Pie XII 1946 - INFLUENCE DE L'ÉGLISE SUR LE FONDEMENT DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE EN CE QUI CONCERNE...


LES DEUX COLONNES PRINCIPALES DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE : FAMILLE ET ÉTAT

Sur ce fondement reposent surtout les deux colonnes principales, l'armature de la société humaine, telle qu'elle est conçue et voulue par Dieu : la famille et l'Etat. Appuyées sur ce fondement, elles peuvent remplir sûrement et parfaitement leurs rôles respectifs : la famille, en tant que source et école de vie ; l'Etat, en tant que gardien du droit, qui a, comme la société dans son ensemble, son origine prochaine et sa fin dans l'homme complet, dans la personne humaine, image de Dieu. L'Apôtre applique aux fidèles deux magnifiques définitions : « Concitoyens des saints » et « membres de la famille de Dieu » ; cives sanctorum et domestici Dei (Ep 2,19). Ne voyons-nous pas que de ces deux expressions la première se réfère à la vie de l'Etat et la seconde à celle de la famille ? Et n'est-il pas permis d'y découvrir une allusion à la manière dont l'Eglise contribue à établir le fondement de la société selon sa structure intime, dans la famille et dans l'Etat ?

Cette conception et cette manière d'agir auraient-elles perdu aujourd'hui leur valeur ? Les deux colonnes maîtresses de la société, en s'éloignant de leur centre de gravité, se sont malheureusement détachées de leur fondement. Qu'en est-il résulté, sinon que la famille a vu décliner sa force de vie et d'éducation, et que l'Etat, de son côté, est sur le point de renoncer à sa mission de défenseur du droit pour se transformer en ce Leviathan de l'Ancien Testament, qui domine tout parce qu'il veut tout attirer à lui ? Sans doute, dans la confusion inextricable où s'agite aujourd'hui le monde, l'Etat se trouve-t-il dans la nécessité de prendre sur lui une charge énorme de devoirs et d'emplois ; mais cette situation anormale ne menace-t-elle pas de compromettre gravement sa force intime et l'efficacité de son autorité ?

LA MISSION DIFFICILE DE L'ÉGLISE

Et maintenant, quelles sont 'les conséquences qui découlent de tout cela pour l'Eglise ? Elle devra, aujourd'hui plus que jamais, vivre sa mission ; elle devra plus énergiquement que jamais repousser cette conception fausse et étroite de sa spiritualité et de sa vie intérieure, qui voudrait la confiner, aveugle et muette, dans la retraite du sanctuaire.

L'Eglise ne peut pas s'enfermer inerte dans le secret de ses tempies et déserter ainsi la mission que lui a confiée la Providence divine de former l'homme complet et, par là, de collaborer sans cesse à établir le fondement solide de la société. Cette mission lui est essentielle. Considérée de ce point de vue, on peut dire que l'Eglise est la société de ceux qui, sous l'influence surnaturelle de la grâce, dans la perfection de leur dignité personnelle de fils de Dieu et dans le développement harmonieux de toutes les inclinations et énergies humaines, édifient la puissante armature de la communauté humaine.

Sous cet aspect, Vénérables Frères, les fidèles, et plus précisément les laïques, se trouvent aux premières lignes de la vie de l'Eglise ; par eux, l'Eglise est le principe vital de la société humaine. Eux, par conséquent, eux surtout, doivent avoir une conscience toujours plus nette, non seulement d'appartenir à l'Eglise, mais d'être l'Eglise, c'est-à-dire la communauté des fidèles sur la terre sous la conduite du chef commun, le pape, et des êvêques en communion avec lui. Ils sont l'Eglise, et de là vient que, dès les premiers temps de son histoire, les fidèles, avec le consentement de leurs êvêques, se sont unis en associations particulières concernant les manifestations les plus diverses de la vie. Et le Saint-Siège n'a jamais cessé de les approuver et de les louer.

Ainsi donc, le sens principal de la supranationalité de l'Eglise est de donner, d'une manière durable, figure et forme au fondement de la société humaine, au-dessus de toutes les diversités, au-delà des limites de l'espace et du temps. Une telle oeuvre est ardue, surtout de nos jours où la vie sociale semble être devenue pour les hommes une énigme, un écheveau inextricable. On voit circuler dans le monde des opinions erronées qui déclarent un homme coupable et responsable pour le seul fait qu'il est membre ou fait partie d'une communauté déterminée, sans se soucier de rechercher ou d'examiner s'il y a eu vraiment de sa part faute d'action ou d'omission personnelle. C'est là s'arroger les droits du Dieu Créateur et Rédempteur, qui seul, dans les desseins mystérieux de sa Providence toujours amoureuse, est Maître absolu des événements et, comme tel, s'il le juge bon dans son infinie sagesse, lie le sort du coupable et de l'innocent, du responsable et de l'irresponsable. A cela s'ajoute surtout que les complications d'ordre économique et militaire ont fait de la société comme une gigantesque machine dont l'homme n'a plus la maîtrise, et que même il redoute. La continuité dans le temps avait toujours paru essentielle à la vie sociale, et il semblait que celle-ci ne se pût concevoir en isolant l'homme du passé, du présent et de l'avenir. Or, c'est là précisément le phénomène déconcertant dont nous sommes aujourd'hui les témoins. Du passé tout entier on ne sait, trop souvent, presque plus rien ou à peine ce qui suffit à en deviner la trace confuse dans l'amas de ses ruines. Le présent n'est, pour beaucoup, que la fuite désordonnée d'un torrent qui précipite les hommes comme des épaves vers la nuit obscure d'un avenir où ils vont se perdre avec le torrent lui-même qui les entraîne.


LES VERTUS CACHÉES DU SAINT SACRIFICE DE LA MESSE POUR LE BIEN DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE

Seule l'Eglise peut ramener l'homme de ces ténèbres à la lumière ; seule elle peut lui rendre la conscience d'un passé vigoureux, la maîtrise du présent, la sécurité de l'avenir. Mais sa supranationalité n'opère pas à la manière d'un empire, qui étend ses tentacules dans toutes les directions en vue d'une domination mondiale. Comme une mère de famille, elle rassemble chaque jour dans l'intimité tous ses fils épars dans le monde : elle les réunit dans l'unité du principe divin de sa vie. Ne voyons-nous pas tous les jours, sur ses innombrables autels, comment le Christ, Victime divine, les bras étendus d'une extrémité du monde à l'autre, enveloppe et contient en même temps dans son passé, son présent et son avenir la société humaine tout entière ? C'est la sainte messe, ce sacrifice non sanglant, institué par le Rédempteur à la dernière Cène, « destiné à représenter le sacrifice sanglant accompli une fois sur la croix, à en perpétuer la mémoire jusqu'à la fin des siècles et à en appliquer les vertus salutaires pour la rémission de ces péchés que nous commettons chaque jour » 10. Par ces paroles lapidaires du Concile de Trente gravées à perpétuité en une heure des plus graves de son histoire, l'Eglise défend et proclame ses valeurs les meilleures et les plus hautes, qui sont aussi les valeurs les meilleures et les plus hautes pour le bien de la société ; elles unissent indissolublement son passé, son présent et son avenir, et jettent une vive lumière sur les énigmes inquiétantes de notre temps. Dans la sainte messe, les hommes prennent toujours une conscience plus vive de leur passé coupable et, en même temps, des immenses bienfaits de Dieu. Dans le souvenir du Golgotha, le plus grand événement de l'histoire de l'humanité, ils reçoivent la force pour se libérer de la plus profonde misère du présent, la misère

10 Concile de Trente, sess. XXII, cap. 1, ed. Guerres, tom. octavus (Actorum pars quinta), p. 960.

des péchés de chaque jour ; de leur côté, même les plus abandonnés y sentent un souffle de l'amour personnel du Dieu miséricordieux, et leur regard se dirige vers un avenir assuré, vers la consommation des temps dans la victoire du Seigneur qui est là sur l'autel, de ce Juge suprême qui prononcera un jour la sentence dernière et définitive.

Vénérables Frères, dans la sainte messe, l'Eglise donne donc son plus grand appui au fondement de la société humaine. Tous les jours, du levant au couchant du soleil, sans distinction de peuples et de nations, s'offre une oblation pure (cf. Mal. Ml 1,11), à laquelle participent dans une intime fraternité tous les enfants de l'Eglise répandus dans l'univers, et tous y trouvent un refuge dans leurs besoins et la sécurité dans leurs dangers.


AIMONS L'ÉGLISE

Aimons l'Eglise, cette Eglise sainte, aimable et forte, cette Eglise vraiment supranationale. Faisons-la aimer de tous les peuples et de tous les hommes. Soyons nous-mêmes le fondement stable de la société ; qu'elle devienne effectivement 1'« unique nation », una gens, dont parle le grand évêque d'Hippone ; « une seule nation », « parce qu'une seule foi, parce qu'une seule espérance, parce qu'une seule charité, parce qu'une seule attente » 11.

Afin que ceux que la grâce du Seigneur a appelés à son Eglise « de toutes les tribus, de toutes les langues, de tous les peuples et de toutes les nations » (Ap 5,9) aient conscience, dans la gravité de l'heure présente, de leur devoir sacré de faire rayonner par leur foi vivante et active l'esprit et l'amour du Christ dans la société humaine, afin que, de leur côté, tous les peuples et tous les hommes, qu'ils soient près de l'Eglise ou encore éloignés d'elle, reconnaissent qu'elle est le salut de Dieu jusqu'aux extrémités de la terre (cf. Is. Is 49,6), Nous accordons de tout coeur à vous, Vénérables Frères, aux êvêques et aux prêtres qui collaborent avec vous dans l'apostolat, aux fidèles de vos diocèses, à vos familles et à toutes les personnes et les institutions qui vous sont chères, à vos nations, à vos peuples, à l'Eglise tout entière et à toute la famille humaine, avec une particulière affection, Notre paternelle Bénédiction apostolique.

Enarr. in Ps. LXXXV, n. 14 ; Migne, P. L., t. XXXVII, col. 1092.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE REPRÉSENTANTS DES DIVERS MOUVEMENTS DE L'ACTION CATHOLIQUE ESPAGNOLE

(20 février 1946)1

Soyez mille fois les bienvenus, pèlerins espagnols, fils d'un peuple si cher à Notre coeur de Père commun ; ce que vos yeux ont vu à Rome ces jours-ci, votre bouche le proclame : c'est-à-dire la magnificence et la grandeur de cette sainte Eglise, épouse très noble du Roi des nations ; l'ampleur de son coeur dans lequel tout le monde trouve place et l'ardeur de sa charité maternelle en laquelle se fondent toutes les différences, se dissipent tous les conflits, fraternisent toutes les races, tous les continents et toutes les classes sociales.

Votre âme, accoutumée aux grandes démonstrations publiques et sociales d'une foi profondément sentie, était spécialement préparée à comprendre une si haute signification et goûter de si excellentes valeurs. Aussi, votre présence — vous êtes le premier pèlerinage arrivé à Rome depuis les bouleversements passés — est par Nous doublement appréciée et cette imposante manifestation Nous cause une intime satisfaction.

Parmi vous se trouvent les dames distinguées qui représentent le Conseil national des femmes d'Action catholique qui vient de Nous donner une preuve patente de sa filiale dévotion par un don vraiment splendide destiné à Nos oeuvres de charité, don d'une très grande valeur, si l'on tient compte des temps difficiles en lesquels il a été fait.

C'est pourquoi Nous ne pouvons laisser passer cette occasion sans dire à ces dames, en tant qu'organisatrices, et à tous ceux qui y ont contribué généreusement, Notre satisfaction, Notre affection et un merci qui monte du plus profond de Notre âme.

Que Dieu vous accompagne tous pendant votre retour, qu'il exauce vos prières en ce centre de la chrétienté, pour que l'Espagne catholique, au milieu de l'obscurité d'un moment si difficile de l'histoire comme celui que nous traversons, puisse contribuer à la solution des problèmes angoissants de l'heure présente, principalement par un esprit sincèrement chrétien, esprit qui cherche la justice mais qui sache faire passer avant elle la charité ; esprit qui doit conduire à l'accord universel du monde, pour réaliser enfin, dans la tranquillité, dans l'ordre et dans le respect des droits de tous, cette paix après laquelle les nations soupirent depuis si longtemps.

Que par l'intercession de la Très Sainte Vierge dei Pilar, de l'apôtre Jacques et de tous vos grands saints, descendent sur le très aimé sol ibérique les bénédictions du ciel, sur vous tous et sur vos familles, sur vos pensées et sur vos intentions ; bénédictions dont sera le gage la Nôtre que Nous vous donnons de tout coeur.

La réponse aux voeux du corps diplomatique exprimés par son doyen, S. Exc. M. Antonio Paria Carneiro Pacheco, ambassadeur du Portugal, a fourni l'occasion de souligner l'universalité du Sacré Collège, la supranationalité de l'Eglise, l'impartialité du pape, ainsi que sa volonté de condamner toute injustice.

L'élévation des pensées, la noblesse des sentiments que l'illustre corps diplomatique vient de Nous exprimer par l'organe de Votre Excellence, son éloquent et délicat interprète, est bien à la hauteur de cette circonstance exceptionnellement solennelle.

L'hommage que vous avez voulu venir Nous rendre aujourd'hui Nous émeut plus profondément que Nous ne saurions dire. Et pourtant, à la grande consolation de Notre coeur, au grand réconfort de Notre âme, par-dessus l'hommage, Nous voyons, dans cette démarche commune, la manifestation d'une adhésion spontanée aux grands principes de paix et d'union que, depuis Notre avènement, Nous avons sans cesse rappelés au monde ; Nous y voyons surtout le témoignage le plus convaincant d'une volonté unanime de collaborer dans cet esprit à la grande restauration de la société humaine, à l'établissement d'un ordre nouveau fondé sur la vérité, la justice et l'amour.

Heureuse harmonie entre le Sacré Collège et le corps diplomatique.

N'est-ce pas cela, en effet, que signifie cette assemblée incomparable des représentants d'un si grand nombre de nations, réunis autour de Nous, si autorisés par leur mission officielle, en même temps que

(25 février 1946) 1

si éminents par leurs qualités et leurs mérites personnels, en présence de ce Sacré Collège qui, lui aussi, est composé de membres appartenant à tant de nations différentes répandues sur toute la surface du globe ?

Cette double universalité du Sacré Collège et du corps diplomatique donne une image visible de la vraie supranationalité de l'Eglise qui, loin de porter ombrage aux nationalités particulières et de prétendre les fondre toutes ensemble dans une grise uniformité, les favorise, au contraire, et met en valeur, grâce à une heureuse harmonisation, les caractères et les ressources de chacune dans le respect de leur autonomie et de leur originalité.

Heureuse harmonisation, disons-Nous, et la comparaison Nous semble appropriée. Il est une sorte d'harmonie, où les parties d'accompagnement, dans leurs accords verticaux, ne font que docilement souligner une mélodie et humblement servir le chant d'un ou de quelques solistes. Il en est une autre : elle résulte uniquement du concours de toutes les voix qui, dans la diversité de timbre, de mouvement, d'élan, avec même des nuances dans l'expression de la pensée et du sentiment, chantent, chacune à sa manière, ce que leur dicte à toutes l'inspiration commune. Celle-ci est la grande polyphonie classique. Telle est l'harmonie qui devrait résulter de l'accord de toutes les nations, grandes et petites, fortes et faibles, différentes de physionomie ou d'intérêts particuliers, mais toutes également admises à se faire entendre parce que toutes fondées sur la même base, la dignité personnelle de l'homme complet, parce que toutes enflammées d'un même désir de paix.

Il a pu sembler, tandis que se déroulait le drame, que le concert fût partout muet. Il ne l'était point, et, si le tumulte assourdissant des armes en étouffait la résonance, Nous n'avons pourtant point cessé, ici, de l'entendre. Comment oublier ces messes des nuits de Noël, comment oublier ces imposantes et graves cérémonies de supplications dans Notre basilique de Saint-Pierre où, côte à côte, les diplomates des nations les plus diverses, les plus distantes, même des nations en conflit, Nous entouraient ? De tels spectacles n'étaient possibles qu'ici, dans l'atmosphère créée par la haute idée de la supranationalité de l'Eglise. Bien plus, durant toute cette guerre, la plus effroyable qui se soit jamais déchaînée sur l'humanité, au sein de ce monde secoué par l'ouragan qui faisait rage, au centre même de ce pays entraîné tragiquement dans le tourbillon affolant, cette Cité du Vatican, cet Etat minuscule de quelques arpents et sans défense, cernée de tous côtés par les rafales de feu, restait terri-

torialement et juridiquement, mais surtout spirituellement et moralement, comme une oasis de paix dont le vent brûlant n'osait franchir les abords. Nous en rendons au Seigneur d'humbles actions de grâces, mais sachant aussi de quel appoint furent pour Notre effort d'absolue impartialité et pour Notre zèle au service de la paix la compréhension et le doigté des diplomates accrédités près de Nous, Nous sommes heureux de leur en dire Notre merci.

Votre illustre corps a su montrer, même en des conjonctures si extraordinairement épineuses, quel est le rôle de la diplomatie dans sa conception la plus haute et comment, encore au-dessus des remarquables services qu'elle rend par la solution amicale de tant de questions particulières et de problèmes délicats, elle constitue une permanente rencontre de la grande famille des nations.

Attitude du pape durant la guerre.

Avec une exquise finesse de sentiment, votre interprète vient de rappeler Nos efforts pour soulager les innombrables et indicibles souffrances, misères et détresses dérivées de la guerre ; une fois de plus, Nous tenons à manifester Notre profonde reconnaissance envers les nations qui Nous ont prêté leur généreux concours en ces oeuvres de chrétienne charité. Il parlait aussi des messages et autres démarches multipliés par Nous en vue de défendre et promouvoir « les grands principes élémentaires de l'ordre moral, les droits de la vérité et de la justice », et il Nous assurait en même temps que, si « Notre voix n'a pas été toujours écoutée, jamais elle ne fut sans un écho profond dans les consciences ». Nous le croyons volontiers et chaque jour Nous en arrivent, des sources les plus variées comme les plus lointaines, de réconfortants témoignages.

En aucune occasion Nous n'avons voulu dire un seul mot qui fût injuste ni manquer à Notre devoir de réprouver toute iniquité, tout acte digne de réprobation, en évitant néanmoins, alors même que les faits l'eussent justifiée, telle ou telle expression qui fût de nature à faire plus de mal que de bien, surtout aux populations innocentes courbées sous la férule de l'oppresseur. Nous avons eu la préoccupation constante d'enrayer un conflit si funeste à la pauvre humanité. C'est pour cela, en particulier, que Nous Nous sommes gardé, malgré certaines pressions tendancieuses, de laisser échapper de Nos lèvres ou de Notre plume une seule parole, un seul indice d'approbation ou d'encouragement en faveur de la guerre entreprise contre la Russie en 1941. Assurément, nul ne saurait compter sur

. Notre silence dès lors que sont en jeu la foi ou les fondements de la civilisation chrétienne. Mais, d'autre part, il n'est aucun peuple à qui Nous ne souhaitions avec toute la sincérité de Notre âme de vivre dans la dignité, dans la paix, dans la prospérité à l'intérieur de ses frontières. Ce que Nous avons eu toujours en vue dans toutes les manifestations de Notre pensée et de Notre volonté, c'était de reconduire les peuples du culte de la force au respect du droit et de promouvoir entre tous la paix, paix juste et solide, paix apte à garantir à tous une vie au moins tolérable.

La contribution des diplomates à la paix.

Une telle paix ne sera pas l'oeuvre d'un jour ; elle coûtera beaucoup de temps, beaucoup de peines. Si l'on Nous demande en quoi les représentations diplomatiques peuvent, indépendamment de leurs fonctions officielles, la favoriser, il Nous semble pouvoir signaler à leur bonne volonté une double sphère d'activité.

La première est d'ordre pratique ; elle vise à des réalisations immédiates. Les diplomates ont désormais, la guerre finie, maintes occasions de faciliter dans la mesure du possible les communications et les relations de pays à pays. Or, à présent que des millions d'hommes, honnêtes et laborieux, épient avec une impatience anxieuse le moment de retourner à leurs patries, à leurs familles, dont ils sont séparés, peut-être depuis de longues années, que d'autres sont tristement en quête d'une nouvelle patrie pour y vivre une nouvelle vie parmi de nouvelles occupations, quelle oeuvre de charité et de paix on accomplit en leur venant en aide !

Dans l'autre sphère, le fruit du travail est à bien plus longue échéance. Souvent, le monde diplomatique se trouve en contact avec le monde de la propagande. Mais cette propagande doit se faire une loi sainte et sacrée de la vérité et de l'objectivité. Quelle contribution apporte-t-on à l'oeuvre de la pacification universelle, en coopérant, comme savent et peuvent le faire d'habiles et généreux diplomates, à un si digne objet !

De leur côté, Nos vénérables Frères du Sacré Collège, presque tous pasteurs des âmes dans leurs nations respectives, y porteront, avec l'éclat de la pourpre romaine, la grande lumière de l'Eglise, une dans son universalité, universelle dans son indivisible unité ; ils y porteront, avec la sollicitude de leur dévouement, le coeur maternel de l'Eglise et sa tendresse pour tous les hommes ; ils y porteront le zèle de l'Eglise à promouvoir la vitalité, la santé, la paix de la société humaine et de chaque patrie sur les bases et selon l'ordre établi par le Créateur, Souverain tout-puissant et Père tout aimant.

C'est lui que, du plus profond de Notre âme, Nous invoquons pour que, vous comblant de ses bénédictions et de ses faveurs, et fécondant de sa grâce votre noble mission, il donne, par son accomplissement, à chacune de vos patries et à la grande famille des peuples et des nations, l'unité, la prospérité, la grande et divine paix.


ALLOCUTION A UNE DÉLÉGATION DE FIDÈLES DE RITE ARMÉNIEN

(13 mars 1946) 1

La joie la plus vive inonde Notre âme, chers fils, en vous souhaitant la bienvenue dans Notre demeure. Quelle émotion s'éveille en Nous devant le spectacle que vous Nous offrez en cette mémorable circonstance ! Le premier cardinal choisi parmi les fils de votre peuple et accompagné de ses Vénérables Frères dans l'épis-copat ; ce même peuple représenté par des religieux, des religieuses, des clercs, des prêtres, parmi lesquels Nous sommes heureux de noter la présence des chers et bien méritants moines Méchitaristes ; représenté aussi par des laïcs, par des compatriotes venus de presque tous les pays où le peuple arménien a trouvé aujourd'hui un asile ; tous enfin assemblés autour de Nous pour Nous présenter l'hommage de votre vénération et de votre affection.

En créant cardinal l'éminent patriarche de Cilicie des Arméniens, Nous avons certainement eu l'intention de récompenser les mérites insignes du très digne et fidèle prélat. Mais en l'appelant à faire partie du Sénat de l'Eglise romaine, et en le désignant pour célébrer hier, dans toute la splendeur de son magnifique rite, la messe pontificale dans la chapelle Sixtine, Nous avons voulu en même temps signifier et, pour ainsi dire, couronner par une solennelle manifestation les preuves de sollicitude et d'amour que, depuis les temps les plus reculés du christianisme, la Chaire de Pierre n'a jamais cessé, dans le cours des siècles, de donner à l'Arménie et à son peuple. Nous pouvons bien dire que cette très noble nation, dans les adversités et les tribulations, a toujours eu dans le Pontife romain son défenseur et son avocat.


FIDÈLES DE RITE ARMÉNIEN

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Les adversités et les tribulations n'ont pas manqué dans votre histoire. Si cette histoire est riche de grandes actions et de faits glorieux durant la paix comme en temps de guerre, dans le domaine de la culture profane comme au service de la foi, elle offre une moisson non moins abondante de tragiques événements. Toutefois un trait caractéristique la marque ; ce trait est dans votre histoire comme le fil dont le va-et-vient le long de la trame en forme le tissu : Nous voulons dire le courage dans la profession et la défense de la foi chrétienne. C'est pourquoi c'est pour Nous un motif de joie profonde en cette occasion de Nous en féliciter avec vous. Dans Notre joyeuse satisfaction pour votre fidélité passée, Nous vous adressons en ces temps de si profondes perturbations spirituelles une chaude recommandation pour le présent et pour l'avenir : Soyez fermes dans votre foi, dans votre foi pleine, intègre, inaltérable, à toutes les vérités révélées que l'Eglise enseigne, à tous les mystères de la grâce dont elle est la dispensatrice, sans vous laisser jamais séduire et entraîner par des courants qui finalement n'aboutissent qu'à un rationalisme superficiel, à une morale purement humaine et terrestre, ou trop souvent même à l'athéisme.

Dans la sainte liturgie que Nous avons célébrée hier avec vous, le diacre prononce cette belle prière : « Que la sainte Mère de Dieu et tous les saints soient les intercesseurs auprès du Père qui est dans les cieux, pour qu'il daigne user de miséricorde envers nous et que dans sa pitié il sauve ses créatures... Seigneur Dieu Tout-Puissant, sauvez-nous et ayez pitié de nous ! » Et le choeur répond : « O Christ, par l'intercession de tes célestes Dominations, conserve pour toujours et rends inébranlable la foi de l'Arménie ». Voilà le voeu de Notre coeur pour vous. Et afin que Notre désir soit satisfait, et que la paix, l'amour et la grâce du Rédempteur vous soient donnés en abondance, Nous vous accordons à vous tous ici présents et au cher peuple arménien tout entier, avec toute l'effusion de Notre coeur, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE DIPLOMATES AMÉRICAINS

(13 mars 1946) 1

A M. Ugo Carusi, du ministère de la Justice, commissaire pour l'immigration, et à M. Howard R. Travers, du ministère de l'Intérieur des Etats-Unis, venus lui présenter leurs hommages, le Saint-Père a adressé les paroles suivantes :

La question de l'immigration, que votre très estimé président a confiée à votre étude concrète en ce moment critique de l'histoire du monde, est de celles dans lesquelles vos compatriotes ont acquis une large expérience et une grande compétence. Pendant des siècles, les rivages de l'Amérique ont offert un havre généreux et hospitalier aux peuples d'autres pays, opprimés par la tyrannie ou forcés par la pauvreté ou la persécution religieuse à chercher le salut dans l'expatriation. Votre pays n'y a rien perdu.

Tout étudiant, même occasionnel, de l'histoire américaine connaît la contribution importante apportée par les immigrants étrangers à la défense et à la croissance de votre pays. Il sait comment ceux qui sont venus d'outre-mer ont aidé visiblement à bâtir le Nouveau-Monde sur le plan intellectuel, social et religieux.

Aussi, n'est-il pas surprenant que les circonstances changeantes aient conduit à une certaine restriction à l'égard de l'immigration étrangère. Dans cette matière, en effet, ce ne sont pas les seuls intérêts des immigrants, mais aussi la prospérité du pays qui doivent être consultés. Cependant, Nous sommes assuré que ce n'est pas trop attendre que dans ces décisions de restriction la charité chrétienne et le sens de la solidarité humaine qui existe entre tous les hommes, enfants d'un seul Dieu et Père éternel, ne seront pas méconnus.


DIPLOMATES AMÉRICAINS

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L'immigration peut aider à résoudre un des problèmes les plus tristes de l'Europe, un problème qui va s'aggravant de façon inhumaine par le transfert de populations abandonnées et innocentes.

Comme témoignage du plaisir que Nous avons eu à vous saluer ici ce matin et de l'intérêt très profond que Nous portons à vos travaux, Nous demandons les bénédictions les plus choisies de Dieu pour vous et pour tous les êtres chers que vous avez laissés à la maison.


EXHORTATION PASTORALE AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(16 mars 1946)1

Le discours traditionnel du Saint-Père aux curés de Rome et aux prédicateurs de carême leur recommande le souci des oeuvres de charité qu'appellent les conséquences désastreuses de la guerre, l'apport que représente leur ministère à la reconstruction de la société, les exigences de la prédication de la foi et les droits et devoirs des prêtres sur le plan politique.

I Paternel salut

Il Nous est toujours extrêmement agréable de vous voir réunis ici autour de Nous, chers fils, en ce retour et à l'occasion du temps et de la prédication de carême. Notre première pensée va à Notre Vénérable Frère, M. le cardinal vicaire, qui exerce ses hautes fonctions avec une volonté ferme et un zèle éclairé. Nous lui associons volontiers les fidèles collaborateurs dans le gouvernement de Notre très aimé diocèse de Rome. Mais ces paroles de paternel salut s'adressent aussi à vous, orateurs sacrés, ainsi qu'à vous, curés de la ville, qui devez supporter — pour beaucoup dans une large mesure — le pondus diei et aestus, « le poids du jour avec sa chaleur » (Mt 20,12), les privations et les pénibles renoncements de ces âpres et dures années. Le Seigneur, qui voit vos oeuvres, votre fatigue et votre patience (cf. Ap 2,2), vous en récompensera.

Contrastes de misères et d'angoisses, de réconforts et d'espérances.

Années pénibles, années déconcertantes par suite des vicissitudes des événements les plus extraordinaires et les plus disparates, de l'alternance et de la confusion du bien et du mal, années passées dans les misères et les angoisses, mais en même temps, grâce à la protection suprême de la divine Providence, comblées des témoignages de son infinie miséricorde. Années difficiles et pleines de contrastes, même pour le zélé pasteur auquel le ministère des âmes a imposé de singulières exigences et a été la cause d'amères désillusions, mais qui lui a procuré par ailleurs des réconforts surnaturels et donné des preuves de la fécondité de son oeuvre.

Témoins bien souvent impuissants de la marée montante des moeurs corrompues, vous avez poussé vers Dieu le cri angoissant du psalmiste : « J'enfonce dans la bourbe du gouffre, et rien qui tienne. Je m'épuise à crier, ma gorge brûle » (Ps 68,3-4). Et en présence de la déchéance des âmes qui vous étaient confiées, peut-être même parmi celles qui vous sont les plus chères, vous vous êtes écriés et vous avez gémi : « Pour nourriture, ils m'ont donné du poison, dans ma soif, ils m'abreuvaient de vinaigre » (ibid., 22). Vous avez pu observer comment le fléau de la guerre, partout où il a sévi, a apporté avec lui les mêmes ou, tout au moins, de semblables effets. Quelque douloureux que soit ce spectacle, vos coeurs se sont ouverts à l'espoir que le soleil de la paix, se levant à l'horizon, fera baisser graduellement ces grandes eaux. Et, de fait, voici qu'apparaissent çà et là les symptômes de résipiscence, signes de notable amélioration.

Devoirs urgents.

Cependant, les conséquences de la guerre vous mettent sans cesse en face de nombreux et graves devoirs. Nous pensons surtout à la protection de l'enfance abandonnée, à la guérison des profondes blessures faites spécialement à la sainteté du mariage et à la fidélité conjugale et, à ce propos, Nous répétons ici ce que, il y a un an, Nous rappelions concernant la question du divorce, à savoir que le mariage entre baptisés, contracté validement et consommé, ne peut être dissous par aucun pouvoir sur terre, pas même par la suprême autorité ecclésiastique. A ces devoirs urgents s'ajoute le devoir non moins grave de raviver le sentiment du droit et de la justice dans toute la vie sociale et de promouvoir toujours davantage les oeuvres de charité chrétienne.

Les oeuvres de charité.

Nous-même Nous voulons poursuivre, aussi longtemps qu'il Nous en sera donné la possibilité, Notre action charitable envers les malheureux que la guerre a jetés dans l'indigence à Rome et hors de Rome. Nous Nous plaisons à reconnaître votre efficace coopération à Rome, et Nous vous en remercions, certain que vous la continuerez avec la même constance et le même zèle. L'organisation de l'aide en faveur des victimes de la guerre, même hors de Rome, doit son origine et son développement à l'inlassable activité des diverses oeuvres voulues par Nous, parmi lesquelles mérite d'être signalée la Commission pontificale d'assistance. Grande a été la tâche accomplie en deçà et au-delà des frontières de l'Italie : rapatriement des réfugiés, création de nombreux réfectoires pontificaux, distribution de millions et de millions de soupes, assistance aux prisonniers, aux rapatriés, aux sinistrés de la guerre. Cette activité charitable, soutenue par la bienveillance et le concours de tant d'illustres pasteurs, est en progrès constants. Nous la mentionnons afin de rendre d'humbles et profondes actions de grâce au Seigneur, donateur de tout bien, et d'exprimer aussi en la circonstance présente Notre reconnaissance envers tous ceux qui, en Europe et dans le monde entier, ont par amour pour Dieu, rivalisé de zèle dans l'aide généreuse qu'ils Nous ont prêtée. Dans cette noble émulation, l'épiscopat et les catholiques d'Amérique occupent le premier rang. Le mouvement de Nos magasins qui, grâce à eux tous, se remplissaient sans cesse à mesure qu'ils se vidaient pour le soulagement des pauvres, est, pour employer l'expression de l'apôtre saint Paul, la preuve visible de leur amour et la justification de Notre éloge (cf. 2Co 8,24).

Valeur et dignité du ministère direct des âmes.

A mesure que se déroulait la série des événements de ces dernières années, déjà avant la fin de la guerre, mais plus encore après, surtout au cours des mois passés, Notre attention et Notre activité ont été extraordinairement absorbées par le souci de répondre aux besoins et aux demandes instantes d'une si grande partie de la chrétienté. D'innombrables âmes, remplies d'espoir et de confiance, tournent leurs regards et leurs coeurs du côté de l'Eglise. Et c'est ce spectacle même, toujours présent à Notre esprit, qui Nous pousse à considérer particulièrement le ministère direct, immédiat des âmes dans la vie paroissiale, dans l'action quotidienne du prêtre à l'autel, en chaire, au confessionnal, dans l'enseignement, parmi la jeunesse, au chevet des malades, dans les conversations personnelles. Ce travail assidu a été et est partout et en tout temps la base fondamentale et comme l'armature solide qui assure la vitalité continue de l'Eglise.

Par ce travail, l'Eglise apporte réellement à la restauration de la société humaine la précieuse contribution dont Nous parlions dans un de Nos récents discours2. Il consiste, en effet, à former l'homme lui-même, l'homme complet, image et enfant de Dieu, l'homme préparé et prêt à observer fidèlement dans l'ordre naturel et surnaturel la consigne reçue de Dieu, son Créateur et son Père. Mais un tel homme, comment l'Eglise le forme-t-elle et le prépare-t-elle, sinon avant tout par le ministère quotidien des âmes ? Cette éducation spirituelle vise évidemment tout d'abord la vie surnaturelle et éternelle, mais en même temps elle assure à la société humaine la dignité et l'ordre, le bonheur et la paix. De cette façon, grâce à l'obscur et incessant labeur accompli dans le monde entier par les prêtres dans chaque âme en particulier, se prépare et se dessine la difficile et grande oeuvre de l'Eglise pour le plus grand bien de l'humanité.

En vous parlant ainsi, chers fils, Nous entendons donner à votre travail la louange qu'il mérite. Mais Nous avons bien plus à coeur de vous encourager et de vous stimuler à l'estimer vous-mêmes à un degré toujours plus élevé, afin de l'accomplir avec une perfection toujours croissante, jusqu'à la plus simple confession que vous entendez et au plus élémentaire catéchisme que vous enseignez aux enfants.

Sollicitude à l'égard de ceux qui vivent loin de l'Eglise.

Soucieux des conditions présentes de la vie chrétienne à Rome, Nous vous exhortons encore une fois à ne pas limiter votre zèle de pasteurs des âmes à ceux qui participent déjà eux-mêmes à la vie de l'Eglise, mais à aller, avec une ardeur non moins grande, à la recherche des égarés qui vivent loin d'elle. Ils sont, vous le savez, exposés à un grave danger, mais ils ne sont pas cependant irrémédiablement perdus. Beaucoup, peut-être la plupart, peuvent encore être gagnés et ramenés sur le droit chemin. Le tout est de prendre contact avec eux. Ce qu'ils attendent du prêtre, c'est le désintéressement, le sens de la justice. Ni l'un ni l'autre ne vous font défaut,

2 Allocution du 20 février 1946 aux nouveaux cardinaux. Cf. ci-dessus, p. 69.

chers fils, à vous qui les puisez chaque matin dans le Coeur même du Rédempteur. Du rapprochement avec ceux qui se sont écartés de l'Eglise, de la vie en commun avec ceux qui peinent et qui souffrent, faites donc le but dominant de vos pensées, le secret et comme l'âme de votre activité sacerdotale et apostolique.


Pie XII 1946 - INFLUENCE DE L'ÉGLISE SUR LE FONDEMENT DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE EN CE QUI CONCERNE...