Pie XII 1949 - A ROME


DISCOURS AUX ENFANTS DE ROME

(2 avril 1949) 1

Ce 2 avril 1949, le Souverain Pontife accorda, dans la cour du Belvédère, audience à plus de 50.000 élèves des écoles primaires de Rome et environs ; il leur adressa le discours suivant :

Soyez les bienvenus, chers petits garçons et petites filles, Nous souhaitons que vous vous trouviez à votre aise dans cette fête de famille, ici, à quelques pas de distance du lieu où, après son martyre glorieux, fut enseveli le prince des Apôtres.

Que ce soit pour vous un jour de liesse et de remerciement envers le Seigneur, pour vous, petits amis de Jésus, dont II aimait à faire les confidents de ses secrets, de ses désirs, pour la paix de vos familles, de votre chère patrie et de la grande famille humaine. Vous êtes venus pour Nous dire, en votre nom et au nom de tous les enfants d'Italie et du monde, que vous êtes toujours prêts à écouter la voix divine de Jésus, parce qu'il vous aime et parle de jour en jour à vos coeurs.

Le Pape leur recommande Vobservance du grand commandement de la charité :

Vous avez certainement appris de vos bons maîtres comment saint Jean apôtre évangéliste, arrivé à une extrême vieillesse, avait coutume d'adresser toujours les mêmes paroles à ses fidèles : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres ».

C'était assez, c'était tout. Tous les livres et les caté-

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 177; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLVI, c. 513.

chismes, tous les discours des prêtres, à 1 autel, au confessionnal, par la radio, ne pourraient vous dire rien de plus parfait. Ceci, chers petits enfants, aimez-vous les uns les autres, comme Jésus vous a aimés.

Jeunes gens, le disciple préféré avait travaillé pendant de longues années, il s'était fatigué pour le Christ, avait souffert pour lui. Mais le souvenir qu'il avait conservé comme le plus cher et le plus sacré, après avoir, durant la Cène, reposé sa tête sur la poitrine du Rédempteur (Jean. XXI, 20), c'était le mémorial de l'amour de Jésus : son amour pour nous, notre amour les uns pour les autres, avec le secours de sa grâce et pour son amour.

Comment donc pourrions-Nous mieux célébrer aujourd'hui cette fête de famille avec vous qu'en rappelant ce message de Jean, message qu'aucun Pape ne peut oublier et qu'aucun enfant ne peut manquer de comprendre : « Aimez-vous les uns les autres ».

Pourquoi ? Vous le savez. Vous l'avez appris du coeur et des lèvres de Jésus.

N'est-il pas vrai, que Jésus aime tout petit garçon et toute petite fille qui viennent en ce monde, en quelque lieu que puissent être leur père, leur mère, leurs prêtres, ou maîtres, et quelle que soit la couleur de leur peau, blanche, noire ou jaune ?

Existe-t-il des petits garçons ou des petites filles qu'il n'ait pas aimés, ou pour lesquels il n'ait pas vécu, ne soit pas mort, quel que soit l'endroit où ils se trouvent sous l'azur du firmament, dans les grandes villes, dans les villages, dans les petites fermes, au désert, dans la jungle, dans les neiges du Nord ?

Jésus veille donc sur eux, les écoute et veut les sauver, quels que soient la langue de leurs livres d'école, leur discours et leurs chants.

Jésus ne rappelle-t-il pas toujours, même quand on semble l'oublier, que le royaume des cieux est ouvert à tout petit garçon et à toute petite fille, et que l'image de Dieu se trouve en leur âme, que son Sang est leur divin remède, son Corps leur aliment surnaturel ?

N'est-il pas vrai que l'amour réciproque pousse les petits garçons et les petites filles plus fortunés à venir au secours de tant et tant d'enfants qui devraient grandir, eux aussi en bonne santé et heureux, et au contraire, tombent victimes des maladies, de la faim, et n'ont pas un toit pour se reposer, ni habits pour couvrir leurs petits corps fragiles, et peut-être n'ont pas un père ou une mère pour prendre soin d'eux ?

Oui, chers enfants, vous avez compris ce qui rend aujourd'hui le coeur du Pape si ardent et si heureux parmi vous.

Vous désirez maintenant Notre Bénédiction pour vous, pour vos parents, pour vos petits frères et vos petites soeurs, pour vos maîtres et vos maîtresses, pour tous les petits garçons et petites filles du monde.

Avec une gratitude paternelle pour votre hommage et vos dons, Nous vous accordons cette Bénédiction de tout coeur. Qu'elle soit le meilleur témoignage de Notre amour pour vous, de Notre espérance en vous. Puisse-t-elle vous aider à vous maintenir toujours dans la pureté, pour apprendre et mettre en pratique la parole de Jésus à ses petits amis de toute la terre et de toute langue.


ENCYCLIQUE REDEMPTORIS NOSTRI

(15 avril 1949) 1

A plusieurs reprises, Pie XII a exprimé son anxiété devant les événements qui se déroulent en Palestine . Dans un nouveau document, il revient sur la question de la protection à assurer aux Lieux-Saints. Le Vendredi-Saint de l'année 1949, le Saint-Père écrit :

Les souffrances de notre Rédempteur, qui sont pour ainsi dire représentées sous nos yeux pendant ces jours de la Semaine Sainte, orientent les pensées des Chrétiens, pénétrés d'un profond respect, vers cette terre qui fut choisie, en vertu d'un dessein de la divine Providence, pour être la patrie du Verbe

1 D'après les A. A. S., XXXXI, p. 1949, p. 161 ; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLVI, col. 641. 1 Lire notamment :

— Allocution à des réfugiés juifs, le 29 novembre 1945 (La Documentation Catholique, t. XLV. 1948, Col 1184).

— Allocution à une délégation arabe, 3 avril 1946 [A. A. S., 38, 1946, p. 322).

— Allocution à l'United Jewish Appeal, 9 février 1948 (Documents Pontificaux 1948, p. 71).

— Encyclique ^laspjoia Quaedam, 1 mai 1948 (id., p. 172).

— Allocution au Sacré-Collège, 2 juin 1949 (id., p. 208).

— Encyclique In Multiplicibus, 24 octobre 1948 (id., p. 381).

Avant Pie XII, Benoît XV avait déjà élevé la voix au Consistoire du 13 juin 1921 pour réclamer le respect des droits des catholiques en Palestine ( Benoît XV, t. III, p. 83; Ed. Bonne Presse, Paris).

De même Pie XI le 11 décembre 1922 (dictes de Pie XI, t. 1P 129 Ed. Bonne Presse, Paris).

incarné, et dans laquelle Jésus-Christ passa sa vie terrestre et mourut, après avoir répandu son sang.

Cependant, à l'heure présente, tandis que Nous Nous remémorons, avec une plus ardente piété, ces Lieux Saints, Notre âme est remplie d'une très vive anxiété en songeant aux conditions difficiles et incertaines dans lesquelles ils se trouvent \

Déjà l'année dernière, à deux reprises, Nous vous avons, Vénérables Frères, fortement exhortés dans Nos Lettres, à faire réciter publiquement et par tous des prières, en vue d'obtenir et la fin de la lutte qui ravageait et ensanglantait cette terre, et un arrangement conforme aux normes de la justice, grâce auquel serait pleinement assurée la liberté catholique, en même temps que seraient conservés et protégés ces Lieux très saints.

Un calme relatif règne actuellement en Palestine 2 :

Et maintenant que les hostilités ont cessé, ou du moins qu'elles sont suspendues, à la suite d'armistices récents, Nous rendons de tout coeur de très grandes actions de grâces à Dieu et approuvons grandement ceux qui, par de nobles efforts, ont travaillé à ramener la paix.

Cependant des violences continuent à s'exercer dont sont victimes les chrétiens :

Mais bien qu'on ait fini de se battre, il s'en faut encore beaucoup que l'ordre et la tranquillité soient

1 On trouvera dans Documents Pontificaux 1948, p. 176, un résumé de la situation en Palestine.

2 Le 24 février 1948, l'Egypte et Israël ont signé un armistice. De leur côté, les autres pays de la Ligue arabe et l'Arabie séoudite négociaient également un armistice avec Israël.

totalement rétablis en Palestine. De fait, il nous parvient encore les plaintes, bien fondées, de ceux qui déplorent très légitimement la profanation des édifices sacrés, des saintes images et des maisons de bienfaisance, ainsi que la destruction de pacifiques couvents des communautés religieuses.

De plus, des centaines de milliers de réfugiés continuent à souffrir de la faim 1 :

Parviennent aussi jusqu'à nous les appels ardents de très nombreux réfugiés de tout âge et de toute condition qui ont été refoulés par cette désastreuse guerre, dans des régions étrangères où, dans des camps de rassemblement, ils mènent une vie d'exilés, exposés à la misère, aux maladies contagieuses et à toutes sortes de dangers.

De nombreux secours sont venus porter assistance à ces réfugiés 2 :

Nous n'ignorons pas tout ce qu'ont généreusement accompli les organismes publics aussi bien que

1 En 1949 on estimait qu'il y avait 940.000 réfugiés dans les camps du Proche-Orient.

2 La Belgique a organisé, dès le mois d'août 1948, un comité i Palestina » de secours qui s'installa à Nazareth ; en 1948 il faisait parvenir 2.000.000 de francs et 500 tonnes de vêtements, aliments et médicaments.

Les Etats-Unis ont créé la <c Catholic Near East Welfare Association » sous la présidence du Cardinal Spellman, qui a distribué en 1948 plus d'un million de dollars en espèces et un demi-million de dollars en vêtements et médicaments.

En France un comité a été créé en mai 1948 pour soutenir les réfugiés de Palestine ; il viendra principalement au secours de Bethléem.

L'Organisation des Nations-Unies avait, au Ier juin 1949, dépensé en secours pour les réfugiés du Proche-Orient une somme de 14.690.000 de dollars; mais elle estimait que pour les neuf premiers mois de 1949, 32 millions de dollars étaient nécessaires.

Le Souverain Pontife a créé en 1948 une commission spéciale chargée d'ap-

les citoyens privés, pour adoucir le sert de cette multitude si malheureuse; et Nous-même, continuant les oeuvres charitables que Nous avons entreprises dès le début de Notre pontificat, Nous avons fait tout ce qui était en Notre pouvoir, en vue de subvenir aux besoins les plus urgents de cette foule de malheureux.

Mais il faut faire davantage :

Cependant, la situation de ces exilés est si incertaine et si précaire, qu'elle ne peut se prolonger plus longtemps. Aussi, en même temps que Nous exhortons et encourageons tous les grands et nobles coeurs à aider de toutes leurs forces ces expatriés, en proie au chagrin et à la misère, Nous adressons également un pressant appel à ceux qui en ont la responsabilité, pour que justice soit rendue à tous ceux qui, chassés loin de leurs foyers, par le tourbillon de la guerre, ne désirent rien tant que de mener à nouveau une vie paisible.

Aussi le Pape demande, une fois de plus, qu'on prie pour le retour de la paix :

Le voeu que Nous formulons en ces saints jours, et que tous les peuples chrétiens expriment avec Nous, c'est que resplendisse enfin la paix là-même où Celui que les Prophètes sacrés ont appelé Princeps Pacis (Le Prince de la Paix) (Is. IX, 6) et l'Apôtre des gentils : Pax ipsa (Notre paix) (cf. Eph. II, 14) a vécu et versé son sang.

porter des secours en Palestine : « Pro Palestine » ; elle est présidée par Mgr Mac Mahon de New York, secrétaire de la a Catholic Near East Welfare Association ».

De plus, Pie XII implore à nouveau ceux qui portent la responsabilité de statuer sur le sort de la Palestine qu'ils accordent à Jérusalem un régime de protection internationale 1 :

Cette paix solide et véritable, jamais Nous n'avons cessé de l'implorer, et pour qu'elle soit hâtée et signée au plus tôt, Nous avons déjà affirmé solennellement dans Notre Lettre encyclique In Multiplicibus qu'il est tout à fait opportun de donner à Jérusalem et à ses environs, où se trouvent les vénérables souvenirs de la vie et de la mort du Sauveur, un régime établi et garanti par le droit international, régime qui, dans les circonstances présentes, paraît assurer d'une façon plus convenable et plus appropriée la protection de ces souvenirs sacrés 2.

Cependant, Nous ne pouvons Nous empêcher de renouveler cette solennelle déclaration dans cette pensée qu'elle sera un encouragement pour Nos fils ; eux, en quelque lieu qu'ils habitent, doivent employer les moyens légitimes pour que les chefs de gouvernements et tous ceux qui ont qualité pour régler une si importante affaire, soient bien persuadés qu'il faut donner à Jérusalem et aux régions environnantes un statut juridique dont, seules, l'union et l'entente commune des nations amies de la paix

1 Actuellement, Jérusalem est divisée en zones d'influences dépendant les unes des autorités juives, les autres des autorités arabes. Cette situation crée des difficultés insurmontables aux chrétiens. Dans toutes les zones on signale que des religieux ont été chassés de leurs couvents et ceux-ci ont été pillés. Jérusalem et les autres Lieux Saints sont dans une grande désolation.

Cependant l'Organisation des Nations-Unies décidait en novembre 1947 que la ville de Jérusalem serait placée sous la tutelle des Nations-Unies. L'Assemblée de l'O. N. U. en décembre 1948 répétait une fois de plus cette décision.

2 Le Pape reprend ici les termes mêmes de son Encyclique In Multiplicibus.

et respectueuses cîes droits d'autrui peuvent, dans les conditions actuelles, assurer et garantir la stabilité.

// faut aussi garantir la protection des Lieux-Saints situés hors de Jérusalem, à travers la Palestine :

Mais il est, en outre, absolument nécessaire de garantir juridiquement la conservation et la protection convenables de tous les Lieux Saints de la Palestine qui se trouvent non seulement à Jérusalem, mais encore dans les autres villes et localités de la Palestine.

Par suite des événements de la guerre, et des dévastations causées par elle, un grand nombre d'entre eux ont été exposés à de grands dangers et ont souffert de graves dommages. Il faut donc que ces Lieux — qui conservent de si grands monuments de la religion, vénérables pour chacun, et qui entretiennent et favorisent si puissamment la piété — soient protégés d'une façon convenable et par un statut juridique déterminé qui sera garanti par un accord ou un engagement international.

L'accès de ces Lieux-Saints doit être rendu libre et aisé aux pèlerins :

Nous savons pertinemment que Nos fils ont un brûlant désir de faire à nouveau les pèlerinages traditionnels en ces Lieux, dont l'accès leur a été interdit depuis longtemps par des bouleversements quasi universels. Ce désir est rendu plus ardent encore par l'imminence de l'Année Sainte, année au cours de laquelle les fidèles éprouveront, comme il est naturel, un plus grand désir de visiter cette terre qui fut pour ainsi dire le théâtre de la divine Rédemption. Dieu veuille que ces souhaits soient au plus tôt réalisés.

Mais pour que cet heureux événement se produise, il faut assurément que soient prises et adoptées toutes les mesures grâces auxquelles les pèlerins pourront avoir librement accès aux édifices sacrés; pratiquer publiquement et sans obstacle leurs exercices de piété et séjourner dans ces Lieux sans courir de danger ni éprouver de crainte. Nous estimons, par ailleurs, que ce serait une injure de leur offrir le spectacle de la profanation de cette contrée par d'indignes divertissements et par des amusements coupables, profanation qui offenserait certainement le divin Rédempteur et la conscience chrétienne \

Les oeuvres et institutions catholiques doivent être pleinement libres d'exercer leurs activités :

Nous souhaitons aussi ardemment que les nombreux établissements catholiques de Palestine, destinés à soulager les pauvres, à éduquer la jeunesse, à hospitaliser les étrangers, puissent, comme il est juste exercer leur activité propre, sans en être empêchés par aucun obstacle ainsi qu'ils le faisaient naguère avec tant de mérite.

Tous les droits acquis par les catholiques sur les Lieux-Saints doivent être maintenus et respectés 2 :

Nous ne pouvons non plus ne pas rappeler qu'il faut conserver intact tous les droits sur les

1 Le Saint-Père vise ici certains projets d'urbanisme et d'exploitation qui voudraient construire à proximité de certains Lieux Saints des lieux de villégiature et de plaisirs.

2 Les droits des chrétiens sur les Lieux Saints peuvent se résumer comme suit : la propriété des institutions catholiques en Terre Sainte s'appuie sur des actes juridiques de cession et de vente stipulés avec les autorités politiques. Il y a là des titres légaux authentiques sur les Lieux Saints.

Lieux Saints que les catholiques ont aquis depuis de longs siècles, qu'ils ont vaillamment défendus à plusieurs reprises et que Nos prédécesseurs ont solennellement et efficacement proclamés.

Enfin Pie XII demande que les évêques du monde entier pro-voquent une campagne afin que l'opinion publique soit alertée sur le problème de l'avenir des Lieux-Saints 1 :

Voilà, Vénérables Frères, les choses sur lesquelles Nous avions le dessein d'attirer votre attention et vos pensées.

Faites donc en sorte que les fideles, confiés à votre sollicitude, se soucient toujours plus du sort de la Palestine et affirment publiquement et résolument leurs désirs et leurs droits auprès des chefs de gouvernements. Mais surtout que, par leurs prières, instantes, ils obtiennent l'aide de Celui qui dirige les hommes et les nations. Que Dieu jette un regard bienveillant sur le monde entier et tout particulièrement sur cette terre arrosée du sang du Verbe incarné, afin que la charité de Jésus-Christ triomphe des haines et des conflits, elle qui, seule, peut apporter la tranquillité et la paix.

En attendant qu'elle soit le gage des célestes faveurs et de Notre bienveillance, la Bénédiction Apostolique que Nous vous donnons très affectueusement à vous, Vénérables Frères, et aux fidèles dont vous êtes les pasteurs.

1 Les Evêques du monde ont répondu à cet appel. Citons à titre d'exemple:

— Lettre des Cardinaux de France, mai 1949 (La Documentation Catholique, t. XLVI, Col 645).

— Lettre Pastorale de Mgr Kerkhofs, évêque de Liège, au retour de son voyage en Palestine, 8 mai 1949.

— Déclaration de l'Episcopat anglais, 15 juin 1949.


ALLOCUTION A LA MISSION UNIVERSITAIRE DE FRANCE

(16 avril 1949) 1

Le Samedi-Saint, le Saint-Père reçut une délégation de plus de trois cents professeurs et étudiants des Universités françaises. Le Pape en profita pour souligner les devoirs des universitaires :

Votre démarche chers fils et chères filles, Nous touche profondément car elle Nous apporte un grand motif d'espérance. Parmi les douleurs et les angoisses que Nous causent les événements présents, une de Nos préoccupations — et non la moindre — Nous vient du désarroi où Nous voyons les esprits et de leurs déviations qui donnent à craindre de nouveaux malheurs.

Professeurs et étudiants universitaires, vous représentez ici l'élite intellectuelle de la France. Or, qui dit élite, dit, sans doute élévation, dignité ; il dit surtout mission, devoir, responsabilité. On proclame souvent — et avec raison — que ceux qui possèdent en abondance les biens matériels de la fortune, doivent se considérer comme les « banquiers de Dieu », les mandataires de sa Providence auprès des pauvres. De même et à plus forte raison, ceux à qui le Père des Lumières a plus richement dispensé les dons de l'intelligence, et du savoir, ont reçu, par le fait, la mission et le devoir de distribuer avec sagesse ces trésors à la foule, qui en serait sevrée ou qui risquerait de les gaspiller follement.

Il faut tout d'abord orienter sa recherche du savoir :

Il est évident que, aujourd'hui plus que jamais, le monde

1 D'après le texte français de l'Osseru<rfore Romano des 18 et 19 avril 1949.

est pris d'une fringale de savoir ; non plus comme jadis aux âges injustement taxés d'ignorance, où chacun, pourtant avait le désir d'acquérir, aussi profonde que possible, avec la connaissance des choses nécessaires à la vie dignement honnête d'ici-bas et au salut éternel, la compétence propre à son art ou à son métier. Aujourd'hui, chacun veut ou prétend tout savoir, en se contentant toutefois d'une teinte superficielle des questions les plus disparates, juste de quoi en faire vaniteusement étalage. Cette curiosité est-elle un bien ? est-elle un mal ? Qu'elle soit l'un ou l'autre, elle est un fait et ce fait domine la mentalité du peuple. 11 est dangereux tant qu'on voudra et tristement ridicule, de vouloir sans notions préalables, sans préparation, se jeter sur toute pâture intellectuelle de philosophie, de sociologie, ou d'économie, de sciences physiques, chimiques ou biologiques. Mais encore une fois, c'est un fait ; il s'impose, et en s'im-posant, il vous dicte votre mission et votre devoir.

Il faut s'alimenter de connaissances profondes et exactes, il livrer aux autres cette ' même nourriture substantielle :

Cette manie de paraître tout savoir, trop de hâbleurs sont disposés à la flatter et à la satisfaire à peu de frais pour eux, au grand dam de leurs auditeurs et de leurs lecteurs. Il n'y a qu'un remède, répondre au besoin et à l'appel des intelligences, en leur donnant, en leur accommodant une nourriture saine, substantielle, qui les dégoûte des breuvages capiteux et des mets frelatés. Là est la difficulté mais là est la beauté, la grandeur de votre rôle, de celui auquel vous, illustres maîtres, vous dévouez laborieusement votre vie, de celui auquel vous, jeunes étudiants, vous vous préparez, animés d'une généreuse et sainte ambition. Ah, certes ! il vous serait autrement aisé d'éblouir le grand public par de belles phrases sonores et vides, qui ne lui donneraient point la vérité et qui le disposeraient, au contraire, à accueillir, docilement crédule, le sophisme et 1 erreur.

Le savant doit faire progresser la science et ensuite la vulgariser :

Bien plus ardue et multiple est votre tâche : acquérir, étendre, approfondir, faire progresser la science qui est de votre compétence, tout en vous tenant au courant de ses contacts et interférences avec les autres branches du savoir ; et puis, pour ainsi dire, la monnayer afin de la mettre à la portée des esprits et qu'elle soit acceptée volontiers, assimilée par eux, et surtout qu'elle leur soit éclairante et nourrissante.

Le monde connaît d'ailleurs, aujourd'hui, un nombre toujours accru de vrais savants, préoccupés de répandre autour d'eux leur savoir :

Vous avez, en France une magnifique galerie d'hommes, également éminents comme savants et comme écrivains, tels que le mathématicien Henri Poincaré, l'entomologiste Henri Fabre, le géologue Pierre Termier (combien d'autres devraient être ici nommés sans parler des vivants !). Cette alliance, chez eux de la valeur scientifique et de la valeur littéraire est un trésor du plus haut prix. Car enfin, de quoi servirait à l'humanité en général une science obscurément ensevelie dans des livres aux pages à peine coupées ou feuilletées seulement par quelques rares initiés ? Et de quoi servirait, d'autre part, une littérature qui ne serait plus qu'un amusement, qu'un passe-temps, qu'un divertissement de di-lettanti, sans apporter à l'intelligence une lumière nouvelle, à la volonté une impulsion plus puissante, au coeur une flamme plus ardente, à la vie un idéal qui ne soit pas un vain mirage, mais un but et une raison de vivre ?

Le savant doit, dans sa recherche el sa réflexion, être pénétré de respect vis-à-vis de la lumière telle que Dieu la lui fait découvrir :

Un autre motif vous oblige au labeur consciencieux et profond de l'étude et de l'enseignement par la parole ou par la plume : un motif de dignité et de respect. Qu'est, en effet, le savant, l'écrivain, le maître, 1 orateur ; l'intellectuel à quelque titre, sinon, dans une mesure plus ou moins haute, en quelque sorte, « homo missus a Deo... ut testimonium perhibeat de lumine » : un homme envoyé de Dieu... pour témoigner de la lumière (cf. Jean I, 7-8) ? Pénétré du sentiment de cette dignité dont Dieu l'a revêtu, il doit l'être aussi de respect. Respect avant tout envers la lumière éternelle dont il a reçu le mandat de projeter les reflets sur toute la création.

— respect envers ses propres découvertes qui doivent être traitées telles qu'elles sont :

Mais, par conséquent, respect envers la science elle-même, c'est-à-dire envers la vérité qu'il ne doit jamais, par intérêt ou par passion, par timidité ou par vaine ostentation, altérer, mutiler ni discréditer, en donnant pour certitude ce qui n'est qu'hypothèse ou probabilité.

— respect de la langue dans laquelle on exprime sa pensée et dont les règles doivent être observées :

Respect, ajouterons-Nous, envers la langue appelée à revêtir la vérité d'un manteau de lumière et de beauté. Comme votre langue française est bien faite pour draper ce manteau ! On la dit souvent claire, forte et savoureuse. Ce n'est pas qu'elle se livre telle aisément. Elle ne se laisse conquérir et manier qu'au prix de longs et courageux efforts. « Semblable, dit Joseph de Maistre, à l'acier, le plus intraitable des métaux mais celui de tous qui reçoit le plus beau poli lorsque l'art est parvenu à le dompter, la langue française, traitée et dominée par les véritables artistes, reçoit entre leurs mains, les formes les plus durables et les plus brillantes » (OEuvres inédites, Mélanges : Fragments sur la France, 1P 8).

Le Pape prie afin que les universitaires soient fidèles à leur mission :

Voilà, chers fils et chères filles, ce qui incline vers vos travaux Notre plus vif intérêt, vers vos personnes, Notre plus profonde affection et, dans ces sentiments, priant de tout coeur le Verbe, Sagesse éternelle, et la Vierge, votre Mère, Sedes Sapientiae, de vous guider Nous vous donnons Notre très paternelle Bénédiction Apostolique.

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano des 18 et 19 avril 1949.


MESSAGE DE PAQUES TÉLÉVISÉ PAR LA RADIO-DIFFUSION FRANÇAISE

(17 avril 1949) 1

Déjà le jour de Noël (25 décembre 1948) la messe célébrée à Notre-Dame par Son Eminence le Cardinal Suhard, archevêque de Paris, avait été radiotélévisée ; en ce jour de Pâques, le Pape Pie XII consentit à envoyer un message à la France par la voie de la télévision :

Voici le jour que le Seigneur a fait ! Réjouissons-nous dans l'allégresse ! (Ps. CXVII, 24). Quels que soient les souvenirs des peines passées, les souffrances présentes, les menaces pour l'avenir, chaque année la fête de Pâques vient rappeler à ceux qui pleurent, à ceux qui tremblent, que le Christ, mort et enseveli, est ressuscité triomphant, et c'est bien avec raison que, en ce jour, les chrétiens échangent, dans la foi et l'espérance, leurs voeux et leurs félicitations pascales. Quelle satisfaction pour Notre coeur paternel de pouvoir échanger avec vous, chers fils et chères filles de toute la terre, dans l'intimité d'une communication dont il ne Nous avait pas été donné de jouir auparavant !

Bien grande fut l'émotion le jour du 12 février 1931, où pour la première fois, portée par les ondes de la « radio », la parole de Notre Prédécesseur, Pie XI d'immortelle mémoire, fit entendre aux extrémités de l'univers l'évangile de la paix et de l'amour dans la réconciliation des coeurs divisés. On ne la lisait plus seulement, cette parole, froidement consignée sur les pages des journaux : désormais, la voix du Père commun parvenait directement à chacun de ses fils, jusqu'au jour où, déjà défaillante, elle fit à Dieu

l'offrande de sa vie pour conjurer l'orage alors menaçant. Souvent, Nous-même, après lui, Nous sommes mis, par la (( radio » en contact avec le monde entier.

Quel chemin parcouru au long de ces dernières années f Ce contact par la voix ne comblait pas encore tout Notre désir. Toujours, Nous ressentions au fond de Notre âme, cette aspiration que l'Apôtre Saint Paul exprimait de façon si touchante : « Dieu m'en est témoin, disait-il : ... sans cesse, je fais mémoire de vous dans mes prières... je désire tant vous voir ! » (Rom. I, 9). Et Nous savons la réciprocité de ce désir. Etape par étape, le progrès de la science et de la technique, « radio » et cinéma, en ont acheminé la réalisation vers cette télévision dont Nous jouissons à présent.

De nouveaux progrès se feront encore, mais, dès maintenant, les âmes fidèles ne croiront-elles éprouver en maintes circonstances, quelque chose de ce que l'aveugle-né dans l'instant où il lui fut donné de ne plus seulement entendre la voix de sa mère, mais de contempler enfin les traits de son visage aimé ?

Grande joie du coeur, oui, mais avantage plus précieux encore que la simple satisfaction sensible. Nous attendons de la télévision des conséquences de la plus haute portée par la révélation toujours plus éclatante de la vérité aux intelligences loyales.

Au dernier Noël, dans un rayon encore restreint, de nombreux fidèles, retenus à la maison par l'infirmité ou par le devoir, ont pu, grâce à la télévision, suivre, par la vue et par l'ouïe, la messe célébrée par leur vénéré Cardinal à Notre-Dame de Paris. Ce fut pour eux une vive joie et un immense bienfait. Que sera-ce quand l'univers pourra contempler, dans le temps même où elles se déroulent, les manifestations de la vie catholique ! On a dit au monde que la religion était à son déclin, et, à l'aide de cette nouvelle merveille, le monde verra les grandioses triomphes de l'Eucharistie et de Marie ; on lui a dit que la Papauté était morte ou mourante, et il verra les foules déborder de toutes parts de l'immense place Saint-Pierre pour recevoir la bénédiction du Pape et pour entendre sa parole ; on lui a dit que l'Eglise ne comptait plus, et il la verra, persécutée ou glorieuse, mais toujours vivante ; on lui a dit qu'il ne trouverait de secours, de bonté, de dévouement que près d'une philantropie que ni la foi ni la charité divine n'inspirent et n'animent, et il verra les disciples du Christ vouer leur vie, jusqu'à la mort incluse, au service des malades, des vieillards, des prisonniers, des lépreux, sous tous les climats, partout où le corps souffre, où le coeur gémit, où l'âme est en détresse. Alors le monde détrompé lèvera les yeux, contemplera dans le ravissement la lumière qui du front maternel de l'Eglise rayonne sur lui et il rendra gloire à Dieu.

Puisse Notre voix, bien-aimés fils et filles, parvenir une fois de plus à vos oreilles, puissent, en même temps, pour la première fois Notre regard et les vôtres se rencontrer dans l'échange de l'affection paternelle et filiale tandis que, en cette solennité de Pâques, Nous adressons à chacun de vous Nos voeux de sainte joie, à ceux qui souffrent Nos souhaits de chrétienne sérénité et de paix, à tous, avec l'expression de Notre grand amour, Notre Bénédiction Apostolique.

LETTRE A SON ÉM. LE CARDINAL GILROY Archevêque de Sidney à l'occasion du IVe centenaire de l'arrivée de saint François Xavier au Japon

(17 avril 1949) 1

Rien n'est à coup sûr meilleur ou plus désirable à Nous qui détenons d'en-haut le pouvoir suprême, sur l'Eglise entière au milieu du cours anxieux et précipité des choses humaines que de propager largement la lumière de la foi catholique chez les peuples lointains et cultivés afin de leur apporter avec la vraie liberté et la doctrine du Divin Maître, la source de la prospérité et d'une dignité plus élevée. C'est donc avec une grande satisfaction que Nous avons récemment appris que se préparaient au Japon de grandioses solennités à l'occasion du Quatrième centenaire du débarquement, en ce pays, de Saint François Xavier 2, suivant les traces des premiers apôtres et de ses compagnons, valeureux hérauts de l'Evangile, au terme d'une longue navigation au travers de terres inconnues et inexplorées dont ils avaient affronté tous les dangers. Quoi de plus salutaire à l'illustre peuple japonais que de s'engager résolument dans la voie

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 326.

2 Saint François Xavier naquit le 7 avril 1506 près de Pampelune, en Navarre. Etudiant à l'Université de Paris de 1525 à 1530, il est conquis par son compatriote Ignace de Loyola. Le 15 août 1934, dans une chapelle de Montmartre, Ignace, François et cinq autres compagnons faisaient profession dans la Compagnie de Jésus ; François Xavier est peu après désigné pour évangéliser les Indes, où il aborde Goa en 1542; il prêche et baptise aux Indes, puis aborde le 15 août 1549 Kagoshima au Japon. Au moment d'entrer en Chine, il meurt le 27 novembre 1551, dans l'île de Sun Choan, en face du port de Macao.

148


Pie XII 1949 - A ROME