Pie XII 1946 - FÉDÉRATION UNIVERSITAIRE CATHOLIQUE D'ITALIE


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A L'ASSISTANT CENTRAL DE L'ASSOCIATION DES SCOUTS CATHOLIQUES D'ITALIE

(2 septembre 1946) 1

Cette lettre de S. Exc. Mgr Montini, substitut de la Secrétairerie d'Etat, a été adressée à Mgr S. Pignedoli, assistant central de l'Association des scouts catholiques italiens, à l'occasion de son XIIe Congrès général et du rassemblement national.

Le Saint-Père a appris avec une paternelle satisfaction que les dirigeants de l'Association des scouts catholiques italiens s'apprêtent à tenir prochainement leur XIIe conseil général, suivi d'un congrès national d'assistants et de dirigeants, ainsi que d'un camp auquel participeront des éclaireurs catholiques de toutes les régions d'Italie.

L'auguste pontife, qui a accueilli de tout coeur le désir exprimé par ceux qui prendront part à ces journées de monter jusqu'à sa résidence de Castelgandolfo pour lui présenter leur filial hommage, veut également que sa bénédiction inaugure les travaux en question.

Il n'a pas échappé à l'attention affectueuse de Sa Sainteté, qui s'intéresse vivement à l'éducation chrétienne de la jeunesse, combien ce double congrès est important. Il s'agit, en effet, pour le conseil général, de reviser et de mettre à jour les statuts de l'Association qui, s'ils ont fait leurs heureuses preuves dans le passé, peuvent cependant admettre des amendements sur certains points particuliers.

Et puis, le congrès des dirigeants comme aussi le camp des éclaireurs ont pour but de renforcer par la fraternelle cordialité et la sage émulation qui caractérisent ces rencontres cet esprit de famille chrétienne qui rend si chère à tous l'Association scoute.

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano, du 5 septembre 1946 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 304.

Le Saint-Père se réjouit donc de cette joyeuse affluence de jeunes gens à Rome, qui mettra en lumière les généreux sentiments avec lesquels on accueille et suit cette association.

Aussi, afin de répondre dignement à une si haute attente, les dirigeants de l'Association des scouts catholiques italiens ne manqueront pas de faire tous leurs efforts pour que leur association, qu'ils ont reprise en main, soit des plus florissantes.

Que son principal soin soit de travailler en profondeur, en formant des caractères sûrs et forts de jeunes gens capables de résister aux frivoles attractions du monde, et prêts à montrer en toute circonstance leur maîtrise d'eux-mêmes.

Qu'ils enseignent (et que leur leçon bienfaisante profite à tant de jeunes gens qui vivent loin de Jésus-Christ), par l'exemple surtout, puis par les moyens dont dispose leur méthode d'éducation nettement interprétée dans un sens catholique, que la vraie joie de la vie n'est pas celle qui résulte des satisfactions vaines ou mauvaises, mais plutôt celle qui naît du service de Dieu dans les choses simples et bonnes, dans les jeux innocents et utiles, dans l'amour des beautés de la création, dans les humbles devoirs de l'école et du travail, dans le viril effort quotidien apporté à conserver et à accroître en soi la grâce du Seigneur, même lorsqu'il en coûte des fatigues et des renoncements.

Qu'ils rappellent ensuite, sans se lasser, aux jeunes gens, leur très noble idéal de servir le prochain.

Le Saint-Père a surtout à coeur (lui qui voit avec une vive douleur les égoïsmes et les haines de la guerre) que la paix revienne dans la charité et que les hommes finissent par se reconnaître comme frères.

Que la tâche enviée de l'Association des scouts catholiques italiens, des dirigeants jusqu'aux plus petits, soit de ramener l'amour parmi les hommes, en donnant l'exemple d'un généreux désintéressement, d'une collaboration large et généreuse avec toutes les associations catholiques de jeunesse, d'initiatives toutes spontanées et prêtes à secourir ceux qui sont dans le besoin.

Et puisque les éclaireurs prennent facilement contact avec les membres ides associations scoutes d'autres pays, parfois même d'une autre croyance, qu'ils aient soin d'apporter dans ces rencontres fraternelles toute la force d'une âme catholique, qui voit dans les hommes l'image divine du Christ et voudrait les conquérir tous au Christ.

Programme immense que celui qui vient d'être exposé et qui


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exige les énergies les plus riches. Personne, certes, ne peut prétendre qu'il sera réalisé en peu de mois. C'est l'oeuvre de plusieurs années et qui requiert la positive et intelligente collaboration de tous les éducateurs. Il faut, en outre, précisément à cause de sa richesse complexe, que ce programme passe grâce aux dirigeants dans la vie pratique, non pas au hasard ou par suite d'initiatives de fortune, mais grâce à des programmes élaborés avec un sérieux scientifique et à un travail constant et méthodique dont le but est de faire des conquêtes toujours plus larges et jamais hâtives.

Il Nous vient tout naturellement l'idée de rappeler que les résultats d'un tel travail, surtout dans une association scoute, ne seront féconds que si les dirigeants 'les ont techniquement et spirituellement bien préparés. Aujourd'hui plus que jamais, il serait dangereux que les dirigeants d'une oeuvre si utile à la société et à l'Eglise mènent une vie ¦chrétienne relâchée et sans énergie intérieure. Il faut des personnes qui aient des moeurs austères et une piété sûre, qui connaissent toujours mieux la vérité par la méditation, qui vivent intensément dans la grâce de Dieu par la fréquentation des sacrements, qui donnent un franc exemple de loyauté par l'obéissance fidèle à l'Eglise et la courageuse profession de leur foi.

A ces conditions seulement, les garçons et les jeunes gens (qui, parfois, sauront mieux que les adultes découvrir les marques authentiques du bien) auront confiance en leurs dirigeants et suivront la trace de leurs pas.

Enfin, le Saint-Père appelle sur ses fils dévots, assistants, dirigeants et éclaireurs, qui tant de fois et avec un si louable élan ont désiré être près de lui et se montrer les plus fidèles serviteurs de l'Eglise, une large Bénédiction céleste, qu'il veut voir étendue aussi à tous les éclaireurs d'Italie et du monde.


LETTRE A L'ADMINISTRATEUR APOSTOLIQUE DE LOURDES, POUR LE PÈLERINAGE DES ANCIENS PRISONNIERS DE GUERRE ET DÉPORTÉS DE FRANCE

(4 septembre 1946) 1

Pour accomplir une promesse faite dans les camps de concentration, soixante-dix mille anciens prisonniers de guerre et déportés français se sont retrouvés à Lourdes le jour de la Nativité de la Sainte Vierge, le 8 septembre 1946. C'est à cette occasion que le Saint-Père a daigné adresser la lettre suivante à S. Exc. Mgr Théas, administrateur apostolique de Lourdes :

C'est avec une vive émotion que Nous Nous rendons en esprit parmi Nos chers fils, anciens prisonniers et déportés, revenus, comme parle l'Apocalypse, d'une grande tribulation, au fort de laquelle vous avez fait le voeu à notre Reine et Mère du ciel d'un pèlerinage d'action de grâces, que vous accomplissez en cette douce fête de sa Nativité. Comment n'en serions-Nous pas profondément touché Nous-même, qui, lors du Jubilé de la Rédemption, il y a onze ans déjà, rendions, au nom de Notre vénéré prédécesseur Pie XI, un semblable hommage à la Vierge de Lourdes, consacrant par avance à son Coeur Immaculé vos personnes, vos familles, votre pays et la paix du monde. Après la terrible tempête, vous voici donc réunis dans oe havre de salut. Vous y représentez vos compagnons d'exil et de captivité, vos frères malades et blessés, cette douloureuse phalange de veuves et d'orphelins, toutes ces familles que le deuil a cruellement visitées. Et de tant d'épreuves chrétiennement supportées vous faites


ANCIENS PRISONNIERS DE GUERRE

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un holocauste de louange et de supplication, que Dieu agréera plus sûrement des mains de la Très Sainte Vierge Marie, sa Mère et la nôtre, pour la résurrection dans l'ordre chrétien, de vos raisons et de votre bien-aimée patrie, pour l'établissement et l'accroissement d'une vraie paix parmi tous les hommes.

C'est dans cette confiance que, Nous unissant de tout coeur à vos prières et à vos hymnes de reconnaissance à la Madone, Nous envoyons paternellement au grand rassemblement mariai des prisonniers et déportés, à tous ceux qui leur sont chers, à leurs prélats et à leurs prêtres, qui partagèrent leurs labeurs et leurs larmes, à l'excellent administrateur de la cité de la Vierge et par lui à tous les pèlerins de Lourdes et à la France catholique tout entière, comme gage des meilleures consolations célestes et de surnaturelle prospérité, la Bénédiction apostolique.

u DISCOURS


AUX MEMBRES DE L'ASSOCIATION ITALIENNE DES MAITRES D'ÉCOLE CATHOLIQUES

(8 septembre 1946)1

Aux maîtres d'école catholiques, le Saint-Père dans son allocution rappelle l'importance dans l'après-guerre de l'éducation de la jeunesse, les droits de la famille et de l'Eglise en ce domaine et l'importance de la tâche de l'éducateur.

C'est avec un sentiment particulier de satisfaction et de joie, chers fils et filles, que Nous vous adressons aujourd'hui Notre salut paternel. Une année ne s'est pas encore écoulée depuis le jour où Nous vous vîmes rassemblés autour de Nous2. Mais depuis lors, en ces mois passés, combien opiniâtre et fécond a été le travail que vous avez accompli ! Travail pour le développement de votre organisation, dont le rendement en profondeur a égalé l'accroissement en extension. Travail sur vos associés, pour les rendre à tous égards toujours plus aptes à l'accomplissement de leur mission, pour en faire des hommes et des femmes au caractère ferme et des chrétiens parfaits. Enfin, travail dans le syndicat où vous avez, d'une façon exemplaire, avec courage et avec un remarquable succès, affirmé et défendu vos convictions, vos idéals, vos droits, en un mot, la cause de l'éducation chrétienne.

Importance de l'éducation de la jeunesse.

Vous avez choisi comme devise du Congrès national des maîtres catholiques italiens, qui se termine aujourd'hui, le mot d'ordre :

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 217 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 165.

« Sauvons l'enfant ! » Assurément, les années de guerre ont nui cruellement à l'enfance, et un extraordinaire labeur, ainsi qu'une patience constante, seront nécessaires pour réparer, en quelque manière, de si grands dégâts. Mais ce mot d'ordre prend à l'heure présente un sens encore plus profond. Quelque immenses, en effet, que soient ces ruines, spécialement les ruines spirituelles et morales, on peut néanmoins les comparer plutôt aux dévastations d'un ouragan qui bouleverse tout, mais qui passe et fait place à la tranquillité, en même temps que réapparaissent les éclatants rayons du soleil.

Ce qui importe principalement aujourd'hui, c'est le fondement stable de toute l'éducation de la jeunesse et du peuple, fondement qui devra être incorporé et inséré dans la future Constitution. Il n'est pas douteux que cette matière représente l'une des plus graves décisions qui seront prises par l'Assemblée constituante au sein de laquelle deux courants opposés s'affrontent : celui qui soutient l'école chrétienne, catholique, et celui qui est le protagoniste de l'école communément appelée laïque, c'est-à-dire sans religion.

Or, les résultats mêmes des dernières décennies se sont montrés défavorables à l'école sans religion qui est, de fait, ou en vient à être, antireligieuse. D'après les expériences du siècle dernier et du siècle présent, cette école a donné des fruits amers, elle a donc failli à son véritable but ; tandis que l'éducation chrétienne, durant presque deux mille ans, a surmonté heureusement toutes les épreuves. N'est-il pas significatif que, précisément aujourd'hui, après la guerre, les parents qui ont pu exprimer librement leur volonté aient demandé en grande majorité, pour leurs enfants, même parmi ceux qui ne professent pas notre foi, une école et une éducation chrétiennes ?

Les droits de la famille et de l'Eglise en ce domaine.

Votre devise prend donc le sens suivant : laissez croître l'enfant dans l'atmosphère pure de la famille chrétienne et donnez-lui une école qui, de concert avec la maison paternelle et avec l'Eglise, travaille à la saine formation de la jeunesse. Les parents ont un droit premier d'ordre naturel à l'éducation de leurs enfants, droit qui, comme le déclarait Notre glorieux prédécesseur Pie XI, est inviolable et antérieur à celui de la société civile et de l'Etat 3. Mais un droit direct et suréminent dans le domaine de l'éducation, avec tous

3 Cf. encycl. Divini illius magistri, 31 décembre 1929.

les moyens nécessaires et utiles à cette fin, revient à l'Eglise, maîtresse et mère surnaturelle des âmes, à qui est confié le soin religieux des hommes et qui, en conséquence, est aussi responsable de la formation spirituelle et morale de l'enfant. Ce n'est pas Nous, certes, qui nierons ou diminuerons le droit propre qu'a l'Etat aussi en matière d'éducation ; droit qui trouve son fondement et, en même temps, sa mesure et sa limite, dans le bien commun de la nation. Or, le bien commun exige que l'Etat protège et respecte le droit à l'éducation qui appartient à la famille et à l'Eglise.

La fin à atteindre est toujours que, selon le droit naturel et la volonté du Christ, et en vue du bien commun, famille, Eglise et Etat coopèrent d'un mutuel accord à l'instruction et à l'éducation de la jeunesse. C'est là un principe qui constitue la base essentielle de l'article 36 du Concordat en vigueur avec l'Italie, dans lequel « l'enseignement de la doctrine chrétienne, selon la forme traditionnelle catholique », est proclamé « fondement et couronnement de l'instruction publique ». Faites donc tous vos efforts pour que ces bases, consolidées et confirmées par la plus large expérience, soient exactement maintenues et observées, et pour que, en tout cas, aux parents qui réclament pour leurs enfants l'école catholique, cette école leur soit pleinement assurée.

Nous vivons dans un temps de formidables bouleversements ; il se pourrait donc que l'un ou l'autre des maîtres catholiques, spécialement parmi les plus jeunes, soit tenté de penser et de se demander à lui-même quel sens et quelle valeur possède, au milieu de gigantesques événements, sa petite tâche dans une école peut-être modeste, parmi des enfants du peuple simple et humble. Que nul d'entre vous, chers fils, ne se laisse troubler par de semblables pensées et sentiments trompeurs. Il ne faut pas nier, certes, la grandeur des événements dont nous sommes témoins. Mais on ne peut, non plus, négliger de penser combien souvent, à ne considérer même que les trois derniers siècles, se sont réalisées les paroles du psalmiste : Dominus dissipat consilium nationum ; irritas facit cogitationes populorum, « le Seigneur renverse le plan des nations ; il rend vaines les pensées des peuples » (Ps 32,10).

Importance de la tâche de l'éducateur.

L'avenir est devant nous comme dans un brouillard impénétrable. Mais cet avenir vous l'avez en votre pouvoir, parce que c'est en vos mains que sont les nouvelles générations qui devront le dominer et le façonner. Et eMes, c'est-à-dire les enfants d'aujourd'hui, sauront le maîtriser et le façonner, pour le plus grand bien de la famille humaine si elles se mettent à l'ouvrage saines d'esprit et de corps, composées de citoyens honnêtes et de bons chrétiens. Or, cela dépend essentiellement de votre action, car aucune, après celle de la maison paternelle, n'agit d'une façon aussi durable sur l'âme des jeunes gens que l'école. Ici est l'importance de votre tâche, même si, d'aventure, elle devait s'accomplir dans une pauvre école perdue dans un village de la montagne. Tâche plus importante et plus délicate, de nos jours surtout, car, n'est-il pas vrai que vous devez bien souvent suppléer aux déficiences d'un grand nombre de parents, que les misères, les difficultés de la vie, les circonstances extérieures rendent moins aptes à remplir leur sainte et rude mission éducative ?

Regardez donc toujours votre école, grande et belle ou laide et petite, comme un temple où pénètrent la dignité et la pureté, où la vérité et la droiture occupent les premières places, où resplendit la religion qui élève et ennoblit l'esprit en Dieu, en Dieu présent partout, de la même manière que dans les mouvements de votre esprit et de votre coeur, en Dieu scrutateur infaillible de vos pensées et de vos affections qui doivent être toutes tournées vers le bien et la vertu morale, afin que vous puissiez vous-mêmes devenir 'les maîtres des âmes juvéniles.

C'est en exprimant ces sentiments et en formulant ces voeux paternels, que Nous plaçons votre association et son activité, comme aussi vous tous ici présents, vos compagnons d'action, vos collègues dans l'enseignement, vos inquiétudes et vos espérances, sous la protection de 'la Très Sainte Vierge Marie, dont nous célébrons aujourd'hui la fête, afin qu'elle abaisse son regard miséricordieux sur vous et sur la jeunesse qui vous est confiée et qu'elle obtienne pour elle et pour vous-mêmes la plénitude de la force, de l'amour et de la grâce de son divin Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et, comme gage de cette grâce, Nous vous donnons de grand coeur Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX SCOUTS CATHOLIQUES

(10 septembre 1946) 1

A 4000 scouts d'Italie, de Belgique, de France, de Hollande et de Suisse, le Saint-Père a dit les plus grands bienfaits du scoutisme et expliqué la devise des scouts.

De grand coeur, chers fils, Nous vous souhaitons la bienvenue, heureux de vous voir réunis en si grand nombre près de Nous. Vous êtes venus de près et de loin, de toutes les classes sociales et de toutes les régions d'Italie, étroitement unis dans le même esprit et dans les mêmes aspirations. C'est pourquoi Nous pouvons vous saluer comme des messagers de paix, qui veulent aplanir 'la route à la confiance réciproque, au rapprochement et à l'union des âmes.

Buts et bienfaits du scoutisme.

Quelles sont les raisons qui ont contribué à une rapide diffusion du mouvement scout dans le monde ? Il Nous semble que trois considérations sont principalement à indiquer.

Le scoutisme réveille et met en activité dans le jeune homme tout ce qui est naturellement bon, noble, sain ; simplicité de vie, amour de la nature et de la patrie, sentiment de l'honneur, maîtrise de soi, obéissance, dévouement au service des autres dans un esprit de fraternité et de chevalerie.

Le scoutisme veut apporter de l'ordre et de la rectitude dans la vie humaine. Amour de la nature, oui, mais exempt de fantaisie et de sentimentalisme malsain. Même l'amusement, la promenade, le jeu imposent à chaque éclaireur des devoirs et des responsabilités parti-

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 223 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie Xli, t. VIII, p. 169.


SCOUTS CATHOLIQUES

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culières, et ne doivent être que le complément d'une forte et énergique activité à l'école, au bureau, au poste professionnel. Les vacances elles-mêmes ne sont que la récompense d'une année de travail sérieux et régulier.

Le scoutisme donne au culte et au service de Dieu la place prépondérante qui leur est due dans la vie de l'homme, et, par là même, il dispose le jeune homme à découvrir dans chaque objet, dans tout ordre, dans toute vertu, dans toute beauté créée, leur vraie valeur, leur véritable splendeur à la lumière du soleil divin. Chercher, trouver, goûter, glorifier Dieu dans ses oeuvres, voir toute la création dans la lumière qui l'éclairé ; voilà ce qui constitue le fond de votre vie d'éclaireurs. Votre association veut des hommes unis à Dieu, des hommes en qui le sentiment religieux imprègne tous les actes de la vie individuelle et sociale. Même l'esprit le plus noble et le plus élevé parmi vous ne pourrait être toujours véridique et loyal, toujours juste et bon envers les autres, toujours honnête et pur, sans l'aide de la grâce divine. Et surtout, sans cette aide, il ne saurait se maintenir constamment affranchi et préservé des flots troubles d'une séduction éhontée qui, Nous éprouvons une peine amère à le signaler, déferlent sous toutes les formes, ouvertes ou clandestines, même sur le bon et sain peuple italien et sur sa courageuse et pure jeunesse, pour empoisonner et corrompre les sources les plus profondes de sa vigueur : le mariage et la famille chrétienne, et pour lui ravir la bénédiction de Dieu dont il a actuellement plus que jamais besoin. Mais le secours d'une telle grâce est accordé à celui qui élève humblement les mains et le coeur vers le Seigneur, à celui qui prie et puise aux fontaines surnaturelles la force de penser et d'agir toujours saintement.

Sa devise : toujours prêt.

Votre association a pour devise : Estote parati, « soyez prêts » ; c'est-à-dire soyez toujours prêts à faire votre devoir. Nous voudrions donner à ces mots une signification encore plus large et plus profonde : soyez prêts à tout instant à accomplir consciencieusement la volonté de Dieu et à observer ses commandements. Soyez prêts surtout, pour le moment, connu de Dieu seul, où le Seigneur vous appellera à rendre compte des talents qui vous ont été confiés, c'est-à-dire aussi bien des grâces et des dons surnaturels que des dons naturels de l'âme et du corps dont il vous a comblés, afin que vous en usiez pour sa gloire, pour votre bien et celui de vos semblables.

viver la vie de foi et d'amour.

Mais, pour en arriver là, pour être toujours vraiment fidèles à votre idéal « d'éclaireurs catholiques », au milieu de tant d'erreurs qui, de nos jours, obscurcissent et égarent les esprits et les coeurs, il faut que vous mainteniez toujours vivants de flambeau de votre foi et le feu de votre amour. Le flambeau de votre foi ! C'est la lampe qui, tout à la fois, brûle et resplendit : lucerna ardens et lucens (Jn 5,35). Bile éclaire comme une lampe qui brille, comme lorsque vous vous trouvez, durant vos marches ou dans vos camps, en un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre et que se lève l'étoile du matin (cf. n Pierre, 1, 19). Elle illumine celui qui la porte, ainsi que la route qu'il parcourt, semblable aux astres qui, la nuit, répandent leur clarté sur le sentier que suit l'éclaireur dans ses plus rudes ascensions alpines. Il resplendit, mais il ne se montre pas à notre vue, le Soleil du salut de nos âmes, Jésus-Christ, que nous aimons sans l'avoir vu, et en qui nous croyons fermement avec une certitude absolue, bien que nous ne le voyions pas (cf. 1P 1,8). L'épreuve de notre foi réside en ce qu'elle a pour objet des choses qui n'apparaissent pas visiblement à notre regard intellectuel (cf. Hébr. He 11,1) ; le feu et l'ardeur de notre charité consistent à embrasser Dieu avec une foi vibrante, l'aimer et nous unir à lui. Ainsi est atteinte la cime sublime.

Tels sont, chers fils, le principe, la fin et le secret de toute véritable vie. Si vous vous formez suivant cet esprit, vous deviendrez des hommes sur lesquels l'Eglise et la patrie pourront bâtir en toute surete.

Avec ce souhait, Nous vous donnons à vous, qui êtes présents, à tous les éclaireurs d'Italie, de toute catégorie, classe et grade, comme aussi à vos familles, aux personnes et aux choses qui vous sont chères, avec une paternelle affection, Notre Bénédiction apostolique.

Ce radiomessage adressé par le Saint-Père aux catholiques suisses au soir de la fête fédérale d'action de grâces a mis en relief l'exemple de la concorde, de la charité, de la vraie démocratie et de la vraie liberté donné par la Suisse.

La particulière affection que Nous portons à la Suisse et la confiance dont Notre coeur est rempli à l'égard de ce peuple magnanime, Nous ont incliné sans peine à céder aux instances qui Nous ont été faites de la part de votre radiodiffusion et à vous adresser la parole par son organe, comme Nous l'avons adressée récemment aux représentants de votre presse, lors de leur voyage à Rome et de leur visite dont Nous gardons le meilleur souvenir2.

A notre époque où le concept de nationalité de l'Etat, exagéré souvent jusqu'à la confusion, à l'identification des deux notions, tend à s'imposer comme un dogme, le cas de la Suisse, exceptionnel, fait, aux yeux de certains, figure de paradoxe ; il devrait bien plutôt donner à réfléchir. Située géographiquement au point d'intersection de trois civilisations nationales puissantes, la Suisse les embrasse toutes les trois dans l'unité d'un seul peuple. En un temps où le nationalisme semble dominer presque partout, elle qui, plutôt qu'un Etat national, est une communauté politique transcendante, jouit de la tranquillité et de la force que procure l'union entre les citoyens, et nul peuple peut-être n'a plus d'amour pour le foyer et pour la patrie que le peuple suisse ; nul n'a plus vive et plus profonde la conscience des devoirs civiques. La vigueur, la puissance créatrice, que d'autres pensent trouver dans l'idée nationale, la Suisse la trouve,

1 D'après le texte français des A. A. S., 38, 1946, p. 373.

2 Le pape fait ici allusion à l'audience qu'il accorda, le 14 avril 1946, à un groupe d'une vingtaine de journalistes suisses venus visiter, en Italie, les oeuvres du Don suisse. Cf. ci-dessus, p. 121.

(14 septembre 1946) 1

elle, à un degré tout au moins aussi élevé, dans l'émulation cordiale et dans la collaboration de ses divers groupes nationaux.

Tous les peuples du monde, surtout au cours des deux grandes guerres, mais aussi durant le pénible entre-guerre, ont senti, à des titres et sous des formes diverses, le bienfait de la charité helvétique et lui ont rendu un reconnaissant hommage : accueil réconfortant des prisonniers, des fugitifs, des persécutés, secours matériels aux individus et aux nations, sollicitude délicate autant qu'empressée pour les enfants, pour les malades et les infirmes. Et cela avec une égale amabilité, un sourire égal pour tous, expression non certes de l'indifférence, mais au contraire d'une égale compréhension, car tous pouvaient, dans le peuple suisse, reconnaître leurs frères. D'un coeur très paternel, en ce moment, Nous vous en remercions et Nous vous bénissons.

La vraie démocratie et la vraie liberté.

Vous êtes fiers du caractère démocratique de votre pays et vous avez raison d'en être fiers, car la démocratie, chez vous, n'est point une construction artificielle ; elle est le fruit longuement mûri de l'expérience des siècles ; elle harmonise heureusement les avantages et les bienfaits de l'autonomie fédérative avec ceux du pouvoir central. Grâce à Dieu, vous ne voulez pas faire des formes démocratiques une idole, vous avez conscience que l'âme de tout Etat, quel qu'il soit, c'est le sens intime, profond, du bien commun ; c'est le souci non seulement de se procurer à soi-même la place au soleil, mais de l'assurer aussi aux autres, chacun dans la mesure de ses obligations et de ses responsabilités personnelles. C'est à quoi vise, autant que la loyauté et la justice, une saine et profitable politique sociale, génératrice de paix et de prospérité. Dès lors, au contraire, que ce sens du bien commun s'oblitère pour laisser place au règne brutal de l'égoïsme individuel ou collectif, la démocratie de bon aloi est en péril et la dictature de parti s'installe sournoisement à sa place.

Le mot liberté sonne franc chez vous. Or, la vraie liberté, celle qui mérite vraiment ce nom et qui fait la félicité des peuples, n'a rien de commun avec la licence effrénée, le débordement du dévergondage ; la vraie liberté est, tout au contraire, celle qui garantit la profession et la pratique du vrai et du juste dans le domaine des commandements divins et dans le cadre du bien public. Elle a donc besoin de justes limites, et ce fut la gloire de vos aïeux d'avoir pourvu


CATHOLIQUES SUISSES

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par de sages et fortes règles à la défense et à la sauvegarde d'un bien si précieux.

Deux de ces règles méritent ici un souvenir spécial, parce qu'elles touchent au point le plus sensible, au point névralgique comme on dit, des relations entre précepte et liberté, relations dont la plus légère perturbation est grosse de conséquences fatales. La première de ces deux règles, c'est l'équité : Suum cuique, « à chacun son dû » ; un seul poids et une seule mesure pour tous. L'autre est l'absolu respect de la loi souveraine de Dieu sur le mariage et la famille. Si le sens profond du bien commun est l'âme de tout Etat sain et fort, la dignité et la sainteté de la vie conjugale et familiale en sont comme la colonne vertébrale. Que celle-ci vienne à subir une grave lésion, c'en est fait de la vigueur de l'Etat et c'est, tôt ou tard, la ruine du peuple. Dans toutes vos âmes retentit l'appel vibrant de votre cantique national :

« Des grands monts vient le secours,

» Suisse, espère en Dieu toujours !

» Garde la foi des aïeux,

» Vis comme eux. » C'est un mot d'ordre. Plus que jamais, de nos jours où l'athéisme, à la façon du termite, ronge obscurément, mais sûrement, la base sur laquelle reposent les Etats, le monde a besoin, pour maintenir son appui et conserver son équilibre, de mains qui se joignent et de coeurs qui s'élèvent ; il a besoin, dans la vie politique tout comme dans la vie privée, de chrétiens croyants et priants. En ce temps où nous assistons au glissement même de civilisations délicates et raffinées vers une décadence dans laquelle, l'une après l'autre, elles risquent de s'abîmer, souvenez-vous que, pour conserver pure, intacte, la fleur d'humanité qui fait l'honneur de vos institutions et de vos moeurs, vous avez besoin de ces forces supérieures que seule la foi chrétienne est capable de donner aux peuples comme aux individus. Car, en vérité, seules la doctrine, la foi, la grâce de Jésus-Christ assurent aux peuples le fondement durable de leur existence, de leur progrès, de leur prospérité, de la paix.

Par une providentielle expérience, vous le savez — vous dont le bienheureux protecteur, sauveur de votre unité et de votre paix intérieure, Nicolas de Flue, tenait à ce fondement par toutes les fibres de son être — vous dont les pères ont bâti sur ce fondement l'édifice de votre Confédération. Restez-y imperturbablement attachés : tels sont le voeu le plus propice, la Bénédiction la meilleure que Nous puissions adresser au peuple suisse, si cher à Notre coeur.



DISCOURS AUX PARTICIPANTS A LA XXIXe CONGRÉGATION GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS

(17 septembre 1946) 1

Au nouveau supérieur général de la Compagnie de Jésus, le R. P. Jansens, et aux 165 Jésuites participant à la XXIXe congrégation générale de l'ordre, le Saint-Père a adressé un important discours où il rappelle la conduite de la Compagnie durant la guerre, sa mission dans l'après-guerre et les vertus dont ses membres doivent donner l'exemple.


Au milieu des jours troublés et pénibles que nous vivons, vous avez, à Rome, réuni votre assemblée, très chers fils, selon vos Constitutions : la Congrégation générale. Et maintenant, vous délibérez d'un même coeur, énergiquement, paisiblement, laborieusement sur les affaires de votre ordre, afin qu'il puisse de plus en plus, augmentant ses forces et assurant sa discipline, travailler pour une plus grande gloire de Dieu et le service de l'Eglise.

Votre assemblée a déjà recueilli le fruit principal de ses travaux : vous avez élu votre nouveau préposé général, que Nous voyons ici présent et que Nous embrassons de tout coeur. Qu'il soit digne de celui auquel il succède, le T. R. P. Vladimir Ledochowski, qui, par sa piété, sa prudence et ses autres vertus, se distinguait entre tous les préposés généraux. Nos deux derniers prédécesseurs et Nous-même, Nous l'avions en grande estime pendant sa vie et, maintenant qu'il est mort, Nous le pleurons et le regrettons avec vous.

Que votre Supérieur général, ici présent, ait la même constance et la même ardeur à pourvoir au bien de la Compagnie de Jésus, à prévoir ses besoins nouveaux.


La conduite de la Compagnie durant la guerre 1939-1945.

La terrible guerre qui vient de se terminer n'a pas épargné votre ordre, du moins nombre de ses provinces et missions. Beaucoup des vôtres sont morts dans des combats ou des bombardements aériens. Beaucoup furent appelés sous les drapeaux ou condamnés à de durs travaux. Beaucoup ont, comme prisonniers de guerre, enduré le froid, la misère, 'les vexations, les travaux pénibles, et particulièrement l'ennui quotidien et les tristesses de la captivité.

Mais, la Compagnie de Jésus, votre mère, peut, mêlant la joie aux pleurs, reprendre à bon droit les paroles du psa'lmiste : « Lorsque les anxiétés se multiplient dans mon coeur, tes consolations remplissent mon âme de délices » (Ps., xcni, 19). Ne doit-on pas attribuer à un bienfait singulier de Dieu qu'elle voie, malgré les temps orageux, s'accroître le nombre de ses membres et s'affirmer leurs vertus éprouvées en des témoignages éclatants ? Assurément, Nous admirons avec vous les exemples de vie évangélique que, parmi les soldats et les prisonniers, firent resplendir tous les membres de da Compagnie. Nous admirons l'habileté si variée de leurs labeurs apostoliques, qui permit à vos prêtres et aux autres membres de votre Compagnie de porter à leurs compagnons le salut, la paix et la joie du Christ. Que ne devrions-nous pas dire des entreprises apostoliques que vos confrères ont soutenues dans les pays occupés et parfois au péril de leur vie ? Les plus grandes louanges sont dues à leur courage, non moins qu'à la charité industrieuse de celles de vos provinces qui, moins touchées par les destructions de la guerre, ont témoigné tant d'intérêt à leurs frères accablés de misère et de fardeaux, et leur furent si utiles lorsqu'ils manquaient de tant de choses nécessaires et s'efforçaient de réparer des ruines lamentables. Encore votre activité ne s'est-elle point circonscrite dans ces limites. La guerre terminée, soutenus par le secours de Dieu, vous avez pourvu à vos propres nécessités en rétablissant vos noviciats et vos scolasticats dans leur état antérieur, ou même dans un état meilleur ; bien plus, à l'envi, vous vous êtes voués à la lourde tâche d'instaurer et d'améliorer l'ordre religieux, moral et social, et vous vous êtes efforcés, autant qu'il était possible, d'adoucir le coeur des hommes exaspérés de haine.


Sa mission dans l'après-guerre : la restauration religieuse et morale.

Nulle tâche plus actuelle ni plus urgente ne vous sollicite à présent, Nos très chers fils, que de rétablir l'autorité de la religion et la règle chrétienne des moeurs dans l'honneur et la vigueur qui leur sont dus. Quelle douleur de voir l'état où nous sommes tombés par la négligence générale des biens éternels ! Dans quelque groupement d'hommes que ce soit, on en trouve qui ignorent tout de la foi catholique, et jusqu'aux principes élémentaires de la religion. On en trouve qui, en fait de crime et de passion, ne s'interdisent rien et qui négligent les préceptes fondamentaux de la morale et les règles de la justice. Il y a des furieux qui s'attaquent à tout ce qui est sacré et des lâches qui, dans leur torpeur, le négligent. Dans des villes et des pays entiers, l'ordre social est bouleversé. Les temps sont mauvais parce que les hommes sont mauvais. Que les hommes deviennent meilleurs, alors les temps deviendront meilleurs.


Mission d'Eglise.

L'Eglise se rend compte qu'il est au plus haut point de son rôle d'arrêter une telle inondation de maux et de guérir les nations malades. Elle se met à l'oeuvre, appuyée avant tout sur le secours et sur la grâce de Dieu. Car on peut appliquer à notre époque la parole de l'Apôtre des gentils : « Là où le crime a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). C'est aussi pour notre temps que resplendit le soleil du salut, puisque le Christ nous invite au travail apostolique par ces mots : « Levez les yeux et voyez les champs, ils sont déjà blancs pour la moisson » (Jn 4,35). Cette parole du divin Rédempteur vaut d'abord pour les missions et leur apporte une grande consolation, mais elle vaut aussi pour les nations et les peuples jadis entièrement chrétiens et catholiques. En certains endroits, en effet, la ferveur des fidèles s'augmente et s'enflamme grâce à des stimulants nouveaux ; les yeux et les esprits des hommes se tournent vers l'Eglise, n'attendant que d'elle leur salut. Beaucoup, un peu partout, ont vraiment faim et soif de la justice et brûlent du désir de la lumière et de la grâce divines.

Quelle tâche immense s'offre à l'Eglise ! Dans la poursuite de son dessein, elle met sa confiance en vous, en votre ardent dévouement et, surtout, en votre état religieux, en votre doctrine. Notre espérance peut-elle être vaine ? Non. Nous savons quel désir d'agir vaillamment vous meut et vous enflamme. Ici, Jésus lui-même est en cause, et la Compagnie de Jésus contribuera puissamment à préparer le plus saint des triomphes en entraînant beaucoup d'autres à son exemple.


Conditions à remplir pour assurer la fécondité de cette mission :

a) Fidélité aux Constitutions

Mais il importe que vous observiez certaines conditions pour que le résultat que Nous Nous promettons arrive heureusement et que vous remplissiez Notre attente ; avant tout, il faut que vous soyez fermement fidèles à vos Constitutions et à tout ce qu'elles vous prescrivent. Les Constitutions de votre ordre peuvent — si cela paraît à propos — être adaptées, moyennant quelques modifications imposées par les nouvelles circonstances de notre époque. Mais qu'on se garde de toucher à ce qui est l'essentiel. Par exemple, la troisième année de probation, que d'autres familles religieuses ont adoptée à votre imitation et grâce à laquelle la source de vie intérieure jaillit en vous toujours plus abondante. Les habitudes de méditation et de silence aussi, et, en particulier, pour ce qui regarde la formation de votre jeunesse, que les règles reçues de vos prédécesseurs soient conservées intactes. Car votre formation traditionnelle tire de sa longue durée une efficacité toujours vivace. Pour qu'un chêne atteigne à sa pleine robustesse, un long intervalle de temps est nécessaire, de même la formation d'un homme de Dieu exige une longue patience. Il faut donc mettre un frein à la généreuse impétuosité des jeunes qui les lancerait prématurément dans l'action. Trop de hâte à agir gaspille et n'édifie pas ; et le dommage est égal pour celui qui agit et pour les oeuvres apostoliques elles-mêmes.

Si vous voulez être des apôtres vraiment intrépides et dignes de ce nom, efforcez-vous assidûment d'acquérir de solides vertus surnaturelles en vous formant, en vous imprégnant de l'esprit intégral des Exercices de votre saint Père Ignace2.

Avec une foi ardente, dépensez toutes vos ressources au service du Christ Notre-Seigneur. Efforcez-vous d'augmenter en vous la grâce divine, puisque vous êtes des membres vivants du Corps mystique du Christ.

Sous l'impulsion de la charité du divin Rédempteur, domptez les sentiments d'un amour-propre désordonné ; réprimez tout d'abord et réglez les mouvements de votre âme, afin de devenir prêts et aptes à remplir tous les offices et à supporter toutes les rudesses de la vie par la discipline de ce renoncement.

2 Cf. Eph. Inst. S.J., n. 174 bis.


b) Obéissance

Dès lors, la vertu d'obéissance s'appuiera sur des fondements que rien n'aura ébranlés. Que l'obéissance soit votre caractéristique, votre gloire, votre force ! Il faut qu'elle vise le plus possible à vous rendre parfaitement soumis à la volonté des supérieurs, sans plainte, sans murmure, sans ce blâmable esprit critique qui est la maladie de notre époque, dissipant les forces, rendant sans vigueur et infructueuses les entreprises apostoliques. Les charges qu'impose une austère obéissance vous deviendront légères sous l'action de lia charité. Quand elle est présente, Dieu lui-même est présent, puisque Dieu est charité. Qu'elle soit donc en vous, cette charité « qui procède d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sans détours » (1Tm 1,5).


c) Souci de la doctrine

Vous devez être, de nom et de fait, non seulement de vrais religieux, mais des hommes de grande doctrine. Vous exercez par votre parole, par vos écrits, la charge d'enseigner la théologie, l'Ecriture Sainte, les autres sciences ecclésiastiques et aussi la philosophie. Grand honneur, noble labeur, mais aussi grande responsabilité que d'assumer un tel ministère ! C'est à tous ceux et à chacun de ceux qui ont reçu une pareille charge qu'est adressée la parole de l'Apôtre : « O Timothee, garde le dépôt. Evite les discours creux et impies, les objections d'une pseudo-science » (1Tm 6,20).

Que tous les membres de la Compagnie de Jésus, afin de répondre fidèlement à une si grande espérance, observent avec une extrême diligence les lois qui leur sont prescrites de suivre la doctrine de saint Thomas comme plus solide, plus sûre, plus approuvée et plus en accord avec les Constitutions 3.

Qu'ils s'attachent au magistère de l'Eglise, avec cette inflexible persévérance traditionnelle dans votre ordre. Qu'ils aient, pour Nous servir des mots mêmes du saint fondateur de votre Compagnie, « l'âme prête et prompte à obéir en tout à la véritable Epouse du Christ Notre-Seigneur qui est notre sainte Mère l'Eglise hiérarchique » et « qu'ils soient convaincus qu'entre l'Epoux qui est le Christ Notre-Seigneur et l'Eglise son Epouse, c'est le même Esprit qui nous gouverne et dirige pour le salut de nos âmes ; parce que c'est par le même Esprit, le même Seigneur qui a donné les dix préceptes, que notre Mère, la Sainte Eglise, est dirigée et gouvernée » 4.

3 Cf. Epitom., n. 315-318.
* Exercices Spirituels, Regulae ad sentiendum cum Ecclesia, 1* et 13a.


d) Science exacte et parfaite

Si tout d'abord ils doivent cultiver leur foi, ils doivent aussi acquérir des connaissances exactes et parfaites et faire progresser les sciences selon les traditions de leur ordre. Qu'ils se persuadent que c'est par ce chemin, si rude soit-il, qu'ils peuvent le mieux concourir à la plus grande gloire de Dieu et à l'édification de l'Eglise. De plus, ils doivent s'exprimer, tant dans leurs paroles que dans leurs écrits, de telle sorte que les hommes de notre époque les comprennent et les écoutent volontiers. D'où l'on peut conclure que, d'ans la façon d'exposer et de mettre en lumière les questions, dans la conduite des discussions, dans le choix aussi du genre littéraire, il faut qu'ils adaptent sagement leurs paroles à l'esprit de notre époque et à son goût. Que personne ne trouble et ne bouleverse ce qui ne doit pas être changé. On a dit trop de choses et d'une manière insuffisamment fouillée, au sujet de la « nouvelle théologie », qui doit évoluer comme toute chose évolue, être toujours en progrès sans se fixer jamais. Si l'on devait embrasser une telle opinion, qu'adviendrait-il des dogmes immuables de l'Eglise catholique ? Qu'adviendrait-il de l'unité et de la stabilité de la foi ?


e) Connaissance des problèmes contemporains

En même temps que vous vous faites un devoir sacré de révérer la vérité éternelle, consacrez votre activité à étudier et à résoudre avec soin les problèmes qu'apporte le cours du temps, surtout lorsqu'ils sont susceptibles de faire naître pour les chrétiens instruits des obstacles et des difficultés. Bien plus, en éclairant ces problèmes, changez l'obstacle en secours et confirmez leur foi. Cependant, lorsque sont débattues des questions nouvelles et libres, que les principes de la doctrine catholique brillent toujours devant vos esprits. Ce qui sonne en théologie comme une chose entièrement nouvelle doit être examiné avec précaution et vigilance. Qu'on discerne le certain et le ferme de ce qui est avancé par conjecture, de ce qu'une coutume dangereuse et non toujours louable peut introduire et transporter en théologie et en philosophie. Qu'une main amie soit tendue à ceux qui errent, mais que, pour les erreurs d'opinion, on n'ait nulle indulgence.

A vous tous qui êtes ici rassemblés, Nos très chers fils, Nous donnons avec amour la Bénédiction apostolique et demandons pour vous par Notre instante prière l'aide de Dieu, sans laquelle nous ne pouvons rien et avec laquelle nous pouvons tout. Fidèles à l'antique tradition et animés d'une ardeur nouvelle, consacrez-vous tout entiers, Nous vous en conjurons, à la cause sacrée de l'Evangile. Accomplissez en hommes de coeur de grandes actions. « Croissez dans la grâce et la connaissance de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ! A lui soit la gloire, maintenant et jusqu'au jour de l'éternité. Amen. » (2P 3,18.)




Pie XII 1946 - FÉDÉRATION UNIVERSITAIRE CATHOLIQUE D'ITALIE