Pie XII 1949 - LETTRE A S. E. LE CARDINAL GILROY Archevêque de Sydney à l'occasion de sa nomination de légat au Concile des Indes


EXHORTATION APOSTOLIQUE EN FAVEUR DES LIEUX SAINTS

(8 novembre 1949) 1

Au moment où des débats vont s'ouvrir aux Nations Unies., à Lake Success, au sujet du sort des Lieux Saints, le Saint-Père envoie à l'Episcopat du monde entier une Lettre pour demander des prières à tous les chrétiens afin que les Lieux Saints soient mis sous un régime offrant toute garantie au point de vue religieux :

Dans Nos documents et discours ces temps derniers 2, toutes les fois que s'en est présentée l'opportunité, Nous avons invité Nos fils, épars à travers le monde, à prier Dieu pour cette Terre sacrée, d'où se répand tant de lumière de vérité pour tout le monde, depuis l'antiquité la plus reculée (Encyclique Auspicia Quaedam, 1948) 3.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 529.
2 Cf. Encyclique Redemptoris Nostri du 15 avril 1949, p. 132. * Cf. Documents Pontificaux 1948, p. 172.

Aujourd'hui, alors que dans des Assemblées publiques, on discute du sort futur de la Palestine, fidèle au devoir de Notre ministère apostolique, Nous désirons vivement que tous ceux qui se glorifient du nom de chrétien, s'unissent à Nous pour implorer, par les prières les plus ferventes, les bienfaits de la paix, de l'amour et de la justice, en faveur de ces Lieux sacrés.

Près de la Grotte de Bethléem, comme tout le monde le sait, les Anges, en chantant la gloire de Dieu, annoncèrent la paix aux hommes de bonne volonté. Celui qui donna aux hommes, errants comme un troupeau sans berger, Son enseignement et Son exemple d'amour traversa les villes, les citadelles, les villages de Palestine. Sur le Golgotha, le Christ, Dieu et homme, s'offrant comme victime immaculée pour les péchés des hommes, acheta, par Son sang, le triomphe de la véritable liberté et de la justice.

Si le souvenir reconnaissant de si grands bienfaits est indissolublement lié à cette région sacrée, c'est donc un strict devoir, pour tous, aujourd'hui plus que jamais, d'élever vers le Ciel d'ardentes prières pour la Terre sainte qui, au cours des siècles, fut le but de fervents pèlerinages d'innombrables chrétiens, qui suscita en eux des enthousiasmes capables de tous les sacrifices, qui occupa toujours, à juste titre, un rang privilégié dans l'esprit et l'affection de tout chrétien.

Veuille la Vierge Marie, Mère de Dieu, poussée par la bonté de son Coeur immaculé, obtenir comme Nous l'espérons et Nous l'implorons ardemment, du Divin Rédempteur que, grâce à cette nouvelle croisade de prières, soit accordé à Jérusalem et à toute la Palestine un statut basé sur la véritable justice, qui écarte effectivement tout danger de guerres et de ruines pour l'avenir, qui conserve dans leur caractère sacré ces Lieux à l'admiration et à l'amour de tous les fidèles, qui protège tous les droits que la piété, l'activité, le zèle et les sacrifices de tant de fils de l'Eglise ont assurés au monde catholique.

Avec cette confiance, Nous vous donnons à vous tous, Vénérables Frères, ainsi qu'au troupeau confié à votre vigilance, la Bénédiction apostolique.


LETTRE DE MGR MONTINI Substitut à la Secrétairerie d'État A S. EXC. MGR CHARUE Evêque de Namur à propos de la clôture de l'Année Sociale (10 novembre 1949) \21

Le 8 décembre 1948, Son Excellence Monseigneur Charue inaugurait, dans son diocèse, une Année Sociale, prévoyant une prédication systématique sur la doctrine sociale de l'Eglise dans toutes les paroisses et un développement accru de toutes les oeuvres sociales, oeuvres ouvrières, patronales, rurales et de classes moyennes. Le 8 décembre 1949, en une cérémonie solennelle en la cathédrale Saint-Aubain, l'évêque clôturait cette année sociale. A cette occasion, une Lettre de la Secrétairerie d'Etat jut lue, dont voici le texte :

Au moment où va se clôturer l'Année Sociale, que vous avez eu la si heureuse idée de promouvoir dans le diocèse de Namur, le Saint-Père me charge de vous transmettre l'expression de Son auguste satisfaction pour la façon dont a été conçue et réalisée cette judicieuse initiative.

Peu de problèmes s'imposent avec autant d'urgence et de gravité au monde d'aujourd'hui, que ceux qu'on est convenu de grouper sous l'appellatif de « question sociale ». Sa

1 D'après le texte paru dans les Documents Episcopaux de l'Evêché de Namur 1949, p. 466.

2 On trouvera tous les documents concernant cette initiative de l'Année Sociale dans le volume: L'Année Sociale dans le Diocèse de Namur 1949 (Ed. Du-culot, Gembloux, 1950).

Sainteté, qui n a cessé de rappeler à toute occasion, aux pasteurs et aux fidèles, leurs devoirs en ce domaine ne pouvait que Se réjouir de voir l'écho profond qu'ont trouvé Ses enseignements auprès de Votre Excellence et de ses prêtres si dévoués.

Elle ne doute pas que tant d'efforts, de la part du clergé, pour inculquer de façon vivante et efficace, pendant toute une année, la doctrine sociale de l'Eglise, n'aient provoqué parmi vos ouailles une généreuse émulation des coeurs et des volontés.

Se plaisant à féliciter paternellement tous ceux qui auront accueilli et traduit dans leur vie quotidienne les suggestions et directives qui leur ont été données, le Père Commun envoie à tous, à commencer par Votre Excellence et ses zélés collaborateurs, en gage d'abondantes grâces sur tout le diocèse, une particulière Bénédiction apostolique.


PRIÈRE A LA SAINTE VIERGE

(13 novembre 1949) 1

Dans la soirée de dimanche 13 novembre, le Pape Pie XII s'est montré au balcon de sa résidence de Castel-Gandolfo pour bénir les nombreux fidèles de la région qui accompagnaient la Madone du « Divin Amour », effectuant dans le diocèse d'Albano la Peregrinatio Mariae.

Le Souverain Pontife a invité les fidèles à s'unir tous à lui dans Vadmirable prière suivante qu'il a récitée :

Vous connaissez, ô Marie, les besoins de ce peuple et de toute l'Eglise. Dissipez les erreurs de l'esprit, Maîtresse de Vérité et Siège de la Sagesse ! Apaisez les erreurs du coeur, en corrigeant les moeurs, en inspirant l'horreur du vice et du péché, l'amour de la vérité, la passion du bien.

Pour que la communauté soit heureuse, obtenez pour chacun la sainte crainte de Dieu, la foi vive au surnaturel, l'espérance des biens qui ne passent pas, la charité qui élève vers le ciel. Obtenez pour les familles, la fidélité, la concorde et la paix. Faites naître ou confirmez chez les dirigeants des peuples la pleine conscience de leur responsabilité, de leur triple devoir à l'égard de la religion, de la morale et du bien temporel à tous.

Et, ô Marie, que votre miséricorde se répande, comme sur'les âmes, sur tous les maux qui affligent ce peuple et toute la famille chrétienne. Prenez pitié des pauvres, des détenus, des persécutés, des malheureux de toute sorte. Salut, ô Marie, Mère des exilés errant ici-bas, vous qui êtes leur vie, leur douceur, leur espérance.

Mère du Divin Amour, conservez, à nous qui sommes vos fils, le feu de cet Amour divin. Avivez-le dans les coeurs fervents. Ravivez-le dans les coeurs tièdes. Rallumez-le dans les coeurs indifférents qui l'ont laissé s'éteindre. Régénérez à la vie de cet Amour, les pauvres âmes qui l'ont perdu par le péché. Et, sur tous ceux qui vous supplient, laissez descendre, Vierge du divin Amour, large et consolatrice, votre Bénédicton maternelle.

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DISCOURS AUX MEMBRES DE LA ROTE

(13 novembre 1949) 1

Tous les ans, lors de l'ouverture de l'année judiciaire, les membres du Tribunal de la Rote sont reçus en audience par le Saint-Père ; cette année II prononça à cette occasion le discours suivant :

C'est avec une vive satisfaction que Nous vous saluons encore une fois, chers Fils, qui êtes rassemblés autour de Nous, après avoir entendu des lèvres de votre vénéré Doyen le rapport sur votre activité durant l'année judiciaire 1948-1949, rapport qui, avec l'éloquence sobre mais lumineuse des faits, ajoute à tant d'autres un nouveau témoignage de la haute valeur et de l'irréprochable droiture de votre Tribunal.

L'oeuvre de la Sacrée Rote Romaine que, au cours de la dernière décade, Nous avons pu suivre de près, Nous a permis d'apprécier, comme il convient, son respect absolu de la vérité des faits et des dispositions du droit divin, spécialement en ce qui concerne la sainteté du mariage et la constitution de la famille. Elle Nous inspire en même temps la ferme confiance que tous ses membres observeront toujours fidèlement les règles dictées par Nous en accomplissement des devoirs de Notre magistère apostolique, particulièrement dans les discours du 3 octobre 1941, du 1er octobre 1942, et du 2 octobre 1944. Cela est un grand réconfort, d'autant plus grand pour Notre âme dans les circonstances présentes, qui — non partout, certes, mais sur bien des points — offrent le spectacle d'une crise dans l'administration de la justice, dépassant les déficiences habituelles de la conscience morale chrétienne.

La crise de la justice aujourd'hui a deux causes : 1° le positivisme juridique \ 2" l'absolutisme de l'Etat 2 :

1 On trouvera des allusions au positivisme juridique dans le Discours aux Juristes catholiques italiens du 6 novembre 1949, p. 462.
2 Le Saint-Père dénonce également les déviations du droit dues à l'emprise des pouvoirs publics dans son Radiomessage du 24 décembre 1942.

Les causes immédiates d'une telle crise doivent être principalement recherchées dans le positivisme juridique et dans l'absolutisme de l'Etat ; deux manifestations qui à leur tour dérivent et dépendent l'une de l'autre. Si l'on enlève, en effet, au Droit sa base constituée par la loi divine naturelle et positive, et par cela même immuable, il ne reste plus qu'à le fonder sur la loi de l'Etat comme sa norme suprême, et voilà posé le principe de l'Etat absolu. Viceversa, cet Etat absolu cherchera nécessairement à soumettre toutes choses à son pouvoir arbitraire, et spécialement à faire servir le droit lui-même à ses propres fins.

Le positivisme juridique et l'absolutisme de l'Etat ont altéré et défiguré la noble physionomie de la justice dont les fondements essentiels sont le droit et la conscience.

Dans ce discours, le Pape insiste sur les règles objectives du Droit :

Ce fait appelle une série de réflexions qui se réduisent toutes à deux points : les normes objectives du droit et leur conception subjective. Pour aujourd'hui, Nous Nous bornerons à parler du premier point, en reportant l'étude du second point à une autre occasion, s'il plaît au Seigneur.

Il n'y a en effet qu'un seul Droit qui mérite ce nom ;

Dans la science comme dans la pratique juridique, revient continuellement sur le tapis la question du vrai et juste Droit. Il y en a donc un autre ? un droit faux et illégitime ? Assurément, le voisinage de ces deux termes choque en lui-même et répugne. Il n'en est pas moins vrai, pourtant, que la notion qu'ils renferment a toujours eu un sens juridique, même chez les classiques païens. Aucun d'eux peut-être n'en a formulé une expression plus profonde que Sophocle dans sa tragédie Antigone (vers 23-24). Il fait dire à son héroïne que par les soins de Créonte, Etéocîe a été enseveli auv StXY] Sôxa-.a. Aîxaioç est celui qui accomplit ses devoirs envers Dieu et envers les hommes, qui est juste, pieux, honnête, probe, humain ; oiV.i, Sex ai a correspond donc à ce que nous appelons vrai, et juste droit, tandis que vspi3i3éxï]ç ou ^sipoôéxaioç désignant le violent celui qui use du droit du plus fort, indique l'homme du faux et injuste droit.

Aujourd'hui on préconise souvent de faux droits ; il faut donc inguer ceux-ci du vrai droit :

Tout le conflit que Nous avons rappelé se résume dans l'antagonisme entre le vrai et le faux droit. L'intérêt avec lequel de sérieux et profonds juristes se sont appliqués à l'étude de cette question, Nous semble un heureux auspice pour la solution de la crise. Mais pour cela il faut le courage de vouloir clairement en voir et en reconnaître loyalement les racines.

Le fondement du Droit est la volonté même de Dieu :

Où devons-nous donc les chercher, sinon sur le terrain de la philosophie du droit ?

Il est impossible d'observer avec attention le monde corporel et spirituel, physique et moral, sans être frappé d'admiration devant le spectacle de l'ordre et de l'harmonie qui régnent à tous les degrés de l'échelle de l'être. Dans l'homme, jusqu'à cette ligne frontière où s'arrête son activité inconsciente et commence son action consciente et libre, cet ordre et cette harmonie sont étroitement réalisés selon les lois déposées par le Créateur dans l'être existant. Au-delà de cette ligne prévaut encore la volonté ordonnatrice de Dieu ; toutefois, sa réalisation et son développement sont laissés à la libre détermination de l'homme, laquelle peut être conforme ou opposée à la volonté divine.

C'est pourquoi le Droit doit exprimer la Volonté de Dieu :

Dans ce domaine de l'action humaine consciente, du bien et du mal, de ce qui est prescrit, permis ou défendu, la volonté ordonnatrice du Créateur se manifeste au moyen du commandement moral de Dieu inscrit dans la nature et dans la révélation, au moyen aussi du précepte ou de la loi de l'autorité humaine légitime dans la famille, dans l'Etat et dans l'Eglise. Si l'activité humaine est réglée et dirigée suivant ces règles, elle reste par elle-même en harmonie avec l'ordre universel voulu par le Créateur.

Ceux qui veulent baser le droit sur le fait sont dans l'erreur. C'est là le vice fondamental du positivisme juridique :

C'est cela qui constitue la réponse à la question du droit vrai et du droit faux. Le simple fait pour une loi d'être déclarée par le pouvoir législatif norme obligatoire dans l'Etat, fait considéré seul et par lui-même, ne suffit pas à créer un vrai droit.

Le positivisme juridique base le droit non sur Dieu, mais sur l'auteur humain des lois, c'est-à-dire sur l'Etat législateur qui de ce fait devient un Etat absolu :

Le <( critère du simple fait » vaut seulement pour Celui qui est l'Auteur et la Règle souveraine de tout droit : Dieu. L'appliquer indistinctement et définitivement au législateur humain, comme si la loi était la règle suprême du droit, est l'erreur du positivisme juridique, au sens propre et technique du mot ; erreur qui est à la base de l'absolutisme d'Etat et équivaut à une déification de l'Etat lui-même.

Les origines du positivisme remontent au XIXe siècle 1, mais ce n'est qu'au milieu du XX" siècle que celui-ci porte ses effets :


1 Le positivisme a été professé en ordre principal par Auguste Comte (1798-1857) qui a publié en 1839 son Cours de philosophie positive. Pour cet auteur, toutes les connaissances humaines doivent partir des faits d'ordre expérimental.
Léon Duguit a traduit les principes du positivisme en termes juridiques dans son ouvrage L'Etat, le Droit objectif, la Loi positive (1901).


1. Parce que la tradition du droit d'inspiration chrétienne a pu influencer encore tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle ; mais aujourd'hui cette tradition s'est effacée :

Le xixe siècle est le grand responsable du positivisme juridique. Si ses conséquences ont tardé à se faire sentir dans toute leur gravité, dans la législation, c'est dû au fait que la culture était encore imprégnée du passé chrétien et que les représentants de la pensée chrétienne pouvaient encore presque partout faire entendre leur voix dans les assemblées législatives.

2. Parce que notre temps a vu s'instaurer des Etats totalitaires qui instaurent des régimes de droit inspirés par le positivisme juridique :

Puis devait venir l'Etat totalitaire de marque antichrétienne, l'Etat qui — par principe ou au moins de fait — rompait tout frein en face d'un droit suprême, pour dévoiler au monde le vrai visage du positivisme juridique.

Les conséquences de l'élaboration de ce droit non fondé sur Dieu sont pertinents ; on retourne purement et simplement à la loi de la jungle :

Faut-il peut-être remonter beaucoup en arrière dans l'histoire pour trouver un tel « droit légal », qui enlève à l'homme toute dignité personnelle ; qui lui dénie le droit fondamental à la vie et à l'intégrité de ses membres, en livrant l'une et l'autre au pouvoir arbitraire du parti et de l'Etat ; qui ne reconnaît pas à l'individu le droit à l'honneur ni à une bonne réputation ; qui conteste aux parents le droit sur leurs enfants et la tâche de leur éducation ; qui surtout considère la reconnaissance de Dieu, Maître suprême, et la dépendance de l'homme à son égard comme sans intérêt pour l'Etat et pour la communauté humaine ? Ce « droit légal » au sens où il vient d'être exposé, a bouleversé l'ordre établi par le Créateur ; il a appelé le désordre, ordre ; la tyrannie, autorité ; l'esclavage, liberté ; le crime, vertu patriotique.

Les régimes fasciste, nazi et communiste ont pratiqué ce positivisme et l'on a sous les yeux l'étalage de procès iniques 1 :

1 Pour ne citer que les plus célèbres procès de cette année, signalons: à Budapest, en février, celui de S. E. le Cardinal Mindszenty; à Sofia, en mars, le procès de 15 pasteurs protestants; à Budapest, en septembre, procès de M. Laszlo Rask, ministre des Affaires étrangères; à Sofia, en décembre, procès de M. Kostov, vice-président du Conseil. (


Tel était et tel est encore, devons-Nous dire, dans certains endroits le « droit égal ». Nous avons tous été témoins de la façon dont certains qui avaient agi suivant ce droit, ont été appelés ensuite à en rendre compte devant la justice humaine. Les procès, qui se sont ainsi déroulés, n'ont pas seulement conduit de véritables criminels au sort qui leur était dû ; ils ont encore démontré la condition intolérable, à laquelle une loi de l'Etat, complètement inspirée par le positivisme juridique, peut réduire un fonctionnaire public qui, sans cela, par sa nature, et laissé à la liberté de ses sentiments, serait resté un honnête homme.

On a fait observer que, d'après les principes du positivisme juridique ces procès auraient dû se terminer par autant d'acquittements, même dans des cas de crimes qui répugnent au sens humain et remplissent le monde d'horreur. Les inculpés se trouvaient, pour ainsi dire, couverts par le « droit en vigueur ». De quoi, en effet, étaient-ils coupables, sinon d'avoir accompli ce que ce droit prescrivait ou permettait ?

Le Pape condamne hautement ceux qui sont les inspirateurs d'un pareil régime :

Nous n'entendons pas, certes, excuser les vrais coupables. Mais la plus grande responsabilité retombe sur les prophètes, sur les propagateurs, sur les créateurs d'une culture, d'un pouvoir d'Etat, d'une législation qui ne reconnaissent pas Dieu ni ses droits souverains. Partout où les prophètes étaient, et où ils sont encore, à l'oeuvre, on doit susciter la rénovation et la restauration du véritable esprit juridique.

Il faut revenir à un ordre juridique qui soit Vexpression d'un ordre moral dont le seul fondement doit être trouvé en Dieu :

Il faut que l'ordre juridique se sente de nouveau lié à l'ordre moral, sans se permettre d'en franchir les limites. Or, l'ordre moral est essentiellement fondé sur Dieu, sur sa volonté, sur sa sainteté, sur son être. Même la plus profonde ou la plus subtile science du droit ne saurait indiquer d'autre critère, pour distinguer les lois injustes des lois justes, le simple droit légal du vrai droit, que celui qui est déjà perçu par la seule lumière de la raison se basant sur la nature des choses et de l'homme, que sur le critère de la loi, inscrite par le Créateur dans le coeur de l'homme (cf. Rom. II, 14-15)1 et expressément confirmée par la révélation. Si le droit et la science juridique ne veulent pas renoncer à leur seul guide capable de les maintenir dans le droit chemin, ils doivent reconnaître les « obligations morales » comme règles objectives valables même pour l'ordre juridique.

L'Eglise est fondée sur le droit divin :

L'organisation juridique de l'Eglise catholique n'est jamais passée ni ne risque jamais de passer par une telle crise. Et comment pourrait-il en être autrement ? Son alpha et son oméga sont ainsi exprimés par le psalmiste : « In aeternum, Domine, est Verbum tuum, stabile ut caelum... Verbi tui caput constantia est, et aeternum est omne decretum justitiae tuae ». Votre parole, Seigneur, demeure à jamais ; elle est stable comme le ciel... Le principe de votre parole est la constance, et tout arrêt de votre justice demeure toujours... (Ps. CXVI1I, 89, 160). Ces paroles s'appliquent à tout le droit divin comme fondement de son Eglise, en effet dès le commencement, au nombre de ses premières grandes promesses (Matth. XVI, 16-20), nous trouvons celle de l'instauration de son Eglise comme une société juridique. Aveugle, en vérité, serait celui qui fermerait les yeux à cette réalité.

Le Droit canonique, de son côté, ne connaît qu'un fondement : l'ordre dont Dieu est l'auteur :

1 « Si les païens, dit saint Paul, qui n'ont pas la Loi, en observent naturellement les prescriptions, ces gens-là, sans avoir la Loi, sont leur loi à eux-mêmes, montrant ainsi qu'ils portent les préceptes de la Loi gravés dans leurs coeurs; témoin leur conscience dont les pensées tour à tour les accusent ou les défendent » (Rom. II, 14-15).

La science et la pratique du droit canonique ne reconnaissent évidemment, aucun droit légal ; leur fonction est de diriger, dans les limites fixées par la loi divine, le système juridique ecclésiastique, constamment et entièrement, vers la fin de l'Eglise elle-même, qui est le salut et le bien des âmes. A cette fin sert, d'une manière parfaite, le droit divin ; à la même fin doit tendre aussi, le plus parfaitement possible le droit ecclésiastique.

Heureux de savoir que vous, cher Fils, individuellement et collectivement vous exercez votre haute magistrature suivant cet esprit, Nous vous donnons de tout coeur, comme gage des grâces célestes les plus abondantes, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE SÉNATEURS DES ÉTATS-UNIS

(17 novembre 1949) 1

Recevant, ce jeudi matin, un groupe de sénateurs nord-américains et les membres de la Commission de la Défense nationale des Etats-Unis en voyage d'inspection en Europe, Pie XII leur a adressé le discours suivant.

Le Saint-Père souligne le rôle respectif du droit et de la force :

Nous sommes heureux de noter que les législateurs et les militaires se donnent la main. C'est justement ainsi qu'il doit en être. En effet, la loi, si sage qu'elle soit, peut difficilement espérer réussir, en raison de la faiblesse et de la-perversité de la nature humaine, si elle n'est pas appuyée par une force raisonnable.

Mais la véritable mission de cette force est de protéger et de défendre les droits accordés à l'homme par Dieu et par la loi, et non point de les diminuer et de les fouler aux pieds.

Le Pape stigmatise l'attitude de VU. R. S. S. qui continue à violer les droits humains élémentaires et par là trouble la paix :

Un sage philosophe de l'antiquité a dit, non sans raison, que la simple crainte de la guerre est pire que la guerre elle-même. De nos jours, cette crainte demeurera toujours, tant que, dans la grande famille des nations existera encore un seul membre qui, repoussant le sens moral des droits humains inaliénables, se servira de la force pour réduire les citoyens à une condition d'objets matériels, appartenant à un Etat qui ne reconnaît aucun pouvoir au-dessus et en-dehors de lui.

La paix n'est jamais construite par la force, mais par l'observance harmonieuse de tous les droits :

Même au sein d'une nation comme la vôtre, vous savez bien, Messieurs, les sénateurs, que la seule véritable garantie de la paix ne doit pas être recherchée dans la force, mais dans l'âme de la nation même, c'est-à-dire dans la vie intime de son peuple, éduqué pour défendre la famille, les enfants, les travailleurs, si bien que tous, guidés par les principes chrétiens de la justice et de la charité, puissent profiter des fruits bénis de l'amour fraternel et ainsi contribuer au bien commun.

La religion chrétienne est garante du respect des droits :

Comme ils sont indispensables, à un monde qui cherche la paix, les principes chrétiens de la justice et de la charité ! Fondés comme ils le sont sur la religion, ils constituent les deux solides piliers de la société civile. Si l'on veut les abattre, vers quel désastre un Etat se précipite-t-il, au lieu de poursuivre sa noble mission !

Quelle immense importance il y a à ce que ces principes soient inculqués dans l'esprit des enfants, déjà par leurs parents, et qu'ils soient ensuite développés au cours des années scolaires.

Le Pape souhaite que tous les pays, y compris ceux de l'Est européen, reconnaissent les bienfaits du christianisme qui est seul capable de fonder la paix :

Dans votre voyage à travers l'Europe, vous avez, sans aucun doute, noté avec satisfaction les grands progrès réalisés dans la reconstruction des pays dévastés par une guerre longue et cruelle. Dieu veuille que ce relèvement inspire l'âme de ces nations, de toutes les nations, même de celles qui, dans leur tragique aveuglement, persécutent aujourd'hui l'Eglise catholique, et qu'il les amène à reconnaître la douce autorité du Christ avec laquelle seulement elles trouveront la paix et la sécurité.

Et le Saint-Père conclut :

Tandis que Nous espérons que votre bref séjour dans la ville éternelle vous sera très agréable, Nous prions afin que partout et toujours la bénédiction de Dieu descende sur vous et sur ceux qui vous sont chers.

1 D'après ie texte italien des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 610.


RADIOMESSAGE AUX MALADES

(21 novembre 1949) 1

Lundi soir 21 novembre, en la fête de la Présentation de la Sainte Vierge qui coïncidait avec une Journée de la souffrance, demandée aux catholiques du monde entier pour assurer le succès spirituel de l'Année Sainte, Sa Sainteté Pie XII s'est adressée par radio à tous ceux que l'infirmité ou la douleur affecte. Voici la traduction française de ce Radiomessage :

Combien de fois, recevant et bénissant les foules de pèlerins rassemblés près du Père commun, Notre pensée anxieuse n'a-t-elle pas volé vers les absents, vers vous surtout, chers Fils et Filles, infirmes et malades d'Italie et du monde entier, qui êtes empêchés de vous unir aux autres parce que cloués sur la croix de vos douleurs ! Combien de fois avons-Nous senti au coeur le pressant désir de venir à vous, de passer au milieu de vous, en quelque manière comme faisait Jésus dans sa vie terrestre, sur les rives du lac, le long des routes, dans les maisons, et comme il fait maintenant dans sa vie eucharistique, à l'ombre des grands sanctuaires de la Vierge, bénissant et guérissant !

Et comment venir à vous, dispersé sur toute la surface de la terre, dont pas un seul endroit n'est exempt de la maladie et de la souffrance ?

Aussi avons-Nous pensé à vous visiter par Notre parole, à faire parvenir Notre voix jusqu'aux extrémités de la terre, à vous atteindre tous sans exception, où que vous soyez ; dans les hôpitaux, dans les sanatoria, dans les cliniques, dans les maisons particulières, à parler à chacun de vous dans l'intimité, comme si chacun de vous était seul, et, penché sur votre lit de douleur, à vous faire sentir toute

la tendresse de Notre affection paternelle, à appliquer à votre douleur le baume qui, s'il ne guérit pas toujours, réconforte du moins et soulage toujours ; le baume de la Passion de notre doux Sauveur Jésus-Christ.

Nous voudrions, à l'approche de l'Année Sainte et en préparation de ce grand temps de grâces, vous aider à mieux comprendre et à apprécier le fruit que vous pouvez retirer de la méditation des souffrances de Jésus pour adoucir votre sort angoissant par la patience, l'éclairer par l'espérance, le transfigurer par la conscience de sa valeur et de sa fécondité.

Le baume de la Passion de Jésus vous donnera la patience dans l'épreuve. Sous le poids opprimant de là maladie, de l'infirmité aiguë ou chronique, torturante par son intensité ou par sa durée interminable, il est souvent bien difficile à la pauvre nature crucifiée de se résigner, de continuer à croire que Dieu l'aime encore, alors qu'il la laisse tant souffrir.

Crucifiée, oui ! Mais regardez Celui qui est le Crucifié par excellence. Le reconnaissez-vous ? C'est le Fils bien-aimé en qui le Père s'est complu (Matth. XVII, 5). Regardez-Le, les yeux dans les yeux. Et dites au Bon Dieu que vous croyez à son amour pour vous.

Etendus peut-être sur une couche mal commode, vous tournant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, sans trouver jamais de repos, regardez-Le immobilisé par les clous qui le fixent sur le bois raboteux de la Croix nue. Votre gorge est brûlée par la fièvre, les médicaments sont amers ; à Jésus sur le Golgotha, on ne donna que du fiel et du vinaigre (Matth. XXVII, 34, 48). Et ainsi à chacune de vos plaintes, Il répond doucement : Oh ! oui, je sais ce que c'est, je suis passé par les mêmes peines, ayant pris sur moi toutes les douleurs ; je suis aussi, par expérience personnelle, plein de compassion et de miséricorde !

Ce baume soutiendra également votre espérance. Il se peut que, parfois vous la sentiez vaciller. Cette souffrance dure depuis si longtemps ! Durera-t-elle donc ainsi toujours ? Peut-être n'est-ce de votre part qu'une impression ou bien, hélas ! s'agit-il d'un mal humainement incurable et le savez-vous ? Vous avez prié et peut-être n'avez-vous pas obtenu la guérison, ni l'amélioration, et à cause de cela peut-être vous croyez-vous abandonnés !

Alors un sentiment de découragement envahit votre coeur et, vaincus par la souffrance, vous laissez échapper de vos lèvres un gémissement. Tant que celui-ci ne dépasse pas le murmure, votre Père céleste ne vous en fait pas un reproche. Il y perçoit comme un écho de la plainte de son Fils bien-aimé à la voix de qui II sembla rester sourd. Regardez donc Jésus prostré dans son agonie, où II avait prié : « Mon Père, s'il est possible que ce calice s'éloigne de moi, mais que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre ». Mourant sur la Croix, Il avait prié : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'avez-vous abandonné ? ». Puis, obéissant jusqu'à la mort. Il s'écria : « Père, je remets mon esprit entre vos mains ». Et ensuite, voyez-Le ressuscité, glorieux, bienheureux pour toute l'éternité.

Non, votre souffrance ne durera pas toujours. Ouvrez votre coeur à l'espérance immortelle. Dites avec Job : « Je sais que mon Rédempteur est vivant et qu'au dernier jour, je ressusciterai de la terre ; et dans ma chair, je verrai mon Dieu » (Job. XIX, 25-26). Ecoutez l'apôtre Saint Paul vous enseigner que « les souffrances du temps présent n'ont pas de proportion avec la gloire qui se manifestera en nous » (Rom. VIII, 18).

Ce baume, enfin, mettra dans vos douleurs une douceur ineffable, parce que la Passion de Jésus vous révèle la fécondité de la souffrance pour vous, pour les autres, pour le monde. Plus que tout le reste, vous souffrez de vous sentir inactifs, inoccupés, inutiles, à charge à ceux qui vous entourent. Vous gémissez sur votre vie brisée et stérile, et pourtant, n'est-il pas vrai que la maladie sereinement supportée affine l'esprit, suscite dans l'âme de profondes pensées, montre au coeur dévoyé la vanité et la sottise des plaisirs mondains, guérit les plaies morales, inspire de généreuses résolutions ?

Mais il y â plus. Regardez la Croix. Regardez, vous tous qui avez souffert. Par ses paroles et par ses exemples, Jésus a enseigné les hommes. Par ses miracles, Il est passé en faisant le bien et par sa Passion et par sa Croix, Il a sauvé le monde. « Nous vous adorons, ô Christ, et nous vous bénissons, parce que, par votre Croix, vous avez sauvé le monde ! ».

Le même Jésus vous exhortant à porter votre croix et à Le suivre vous invite par cela même à coopérer avec Lui à l'oeuvre de la Rédemption. Comme son Père céleste l'a envoyé, ainsi II vous envoie. La mission qu'il vous confie, Nous, son Vicaire ici-bas, Nous la confirmons et la bénissons. En cette veille de l'Année Sainte, Nous sommes heureux de la confirmer, en comptant sur les travaux et les prières de tous les fidèles. Nous comptons encore plus sur la sainte souffrance qui donnera à l'amélioration des uns et à la conversion des autres leur perfection et leur efficacité.

Le baume de cette Passion qui vous fortifie par la patience et par l'espérance dans votre épreuve vous donnera d'apprécier l'incomparable valeur et la souveraine puissance de la maladie. Et loin de vous raidir dans une apparence d'orgueilleuse insensibilité, qui n'aurait rien de commun avec la filiale conformité à la volonté du Père divin, cette conformité ne ferme ni le coeur ni les lèvres à la prière, mais leur donne le parfum de l'encens, qui les fait monter jusqu'au trône de Dieu.

Oui, ô Jésus, que notre prière, unie aux douleurs de Votre très sainte Mère, porte également celles de tous ceux qui souffrent dans leur propre chair et dans la chair de ceux qu'ils aiment plus que leur vie.

Tournez vos yeux vers ce pauvre père de famille réduit par la maladie à l'inaction qui ne peut nourrir à la sueur de son front et élever ses enfants encore jeunes. Tournez-les vers cette mère qui, à bout de forces, doit laisser à l'abandon le foyer qu'elle ordonnait et dirigeait avec tant de joie et d'amour pour le bien et la joie de toute la famille. Tournez-les vers ces jeunes gens pleins d'ardeur et de généreux desseins qui ne demandaient qu'à travailler et à se donner, et qui se voient, au contraire, cloués sur un lit de douleurs, alors que tant d'autres dissipent follement leur santé et leur vigueur juvénile. Tournez-les vers ces adolescentes, qui s'ouvraient à la vie et s'avançaient, souriantes, vers un avenir riche de promesses. Tournez-les vers ces hommes et ces femmes charitables, providence visible des pauvres, des affligés, des égarés, qui ont laissé derrière eux autant d'orphelins qu'il y avait de malheureux secourus de leurs mains bienfaisantes.

O Jésus, écoutez Notre voix comme vous avez écouté celle du Centurion pour son serviteur, de l'officier royal pour son fils, de Jaïre pour sa fille mourant dans la fleur de sa jeunesse, et la Chananéenne dont la foi émut si profondément Votre Coeur.

Mais si dans le secret de Vos adorables conseils l'épreuve devait se prolonger encore ou ne s'abréger qu à la mort, oh ! alors donnez aux uns la sérénité d'un doux et saint trépas, aux autres, avec la résignation filiale, la pleine jouissance des fruits surnaturels du Jubilé, la consolation suprême de remplir dans l'infirmité de leurs membres, ou plus exactement par cette infirmité même, la haute et salutaire mission que vous leur avez confiée.

Donnez à tous ceux qui se tiennent en larmes à leur chevet la force de les encourager par leur présence et d'unir leurs angoisses à la douleur de Votre Mère très pure, debout au pied de Votre Croix.

Et maintenant, en gage des plus abondantes consolations divines que descende sur tous avec l'effusion de Notre coeur, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1949 - LETTRE A S. E. LE CARDINAL GILROY Archevêque de Sydney à l'occasion de sa nomination de légat au Concile des Indes