Pie XII 1946 - REMERCIEMENT ET CONSÉCRATION A MARIE


TRIPLE SERMENT

Et maintenant, puisque vous désirez de Nous une parole qui vous montre et vous explique la signification concrète et la valeur pratique de l'offrande de vous-mêmes à Marie, Nous vous disons : Elevez vos coeurs, levez vos mains pour un triple serment : en témoignage de gratitude et d'amour, et pour implorer la protection de la Vierge sur votre patrie, promettez à la céleste Reine que vous voulez être partout et toujours une jeunesse croyante, une jeunesse pure, une jeunesse catholiquement active. Or, voici ce que Marie attend de vous ; voici ce que réclame de vous l'heure présente.

Jeunesse croyante.

I. — Promettez à Marie d'être une jeunesse croyante. Une jeunesse croyante est une jeunesse qui sait réagir contre la laïcisation et la vulgarité de la vie, contre son abaissement désordonné vers les choses matérielles et terrestres, contre l'oubli et la négation de Dieu. C'est une jeunesse pour laquelle le centre de la vie est Dieu, Jésus-Christ, l'éternité. Une jeunesse qui prend comme règle de sa conduite l'exhortation de Tobie à son fils : « Sois tous les jours fidèle au Seigneur. N'aie pas la volonté de pécher ni de transgresser ses lois » (Tb 4,5). Une jeunesse qui chemine et agit constamment sous le regard de Dieu, qui prie, qui sanctifie les fêtes, qui se rassemble le dimanche autour de l'autel du Seigneur pour louer Dieu et puiser dans la sainte Eucharistie la force de remplir en tout sa volonté. Une jeunesse qui, éloignée d'un christianisme purement extérieur, formaliste, de simple habitude, s'efforce de saisir toujours plus clairement et de s'assimiler toujours plus intimement et profondément les inépuisables richesses de la vérité catholique et des principes chrétiens, et avance ainsi d'un pas assuré et ferme dans le sentier de la foi. Une jeunesse qui, dès les premières années, tâche de faire passer cette foi dans l'action et dans la vie et tend, de cette façon, vers la maturité et la plénitude de la personne chrétienne. Telle est la véritable jeunesse croyante ; voilà à quoi vous vous obligez devant votre céleste Mère et devant son divin Fils.

Jeunesse pure.

II. — Promettez à Marie d'être une jeunesse pure. Le secret de la force indestructible de votre peuple a été la mère, oui, la mère chrétienne ! Pendant longtemps elle a été l'orgueil et le bonheur de votre

nation ; en elle on trouvait renfermée sa perfection naturelle, la fleur d'une jeunesse non corrompue. Cette pureté sans tache était, jusqu'à un passé récent, la règle dominante de la jeunesse féminine italienne.

Faudra-t-il maintenant, au contraire, contempler douloureusement les allées de ce jardin de Dieu foulées par les pas de l'ennemi ? Partout ce dernier progresse grâce à la puissance du mal piétinant la fleur de la jeunesse ; la majesté de l'épouse perd soudain sa splendeur, la tendresse de la mère son parfum ; dans la boue parsemée de pétales fanés, des voix sinistres exaltent le triomphe du divorce sur le mariage indissoluble et celui de la stérilité volontaire sur l'amour fécond. Seul, le front chaste est digne et capable de ceindre le diadème resplendissant des perles de la fidélité conjugale et de l'héroïsme maternel.

Il vous appartient, chères filles, de faire lever à votre suite une nouvelle génération de jeunesse féminine qui présente au Créateur, intact, inviolé, sur l'autel des noces et sur le lit de mort, le trésor de sa pureté. Cela signifie que chacune de vous doit s'enrôler pour la lutte contre les corrupteurs publics de l'innocence et de la pureté juvéniles. Sans doute, tous les bons se réjouiront si l'Etat combat au moyen de lois sages les gravures et les représentations immorales dans la presse, dans les spectacles cinématographiques, sur les scènes, à la radio. Mais c'est à vous de donner âme et vie à ces lois ; à vous de raviver la sainte croisade pour la moralité chrétienne, par la dignité et la pureté de votre esprit et de votre coeur, par la maîtrise de vos sens, par la modestie chrétienne de vos attitudes et de votre habillement, par vos paroles et par votre conduite, par le respect envers vos parents, par votre industrieuse délicatesse, attentive à rendre la vie au sein du foyer domestique, non seulement supportable pour tous, mais encore rayonnante de sérénité et de joie.

Offrez donc aujourd'hui à Marie, toujours Vierge et Mère, votre inébranlable promesse de sainte pureté ! Et elle, qu'elle daigne vous aider par son puissant secours à l'observer fidèlement jusqu'à la fin !

Jeunesse catholiquement active.

III. — Promettez à Marie d'être une jeunesse catholiquement active. Ces derniers temps, la position sociale de la femme a subi une évolution non moins rapide que profonde. La femme s'est vue transportée du sanctuaire recueilli de la famille au vaste espace et à l'agitation de la vie publique. Elle exerce aujourd'hui les mêmes professions, porte les mêmes responsabilités et jouit, même dans le domaine de la vie politique, des mêmes droits que l'homme.

Avec la soudaineté et la précipitation d'un torrent impétueux, cette révolution a rompu les digues que la nature et les habitudes avaient construites ; elle a bouleversé la femme, menaçant de la découronner de sa plus noble dignité et de l'arracher à sa mission de mère. Il serait vain de réagir et de récriminer contre une telle transformation, mais il faut conjurer le péril qu'elle comporte. Et c'est à cela que doit tendre aussi votre action.

a) Par la profession ouverte de votre foi.

Ayez avant tout le courage de vos convictions, le courage de professer ouvertement votre foi, quel que soit le poste auquel la Providence vous a placées. Que ce soit dans une administration publique ou dans une maison de commerce, dans un service domestique ou dans une usine, dans une école, un laboratoire ou une clinique, partout où vous êtes, donnez l'exemple d'une jeune catholique, consciente de sa foi, qui en connaît la doctrine, qui en observe la loi, qui sait la soutenir et, au besoin, la défendre. Certes, cette attitude exige de la sûreté et de la maîtrise de soi, de la force pour repousser tout attrait malsain, pour supporter tout renoncement nécessaire et tout sacrifice fécond. Mais c'est le moins qu'on puisse attendre d'une jeune fille chrétienne.

b) Par votre action à l'égard des autres.

En second lieu, vous devez avoir à coeur d'attirer les autres à vous. Il y a partout tant de jeunes filles qui sentent le besoin de quelque grande amie auprès de laquelle elles trouveraient affection, conseil, réconfort ; il y en a tant qui se trouvent seules, timides, égarées ; il y en a tant qui sont en danger et qui seraient désireuses d'être secourues dans leur fragilité. Vous aurez pour chacune d'elles la parole persuasive, affectueuse, opportune, adaptée à chaque cas. Pratiquez auprès d'elles les oeuvres de miséricorde aussi bien corporelles — le champ en est maintenant très vaste — que spirituelles. Parlez-leur du Christ, conduisez-les au Christ ; dévoilez à leur esprit, à leur âme, la vérité catholique dans sa beauté, les horizons radieux de la morale catholique, l'idéal séduisant de la femme et de la mère catholique, mais aussi l'idéal de la pureté dans sa plus exquise perfection, de la pureté qui renonce aux noces terrestres pour se donner entièrement à l'amour du Christ, au service du Christ pour aimer et servir le prochain dans le Christ, par l'apostolat dans ses diverses formes, au milieu de la jeunesse dans les écoles, au milieu des infirmes et des malades. Faites-leur connaître le message social de l'Eglise catholique : il assure réellement et garantit la dignité et le véritable bien des individus, des familles et de tout le peuple.

c) Par le bon exercice des droits politiques.

Un bon nombre d'entre vous jouit déjà des droits politiques, du droit de vote. A ces droits correspondent autant de devoirs ; au droit de vote, le devoir de voter, le devoir de n'accorder votre suffrage qu'aux candidats ou aux listes de candidats qui présentent non pas des promesses vagues et ambiguës, mais des garanties sûres qu'ils respecteront les droits de Dieu et de la religion. Pensez-y bien : ce devoir est pour vous sacré ; il vous oblige en conscience ; il vous oblige devant Dieu, car avec votre bulletin de vote vous avez entre les mains les intérêts supérieurs de votre patrie : il s'agit de garantir et de conserver à votre peuple sa civilisation chrétienne, à ses jeunes filles et à ses femmes leur dignité, à ses familles leurs mères chrétiennes. L'heure est grave. Soyez conscientes de votre responsabilité. Allez, allez toutes de l'avant, jeunes filles et adolescentes. Allez de l'avant par votre exemple. Allez et éclairez les consciences ignorantes, incertaines, hésitantes. Allez et instruisez de maison en maison, de famille en famille, de rue en rue, de région en région. Ne vous laissez vaincre par personne en activité, en ferveur, en zèle, en esprit de vérité, de justice, d'amour.

Que votre serment à Marie soit donc : servir avec une foi forte et une conduite exemplaire la cause de son divin Fils, par la parole, l'action, le sacrifice.

Et maintenant, ô Marie, Vierge puissante, Mère de miséricorde, bénissez vos chères filles, bénissez les promesses qu'elles vous apportent avec toute la sincérité de leur âme, avec toute la générosité de leur volonté, avec tout l'élan de leur amour. Vous les leur avez inspirées et de vous elles attendent le courage de les observer avec une indéfectible constance. Elles obéissent à l'impulsion de leur cceur ardent et prompt ; elles connaissent leur faiblesse, mais elles comptent sur vous. Vous leur donnerez la force ; vous leur accorderez la victoire. Et ensemble, avec elles, bénissez leurs soeurs, bénissez tout le peuple de la ville de Rome, tout le peuple d'Italie et le monde entier, afin que, grâce à votre maternelle intercession, les grandes résolutions d'aujourd'hui soient, pour demain, génératrices et porteuses de réconciliation, de paix, de renouveau « dans la sainteté et dans la justice », de bien et de salut temporel et éternel.


LETTRE AU PRÉFET GÉNÉRAL DE L'ORDRE DES CLERCS RÉGULIERS MINISTRES DES MALADES

(12 mai 1946) 1

A l'occasion du deuxième centenaire de la canonisation du grand saint de la charité, saint Camille de Lellis, le Saint-Père adressa cette lettre au T. R. P. Ruhini, préfet général de l'ordre des Ministres des malades :

La charité, qui est « le lien de la perfection » (Col 3,14) et « la loi résumant tout l'Evangile » 2 brilla d'une splendeur toute particulière dans votre Père et législateur, auquel, il y a deux siècles, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Benoît XIV, décréta d'accorder par un rite solennel les honneurs des saints. Vous allez très prochainement commémorer cet heureux événement alors qu'il n'est peut-être pas de temps où les hommes, les peuples et les nations n'aient plus besoin qu'aujourd'hui de cette vertu chrétienne. C'est pourquoi c'est non seulement pour vous que Nous estimons cette célébration très utile, car vous en retirerez de nouveaux élans d'amour envers Dieu et envers le prochain, mais aussi pour tous ceux qui, participant avec vous à cette commémoration séculaire de saint Camille de Lellis, sentiront leur âme comme éclairée par cet astre de sainteté et fortement entraînée à suivre selon leurs forces les exemples de ses vertus.

L'esprit vif, actif, brillant qu'il eut en partage, le caractère ardent, déjà riche de qualités naturelles et enrichi de dons surnaturels, les forces du corps et de l'âme qu'il conserva jusqu'à son dernier soupir, tout cela, après s'être mis au service de Dieu à l'âge de 25 ans, il le consacra à ces oeuvres de miséricorde qui avaient leur source dans

1 D'après le texte latin de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 433.

2 Léon XIII, encycl. Rerum novarum ; Acta Leonis XIII, 1891, p. 143.

son ardente charité envers Dieu. Cette charité enflammée, il l'exerça principalement à l'égard de tous ceux qui, malades et même atteints de maladie contagieuse, se trouvaient dans les hôpitaux, dans les maisons privées, parfois même dans la rue ou sur la place publique, très souvent abandonnés de tous ; et il voulut, comme vous le savez, que ce fût là la mission particulière de son institut. C'est que dans les infirmes, dans les malades, dans les pauvres nus ou affamés, il voyait le divin Rédempteur lui-même et il considérait comme un honneur pour lui de les servir, ce qu'il faisait souvent même à genoux, les appelant ses maîtres et ses seigneurs 3. Tout en prenant soin de toutes manières de la santé des corps avec un zèle infatigable, il avait à coeur de ramener à une vie rangée et honnête les esprits d'abord même endurcis dans les vices, de nettoyer les souillures des péchés, d'éclairer d'une lumière surnaturelle les égarés ou d'élever vers les choses éternelles et célestes ceux qui étaient tombés dans l'abîme du désespoir. Mais surtout il assistait ceux qui se trouvaient à l'article de la mort en leur apportant de douces consolations et une aide puissante et, après les avoir arrachés aux prises de l'ennemi du genre humain, il les mettait dans les mains de la miséricorde divine pour en recevoir les récompenses éternelles. Que de peines, que de misères, que de difficultés très dures cet athlète sans faiblesse de la vertu chrétienne n'a-t-il pas endurées pendant tout le cours de sa vie, « livré en spectacle pour le monde, les anges et les hommes » (cf. 1Co 4,9) !

Vous avez grandement raison, cher fils, de prendre dans la méditation et l'étude d'une vie si sainte de nouvelles inspirations et de nouveaux encouragements pour vous entraîner à pratiquer et à développer chaque jour avec plus de soin vos entreprises et vos oeuvres de miséricorde, de pitié, de charité, poussé par ce zèle de l'amour divin qui vous a toujours engagé à augmenter la gloire de Dieu et à procurer le salut du prochain. Aujourd'hui, vous le savez, un champ plus vaste de travail vous est ouvert : car ils sont presque innombrables ceux qui, souffrant de maladie ou déchirés, mutilés, rendus infirmes par suite de blessures de guerre attendent de vous secours, soulagement et autres devoirs de pitié. Mû par le même esprit de charité que votre Père et Législateur, appliquez-vous à ce devoir avec bonne volonté, avec générosité et sans défaillance ; et soyez certain que « le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » (cf. 2Co 1,3) non seulement vous assistera dans vos

3 Cf. S. Camille de Lellis, Règles pour servir en toute perfection les pauvres malades, nos maîtres et nos seigneurs.

travaux par les excellents conseils que vous inspirerez et par les adoucissements que vous apporterez aux misères des âmes et des corps, mais vous accordera un jour la plus abondante rémunération.

Que la Bénédiction apostolique que Nous vous accordons très affectueusement 'dans le Seigneur, à vous, cher fils, à tous et à chacun des membres de votre famille religieuse ainsi qu'aux infirmes dont vous avez la charge et aussi à tous ceux qui prendront part avec vous dans de pieux sentiments aux prochaines solennités com-mémoratives soit l'augure et le garant de ces voeux.


RADIOMESSAGE AUX FIDÈLES DU PORTUGAL A L'OCCASION DU COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE FATIMA

(13 mai 1946)1

1 D'après le texte portugais des A. A. S., 38, 1946, p. 264 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. viii, p. 247.

A 500 000 fidèles rassemblés à Fatima pour le couronnement de la Vierge, le pape, dans ce radiomessage, a rappelé les huit siècles de bienfaits que la Sainte Vierge a accordés au Portugal et a recommandé l'amour et la reconnaissance à l'égard de sa royauté maternelle.


« Béni soit le Seigneur, Dieu et Père de Notre-Seigneur, Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, qui nous réconforte dans toutes nos tribulations » (2Co 1,3-4), et qu'avec le Seigneur soit bénie Celle qu'il a établie Mère de miséricorde, notre Reine et Avocate très aimante, médiatrice de ses grâces, dispensatrice de ses trésors !

Lorsque, il y a quatre ans, en plein tumulte de la plus funeste guerre qu'ait connue l'histoire, Nous gravîmes avec vous, en esprit, cette sainte montagne, pour remercier ensemble la Vierge Notre-Dame de Fatima des bienfaits immenses qu'elle vous avait naguère accordés, au Magnificat chanté en commun, Nous ajoutâmes un cri de confiance filiale, pour que l'Immaculée, reine et patronne du Portugal, achevât ce qu'elle avait merveilleusement commencé 2.

Votre présence, aujourd'hui, dans ce sanctuaire, en une multitude si immense que personne ne peut la compter 3, atteste que la Vierge sainte, l'Immaculée Reine, au coeur maternel et compatissant, à laquelle nous devons le prodige de Fatima, a exaucé nos supplications dans une mesure surabondante.

Un amour ardent et reconnaissant vous a amenés ici, et vous voulez lui donner une expression sensible en le concentrant et en le symbolisant dans cette précieuse couronne — fruit de tant de générosités et de tant de sacrifices — dont Nous venons, par la main de Notre cardinal légat, d'entourer le front de la Vierge thaumaturge *.

Si, aux yeux de la céleste Reine, ce symbole expressif témoigne de votre amour filial et de votre gratitude, à vous, il vous rappelle tout d'abord l'amour immense manifesté par des bienfaits innombrables que la Vierge-Mère a répandus sur sa « Terre de Sainte Marie ». Huit siècles de bienfaits ! Les cinq premiers sous le signe de sainte Marie d'Alcobaça, de sainte Marie de la Victoire, de sainte Marie de Belém, durant les luttes épiques contre le Croissant, pour la constitution de votre nationalité 5, celles qui furent le prix de la consolidation de son indépendance, les héroïsmes aventureux, la découverte de nouvelles îles et de nouveaux continents, quand vos ancêtres y arboraient, avec le drapeau aux écussons quinés (as Quinas), la croix du Christ6. Ces trois derniers siècles sous la protection spéciale de l'Immaculée que le monarque restaurateur7, avec toute la nation représentée par les Cortès, proclama patronne de ses royaumes et de ses terres, en lui remettant sa couronne, comme tribut speciali de sa vassalité, avec le serment de défendre jusqu'à la mort le privilège de son Immaculée Conception, « espérant avec grande confiance dans la miséricorde infinie de Notre-Seigneur, qui, par l'intermédiaire de cette patronne et protectrice de nos royaumes et de nos domaines, dont nous nous faisons un honneur de nous dire et de nous reconnaître les vassaux et les tributaires, nous protégera et nous défendra contre nos ennemis, tout en agrandissant considérablement nos terres, pour la gloire du Christ notre Dieu et pour l'exaltation de la sainte foi catholique romaine, lia conversion des gentils et la soumission des hérétiques » 8.

Et la Vierge très fidèle n'a pas confondu l'espérance mise en elle. Pour s'en convaincre, il suffit de considérer les trente dernières années qui, par les crises traversées et les bienfaits reçus en aussi grande abondance, comptent pour des siècles ; il suffit d'ouvrir les yeux et de voir cette Cova da Iri a transformée en source jaillissante de grâces surnaturelles, de prodiges physiques et encore plus de miracles moraux qui, par torrents, se répandent sur tout le Portugal, et, de là, franchissant les frontières, vont inonder toute l'Eglise et le monde entier.

Comment ne pas remercier ? ou, plutôt, comment remercier dignement ? Il y a trois cents ans, le monarque de la Restauration, en signe d'amour et de reconnaissance de sa part et de la part de son peuple, déposa la couronne royale aux pieds de l'Immaculée, proclamée reine et patronne ; aujourd'hui, c'est vous tous, tout le peuple de la Terre de Sainte Marie, avec les pasteurs de vos âmes, avec votre gouvernement. Aux prières ferventes, aux sacrifices généreux, aux solennités eucharistiques, aux mille hommages que vous ont dictés votre amour filial et votre gratitude, vous ajoutez cette précieuse couronne et vous en ceignez le front de Notre-Dame de Fatima, ici, dans cette oasis bénie, imprégnée de surnaturel, où l'on éprouve d'une façon très sensible son merveilleux patronage et où vous sentez tous de plus près battre son Coeur immaculé, avec une immense tendresse et une sollicitude maternelle pour vous et pour le monde.

Couronne précieuse, symbole expressif d'amour et de reconnaissance ! Cependant, votre immense concours, la ferveur de vos prières, l'écho retentissant de vos acclamations, tout le saint enthousiasme qui vibre en vous incoercible, et puis, la cérémonie sacrée qui vient de s'achever à cette heure d'incomparable triomphe de notre très sainte Mère, évoquent à Notre esprit d'autres multitudes bien plus innombrables, d'autres acclamations bien plus ardentes, d'autres triomphes bien plus divins, une autre heure, éternellement solennelle, au jour sans déclin de l'éternité, où la Vierge glorieuse, à son entrée triomphale dans la patrie céleste, se vit élevée, à travers les hiérarchies bienheureuses et les choeurs angéliques, jusqu'au trône de la très sainte Trinité qui, posant sur son front un triple diadème de gloire, la présenta à la Cour céleste, assise à la droite du Roi immortel des siècles, et couronnée Reine de l'univers.

Et le paradis vit qu'elle était réellement digne de recevoir honneur, gloire et empire, parce qu'elle était plus pleine de grâces, plus sainte, plus belle, plus sublime, incomparablement plus que les plus grands saints et les anges les plus sublimes, isolément ou réunis ; parce qu'elle était mystérieusement apparentée, dans l'ordre de l'union hypostatique, à toute la très sainte Trinité, à Celui qui, seul, est par essence la Majesté infinie, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, en qualité de Fille première-née du Père, de Mère parfaite du Verbe et d'Epouse préférée du Saint-Esprit ; parce qu'elle était Mère du divin Roi, de Celui à qui, dès le sein maternel, le Seigneur Dieu a donné le trône de David et la royauté éternelle dans la maison de Jacob (Lc 1,32-33) et qui, après avoir proclamé à son propre sujet que tout pouvoir lui avait été donné dans le ciel et sur la terre (Mt 28,18), lui, le Fils de Dieu, a fait rejaillir sur sa céleste Mère la gloire, la majesté, l'empire de sa royauté ; parce que, associée, comme Mère et Ministre, au Roi des martyrs, dans l'oeuvre ineffable de la Rédemption du genre humain, elle lui est également associée pour toujours, avec un pouvoir pour ainsi dire illimité, dans la distribution des grâces qui découlent de la Rédemption 9.

Jésus est Roi des siècles éternels par nature et par conquête ; par lui, avec lui, subordonnée à lui, Marie est Reine par grâce, par alliance divine, par conquête, par élection toute particulière. Et son royaume est vaste comme celui de son Fils, Dieu, puisque rien n'est exclu de sa domination.

C'est pourquoi l'Eglise la salue Souveraine et Reine des anges et des saints, des patriarches et des prophètes, des apôtres et des martyrs, des confesseurs et des vierges ; c'est pourquoi elle la proclame Reine des cieux et de la terre, glorieuse, très digne Reine de l'univers : Regina caelorum10, gloriosa Regina mundi, « glorieuse Reine du monde » 11, Regina mundi dignissima 12 ; et elle nous enseigne à l'invoquer jour et nuit, au milieu des gémissements et des larmes dont est fait cet exil : « Salut, Reine, Mère de miséricorde, notre vie, notre douceur, notre espérance ! »

Et sa royauté est essentiellement maternelle, exclusivement bienfaisante.

Et n'est-ce pas précisément cette royauté que vous venez de reconnaître ? Ne sont-ce pas ses bienfaits infinis, ses grâces innombrables, dont vous avez comblé le coeur maternel de cette auguste Reine que vous proclamez aujourd'hui et dont vous êtes reconnaissants ? La plus terrible des guerres qui aient jamais ravagé le monde a rôdé pendant quatre ans le long de vos frontières, mais jamais elle ne les a franchies, grâce surtout à Notre-Dame qui, de son trône de miséricorde comme d'un guet sublime, placé au centre de votre pays, veillait sur vous et sur vos gouvernants ; elle ne permit pas que la guerre vous touchât, sinon juste assez pour que vous pussiez mieux vous rendre compte des calamités inouïes dont sa protection vous préservait.

Vous la couronnez comme Reine de la paix et du monde, afin qu'elle aide le monde à retrouver la paix et à se relever de ses ruines.

Et ainsi, cette couronne, symbole d'amour et de gratitude pour le passé, de foi et de vasselage dans le présent, est aussi, pour l'avenir, une couronne de fidélité et d'espérance.

En couronnant l'image de Notre-Dame, vous avez, en quelque sorte, signé une profession de foi en sa royauté, de soumission loyale à son autorité, de correspondance filiale et constante à son amour. Plus encore : vous vous êtes enrôlés dans la croisade pour la conquête ou la reconquête de son royaume, qui est le royaume de Dieu. En d'autres termes : vous vous êtes engagés, face au ciel et à la terre, à l'aimer, à la vénérer, à la servir, à l'imiter, afin, avec son aide, de mieux servir le Roi divin. En même temps, vous avez pris l'engagement de travailler pour qu'elle soit aimée, vénérée, servie autour de vous, dans la famille, dans la société, dans le monde.

En cette heure décisive de l'histoire, de même que le royaume du mal, déployant une infernale stratégie, recourt à tous les moyens et déchaîne toutes ses forces pour détruire la foi, la morale, le règne de Dieu, de même les fils de lumière, les enfants de Dieu doivent tout employer et tous s'assembler pour les défendre, si l'on ne veut pas voir une ruine immensément plus grande et plus désastreuse que toutes les ruines matérielles accumulées par la guerre.

Dans cette lutte, il ne peut y avoir de neutres ni d'indécis. Il faut un catholicisme édlairé, convaincu, sans peur, s'inspirant de la foi, obéissant aux commandements, fait de sentiments et d'oeuvres, dans la vie privée et en public. Répétons le cri que poussait, il y a quatre ans, à Fatima, la brillante jeunesse catholique : « catholiques cent pour cent ! »

Avec l'espérance que Nos voeux seront favorablement accueillis par le Coeur immaculé de Marie et qu'ils hâteront l'heure de son triomphe et du triomphe du royaume de Dieu, comme gage des grâces célestes, Nous vous donnons à vous, Vénérables Frères, et à tout votre clergé, à S. Exc. le président de la République, à l'illustre chef et aux membres du gouvernement, aux autres autorités civiles et militaires, et à vous tous, chers fils et filles, dévots pèlerins de Notre-Dame de Fatima, et à tous ceux auxquels vous êtes unis en esprit dans tout le Portugal continental, insulaire et d'outre-mer, Nous donnons avec tout Notre amour, et toute Notre affection de Père la Bénédiction apostolique.


2 Le pape fait allusion ici au message radiophonique qu'il adressa au peuple portugais, le 31 octobre 1942, à l'occasion de la clôture de l'année jubilaire (13 mai-13 octobre 1942) commémorant le xxve anniversaire des apparitions de Fatima. Cf. Documents Pontificaux 1942, p. 270.
3 Les journaux ont parlé de près d'un demi-million de fidèles venus de toutes les régions du Portugal et aussi de l'étranger (de l'Espagne, des Etats-Unis, de l'Angleterre, etc.).
* La couronne placée sur le front de la Madone de Fatima symbolise pour le Portugal, à l'égard de la Sainte Vierge, sa reconnaissance pour les bienfaits reçus, sa dépendance ou vassalité par rapport à sa Souveraine, sa fidélité et son espérance pour l'avenir. Cette couronne, en or massif ciselé, surmontée d'un globe de perles et ornée de nombreuses pierres précieuses, a été faite avec les milliers de bijoux offerts par les femmes du Portugal.
5 L'église et le monastère de Notre-Dame de la Victoire auxquels le peuple a donné le nom de Batalba ont été construits en souvenir de la victoire remportée le 14 août 1385 aux villages de Canocira et d'AIjubarroto, par le roi Jean 1er de Portugal, sur les Castillans. Le monastère fut confié aux Dominicains et servit de sépulture aux rois de la dynastie de Bragance, à commencer par Jean Ier. Depuis 1834, il est déclaré monument national et a été restauré par les divers gouvernements.
Non loin de Batalha, les moines de Clairvaux construisirent, durant la seconde moitié du XIIe siècle, le monastère d'Alcobaça, dont l'église était la plus vaste de tout le Portugal.
Le monastère et l'église du monastère des Hiéronymites de Belém (Bethléem), aux portes de Lisbonne, à Belém, sur la rive droite du Tage, sont la conséquence d'un voeu fait par l'infant don Manoël à l'occasion du voyage (1497-1499) de Vasco de Gama : ils rappellent l'empire des Indes orientales conquises par les hardis navigateurs portugais. Le roi Manuel le Fortuné en fit commencer la construction en 1500. Depuis 1838, le monastère sert d'orphelinat ; l'église possède les tombeaux de plusieurs rois du Portugal.
6 As Quinas, cinq petits écussons d'azur posés en croix, et dans chacun d'eux cinq deniers d'argent en sautoir.
7 II s'agit de Jean IV, roi de Portugal, le premier de la maison de Bragance, né en 1604, roi en 1640, mort en 1656. Avec lui, le Portugal retrouva son indépendance politique.
8 Acte d'acclamation à Notre-Dame de Conception, patronne du Portugal, par les Cortès de Lisbonne, en 1646.
9 Cf. Léon XIII, encycl. Adiutricem, du 5 septembre 1895 ; Acta, vol. XV, p. 303. ' Bréviaire romain, 2e ant. fin. de la bienheureuse Vierge Marie.
11 Petit office de la Sainte Vierge, ant. à Magnificat pendant l'année.
12 Missel romain, communion de la fête de N.-D. du Mont-Carmel.





ÊVÊQUES DU JAPON

(17 mai 1946)1

1 D'après le texte français des A. A. S., 38, 1946, p. 345.

Cette lettre a été adressée en réponse à la première lettre reçue des êvêques japonais depuis la guerre.


En prenant connaissance de votre lettre collective, par laquelle, après une si longue et douloureuse interruption, se renouent enfin directement les liens de surnaturelle affection qui unissent le Pasteur suprême avec les brebis et les agneaux de l'Eglise du Japon, Nous avons été profondément ému.

Elle Nous apporte, en effet, le témoignage de la patience et du courage avec lesquels vous et vos ouailles avez enduré les affres de ce terrible conflit. Nous rendons grâces à Dieu qui vous a largement départi les vertus nécessaires en des circonstances parfois si tragiques, et Nous ne doutons pas que pour prix de votre fidélité, il ne réserve à vos ardeurs apostoliques une ample et consolante moisson.

Nous ne pouvons pas, cependant, ne pas ressentir aussi un très vif regret des pertes considérables que vos diocèses, vos paroisses et vos oeuvres ont éprouvées. Si, grâce à une protection extraordinaire, vous n'avez à déplorer que peu de pertes en vies humaines, il n'en reste pas moins que le support temporel de toutes vos activités religieuses a subi d'immenses dommages, et l'on ne peut évoquer sans douleur la destruction de vos principales cathédrales, de tant d'églises et de presbytères, l'anéantissement de centres paroissiaux, tel que Urakami et Nakamachi, où le catholicisme au Japon plongeait ses plus anciennes et vigoureuses racines, sans compter les séminaires, les écoles, les couvents, les hôpitaux, que dans son aveuglement et sa violence, a emportés le fléau de la guerre.

Et pourtant, Vénérables Frères, votre ardeur et votre foi ne vacillent pas devant tant de ruines. On dirait, au contraire, qu'elles y puisent un nouvel élan. Déjà vous rassemblez vos chrétientés dispersées, déjà vous vous mettez au travail pour relever les murs calcinés, rouvrir de nouveaux sanctuaires, réparer les brèches matérielles et morales causées aux établissements et aux oeuvres catholiques. Nous le savons, l'effort qui vous est demandé dans ce domaine est énorme, et Nous voulons Nous-même Nous y associer, en prenant des dispositions pour que la charité pontificale vous vienne en aide, dans la mesure du possible, pour cette lourde tâche de reconstruction.

Mais, non content d'un concours matériel, si indispensable soit-il, étant donné l'inexprimable dureté des temps, c'est d'une assistance morale, plus importante encore, que Nous voulons vous assurer de toute Notre âme. Nos prières vous sont promises, plus instantes que jamais, pour que le Maître de la moisson répande la céleste rosée de sa grâce sur vos terres désolées et y envoie de nombreux et fervents ouvriers apostoliques. A cet égard, Nous ne manquerons pas non plus d'intervenir auprès des Supérieurs de Congrégations missionnaires, pour qu'ils dirigent vers ces portions éprouvées du champ du Père de famille des prêtres et des religieux qui vous soient un précieux renfort dans la propagation de l'Evangile de paix et d'amour.

C'est qu'en effet s'ouvrent devant vous les perspectives d'un consolant avenir. Dieu fasse que les saintes ambitions nourries par saint François-Xavier à propos de votre patrie deviennent un jour une bienheureuse réalité ! L'Eglise en tressaillira d'une joie maternelle et en dira sa plus vive reconnaissance au Père des lumières, d'où proviennent tout don excellent et toute grâce parfaite.

Nous vous adressons donc, Vénérables Frères, l'expression de Notre paternelle complaisance et de Nos chaleureux encouragements, pour que vous en fassiez part aussi à vos chers et fidèles troupeaux ; et, priant le Seigneur de sécher vos larmes et de faire renaître chez tous, sous l'égide de vos martyrs japonais, et surtout de leur Reine, la Très Sainte Vierge Marie, l'espoir invincible et la ferme confiance en un avenir meilleur dans l'ordre chrétien, Nous vous accordons avec effusion, ainsi qu'à votre clergé, et spécialement aux missionnaires si méritants, aux religieux et religieuses, à tous les fidèles du Japon, comme gage de souverain réconfort, la Bénédiction apostolique.




DISCOURS AUX RELIGIEUSES ET AUX ÉLÈVES DE L'INSTITUT DE L'ASSOMPTION

(19 mai 1946)1

Aux religieuses et élèves de l'Assomption, dont il fut l'aumônier, le Saint-Père rappelle la grande figure de leur fondatrice et, après elle, leur recommande une solide formation sociale de la femme, l'union de la religion et de la vie et une foi consciente et vive.

Une grande joie inonde Notre coeur, chères filles, et de bien doux souvenirs reviennent en foule à Notre esprit, en vous voyant, ce matin, religieuses, élèves et anciennes élèves de l'Assomption, rassemblées avec votre vénérée et bien-aimée Mère générale autour de Nous pour Nous manifester votre dévotion et votre amour envers la sainte Eglise et son Chef visible.

Un si réconfortant spectacle Nous rappelle la mémorable audience du 27 mars 1893, au cours de laquelle Notre immortel prédécesseur Léon XIII, accueillant avec bienveillance votre fondatrice et ses compagnes, leur demanda avec une paternelle affabilité : « Vous aimez donc le pape, et vos élèves aussi l'aiment également ? » Et, comme d'une seule voix qui montait pour ainsi dire d'un seul coeur, elles lui en donnaient la fervente assurance : « Très bien, s'écria-t-il, Nous les bénissons toutes ; faites-leur connaître l'Eglise, faites-la-leur aimer. Quant à vous, croissez dans l'esprit de dévouement et de sacrifice. »

Pareille interrogation de Notre part serait aujourd'hui entièrement superflue. Déjà un siècle de dévouement au pape et à l'Eglise constitue pour vous un témoignage plus éloquent que toutes les paroles. Mais, en outre, Nous avons eu aussi Nous-même, personnellement, d'innombrables occasions de connaître votre activité et votre esprit, depuis les années déjà lointaines où il Nous fut donné d'exercer auprès de vous le ministère sacerdotal. Nous revenons volontiers par la pensée à cette époque, et votre présence, qui fait revivre en Nous les chers souvenirs du Corso d'Italia, doit vous donner à vous l'impression d'être ici véritablement dans la maison de votre Protecteur et Père.

La grande figure de Marie-Eugénie de Jésus.

Marie-Eugénie de Jésus, votre fondatrice ! Une femme forte, mulier fortis, dans toute l'acception du mot ; toujours prête à accomplir la volonté divine, profondément pieuse, au coeur débordant d'amour pour le Christ, à l'intelligence puissante, lumineuse, vaste, au caractère ferme, résolu, toujours tendu vers le but déterminé. Telle se profile devant Nos yeux sa grande figure, tandis que vous attendez avec un ardent désir le jour où le Vicaire du Christ, s'il plaît au Seigneur, l'élèvera aux honneurs des autels.

Aussi, religieuses zélées qui poursuivez son oeuvre, quel conseil plus opportun pourrions-Nous vous donner en ce moment que de vous appliquer à imprimer toujours plus fortement dans votre propre vie ses traits et de vous enraciner toujours plus profondément dans votre fidélité à son esprit ?

La situation d'aujourd'hui et d'il y a un siècle.

Mais cet esprit est plus adapté et plus approprié que jamais aux circonstances des temps que nous vivons en ces années, en ces mois, en ces semaines, puisque jamais, peut-être, ces circonstances ne sont apparues, plus qu'à l'heure présente, semblables en de nombreux aspects à celles au milieu desquelles et pour lesquelles Marie-Eugénie de Jésus conçut et réalisa son admirable dessein. Ne doit-on pas reconnaître en cette surprenante coïncidence, à un siècle de distance, un signe qui révèle le génie de votre fondatrice, ou une providentielle disposition d'en haut ? Nous n'hésiterions pas à admettre l'une et l'autre chose.

La société contemporaine, malgré les progrès dont elle s'enorgueillit à juste titre, et les transformations profondes, plus ou moins heureuses, qui en ont été la conséquence, ressemble à celle d'il y a maintenant cent ans, en ce sens qu'elle court vers les mêmes abîmes, qu'elle côtoie déjà dangereusement. Nous ne voulons pas parler ici de la foule, malheureusement trop nombreuse, qui ne pensait qu'au plaisir et s'abandonnait aveuglément aux divertissements frivoles et

licencieux. Cette foule, nous la voyons encore se mouvoir et s'agiter de nos jours comme alors, comme toujours et partout, quand vient à s'affaiblir, avec la foi et la pratique chrétienne, le sentiment religieux.

Mais, à ne considérer que les personnes qui, à la veille des bouleversements de 1848, constituaient la majeure partie de la classe sociale à laquelle appartenait Eugénie Milleret, deux courants se dessinaient, bien différents entre eux. L'un, auquel s'applique, à tort ou à raison, dans un mauvais sens, le nom d'esprit bourgeois, suivait tranquillement la pente douce, soucieuse avant tout de commodité et de bien-être, tandis qu'il donnait aux choses de la religion, en des gestes souvent de pure forme et distraits, à peine le temps strictement requis par les commandements de l'Eglise. L'autre courant entraînait derrière lui des âmes ardentes et enthousiastes qui, indignées par l'injustice qui régnait malheureusement dans le monde et opprimait les corps, les coeurs et les consciences, se jetaient dans la lutte en vue d'une réforme radicale, sans réfléchir ni faire aucun cas de ce qui était raisonnablement possible. Tous les deux, quelque différents que fussent leur allure et leur parcours, menaçaient également de conduire la société humaine à la ruine.

Une solide formation sociale de la femme.

Marie-Eugénie de Jésus, dans ses lettres et ses confidences, qui semblent d'aujourd'hui, montre clairement qu'elle avait su discerner dans les deux courants le bien et le mal, la valeur et le danger. Son regard, aussi riche en vigueur virile qu'en intuition féminine, avait découvert la cause du mal et signalé comment, dans l'une et l'autre partie, le danger avait une commune origine : l'insuffisance, bien plus, le déséquilibre, le manque d'une base solide dans l'éducation intellectuelle, morale, religieuse de la jeunesse, même féminine, et, par conséquent, le manque presque total d'une véritable formation sociale de la femme. Le remède lui apparut bien vite évident : compléter, équilibrer sur son fondement essentiel toute cette éducation. Elle en traça le programme en un exposé récapitulatif dédié au grand éducateur d'alors, Monseigneur Dupanloup, évêque d'Orléans. Elle voulait pour ses filles une vaste culture qui pût unir la langue et la littérature nationales, l'arithmétique et la géographie, l'histoire des peuples et les sciences naturelles, l'histoire de l'Eglise, la lumière de la philosophie, les beautés de l'art, et, point capital, l'instruction religieuse ; une culture qui, plus que l'imagination et le sentiment, devait former l'intelligence à la vérité et à la foi, et conduire la volonté au bien, au renoncement et au sacrifice, pour former le caractère de la femme chrétienne, mais femme sage et forte, courtoise et franche, honorée et active.

La pédagogie de l'Assomption : union de la religion et de la vie, foi consciente et vive.

C'est à cette conception élevée de l'instruction et de l'éducation que Marie-Eugénie de Jésus préparait ses filles, et telle est, chères élèves d'hier et d'aujourd'hui, la formation que vous devez à elle et à l'Institut de l'Assomption, demeuré constamment fidèle à de si hauts principes et à de si hautes méthodes.

De fait, tout l'édifice pédagogique de votre fondatrice repose sur deux colonnes principales. La première est l'union de la religion et de la vie, union qui règne là où la pensée et l'action, là où toute la vie humaine, même publique, ne présente aucune difformité ou dissonance par rapport aux vérités de la foi et à la loi morale, où même elle est en parfaite harmonie avec elles et se laisse intimement imprégner de leur esprit. L'autre est la foi, une foi consciente et vive, non une vague religiosité de pure habitude, de tradition. Assurément, les coutumes religieuses et les pieux usages sont d'un grand prix, mais seulement lorsque de génération en génération ils éveillent, stimulent, soutiennent, développent la vie personnelle de foi. Quelle valeur pourrait bien avoir toute la splendeur des maisons de Dieu, quel but l'habitation même de Dieu parmi les hommes, si ceux-ci ne se souciaient plus d'édifier en eux-mêmes, dans l'intérieur de leur âme, le temple du Seigneur, s'ils ne croyaient plus ?

Avec une extraordinaire clairvoyance, Marie-Eugénie de Jésus avait prévu comment de la stabilité de ces deux colonnes fondamentales devait dépendre l'avenir du monde, non moins pour l'homme que pour la femme. Cent ans se sont écoulés et nous avons aujourd'hui devant les yeux la réalisation de ces prévisions. Ce siècle orgueilleux, qui a surpassé tous les précédents par la multiplicité, la rapidité, l'extension, l'ampleur du progrès matériel, ce siècle des découvertes scientifiques et techniques, des développements économiques, ce siècle du bien-être et de la haute culture, à quelles catastrophes n'a-t-il pas abouti, dans quel gouffre n'a-t-il pas précipité l'humanité ! On pourra, autant qu'on le voudra, rechercher et doser l'importance et la virulence des diverses causes qui ont conduit à une telle calamité ; en définitive, les véritables responsables sont ceux qui, avec obstination, sans trêve, dans tous les domaines et sous toutes les formes, se sont évertués à séparer la religion de la vie et à la bannir toujours davantage des activités et des pensées humaines. Dans la lutte spirituelle qui s'en est suivie, les âmes d'une religiosité purement formaliste ont complètement failli. Seuls, les hommes et les femmes d'une foi vive et profonde ont opposé une résistance efficace. Hommes et femmes : car une autre caractéristique de notre siècle, c'est que la femme, en partie poussée par les conditions économiques, en partie obéissant à sa propre impulsion et volonté, et maintenant aussi par suite des dispositions de la loi, est venue occuper dans la société, dans la vie publique de la nation, une place équivalente à celle de l'homme.

La mission essentielle de la femme.

Prendre en main l'éducation de la jeunesse féminine et former pour la famille, pour le peuple, pour l'Eglise des femmes capables de répondre, grâce à leur foi, aux exigences de leur temps, tel fut l'idéal que se proposa Marie-Eugénie de Jésus, telle fut l'oeuvre qu'elle accomplit.

Sans doute, l'époque où elle vécut, si agitée qu'on la juge, fut moins bouleversée et endeuillée que l'époque actuelle et, pourtant, ce temps eut besoin de pareilles femmes ! Combien plus notre époque en aura-t-elle besoin, alors que partout, même en Italie, sévit une lutte si violente pour la civilisation chrétienne ! L'histoire enseigne que la foi de la femme sauva, durant la tourmente de la Révolution, la France catholique. Aujourd'hui encore, la femme, avec son sens religieux, avec sa force de résistance persévérante et patiente, se voit réserver une mission essentielle à accomplir. Et c'est vous, plus que toutes les autres, qui êtes appelées, grâce à la condition de vos familles et à votre éducation, à marcher à l'avant-garde dans la profession et dans la pratique de votre foi, à soutenir le courage des autres par la parole et par l'exemple, à vous intéresser, avec capacité et compétence, même à la vie politique et sociale, pour faire de vos foyers les cellules vivantes d'une société régénérée dans le Christ.

Voilà, chères filles, ce que Nous souhaitons et demandons particulièrement pour vous à l'Esprit-Saint, par l'intercession de la très glorieuse Vierge Marie, Reine du ciel, tandis qu'avec toute l'effusion de Notre coeur, Nous vous donnons à vous, religieuses, élèves, anciennes élèves, à vos familles, à toutes les personnes qui vous sont chères, à vos oeuvres, à vos études, à vos saintes aspirations, à tout l'Institut de l'Assomption, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1946 - REMERCIEMENT ET CONSÉCRATION A MARIE