Pie XII 1947 - DISCOURS AUX PÈLERINS A L'OCCASION DE LA CANONISATION DE SAINT LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT


HOMÉLIE LORS DE LA CANONISATION DE SAINTE CATHERINE LABOURÉ

(27 juillet 1947) '

Immédiatement après le chant du « Te Deum », qui suivit la canonisation de la nouvelle sainte Catherine Labouré2, le Saint-Père prononça l'homélie suivante :


1 D'après le texte latin des A. A. S., 39, 1947, p. 378 ; traduction française de la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 1474.
2 Catherine Labouré naquit le 2 mai 1806 à Fain-le-Moutiers près de Dijon. Le 21 avril 1830, elle entra chez les Filles de la Charité, au noviciat de la rue du Bac. Dès juillet et novembre de la même année, elle fut favorisée de plusieurs apparitions de la Sainte Vierge qui lui confia la mission de répandre la médaille miraculeuse, avec l'inscription : « O Marie conçue sans péché ». Elle en garda pendant quarante-six ans le secret dont elle ne fit confidence qu'à ses directeurs spirituels, et six mois avant sa mort à sa supérieure. Elle mourut le 31 décembre 1876 à l'hospice d'Enghien où elle soigna les vieillards pendant quarante ans après avoir été engagée à la cuisine et à la lingerie. Ses restes ont été exhumés le 21 mars 1933 et transportés rue du Bac. Elle a été béatifiée le 28 mai 1933.


« Je vous loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces vérités aux sages et aux prudents, et les avez manifestées aux petits » (Mt 11,25 Lc 10,21).

Au moment où dans la majesté de ce temple Catherine Labouré brille de la gloire nouvelle qui la couronne, Nous aimons à répéter cette parole de notre divin Rédempteur ; elle répond trop bien, d'une part, à la simplicité de cette âme, et de l'autre, aux dons surnaturels que Dieu lui a accordés et à la mission unique et merveilleuse que la Très Sainte Vierge lui a confiée.

Certes, c'est une chose digne de la plus grande admiration que de voir l'auguste Mère de Dieu apparaître, comme on le rapporte, à l'humble jeune fille, s'entretenir confidentiellement avec elle, lui montrer, projetant sous ses yeux l'éclat de ses rayons, la médaille miraculeuse qui devra être propagée par tous les moyens et avec l'effusion d'une pluie surabondante de grâces. Mais bien plus dignes d'admiration encore Nous semblent les vertus qui ornent cette fille de saint Vincent ; de son vivant, elles ont fait d'elle un éclatant exemple pour ses soeurs ; et aujourd'hui, comme autant de pierres précieuses, elles brillent à son front dans les choeurs des saintes du ciel.

Elle se distingue particulièrement par son application à l'humilité chrétienne et par la simplicité de sa vie ; bien que jouissant auprès de notre divin Rédempteur et de sa très sainte Mère de tant de grâces et de tant de faveurs, elle n'en aimait pas moins, telle une violette cachée, à vivre inconnue dans l'ombre et le silence, se contentant de répandre autour d'elle l'attirante suavité des parfums du ciel qui trahissaient sa sainteté intérieure. L'innocence de sa vie, l'éclatante pureté de son âme brillaient dans son regard et dans tout son extérieur virginal avec un tel rayonnement qu'elle attirait tout le monde aux choses célestes et portait puissamment à la poursuite de la vertu.

Cependant, malgré les visions surnaturelles dont elle avait été plus d'une fois honorée, malgré les délices spirituelles dont elle était souvent comblée, ne laissant pas de se considérer humblement comme une ché-tive servante de Dieu, elle ne recherchait point les pauvres gloires de ce monde, mais elle aimait bien plutôt à être ignorée et comptée pour rien3. Aussi, uniquement soucieuse de l'honneur de Dieu et de sa sainte Mère, elle acceptait volontiers les emplois communs, même les plus vulgaires qu'on pouvait lui confier dans sa famille religieuse. C'est ainsi que nous la voyons soigner diligemment les malades dont elle avait à coeur de soulager non seulement le corps, mais l'âme ; servir, dans l'oubli d'elle-même, les vieillards et les infirmes ; remplir les fonctions de portière, et là, faire à tous, sans exception, un accueil gracieux et modeste ; s'employer à la cuisine, ravauder les vêtements déchirés ou usagés ; enfin s'acquitter de tous les emplois même répugnants et pénibles qu'on lui confiait, et n'en jamais refuser aucun. Et tandis que toujours vaillante, active, joyeuse même, elle accomplissait sa besogne, son esprit ne se détachait pas des réalités célestes, car elle s'était fait une loi de regarder Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu.

Dès qu'elle pouvait aller devant le tabernacle eucharistique ou se mettre devant l'image bénie de la Mère de Dieu, lui offrir ses hommages, lui présenter ses prières tout enflammées, elle le faisait

3 Imitation de Jésus-Christ, 1, 3.

avec empressement, avec quel vif élan d'amour ! Il était manifeste par là que, dans cet exil terrestre même, elle habitait en esprit et de coeur au ciel ; que son désir le plus ardent était de s'élever d'un pas rapide vers la perfection, que toute sa personne et toutes ses forces étaient tendues vers ce but. Elle se portait avec une ferveur particulière à aimer le Sacré-Coeur de Jésus et le Coeur Immaculé de Marie ; et par ses paroles et ses exemples elle incitait puissamment tous ceux qu'elle pouvait à leur rendre amour pour amour.

Aussi parvenue au terme de sa vie mortelle, ce n'est pas avec crainte, mais avec joie et un visage épanoui qu'elle affronta la mort. Totalement abandonnée à Dieu et à la conduite de la très sainte Vierge, après avoir pu, de ses mains défaillantes et tremblantes, distribuer une dernière fois la médaille miraculeuse à ceux qui l'entouraient, tranquille, le sourire aux lèvres, elle s'envola vers le ciel.

Si nous méditons avec un esprit attentif et actif la vie terrestre de cette sainte du ciel, beaucoup de choses, en vérité, nous sont proposées comme exemples salutaires. Cependant, que ceci soit d'abord établi, à savoir que la puissante protection et le secours très assurés de Marie ne manqueront à aucun de ceux qui professent une sincère dévotion envers l'auguste Mère de Dieu et s'efforcent, selon leur pouvoir, de suivre ses traces très saintes. Sainte Catherine Labouré nous exhorte tous par son exemple à avoir cette piété fervente et effective. Si nous répondons avec bonne volonté et par nos actions à son exhortation, assurément notre marche vers la vertu sera plus facile, notre montée vers le céleste bonheur sera elle aussi plus aisée et moins entravée. Ainsi soit-il.


DISCOURS AUX PÈLERINS A L'OCCASION DE LA CANONISATION DE SAINTE CATHERINE LABOURÉ

(28 juillet 1947)i

Le lendemain de la canonisation de sainte Catherine Labouré 2, le Saint-Père recevant en audience les pèlerins et les 2000 Filles de la Charité venus à Rome, leur adressa ce discours :

Dès les premières pages de son incomparable chef-d'oeuvre l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ, laisse tomber de sa plume cette leçon de sa propre expérience, ce secret de sa paix sereine et com-municative : « Veux-tu apprendre et savoir quelque chose d'utile ? Aime à être ignoré ! » (L. I, ch. II). Ama nesciri ! Deux mots prodigieux, stupéfiants pour le monde qui ne comprend point, béatifiants pour le chrétien qui sait en contempler la lumière, en savourer les délices.

Le Pape met en relief la vie cachée de la nouvelle sainte.

Ama nesciri ! Toute la vie, toute l'âme de Catherine Labouré sont exprimées dans ces deux mots.

Rien pourtant, même de la part de la Providence, ne semblait lui dicter ce programme : ni son adolescence, durant laquelle la mort de sa mère, la dispersion des aînés avaient fait reposer sur ses épaules d'enfant toute la charge du foyer domestique ; ni les étranges voies par lesquelles elle doit passer pour répondre à sa vocation et triompher des oppositions paternelles ; ni cette vocation même à la grande et vaillante phalange des Filles de la Charité qui, par la volonté et suivant l'expression pittoresque de saint Vincent de Paul, ont « pour cloître les rues de la ville ; pour clôture, l'obéissance ; pour grille, la crainte de Dieu ; pour voile, la sainte modestie ».

Du moins, semblerait-il, sa retraite et sa formation dans le séminaire de la rue du Bac favoriseront son recueillement et son obscurité ? Mais voici qu'elle y est l'objet des faveurs extraordinaires de Marie qui fait d'elle sa confidente et sa messagère.

La sainte reçoit du ciel une triple mission à accomplir.

Si encore il s'était agi seulement de ces hautes communications et visions intellectuelles qui élevaient vers les sommets de la vie mystique une Angèle de Foligno, une Madeleine de Pazzi ; de ces paroles intimes dont le coeur garde jalousement le secret ! Mais non ! Une mission lui est confiée qui doit être non seulement transmise mais remplie au grand jour : réveiller la ferveur attiédie dans la double Compagnie du saint de la charité 3 ; submerger le monde tout entier sous un déluge de petites médailles, porteuses de toutes les miséricordes spirituelles et corporelles de l'Immaculée ; susciter une association pieuse d'Enfants de Marie pour la sauvegarde et la sanctification des jeunes filles.

Sans aucun retard, Catherine s'est donnée à l'accomplissement de sa triple mission. Les doléances de la Mère de Dieu ont été entendues et l'esprit du saint fondateur a refleuri alors dans les deux communautés. Mais non moins que par sa fidélité à transmettre le message, c'est par sa constance à y répondre elle-même que Catherine en a procuré l'efficacité, mettant sous les yeux de ses soeurs, pendant près d'un demi-siècle, le spectacle saintement contagieux d'une vraie fille de saint Vincent, d'une vraie Fille de la Charité, joignant à toutes les qualités humaines de savoir-faire, de tact, de bonté, les vertus surnaturelles qui font vivre en Dieu, « cette pureté d'esprit, de coeur, de volonté qui est le pur amour ».

La médaille, dont Marie elle-même avait parlé à sa confidente, a été frappée et répandue par millions dans tous les milieux et sous tous les climats, où elle a été dès lors l'instrument de si nombreuses et extraordinaires faveurs aussi bien corporelles que spirituelles, de tant

3 Saint Vincent de Paul a fondé en 1625 les Prêtres de la Mission (qu'on appelle ordinairement Lazaristes) dont la maison-mère est à Paris, 95, rue de Sèvres. On compte 4700 religieux profès. Et en 1646, les Filles de la Charité, qui sont aujourd'hui au nombre de 40 000 réparties dans plus de 3500 maisons. La maison-mère en est 140, rue du Bac, à Paris.

de guérisons, de protections, de conversions surtout, que la voix du peuple l'a aussitôt appelée « la médaille miraculeuse ».

Et l'association des Enfants de Marie !4 Nous sommes heureux de la saluer tout entière en vous qui la représentez ici, chères filles, en rangs pressés, et de le faire précisément en ce temps où elle vient à peine d'achever dignement le premier siècle de son existence. En effet, il y a eu, le mois dernier, tout juste cent ans que Notre prédécesseur Pie IX, de sainte mémoire, ratifiait son acte de naissance, par le rescrit du 20 juin 1847, lui conférant l'érection canonique et lui accordant les mêmes indulgences dont jouissaient alors les congrégations mariales.5

Son action et son influence.

Comme vous devez l'apprécier et l'aimer, tant pour le bien que vos aînées et vous-mêmes en avez déjà reçu, que pour celui qu'elle vous met en mesure de faire autour de vous ! Or ce bien immense se manifeste clairement pour peu que l'on considère, d'une part, le besoin auquel elle répond et qui la rend souverainement opportune, pour ne pas dire impérieusement nécessaire et, d'autre part, les fruits abondants qu'elle a déjà portés au cours de cette étape centenaire.

La Soeur Labouré le comprenait ce besoin, elle le sentait profondément en son coeur ardent de zèle et de charité. Elle compatissait aux pauvres enfants du quartier de Reuilly, à ces petites, ces toutes petites — même de huit à douze ans ! — qui s'en allaient travailler et qui, trop souvent, hélas, se perdaient dans les fabriques en contact permanent avec l'ignorance et la corruption de leurs compagnes. Ces tendres victimes avaient besoin d'air pur, de lumière, de nourriture spirituelle. On en a pitié ; on ouvre pour elles un patronage ; on leur enseigne le catéchisme ; notre sainte distribue à profusion la médaille miraculeuse. Si utile, si précieux que tout cela soit, elle ne s'en contente pas tant que l'association n'y est pas formée pour l'appui mutuel, pour la direction religieuse et morale de ces enfants, surtout pour les abriter sous le manteau maternel et virginal de Marie.

Depuis, quels développements ! Qui dénombrera ces saintes phalanges d'Enfants de Marie au voile blanc comme le lis et dont le

4 L'association des Enfants de Marie a pour but d'honorer et de faire honorer Marie Immaculée par l'imitation de ses vertus, particulièrement de sa pureté, de son humilité, de son obéissance et de sa charité. Elle comptait en France, en 1946, 1360 groupes réunissant près de 60 000 associées.

5 Acta Apostolica in gratiam Congregationis Missionis, Parisiis 1876, pp. 253-254.

nom seul paraît déjà apporter avec lui comme une brise fraîche toute parfumée de pureté et de piété ?

L'association des Enfants de Marie est-elle encore adaptée à notre temps ?

Les temps ont changé, entendez-vous dire autour de vous et l'on semble vouloir insinuer par là que celui des choses d'hier est passé ; qu'elles doivent céder la place à d'autres plus nouvelles.

Oui, sans doute, les temps ont changé. L'instruction, l'instruction profane du moins, est plus développée en extension, sinon en profondeur, qu'à l'époque de Catherine Labouré ; la législation sociale s'est occupée davantage et fort louablement du sort des enfants et des jeunes filles, les arrachant à l'esclavage d'un travail précoce disproportionné à leur sexe et à leur âge ; la jeune fille a été affranchie, ou s'est affranchie elle-même, de quelques servitudes, de beaucoup de conventions et de convenances plus nombreuses encore. Sans doute aussi, sous l'influence de l'Eglise, d'heureuses transformations ont été progressivement obtenues qui ont favorisé la solide éducation, la saine activité, la légitime initiative de la jeune fille chrétienne. C'est vrai, tout cela a changé. Encore faut-il reconnaître la part qu'ont eue à ces changements les institutions catholiques si multiples et si variées.

Mais, sous cette évolution que personne d'ailleurs ne songe à contester, certaines choses, les principales, demeurent permanentes, à savoir : la loi morale, la misère humaine, conséquence du péché originel et, en connexion avec ces données immuables, les bases fermes sur lesquelles doivent nécessairement s'appuyer la sauvegarde de cette loi morale, les conditions essentielles des remèdes à ces misères.

Les jeunes filles d'aujourd'hui ont besoin de ces associations comme leur devancières d'il y a un siècle.

De fait, bien que votre situation privilégiée d'Enfants de Marie vous mette, grâce à Dieu, à l'abri de la triste expérience de la plupart, vous ne pouvez quand même ne pas connaître le monde au sein duquel vous vivez. Or, les temps vous semblent-ils tellement changés que les périls qui vous guettent soient moindres qu'autrefois ? L'ignorance était alors fort répandue ; l'ignorance religieuse, la pire de toutes, est-elle aujourd'hui moins profonde ? N'a-t-elle pas plutôt envahi, au contraire, des foyers, des familles, où la religion était jadis en honneur et aimée parce que connue et intelligemment pratiquée ? Qui oserait affirmer que les rues, les kiosques de journaux, les charrettes et les vitrines de librairie, les spectacles, les rencontres fortuites ou les rendez-vous combinés, que le lieu même de travail et les transports en commun offrent moins d'occasions dangereuses qu'il y a cent ans, quand elles faisaient trembler Catherine Labouré ? Et le soir venu, le retour à la maison assure-t-il autant qu'alors cette intimité de la famille chrétienne, qui rafraîchissait, purifiait et réconfortait le coeur après les dégoûts ou les faiblesses de la journée ?

A ces maux, quels remèdes ? A cette atmosphère malsaine, quelle hygiène opposer ? Ici encore, les modalités peuvent et doivent changer pour s'adapter, au jour le jour, à celles de la vie actuelle et aux circonstances ; elles pourront et devront varier aussi pour répondre aux aspirations, aux tempéraments, aux aptitudes, qui ne sont pas, en toutes, les mêmes. Mais au fond, associations ou pieuses unions d'Enfants de Marie, groupes d'Action catholique, congrégations de la Sainte Vierge, confréries et tiers-ordres, que trouve-t-on là sinon les éléments essentiels de toute hygiène et de toute thérapeutique morale ? Une doctrine religieuse consciencieusement approfondie, une direction spirituelle suivie, la pratique fréquente des sacrements et de la prière, les conseils éclairés et les secours assidus de directrices expérimentées et dévouées, et puis la force si puissante de l'association, de l'union fraternelle, du bon exemple, tout cela sous le patronage, sous la conduite, sous la protection vigilante et ferme, en même temps que miséricordieuse, de la Vierge Immaculée. N'est-ce pas elle-même qui a expressément voulu et inspiré l'oeuvre dont Catherine Labouré a été d'abord la confidente et la messagère, puis la propagatrice et l'active ouvrière ?

L'humilité de sainte Catherine Labouré.

Pour réaliser les trois demandes de Marie, notre sainte a prié, elle a lutté, elle a peiné sans relâche. Tout le monde était témoin de cette réalisation ; tout le monde en parlait, tout le monde savait aussi, vaguement du moins, de quelles faveurs célestes une Fille de la Charité avait été l'objet et les grandes choses que la Mère de Dieu avait faites par son ministère. Mais cette privilégiée, cette mandataire, cette exécutrice de si vastes desseins, qui était-elle ? Et quel était son nom ? Nul ne le savait, hormis son confesseur, dépositaire de son secret. Et cela a duré pendant quarante-six ans, sans que, un seul instant, le voile de son anonymat fût soulevé !

Ama nesciri ! Oui, c'est bien cela ; elle aime d'être ignorée ; c'est sa vraie joie et son intime satisfaction ; elle la savoure avec délices. D'autres qu'elle ont reçu de grandes lumières, ont été chargées de grands messages ou de grands rôles et sont demeurées dans l'ombre ou s'y sont réfugiées au fond d'un cloître, pour fuir la tentation de vaine gloire, pour goûter le recueillement, pour se faire oublier : des grilles les défendaient, un voile épais dérobait leurs traits aux regards, mais leur nom courait sur toutes les lèvres. Elle ne s'est point retirée, bien au contraire, elle continue à se dépenser à longueur de journées parmi les malades, les vieillards, les Enfants de Marie ; on la voit, on la coudoie à toute heure, à tous les carrefours ; elle n'a pas à se cacher : on ne sait pas que « c'est elle » ; elle n'a pas à faire oublier son nom : tant qu'elle vivait, il était inconnu !

Quelle leçon à l'orgueil du monde, à sa fringale d'ostentation ! L'amour-propre a beau se dissimuler et se donner les apparences du zèle ; c'est lui toujours qui, comme jadis l'entourage de Jésus, souffle à l'oreille le Manifesta teipsum mundo (Jn 7,4). Dans l'obscurité où, quarante-six ans, elle a vécu, poursuivant sa mission, Catherine Labouré l'a merveilleusement et fructueusement accomplie.

gloire de sa sainteté éclate aujourd'hui aux yeux de tous.

L'heure est venue pour elle, annoncée par l'Apôtre : « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ, votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez aussi avec lui, dans la gloire » (Col 3,3-4).

Dans la gloire où elle resplendit en pleine lumière là-haut, près du Christ et de sa Mère, dans la gloire dont elle rayonne dès ici-bas où elle avait passé, ignorée, elle continue d'être la messagère de l'Immaculée. Elle l'est près de vous, Prêtres de la Mission, et Filles de la Charité, vous stimulant à la ferveur de votre sainte vocation ; elle l'est près de vous, Enfants de Marie, qu'elle a tant aimées et dont elle est la puissante protectrice, vous exhortant à la fidélité, à la piété, à la pureté, à l'apostolat ; elle l'est près de vous tous, pécheurs, malades, infirmes, affligés qui levez les yeux en répétant avec confiance l'invocation : « O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. » Par son intercession, les plus abondantes faveurs pleuvront sur vous à qui, de tout coeur, Nous donnons, comme gage des grâces divines, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT POUR LE CONGRÈS EUCHARISTIQUE DIOCÉSAIN DE BOLOGNE

(Ie' août 1947) 1

Tandis qu'à Bologne on préparait activement le IIe Congrès eucharistique diocésain annoncé pour les journées du 10 au 17 septembre 1947, le Saint-Père faisait parvenir ses voeux paternels en une lettre de S. Exc. Mgr Montini, substitut de la Secrétairerie d'Etat, à S. Em. le cardinal Giovanni Battista Nasalli Rocca di Corneliano, archevêque de Bologne et fervent promoteur de ce Congrès. Voici la traduction de cette lettre rédigée en italien :

Le projet de convoquer à Bologne, dans le prochain mois de septembre, le Congrès eucharistique diocésain dont vous avez récemment fait part au Saint-Père, auquel vous l'avez amplement exposé, lui a paru tout à fait dans la ligne du zèle pastoral de Votre Emi-nence révérendissime et répondant aux besoins spirituels du moment présent : il l'encourage de tout coeur et en présage un heureux accomplissement.

En cette période, en effet, qui se ressent tellement des conséquences de la guerre, il faut relever, parmi les divers phénomènes spirituels qui regardent la vie religieuse de nos populations, comment, d'un côté, on se lamente sur la disparition grave d'habitudes spirituelles séculaires qui, autrefois, marquaient le rythme de leur travail, remplissaient d'allégresse leurs jours de fête et de repos, renforçaient, ennoblissaient et consacraient leurs sentiments humains et, en revanche, comment on note, d'autre part, une soif de foi sincère et de piété vécue, encore vaguement diffuse dans la conscience populaire, mais plus manifeste et plus active dans celle de quelques groupes encore petits par le nombre, mais riches de volonté de travail et de ferveur, qui font augurer non point un retour formel à des traditions purement extérieures d'autres temps, si belles et si recom-mandables qu'elles fussent, mais plutôt une nouvelle et originale efflorescence d'une vie profondément catholique, dérivée des ressources intimes et inépuisables dont est toujours féconde l'Eglise de Jésus-Christ. Aussi, pour ramener à un nouveau et sincère sentiment religieux notre peuple dans le coeur duquel se cachent encore tant de magnifiques ressources spirituelles — inconscient mais précieux héritage de longues générations élevées dans la piété chrétienne — et pour renforcer l'effort des fervents — excellents prêtres et religieux, laïcs vraiment fidèles, aspirant au règne de Dieu — aucune initiative ne semble devoir être plus opportune et plus efficace que celle d'un congrès eucharistique bien préparé. L'archidiocèse de Bologne en fera aussi l'heureuse expérience ; et c'est dans cette intention que Sa Sainteté lui adresse ses voeux.

Le Congrès diocésain rassemblera les pensées et les projets de Bologne tout entière dans une manifestation aussi pieuse et recueillie que collective et solennelle autour du mystère de la très sainte Eucharistie, don ineffable du Christ pour alimenter d'une vitalité surnaturelle et immortelle le peuple qui le suit et le groupe de ses disciples. Bologne se retrouvera elle-même dans ce grand acte de culte à Jésus-Christ vivant dans son Eglise et préparera ses nouveaux destins spirituels. La cité qui par sa célèbre université s'est acquise, avec tant de mérite, le nom de savante et qui, par les oeuvres des grands maîtres du droit, rayonne tant de lumière, de sagesse et de foi pour l'Europe, en rendant un hommage respectueux et filial au sacrement où se cache le vrai et unique divin Maître, retrouvera les sources de la vérité inépuisable de l'Evangile et découvrira les justes voies du salut de l'homme. Et les populations laborieuses de l'Apennin et de la plaine, déjà habituées aux réunions autour de l'image vénérée de la Madone de saint Luc se rencontreront pieusement dans le lien de la charité qui dérive de la très sainte Eucharistie et sentiront à nouveau en elles-mêmes cette fraternité forte et sincère d'où vit un peuple chrétien.

Notre-Seigneur passant à travers les églises, les monuments et les maisons de Bologne, si douloureusement atteints par la guerre, mais déjà en voie d'activé reconstruction par la force de son peuple généreux, un vif rayon d'espérance chrétienne pénétrera dans les âmes où la souffrance et l'abandon ont laissé les signes de la méfiance et de la haine.

Sa Sainteté augure ces fruits salutaires. Elle regarde avec complaisance tous ses fils fidèles qui, en se retrouvant unis avec leurs prêtres autour de Jésus-Christ, retremperont leur courage pour avancer sur le chemin du bien. Avec une attention non moins paternelle, elle tourne son coeur vers ceux qui résistent à l'invitation de la foi et désertent le festin de la charité et, ignorants ou oublieux de Jésus-Christ et de sa grâce, croient pouvoir répondre aux exigences de la vie moderne, individuelle et sociale, sans son indispensable aide divine ; le Saint-Père désire que, dans une circonstance aussi propice, on veille et on prie spécialement pour ces fils lointains.

Enfin, l'affectueux et pieux souvenir des fidèles défunts qui, dans le programme établi par Votre Eminence, veut unir aux joies des cérémonies eucharistiques la mémoire de ceux qui sont tombés dans le conflit récent, a été pareillement noté par Sa Sainteté comme sage et bienfaisant. La prière de suffrages pour les morts deviendra un avertissement aux vivants de ne pas rendre maintenant inféconds par des rivalités inextinguibles et de nouvelles oppositions tant de sacrifices et de souffrances supportés par tous.

C'est en espérant que le Seigneur exaucera tous ces voeux et projets que le Saint-Père envoie de tout coeur à Votre Eminence, à son clergé et à son peuple, et à tous ceux qui se dévouent pour le plein succès du Congrès eucharistique diocésain, ainsi qu'à ceux qui y prendront part, la Bénédiction apostolique implorée.


LETTRE A L'OCCASION DU CINQUANTENAIRE DE LA MORT DE SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX

(7 août 1947)1

A l'occasion du Congrès national thérésien qui s'est tenu à Paris et à Lisieux du 23 au 30 septembre, le Saint-Père a adressé la lettre suivante à S. Exc. Mgr Picaud, évêque de Bayeux et Lisieux.

Nous Nous sommes paternellement réjoui en apprenant que le cinquantième anniversaire de la bienheureuse mort de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus serait l'occasion d'un grand congrès national, au cours duquel des orateurs de choix s'emploieraient à mettre en lumière le message spirituel de la petite sainte de Lisieux, dont l'opportunité semble n'avoir fait que grandir au cours de ce demi-siècle. Trop de chers souvenirs Nous rattachent personnellement à celle que Nous avons eu la joie de donner récemment comme patronne secondaire à votre chère patrie, pour que Nous ne venions pas apporter aux congressistes Nos encouragements et Notre bénédiction. Nous voudrions même saisir l'occasion pour redire brièvement combien, dans les conjonctures présentes il Nous paraît important que tous, petits et grands, savants et ignorants, suivent les exemples de la sainte carmélite qui a voulu et su vivre ici-bas si parfaitement en véritable enfant du Père céleste.

La voie d'enfance spirituelle.

La voie d'enfance spirituelle que, après beaucoup d'autres saints, elle est venue nous rappeler, est celle recommandée par ces paroles du Sauveur à ses apôtres : « Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux » (Mt 18,3).

Plusieurs s'imaginent que c'est là une voie spéciale, réservée à des âmes innocentes de jeunes novices pour les guider seulement dans leurs premiers pas et qu'elle ne convient pas à des personnes déjà mûres qui ont besoin de beaucoup de prudence, étant donné leurs grandes responsabilités. C'est oublier que Notre Seigneur lui-même a recommandé cette voie à tous les enfants de Dieu, même à ceux qui ont, comme les apôtres qu'il formait, la plus haute des responsabilités : celle des âmes.

On oublie aussi trop souvent que pour voir clair dans la complexité des questions qui tourmentent aujourd'hui l'humanité, il faut, avec la prudence, cette simplicité supérieure que donne la sagesse et que sainte Thérèse de Lisieux nous manifeste de la façon la plus aimable et avec un attrait profond qui s'exerce sur tous les coeurs. Le monde actuel égaré par tant de causes, mais particulièrement par l'orgueil de ses découvertes scientifiques, par sa préoccupation exclusive des biens terrestres, et par les conflits d'intérêt qui en résultent, avait grandement besoin d'entendre ce message d'humilité, d'élévation surnaturelle et de simplicité.

Seulement pour le bien entendre, il faut ne pas perdre de vue la grande sagesse de cette petite sainte, son intelligence pénétrante des choses de Dieu, ses souffrances intérieures héroïquement supportées et qui la conduisirent à une très intime union avec Dieu. On voit par sa vie que la voie d'enfance spirituelle, telle qu'elle l'a conçue sous l'inspiration du Saint-Esprit, mène les âmes aux actes les plus difficiles et les plus élevés, comme à l'offrande totale d'elles-mêmes pour féconder l'apostolat des missionnaires et travailler effectivement à la conversion des pécheurs.

Cette spiritualité rappelle celle de sainte Catherine de Sienne et celle de la grande sainte Thérèse d'Avila. Elle rappelle aussi ces paroles de l'Imitation : « La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous, Seigneur, et non pas en soi, de se réjouir de votre grandeur et non de sa propre vertu, de ne trouver de plaisir en nulle créature qu'à cause de vous » 2.

Enfance ordinaire et enfance spirituelle.

Cette voie d'enfance est très élevée et pourtant c'est bien celle qui convient à tout enfant de Dieu, fût-il arrivé à un âge avance. Sainte Thérèse de Lisieux a été frappée des ressemblances qui

2 Livre III, ch. 40, 5.

existent entre l'enfance ordinaire et l'enfance spirituelle ; mais elle a fort bien noté aussi leurs différences.

Les ressemblances sont manifestes. Généralement l'enfant est simple, sans duplicité, sans complication inutile ; il a aussi conscience de sa faiblesse, car il a besoin de tout recevoir de ses parents. Il est donc porté à croire à tout ce que lui dit sa mère, à avoir une absolue confiance en elle et à l'aimer de tout son coeur. Par suite, si sa mère est chrétienne et lui parle souvent de Dieu, l'enfant exerce de bonne heure les trois vertus théologales : il croit en Dieu, espère en lui et il l'aime, avant de connaître la formule écrite des actes de foi, d'espérance et de charité.

Mais l'enfance spirituelle se distingue de l'autre par la maturité du jugement surnaturellement inspiré par le Maître intérieur : « Ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement, dit saint Paul, mais faites-vous enfants sous le rapport de la malice » (1Co 14,20). De plus, comme l'a noté sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, après saint François de Sales, tandis que, dans l'ordre naturel, l'enfant qui grandit doit apprendre à se suffire, dans l'ordre de la grâce, l'enfant de Dieu, en grandissant, comprend de mieux en mieux qu'il ne pourra jamais se suffire à lui-même, qu'il doit vivre dans une docilité supérieure à son activité personnelle guidée par sa prudence, docilité qui finalement le fera entrer dans le sein du Père, in sinu Patris pour l'éternité.

Cette voie d'enfance, si on l'entend bien, nous rappelle donc la simplicité supérieure de l'âme qui va droit à Dieu avec une intention très pure. Elle nous redit l'importance de l'humilité qui porte à demander la grâce de Dieu, puisque « sans lui nous ne pouvons rien faire » dans l'ordre du salut.

Alors, en suivant ce chemin, la foi devient plus vive, pénétrante et savoureuse, parce que Dieu se plaît à éclairer ceux qui Pécoutent. L'espérance devient de plus en plus confiante, elle tend avec certitude vers le salut : certitudinaliter tendit in suum finem, dit saint Thomas 3 ; elle nous préserve du découragement en nous rap-pellant que le Seigneur, précisément à cause de notre faiblesse, veille attentivement sur nous et aime à secourir ceux qui l'implorent. Selon cette voie, la charité nous porte plus vite à aimer Dieu de tout notre coeur, plus que notre perfection personnelle, à l'aimer purement pour lui-même et pour qu'il règne dans les âmes en les vivifiant et en les attirant fortement à lui.

Ha, Hae, q. 18, a. 4.

Enfin l'enfant de Dieu, s'il est simple avec Dieu et les saints, est aussi, sous l'inspiration du don de conseil, très prudent avec ceux en qui on ne saurait avoir confiance. Et s'il a conscience de sa faiblesse, il est aussi très ferme par le don de force, lorsqu'il faut persévérer au milieu des plus grandes difficultés. Il se rappelle la parole de saint Paul : cum enim infirmor, tunc potens sum (2Co 12,10) ; « Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort, car c'est en Dieu seul que je mets ma confiance ».

Message pour les * petits ».

Ce message, selon la parole de Jésus, est d'abord « révélé aux petits » (cf. Luc, Lc 10,21) qui sont invités à se sanctifier par la fidélité à la grâce du moment présent dans les choses les plus ordinaires de la vie et qui par l'acceptation des sacrifices quotidiens peuvent arriver à l'union constante avec Dieu. Ces « petits », après avoir mis en pratique ce message, sont appelés à le communiquer aux autres, à tous ceux qui ont besoin de l'entendre, à ceux qui ne connaissent pas leur indigence et qui recevraient la vie abondamment, si leur coeur s'ouvrait pour la recevoir. La voie de l'enfance spirituelle nous fait éviter le danger de cet « activisme » tout naturel et excessif qui empêche de réfléchir intérieurement et de prier et qui ne saurait produire les fruits surnaturels de sanctification et de salut.

Les âmes qui le comprennent ont trouvé la perle précieuse dont parle l'Evangile ; elles voient que la vraie vie chrétienne est la vie éternelle commencée, et Dieu opère en elles pour régner plus profondément dans les intelligences et dans les coeurs.

Daigne le Saint-Esprit accorder l'abondance de ses grâces à tous ceux qui prendront part de près ou de loin au prochain congrès et qui aspirent à vivre ainsi plus intimement de la vérité qui délivre.

C'est vous dire quels voeux Nous formons pour le surnaturel succès de ces assises thérésiennes. L'ancien pèlerin de Lisieux que Nous sommes a conservé un trop profond souvenir des saintes impressions reçues au glorieux tombeau de Thérèse de l'Enfant-Jésus pour ne pas seconder de tout son pouvoir le rayonnement d'un message spirituel, dont le ciel a si opportunément chargé la sainte carmélite pour une époque qui en éprouve un tel besoin.

Aussi, est-ce le coeur rempli d'une douce confiance que Nous accordons à tous les membres du congrès, à commencer par vous, Vénérable Frère, et par les dévoués organisateurs de ces fêtes com-mémoratives, Notre Bénédiction apostolique.

LETTRE POUR LE IVe CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT GAÉTAN DE THIENE

(7 août 1947)1

A l'occasion du IVe centenaire de la mort de saint Gaétan de Thiene, le Saint-Père adressa au R. P. Giovanni Llabrès, préposé général des Théa-tins, la lettre suivante traduite du latin :

Se confier à la divine Providence et s'abandonner soi-même et tout entièrement à elle non seulement donne aux âmes des humains le repos et la paix la plus complète, mais aussi les excite avec force et les porte avec suavité à espérer les secours opportuns dont ils ont besoin. Telles sont les pensées rappelées à Notre esprit en ce quatrième centenaire du jour où saint Gaétan de Thiene qui a traduit si ardemment et si attentivement cette pensée de l'Evangile dans sa vie, s'est envolé après une mort très pieuse vers les choeurs des citoyens du ciel. Il vécut à une époque très troublée, où la société humaine courait les plus grands dangers par suite des agitations désordonnées et des conflagrations guerrières et où l'Eglise catholique elle-même, affaiblie par la corruption des moeurs privées et publiques, ébranlée d'une manière effrayante par les furieuses tempêtes des erreurs croissantes et déchirée par de cruelles divisions, semblait devoir être bientôt entraînée à sa ruine, si la force surnaturelle qui ne peut jamais lui manquer en vertu des divines promesses de Jésus-Christ ne l'avait préservée du grave danger de mort et ne l'avait rendue à son ancienne splendeur.

Il Nous plaît certes de rappeler à Notre esprit le rôle de Gaétan de Thiene dans la restauration de la foi et le renouvellement des moeurs et de le proposer brièvement par cette lettre non seulement à votre admiration et à votre exemple, mais à l'admiration et l'exempie de tous. Né à Vicence de noble extraction, il brilla dès son plus jeune âge par un caractère très doux, une piété rare et une grande libéralité envers les malheureux ; ayant parcouru avec les plus brillants succès le cycle des études et grandi par le sacerdoce, il n'eut rien de plus à coeur, rien de plus agréable que de se consacrer au service de Dieu et de se donner tout entier aux oeuvres d'apostolat et de charité. A Rome d'abord, puis à Vicence, à Vérone et à Venise, il s'occupa avec ardeur à développer et organiser des associations laïques d'hommes qui se donnaient pour but de professer ouvertement et en actes la religion catholique, d'aider les pauvres selon leurs ressources, de soigner, réconforter et consoler de tout leur pouvoir les malades de toutes sortes et spécialement les incurables ; leurs membres prenaient particulièrement soin d'aviver la foi et de ranimer les sentiments chrétiens de telle sorte que les préceptes évangéliques s'enracinent plus profondément dans les âmes et revivent et refleurissent en fruits de salut dans la vie privée et publique.

Comme Gaétan constatait cependant que rien ne pouvait davantage contribuer à assurer le renouveau des moeurs qu'il recherchait que la parfaite formation et instruction du clergé, il mit son attention et son coeur à trouver la manière la plus convenable de les procurer. Après avoir imploré par d'ardentes prières la lumière du ciel et le secours de Dieu, après avoir pris conseil d'hommes éminents par leur prudence et leur sainteté, il se décida à fonder un nouvel Institut religieux d'hommes. C'est pourquoi, de concert avec un autre fondateur Jean-Pierre Caraffa, évêque de Théato, élevé ensuite au souverain pontificat sous le nom de Paul IV, il institua sous d'heureux auspices l'Ordre des Clercs réguliers qui, à la vérité, dès ses débuts produisit des fruits abondants et salutaires. Mener la vie commune sans posséder aucun revenu fixe ni solliciter d'aumône, vivre des seuls dons offerts spontanément, se confier avec toutes ses entreprises à la Providence divine qui procure au lis des champs le plus beau vêtement et prodigue aux oiseaux du ciel la nourriture nécessaire (cf. Matth. Mt 6,26) ; rester très étroitement uni au Siège apostolique et être toujours à ses ordres ; prêcher la religion moins par la parole et les discours que par l'éclat de l'exemple ; nourrir et accroître sans arrêt cette vie intérieure qui se fortifie par la piété, la méditation des réalités surnaturelles et la divine eucharistie ; réfuter les erreurs qui s'insinuaient partout ; placer dans sa lumière la vérité catholique, animer et pousser le plus grand nombre d'âmes à l'acquisition de la vertu ; tels furent les caractères originaux et les mérites singuliers du nouvel Institut.

Aussi Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Clément VII, par la lettre apostolique Exponi Nobis, du 24 juin 1524, après « avoir loué dans le Seigneur » ce dessein et « ce louable désir » approuva de grand coeur de son autorité apostolique l'Ordre des Clercs réguliers. Et de même que cet Ordre a déjà bien mérité au cours des quatre derniers siècles de la religion catholique et surtout de la bonne formation du clergé, Nous espérons et avons confiance qu'avec l'aide de Dieu il continuera de même à l'avenir. Que ses membres s'appliquent avec soin et zèle surtout à cette bonne instruction et formation du clergé qui a été certes le principal objectif et but de ses fondateurs. Qu'ils apprennent d'eux à se comporter tant dans la prédication sacrée que dans l'administration du sacrement de pénitence, de telle sorte que l'enseignement de la parole de Dieu soit réellement la semence salutaire d'où germent les plus abondantes vertus, et que le plus grand nombre possible d'hommes pleurent leurs fautes et rentrent heureusement grâce à eux dans la bonne voie. Dans la lamentable ignorance et négligence des choses divines de notre temps, alors que les moeurs ne s'écartent pas moins peut-être de la voie droite qu'il y a quatre siècles, cet apostolat paraît plus opportun que jamais.

Que saint Gaétan de Thiene y aide du haut du ciel par sa puissante intercession et son secours très actuel, lui qui « à l'exemple de la vie apostolique a nourri les vertus, dompté les vices, broyé les hérésies et propagé admirablement la splendeur du culte divin » 2. Méditez avec un esprit très attentif les beautés de son âme, et suivez d'une volonté agissante ses éclatants exemples ; car vous répondrez de la sorte non seulement aux devoirs de la vie religieuse à laquelle vous avez été appelés par une inspiration surnaturelle, mais vous pourrez aussi, aidés de la grâce céleste, veiller au salut surnaturel des autres, particulièrement de ceux qui sont confiés à vos soins. Quant à Nous, confiant dans cet espoir très doux, tandis que Nous augurons d'heureux fruits de salut de cette prochaine célébration centenaire, Nous vous accordons de très grand coeur tant à vous, chers fils, et à tous les membres de votre Ordre qu'à tous les participants de quelque manière à ces mêmes fêtes, en gage des grâces célestes et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1947 - DISCOURS AUX PÈLERINS A L'OCCASION DE LA CANONISATION DE SAINT LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT