Pie XII 1948 - DISCOURS A SON EXC. M. NICOLAS C. ACCAME, Ambassadeur de la République Argentine (6 mars 1948)

DISCOURS AUX MEMBRES DU CONGRÈS DES ÉCHANGES INTERNATIONAUX (7 mars 1948)

1. D'après le texte italien de l'Osservatore Romano des 8 et 9 mars 1948; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLV, col. 623.

La Confédération générale italienne du commerce avait organisé à Rome, en mars 1948, un Congrès devant discuter la politique des échanges internationaux. Le Pape reçut en audience les membres de ce Congrès et développa, en un discours qui leur était adressé, les principes qui doivent guider la vie économique :


Le désir que vous avez exprimé d'être reçus par Nous et d'écouter Notre parole Nous a causé une vive satisfaction, illustres membres du « Congrès de politique des échanges internationaux », car il est un clair témoignage de la haute idée que vous vous faites de l'objet assigné à vos travaux et à vos délibérations. Ce que vous attendez de Nous, ce ne sont certainement pas des conseils d'ordre purement technique, que votre compétence rendrait superflus, mais plutôt quelques considérations sur l'aspect moral des problèmes qui occupent Notre esprit.


Le temps présent est marqué par un grand désordre dans la vie économique. Celui-ci n'est pas fatal car à l'origine le monde a été créé par Dieu dans l'ordre, c'est l'homme qui en agissant librement dans ce monde peut y introduire ou l'ordre ou le désordre.

Nul mieux que vous n'est à même de connaître et d'évaluer le contraste entre le désordre qui, depuis longtemps et en de nombreux pays, règne dans le domaine des échanges économiques et la loi d'ordre et d'harmonie que Dieu a imprimée au sein de la création tout entière.


Le désordre actuel est dû au fait que l'homme détourne de sa vraie fin l'usage des biens matériels et de la vie humaine elle-même.

Les biens, dont l'échange devrait servir à établir et à maintenir l'équilibre économique parmi les nations, sont devenus un objet de spéculation politique, et non seulement les biens matériels, mais encore malheureusement l'homme lui-même rabaissé dans tant de cas au niveau d'un article d'exploitation. Et nous assistons fréquemment, hélas ! au jeu d'une politique qui n'est qu'une course au pouvoir et à l'hégémonie.


En dehors de cette circulation des richesses, tout entière mise au service de la puissance politique, il n'existe qu'une distribution minime de biens faite à titre d'aumône par certains peuples favorisés aux peuples indigents :

Ce qui existe, en dehors de cela, en fait de relations économiques parmi les peuples, n'est plus, à proprement parler, un échange dont le flux et le reflux apporteraient partout le bien-être, mais plutôt un afflux de biens qui, mis en mouvement par la charité chrétienne ou par un autre organisme bénévole plus ou moins désintéressé, va unilatéralement aux peuples nécessiteux


On n'est pas encore parvenu à trouver l'équilibre économique :

Malgré ces nobles efforts, nous sommes donc encore bien éloignés d'un état de choses normal, dans lequel les échanges internationaux sont, en même temps, le complément nécessaire de chaque économie nationale et le signe visible de sa prospérité.


L'Italie, en particulier, souffre de ce déséquilibre:

L'Italie ne se trouve pas malheureusement, en meilleure condition que les autres nations; bien qu'on doive volontiers reconnaître qu'elle a déjà fait beaucoup en peu de temps dans le domaine de l'industrie de l'agriculture, du commerce et des services ferroviaires pour assainir un état de choses qui apparaissait au début désastreux. C'est pourquoi Nous avons à coeur de vous montrer combien Nous apprécions les difficultés de votre action.


Les vraies solutions à toutes les difficultés sont d'abord à trouver dans l'énoncé de principes sains. Or, en matière économique, on vit pour le moment sous un régime d'anarchie doctrinale.

Ces difficultés ne seraient pas aussi graves ni leur solution si ardue, s'il ne s'y ajoutait pas l'incertitude et le désaccord concernant les idées directrices.

1. C'est ainsi, par exemple que, durant les 4 années qui vont du 4 janvier 1945 au 31 décembre 1948, les États-Unis ont procuré aux pays européens dans l'indigence : 15.039 millions de dollars de dons et 11.649 millions de dollars de prêts et investissements, soit un total de 26.688 millions de dollars.
On trouvera le détail de ce mouvement économique dans les Rapports annuels de la Banque des Règlements internationaux de Bâle. Le Rapport de 1948, spécifie : 0 On peut dire que l'aide des États-Unis contribue à combler l'insuffisance des mouvements privés de capitaux qui, pour maintes raisons, a caractérisé la période d'après-guerre. »


On propose en effet de divers côtés les solutions les plus disparates:
1° Certains voudraient revenir à l'économie mondiale :

Les uns proposent un retour à l'économie mondiale, telle qu'elle existait au siècle dernier;


2° D'autres à des économies partielles:

Les autres soutiennent l'union régionale des économies particulières de quelques États;


3° D'autres encore veulent le rétablissement d'une économie libérale:

Les uns attendent la prospérité de tous les peuples d'un rétablissement du mécanisme du marché libre dans le monde entier;


4° D'autres enfin voudraient instaurer des régimes d'économie dirigée:

Les autres, au contraire, n'espèrent plus rien d'un pareil automatisme et réclament une direction et une impulsion centrales de toute la vie économique, y compris la direction des forces de travail de l'homme.


1. Signalons que sur le plan technique, d'avril à octobre 1947, réunis en une des assemblées les plus longues et les plus nombreuses dont puissent faire état les annales de la collaboration internationale, les délégués de 23 pays, représentant de 65 à 70% du commerce mondial ont mis sur pied au-delà d'une centaine d'accords commerciaux bilatéraux, en plus de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, dont les clauses générales sont dès le 15 janvier 1948 entrées provisoirement en vigueur pour neuf pays. Dans le même temps était rédigé un projet de charte pour une Organisation internationale du commerce qui devait être soumis à la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et l'emploi (La Havane, 21 novembre-24 mars 1948).
Lorsqu'elle aura été ratifiée par les gouvernements et les corps législatifs des pays intéressés, cette charte constituera un Code nouveau de relations économiques entre les États.
Le Code en question a pour objet de fournir une solution moyenne entre deux termes qui sont :
— d'une part, l'objectif général de la suppression des entraves au commerce;
— d'autre part, le besoin qu'ont les pays à l'économie insuffisamment développée de recourir dans une certaine mesure aux contingentements et autres restrictions quantitatives pour protéger les industries débutantes contre la concurrence d'industries étrangères de longue date.
(Rapport du Directeur général de la Conférence internationale du Travail présenté à la 31e session de San-Francisco en 1948 Ed. B. I. T., Genève, 1948.)



L'Église ne prend pas position en face de cette diversité de propositions. Mais le Saint-Père ne peut s'empêcher d'inviter ses auditeurs à remonter aux sources de ces divergences:

Ce n'est pas Notre intention d'entrer dans l'examen du côté pratique de ces problèmes et de leur solution». Nous voudrions seulement attirer votre attention sur le fait que cette diamétrale diversité des opinions a des racines et des causes plus profondes que la simple considération de la réalité présente de l'économie.


En effet, il y a à cette diversité des raisons profondes :
1° Les dirigeants de l'économie ne font pas suffisamment appel à l'étude et à la science:

Ces causes sont, d'une part, un manque déplorable de réflexion, qui porte à se contenter d'un empirisme facile et superficiel;


2° On n'est pas actuellement d'accord sur le sens fondamental qu'il faut imprimer à l'économie:

D'autre part, une véritable et intrinsèque divergence d'idées sur la question de savoir ce qu'est et doit être l'économie sociale, et comment l'homme doit la considérer et la traiter.


C'est sur ce dernier point que l'Église doit se prononcer:

Ici, précisément, les principes chrétiens de la vie sociale doivent dire leur mot, et un mot définitif, si les hommes veulent vraiment être chrétiens et se montrer tels dans toute leur activité.


Le Saint-Père énonce un ensemble de principes directeurs:

Nous Nous bornerons cependant à mettre en relief quelques idées fondamentales :


1° Le but de la vie économique est de procurer à tous les hommes ce qui est nécessaire à la vie — tant matérielle que spirituelle :

1° Qui dit vie économique, dit vie sociale. Le but (de la vie économique) auquel elle tend par sa nature même et que les individus doivent également poursuivre dans les diverses formes de leur activité, c'est de mettre d'une façon stable, à la portée de tous les membres de la société, les conditions matérielles requises pour le développement de leur vie culturelle et spirituelle.


Or, pour atteindre cette fin, il faut d'abord que la vie sociale soit sainement ordonnée.
Or l'économie dirigée artificiellement ne remplace pas l'ordre social naturel et juridique.

Ici donc il n'est pas possible d'obtenir quelque résultat sans un ordre extérieur, sans des normes sociales, qui visent à l'obtention durable de cette fin et le recours à un automatisme magique est une chimère non moins vaine pour la vie économique que dans tout autre domaine de la vie en général.


2° La vie économique doit demeurer au service de l'homme, c'est-à-dire qu'elle doit respecter la liberté de l'homme :

20 La vie économique, vie sociale, est une vie d'hommes, et par conséquent, elle ne peut se concevoir sans liberté.


Toutefois sous prétexte que l'homme doit être libre dans toutes ses activités, même dans ses activités économiques, il ne faut pas préconiser ce faux libéralisme qui interdit à toute autorité publique de régler les rapports économiques :

Mais cette liberté ne peut être la fascinante mais trompeuse formule, vieille de cent ans, c'est-à-dire d'une liberté purement négative, niant la volonté régulatrice de l'État.


Par contre, la liberté de l'homme n'est pas respectée quand celui-ci devient prisonnier de ces lourdes machines économiques telles que nous les connaissons aujourd'hui :

Ce n'est pas non plus la pseudo-liberté de nos jours, qui consiste à se soumettre au commandement de gigantesques organisations.


La vraie liberté sur le plan économique doit être respectée mais contenue dans les limites exigées par l'ordre social :

La vraie et saine liberté ne peut être que la liberté d'hommes qui, se sentant solidairement liés en vue du but objectif de l'économie sociale, sont en droit d'exiger que l'ordre social de l'économie loin de porter la moindre atteinte à leur liberté dans le choix des moyens adaptés à ce but, la garantisse et la protège. Ceci vaut également pour tout genre de travail, indépendant ou dépendant, car, en regard de la fin de l'économie sociale, tout membre producteur est sujet et non pas objet de l'économie sociale.


3° A l'intérieur des frontières de chaque État, l'économie nationale doit être elle aussi équilibrée:

3° L'économie nationale, en tant qu'économie d'un peuple incorporé dans l'unité de l'État, est elle-même une unité naturelle, qui requiert le développement le plus harmonieux possible de tous ses moyens de production, sur tout le territoire habité par le même peuple.


L'économie internationale ne doit pas chercher à se substituer aux économies nationales ; mais au contraire elle doit s'efforcer de venir en aide à celles-ci :

En conséquence, les rapports économiques internationaux ont une fonction positive et nécessaire, certes, mais seulement subsidiaire.


C'est une erreur de croire à la primauté de l'économie internationale:

Le renversement de ce rapport a été l'une des grandes erreurs du passé, et la condition forcément subie aujourd'hui par un bon nombre de peuples pourrait facilement en favoriser le retour.


Il est vraisemblablement plus efficace de promouvoir aujourd'hui des alliances économiques régionales plutôt que de viser à restaurer une vaste économie internationale de réalisation utopique 1.

1. De fait on a réalisé récemment plusieurs unions économiques régionales. Par exemple :
— En 1947 l'alliance de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg (Bénélux).
— L'Organisation Européenne de Coopération économique O. E. C. E-, entre 16 nations de l'Europe occidentale ¦— dont les bases furent jetées le 13 juillet 1947.
— En mars 1948, un pacte était signé à Bruxelles entre le Royaume-TJni, la France, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas où ces pays se sont engagés à organiser et coordonner « leurs activités économiques en vue de porter au plus haut point de rendement par rélimination de toute divergence dans leur politique économique, par l'harmonisation de leur production et par le développement de leurs échanges commerciaux. »
— En 1948, la France et l'Italie ont décidé en principe de travailler à la conclusion d'une union douanière.
(Rapport du Directeur général présenté à la Conférence internationale du Travail, 31e Session, San-Francisco, 1948. Ed. B. I. T., Genève, 1948.)

Dans ces conjonctures, il serait peut-être opportun d'examiner si une union régionale de plusieurs économies nationales ne rendrait pas possible un développement plus efficace que dans le passé des forces particulières de production.


4° Dans l'ordre moral, il est indispensable qu'on revienne à l'observance des règles qui subordonnent l'intérêt individuel ou national, aux exigences du bien commun international:

Mais surtout il est nécessaire que la victoire sur le funeste principe de l'utilité considérée comme base et règle du droit; que la victoire sur ces germes de conflit qui consistait en désaccords par trop aigus et parfois imposés par la coaction dans le domaine de la vie économique mondiale : que la victoire sur l'esprit de froid égoïsme apporte cette sincère solidarité juridique et économique, qui est collaboration fraternelle, suivant les principes de la loi divine parmi les peuples, assurés de leur autonomie et de leur indépendance.


Seul le christianisme avec sa doctrine et sa morale peut réellement apporter au monde ces fondements indispensables à l'ordre économique :

La foi dans le Christ et l'observance de ses commandements d'amour pourront seules conduire à une si bienfaisante et si salutaire victoire.

Tels sont quelques principes fondamentaux qu'il Nous a semblé opportun de vous exposer.


Le Pape juge utile de condamner ceux qui pratiquent de faux systèmes économiques :
a) Il est illogique de réclamer sur le plan international le libre échange des biens et de refuser sur le plan national ce même libre échange :

Nous voudrions omettre de parler de la fatale incohérence de ceux qui, tout en revendiquant pour leurs propres marchandises le libre trafic mondial, dénient à l'individu cette liberté naturelle.


b) Il est malfaisant de défendre le droit de propriété privée en le considérant comme un droit absolu et en le dépouillant des charges sociales dont il est nécessairement nanti.

Nous voudrions également Nous abstenir de qualifier la conduite pratique de certains défenseurs du droit de propriété privée, lesquels avec leur façon d'interpréter l'usage et le respect de la propriété elle-même, parviennent mieux que ses adversaires à ébranler cette institution si naturelle et indispensable à la vie de l'humanité et principalement de la famille.


Le Pape, en terminant, souhaite qu'on enseigne les vrais principes d'une saine Économie:

Qu'il Nous suffise maintenant de conclure Notre discours par le voeu que dans les écoles professionnelles, comme aussi dans les Universités, soient inculqués comme il convient ces principes de vie économique sociale. D'urgente nécessité de vaincre l'esprit matérialiste de notre temps, même dans le domaine économique, l'exige. Dans la mesure où vous contribuerez à faire germer et fructifier dans l'esprit de la jeunesse, et par là même dans celui des générations futures, ce sens spirituel et social, même en matière économique, vous coopérerez puissamment au progrès de votre chère patrie dans l'estime et dans l'amour du travail, dans la collaboration confiante de tous ses enfants grâce à la réintégration de son économie au sein de l'économie internationale. Tel est croyons-Nous, votre idéal. Nous prions Dieu de vous aider par sa grâce à le réaliser.



LETTRE A SON ÉMINENCE LE CARDINAL DE JONG, ARCHEVÊQUE D'UTRECHT Sur la liberté scolaire en Hollande. (10 mars 1948)

1. D'après le texte latin des A. A. S. XL, 1948, p. 110.

En 1848, les Catholiques hollandais obtenaient la liberté d'enseignement, c'est pour commémorer ce centenaire que le Pape écrit la lettre que voici à l'Archevêque d'Utrecht:


C'est avec grand plaisir que Nous avons appris le projet qui a été conçu sous votre inspiration, de célébrer le centenaire de la date à laquelle les catholiques hollandais obtinrent la liberté de leurs institutions d'enseignement. Cette glorieuse liberté, obtenue non sans luttes et peines considérables, obtint récemment sa consécration et son sommet lorsque les lois et décrets du Royaume la reconnurent pour une durée illimitée : c'est cette liberté, en effet, qui apporta une moisson croissante de superbes fruits, non seulement à la cause catholique mais à l'État tout entier : Nous le reconnaissons avec une vive allégresse et Nous vous en adressons Nos félicitations bien méritées.

Nous admirons certes votre zèle actif et continu pour les intérêts de l'Église et de la patrie, et portons toute Notre affection sur les fidèles de Hollande mais surtout sur leurs pasteurs dont la prudence, la vigilance et l'active habileté sont les qualités principales.

Comme Nous avons appris avec joie, que pour commémorer ce passé, on a organisé une Exposition des Écoles catholiques 2 qui se recommande par son décor, son importance et son utilité, Nous avons voulu participer à ses frais par une souscription de 10.000 Florins Hollandais, que cela vous soit un témoignage de l'affection qui Nous réjouit le coeur, lorsque Nous vous faisons du bien. Recevez donc encore Nos félicitations, Vous, Très cher Fils, ainsi que les autres évêques, les prêtres et les fidèles pour ce merveilleux début et poursuivez vos efforts avec grand courage pour la noble cause du Christ. Que Notre Bénédiction Apostolique vous soit le gage de Notre bienveillance : Nous vous l'accordons avec affection car elle est le présage de dons divins.

2. Le 26 mars s'ouvrait à La Haye une Exposition montrant les efforts réalisés par l'Eglise catholique en Hollande, en matière scolaire.


DISCOURS AUX CURÉS DE ROME ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME (10 mars 1948)

1. D'après le texte italien des A. A. S. xl, 1948, p. 115; traduction française dans La Documentation Catholique, t. xlv, col. 44g.
2. Vice-curés doit s'entendre ici « vicaires ».

Il est de tradition qu'au début du Carême, le Pape qui est aussi évêque de Rome, rassemble les curés de la Ville éternelle et les prédicateurs qui vont y prêcher le Carême afin de leur donner des directives pastorales.


Nous éprouvons une joie bien profonde, chers fils, curés et prédicateurs de Carême, en vous saluant ce matin, rassemblés autour de Nous. Quelle est, en effet, de par la volonté de Dieu, la condition de l'évêque de Rome? Ses responsabilités en qualité de Pasteur et Père commun de 350 millions de fidèles, maintenant que l'Église est, non seulement idéalement mais encore géographiquement universelle, le conduisent par la pensée, chaque jour, dans d'autres pays et auprès d'autres peuples, de sorte qu'il a souvent comme l'impression de revenir de lointaines régions à sa ville episcopale. Cette impression est d'autant plus vive en Nous que Nous Nous trouvons au milieu du cher clergé de notre Rome.

Soyez en bien assurés : tout en dirigeant tour à tour Notre vigilante attention vers les lieux de la terre les plus divers et les plus éloignés, Nous ne vous perdons pas de vue; Nous connaissons vos travaux, votre charité, votre foi, votre ministère, votre patience, vos oeuvres (cf. Ap 2,19). Soucieux d'en recueillir le moindre écho, nous savons votre infatigable dévouement, votre esprit d'abnégation et les bénédictions visibles qu'il attire sur votre apostolat. Soyez-en tous remerciés. Tous certainement; mais Nous pensons d'une façon spéciale à vous, curés et vice-curés de la banlieue 2 qui, parmi les difficultés les plus ardues, et fréquemment aussi exposés à de graves dangers, travaillez si fructueusement à implanter et à développer la vie religieuse, au milieu des pauvres gens de vos paroisses, bourgades pauvres, privés souvent non seulement de toute commodité, mais encore des choses les plus nécessaires. Vous occupez un poste de confiance, et Nous suivons avec un paternel intérêt les progrès que vous réalisez, prêt à vous aider de toutes Nos forces.

Animés d'un zèle non moins docile qu'ardent, vous attendez de Nous, non seulement les encouragements et la bénédiction du Père, mais aussi une parole, si brève soit-elle, d'exhortation du Pasteur. C'est pourquoi, Nous proposons à vos efforts un double but : imprimer dans les esprits les vérités de la foi, graver dans les coeurs les saintes habitudes d'une vie vraiment chrétienne.


Le Saint-Père insiste sur la nécessité de l'enseignement de la religion car les enquêtes faites à Rome, en Italie et-à l'étranger prouvent que nos contemporains ignorent les vérités religieuses:

Ne trouvez pas fastidieux si, encore une fois, Nous vous recommandons l'enseignement de la doctrine chrétienne. N'est-il pas tristement significatif que dans tous les écrits, les opuscules, les rapports sur les conditions présentes de la vie religieuse en Italie, on se plaigne amèrement par-dessus tout, de l'ignorance des vérités de la foi?

Loin de Nous la pensée de vous en faire un reproche ! L'Italie n'est pas seule en cause et pareilles doléances parviennent de beaucoup d'autres pays, même de ceux qui pouvaient se glorifier légitimement de leur organisation religieuse.


Les hommes d'aujourd'hui sont passionnés par d'autres mobiles:

Mais d'autres objets attirent actuellement l'intérêt de la jeune génération et, comme des microbes imperceptibles, en affaiblissent les forces spirituelles, morales, surnaturelles. Telle est, par exemple, l'estime exagérée, sinon exclusive, accordée à la technique matérielle et à la culture physique, choses en soi assurément fort bonnes et que Nous-même avons plus d'une fois encouragées, mais dont l'excès ne laisse plus aux jeunes gens le temps ni la volonté de s'adonner aux occupations de l'esprit. Tel est encore le cinéma qui fait passer tout sur l'écran; tout, sauf ce qui aiderait à faire mieux connaître la religion. Aussi, apprécions-Nous et louons-Nous d'autant plus les courageux efforts pour la production de films religieux qui aient en même temps une réelle valeur artistique.


C'est pourquoi il faut faire une offensive pour répandre partout les vertus religieuses:

Quant à l'Italie, Nous avons récemment dans Notre discours aux hommes d'Action Catholique, parlé de cette ignorance comme d'une plaie ouverte dans le flanc de l'Église1. Nous sommes revenu sur ce sujet dans l'audience accordée aux jeunes gens catholiques de notre diocèse2. On frémit à la pensée qu'une notable partie de la jeunesse romaine de 15 à 20 ans, s'éloigne de l'Église par suite de purs préjugés et malentendus, nés principalement de l'insuffisance d'un aliment spirituel adapté à leur état, à leurs besoins, et, dans certaines limites, à leur goût. Comme cela concerne strictement votre charge, chers fils, Nous avons jugé opportun de parler à nouveau d'une si grave question.


1. Dans ce discours du 7 septembre 1947, Pie XII donnait aux membres de l'Action Catholique comme première consigne : « Une profonde, solide connaissance de la foi catholique, de ses vertus, de ses mystères, de ses forces divines. On a forgé l'expression « anémie de la vie religieuse »; elle sonne comme un cri d'alarme. Cette anémie, il faut l'imputer... à l'ignorance souvent presque absolue des choses religieuses. Cette ignorance doit être combattue, extirpée, vaincue.
Nourrissez-vous avant tout, esprit et coeur, de la nourriture substantielle de la foi catholique telle qu'elle se présente à vous dans tout l'enseignement vivant de l'Église, dans les Saintes Écritures, dont le Saint-Esprit est lui-même l'auteur, dans la liturgie sacrée dans les pieuses dévotions approuvées et dans toute la sainte littérature religieuse.
Ensuite, apportez et répandez la vérité de cette foi dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque coin même le plus retiré, de votre beau pays. »
(D'après le texte italien des A. A. S. XXXIX, 1947, p. 425; traduction française dans La Documentation catholique, t. XLIV, COL 1345)
2. Aux jeunes gens de Rome Pie XII disait le 8 décembre 1947 :
« Il faut que vous ayez une connaissance raisonnée et profonde de l'objet de votre foi.
« La vraie science catholique a profondément exploré sous tous les aspects les questions relatives à la religion, à la Rédemption, à l'Église. C'est à vous de faire vôtres ses conclusions, ses solutions, ses réponses, afin que votre foi soit en vous vive et féconde. »
(D'après le texte italien de l'Osservatore Romano des 9 et 10 décembre 1947; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLV, COL 1)


Le Pape donne concernant l'enseignement du catéchisme des consignes précises :

Avant tout, appliquez-vous à bien organiser l'oeuvre du catéchisme.

— Cherchez des collaborateurs bons et instruits;

— veillez, même par leur intermédiaire, à être informés de la condition de la jeunesse et de l'enfance dans votre paroisse ;

— de sorte que pas une seule rue, pas une maison, pas une famille n'échappe à vos soins.

Enseignez vous-mêmes personnellement le catéchisme, au moins pour les cours supérieurs, et faites que votre parole soit solide, claire, intéressante, vivante, chaude, adaptée aux intelligences et aux besoins spirituels de vos auditeurs. Elle ne sera telle que si vous connaissez à fond les conditions de leur vie personnelle, familiale et professionnelle, leurs aspirations, afin de répondre à leur attente, de les guider, de gagner leur pleine confiance.


Le Souverain Pontife montre les conséquences de l'attrait exercé par le cinéma sur les jeunes:

Les jeunes gens sont à présent habitués à voir dans le film tout en images. Le cinéma — et vous-mêmes vous en plaignez — attire et captive leur intérêt. Pourquoi la jeunesse, et en général le public, se passionnent-ils tant pour le cinéma? Serait-ce seulement par une inclination malsaine? Non. Les spectateurs sont fascinés et captivés par l'écran sur lequel ils voient projetées, comme on dit, « une tranche de vie ». C'est à peine s'ils remarquent et distinguent, dilués dans le cours monotone de la journée, les détails de leur vie quotidienne; mais ils éprouvent un plaisir, une joie âpre à les reconnaître, à prendre pour ainsi dire conscience du drame de leur vie. Mais en même temps, ils restent saisis par les doctrines d'erreur et de mensonge par le tableau des passions criminelles et des crimes monstrueux, présentés avec vivacité à leur imagination et à leur sensibilité.


Il est évident que la foi chrétienne doit être présentée d'une manière plus prenante qu'un film. Cela pourra se faire si on enseigne cette foi selon les vraies méthodes :

Et cependant, la doctrine de vérité n'est pas moins attrayante, ni l'héroïsme de 1a vertu moins stimulant, à la

condition de n'être pas exposés avec la froideur d'un théorème ou avec la sécheresse d'un article du Code.

Si le cinéma s'adresse principalement à l'imagination, la doctrine de la foi en est un efficace contrepoids. Elle exige du jeune homme de la pénétration et de l'application mentale; il doit apprendre à juger et à discerner le vrai du faux, le bien du mal, ce qui est permis de ce qui est défendu. Ne fuyez, n'évitez aucune difficulté; vos jeunes gens doivent avoir la certitude que vous pouvez tout leur dire et qu'ils peuvent tout vous demander et tout vous confier.


Il faut aussi entraîner l'homme à contracter des habitudes qui l'invitent presque spontanément à traduire en acte sa foi:

L'autre point que Nous entendons proposer à votre méditation regarde les habitudes de la vie chrétienne qui doivent plonger de profondes racines dans les coeurs des fidèles.

Maintenez-les ou reconstituez-les dans les anciennes paroisses; implantez-les dans les nouveaux faubourgs de la ville de Rome.

Partout, même dans les campagnes, mais combien plus gravement dans les grandes villes, dans les immenses métropoles, les traditions religieuses, les antiques coutumes chrétiennes courent un danger. « Elles ne sont plus de notre temps » entend-on dire d'un ton méprisant. Comme si elles n'étaient pas aujourd'hui plus que jamais, nécessaires, tel un salutaire antidote contre les séductions et la contagion de la corruption et de l'esprit mondain, dans l'épouvantable promiscuité des vastes capitales modernes.


Et d'abord il faut maintenir ou restaurer les saines coutumes familiales :

En premier lieu, ayez le souci de l'atmosphère religieuse du foyer domestique. Eloignez donc les images scandaleuses ! Que le crucifix règne dans chaque famille.


Il faut de même encourager les pratiques de piété traditionnelles :

Ensuite la pratique de la prière quotidienne, condition préalable essentielle de la victoire contre le vice, condition également indispensable d'une vie honnête, d'un affermissement progressif de l'homme intérieur (cf. Eph. III, 16); l'assistance pieuse, les dimanches et les fêtes, aux offices divins, auxquels vous chercherez à donner ce caractère de dignité, de piété, Nous dirions aussi d'attraction, qui les rendra aimables même pour ceux qui trop souvent n'y voient qu'une ennuyeuse formalité; la fréquence des sacrements.


Enfin il faut lutter contre les groupements qui provoquent la perversité:

Enfin, lutte sans trêve contre ces réunions (ou rendez-vous) et ces spectacles qui offensent la pudeur et la délicatesse des âmes chrétiennes, et qui auraient fait rougir les vieux païens eux-mêmes. Inspirez à vos fidèles l'horreur et le dégoût de si abominables représentations.


Le Pape aborde alors un point d'une brûlante actualité. Le 18 avril 1948, avaient lieu en Italie des élections générales dont l'enjeu était gros de conséquences pour l'avenir du pays et de l'Eglise. Elles pouvaient marquer soit un succès, soit un échec définitif pour le communisme :

Vous connaissez, chers fils, les devoirs qui vous pressent et vous étreignent en cette heure si grave, et Nous-même Nous les avons exposés en tant d'occasions que Nous estimerions superflu de revenir encore une fois sur ce thème 1. Cependant, afin de ne pas paraître Nous enfermer dans le silence en un moment de si grandes conséquences, Nous répéterons avec les apôtres : Non possumus non loqui. Nous ne pouvons pas ne pas parler (cf. Act. Ac 4,20), et Nous rappellerons brièvement quelques principes fondamentaux.

C'est votre droit et votre devoir d'attirer l'attention des fidèles sur l'extraordinaire importance des prochaines élections et sur la responsabilité morale qui en découle pour tous ceux qui ont le droit de vote. Sans doute l'Église entend rester en dehors et au-dessus des partis politiques; mais comment pourrait-elle rester indifférente à la composition d'un parlement auquel la Constitution donne le pouvoir de légiférer en des matières qui regardent si directement les intérêts religieux les plus élevés et les conditions de vie de l'Église elle-même en Italie?

1. En de multiples occasions le Pape a parlé du danger communiste. On lira entre autres l'Allocution au peuple de Rome le 16 décembre 1946.
(Texte italien dans VOsservatore Romano des 23 et 24 décembre 1946 ; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLIV, Col 96)
On se rapportera de même aux textes de ce volume indiqués dans la Table analytique au mot Communisme.


Il n'y a d'ailleurs pas que le problème politique qui soit d'actualité brûlante en Italie: il y a encore de nombreux problèmes économiques soulevés dans ce pays ruiné par la guerre. Ce n'est pas à l'Église mais aux spécialistes à s'attacher à résoudre ces problèmes :

Il y a encore d'autres questions ardues, surtout les problèmes et les luttes économiques, qui touchent de près le bien-être du peuple.

Comme il s'agit de questions d'ordre temporel (bien qu'elles concernent aussi l'ordre moral), les hommes d'Église laissent à d'autres, dans les conjonctures présentes, le soin de les examiner et de les résoudre techniquement pour l'utilité de la nation.


En particulier concernant les élections, le Souverain Pontife énonce les directives suivantes:

De tout cela il s'ensuit que :

1° Dans les circonstances présentes, c'est une stricte obligation pour tous ceux qui en ont le droit, hommes et femmes, de prendre part aux élections. Quiconque s'en abstient, spécialement par indolence ou par lâcheté, commet en soi un péché grave, une faute mortelle;

2° Chacun doit voter suivant le dictamen de sa propre conscience. Or, il est évident que la voix de la conscience impose à tout catholique de donner sa voix aux candidats qui offrent des garanties vraiment suffisantes pour la protection des droits de Dieu et des âmes, pour le véritable bien des particuliers, des familles et de la société, selon la loi de Dieu et la doctrine morale chrétienne 1.

1. De son côté la Sacrée Congrégation Consistoriale déclarait le 31 mars 1947 : « En considération des dangers auxquels sont exposés la religion et le bien public, dangers qui requièrent la collaboration de tous les gens honnêtes, la Sacrée Congrégation Consistoriale avertit tous ceux qui ont le droit de vote sans distinction d'âge ou de sexe, qu'ils sont dans l'obligation de faire usage de ce droit. Les électeurs ne peuvent donner leur voix qu'aux listes de candidats dont on a la certitude qu'ils défendront le respect de la loi divine et le respect de la religion dans la vie publique et privée ».


Toutefois au cours de leur prédication, les prêtres auront soin de rester sur le plan de la foi :

Par ailleurs, chers fils, lorsqu'en chaire, vous remplissez la haute et sainte fonction de prêcher la parole de Dieu, gardez-vous de descendre dans de mesquines questions de partis politiques, dans d'âpres contestations de parti, qui irritent les esprits, attisent les discordes, refroidissent la charité, et nuisent à votre dignité elle-même, ainsi qu'à l'efficacité de votre ministère sacré. Donnez à ceux qui, les dimanches, fréquentent les offices divins, les instructions qu'ils recherchent et attendent de vous : comment conserver le trésor de la foi catholique et le défendre contre les erreurs de notre temps et les attaques des ennemis; comment s'unir plus étroitement à Dieu; comment connaître plus profondément et aimer plus ardemment Jésus-Christ; comment au milieu de l'agitation de la vie moderne, former en soi l'homme religieux; comment agir selon les commandements du Rédempteur; comment rester fidèles à l'Église et à son chef visible.


Cette allocution du Pape se termine par une vue encourageante, notamment l'accroissement de dévotion de la part du peuple envers la Vierge Marie.

Courage donc! et confiance! De pessimisme serait hors de saison. Ne voyez-vous pas comment la force d'attraction des biens terrestres et matériels ne peut empêcher que le peuple ne se sente porté, comme par instinct, vers les réalités spirituelles et religieuses? Mais le signe le plus encourageant des temps est la manifestation toujours croissante au point d'atteindre parfois à des spectacles d'une merveilleuse grandeur, de la confiance et de l'amour filial qui conduit les âmes à la très pure et immaculée Vierge Marie? Dans la nuit obscure qui pèse sur le monde, la tempête en furie chasse violemment les nuages qui encombrent le ciel noir, mais laissent entrevoir à l'horizon le rose pâle de l'aurore, prélude de jours sereins dans la marche triomphale du Soleil de vérité, de justice et d'amour, Jésus-Christ, notre Sauveur et Seigneur.

En confiant à la protection de la miséricordieuse et très puissante Mère de Dieu votre ministère paroissial, Nous vous donnons de tout coeur à vous et à vos fidèles, Nos chers diocésains, la Bénédiction apostolique.



Pie XII 1948 - DISCOURS A SON EXC. M. NICOLAS C. ACCAME, Ambassadeur de la République Argentine (6 mars 1948)