Pie XII 1946 - DISCOURS AUX RELIGIEUSES ET AUX ÉLÈVES DE L'INSTITUT DE L'ASSOMPTION


ALLOCUTION AU SACRÉ COLLÈGE

A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE Ier

(1er juin 1946) 1

L'allocution traditionnelle aux cardinaux lors de la Saint-Eugène a fourni au Saint-Père l'occasion de rappeler la mission de l'Eglise, de souligner l'importance des élections qui ont lieu ce même four en France et en Italie, de rappeler le sort malheureux des prisonniers de guerre et des déportés.

Anniversaire de fête.

Une fois encore, la fête du saint Pontife Eugène Ier, fils comme Nous de la Ville éternelle, Nous procure, Vénérables Frères, la joie de Nous trouver parmi vous, dans le cercle intime de Nos collaborateurs les plus directs et les plus assidus.

Tandis que Notre saint patron jouit déjà, depuis environ treize siècles, dans la gloire du Seigneur, de la récompense de ses vertus et de ses oeuvres, pour Nous qui portons ici-bas le poids du suprême ministère apostolique, c'est un vif réconfort de Nous sentir assisté et soutenu par son puissant patronage : mais c'est également pour Nous un grand soulagement, parmi des circonstances aussi douloureuses et des devoirs si ardus, de Nous savoir secondé par votre coopération infatigable et par votre fidélité inaltérable dont votre doyen vénérable — à la vigoureuse fraîcheur démentant le nombre des années — Nous a donné un nouveau témoignage avec son habituelle noblesse de pensée et sa délicatesse de sentiments.

Instabilité et incertitude de l'heure présente.

Nous revenons par la pensée à un an en arrière. Sur toute la surface de l'Europe, les armes étaient enfin déposées ; le tourbillon de la guerre s'était apaisé ; un sentiment d'allégement inondait les coeurs qui, après une si longue et déchirante angoisse, saluaient déjà l'avènement de la paix ; une paix qui, bien qu'encore insuffisante pour combler tous les espoirs légitimes, aurait suffi néanmoins à créer des conditions de vie supportables.

Un an s'est écoulé. Aujourd'hui, on voit clairement que Nous n'avions alors que trop raison de laisser percer dans Nos paroles l'inquiétude de Notre coeur paternel, l'appréhension qui voilait Notre joie ! « De la trêve des armes (disions-Nous en cette même occurrence) à la paix vraie et sincère, le chemin sera ardu et long, trop long pour les aspirations anxieuses d'une humanité affamée d'ordre et de calme. » 2

Depuis ce temps, les efforts, les discussions, les échanges de vues, les contacts, même directs, entre les hommes d'Etat qui ont dans leurs mains les destinées du monde, se sont multipliés. Mais on a souvent l'impression que la paix véritable, une paix qui corresponde aux exigences et aux aspirations de la conscience humaine et chrétienne, s'est plutôt éloignée que rapprochée, s'est plutôt affaiblie et évanouie que consolidée et concrétisée dans une réalité qui inspire confiance.

Plus les papiers s'amoncellent sur les tables des conférences internationales, plus les difficultés et les obstacles qui s'opposent aux solutions moralement justifiables s'accroissent.

Combien prématuré (pour ne pas dire illusoire) nous apparaît aujourd'hui l'espoir que, sans en excepter un seul, tous les hommes responsables, instruits à l'école sanglante de la guerre, se montrent vraiment saisis d'une horreur souveraine à l'égard de toute idée de despotisme, opposés à toute tentative de domination sur les autres peuples imposée par la force !

C'est dans une attitude droite et équitable des puissants envers les faibles que se manifeste l'abandon sincère de l'esprit d'impérialisme et de domination, l'adhésion sérieuse aux principes de la justice. Mais tant que la menace plus ou moins voilée du recours à la violence, ou les pressions, soit politiques, soit économiques, étouffent la voix du droit, il faut bien reconnaître que le premier pas, réel et résolu, vers une paix juste, n'a pas encore été fait.

2 Cf. Documents Pontificaux 1945, p. 135.

Comment pourrions-nous dès lors nous étonner que le manque de sécurité, qu'une situation précaire et faite d'incertitude pèsent lourdement sur l'esprit des peuples ? Comment nous étonner qu'un sentiment général de malaise, de mécontentement, de défiance, empoisonne l'air, coupe les ailes aux nobles entreprises, engourdisse les bonnes volontés, étouffe l'esprit de générosité et de dévouement nécessaire pour une restauration effective ? Comment pourrions-nous nous étonner que, troublant les relations internationales, tout comme les situations intérieures des peuples, cette même instabilité et cette incertitude enveniment les luttes de partis et les conflits d'intérêts, en accroissent l'âpreté, exaspèrent les passions jusqu'à préparer et provoquer en un obscur lendemain leur violente explosion ?

La tâche ardue de l'Eglise.

La tâche toujours grave qui revient à l'Eglise d'inculquer à tous l'esprit de conscience, la rectitude, la modération, le respect de la vérité et du droit, est plus ardue et ingrate que jamais dans les temps d'agitation et de crise, mais elle est pour cela même doublement importante et urgente.

En effet, lorsque le flot des compétitions et des rivalités humaines surgit, menaçant comme un raz de marée ; lorsque, dans la chaleur de la lutte, l'entente éphémère, dictée uniquement par les intérêts économiques et politiques, risque de faire perdre le sentiment de la fraternité chrétienne véritable ; lorsque les forces de la révolution et de l'athéisme s'emploient à conduire, comme un troupeau privé de raison, les masses abusées, en leur cachant sous des apparences trompeuses le but vers lequel elles les poussent spécialement dans le domaine moral et religieux, il est d'autant plus nécessaire que du phare élevé de l'Eglise rayonne dans toute sa puissance la lumière du Christ, pour éclairer le chemin et indiquer nettement les limites au-delà desquelles, à droite et à gauche, les récifs et les ressacs risquent de déchirer et d'engloutir le navire.

Sans doute, les amères expériences de la guerre, les déceptions de l'après-guerre, les prévisions d'un avenir si pauvre en espoirs placent l'Eglise, dans l'accomplissement de sa tâche, en présence de foules sans cesse croissantes d'hommes dont la misère a épuisé les forces, diminué la vigueur, affaibli les énergies d'autrefois.

Exhortation à la confiance et a» courage.

Ce n'est pas cependant une raison pour se laisser effrayer et abattre ou pour perdre de vue la réalité dans son ensemble. C'est pourquoi Nous ne Nous lasserons pas de répéter à Nos fils et à Nos filles, ainsi qu'à tous ceux qui nourrissent des sentiments semblables aux leurs : Ayez confiance ! Ne vous découragez pas ! Vous êtes nombreux, plus nombreux que les apparences ne sembleraient l'indiquer, tandis que d'autres, par leurs bravades et leurs exigences, cherchent à grossir trompeusement le potentiel d'action de leurs troupes. Vous êtes forts, plus forts que vos adversaires, parce que vos convictions intimes — et celles-ci l'emportent sur tout — sont vraies, sincères, solides, fondées sur des principes éternels et non sur de fausses conceptions, sur des fondements erronés, sur des maximes fallacieuses, sur des impressions ou les avantages du moment. Dieu est avec vous !

Avec une profonde humilité, mais en même temps avec la plus vive reconnaissance envers Dieu, Nous pouvons bien parler de la protection que le Seigneur n'a cessé d'accorder à son Eglise pour la défendre et lui permettre de soutenir victorieusement les rafales des dernières années, particulièrement du temps de guerre, sur toute la superficie du globe. Nous avons sous les yeux les rapports qui Nous parviennent du monde entier et, malgré toutes les contradictions, malgré les défections qui ont pu se produire, il Nous est permis d'affirmer : l'Eglise, dans tout son ensemble, demeure unie et ferme, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Partout où — soit à l'occasion de persécutions conscientes et systématiques, soit par suite des brutales destructions de la guerre — elle s'est trouvée privée de tout appui visible ou dépouillée de ses biens légitimes, elle a vu se resserrer toujours plus étroite l'union des fidèles et leur zèle brûler d'une ardeur toujours plus vive. Et, sinon partout, du moins dans la plupart des cas, elle est sortie de la tourmente avec la vigueur d'une jeunesse renouvelée. On dirait qu'à la lumière des terribles événements des dernières années qui évoquaient à l'esprit l'image du Jugement dernier, les enfants de l'Eglise — aussi bien dans les pays de mission que dans les vieilles régions catholiques — ont, pour ainsi dire, expérimenté sensiblement la vérité de leur foi, la valeur imprescriptible de la pensée chrétienne.

Quant aux oeuvres de charité, au courage et à l'héroïsme jusqu'à l'effusion du sang pour la foi, Nous n'hésitons pas à déclarer que l'Eglise d'aujourd'hui peut bien soutenir la comparaison avec celle du passé.

Il est, par conséquent, d'une importance capitale, à l'heure présente, que les catholiques et tous ceux qui reconnaissent et adorent un Dieu personnel et observent son Décalogue ne se laissent pour rien au monde intimider, mais qu'ils aient conscience de leur propre force.

L'Eglise proclame et protège la vraie liberté.

Qu'ils connaissent donc bien tout ce qu'eux, et eux seulement, peuvent réellement et efficacement apporter comme contribution à l'oeuvre de reconstruction, persuadés en même temps que cette oeuvre ne pourra jamais aboutir à un heureux résultat si elle n'est pas fondée sur le droit, sur l'ordre et sur la liberté. Sur la liberté, voulons-Nous dire, de tendre à ce qui est vrai et bon, sur une liberté qui soit en harmonie avec le bien-être de chaque peuple en particulier et de toute la grande famille des peuples. Cette liberté, l'Eglise l'a toujours proclamée, protégée et vengée.

Voilà déjà plus de soixante ans que Notre grand prédécesseur Léon XIII invoquait le témoignage de l'histoire pour montrer l'Eglise constamment préoccupée de protéger les peuples contre le despotisme des princes insouciants du bien commun, de défendre les communes et les familles contre les injustes ingérences de l'Etat, de soutenir la dignité de la personne humaine et les droits de chaque citoyen 3.

Les dernières décades n'ont-elles pas donné à ces affirmations une nouvelle et convaincante confirmation ?

Considération sur la journée de demain.

Dès demain, les citoyens de deux grandes nations4 accourront en foule compacte aux urnes électorales. Au fond, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de savoir si l'une et l'autre de ces deux nations, de ces deux soeurs latines, de civilisation chrétienne ultramillénaire, continueront à s'appuyer sur la solide roche du christianisme, sur la reconnaissance d'un Dieu personnel, sur la croyance à la dignité spirituelle et en l'éternelle destinée de l'homme, ou si, au contraire, elles entendent

3 Cf. encycl. Immortale Dei, du 19 novembre 1885 ; Leonis XIII Acta, vol. V, p. 142.

4 II s'agit de la France et de l'Italie. Le 2 juin 1946, élections en France des membres d'une nouvelle Assemblée constituante (cf. D. C, t. XLIII, Col 631) ; en Italie, vote par voie de referendum au sujet du régime constitutionnel du pays (maintien de la monarchie ou instauration de la République), vote pour élire les membres de l'Assemblée constituante chargée d'élaborer la nouvelle Constitution de l'Italie.

remettre le sort de leur avenir à l'impassible toute-puissance d'un Etat matérialiste, sans idéal surnaturel, sans religion et sans Dieu.

De ces deux cas, l'un ou l'autre se réalisera, selon que sortiront victorieux des urnes les noms des champions ou les noms des destructeurs de la civilisation chrétienne. La réponse est entre les mains des électeurs ; ce sont eux qui en portent la noble, mais combien grave responsabilité !

D'un côté, en effet, c'est l'esprit de domination, l'absolutisme de l'Etat, qui prétend avoir en main tous les « leviers de commande » de la machine politique, sociale, économique, dont les hommes, ces créatures vivantes faites à l'image de Dieu et participant par adoption à la vie même de Dieu, ne seraient plus que des rouages inanimés. De son côté, par contre, l'Eglise se dresse, sereine et calme, mais résolue et prête à repousser toute attaque. Elle, en bonne mère, tendre et charitable, ne cherche pas, oh ! non, la lutte ; mais, précisément parce qu'elle est mère, elle est plus ferme, plus indomptable, plus inébranlable, avec les seules forces morales de son amour, qu'avec toutes les forces matérielles, lorsqu'il s'agit de défendre la dignité, l'intégrité, la vie, la liberté, l'honneur, le salut éternel de ses enfants.

Le sort des prisonniers de guerre et des déportés.

Et maintenant, Vénérables Frères, après avoir goûté avec vous la douceur intime de cette fête, comment pourrions-Nous vous quitter sans tourner Notre pensée vers tant et tant d'autres de Nos fils que la guerre et l'après-guerre privent, depuis de longues années déjà, de toute joie familiale ? Les jours de fête, les anniversaires de famille leur font sentir, encore plus douloureusement que les autres jours, l'amertume de l'exil. Nous voulons parler des prisonniers de guerre et des internés civils ; puis de ceux qui, après avoir été dépouillés, parfois jusqu'au dernier centime, de leurs économies, ont été chassés de leurs foyers et de la terre natale ; de ceux enfin, isolés ou en groupes errants, qui n'ont pas le courage de retourner dans leurs anciennes demeures (en réalité, dans les circonstances présentes, elles ne sont plus telles pour eux) et qui cherchent anxieusement à se créer ailleurs un nouveau foyer.

Nous avons récemment parlé d'eux dans Notre dernier message de Noël5 et dans le discours au corps diplomatique réuni

5 Cf. Documents Pontificaux 1945, p. 396.

autour de Nous en février dernier6. Bien volontiers, certes, Nous reconnaissons que, au cours des mois qui viennent de s'écouler, d'importants contingents de prisonniers de guerre ont été rapatriés. Si donc, aujourd'hui, Nous parlons de nouveau de ces centaines de milliers d'hommes retenus encore en captivité et des malheureux sans patrie ni toit, c'est parce que Nous Nous y sentons poussé par d'innombrables suppliques implorant Notre intervention et parce qu'un tel état de choses réclame impérieusement un secours urgent et efficace.

Pour les prisonniers de guerre, ces multiples et pressants appels nous parviennent de toutes les classes sociales. Ce sont des mères qui désirent ardemment revoir le fils qui est loin ; ce sont des épouses qui ne peuvent plus supporter le poids des nécessités familiales pesant sur leurs faibles forces désormais épuisées ; ce sont des enfants qui attendent en vain le réconfortant sourire et l'aide forte du père qui les forme et les prépare pour les dures exigences de la vie. Des communautés de citoyens et des autorités publiques demandent le retour de la jeunesse, qui est la force la meilleure pour pouvoir entreprendre et faire progresser l'oeuvre de reconstruction de leurs propres pays, à laquelle est liée la restauration générale de la société des nations.

Parmi ces prisonniers, certains, de tout jeunes gens, enrôlés en masse immédiatement avant la fin de la guerre, se sont vus, sans avoir jamais manié un fusil, jetés dans un camp de concentration. Quant aux autres, encore bien nombreux, éloignés depuis sept ans de leur pays, ils en ont déjà passé peut-être cinq ou six à languir en captivité ou à traîner misérablement leur vie dans les équipes de travail. Nous n'ignorons pas que les textes rigides du droit international n'obligent le vainqueur à libérer les prisonniers qu'après la conclusion de la paix. Mais les besoins spirituels et moraux des prisonniers eux-mêmes et de leurs parents s'aggravent de jour en jour ; les droits sacrés du mariage et de la famille crient vers le ciel plus haut et plus fort que tous les textes juridiques et exigent qu'on mette enfin un terme au régime des camps de prisonniers et de concentration. Que si l'un ou l'autre des Etats vainqueurs, pour des motifs d'ordre économique, estimait ne pouvoir renoncer aux bras de ces travailleurs, il y aurait lieu de bien considérer si un tel avantage ne serait pas aussi bien ou même mieux assuré, en remplaçant ces travailleurs par des hommes libres du même pays que les prisonniers, à des conditions justes et humaines de traitement et de travail.

8 Cf. discours du 25 février 1946 ; ci-dessus, p. 83.

Nous n'ignorons pas non plus une autre difficulté invoquée plus d'une fois pour justifier les douloureux retards des rapatriements, à savoir le manque de navires et les nécessités urgentes d'autres transports. Toutefois, Nous ne pouvons pas ne pas souhaiter que la pitié humaine et la sagesse civique, au nom desquelles les rapatriements doivent tenir à coeur à tous, priment tous les autres calculs et intérêts, même légitimes, et sachent suggérer les mesures opportunes pour concilier la restitution à leurs foyers des prisonniers déportés outremer, avec les exigences du trafic de l'après-guerre.

Quant aux autres catégories de personnes expatriées ou de gens obligés de toute façon de demeurer loin de leur pays, parfois dans des régions qui ont déjà une population supérieure à celle que, en temps normal, leur agriculture et leur industrie peuvent nourrir, il serait nécessaire de prévoir le placement de ces malheureux dans les pays d'outre-mer, et Nous avons la ferme confiance que les Etats et les continents capables de les accueillir ne manqueront pas de leur ouvrir leurs portes et d'accomplir ainsi une oeuvre de si haute et si chrétienne charité.

Pour la fête du Sacré Coeur de Jésus.

Aujourd'hui, en ce premier jour du mois consacré d'une façon spéciale à la dévotion au Très Sacré Coeur de Jésus, Nous éprouvons, encore plus sensiblement que d'ordinaire, une immense douleur en voyant la société humaine éloignée plus que jamais du Christ, et en même temps une indicible compassion au spectacle des calamités sans précédent qui l'affligent à cause de son apostasie. C'est pourquoi Nous Nous sentons incité à élever de nouveau Notre voix pour rappeler à Nos fils et à Nos filles du monde catholique l'avertissement que le divin Sauveur n'a cessé de répéter à travers les siècles dans les révélations aux âmes privilégiées qu'il a daigné choisir pour ses messagères : désarmez la justice punitive du Seigneur par une croisade d'expiation dans le monde entier ; opposez à la troupe de ceux qui blasphèment le nom de Dieu et transgressent sa loi une ligue mondiale de tous ceux qui lui rendent l'honneur dû et offrent à sa Majesté outragée le tribut d'hommage, de sacrifice et de réparation que tant d'autres lui refusent.

Notre ardent désir, Notre intention expresse est donc que le mois commençant aujourd'hui et qui, cette année, se terminera par la célébration de la fête solennelle du Sacré Coeur de Jésus, en soit tout entier une dévote et fervente préparation, surtout en accomplissant pratiquement, par des actes de piété, de charité et de pénitence, cette grande oeuvre d'expiation et de réparation. Nous avons confiance dans le zèle de Nos Vénérables Frères dans l'épiscopat, des prêtres, des religieux, des membres de l'Action catholique, spécialement de la jeunesse, pour faire jaillir des coeurs des fidèles enfants de l'Eglise universelle le Confiteor de l'humilité, du repentir, du recours confiant à la miséricorde divine, avec une telle sincérité, une telle ardeur, une telle intensité d'esprit que Celui qui est multus ad ignoscendum (Is., lv, 7), qui est large dans ses pardons, soit pour ainsi dire forcé d'accomplir en faveur du peuple de la Nouvelle Alliance la promesse jadis faite par la bouche du prophète au peuple d'Israël : Revertere, aversatrix Israël, ait Dominus, et non avertam faciem meam a vobis, quia sanctus ego sum, dicit Dominus, et non irascar in perpetuum ; « Reviens, rebelle Israël, oracle de Yahvé. Je n'aurai plus pour toi un visage sévère, car je suis miséricordieux, oracle de Yahvé. Je ne garde pas rancune éternelle» (Jr 3,12).

Avec l'espoir intime que cette confession et cette profession du monde entier, présentées au Père céleste par le Coeur de Jésus qui est propitiatio pro peccatis nostris, pax et reconciliatio nostra 7, en apaiseront la justice et attireront sur toute la famille humaine la largesse de ses grâces, Nous vous donnons à vous, Vénérables Frères, à tous ceux qui sont vôtres dans le Seigneur, à tous ceux qui sont avec vous en communion de pensée et de sentiments, Notre Bénédiction apostolique.

Litanies du Sacré Coeur de Jésus.

LETTRE A S. EM. LE CARDINAL DE JONG, ARCHEVÊQUE D'UTRECHT, A L'OCCASION DU CONGRÈS NATIONAL CÉLÉBRANT LE VIe CENTENAIRE DU MIRACLE EUCHARISTIQUE D'AMSTERDAM

(2 juin 1946) 1

Au cours de l'année qui vient de s'écouler, s'est achevé heureusement le VIe centenaire du miracle eucharistique qui, selon la tradition, s'est produit à Amsterdam, cette ville si célèbre de la Hollande. Ce miracle est depuis lors rappelé chaque année par des milliers d'hommes qui se rendent en procession en ce lieu avec une piété singulière et une gravité remarquable. Les difficultés qui ont été les conséquences de la guerre atroce n'ont pas permis de donner à la commémoration de ce prodige une solennité spéciale. Mais maintenant que les conditions de la vie publique se sont améliorées, les catholiques de Hollande ont très opportunément, sous votre inspiration et celle de l'évêque de Harlem, formé le projet de réunir à Amsterdam au cours de ce mois un congrès eucharistique national pour commémorer solennellement ce miracle. L'ardeur et la vivacité de la foi et de la charité dont les catholiques de Hollande ont constamment brillé est bien connue et ils en ont laissé un exemple splendide lors du congrès eucharistique international célébré il y a vingt-deux ans. C'est pourquoi non seulement Nous accordons un éloge mérité à la décision prise, mais Nous accompagnons de Nos voeux et de Nos souhaits cette prochaine solennité en l'honneur de l'auguste Sacrement. Enfin Nous avons confiance que la foi et la religion de ces fils vertueux en recevront

1 D'après le texte latin des A. A. S-, XXXVIII, 1946, p. 273.


ARCHEVÊQUE D'UTRECHT

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un nouvel accroissement salutaire et qu'ils en retireront de nouvelles forces pour remplir leur devoir et avant tout pour réparer avec un zèle accru les pertes et les ruines de la récente guerre surtout dans l'ordre moral et social.

Que la Bénédiction apostolique que très affectueusement Nous vous accordons dans le Seigneur à vous, Notre cher Fils, à l'érninent évêque d'Harlem, aux autres êvêques de Hollande et à tous vos troupeaux soit la messagère des dons célestes qu'elle doit vous procurer, et le témoignage de Notre particulière charité.


LETTRE AU MODÉRATEUR GÉNÉRAL DE L'ORDRE DES FRÈRES ERMITES DE SAINT-AUGUSTIN

(5 juin 1946) 1

A l'occasion de la canonisation de saint Nicolas de Tolentino, le Saint-Père a adressé la lettre suivante au R. P. Pasquini, modérateur général de l'ordre des Frères ermites de Saint-Augustin :

II y a cinq siècles, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Eugène IV, entouré d'une foule immense de clergé et de peuple, dans la majesté de la Basilique vatioane, éleva au rang des saints par un rite solennel cet insigne héros de la vertu chrétienne, Nicolas de Tolentino. Nous avons appris que vous désiriez vivement commémorer cet événement célèbre par des solennités opportunes ; et vous avez manifesté le désir que Nous y participions de quelque manière. Nous le faisons très volontiers par cette lettre en rappelant brièvement à la mémoire cet ornement insigne de l'Ordre augustinien, qui a produit tant de fruits abondants et salutaires pour l'Eglise et la société civile. Vivant en des temps très troublés, cet homme se dressa en ami de la paix et de la concorde fraternelle et en zélé conciliateur ; alors que de nombreux hommes en privé ou en public se roulaient facilement dans les voluptés et qu'il n'était pas rare qu'ils se jetassent dans les désordres du vice, lui-même « vertueux, chaste, modeste, réservé, d'une figure angélique » 2, non seulement crucifia sa propre chair en châtiant son corps par des jeûnes, des veilles, des prières et de dures mortifications »3 pour éviter les concupiscences et les

1 D'après le texte latin de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 445.

2 Rapport du procès canonique au Consistoire ; Ms. Vat. Lat. 4027, f. 9, 9V. S Ibid., f. 3*.


ORDRE DES FRÈRES ERMITES DE SAINT-AUGUSTIN

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tentations mauvaises, mais il s'efforça, en outre, à ramener, et souvent avec succès, à une vie rangée et honnête tous ceux qu'il pouvait atteindre soit par des discours, soit par de prudents avis et conseils, surtout au tribunal de la pénitence. Il était d'une charité si intense envers Dieu, si ardente envers le prochain qu'il faisait ses délices de porter secours selon ses moyens aux nécessiteux, dans lesquels il voyait le divin Rédempteur lui-même ; il cherchait à consoler avec amour et douceur tous ceux qu'il savait atteints d'infirmités, d'épreuves ou de tout genre de misères. D'autre part, il passait de longues heures assidu à la prière au point qu'il paraissait comme dégagé des sens et animé d'un souffle surnaturel et doucement ravi en Dieu. Quoiqu'il fût tiraillé par des travaux apostoliques et des affaires variées, il était cependant si étroitement uni à Dieu d'âme et d'esprit qu'il paraissait vivre déjà d'une vie céleste sur cette terre et qu'on aurait pu réellement lui appliquer la parole de l'Apôtre des gentils : « Je vis, mais ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 11,20). Il était porté par la piété la plus instante vers le divin Rédempteur attaché à la croix et il ne souhaitait rien tant que de passer de très longues heures devant son image sacrée en versant des larmes abondantes sur ses tourments et ses douleurs arriéres.

Comme un fils très aimant, c'est avec ferveur qu'il vénérait la Vierge Mère de Dieu et il se faisait un devoir de remettre avec pleine confiance à son puissant patronage tout ce qui lui paraissait plus difficile et plus ardu. Ce n'est pas avec un moindre élan de charité qu'il portait secours aux âmes des défunts souffrant dans le feu expiatoire ; pour venir à leur secours non seulement il présentait à Dieu ses propres prières, ses labeurs, ses sacrifices et ses souffrances, mais par d'ardentes exhortations il en engageait aussi d'autres à en faire autant de bon gré. Mais rien ne lui était plus doux et plus agréable que d'être en adoration à deux genoux devant le Saint Sacrement et le front courbé vers la terre, pour lui demander le feu céleste capable d'embraser de la flamme de la charité chrétienne le monde qui se refroidit et pour obtenir les forces surnaturelles qui assureront son salut éternel et le salut de tous les autres.

Dans ses brillantes vertus et dans ses saintes actions, vous avez de quoi ranimer l'ardeur de votre vie religieuse et le zèle de votre activité apostolique ; les fidèles aussi auxquels seront opportunément présentés à l'occasion de cette solennité ses admirables faits de sainteté auront de quoi être grandement excités à mettre en pratique chaque jour plus largement et plus joyeusement les préceptes chrétiens, à stimuler le mutuel retour à la concorde et à la piété, à promouvoir les entreprises de charité, aujourd'hui surtout où elles sont plus que jamais nécessaires. Nous implorons de Dieu par Nos voeux et par Nos prières, la réalisation de ces voeux. En gage des grâces célestes et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous accordons bien volontiers la Bénédiction apostolique dans le Seigneur à vous, cher fils, et à toute la famille religieuse confiée à vos soins.


ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DU PORTUGAL

(8 juin 1946) 1

Répondant à l'adresse de S. Exc. le Dr Pedro de Lemos Tovar, nouvel ambassadeur du Portugal, venu lui présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife prononça cette allocution :

Les sentiments dont est animée Votre Excellence en Nous remettant les lettres qui l'accréditent ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République portugaise, et que Votre Excellence a exprimés en termes si sincères et si nobles, trouvent en Nous une profonde compréhension et une entière correspondance.

Après la longue et fructueuse carrière diplomatique au cours de laquelle Votre Excellence a rendu à son pays de signalés services, les desseins de la divine Providence et la confiance particulière de votre gouvernement vous ont conduit dans Notre Ville éternelle, mère de la civilisation latine et chrétienne, de la fécondité de laquelle les nations ibériques ont reçu des bienfaits fonciers et durables, non seulement pour leur propre bien, mais encore pour celui de l'humanité tout entière.

Deux événements récents ont attiré vers la patrie de Votre Excellence les regards fervents et reconnaissants du monde catholique tout entier : les fêtes jubilaires de Fatima et la proclamation du titre de Docteur de l'Eglise universelle, décerné au grand fils de Lisbonne, saint Antoine, flambeau de science et de sainteté, dont le Portugal et l'Italie peuvent, avec des droits égaux, s'enorgueillir justement.

C'est à un moment bien important qu'il échoit à Votre Excellence d'inaugurer, au centre du christianisme, sa haute charge de repré-

sentant du Portugal ; d'un peuple dont l'étroite union avec le Siège apostolique s'est manifestée clairement aux temps de son antique puissance et grandeur ; d'un peuple dont la plus grande partie a su, même aux jours de trouble et d'agitation, rester fidèle à ses traditions catholiques, contribuant ainsi au maintien des principes spirituels fondamentaux qui devaient plus tard servir de base pour les jours meilleurs qui suivirent.

Aujourd'hui, les relations entre l'Eglise et l'Etat, au Portugal, sont caractérisées et animées par un mutuel respect et une confiance réciproque.

Le Concordat, conclu en 1940, conjointement avec l'Accord missionnaire, avait pour but, ainsi qu'on le lit dans le préambule, « de régler par un mutuel accord et de manière stable la situation juridique de l'Eglise catholique au Portugal, pour la paix et le plus grand bien de l'Eglise et de l'Etat ».

La vitalité et l'efficacité de ces accords ne consistent pas uniquement dans la pondération, dans la correction et dans la clarté des formules juridiques. Sa véritable force vitale se fonde surtout sur la certitude confiante, d'ailleurs confirmée par l'expérience, de voir qu'à la propre et loyale observance des engagements répondra une égale fidélité de la part de l'autre partie contractante.

Actuellement, toutes les personnes sensées et droites reconnaissent volontiers que la conclusion de ces accords ne fut pas un événement de caractère temporaire et passager, mais un acte historique qui correspond au véritable bien de la nation portugaise et dont l'immense importance a pénétré toujours davantage dans la conscience de la grande majorité du peuple.

Ces jours bénis des fêtes commémoratives de Fatima, dont Notre cardinal légat Nous a fait à son retour un émouvant et consolant rapport, Nous donnent la certitude que le peuple croyant portugais, profondément dévot à sa céleste patronne, sent et sait où se trouvent, en ce temps d'incroyables difficultés pour tous les peuples, les plus profondes et solides racines de sa force, à savoir : dans la fidélité à ces vérités de foi et à ces valeurs spirituelles qui ont constitué jadis pour vos ancêtres l'appui et le soutien sur le chemin souvent bien rude de l'existence, et dans la vigueur renouvelée d'un christianisme actif qui a le courage de ne laisser ni léser ni violer, dans quelque domaine que ce soit de la vie privée ou publique, sociale ou économique, nationale ou supranationale, le droit divin contenu dans la loi naturelle ou dans la Révélation.

Cependant, le peuple portugais qui sut malgré tout se tenir à


AMBASSADEUR DU PORTUGAL

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l'écart du formidable conflit, ne sera pas, lui non plus, dispensé d'affronter la solution des multiples problèmes de l'après-guerre. Nous nourrissons en Notre coeur le désir et l'espoir que sa contribution à cette oeuvre d'une importance européenne et mondiale pourra servir, elle aussi, à imprimer une forte et durable impulsion à la résurrection de l'esprit de fraternité entre les nations et à dissiper les méfiances mutuelles qui retardent aujourd'hui l'instauration d'une véritable paix.

Dans cette attente, au moment où Votre Excellence prend possession de sa haute charge, Nous lui souhaitons cordialement la bienvenue, et en appelant la protection et la grâce du Tout-Puissant sur les personnes de PExcellentissime Monsieur le président de la République, du chef et des membres du gouvernement, ainsi que sur toute la nation portugaise, Nous donnons de tout coeur, à Votre Excellence, la Bénédiction apostolique implorée.


BREF APOSTOLIQUE PROCLAMANT SAINTE ODILE PATRONNE CÉLESTE ET PRINCIPALE DE L'ALSACE

(10 juin 1946)1

C'est la mission propre du Siège apostolique de favoriser et d'affermir la piété et la dévotion des chrétiens fidèles, même à l'égard des serviteurs et des servantes de Dieu qui se sont efforcés de faire progresser sur terre, par tous leurs moyens, le culte et la gloire du Très-Haut.

Parmi eux se trouve honorée d'un culte spécial dans tout le diocèse de Strasbourg, aux confins de la France, et entourée d'une particulière vénération, l'illustre abbesse, la vierge sainte Odile, qui, dans le monastère de Hohenbourg, établi au sommet d'une montagne, vécut dans la plus haute sainteté, s'illustra et s'illustre encore par ses miracles.

C'est vers ce monastère que, dans l'élan de leur piété, accourent de toutes les régions voisines des foules de fidèles, surtout depuis le jour où le très regretté Mgr Charles Ruch, qui fut durant de si longues années le saint pasteur du diocèse de Strasbourg, fit de ce monastère le centre privilégié de l'adoration publique du Très Saint Sacrement.

C'est pourquoi il Nous plaît d'accueillir les instantes prières de Notre Vénérable Frère Julien Weber, l'actuel évêque de Strasbourg, unies à celles du Chapitre de la cathédrale, à celles de tout le clergé et des fidèles, qui Nous sollicitaient de bien vouloir déclarer perpétuelle et céleste patronne de l'Alsace tout entière la vierge

1 D'après le texte français (traduit du latin) des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 298.


Pie XII 1946 - DISCOURS AUX RELIGIEUSES ET AUX ÉLÈVES DE L'INSTITUT DE L'ASSOMPTION