Pie XII 1946 - MESSAGE AUX RÉFUGIÉS ET AUX PRISONNIERS DE GUERRE SE TROUVANT EN ITALIE


PEUPLE DE ROME

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De Rome, le premier pape, sous les menaces d'un pouvoir impérial perverti, lança le fier cri d'alarme : « Résistez, fermes dans la foi » (1P 5,9).

Dans la même Rome, Nous vous répétons aujourd'hui ce cri avec une énergie redoublée, à vous dont la ville natale est le théâtre d'efforts incessants tentés pour rallumer la lutte entre les deux camps opposés : pour le Christ ou contre le Christ, pour son Eglise ou contre son Eglise.

Levez-vous, Romains. L'heure a sonné, pour beaucoup d'entre vous, de vous réveiller enfin d'un trop long sommeil (cf. Rom. Rm 13,11). Agir avec force et supporter avec force : telle est la maxime des Romains.

Sur vous, qui êtes les privilégiés de l'amour du Christ, appelés par lui à porter à travers vents et marées l'étendard du Christ, dans un secteur spécialement en vue de la grande bataille spirituelle de notre temps ; sur vous — mais également sur ceux qui combattent et insultent la religion et ses ministres, car l'amour de l'Eglise est toujours plus grand que leur faute — Nous invoquons l'abondance de la protection et de la grâce invincible du Seigneur tout-puissant, pendant que de tout coeur Nous vous donnons la Bénédiction apostolique, gage et présage de charité, de justice et de paix pour Rome, pour l'Italie, pour le monde.

En réponse à la lettre d'hommages qui lui avait été adressée par les êvêques polonais à l'occasion de leur réunion annuelle, le Saint-Père leur a répondu par cette lettre d'encouragement, de conseils et d'exhortations :

Après que l'illustre nation polonaise s'est consacrée dans une grande allégresse par des voeux au Coeur Immaculé de la Mère de Dieu, garante et dispensatrice de toute pure victoire, vous avez tenu, chers Fils et Vénérables Frères, votre réunion episcopale habituelle près du sanctuaire de Czestochowa, d'où vous Nous avez envoyé votre témoignage de dévouement et d'hommage. Quoique Nous en ayons déjà été fréquemment l'objet, il Nous est toujours agréable de les recevoir à nouveau.

Cette réunion que vous avez tenue n'est pas seulement importante et solennelle par la gravité des affaires que vous aviez à traiter, mais aussi par le nombre des êvêques de Pologne qui y participaient et qui apparut comme presque complètement renouvelé. Il y manquait, hélas ! les êvêques de rite oriental, dont les deux derniers ont été chassés de leur siège il y a peu de mois ; les souffrances qu'ils subissent, avec leurs autres collègues, de l'injustice et des mauvais traitements rendent encore plus vénérables leurs cheveux blancs, accumulant ainsi les lumineux exemples de leur courage invaincu ; en relever les mérites et les admirer dans les présentes afflictions n'est pas pour Nous un mince sujet de consolation.

Si toujours et partout la charge du ministère pastoral effraye à juste titre ceux qui l'exercent, elle pèse au-delà de toute mesure sur vous qui travaillez pour la gloire de Dieu et le salut des âmes dans un pays où, après les horreurs de la guerre, se répandent les opinions mor

(23 décembre 1946) 1

telles de l'erreur, s'agitent les oppositions de parti et surgissent des querelles et des conflits même dans ces conditions critiques. Mais, appuyés sur Dieu qui, ayant imposé cette charge sur vos épaules, vous soutient de sa main afin que vous puissiez la porter, intrépides et vigilants, constants et ardents vous vous comportez comme ces saints pasteurs dont l'Evangile nous fait l'éloge et dont les solides vertus sont un motif de confiance et de réjouissance pour le troupeau du Seigneur confié à vos soins. Que ne devons-Nous espérer si 'les fidèles au progrès desquels vous veillez, entraînés par votre exemple et vos conseils, savent ranimer leur amour envers la religion catholique qui est la plus pure gloire de vos glorieux ancêtres ? Pourrait-il se faire que cette croix qui à votre héros Jean Sobieski donna la victoire dans le danger que courait la civilisation chrétienne, vienne à manquer aujourd'hui à ses défenseurs luttant contre les ennemis de la Majesté divine ? Ou plutôt, est-ce que l'occasion de combattre ne vous a pas été donnée par Dieu pour vous permettre de remporter des triomphes plus glorieux encore que les anciens ? C'est animés de cette espérance et obéissant à votre conscience vigilante, que, au cours de cette année, vous avez continué à veiller sur la foi avec un soin infatigable, surtout en défendant les liens du mariage, en propageant l'enseignement du catéchisme, en accordant tous vos soins aux écoles catholiques de tout ordre ainsi qu'à l'université de Lublin et vous n'avez pas manqué de donner les directives opportunes à vos fidèles au sujet des problèmes politiques posés. Faites, Nous vous en prions, que jamais dans l'avenir votre sollicitude ne vienne à manquer dans ces affaires de si grande importance. Et ce n'est pas avec un moindre zèle que vous avez travaillé au rétablissement des moeurs chrétiennes et que dans ce but vous avez organisé des missions pour ranimer la piété du peuple. Vous avez aussi, par les avis donnés à la suite des assemblées episcopales et par d'autres documents, appris à vos concitoyens les règles qui doivent informer la vie chrétienne aujourd'hui plus que jamais, pour que la violence des paroles et des actes cède devant la douceur évangélique, pour que l'équité et le droit règlent les rapports sociaux, lesquels, à défaut de ce fondement, iraient fatalement à leur ruine. Vous allez aussi prendre des mesures vraiment opportunes et salutaires contre l'ivrognerie, ce vice qui ébranle si malheureusement les liens familiaux et avilit tellement la noblesse innée d'une nation chrétienne. Votre zèle n'est pas resté inactif non plus dans la défense des droits de l'Eglise et de ses fidèles : par de prudentes interventions, vous avez réussi, autant que faire se pouvait, à écarter les plus graves diffi-

cultes qui menaçaient l'exercice de la religion, et vous avez réclamé la faculté de pouvoir apporter les secours de la religion aux détenus dans les prisons et dans les lieux de détention publique. Vous avez engagé une action courageuse et diligente afin que (ce qui est juste et parfaitement conforme à l'intérêt des hommes et de la société) il soit permis aux catholiques de publier des livres, des revues et des journaux ; mais hélas ! vos requêtes sont restées sans effet jusqu'à présent et même, ici ou là, vos propres lettres pastorales ont été mutilées. Comme les esprits eux-mêmes sont rendus plus malheureux et souffrent du fait de la pénurie et du manque de biens matériels, vous entreprendriez une action bien louable en continuant à diriger vos intentions et vos forces pour la réparation des dommages causés par les furieux combats de la guerre. Tout cela se réalisera avec d'autant plus de bonheur que dans vos projets et dans vos oeuvres régnera un accord solide et sans faille, car c'est seulement par la concorde qu'il est possible de dresser un mur d'airain aux attaques hostiles et de mener à bien les entreprises salutaires, même ardues et difficiles. Pour assurer ces voeux et ces désirs de concorde au mieux, que les prêtres dont vous avez la direction joignent aussi leurs efforts. Quant à ceux qui se soustraient à l'obéissance — un petit nombre à vrai dire — il n'y a pas de doute qu'ils méritent de graves reproches. Pour suppléer au manque de prêtres dont le nombre a bien diminué par suite des vicissitudes de la guerre, que votre volonté se fasse plus agissante et que se consolide la cohésion et l'entente ferme et louable avec les pasteurs sacrés. Nous avons des exemples d'une si grande vertu de la part des ministres sacrés qui vous assistent dans votre tâche que Nous sommes sûr que Notre espérance ne sera pas déçue et qu'elle aboutira à une heureuse issue. Que Dieu en multipliant les dons de la grâce céleste entende Nos voeux.

Lorsque Nous vous engageons à vous dévouer avec ardeur, Nous avons surtout devant les yeux ces foules innombrables qui se sont vues par la violence transférées d'une région à une autre. De combien et de combien grands besoins ils ont à souffrir dans le domaine spirituel comme dans le domaine économique, vous en êtes témoins. Il a été beaucoup fait pour eux et pour tous ceux qui souffrent des conséquences de la guerre, surtout grâce à l'aide de l'association « Caritas », à l'oeuvre de laquelle à plus d'une reprise Nous Nous sommes réjoui de pouvoir contribuer par Nos largesses ; mais il reste encore davantage à faire, car la charité envers vos frères dans le besoin reste urgente chez vous et doit davantage presser vos esprits, vos paroles, vos oeuvres. La charité est toujours l'indice, l'aliment et la vie de la foi et même si l'on s'acquitte toujours de sa dette, jamais cependant on ne peut la considérer comme éteinte. Que vos vertus, nourries du lait de la grâce divine, en ces temps calamiteux brillent d'un tel éclat que par leur grandeur et leur éminence elles entraînent même les adversaires à les admirer. Que vos oeuvres se manifestent et répandent leur lumière, plus solides et plus lumineuses que vos paroles. « Le christianisme n'est pas une oeuvre de persuasion, mais de grandeur surtout quand il est en butte à la haine du monde.»2 A la négligence ou au mépris des choses divines des uns, opposez la sagesse céleste, à la corruption des moeurs votre conscience la plus fidèle au devoir. Vos adversaires, touchés par la grâce de Dieu, arriveront peut-être un jour à aimer ce qu'aujourd'hui ils poursuivent de leur haine ; et si peu d'entre eux feront pénitence de leurs méfaits, leurs fils entretiendront et construiront les autels que la génération précédente a voulu renverser dans un orgueilleux effort. L'avenir appartient à Dieu, il est assuré des palmes de la victoire de la vérité qui ne trompe jamais.

En vous donnant ces avis selon le devoir de Notre ministère, chers fils et Vénérables Frères, Nous demandons pour vous dans une prière ardente l'abondance des faveurs d'en haut et en gage de ces faveurs Nous vous accordons avec affection la Bénédiction apostolique à vous et aux brebis confiées à votre conduite.

(24 décembre 1946)1

Aux cardinaux et aux membres de la Prélature romaine venus lui offrir leurs voeux, le Saint-Père a adressé un discours dans lequel il a rappelé l'état angoissant du monde de l'après-guerre, la mission de l'Eglise et du pape, les difficultés que rencontrent les hommes d'Etat dans la reconstruction du monde, les grands aspects du message de Noël et évoqué, en terminant, le fléau de la famine.


LA VOIX DE LA CONSCIENCE

Y eut-il jamais dans l'histoire du genre humain et dans l'histoire de l'Eglise une fête de Noël et une fin d'année où brûlât dans les coeurs et se manifestât plus ardent qu'aujourd'hui le désir de voir se résoudre le contraste entre le message de paix de Bethléem et les agitations intérieures et extérieures d'un monde qui abandonne si souvent le droit chemin de la vérité et de la justice ?

A peine sortie des horreurs d'une guerre cruelle, dont les conséquences 'la remplissent encore d'angoisse, l'humanité contemple, stupéfaite, l'abîme ouvert entre les espérances d'hier et les réalisations d'aujourd'hui ; abîme que les efforts même les plus tenaces réussissent difficilement à franchir, car l'homme, capable de détruire l'oeuvre de Dieu, n'est pas toujours en état, à lui seul, de la restaurer.

Voici déjà près de deux ans que s'est tu le grondement du canon. Les événements militaires sur les champs de bataille ont conduit à une victoire incontestable d'une des parties belligérantes et à une défaite sans précédent de l'autre.

Rarement, dans l'histoire du monde, l'épée avait tracé une ligne de démarcation aussi nette entre vainqueurs et vaincus.

La joyeuse ivresse pleine d'exubérance de la victoire s'est dissipée. Les difficultés inévitables se sont manifestées dans toute leur âpreté.

Comment cela ? Au-dessus de tous les projets et arrangements humains plane la parole du Seigneur : Ex fructibus eorum cognoscetis eos, « vous les connaîtrez à leurs fruits » (Mt 7,20).

Une chose demeure hors de doute : les fruits de la victoire et ses répercussions n'ont pas seulement été jusqu'ici d'une amertume indicible pour ceux qui ont succombé, mais ils se sont révélés une source de multiples anxiétés et de scissions dangereuses même entre les vainqueurs.

Les contre-coups de ces divisions sont allés, dans le passé, croissant de plus en plus, au point que nul homme aimant vraiment l'humanité — et moins encore l'Eglise du Christ, toujours soucieuse de répondre à sa mission — n'a pu fermer les yeux devant un tel spectacle.

L'Eglise, mandatée par le divin Sauveur pour conduire tous les peuples à leur salut éternel, n'entend pas intervenir ni prendre parti dans des controverses d'ordre purement terrestre.

Elle est mère. Ne demandez pas à une mère de se prononcer contre l'un ou l'autre de ses fils. Tous doivent également trouver et ressentir en elle cette affection clairvoyante et généreuse, cette tendresse profonde et inaltérable qui donne à ses enfants fidèles la force de cheminer d'un pas plus assuré dans la voie royale de la vérité et de la lumière, et qui inspire aux dévoyés et aux errants le désir de revenir à sa conduite maternelle.

Jamais peut-être l'Eglise du Christ, jamais ses ministres et ses fidèles de tout rang et de toute classe n'ont eu autant besoin de cet amour éclairé, prompt au sacrifice, qui ne connaît ni barrière terrestre ni préjugé humain, que dans les détresses du temps présent, près desquelles semblent pâlir les vicissitudes douloureuses du passé.

C'est pourquoi, seuls l'esprit de charité et le devoir sacré de Notre ministère apostolique inspirent Nos paroles aujourd'hui, veille de Noël ; c'est eux seuls qui Nous incitent à Nous adresser au monde entier, à confier aux ondes aériennes, pour qu'elles la portent au bout de la terre, l'expression de Nos soucis et de Nos craintes, de Nos prières et de Nos plus ardents espoirs — et Nous avons confiance que beaucoup d'hommes au coeur noble et compréhensif, même en dehors de la communion catholique, feront écho à Notre cri et Nous apporteront leur collaboration efficace.

Notre intention est non de critiquer, mais d'encourager ; non d'accuser, mais de secourir. « Des pensées de paix et non d'affliction » (Jr 29,11) meuvent Notre coeur, et Nous voudrions les susciter au fond de l'âme de Nos auditeurs.

Nous savons bien que Nos paroles et Nos intentions risquent d'être mal interprétées ou dénaturées pour des fins de propagande politique.

Mais la possibilité de ces commentaires erronés ou malveillants ne pourrait Nous fermer la bouche. Nous Nous estimerions indigne de Notre charge, de la croix que le Seigneur a posée sur Nos faibles épaules, Nous croirions trahir les âmes qui attendent de Nous la lumière de la vérité et une direction sûre, si, pour éviter des interprétations malignes, Nous hésitions, dans une heure si critique, à faire ce qui dépend de Nous pour réveiller les consciences assoupies et les rappeler aux devoirs qui s'imposent aux soldats du Christ.

Aucun droit de veto, de quelque côté qu'il vienne, ne saurait prévaloir contre le précepte du Christ : « Allez et enseignez. » Dans une indéfectible obéissance au divin Fondateur de l'Eglise, Nous Nous employons, et Nous continuerons à Nous employer jusqu'à l'extrême limite de Nos forces, à remplir Notre mission, celle d'être le défenseur de la vérité, le gardien du droit, le champion des principes éternels d'humanité et de charité. Dans l'exercice de ce devoir qui est le Nôtre, Nous pourrons bien rencontrer des résistances et des incompréhensions. Mais ce qui Nous rend fort, c'est de songer au destin du Rédempteur lui-même et de ceux qui ont suivi ses traces ; c'est de Nous rappeler les humbles, mais confiantes paroles de l'apôtre Paul : « Pour moi, il m'importe fort peu d'être jugé... par les hommes ; mon juge, c'est le Seigneur » (1Co 4,3-4).


I UN LONG ET PÉNIBLE CHEMIN

Il était bien à craindre, vu les ruines et le désordre où le conflit inhumain laissait le monde, que l'itinéraire de la fin de la guerre à la conclusion de la paix fût long et pénible. Mais la durée de l'itinéraire que nous voyons actuellement, sans qu'il soit possible de prévoir, malgré les notables progrès déjà accomplis, ni quand ni comment il aboutira à son terme, et ce prolongement indéfini d'un état anormal d'instabilité et d'incertitude sont l'évident symptôme d'un mal qui constitue la triste caractéristique de notre époque.

L'humanité vient d'être témoin d'une activité prodigieuse dans tous les secteurs de la puissance militaire : formidable de précision et d'ampleur pour la préparation et l'organisation, foudroyante de rapidité et d'improvisation pour s'adapter continuellement aux circonstances et aux besoins ; elle constate à présent avec quelle lenteur s'élaborent et se déroulent les préparatifs de la paix au milieu de contradictions non encore surpassées pour la fixation des buts et des méthodes.

Quand la charte de l'Atlantique fut promulguée, les peuples se tinrent tous aux écoutes ; finalement, on respirait.

Qu'est-il resté maintenant de ce message et de ses dispositions ?

Même chez certains de ces Etats qui — soit de leur propre initiative, soit sous l'égide de puissances plus grandes — aiment à s'offrir à l'humanité d'aujourd'hui pour les promoteurs d'un vrai progrès nouveau, les « quatre libertés », naguère saluées par beaucoup avec enthousiasme, ne semblent quasi plus qu'une ombre ou une contrefaçon de ce qu'elles étaient dans l'esprit et les intentions les plus loyales de leurs promulgateurs.

Nous reconnaissons bien volontiers les efforts incessants d'hommes d'Etat illustres, qui, depuis près d'une année, dans une suite presque ininterrompue de conférences laborieuses, se sont employés à réaliser ce que les honnêtes gens du monde entier désiraient, ou ce qui était l'objet de leurs ardentes aspirations.

Malheureusement, les oppositions d'opinion, les défiances et les suspicions réciproques, la valeur discutable, en fait et en droit, d'un certain nombre de décisions déjà prises ou à prendre encore, ont rendu incertaines et fragiles la consistance et la vitalité des compromis et des solutions basées sur la force ou sur le prestige de la puissance politique, laissant au fond de beaucoup de coeurs désillusion et mécontentement.

Au lieu de s'acheminer vers une réelle pacification, en de vastes territoires du globe terrestre, en de larges régions spécialement d'Europe, les peuples se trouvent dans un état de constante agitation, dont pourraient sortir, tôt ou tard, les étincelles de nouveaux conflits.


II

UNE TRIPLE INVITATION AUX GOUVERNANTS

Qui voit et médite tout cela reste intimement persuadé de la gravité de l'heure présente et éprouve le besoin d'inviter les gouvernants des peuples, qui tiennent le sort du monde entre leurs mains et font dépendre de leurs délibérations l'heureuse issue ou la faillite de la paix, à une triple considération :

1° La première condition pour répondre à l'attente des peuples, atténuer et faire disparaître progressivement les troubles intérieurs dont ils souffrent, écarter les dangereuses tensions internationales, c'est que toutes vos énergies et tout votre bon vouloir tendent à faire cesser l'intolérable situation actuelle d'incertitude, à presser le plus possible — malgré les difficultés qu'aucun esprit serein ne peut méconnaître — l'avènement d'une paix définitive entre tous les Etats.

Durant les longues années de la guerre et de l'après-guerre, la nature humaine, en proie à d'innombrables et indicibles souffrances, a fait preuve d'une force de résistance incroyable. Mais cette force est limitée ; pour des millions d'êtres humains, la limite est atteinte ; le ressort est déjà trop tendu ; un rien suffirait à le briser, et la rupture pourrait avoir des conséquences irrémédiables.

L'humanité veut pouvoir de nouveau espérer.

Tous ceux-là ont un vif et réel intérêt à la conclusion d'une paix rapide et totale, qui savent que seul un prompt retour à des relations normales entre les peuples dans l'ordre économique, juridique et spirituel, peut préserver le monde de secousses incalculables et de désordres qui profiteraient uniquement aux forces obscures du mal.

C'est pourquoi, faites en sorte que l'année qui touche à sa fin soit la dernière de cette vaine et insatisfaisante attente, faites en sorte que l'an nouveau voie se conclure la paix.

2° L'année de la conclusion ! Cette pensée nous amène à la seconde prière que tout esprit droit adresse aux dirigeants des peuples :

Vous désirez avec raison — comment pourrait-il en être autrement ? — voir vos noms gravés en lettres d'or par l'histoire sur les tablettes des bienfaiteurs du genre humain. La simple supposition, par contre, qu'ils puissent être un jour, même sans faute volontaire de votre part, mis au pilori parmi les auteurs de sa ruine, vous fait horreur. Appliquez donc toutes les forces de votre volonté et de votre pouvoir à donner à votre oeuvre de paix le sceau d'une vraie justice, d'une prévoyante sagesse, d'un dévouement sincère aux intérêts solidaires de la famille humaine tout entière.

Le profond accablement où l'horrible guerre a jeté l'humanité exige impérieusement d'être surmonté et guéri grâce à une paix, d'une haute portée morale et au-dessus de toute critique, qui enseigne aux générations futures à bannir tout esprit de violence brutale et à rendre à l'idée de droit le primat qui lui a été injustement ravi.

Nous apprécions à son juste prix l'ardu, mais noble travail de ces hommes d'Etat qui, sourds aux voix trompeuses de la vengeance et de la haine, se sont ingéniés et s'ingénient encore inlassablement à poursuivre un si haut idéal. Mais, malgré leurs efforts généreux, qui pourrait donc affirmer que des discussions et des tractations de l'année à son déclin soit sorti un plan clair, logiquement ordonné dans ses grandes lignes, aptes à ranimer chez tous les peuples la confiance en un avenir de tranquillité et de justice ?

Sans doute, une guerre aussi funeste, déchaînée par une injuste agression et continuée au-delà des limites du licite, quand déjà elle apparaissait irrémédiablement perdue, ne pourrait se terminer par une paix privée de garanties qui empêchent le retour à de semblables violences.

Mais toutes les dispositions répressives et préventives doivent conserver leur caractère de moyens et rester, par conséquent, subordonnées au but suprême et dernier d'une véritable paix, lequel consiste à associer peu à peu, avec toutes les nécessaires garanties, vainqueurs et vaincus dans une oeuvre de reconstruction, aussi bien à l'avantage de la famille entière des nations que de chacun de ses membres.

Tout observateur impartial voudra reconnaître que ces principes indiscutables ont fait, l'année passée, en partie par suite des douloureuses répercussions sur les intérêts vitaux des Etats vainqueurs eux-mêmes, de réels progrès dans de nombreux esprits.

Il est également satisfaisant de remarquer comment des voix autorisées et compétentes s'élèvent toujours plus contre la tentation de l'un quelconque des Etats vainqueurs à se prévaloir sans limite des circonstances actuelles, et contre une excessive restriction du niveau de vie et de la reprise économique chez les vaincus.

Le contact immédiat avec la misère indicible de l'après-guerre en certaines régions a éveillé dans beaucoup de coeurs la conscience d'une responsabilité solidaire pour adoucir en fait et surmonter définitivement un si grand mal ; ce sentiment n'est pas moins honorable pour les uns qu'encourageant pour les autres.

Un nouveau facteur est venu ces derniers temps stimuler le désir de paix et la volonté de la promouvoir plus efficacement. La puissance des nouveaux engins de destruction, que la technique moderne a augmentée et augmente toujours plus jusqu'à en faire aux yeux de l'humanité terrifiée comme des spectres d'enfer, a mis au centre des discussions internationales, sous des aspects entièrement nouveaux et avec des attirances jamais encore éprouvées, le problème du désarmement, suscitant ainsi l'espoir de réaliser ce que les siècles passés avaient en vain rêvé.

Nonobstant ces motifs bien fondés de confiance, dont personne plus que l'Eglise ne peut se réjouir, il semble, dans l'état présent des choses, qu'on doive prévoir avec une grande probabilité que les futurs traités de paix ne seront qu'un opus imperfectum (une oeuvre imparfaite) ; beaucoup de leurs auteurs eux-mêmes y reconnaîtront plutôt le résultat de compromis entre les tendances ou les prétentions des diverses forces politiques, que l'expression de leurs idées personnelles appuyées sur les vrais et justes concepts de droit et d'équité, d'humanité et de sagesse.

3° Cette considération conduit naturellement à la troisième invitation adressée aux gouvernants des peuples :

Si vous voulez donner à votre entreprise pour l'organisation nouvelle et pour l'assurance de la paix, stabilité interne et durée ; si vous voulez empêcher que tôt ou tard elle ne soit réduite en morceaux par ses propres heurts, par la difficulté pratique de la mettre en actes, par ses imperfections et ses lacunes inhérentes, par ses omissions et insuffisances aujourd'hui peut-être inévitables, par ses lointains effets matériels ou psychologiques, qu'il n'est pas possible actuellement de prévoir : ayez soin de ne pas exclure à l'avance l'éventualité de possibles corrections, selon une procédure à préciser nettement, dès l'instant où la majorité des peuples, la voix de la raison et de l'équité signalent d'opportuns, souhaitables ou peut-être même obligatoires remaniements.

Une machine peut paraître, en projet, d'une perfection indiscutable par sa précision rigoureusement mathématique, mais se manifester ensuite gravement défectueuse une fois mise à l'épreuve de la réalité, où elle se trouve facilement exposée à nombre d'accidents techniquement imprévisibles. Combien plus dans l'ordre moral, social, politique, un plan peut-il sembler excellent sur le papier, résultat de discussions laborieuses, mais s'écrouler ensuite à l'épreuve du temps et de l'expérience, où les facteurs psychologiques ont une place de première importance ! Certainement, on ne peut tout prévoir. Mais il est sage de maintenir une porte ouverte à de futures retouches, à d'éventuels accommodements.

Ce faisant, vous vous montrerez fidèles aux paroles prononcées en des circonstances mémorables par des interprètes autorisés de l'opinion publique ; vous serez certains de ne causer aucun préjudice à votre intérêt bien compris, et vous donnerez à toute la famille humaine un exemple lumineux, en montrant qu'il n'est pas d'autre chemin assuré vers la paix souhaitée que celui qui procède de la rééducation de l'humanité à l'esprit de solidarité fraternelle.


III

LA LUMIÈRE DE BETHLÉEM

Même avec la conscience d'avancer par la voie sûre, il est beau d'y marcher dans la lumière ! La lumière : regardez-la, vous tous qu'unit la même foi dans le Sauveur du monde ! Pour éclairer le sentier, elle descend de l'étoile qui brille au-dessus de Bethléem.

Si on veut revenir aux grands principes de la justice qui conduisent à la paix, il faut passer par Bethléem, il faut en appeler à l'exemple et à la doctrine de Celui qui, de la crèche à la croix, ne connut pas de plus haute mission que d'accomplir la volonté du Père des cieux, de tirer le monde de la nuit de l'erreur et de la boue du péché où il gisait alors misérablement, de réveiller en lui la conscience de son assujettissement à la majesté de la loi divine, comme norme d'une pensée juste, comme impulsion d'une volonté ferme, comme mesure d'une action saine et consciencieuse.

Le « grand retour » aux maximes du message de Bethléem n'a jamais été aussi nécessaire au monde qu'aujourd'hui.

Et rarement le contraste fut aussi douloureusement évident, parmi les hommes, entre les préceptes de ce message divin et la réalité telle que nous la voyons.

Voudriez-vous, chers fils et chères filles, effrayés par ce contraste, perdre courage ? Voudriez-vous augmenter le nombre de ceux qui, déconcertés par l'instabilité des temps, vacillent eux-mêmes et, plus ou moins consciemment, font ainsi le jeu des adversaires du Christ ? Voudriez-vous faire preuve de pusillanimité en face de la marée montante de l'orgueil et de la violence antichrétienne ?

Aucun chrétien n'a le droit de se montrer fatigué de la lutte contre la vague antireligieuse de l'heure présente. Néanmoins, quels que soient les forces, les méthodes, les armes, les paroles mielleuses ou menaçantes, les travestissements dont l'ennemi se couvre, personne ne pourrait être excusé de rester devant lui les bras croisés, le front baissé, les genoux tremblants.

La tactique employée contre l'Eglise est toujours la même : « Frappez le pasteur et les brebis seront dispersées » (Za 13,7). Toujours la même tactique, impuissante à se renouveler, toujours aussi vaine que peu glorieuse ; elle se répète dans les lieux les plus divers et elle s'essaye jusqu'au pied de la Chaire de Pierre. L'Eglise ne craint pas, même si son coeur saigne, non pour elle (elle a les promesses divines), mais pour la perte de tant d'âmes ; ses annales sont là pour lui rappeler combien de fois les assauts les plus furieux se sont brisés en écumant contre le rocher fort et calme sur lequel, sûre de l'immortalité, elle repose. Aujourd'hui comme hier, demain comme aujourd'hui, tous les efforts pour la vaincre et pour la désagréger devront céder et se briser devant la force vitale du vinculum caritatis (du lien de charité), qui unit le pasteur au troupeau.

Si dans l'accomplissement ardu, mais ferme de Notre devoir, quelque chose Nous donne sérénité et courage, c'est, après Notre confiance en Celui qui choisit les faibles pour confondre l'arrogance des forts, la conviction solidement fondée de pouvoir compter sur la prière, sur la fidélité, sur la vigilance d'une acies ordinata, « d'une armée bien rangée » (Ct 6,3), dont l'ardeur et l'expérience ont eu raison des plus dures épreuves.

Nous avons eu récemment la joie d'élever aux honneurs des autels une troupe héroïque de martyrs 2 qui, en scellant de leur sang la profession de leur foi, ont illustré l'aurore de notre siècle.

Depuis lors, d'autres phalanges de prêtres et de fidèles, soldats du Christ encore inconnus, lui ont rendu et lui rendent le même témoignage. Le jour viendra, n'en doutons pas, qui les fera sortir de l'ombre et monter dans la gloire, quand l'histoire de notre temps verra enfin tomber le lourd rideau qui la voile et l'obscurcit.

Puisse l'exemple de leur courage et de leur fidélité poussé jusqu'au mépris de la mort enflammer les coeurs de Nos chers fils et de Nos chères filles, et leur infuser ces mêmes sentiments de force et de confiance qui assureront à l'étendard du Christ sa victoire pacifique pour le plus grand bien de toute l'humanité.


IV

LE FLÉAU DE LA FAMINE

Nous ne pouvons terminer Notre message de Noël sans un rappel des souffrances et des besoins qui dérivent des graves conditions alimentaires et sanitaires des nations éprouvées par la guerre.

Déjà, le 5 avril de cette année, Nous avons lancé un cri d'appel aux gouvernants et aux peuples des pays qui, grâce à leurs réserves, pouvaient venir en aide aux populations affamées. Et, vraiment, beaucoup a été fait. En face des tragiques infortunes qui frappaient surtout les faibles, les vieillards, les enfants, le monde civilisé n'est pas resté insensible ni paresseux. La louange en est due au sens humain et chrétien des hommes et des nations qui se sont employés à créer de multiples oeuvres d'assistance. Parcourant à nouveau les routes ensanglantées des armées, ils ont apporté aux victimes de la guerre des secours de toute nature ; ils ont sauvé l'honneur de l'humanité si honteusement piétiné par la violence et la haine.

Plût au ciel que ces trésors de volonté et de ressources, charitablement dépensés pour assister les plus malheureux et les soustraire à l'extrême misère, eussent correspondu suffisamment aux besoins ! Malheureusement, il n'en est pas ainsi. C'est pourquoi Nous Nous trouvons contraint de renouveler Notre appel du printemps dernier. Sur de vastes territoires de l'Europe et de l'Extrême-Orient planent les spectres de la plus effroyable disette et de la famine noire.

Le pain — au sens littéral du mot — manque à des populations entières, qui vont, par suite, en s'affaiblissant misérablement, anémiées, épuisées, en proie aux maladies et à la misère, et que travaillent dangereusement de sourdes impulsions, des rancunes désespérées et de profonds bouleversements sociaux.

Tel est le redoutable danger qui assombrit l'aube du nouvel an, danger d'autant plus grave que, d'après certains symptômes révélateurs d'incertitude et de lassitude, cette oeuvre magnifique de solidarité humaine semble tout près de faire défaut, avant même qu'il soit porté remède aux maux qu'elle voulait secourir.

Il est humain, en effet que ceux dont le sort est privilégié, soient portés à se retirer, en oubliant les maux d'autrui. L'oreille et le coeur fermés aux disgrâces d'un prochain inconnu et lointain, ils croient pouvoir justifier devant leur propre conscience le fait de s'isoler et de se désintéresser des nécessités des autres ; les besoins personnels épuisent les ressources qu'une industrieuse charité ménageait ; et les moyens de secours, que la piété fraternelle aurait destinés à un actif réconfort des malheureux, se trouvent frustrés de leur efficacité.

C'est pourquoi Nous répétons à tous ceux qui peuvent tendre une main secourable : que votre zèle ne se refroidisse pas ! Que votre aide soit toujours prête et généreuse ! Faites taire tout égoïsme étroit, toute mesquine hésitation, toute amertume, toute indifférence, toute rancune. Que votre oeil ne porte son regard que sur la misère et, surtout, sur l'anxiété de millions d'enfants et de jeunes gens, parmi lesquels la famine fait des ravages ! De cette manière, vous donnerez et à la fois vous recevrez l'ineffable don de Noël : « Paix sur terre aux hommes de bonne volonté ! »

En effet, rien n'est aussi propre à créer les présupposés spirituels indispensables de la paix que le soulagement libéralement accordé, d'Etat à Etat, de peuple à peuple, au-dessus de toute frontière nationale, de telle sorte que, apaisés de toutes parts les sentiments de rivalité et de vengeance, freinées les ambitions de domination, bannie la pensée d'un isolement privilégié, les peuples apprennent par leurs propres épreuves à se connaître, à se tolérer, à s'entraider, et que sur les ruines d'une civilisation oublieuse des préceptes évangéliques, se reconstruise la cité chrétienne, dont la loi suprême est l'amour.

C'est le souhait que Nous formons pour tous ceux qui Nous écoutent en cette veille de Noël, « la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence » (Ph 4,7), tandis que de tout Notre coeur Nous accordons à Nos fils et à Nos filles du monde entier, comme gage des grâces les plus précieuses du Verbe de Dieu fait homme, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1946 - MESSAGE AUX RÉFUGIÉS ET AUX PRISONNIERS DE GUERRE SE TROUVANT EN ITALIE