Pie XII 1949 - ALLOCUTION AU CONSISTOIRE


ALLOCUTION AU CORPS DIPLOMATIQUE

(16 février 1949) 1

Le Saint-Père a reçu solennellement les différents envoyés auprès du Saint-Siège, venus lui témoigner la solidarité de leurs pays dans la douleur ressentie par le monde à la suite de l'inique condamnation de Son Eminence le Cardinal Mindszenty. Au nom du Corps diplomatique, Son Excellence M. Carlo Arango Vêlez, ambassadeur

de Colombie, s'est exprimé en ces termes :

* Mes collègues ici présents se joignent à moi pour exprimer à Votre Sainteté les profonds sentiments avec lequels nous nous unissons respectueusement à la douloureuse et paternelle émotion que Lui cause l'offense faite à la liberté religieuse personnelle et politique dont le Cardinal Mindszenty vient d'être la victime.

L'épreuve qui frappe Votre Sainteté et le Sacré-Collège en la personne de l'un de Ses Eminentissimes membres est d'autant plus vivement ressentie qu'elle atteint tous ceux qui, à quelques confessions qu'ils appartiennent, placent leur idéal dans l'impartialité et la sérénité de la Justice qui constituent l'une des bases essentielles du respect des droits de Dieu et des droits de l'homme.

En nous inclinant profondément devant tous ceux qui souffrent parce qu'ils défendent leur foi religieuse et les libertés qu'elle implique, nous prions Votre Sainteté d'agréer l'hommage de notre respectueux et fervent dévouement.

Le Pape répondit en ces termes :

Nous apprécions à sa valeur, soyez-en assuré, l'importance symptomatique et le caractère pour ainsi dire symbo-

D'après le texte français des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 73.


CORPS DIPLOMATIQUE

Iique de cette assemblée extraordinaire en une heure, où la condamnation infligée à un Prince de l'Eglise si méritant, le Cardinal Mindszenty, remplit Notre coeur de la plus profonde douleur. Aussi, Notre première parole ne peut-être que l'expression émue de Notre gratitude envers les illustres membres du Corps diplomatique accrédité près de Nous et dont Votre Excellence vient d'être l'interprète éloquent et autorisé 1.

Si riche qu'elle soit en événements et en souvenirs, la longue histoire des Missions diplomatiques près le Saint-Siège n'offre guère, croyons Nous d'autres exemples d'un acte spontané et solennel comparable à celui-ci pour sa portée et son sens profond.

Au milieu du conflit qui oppose les défenseurs d'un régime totalitaire aux champions d'une conception de l'Etat et de la société fondée selon le vouloir de Dieu, sur la dignité et la liberté de l'homme, cette audience historique reflète fidèlement la pensée et les aspirations de la partie de beaucoup la plus ample et la plus saine de l'humanité.

Elle manifeste la réaction de la conscience chrétienne et même simplement humaine contre toute oppression et tout arbitraire, contre tout déni de justice et toute menace aux droits et aux principes sacrés dont l'intégrité est la condition nécessaire du respect et de la sauvegarde des imprescriptibles valeurs vitales.

Mais votre présence en ce moment et en ce lieu, comme représentants des peuples amis de la justice et de la paix, n'entend nullement équivaloir à un verdict contre les Nations, dont le territoire est le théâtre de si graves atteintes aux droits élémentaires de la personne humaine. Tout au contraire, votre démarche solennelle en corps, veut être une manifestation d'hommage, en même temps que de fraternelle solidarité vis-à-vis de ceux « qui souffrent parce qu'ils défendent leur foi religieuse et les libertés qu'elle implique ».

1 Les pays représentés à cette audience étaient les suivants : Pologne, Colombie, Chili, Portugal, Irlande, Venezuela, République Dominicaine, Argentine, Italie, Brésil, Equateur, France, Belgique, Espagne, Saint-Marin, l'Ordre de Malte, Nicaragua, Costa-Rica, Autriche, Chine, Liban, Uruguay, Grande-Bretagne, Egypte, Haïti, Etats-Unis, Pérou, Bolivie, Finlande, Cuba, Salvador, Lithuanie.

Et Nous, appelant de toute l'ardeur de Notre désir l'heure où toutes les Nations se tendront la main, amicalement, pour collaborer ensemble à la restauration d'une humanité à présent déchirée par les haines et les discordes. Nous implorons du Tout-Puissant, souverain Maître des destinées humaines, les plus abondantes et les plus exquises faveurs sur vous et sur les peuples que vous représentez si dignement.

LETTRE A SON ÉM. LE CARDINAL FAULHABER Archevêque de Munich à l'occasion du 80e anniversaire de sa naissance (20 février 1949) 1

Vous fêterez bientôt, grâce à la divine Providence, au milieu de la sympathie joyeuse de vos archidiocésains, — dont vous êtes depuis plus de trois décades, fécondes en événements, le Pasteur modèle, admiré, respecté et fidèlement aimé, — dans une vigueur corporelle et fraîcheur spirituelle exceptionnelles, le quatre-vingtième anniversaire de votre âge.

Nous qui avons depuis longtemps l'occasion directe de suivre, non seulement le développement extérieur de votre action, mais aussi de pénétrer dans l'intimité des mouvements et tendances de votre coeur vraiment sacerdotal consacré à la gloire du Très-Haut et au salut des âmes, — ce qui n'était pas accordé à ceux du dehors — ne comprenons que trop combien qu'il vous répugnait de faire d'un tel anniversaire une solennité extérieure s'étendant à un large cercle.

Votre unique désir, répondant à l'humilité et au détachement de votre caractère, était de vous isoler du monde et, dans la solitude de la contemplation, de vous prosterner devant la Face du Pontife Eternel, qui vous a appelé naguère à l'Autel et, ensuite, à la plénitude du sacerdoce, et de Lui rendre grâces pour la destinée abondamment bénie qu'il vous a départie pendant les huit décades passées.

D'autre part, cependant, bien cher Fils, Nous comprenons, et peut-être mieux que d'autres, que prêtres et fidèles de l'Archevêché de Munich-Freising n'ont pas voulu

1 D'après le texte allemand des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 278.

laisser passer l'occasion, précisément en cette époque si fortement marquée par la dépression et si pauvre en véritables ascensions du coeur, de transformer un anniversaire aussi exceptionnel en une fête de famille spirituelle où les coeurs du Pasteur et du troupeau sont raffermis dans leur communauté surnaturelle, et celle-ci, dépassant toutes les contradictions et tous les différends, se voit renouvelée et renforcée en une joyeuse communion.

Nous Nous réjouissons, Nous aussi, de tout coeur que vous répondiez à ce désir des croyants catholiques, pressés plus instamment en cette heure d'appauvrissement de la charité, de manifester publiquement leurs sentiments intimes, car Nous savons par Notre propre expérience, de quelle manière ineffaçable votre amour pastoral et votre sollicitude episcopale ont gravé en vous la pensée et le sentiment de ceux qui sont soumis à votre juridiction.

Ce Nous est un besoin profond, né de la sympathie et de la gratitude de Notre âme, de Nous trouver en esprit, en ce 5 mars prochain, parmi ceux qui désirent vous témoigner leur affection et leur respect.

En ce jour où Vous élevez vers Dieu — en un solennel office pontifical, — au milieu des ruines de Munich jadis si heureuse et si belle, votre chant de reconnaissance, Nous déposons pour vous, sur la patène, Nos premières paternelles, dans le silence de Notre chapelle privée, à l'ombre de la coupole de Saint-Pierre, et implorons le Seigneur, au Memento précédant la Consécration qu'il vous accorde encore longue vie, vous, Notre Collaborateur, Conseiller et Assistant à toute épreuve et toujours docile.

Celui qui plaça votre berceau — il y a quatre-vingts ans — dans la belle terre de Franconie \ qui vous donna, outre la grâce initiale de naître de parents profondément chrétiens, d'avoir de sages éducateurs, sous la direction desquels votre vocation sacerdotale devint pour vous une certitude, ce même Dieu qui, après confirmation du directeur spirituel, dirigea vos études — soit dans votre patrie, soit dans la Ville Eternelle — vers l'enseignement universitaire, au ser

1 Le Cardinal Michel de Faulhaber est né à Eidenfeld, dans le diocèse de Wiïrzburg, le 5 mars 1869; il fut ordonné en 1892, consacré évêque de Spire en 1911, nommé au siège de Munich en 1917 et créé cardinal en 1921.

vice des sciences sacrées, Celui qui, entre vos années romaines et votre première activité professorale, vous mit au service de la paroisse de Steigerwald, où vous avez trouvé un repos propice à la réflexion, Celui qui, au pied de la cathédrale de Strasbourg, vous fit exposer à vos auditeurs, en exégète averti, non seulement la lettre mais encore le sens spirituel incomparable de la parole de Dieu, Celui qui vous conduisit plus tard au siège épiscopal vénérable de la cité impériale de Speyer, métropole située sur l'Isar, — où nous avons travaillé ensemble dans la peine et dans la joie, en inaltérable union et fraternelle confiance —, Celui qui finalement, par la confiance particulière de Notre inoubliable Prédécesseur, Benoît XV, vous appela au Conseil suprême de la Sainte Eglise, Lui, le Tout-Puissant sait combien Notre prière instante « ad multos annos » s'élève pour vous vers le ciel.

Dieu, dans son décret insondable, a permis qu'après une vie sacerdotale et episcopale laborieuse et féconde, le soir de votre vie coïncidât avec une période qui est un tournant dans l'histoire du monde, plaçant votre petite et votre grande patrie — le peuple bavarois et toute la nation allemande — devant des tâches dont l'impressionnante et incommensurable grandeur pénètre d'une crainte difficilement surmontable les coeurs, même vigoureux. Des champs de ruines inconnus jusqu'ici jalonnent la route tracée par une conception étatique et sociale exaltant le démon de la force, se révoltant contre les lois divines et humaines. Un peuple profondément meurtri cherche une issue à son indescriptible misère, il cherche quels sont les remèdes efficaces et durables, quelles sont les vraies voies — celles qui ne sont pas un leurre — qui mènent à la guérison et au redressement.

Vous, bien cher Fils, qui avez passé par deux guerres mondiales et deux après-guerres, et avez expérimenté en ces occasions avec quelle légèreté le jugement des dirigeants et des dirigés se laisse détourner — par des paroles éloquentes, mais creuses, par des mouvements de masse pleins de prétention mais, en fin de compte, néfastes, — du Christ qui est voie, vérité et vie, vous vous dressez sur la scène bavaroise et allemande, comme un conseiller prévoyant, encourageant, qui indique la route à suivre et dont la voix qui porte loin et l'exemple d'une large efficacité sont d'une signification particulière pour le Catholicisme allemand, au milieu des tâches présentes et des devoirs d'aujourd'hui.

Comme jeune évêque de Speyer, vous avez choisi comme devise de votre blason — souvent évoqué depuis — : « Vox temporis, vox Dei ». Vous avez, vous même, avec une inégalable clarté, expliqué le sens de ces mots de haute envolée, dans le but précis d'écarter des interprétations fausses : « Celui qui est né à une époque de misère doit sous-entendre à ce fait, l'appel de Dieu : Tu dois coopérer, pour ta part, à l'adoucissement de cette misère. Celui qui est né à une époque de désintégration doit voir en ce fait la volonté de Dieu : Tu dois coopérer, pour ta part, à concilier ces oppositions. Celui qui est intégré dans une époque de déchirement doit reconnaître la volonté de Dieu dans ce fait providentiel qu'il appartient à cette époque : Tu dois, pour ta part, dans le cadre de tes possibilités personnelles, montrer le but aux chercheurs, répondre à ceux qui interrogent, conseiller les hésitants, encourager les désespérés, tendre une main secourable à ton frère qui succombe : tel est le sens de ma devise l'appel du temps est l'appel de Dieu ! ».

Si vous considérez, bien cher Fils, dans le sens élevé de votre devise episcopale, la deuxième après-guerre, que le décret divin vous fait vivre et supporter, les jalons de la route s'ouvrent devant vos pas de manière indiscutable : une époque de misère, de désintégration et de déchirement vous sollicite plus que jamais.

Une époque de misère, où, en plus du très lourd fardeau du relèvement progressif de votre archidiocèse, de ses ruines, dommages et apprauvrissement de guerre, fut confiée à votre houlette pastorale une impressionnante armée de déportés et de fuyards des régions orientales pour lesquels vous devez être un Protecteur, un Consolateur, un Défenseur, pour lesquels — sur le sol bavarois — avec le secours des autorités officielles, en esprit de solidarité humaine mais surtout de fraternité chrétienne, une nouvelle vie doit être rendue possible, après qu'un décret de violence leur a enlevé leur patrie et leurs biens et les a jetés à la rue 1.

1 Le diocèse de Munich comptait en 1949: 1.485.339 habitants non-catholiques; 1.744.574 habitants catholiques; 240.000 réfugiés catholiques; 1.283 prêtres diocésains; 109 prêtres réfugiés des diocèses de l'Est.

Bien cher Fils, que les lignes précédentes vous soient une preuve tangible de la sympathie particulière avec laquelle Nous Nous souvenons, en votre 80e anniversaire des liens qui vous rattachent au centre de l'Eglise et au Détenteur actuel du pouvoir suprême des clés. Permettez-Nous encore d'ajouter que ce serait pour Nous une joie profonde de pouvoir vous saluer, au cours de cette année, dans la Ville Eternelle et de pouvoir Nous rendre compte que le passage à la neuvième décade de votre âge, ne vous a rien enlevé des avantages exceptionnels d'un Collaborateur et Conseiller illustre et éclairé auquel la Maison du Père de la Chrétienté ouvre ses portes avec une affection et une estime particulières.

En implorant la protection et les faveurs de Dieu sur le Pasteur et le troupeau de l'Archidiocèse de Munich-Freising, Nous vous donnons à vous, à 1'eminent Chapitre de la cathédrale, à vos Collaborateurs et Assistants, aux fidèles de tous rangs et vocations, en particulier aux pauvres, aux malades et autres nécessiteux, en inaltérable affection paternelle, avec effusion de coeur, la Bénédiction Apostolique.


DISCOURS AU PEUPLE DE ROME

(20 février 1949) 1

A la suite des tragiques événements qui se déroulent en Europe orientale, et en Hongrie en particulier, une Messe d'expiation jut célébrée le 20 février 1949 devant la Basilique de Saint-Pierre à Rome. Après cette messe, le Saint-Père parla à la foule groupée sur la Place Saint-Pierre :

Encore une fois, en une heure grave et douloureuse, le peuple fidèle de la Ville Eternelle est accouru vers son Evêque et son Père.

Encore une fois, cette superbe colonnade semble ne pouvoir étreindre que difficilement de ses bras gigantesques les foules qui, comme des vagues mues par une force irrésistible, ont afflué jusqu'au seuil de la basilique vaticane, pour assister à la messe d'expiation au point central du monde catholique tout entier, et épancher les sentiments dont leurs âmes débordent.

Une fois de plus le Pape réprouve le verdict injuste du tribunal de Budapest qui a condamné le Cardinal Mindszenty à seize ans de prison :

La condamnation soulevant la réprobation unanime du monde civilisé infligée sur les bords du Danube à un eminent cardinal de la Sainte Eglise Romaine, a suscité sur les rives du Tibre un cri d'indignation, digne de la Ville Eternelle.

1 D'après les A. A. S., XXXXI, 1949, p. 74; traduction française de La Documentation Catholique, t. XLVI, col. 321.

L'Etat totalitaire incompatible avec l'Eglise libre persécute nécessairement, où qu'ils soient, les chrétiens :

Mais le fait qu'un régime opposé à la religion a frappé cette fois un prince de l'Eglise, vénéré par la très grande majorité de son peuple, n'est pas un cas isolé ; il est un. des anneaux de la longue chaîne de persécutions que quelques Etats dictatoriaux ont déchaînées contre la doctrine et la vie chrétiennes.

Non seulement les chrétiens sont condamnés, ils sont encore vilipendés :

Une note caractéristique commune aux persécuteurs de tous les temps c'est que, non contents d'abattre physiquement leurs victimes, ils veulent encore les rendre méprisables et odieuses à la patrie et à la société.

Qui ne se rappelle les premiers martyrs romains dont parle Tacite (Annal. XV, 44) immolés sous Néron et représentés comme des incendiaires, d'abominables malfaiteurs, des ennemis du genre humain ?

Les persécuteurs modernes se montrent les disciples de cette école sans honneur. Ils copient, pour ainsi dire, leurs maître et modèles, si tant est qu'ils ne les surpassent pas en cruauté, habiles comme ils lè sont dans l'art d'adapter les progrès les plus récents de la science et de la technique en vue d'une domination et d'un asservissement du peuple, tels qu'on n'aurait pu les concevoir dans les temps passés.

On accuse l'Eglise de faire de la politique ; or, elle se refuse à en faire ; elle reste sur son domaine propre, qui est celui de la vie spirituelle :

Romains ! L'Eglise du Christ suit le chemin tracé par le divin Rédempteur. Elle se sent étemelle : elle sait qu'elle ne pourra périr, que les plus violentes tempêtes ne parviendront pas à la submerger. Elle ne mendie pas des faveurs ; les menaces et la disgrâce des puissances terrestres ne l'intimident pas. Elle ne s'immisce pas dans les questions purement politiques ou économiques ; elle ne se soucie pas non plus de discuter sur l'utilité et le désavantage de l'une ou de l'autre forme de gouvernement. Toujours désireuse, pour autant que cela dépend d'elle, d'avoir la paix avec tous (cf. Rom. XII, 18), elle donne à César ce qui lui revient suivant le droit, mais elle ne peut trahir ni abandonner ce qui est à Dieu.

L'Etat totalitaire formule vis-à-vis de l'Eglise des exigences que celle-ci ne peut admettre :

Or, on sait bien ce que l'Etat totalitaire et antireligieux exige et attend d'elle comme prix de sa tolérance et de sa reconnaissance problématique. Il voudrait :

— une Eglise qui se taise quand elle devrait parler ;

— une Eglise qui affaiblisse la loi de Dieu, en l'adaptant au goût des volontés humaines, alors qu'elle devrait hautement la proclamer et la défendre ;

— une Eglise qui se détache du fondement inébranlable sur lequel le Christ l'a édifiée, pour s'installer commodément sur le sable mouvant des opinions du jour ou pour s'abandonner au courant qui passe ;

— une Eglise qui ne s'oppose pas à l'oppression des consciences et ne protège pas les droits légitimes et les justes libertés du peuple ;

— une Eglise qui, avec une honteuse servilité, reste enfermée entre les quatre murs du temple, oublieuse du mandat divin qu'elle a reçu du Christ : « Allez, dans les carrefours» (Matth. XXII, 9); «instruisez toutes les nations» (Matth. XXVIII, 19).

Chers fils et filles ! héritiers spirituels d'une innombrable légion de confesseurs et de martyrs !

Est-ce là l'Eglise que vous vénérez et aimez ? Recon-naîtriez-vous dans une telle Eglise les traits du visage de votre Mère ? Pouvez-vous vous imaginer un successeur du premier Pierre qui se plie à pareilles exigences ?

Il est du devoir de l'Eglise de proclamer au monde la violation des droits qu'on lui impose dans différents pays :

Le Pape a les promesses divines ; même dans sa faiblesse humaine, il est invincible et inébranlable ; héraut de la vérité et de la justice, principe de l'unité de l'Eglise, sa voix dénonce les erreurs, le idolâtries, les superstitions, condamne les iniquités, fait aimer la charité et les vertus.

Peut-il donc se taire quand dans une nation, on arrache, par la violence ou par l'astuce, du centre de la chrétienté de Rome, les Eglises qui lui sont unies ; quand on emprisonne tous les évêques gréco-catholiques, parce qu'ils refusent d'apostasier leur foi ; quand on persécute et arrête des prêtres et des fidèles parce qu'ils ne consentent pas à se séparer de leur véritable mère l'Eglise 1.

Le Pape peut-il se taire quand le droit d'éduquer leurs propres enfants est enlevé aux parents, par un régime de minorité qui veut les éloigner du Christ ? 2.

Le Pape peut-il se taire quand un Etat, outre-passant les limites de sa compétence, s'arroge le pouvoir de supprimer les diocèses, de déposer les évêques, de bouleverser l'organisation ecclésiastique et de réduire au-dessous du strict minimum l'exercice efficace des âmes ? 3.

Le Pape peut-il se taire quand on en vient au point de punir de prison un prêtre coupable de ne pas avoir violé

1 En Ukraine, en Roumanie et ailleurs, un grand nombre d'évêques catholiques de rite grec sont actuellement en prison.

En Galicie, les sept évêques catholiques ont été arrêtés et traînés en prison.

En Ukraine, Mgr Kocylowiski, évêque de Przemysl, est mort en prison ; Mgr Slippy, archevêque de Lvov, est mort en exil.

En Roumanie, sur sept évêques, six sont arrêtés, un seul est encore en liberté !

Il faut ajouter à cette liste celle des victimes de la persécution dans les Etats Baltes : en Lithuanie, l'évêque de Tesiai a été condamné à mort, son sutfragant, Mgr Ramanauskas, a été déporté, ainsi que Mgr Mecys Reinys, archevêque de Vilna, Mgr Matulionis, évêque de Kaisia Dorys ; en Esthonie, Mgr Profitlich, archevêque, a été arrêté et déporté.

On sait qu'en Yougoslavie, Mgr Stepinac, archevêque de Zagreb, est en prison. En Albanie, Mgr Volaj, évêque de Sappa, et Mgr Gjini, évêque d'Alessio, ont été tués; Mgr Prennuschi, archevêque de Durazzo, est en prison; de même Mgr Thaci est incarcéré.

2 Des lois ont supprimé les institutions d'enseignement catholique en Yougoslavie, en Hongrie, en Roumanie, en Pologne et en Tchécoslovaquie.

3 En Roumanie, le gouvernement, de son propre chef, a décidé de changer l'étendue et le nombre des diocèses catholiques. Le 3 septembre 1948, un décret déposait Mgr Suciu, administrateur apostolique de l'archidiocèse d'Alba Julia. Le 18 septembre 1948, le nombre des évêchés étaient réduits de cinq à deux.

le plus sacré et le plus inviolable des secrets, le secret de la confession sacrementelle ? 1.

Tout cela est-ce illégitime ingérence dans les pouvoirs politiques de l'Etat ? Qui pourrait l'affirmer honnêtement ? Vos exclamations ont déjà donné la réponse à ces questions et à une multitude d'autres semblables.

Le Pape prie pour que les secours d'En-Haut viennent fortifier les chrétiens et éclairer les persécuteurs :

Que le Seigneur Dieu, chers fils et filles, récompense votre fidélité. Qu'il vous donne la force dans les luttes présentes et futures. Qu'il vous rende vigilants contre les coups de ses ennemis et des vôtres.

Qu'il éclaire de sa lumière les esprits de ceux dont les yeux sont encore fermés à la vérité. Qu'il accorde à tant de coeurs, aujourd'hui encore éloignés de Lui, la grâce du retour sincère à cette foi et à ces sentiments fraternels dont la négation menace la paix et l'humanité.

Et maintenant que descende large, paternelle, affectueuse, sur vous tous, sur la Ville Eternelle et sur le monde Notre Bénédiction Apostolique.

1 En Yougoslavie, une loi nouvelle impose aux prêtres de révéler ce qu'ils ont appris au confessionnal quand ils sont cités comme témoins devant les tribunaux.


RADIOMESSAGE AUX ÉCOLIERS CATHOLIQUES DES ÉTATS-UNIS

(2 mars 1949) 1

// est de tradition 2 que, chaque année, le Souverain Pontife adresse, au début du Carême, un appel aux enfants des Etats-Unis afin de les inviter à porter secours à la détresse des enfants jetés dans la misère et répartis dans les différentes parties du monde. Le mercredi des Cendres 1949, le Pape envoya le message que voici : .

Chers enfants, Dieu est bien bon puisqu'il nous procure le grand bonheur de vous rendre une fois de plus, une visite radiophonique dans vos écoles, en traversant l'océan.

Il est en effet le premier à savoir, comme Nous sommes certain que vous savez, pour l'avoir entendu les lèvres mêmes de ceux que vous aimez bien — vos parents, vos instituteurs, vos prêtres et vos Evêques — que vous êtes toujours proches du coeur du Saint-Père : vos travaux, et vos jeux, vos sourires et vos larmes, vos livres, vos cloches et vos concours, votre communion avec le Roi autour de vos autels, et à la maison où II vous suit pour bénir votre croissance dans Sa grâce et sous Sa divine protection.

Comment le Vicaire du Christ pourrait-il oublier ou permettre à d'autres d'oublier, ne fût-ce que pour un jour, les espoirs et les craintes que le Seigneur a placés en ces petits qui sont les Siens ?

Notre pensée et notre amour se portent vers vous à tout

1 D'après le texte anglais des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 179.

2 On lira les Radiomessages aux écoliers des Etats-Unis du 19 février 1947 (A. A. S., 39, 1947, p. 127) et du 14 février 1948 (Cf. Documents Pontificaux 1948, p. 73).

instant tandis que Nous travaillons et prions, afin que le Royaume de Dieu s'établisse sur terre — tant pour les foyers que pour l'Eglise et la Patrie — comme il est établi au ciel. Et non seulement pour ce jour, mais pour chaque jour, et le Pape se souvient, à la suite de tout ce qu'il voit entend et souffre, partageant toutes les joies et toutes les peines de sa grande famille mondiale, que l'avenir de ce béni Royaume du Christ ainsi que Ses promesses de justice, d'amour et de paix repose en fin de compte sur vous. Les adultes, ainsi qu'il nous l'a dit, il y a longtemps, ne peuvent espérer le construire et en jouir que lorsque leur coeur et leurs mains ressembleront à ceux des petits.

Mais si Notre salut radiophonique vous parvient aujourd'hui de cette maison de Pierre à Rome, avec un caractère particulier de proximité et d'affection, c'est parce que le Saint-Père a de bonnes raisons de se rappeler que les coeurs et les mains de Ses garçons et de Ses filles d'Amérique, grâce à leurs écoles catholiques, sont plus largement ouverts durant cette sainte période du Carême, à cette invitation constante de notre Maître, notre Seigneur et notre Vie. « Apprenez de Moi ! Suivez-Moi ! Demeurez dans mon amour ! « Et quel meilleur moment pourriez vous choisir pour montrer à vos frères et à vos soeurs que vous appartenez à Notre-Seigneur, maintenant et pour toujours, vous-mêmes avec tout ce que vous êtes et avec tout ce que vous avez reçu de Lui. Les cendres que Notre Mère la Sainte Eglise a placées sur votre front, en ce début du Carême, sont un signe de plus pour tous ceux qui ont des yeux pour voir, que vous avez besoin de Lui. Le voile pourpre dont l'Eglise recouvre les statues du Christ et la Croix, durant le temps de la Passion, quand nous unissons notre petit sacrifice à Son grand Sacrifice, afin de partager Sa victoire pascale, est un signe de plus de son étrange et doux désir qu'il a de vous. Et vous avez besoin de Lui, actuellement. Il est notre leçon quotidienne. Il est notre compagnon quotidien. Il est — ô merveille des merveilles ! — notre pain quotidien. Il est avec nous tous les jours, même jusqu'à la fin des temps, de telle sorte que personne d'entre vous ne pourra jamais dire qu'il n'a pas la force, ni la lumière, ni le courage nécessaires pour Le suivre, partout où II conduira ; pour aimer ce qu'il aime et haïr seulement ce qu'il hait ; pour être bon et faire le bien tel qu'il le demande et Lui apporter notre secours pour constituer dans le monde l'unique sainte famille qu'il veut réaliser.

Quelle consolation lui est procurée, ainsi qu'à son Corps qui est l'Eglise — en face de la méchanceté, des luttes et des péchés du monde — en voyant que vous, ses chers petits, vous ne vivez, ni étudiez, ni faites de projets, ni priez, durant vos années de vie d'écoliers, uniquement pour vous-mêmes, mais pour toute Sa famille éparpillée partout et que vous êtes remplis d'une tendresse et d'une pitié analogue à la Sienne, pour tous ceux qui sont dans la misère et la peine !

L'an passé, à cette époque, nous étions fiers et heureux, chers enfants, de vous dire qu'il y avait de nombreuses centaines de vos petits amis dans presque chaque pays qui est mentionné dans votre livre de géographie, qui vous remercient et vous bénissent, devant le même autel et la même Croix du Christ, se souvenant du besoin qu'ils avaient de Lui, et de Son besoin d'eux. Fidèles d'abord dans vos prières de Carême, et ensuite dans l'afflux permanent de vos dons de Carême : d'aliments et de vêtements, de jouets, de médicaments et de matériel scolaire ; ainsi que de tous les autres menus objets que le Seigneur désirait qu'ils aient tous, comme tout chrétien le sait.

Nous savons tout ce que vos coeurs et vos mains ont fait pour procurer à ceux-là une meilleure santé, et des foyers plus heureux, après ce long cauchemar de la guerre et de la ruine. Car ils Nous l'ont dit dans le langage de la reconnaissance et du pardon, qu'ils parlent beaucoup mieux, il semble parfois, que d'autres. Nous avons lu leurs lettres. Nous avons vu leur photographies. Nous les avons tenus dans nos bras et les avons bénis au nom du Dieu d'amour, comme Nous vous bénissons maintenant, vous leurs amis chrétiens. Certains d'entre eux ne verront plus jamais la lumière, ni ne pourrons marcher dans ce monde. Et d'autres, ne connaîtront plus jamais — tel que vous le connaissez — le salut d'un baiser d'une mère ou le calme sourire d'un père quand, venant de l'école, ils rentrent à la maison. Mais vous les avez aidés à voir, et vous Nous avez aidé à leur rappeler qu'ils sont d'autant plus chers au Coeur de Jésus et de Sa Mère Marie, qu'ils ont perdu si jeunes, ces joies de la terre et qu'ils ont enduré si patiemment pour Lui et pour elle, ces cruelles souffrances du corps. Ce que vous leur avez donné est un trésor de Carême dépassant toute estimation : un acte de charité conforme à votre amitié loyale envers le Roi qui, par Sa sainte Croix continue à sauver le monde.

Durant le Carême, comme vous l'avez entendu dire à la maison, à l'église et à l'école, Notre Mère l'Eglise prépare ses petits de partout à prendre part à un grand déploiement de prières et de pénitence qu'elle appelle « l'Année Sainte ». Elle prie avec vous et pour vous afin que 1950 soit réellement pour tous les hommes : « l'année du grand Retour et du grand Pardon ». Mais pendant qu'elle prie, plusieurs de ces enfants malades et sans abri pleurent encore. Eux aussi sont vos frères et soeurs, chacun d'entre eux. Dans la Terre-Sainte, où le Christ-Enfant vécut en famille, au milieu de nous, et invite tous les enfants à venir à Lui. Dans la Chine tourmentée et lasse. Dans la noble Grèce, dans les camps surpeuplés et sur les navires d'émi-grants. Ils appellent encore au secours, s'adressant à vos coeurs et à vos mains ouvertes ! Mais encore une bonne part de Notre joie paternelle, en vous saluant aujourd'hui, par le moyen des ondes radiophoniques, provient du fait que Nous sommes assuré que vous entendrez ces appels ét que vous serez bons envers ces agneaux délicats du troupeau du Bon Pasteur, car Celui-ci vous a invités à être bons si souvent au cours des Carêmes précédents.

Puissent votre pays, vos foyers, vos classes, vos cours de récréation être ensoleillés de Sa lumière et de Sa grâce tandis que l'Année Sainte approche sur le monde pervers et que Son message de miséricorde atteigne ceux qui pardonnent et que -la paix de Notre-Seigneur remplisse le coeur de tous les petits enfants de bonne volonté.

Tel est l'espoir que le Saint-Père formule à votre égard, fils et filles de notre chère Amérique.

Formulant ces demandes — et attendant encore d'autres bienfaits, au cours de 1 Année Sainte —, à l'oreille maternelle de Notre-Dame, la Patronne céleste de votre Patrie, Nous vous donnons maintenant — en guise d'au revoir — à vous et à tous ceux qui vous sont chers, jeunes et vieux, du fond de Notre coeur, la bénédiction papale.


LETTRE A L'UNIVERSITÉ DU SACRÉ-COEUR DE MILAN

(17 mars 1949) 1

Le Pape a envoyé la lettre suivante au Révérend Père Agostino Gemelli, O. F. M., recteur de l'Université catholique de Milan, à l'occasion de la « Journée universitaire » destinée à faire connaître à la population italienne la situation de l'Université :

La célébration imminente de la Journée universitaire par laquelle la conscience éclairée des catholiques d'Italie coopère efficacement à la prospérité d'une institution, source bienfaisante de vie intellectuelle sur cette terre bien-aimée, Nous offre l'occasion favorable de Nous réjouir avec vous, cher Fils, de la promptitude d'action avec laquelle l'Université, qui a si bien mérité de la culture italienne catholique, a retrouvé sa pleine efficience après les graves offenses subies malheureusement en si grand nombre pendant la dernière guerre.

Les blessures cicatrisées et l'organisme rétabli, l'Univer-, site du Sacré-Coeur a repris en ces années avec confiance et

une vivacité nouvelles ses multiples activités culturelles, formatées, sociales et religieuses ; et Nous savons comment maîtres et disciples, dirigeants et organisateurs d'oeuvres et d'initiatives excellentes rivalisent d'efforts et de bonne vo-lpnté pour que cette vigoureuse reprise soit proportionnée aux besoins.

Grâce à la fidélité absolue aux principes chrétiens, qui sont toute la raison d'être de l'Université catholique, celle-ci doit, de fait, aujourd'hui plus que jamais, veiller pour rester fidèle aux fins pour lesquelles elle a été fondée ; et maintenir

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano du 18 mars 1949.

avec ferme propos sa foi à l'engagement solennel qu'elle a pris d'introduire dans le corps social de la Nation des éléments dirigeants et des adeptes de la science et du savoir qui honorent en même temps la foi et l'Eglise et qui soient au sein de l'Italie renaissante, un levain régénérateur, un facteur de renouveau dans sa marche vers son destin.

Le zèle éclairé avec lequel vous, cher Fils, avez régi jusqu'aujourd'hui les destinées de l'Université nous est une bonne garantie de la haute conscience avec laquelle vous continuerez à veiller, et vos collaborateurs veilleront avec vous pour que dans ce temple de la vérité et de la sagesse soit assurée la doctrine et préservé l'exemple de la tradition. Que dirigeants et maîtres continuent à renouveler leur efforts non seulement dans le culte de la science qui, si elle n'est unie à la piété, devient facilement un vain et périlleux orgueil (scientia inflat) mais en même temps et surtout dans la formation de caractères fermes et résolus, qui, leurs cours achevés, ne cèdent par aux heurts de la vie, et aux séductions du monde.

L'Italie catholique attend de son Université des hommes dignes de la foi et de la civilisation chrétiennes. Et tels se révéleront dans le monde des études et des professions nos universitaires si, à l'épreuve des actes, ils se montrent des témoins constants de ces principes dont fut informée leur culture supérieure pour en faire le substratum de leur vie professionnelle et un glorieux service de l'apostolat pour l'élévation spirituelle et la restauration de la société qui les accueille.

A la vie et au développement d'un aussi important secteur de l'activité des catholiques italiens, Nous savons combien sont aujourd'hui disproportionnés ces moyens qui pourtant jusqu'à présent ont été fournis par la compréhension commune et la générosité jointe à l'approbation toujours croissante d'une partie des classes humbles et indigentes.

Dépourvue comme elle l'est de biens personnels l'Unie versité catholique du Sacré-Coeur devrait aujourd'hui douter de son avenir si l'heureuse expérience du passé ne lui garantissait un nouveau geste de solidarité et de générosité, de nouveaux sacrifices de la part de ceux — et il s'agit certes de la majorité des Italiens — qui sentent combien la fonction de cet organisme vital de leur culture et de leur foi a aujourd'hui plus que jamais un caractère d'urgence et combien le tenir en vie en soutenant le progrès est un devoir solennel pour tous.

Par conséquent, Nous ne doutons pas que la traditionnelle <( Journée universitaire » soit dans toute l'Italie la consolante affirmation de la conscience de ce devoir. Et, comme elle recueillera en proportion plus considérable encore le tribut qui se demande à tous, de même elle sera pour tous sans exception la Journée de la prière et des bonnes oeuvres offert» au Seigneur pour qu'une aussi haute fin morale soit atteinte ; on en comprendra aussi tout l'urgent intérêt pour la cause de la religion et pour l'avenir de l'Italie.

Plein de confiance, Nous implorons pour la chère Université catholique, de nouvelles et abondantes faveurs du Ciel et avec le plus vif désir de son heureuse extension, Nous vous accordons à vous cher fils, bien aimé, au corps enseignant et dirigeant, à la famille universitaire tout entière, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1949 - ALLOCUTION AU CONSISTOIRE