Pie XII 1946 - EXHORTATION PASTORALE AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME


II

La prédication de la foi

Le thème assigné à la prédication de carême est, cette année, la première partie du Symbole des apôtres. Nous avons déjà parlé du Credo, au cours des années passées. Aujourd'hui, Nous voudrions d'ire quelques mots sur la prédication elle-même de la foi.

Qu'elle représente une véritable nécessité, Nous n'avons pas besoin de le démontrer. Vous savez bien vous-mêmes combien profonde est l'ignorance religieuse, combien multiples et souvent grossières sont les erreurs et les équivoques concernant les vérités les plus élémentaires de la foi, et cela non seulement parmi le simple peuple, mais encore parmi ceux qui se targuent d'être des « intellectuels ». Ces derniers se montrent exigeants, même en ce qui regarde la forme : il faut donc que l'enseignement religieux, parlé ou écrit, soit présenté dans un style vif et clair ; autrement que servirait de dire ou d'écrire les meilleures choses, si l'on ne réussit pas à se faire lire ou écouter ?

La véritable éloquence.

Les bonnes lectures religieuses sont en nombre croissant. Sans doute, il n'est pas à la portée de tous d'exercer une louable activité littéraire qui requiert des capacités et des aptitudes spéciales, mais de tout prêtre, de tout pasteur des âmes, de chacun de vous, on attend une parole soignée et digne. Et chacun de vous peut réellement la donner. En effet, il n'est pas tant question d'art, de faconde, d'habileté oratoire que d'intime conviction personnelle. Quand saint Paul se refusait à prêcher avec artifice et recherche, ce qu'il repoussait, c'était précisément les ornements superflus, les subtilités vaines, les boursouflures, les phrases à effet, tout le fatras qui jure avec la dignité et la majesté de la chaire. Mais la force de l'Esprit qui était en lui, qui donnait à sa parole puissance et efficacité (cf. 1Co 2,1-4), mettait en valeur tous les dons de sa riche nature.

Paul, poussé par l'Esprit, restait cependant toujours lui-même. D'une telle union de l'Esprit et de la nature naissait son incomparable, son inimitable éloquence. Dans une mesure modeste, même la plus modeste qui se puisse concevoir, tout prédicateur participe à cette éloquence pourvu qu'assisté du Saint-Esprit, il reste constamment lui-même, et pourvu que, grâce à l'usage qu'il fait des dons de sa nature, la parole jaillisse de ses lèvres avec une chaleur, un coloris, un son propre qui donnent à la vérité, identique en tous, une forme personnelle et spontanée.

Le saint curé d'Ars n'avait certes pas le génie naturel d'un Segneri ou d'un Bossuet, mais la conviction vive, claire, profonde, dont il était animé, vibrait dans sa parole, brillait dans ses yeux, suggérait à son imagination et à sa sensibilité des idées, des images, des comparaisons justes, appropriées, délicieuses, qui auraient ravi un saint François de Sales. De tels prédicateurs conquièrent vraiment leur auditoire. Celui qui est rempli du Christ ne trouvera pas difficile de gagner les autres au Christ.

Nous vous souhaitons que la noble ambition de conquérir les hommes pour les donner au Christ ne soit pas pour vous l'origine d'une illusion aussi facile que funeste. Grande serait, en effet, l'erreur du pasteur d'âmes qui consacrerait toute son attention et tous ses efforts aux grands discours pour des circonstances solennelles, plutôt qu'à ses prédications dominicales et à ses catéchismes hebdomadaires ; qui se contenterait de confier à ses vicaires, cette partie, la plus humble, mais pas toujours la plus facile, de son ministère. Prenez comme exemple ces pays où le catéchisme à l'église et à l'école est considéré comme l'une des plus honorables fonctions du prêtre, où le curé se réserve à lui-même, après une sérieuse préparation, le privilège d'enseigner en personne, le dimanche, la religion aux jeunes gens et aux personnes âgées, dans l'église pleine de monde.

Objet de la prédication de la foi.

L'objet de la prédication de la foi est la doctrine catholique, c'est-à-dire la Révélation, avec toutes les vérités qu'elle contient, avec tous les fondements et les notions qu'elle suppose, avec toutes les conséquences qu'elle comporte pour la conduite morale de l'homme en face de lui-même, dans la vie domestique et sociale, dans la vie publique, même politique. Religion et morale, dans leur union étroite, constituent un tout indivisible, et l'ordre moral, les commandements de Dieu valent également pour tous les domaines de l'activité humaine, sans exception aucune. Aussi loin s'étendent ces domaines, aussi loin s'étend aussi la mission de l'Eglise et, en conséquence, également la parole du prêtre, son enseignement, ses avertissements, ses conseils aux fidèles confiés à son ministère. L'Eglise catholique ne se laissera jamais enfermer entre les quatre murs du temple. La séparation entre la religion et la vie, entre l'Eglise et le monde, est contraire à la doctrine chrétienne et catholique.

Droits et devoirs du prêtre dans les questions concernant la vie publique.

Terminons par quelques propositions plus précises et plus concrètes :

1° C'est un droit et en même temps un devoir essentiel de l'Eglise d'instruire, par la parole et par les écrits, du haut de la chaire et par toutes les autres formes habituelles, les fidèles sur tout ce qui a trait à la foi et aux moeurs, ou sur tout ce qui est inconciliable avec sa propre doctrine et, par conséquent, inadmissible pour les catholiques, qu'il s'agisse, soit de systèmes philosophiques ou religieux, soit des buts que se proposent leurs partisans, soit de leurs conceptions morales relatives à la vie aussi bien des individus que de la communauté ;

2° L'exercice du droit de vote est un acte de grave responsabilité morale, au moins quand il s'agit d'élire ceux qui sont appelés à donner au pays sa Constitution et ses lois, celles, en particulier, qui touchent par exemple, à la sanctification des fêtes, au mariage, à la famille, à l'école, au règlement selon la justice et l'équité des multiples conditions sociales. Il appartient donc à l'Eglise d'expliquer aux fidèles les devoirs moraux qui découlent de ce droit électoral ;

3° L'article 43 du concordat de 1929 interdit aux ecclésiastiques en Italie de s'inscrire et de militer dans n'importe quel parti politique. L'Eglise entend faire respecter fidèlement cette disposition, prête même à réprimer et à punir des infractions éventuelles à cette obligation de la part de tout ecclésiastique, et elle ne songe aucunement, de son côté, à s'ingérer dans des questions purement politiques, dans lesquelles elle laisse aux catholiques, comme tels, pleine liberté d'opinion et d'action. Mais, par ailleurs, elle ne peut renoncer au droit susdit ni ne pourrait admettre que l'Etat juge unilatéralement le prêtre dans l'exercice de son ministère en lui infligeant même des sanctions pénales ni qu'en aucun cas il le défère au tribunal, sans entente avec l'autorité ecclésiastique, ainsi que le prescrit l'article 8 du même concordat ;

4° Le prêtre catholique ne peut être simplement assimilé aux fonctionnaires ou aux personnes investies d'un pouvoir public ou d'une fonction civile ou militaire3. Ceux-ci sont des employés ou représentants de l'Etat dont, sous réserve de la loi divine, ils dépendent et dont ils procurent les intérêts légitimes ; en conséquence l'Etat peut édicter des dispositions concernant leur conduite, même dans les questions de la politique. Le prêtre, par contre, est ministre de l'Eglise, et il a une mission qui, ainsi que Nous l'avons déjà signalé, s'étend à toute la sphère des devoirs religieux et moraux des fidèles, et dans l'accomplissement de laquelle il peut donc lui-même être obligé de donner, sous ce rapport, des conseils et des instructions concernant également la vie publique. Or, il est évident que les abus éventuels d'une telle mission ne peuvent être, en soi, laissés au jugement des pouvoirs civils, au risque d'exposer en outre les pasteurs des âmes à des difficultés et à des vexations provoquées par des groupements malveillants à l'égard de l'Eglise, sous le facile prétexte de vouloir éloigner le clergé de la politique. Qu'on n'oublie pas que, précisément, sous prétexte de vouloir combattre le soi-disant « catholicisme politique », le national-socialisme qui, en réalité, ne visait qu'à détruire l'Eglise, a suscité contre elle tout cet appareil de persécutions, de vexations, d'espionnage policier, contre lequel eurent à se défendre et à lutter courageusement, même en chaire, des hommes d'Eglise dont l'héroïsme est admiré aujourd'hui du monde entier.

«Dans l'Eglise, disions-Nous Nous-même le 11 juillet 1937, dans le discours pour l'inauguration du nouveau sanctuaire de sainte Thérèse de Lisieux, Dieu dicte aux fidèles de la nouvelle alliance les préceptes de sa sainte loi. Du haut de la chaire, qui s'élève dans les plus majestueuses cathédrales comme dans la plus humble église de village, la loi de Dieu est prêchée sans interruption ni faiblesse. De la chaire richement sculptée aussi bien que des pauvres pupitres vermoulus, la même doctrine et la même loi résonnent à travers les siècles, comme à travers les monts et les océans. En même temps que la vérité, la justice s'y manifeste avec l'impérieuse loi du triple devoir envers Dieu, envers le prochain, envers nous-mêmes, avec la claire et sereine condamnation de toutes les violences iniques et de toutes les vilenies criminelles. Du haut de toutes les chaires d'une puissante nation que de mauvais gouvernants voudraient entraîner dans l'ido

3 Le pape fait allusion à l'article 66 de la loi électorale qui assimilait les ministres du culte-aux fonctionnaires dans le cas d'abus dans l'exercice de leurs fonctions.

latrie de la race, poursuivions-Nous en faisant ouvertement allusion à l'Allemagne nationale-socialiste d'alors, la protestation indignée d'un pontife octogénaire est descendue soudain comme la voix du Sinaï, pour rappeler les droits imprescriptibles du Dieu personnel, du Verbe incarné et du Magistère sacré dont lui, le Souverain Pontife, a reçu le dépôt. Oui, Dieu parle par la bouche de ses ministres et de ses représentants. » 4

Quant à vous, chers fils, quel meilleur souhait pourrions-Nous vous adresser en terminant, que celui que s'adressait à lui-même l'Apôtre des gentils, quand il se recommandait aux prières des fidèles d'Ephèse : Qu'il vous soit accordé de parler hardiment et d'annoncer avec assurance le mystère de l'Evangile ; puissiez-vous parler avec joie et liberté, comme il convient aux ambassadeurs du Christ ! (cf. Eph. Ep 6,19-20). Et afin que la charité du divin Maître remplisse vos coeurs pour le plus grand bien naturel et surnaturel de Nos chers diocésains, Nous vous donnons, à vous et à eux, avec toute l'effusion de Notre coeur paternel, la Bénédiction apostolique.

* Cf. Osservatore Romano, 12-13 juillet 1937, n° 160 (23 440), p. 3.


LETTRE AU PRIEUR GÉNÉRAL DES MOINES ERMITES CAMALDULES

(21 mars 1946) 1

A l'occasion du centenaire de la mort du pape Grégoire XVI, le Saint-Père a bien voulu adresser la lettre suivante au R. P. Buffadini, prieur général des moines ermites camaldules :

Comme vous et vos confrères vous vous apprêtez à célébrer solennellement, ce qui est juste et opportun, la mémoire du Souverain Pontife Grégoire XVI, dont le centième anniversaire approche, vous Nous avez demandé d'en augmenter l'allégresse en participant par Nos prières salutaires à ces réunions de fête. Ce que Nous faisons bien volontiers pour une double raison.

C'est le devoir de toute âme aux sentiments larges et nobles de rappeler à la mémoire les actes de Nos prédécesseurs qui ont bien mérité de la chose publique chrétienne, et cela présente un avantage qui n'est pas de petite utilité : il en résulte ainsi une union plus étroite avec ceux qui servant la cause du Christ nous furent utiles par leurs vertus et nous laissèrent de précieux exemples à notre imitation.

Mais une raison particulière Nous engage à participer en esprit aux fêtes commémoratives que vous célébrez en l'honneur de Grégoire XVI. Nous estimons en effet toujours hautement l'oeuvre que ce pontife a assumée au milieu de grandes difficultés pour favoriser le bien de l'Eglise et le soutien de l'humanité chrétienne. Parmi bien d'autres faits qui mériteraient d'être évoqués, rappelons que c'est lui qui, avec un zèle couronné de succès, lança ces saintes expéditions auxquelles déjà auparavant comme cardinal préfet de la Propagande il avait voué un soin assidu, lui qui créa ou restaura des musées d'intérêt particulier, lui qui mit à exécution à grands frais de vastes projets d'oeuvres d'intérêts public et, ce qui est le principal, inspiré par une sagesse prophétique, lui qui prédit l'extension de l'Eglise en Angleterre et dans les Etats-Unis de l'Amérique du Nord.

C'est pourquoi c'est avec les voeux les plus vifs que Nous souhaitons que les éloges dus à un homme si eminent soient renouvelés et que son nom si digne d'être honoré resplendisse par cette solennité qui à juste titre se célébrera dans le couvent des saints André et Grégoire ad Clivum Scauri où, comme religieux, ce pontife a passé sa vie dans le recueillement.

Sur ces souhaits, cher fils, à vous, à vos confrères et à tous ceux qui, mus par un zèle pieux, rappelleront à la mémoire les nobles actions de ce Souverain Pontife, en témoignage de Notre charité et en garantie des faveurs divines, Nous accordons la Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE AU MONDE ENTIER EN FAVEUR DES INDIGENTS

(4 avril 1946) 1

Devant le fléau de la famine qui menace 500 millions d'hommes, le pape a adressé un appel aux pays plus favorisés et plus spécialement à l'Amérique latine demandant de ravitailler l'Europe, rappelé la générosité des Etats-Unis et souligné les devoirs d'économie de chacun.

Le coeur serré d'une angoisse profonde, Nous lançons aujourd'hui, par ce message, un cri d'appel à la conscience du monde, au sens de responsabilité des dirigeants de la politique et de l'économie publique, au sentiment d'humanité et à la mutuelle générosité des peuples :

A quiconque a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre.

A quiconque est capable de s'élever au-dessus des divergences de vues, d'imposer silence aux rancoeurs nées de la guerre, et a gardé l'esprit et le coeur ouverts à la sainte voix de la fraternité humaine.

A ceux-là, tout particulièrement, qui, unis avec Nous dans la foi chrétienne, nourris de la doctrine et de la loi du Christ, savent reconnaître, dans l'appel adressé à leur esprit fraternel, la pierre de touche du sincère et profond amour de Dieu.

A peine sortie du fleuve de sang qu'elle a traversé durant les années de guerre, la pauvre humanité gravit, à la poursuite de la paix, un sentier toujours plus raboteux, toujours plus rude, toujours plus encombré de ronces. A chaque pas surgissent de nouvelles difficultés, de nouveaux obstacles dont bien peu, dans la première ivresse de la victoire péniblement conquise, soupçonnaient la gravité.

Le spectre menaçant de la famine.

Tandis que les hommes d'Etat, dans leurs délibérations souvent laborieuses, s'évertuent à poser les premières bases de la restauration politique et économique, et à aplanir, tout au moins à atténuer les inévitables heurts d'opinions et d'intérêts, voici que, derrière eux, se dresse le spectre menaçant de la famine.

Penchés sur leurs statistiques, les experts, au fur et à mesure que s'allongent sous leurs yeux les colonnes de chiffres, voient se préciser toujours davantage l'amère certitude : sur un quart au moins de la population totale du globe pèse l'ombre sinistre de la faim ; à travers d'immenses contrées, elle menace de faucher des multitudes entières, dont le nombre (si l'on n'y portait remède à temps) ferait pâlir celui, pourtant si impressionnant, des combattants et des non-combattants frappés sur tous les fronts de la dernière guerre.

Diverses circonstances, qu'on ne prévoyait pas et qu'on ne pouvait pas prévoir, sont venues aggraver les difficultés déjà formidables du ravitaillement : dans l'Europe orientale, culture insuffisante des champs du fait des événements de la guerre et de Péloignement forcé, qui s'ensuivait, d'une grande partie de la population locale ; mauvaises moissons de blé dans l'Europe méridionale et dans les territoires limitrophes ; maigres récoltes, de riz surtout, dans l'Asie orientale et sud-orientale ; sécheresse dans l'Afrique méridionale.

Nécessité de ravitailler l'Europe

Les conséquences se manifestent dans une évidente clarté : un croissant et indispensable besoin d'importation vers l'Europe, tous ces mois-ci, jusqu'à la prochaine récolte ; l'impérieuse nécessité de secours aux populations des autres territoires que Nous avons nommés et qui, en temps normal, se suffisaient à eux-mêmes.

Sans aucun doute, de vastes régions produisent bien au-delà des besoins de leurs populations. Mais sans parler de celles qui se sont trouvées malheureusement impliquées, elles aussi, dans la conflagration mondiale et ont subi les dévastations de la guerre et de l'après-guerre, de notables approvisionnements ont été, durant le conflit, soustraits à l'alimentation humaine et utilisés comme fourrages pour les bestiaux ou soumis à des manipulations chimiques et industrielles. Quoi qu'il en soit, même avec les stocks encore existants, la soudure avec la prochaine récolte ne pourra se faire qu'à grand-peine et à condition de mettre en oeuvre tous les moyens possibles.

Même ainsi, au début de la récolte, les réserves seront extrêmement réduites. Le caractère inquiétant de la situation alimentaire ne sera donc pas encore définitivement conjuré, mais il pourra persister (Dieu nous en préserve !) jusqu'à la récolte suivante. Donc, seize mois au moins, durant lesquels la prière que, même aux temps prospères, nous faisons monter tous les jours vers le Père céleste devra se faire sans cesse plus intense et plus suppliante : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ! »

par une organisation puissante

Nous n'en doutons pas, les peuples qui ont montré une si grande puissance d'organisation et un si héroïque esprit de sacrifice pour la poursuite de leurs buts de guerre, feront preuve encore des mêmes qualités, aujourd'hui qu'il faut arracher à la mort des millions de créatures humaines.

Il s'agit donc de liquider les stocks encore existants et d'en constituer de nouveaux ; d'empêcher le gaspillage des vivres et leur usage abusif à toute fin immédiate autre que l'alimentation humaine ; d'éviter les grèves inconsidérées ou injustifiables ; de consacrer au ravitaillement tous les moyens de transport adaptés ; de prendre les mesures financières opportunes ; de chercher à utiliser toutes les possibilités d'ensemencement : toutes choses qui exigent évidemment talent d'organisation et esprit de sacrifice.

mais aussi par la générosité.

Malgré cela, si l'organisation, toute géniale et puissante qu'elle soit, se réduisait uniquement à une politique administrative ; si l'esprit de sacrifice, même poussé à l'héroïsme, ne s'inspirait d'un idéal plus haut que celui d'une pure discipline militaire ou nationale, ce serait bien peu. Le genre humain est menacé de la famine. Et la famine est elle-même cause de troubles incalculables, parmi lesquels la future paix, à peine encore en germes, risquerait fort d'être étouffée avant même de naître. Et la paix est si nécessaire à chaque peuple de la terre !

En présence de ce danger commun, il n'y a plus place pour les pensées de vengeance ou de représailles ni pour les aspirations au pouvoir et à la domination, ni pour aucun désir d'isolement ou privilège de vainqueur. L'Amérique du Nord l'a très bien compris. Dans cette grande offensive mondiale contre la faim, les Etats-Unis se sont mis généreusement à la tête du mouvement ; ils ont mis au service 'de cette cause sainte 'leur force gigantesque de production. Ils ont redoublé leurs efforts pour augmenter l'excédent des produits alimentaires destinés à l'exportation. Nous savons que le Canada, lui aussi, avec sa traditionnelle libéralité, suit le même chemin. De son côté, la Grande-Bretagne, tout en convoquant avec sollicitude, dans sa capitale, une conférence internationale pour les questions du ravitaillement, a continué de maintenir, pour l'usage de nombreux comestibles, les restrictions du temps de guerre.

Appel à l'Amérique latine, surtout à VArgentine et au Brésil.

Il est certain que, dans les pays mieux pourvus, un léger rationnement, à peine sensible, rendrait possible une épargne de vivres qui assurerait aux autres peuples plus durement atteints par la disette un soulagement notable de leurs besoins les plus urgents. Aussi, Notre regard se tourne plein de confiance vers les Etats de l'Amérique latine. Dans le passé, déjà, le noble coeur de leurs citoyens, Nos très aimés fils et filles, a su se montrer largement ouvert à tous les appels de la charité, à tous les grands intérêts de l'humanité. C'est une oeuvre magnifique que leur a confiée de nos jours la Providence divine : en faire les dispensateurs de ses dons ; une oeuvre semblable à celle qu'aux jours de la famine accomplit le patriarche Joseph, préposé à l'administration des greniers de l'Egypte.

Vrais greniers du monde, l'Argentine et le Brésil ont vu, à la veille des calamités actuelles, leurs immenses territoires répondre à leurs travaux et à leurs méthodes agricoles avec une fécondité qui a surpassé celle de l'avant-guerre. Ils se trouvaient ainsi heureusement en état de rétablir l'équilibre rompu en portant secours à leurs frères plus mal partagés.

Puisse pénétrer partout la conviction que la menace actuelle de la famine constitue un danger commun qui doit réunir tous les peuples en une solidarité et en une communauté fraternelle, rejetant au second plan toutes les différences, toutes les oppositions, tous les intérêts particuliers. Qu'importe, en ce moment, de savoir où ont été les responsabilités ou quelle a été la part de chacun dans les torts ou dans les négligences fatales ? Qu'importe de rechercher qui est plus ou moins digne d'être secouru ? A l'heure actuelle, ce qui presse vraiment, c'est que le secours arrive vite, suffisant, partout où se fait sentir le besoin.

Graves responsabilités devant Dieu des dirigeants.

C'est aujourd'hui plus que jamais l'heure de prêter l'oreille aux paroles 'du Sauveur : « Toutes les fois que vous avez fait quelque chose en faveur du plus petit d'entre les miens, vous me l'avez fait à moi-même » (Mt 25,40) ; mais c'est l'heure aussi d'écouter le reproche amer adressé par lui à quiconque, par égoïsme ou par simple indifférence, ne vient pas au secours du prochain en état de nécessité manifeste. Pratiquement, ces avertissements font connaître la grande responsabilité encourue devant Dieu par tous ceux qui, à raison de leurs qualités spéciales et de 'leur condition, sont appelés à éloigner ce danger, que ce soit comme dirigeants ou comme exécutants, par devoir de charge ou de leur initiative privée. Responsabilité grave devant Dieu de tous ceux qui, grâce à la prévoyance, à la diligence, à une sage économie, d'ans la production, dans les transports, dans la distribution des vivres, pourraient soulager la misère de beaucoup ; responsabilité encore plus grande devant Dieu de ceux qui, par un égoïsme cruel, en accumulant et cachant les provisions ou de toute autre manière, exploitent odieusement la misère du prochain, des individus ou des peuples, à leur profit personnel et même, peut-être, afin de s'enrichir au moyen de spéculations illicites ou du plus indigne commerce.


Respect de l'ordre public.

Mais il serait funeste de croire que la crise puisse être surmontée autrement que dans la tranquillité et dans l'ordre public. Il est nécessaire que tous conservent le calme. L'histoire nous montre trop souvent quels sont les désastreux effets de l'illusion qui pousse à la révolte et au pillage les foules affamées. Autant prétendre féconder les champs en semant des étincelles dans des chaumes dévastés. Malheur à ceux qui voudraient allumer l'incendie en poussant à des soulèvements inutiles ! Malheur à ceux qui l'attisent par le spectacle de leur luxe scandaleux et de leur gaspillage !


Pas de gaspillage.

Le gaspillage ! Pères et mères de famille, faites que vos enfants comprennent mieux quelles choses sacrées sont le pain et la terre qui nous le donne. Notre époque l'avait trop oublié. D'une honnête simplicité de vie, elle avait insensiblement glissé à la recherche et à la satisfaction de joies malsaines et de besoins factices. Et voici que le Seigneur, en faisant plus rare le don de son pain, a voulu, par cette dure leçon, la rappeler sur le droit chemin. Puisse cette leçon docilement comprise servir à l'établissement d'un ordre économique et social meilleur !

La mort, pendant les années de guerre, est passée et repassée sur le front de la bataille ; elle a pénétré dans la profondeur des territoires, jetant à terre des victimes innombrables parmi les combattants et parmi les populations civiles. Il est temps de lui barrer le chemin, maintenant que nous la voyons prête à causer des exterminations incomparablement plus vastes que celles qu'ont produites les armes et le feu. Ne permettons pas qu'elle grave sur des millions de tombes d'enfants innocents les paroles tragiquement accusatrices : « Les petits enfants réclament du pain : personne ne leur en partage » (Lm 4,4).


Le Christ demande du pain pour ses pauvres.

Vous tous, particuliers ou peuples, qui êtes en état, d'une manière ou d'une autre, de venir au secours de vos frères, écoutez l'exhortation du prophète : « Romps ton pain à celui qui a faim » (Is 58,7). Mais fixez vos regards sur la grande vision : ce ne sont pas seulement les affamés de la terre qui, en ce moment, tendent vers vous leurs mains suppliantes, c'est le Christ lui-même qui vous demande le pain dont ses pauvres ont besoin.

Chaque bouchée de pain que vous leur donnez, c'est à lui que vous la donnez. Chaque bouchée de pain que vous leur refusez, c'est à lui que vous la refusez.

Un jour viendra où ce que beaucoup, aujourd'hui encore, ne voient pas, deviendra manifeste aux yeux de tous, quand le Juge suprême apparaîtra dans la majesté de sa justice pour prononcer devant l'humanité tout entière sa sentence qui sera sans appel.

Malheureux pour toujours ceux aux oreilles desquels résonnera la condamnation terrible : « Retirez-vous de moi, maudits..., parce que j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger » (Mt 25,41-42).

Mais bienheureux ceux qui entendront les divines paroles à la douceur infinie : « Venez, les bénis de mon Père..., parce que j'ai eu faim et vous m'avez rassasié... Tout le bien que vous avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 34, 35-40).


RADIOMESSAGE AU CONGRÈS CATÉCHISTIQUE DE BARCELONE

(7 avril 1946) 1

A la messe solennelle qui clôturait le Congrès catéchistique de Barcelone, à laquelle participaient plus de 50 000 enfants, le Saint-Père, dans son radiomessage, a rappelé l'importance de l'éducation religieuse, les méfaits du laicisme et les dangers que présente l'ignorance religieuse dans toutes les classes de la société.

L'ardente sollicitude pour le salut des âmes que le Père des miséricordes a daigné mettre en Notre coeur de Pasteur universel, Nous a incité à condescendre à votre désir dès qu'il Nous a été manifesté et à clôturer par quelques paroles ce grand Congrès catéchistique.

Ce n'est pas seulement parce qu'il s'agissait de la splendide Barcelone, la lumineuse métropole méditerranéenne, célèbre par son site, par sa prospérité et par l'esprit audacieux et entreprenant de ses fils tenaces ; ni non plus à cause des nouvelles qui Nous parvenaient successivement, exaltant l'intelligente préparation de votre congrès, sa parfaite organisation et la généreuse coopération que tous y apportaient ; ce fut de savoir qu'il y était question de l'étude, de la propagande, de la méthode et du progrès de l'oeuvre catéchistique parmi vous ; ce fut d'apprendre que l'on y approfondissait des thèmes fondamentaux comme le droit et le devoir de l'enseignement du catéchisme, aussi bien dans les écoles privées que d'ans les écoles officielles et dans les catéchèses paroissiales.

Nécessité de l'enseignement du catéchisme.

Le catéchisme ! Nous n'avons pas l'intention de revenir, en cette heure solennelle, sur ce qui a déjà fait l'objet de vos séances d'études. Notre Vénérable Frère, votre zélé pasteur2, promoteur avisé et heureux d'un congrès qui doit rester parmi les dates les plus mémorables de son épiscopat, vous a rappelé Nos immortels prédécesseurs Benoît XIV, Pie X et Pie XI, à qui l'on doit les normes définitives concernant l'enseignement de la doctrine chrétienne ; et Nous-même, Nous n'avons pas négligé d'adresser en temps opportun les exhortations que Nous jugions nécessaires. La Catalogne de Raymond Lulle, auteur d'un des premiers résumés caté-chistiques connus ; l'Espagne de Ripalda et d'Astete, d'Ignace de Loyola, de Joseph Calasanz et d'Antoine Claret, catéchistes et formateurs de légions de catéchistes, surent enseigner et apprendre, au cours des siècles, notre sainte doctrine, spécialement en cet heureux temps où le peuple possédait une culture suffisante pour pouvoir s'élever jusqu'aux hauteurs théologiques des autos sacramentales3, applaudis et goûtés par tous les fidèles sur les parvis des églises, dans les cours et sur les places publiques. Grande éducation religieuse que celle d'un pays où de telles représentations pouvaient être populaires !

Effets désastreux de l'ignorance religieuse.

Le temps passera ; viendront les siècles funestes du laïcisme et l'on assistera à la douloureuse scission entre le citoyen et le chrétien. L'Eglise se verra disputer le champ de l'enseignement, et la culture dite moderne prétendra vainement pouvoir se passer de la religion. Mais quelles en seront les conséquences ! N'avez-vous pas rencontré parfois quelque égaré, qui l'est précisément devenu parce que jamais, ou presque jamais, il n'a entendu parler de Dieu et de sa loi ? Car si non est scientia Dei in terra, « s'il n'y a pas de connaissance de Dieu dans le pays » (Os 4,1), si la loi divine est ignorée, comment pourra-t-on l'observer ? Si Jésus-Christ et son Eglise sont encore pour beaucoup de véritables inconnus, quand ils ne sont pas malicieusement défigurés, comment pourraient-ils être d'abord aimés, puis obéis ? Et si l'on méconnaît Dieu, si l'on n'observe pas sa loi, pourquoi nous étonner que l'histoire ne soit qu'une succession de catastrophes ? Et il faut qu'il en soit ainsi, parce que — si Nous voulons redire les paroles de Notre glorieux prédécesseur Pie X — : Ubi crassae ignorantiae tenebris est mens circumfusa, nullatenus possunt aut recta

2 I! s'agit de S. Exc. Mgr Grégoire Madrego Casaus, évêque de Barcelone depuis 1942.

3 Pièces dramatiques dans lesquelles on introduisait des personnages allégoriques ou bibliques.


CONGRÈS CATÉCHISTIQUE DE BARCELONE

m voluntas esse aut mores boni, « là où l'esprit est enveloppé des ténèbres d'une ignorance grossière, il est absolument impossible de trouver une volonté droite ou de bonnes moeurs » 4.

Diffusion du catéchisme et formation des catéchistes en Espagne.

Le monde souffre de maux très douloureux, mais peu sont aussi graves que celui de l'ignorance religieuse dans toutes les classes de la société. La société a un besoin urgent de remèdes énergiques, mais peu sont aussi urgents que la diffusion du catéchisme. Les parents, autour du foyer domestique ; les maîtres, dans l'atmosphère grave de l'école ; les prêtres, dans le sanctuaire du temple et en tous lieux peuvent et doivent rendre à l'humanité l'incomparable service d'ouvrir aux nouvelles générations, grâce au catéchisme, les trésors de la doctrine catholique et de les former suivant son esprit, afin que, pénétrées de 'la mentalité chrétienne, éprises de la vérité, de la justice et de la charité de l'Evangile, et embrasées de l'amour de Jésus-Christ, elles puissent servir de fondement à la paix future, à l'unique paix digne de ce nom : la paix chrétienne.

Nous n'ignorons pas tout ce qui s'est fait parmi vous pour la formation des catéchistes et l'organisation des catéchèses. Nous savons — et Nous ne pouvons faire moins que de vous en féliciter — que votre législation scolaire atteste que ses promoteurs ont une claire conscience de l'importance du problème et des devoirs qui incombent à ceux qui gouvernent une nation catholique ; mais c'est précisément pour cela que Nous avons voulu profiter de cette circonstance opportune pour vous exhorter à persévérer et à aller toujours de l'avant. Ne vous contentez pas de rendre grâces à Dieu pour « l'affectueuse disposition de sa Providence qui vous a fait l'immense faveur de naître dans un foyer chrétien, dans une patrie illuminée depuis l'aube du christianisme par la doctrine de l'Evangile » ; mais enfin de montrer votre gratitude pour une grâce si insigne, vous devez faire en sorte, chacun à son poste, que personne n'ignore les salutaires enseignements de la religion chrétienne 5 ; bien plus, à cet effet, votre coopération et vos sacrifices personnels sont nécessaires.

Et vous, petits enfants, qui par milliers et milliers, écoutez en ce moment, vos yeux mignons grands ouverts, votre Père, un Père qui

* Cf. encycl. Acerbo nimis, du 15 avril 1905 ; PU X Acta, vol. II, p. 74. 5 Prière pour Vobtention des fins du congrès.

voudrait pouvoir vous embrasser tous un à un ; vous, l'espoir assuré de l'Eglise et de la patrie, âmes candides où se reflète encore pure la douce lumière de l'innocence, accourez empressés au catéchisme, ne vous séparez pas de votre manuel, écoutez sans en perdre une seule parole ceux qui vous l'expliquent, apprenez-le bien, comprenez-le autant que possible et n'oubliez jamais cette doctrine qui, peut-être, un jour — à une date éloignée que vous ne pouvez même pas entrevoir — sera votre planche de salut au milieu des tourments de la vie. Le pape veut que vous appreniez dans le catéchisme à mettre Dieu au centre de votre vie, à connaître et aimer Jésus-Christ, à vivre dans sa grâce et dans la fidèle observance de ses commandements ; à être bons, à être obéissants, à être appliqués, surtout à être pieux.

C'est pourquoi, du Vatican — où il semble que les flots de la mer viennent apporter la brise de votre Barcelone — le pape vous envoie, au moyen des ondes éthérées, la meilleure de ses bénédictions, pour vous, pour vos familles, pour ceux qui ont pris part à cette assemblée, et, d'une manière toute particulière, pour ses organisateurs, pour toutes les résolutions et motions qui ont été le fruit tangible du congrès, pour votre industrieuse région, pour les eminentes autorités qui, par leur présence, ont voulu contribuer à la splendeur de cette démonstration, et pour toute l'Espagne catholique, objet constant de l'affection spéciale du Vicaire du Christ.


Pie XII 1946 - EXHORTATION PASTORALE AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME