol vous accrédite auprès de Nous comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.

Votre nouvelle et honorable mission débute au moment où d'insignes prélats se réunissent de toutes les parties de la terre au centre de la chrétienté, offrant à un monde qui se remet lentement des dures conséquences de la guerre, l'édifiant spectacle d'une unité et d'une fraternité qui ont leur fondement en Dieu Notre-Seigneur.

Plus, en effet, il est difficile aux peuples qui ont supporté les horreurs de la guerre, de mettre fin à leurs conflits et à leurs embarras passés, et de se tourner loyalement vers ces pensées de paix qui doivent former l'ambiance propice à la saine liberté et à la reconstruction, plus l'Eglise pratique le devoir maternel qui lui incombe d'offrir, comme l'exige sa mission, à ce monde agité et tourmenté par des forces contraires, un exemple manifeste et lumineux de ce qu'est une activité juste et proportionnée à ce qui est dû à chaque peuple.

Le peuple espagnol, non moins que les autres nations, a su comprendre et apprécier dignement la signification symbolique de ce premier consistoire d'après-guerre. Maintenant, ce peuple dont la fidélité à Jésus-Christ, dont la courageuse profession de foi, tout autant que ses mérites éminents dans la conservation et la propagation de la religion catholique, demeurent pour toujours inscrits en caractères indélébiles dans le livre de l'histoire de l'Eglise ; ce peuple, qui a constamment reconnu dans sa fidèle union avec le Siège de Pierre, une des clés de voûte de sa tradition nationale, a la joie de constater que, à ses fils aussi, en ce moment historique, est accordée la place d'honneur qu'ils ont méritée.

Par une amoureuse disposition de la divine Providence, les horreurs de la guerre mondiale ont été épargnées à la nation espagnole. Daigne le Tout-Puissant veiller aussi sur elle dans l'avenir et lui faire trouver et suivre le droit chemin qui la conduira au développement progressif de son bien-être intérieur et à une efficace collaboration dans les urgentes et communes nécessités de cette humanité affamée de paix et de justice.

C'est en formulant ce voeu qui réunit dans une étreinte d'amour tous les Etats et toutes les classes de la nation, que Nous accueillons volontiers la prière qui Nous a été adressée et que Nous donnons de tout coeur, avec une paternelle affection, au chef de l'Etat, à tout le peuple espagnol toujours très aimé et à Votre Excellence, d'une façon spéciale, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU CONSISTOIRE SECRET

(18 février 1946) 1

Après avoir exposé les raisons qui ont fait retarder la création de nouveaux cardinaux, le pape proclame les noms des trente-deux prélats promus à la pourpre romaine.

Les raisons de la création de nouveaux cardinaux.

C'est principalemenc pour trois motifs que Nous avons convoqué aujourd'hui votre Collège : pour procéder à la création de nouveaux cardinaux, pour préconiser et publier de nouveaux êvêques et pour traiter, suivant la tradition, les causes de la canonisation de quatre bienheureux.

Assurément, le Sénat de l'Eglise catholique a subi, en ces dernières années, de nombreuses et graves pertes, et ici Nous désirons, l'âme attristée, rappeler le souvenir de ces personnages éminentissimes dont Nous-même, avec vous et avec tous les bons fidèles, Nous regrettons tant la disparition en implorant pour eux du Suprême Prince des pasteurs le repos éternel et la récompense de leurs fatigues et de leurs vertus.

Des difficultés diverses et multiples Nous ont empêché d'introduire plus tôt au sein de votre très illustre corporation de nouveaux collègues. Entre toutes Nous mentionnons d'une façon spéciale celles qui provenaient de la prolongation de la conflagration armée qui divisait en deux partis opposés et hostiles la communauté des peuples et rendait ou tout à fait impraticables ou incertaines et dangereuses les routes du ciel, de la terre et de la mer.

Aujourd'hui, la guerre ayant enfin cessé, bien que la vraie paix ne resplendisse pas encore sur le genre humain anxieux et épuisé, il Nous est permis de mettre à exécution ce projet que Nous méditions depuis longtemps, et Nous le réalisons d'autant plus volontiers qu'il Nous est accordé d'honorer de la majesté de la pourpre romaine des hommes qui ont bien mérité soit de l'Eglise catholique, soit de leur patrie respective.

Par le fait que, pour la première fois, des prélats très illustres choisis dans les cinq parties du monde, sont rattachés au clergé romain et souverainement honorés du laticlave sacré, voici qu'est mise dans une nouvelle lumière ce qui est une note particulière de l'Eglise catholique, à savoir qu'elle n'appartient pas seulement à une race, à un peuple ou à une nation, mais à tous les peuples de la famille humaine et à chacun d'eux, car, rachetés par le sang divin de Jésus-Christ, ils sont étreints par elle avec une maternelle affection et, unis entre eux par les liens d'une fraternelle charité, ils sont dirigés et guidés par l'Eglise vers la patrie céleste dont la durée est éternelle.

En outre, en ces derniers mois, de nombreux diocèses ont été privés de leurs pasteurs : la charge apostolique dont Nous sommes investi de par la volonté divine exige donc que Nous pourvoyions régulièrement à ces vacances. Ainsi que vous le savez pertinemment, c'est affaire de très grande importance, car la situation, la discipline, le progrès de la chrétienté tout entière sont en dépendance très étroite de cette chose. Nous sommes appelé, en effet, à choisir, parmi les plus prudents et les plus religieux, des hommes qui, « devenus vraiment les modèles du troupeau » (1P 5,3), devront conduire les peuples qui leur seront confiés aux pâturages de la vérité éternelle, les nourrir de la nourriture de la divine grâce, les gouverner et les guider autant par le bon exemple de leur vie et l'éclat de leur vertu que par leur autorité.

« Grand est l'honneur, pour emprunter le langage de Notre prédécesseur saint Grégoire le Grand, mais la responsabilité de cet honneur est lourde. » 2 C'est pourquoi, chaque fois que Nous devons prendre une décision en cette sorte d'affaire, Nous le faisons avec un soin réfléchi et diligent, en Nous appuyant sur l'aide de la grâce que Jésus-Christ lui-même a promise à l'Eglise, son Epouse, et à son Vicaire sur la terre, jusqu'à la consommation des siècles.

Après avoir adressé au Saint-Esprit Nos humbles supplications,


CONSISTOIRE SECRET

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afin qu'il daigne, dans sa bonté, éclairer Notre esprit de l'éclat de sa lumière surnaturelle, Nous nommons et publions ces nouveaux êvêques.

Leurs noms et titres.

Cependant, avant de procéder à cette nomination, Nous voulons faire entrer dans le collège des éminentissimes cardinaux trente-deux hommes très illustres que leur vertu et la sagesse dont ils ont fait preuve dans l'exercice de leurs diverses fonctions ont rendus, à coup sûr, dignes de recevoir la dignité du cardinalat.

Ce sont :

Grégoire-Pierre XV Agagianian, patriarche de Cilicie des Arméniens ; Jean Glennon, archevêque de Saint-Louis ; Benoît Aloisi Masella, archevêque titulaire de Césarée de Mauritanie et nonce apostolique au Brésil ; Clément Micara, archevêque titulaire d'Apa-mée, en Syrie, nonce apostolique en Belgique et internonce dans le Grand-Duché du Luxembourg ; Adam-Etienne Sapieha, archevêque de Cracovie ; Edouard Mooney, archevêque de Détroit ; Jules Saliège, archevêque de Toulouse ; Jacques-Charles Mac Guigan, archevêque de Toronto ; Samuel Stritch, archevêque de Chicago ; Augustin Par-rado y Garcia, archevêque de Grenade ; Emile Roques, archevêque de Rennes ; Jean de Jong, archevêque d'Utrecht ; Charles-Carmel de Vasconcellos Motta, archevêque de Saint-Paul au Brésil ; Pierre Petit de Julleville, archevêque de Rouen ; Norman Gilroy, archevêque de Sydney ; Francis Spellman, archevêque de New York ; Joseph-Marie Caro Rodriguez, archevêque de Santiago ; Théodose-Clément de Gouveia, archevêque de Lourenço Marques ; Jacques de Barros Camara, archevêque de Saint-Sébastien de Rio de Janeiro ; Henri Pia y Deniel, archevêque de Tolède ; Emmanuel Arteaga y Betancourt, archevêque de Saint-Christophe de La Havane ; Joseph Frings, archevêque de Cologne ; Jean-Gualbert Guevara, archevêque de Lima ; Bernard Grifjin, archevêque de Westminster ; Manuel Arce y Ochotorena, archevêque de Tarragone ; Joseph Mindszenty, archevêque d'Esztergom ; Ernest Ruffini, archevêque de Païenne ; Conrad von Preysing, évêque de Berlin ; Clément-Auguste von Galen, évêque de Munster ; Antoine Caggiano, évêque de Rosario (Argentine) ; Thomas Tien, évêque titulaire de Ruspe et vicaire apostolique de Tsing-Tao ; Joseph Bruno, secrétaire de la Sacrée Congrégation du Concile.

Que vous en semble-t-il ?

En conséquence, de par l'autorité du Dieu tout-puissant, des saints apôtres Pierre et Paul, et par la Nôtre, Nous créons et proclamons cardinaux de la Sainte Eglise romaine :

De l'ordre des cardinaux-prêtres :

Grégoire-Pierre XV Agagianian, Jean Glennon, Benoît Aloisi Masella, Clément Micara, Adam-Etienne Sapieha, Edouard Mooney, Jules Saliège, Jacques-Charles Mac Guigan, Samuel Stritch, Augustin Parrado y Garcia, Emile Roques, Jean de Jong, Charles-Carmel de Vasconcellos Motta, Pierre Petit de Julleville, Norman Gilroy, Francis Spellman, Joseph-Marie Caro Rodriguez, Théodose-Clément de Gouveia, Jacques de Barros Camara, Henri Pia y Deniel, Emmanuel Arteaga y Betancourt, Joseph Frings, Jean-Gualbert Guevara, Bernard Griffin, Manuel Arce y Ochotorena, Joseph Mindszenty, Ernest Ruffini, Conrad von Preysing, Clément-Auguste von Galen, Antoine Caggiano, Thomas Tien.

De l'ordre des cardinaux-diacres : Joseph Bruno.

Avec les dispenses, dérogations et clauses nécessaires et opportunes.

Au nom du Père f et du Fils f et du Saint f Esprit. Ainsi soit-il.


ALLOCUTION AUX NOUVEAUX CARDINAUX

(20 février 1946) 1

Cette très importante allocution aux nouveaux cardinaux permet au Saint-Père de rappeler que l'Eglise est supranationale, que son influence s'exerce sur l'organisation et le dynamisme de la société humaine, en même temps que dans l'intime de l'homme.

SALUT AUX NOUVEAUX CARDINAUX

L'élévation et la noblesse des sentiments que votre eminent interprète Nous a exprimés en votre nom, Vénérables Frères, qui êtes les premiers inscrits par Nous au Sénat de l'Eglise romaine, sont particulièrement agréables à Notre coeur.

Notre parole s'adresse maintenant à vous — pour appliquer à cette circonstance solennelle les expressions du grand Augustin — à vous, germes nouveaux de sainteté, éclos au souffle de l'Esprit-Saint, fleurs de Notre honneur, fruits de Notre élection 2, couronnés par Nous en ce moment d'un diadème qui ne resplendit pas d'or ni de pierres précieuses, mais de la couleur de la flamme et du sang, car, dans la flamme et le sang se trouve toute la charité du Christ, qui surpasse toute science. Vos noms, vos vertus, vos mérites, les luttes que plus d'un d'entre vous a soutenues avec un courage héroïque contre l'oppresseur pour la défense de la vérité et de la justice, sont si connus du monde entier que Nous Nous croyons dispensé de rappeler ce que tous ont salué et accueilli avec applaudissements.

Notre regard se repose sereinement sur vous et contemple en vous, qui êtes venus de toutes les parties du monde, l'Eglise entière, cette

1 D'après le texte italien des A. A. S., 38, 1946, p. 141 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 78. Les titres et sous-titres sont ceux du texte original.

2 Cf. S. Aug. Serm., éd. Morin, Rome, Typ. vatic. 1930, Serm. LXXXIX, p. 330 ; Miscell. Agost., vol. I.

« maison du Dieu vivant », comme l'appelle le concile du Vatican, cette maison paternelle « qui accueille tous les fidèles unis par le lien de l'unique foi et de la charité » 3. Vous êtes venus à Pierre, en qui, selon les paroles de ce même concile, Pépiscopat et les fidèles trouvent « le principe et le fondement visible de l'unité »4 .


MANIFESTATION DE LA SUPRANATIONALITÉ ET DE L'UNITÉ UNIVERSELLE DE L'ÉGLISE

Lorsque, dans le discours de la veille de Noël, Nous annoncions au Sacré Collège Notre intention de vous élever à la pourpre sacrée 5, Nous avions conscience de l'intérêt profond qu'une telle manifestation du caractère supranational de l'Eglise et de son universelle unité susciterait dans le monde ; pauvre monde, qui partout a faim et soif d'unité et lutte de diverses manières pour l'obtenir ! Les fidèles ont trouvé dans Nos paroles un motif nouveau de consolation et d'encouragement ; aux autres — Nous voulons parler des personnes honnêtes, non de ceux qui sont esclaves du « père du mensonge » (Jn 8,44) — elles ont fourni matière à sérieuse réflexion. L'Eglise, disions-Nous alors, possède en Dieu, d'ans PHomme-Dieu, dans le Christ, l'invisible mais inébranlable principe de son unité et de son intégrité, c'est-à-dire de l'unité de sa tête et de ses membres dans la plénitude entière de sa propre vie ; elle embrasse et sanctifie tout ce qui est vraiment humain ; elle fait converger et elle ordonne les multiples aspirations et les fins particulières vers le but total et commun de l'homme, qui est sa ressemblance la plus parfaite possible avec Dieu. Cette Eglise se lève aujourd'hui, au milieu d'un monde déchiré et divisé, comme un signe avertisseur, comme un signum levatum in nationes, un étendard élevé pour les nations, qui appelle à elle ceux qui ne croient pas encore et confirme ses fils dans la foi qu'ils professent 6, car sans Dieu et loin de Dieu il ne peut y avoir parmi les hommes d'unité vraie, solide et sûre.

3 Sess. IV, Const. dogm. prima de Eccl. Christi ; Coll. Lac, t. VII, p. 482 et suiv.

4 Ibid.

5 Cf. Documents Pontificaux 194S, p. 387 à 389.

6 Concile du Vatican, Sess. III, Const. dogm. de fide cath. ; Coll. Lac, t. VII, p. 251. — Isaïe, 11, 12.


INFLUENCE DE L'ÉGLISE SUR LE FONDEMENT DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE EN CE QUI CONCERNE...

Si donc aujourd'hui tant d'hommes de toutes parts, dans une attente anxieuse et une espérance haletante, se tournent vers l'Eglise et lui demandent quelle est sa part dans le salut de la société humaine, dans l'établissement de ce bien inestimable, plus précieux que tous les trésors, qu'est une paix durable à l'intérieur et à l'extérieur des Etats, la réponse de l'Eglise peut être multiple et variée, comme sont variées ses possibilités. Toutefois, 'la grande, la définitive réponse à laquelle peuvent se ramener toutes les autres, reste toujours l'unité et l'intégrité de l'Eglise fondée en Dieu et dans le Christ. D'où la nécessité — pour les fils de l'Eglise tout d'abord, mais aussi pour la société humaine en général — d'avoir une notion claire et exacte de l'influence qu'exercent pratiquement cette unité et cette intégrité. Cette influence s'exerce sur le fondement, sur l'organisation et sur le dynamisme de la société humaine. L'importance principale du premier de ces trois points Nous invite à en faire, en connexion avec Notre discours de Noël, l'objet des paroles que Nous vous adressons aujourd'hui, en cette occasion solennelle et extraordinaire qui réunit autour de Nous les nouveaux membres du Sacré Collège, dignes représentants de l'universalité de l'Eglise.

1° La solidité et la sécurité. L'Eglise et l'impérialisme moderne.

L'unité et l'intégrité de l'Eglise, mises en lumière par la manifestation de sa supranationalité, sont de grande importance pour le fondement de la vie sociale. Non pas que le rôle de 'l'Eglise soit de comprendre et en quelque manière d'embrasser, comme en un gigantesque empire mondial, toute la société humaine. Cette conception de l'Eglise, comme d'un empire terrestre et d'une domination mondiale, est absolument fausse ; à aucune époque de l'histoire, elle n'a été vraie et conforme à la réalité, à moins qu'on ne veuille commettre l'erreur de transporter aux siècles passés les idées et la terminologie propre de notre temps.

L'Eglise, tout en accomplissant le mandat de son divin Fondateur de se répandre dans le monde entier et de conquérir à l'Evangile toute créature (cf. Marc, Mc 16,15), n'est pas un empire, surtout dans le sens impérialiste que l'on donne ordinairement aujourd'hui à ce mot. Elle suit dans son progrès et dans son expansion une marche inverse de celle de l'impérialisme moderne. Elle progresse avant tout en profondeur, puis en extension et en étendue. Elle cherche en premier lieu l'homme lui-même ; elle s'efforce de former l'homme, de modeler et de perfectionner en lui la ressemblance avec Dieu. Son travail s'accomplit au fond du coeur de chacun, mais il a sa répercussion sur toute la durée de la vie, dans tous les champs de l'activité des individus. Dans ces hommes ainsi formés, l'Eglise prépare à la société humaine une base sur laquelle elle peut reposer avec sécurité. L'impérialisme moderne, au contraire, suit une route opposée. Il procède en extension et en étendue. Il ne cherche pas l'homme en tant que tel, mais les choses et les forces auxquelles il le fait servir ; par suite, il porte en lui des germes qui mettent en danger le fondement de la communauté humaine. Dans ces conditions, peut-on s'étonner de l'angoisse présente des peuples pour leur sécurité réciproque ? Cette angoisse dérive de la tendance exagérée à l'expansion qui porte en elle le ver rongeur de l'inquiétude continuelle, et fait qu'à un besoin de sécurité en succède sans cesse un autre, peut-être encore plus urgent.

2° La cohésion et l'équilibre.

Action de l'Eglise dans l'intime de l'homme.

Mais, de plus, vaine serait la solidité de la base, si la construction manquait de cohésion et d'équilibre. Or, l'Eglise contribue aussi à la cohésion et à l'équilibre de tous les éléments multiples et complexes de l'édifice social. Ici encore son action est avant tout intérieure. Les étais, les contreforts appliqués du dehors à un édifice branlant ne sont qu'un palliatif précaire et ne peuvent que retarder pour quelque temps l'écroulement fatal. Si les injures du temps qui n'ont pas épargné tant de monuments de date plus récente ont respecté les magnifiques cathédrales gothiques du XIIIe siècle, si ces dernières continuent à se dresser sereines auJdessus des ruines qui les entourent, c'est parce que leurs éperons ne font qu'apporter du dehors un concours précieux sans doute, mais accessoire, à la puissance interne de l'organisme ogival, d'une architecture géniale aussi ferme et précise qu'audacieuse et légère.

Ainsi l'Eglise : elle agit au plus intime de l'homme, de l'homme dans sa dignité personnelle de créature libre, dans sa dignité infiniment plus haute d'enfant de Dieu. Cet homme, l'Eglise le forme et l'éduque, car lui seul, complet dans l'harmonie de sa vie naturelle et surnaturelle, dans le développement ordonné de ses instincts et de ses inclinations, de ses riches qualités et de ses aptitudes variées, est en même temps l'origine et le but de la vie sociale, et, par suite, le principe de son équilibre.

Voilà pourquoi l'Apôtre des nations, en parlant des chrétiens, déclare qu'ils ne sont plus « 'des enfants vacillants» (Ep 4,14), à la marche incertaine au milieu de la société humaine. Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Pie XI, dans son encyclique Quadragesimo anno sur l'ordre social, tirait de cette même pensée une conclusion pratique, lorsqu'il énonçait le principe de valeur générale suivant : ce que les particuliers peuvent faire par eux-mêmes et par leurs propres moyens ne doit pas leur être enlevé et transféré à la communauté ; ce principe vaut également pour les groupements plus petits et d'ordre inférieur par rapport aux plus grands et d'un rang plus élevé. Car, poursuivait le sage Pontife, toute activité sociale est de sa nature subsidiaire ; elle doit servir de soutien aux membres du corps social et ne jamais les détruire ni les absorber 7. Paroles vraiment lumineuses, qui valent pour la vie sociale à tous ses degrés et aussi pour la vie de l'Eglise, sans préjudice de son organisation hiérarchique.

Et maintenant, Vénérables Frères, comparez avec cette doctrine et avec cette pratique de l'Eglise les tendances impérialistes, telles qu'elles sont dans la réalité. Vous n'y trouvez aucun principe d'équilibre intérieur, et ainsi la solidité de la communauté humaine subit un nouveau et immense dommage. Car, si ces gigantesques organismes n'ont aucun fondement réel d'ordre moral, ils évoluent nécessairement vers une concentration toujours plus grande et une uniformité toujours plus stricte. Par suite, leur équilibre, leur cohésion même se maintiennent uniquement par la force de la contrainte extérieure des conditions matérielles et des expédients juridiques, des événements et des institutions, et non pas en vertu d'une adhésion intérieure des hommes, de leur aptitude et de leur promptitude à prendre des initiatives et à assumer des responsabilités. Ce soi-disant ordre intérieur se réduit presque à une simple trêve entre les divers groupements, avec la continuelle menace de 'la rupture de leur équilibre, chaque fois que varient, soit leurs intérêts en jeu, soit la proportion entre les forces respectives. Etant si fragiles et instables dans leur constitution interne, ces organismes sont d'autant plus exposés à devenir dangereux, même pour la famille entière des Etats.

7 Cf. A. A. S., 23, 1931, p. 203.

3° L'égalité.

L'homme complet au centre de l'ordre social.

Bien différent sans doute est le cas d'un empire fondé sur une base dont le caractère spirituel s'est établi et renforcé dans le cours de l'histoire, et qui trouve son point d'appui dans la conscience d'une grande majorité des citoyens. Cependant, ne prête-t-il pas le flanc à un danger d'une autre nature, celui d'accorder une estime exagérée, une attention exclusive à tout ce qui est personnel, et de ne pas savoir apprécier, ou même simplement connaître, ce qui est étranger ? Et voilà de nouveau l'unité et l'intégrité de la communauté humaine ébranlées par suite de la brèche faite à son fondement en un point essentiel ; voilà blessé le principe sacré de l'égalité et de la parité entre les hommes.

C'est l'Eglise, ici encore, qui peut soigner et guérir une telle blessure. Et ici encore elle le fait en pénétrant aux plus intimes profondeurs de l'être humain et en le plaçant au centre de tout l'ordre social. Or, cet être humain n'est pas l'homme abstrait ni l'homme considéré uniquement dans l'ordre de la nature pure, mais l'homme complet, tel qu'il est aux yeux de Dieu, son Créateur et son Rédempteur, tel qu'il est dans sa réalité concrète et historique qu'on ne saurait perdre de vue sans compromettre l'économie normale de la communauté humaine. L'Eglise le sait et elle agit en conséquence. Si, à certaines époques et en certains lieux, l'une ou l'autre civilisation, l'un ou l'autre groupement ethnique ou classe sociale ont fait plus que d'autres sentir leur influence sur l'Eglise, cela ne signifie pourtant pas qu'elle se soit inféodée à aucun ni qu'elle se soit pétrifiée, pour ainsi dire, en un moment de l'histoire, en se fermant à tout développement ultérieur. Au contraire, penchée comme elle l'est sur d'homme avec une attention incessante, écoutant tous les battements de son coeur, elle en connaît toutes les aspirations avec cette clairvoyante intuition et cette finesse pénétrante qui ne peuvent provenir que de la lumière surnaturelle de la doctrine du Christ et de la chaleur surnaturelle de sa divine charité. Ainsi, l'Eglise, dans sa marche, suit sans pause et sans heurt le chemin providentiel des temps et des circonstances. Tel est le sens profond de sa loi vitale de continuelle adaptation. Certains, incapables de s'élever à cette conception magnifique, l'ont interprétée et présentée comme de l'opportunisme. Non, l'universelle compréhension de l'Eglise n'a rien à voir avec l'étroitesse d'une secte ni avec l'exclusivité d'un impérialisme prisonnier de sa tradition.

Elle tend de tout son effort au but que saint Thomas d'Aquin, à l'école du philosophe de Stagire, donne à la vie de communauté, qui est de lier les hommes entre eux par les liens de l'amitié 8. On a dit qu'avec tous les moyens modernes de communication les peuples et les hommes sont maintenant plus isolés qu'ils ne l'ont jamais été auparavant. Mais cela ne doit pas pouvoir se dire des catholiques, des membres de l'Eglise.

4° Le développement normal dans l'espace et dans le temps. Les déportations de peuples.

L'Eglise est, en effet, la société parfaite, la société universelle, qui embrasse et unit entre eux tous les hommes dans l'unité du Corps mystique du Christ : « Toutes les nations que vous avez faites viendront se prosterner devant vous, Seigneur » (Ps., lxxxv, 9). Tous, les peuples et les individus, sont appelés à venir à l'Eglise. Mais ce mot « venir » n'évoque à l'esprit aucune idée d'émigration, d'expatriation, de ces déportations par lesquelles les pouvoirs publics ou la dure contrainte des événements arrachent les populations à leurs terres et à leurs foyers ; il n'implique pas l'abandon de traditions salutaires, de coutumes vénérables, ni la séparation violente, permanente ou au moins prolongée des époux, des parents et des enfants, des frères, des proches et des amis, ni la dégradation des hommes dans la condition humiliante d'une « masse ». De tels funestes transferts d'hommes sont malheureusement devenus aujourd'hui plus fréquents, mais eux aussi, sous leurs formes anciennes et nouvelles, se rattachent de multiples manières, directement et indirectement, aux tendances impérialistes du temps. « Venir » à l'Eglise n'exige pas ces tristes transplantations, bien que la main de Dieu, miséricordieuse et puissante, se serve aussi de ces afflictions pour conduire tant de leurs victimes à l'Eglise, à la maison paternelle ; toutefois, ce n'est pas son coeur qui les a voulues ; il n'en avait pas besoin, et saint Augustin l'exprime très justement lorsqu'il écrit : « Ils viendront, non pas en émigrant de leurs demeures, mais en ayant la foi chez eux. » 9

En attirant ainsi les esprits de l'intérieur, Vénérables Frères, l'Eglise n'a-t-elle pas contribué et ne contribue-t-elle pas encore efficacement à établir le fondement solide de la société humaine ?

8 Cf. Summa theol., I* II", q. 92, a. 2.

9 Epist. CXCIX, c. 12, n. 47 ; Migne, P. L., t. XXXIII, col. 923.

L'homme, tel que Dieu le veut et que l'Eglise le comprend, ne se sentira jamais fermement fixé dans l'espace et le temps sans un territoire stable et sans des traditions. C'est là que les forts trouvent la source de leur vitalité ardente et féconde, et que les faibles, qui sont la majorité, se sentent en sécurité, protégés ainsi contre la pusillanimité, l'apathie et la déchéance de leur dignité humaine. La longue expérience de l'Eglise comme éducatrice des peuples le confirme ; aussi a-t-elle le souci d'unir par tous les moyens la vie religieuse avec les coutumes de la patrie et s'occupe-t-elle avec une sollicitude particulière de ceux que l'émigration ou le service militaire retiennent loin de leur pays natal. Le naufrage de tant d'âmes donne tristement raison à cette appréhension maternelle de l'Eglise et oblige à conclure que la stabilité du territoire et l'attachement aux traditions ances-trales, indispensables à la sainte intégrité de l'homme, sont aussi des éléments fondamentaux pour la communauté humaine. Pourtant, on renverserait et on contredirait manifestement l'effet bienfaisant de ce postulat, si l'on voulait s'en servir pour justifier le rapatriement forcé et la négation du droit d'asile à ceux qui désirent, pour de graves raisons, fixer ailleurs leur résidence.

L'Eglise vivant dans le coeur de l'homme, et l'homme vivant dans le sein de l'Eglise, voilà, Vénérables Frères, l'union la plus profonde et la plus efficace qui se puisse concevoir. Par cette union, l'Eglise élève l'homme à la perfection de son être et de sa vitalité, pour donner à la société humaine des hommes bien formés : des hommes établis intégralement dans la condition inviolable d'images de Dieu ; des hommes fiers de leur dignité personnelle et de leur saine liberté ; des hommes justement jaloux de leur égalité avec leurs semblables en tout ce qui touche le fond le plus intime de leur dignité humaine ; des hommes attachés d'une manière stable à leurs terres et à leurs traditions ; des hommes, en un mot, caractérisés par ces quatre éléments ; voilà ce qui donne à la société humaine son fondement solide et lui procure sécurité, équilibre, égalité, développement normal dans l'espace et dans le temps. Tel est donc aussi le vrai sens et l'influence pratique de la supranationalité de l'Eglise qui, bien loin de ressembler à un empire, s'élève au-dessus de toutes les différences, de tous les espaces et de tous les temps, et bâtit sans discontinuer sur le fondement inébranlable de toute société humaine. Ayons confiance en elle ; si tout chancelle autour d'elle, elle demeure ferme. A elle s'appliquent encore de nos jours les paroles du Seigneur : « Même si la terre est ébranlée avec tous ceux qui l'habitent, moi, j'affermis ses colonnes » (Ps., lxxiv, 4).


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