PieXII 1951 - DISCOURS AUX CURÉS DE ROME ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME


DÉCRET DE LA S. CONGRÉGATION DES RITES RÉTABLISSANT LA VIGILE SOLENNELLE DE PÂQUES

(g février 1951) 1

A la suite de nombreuses demandes adressées au Saint-Siège, celui-ci a permis le retour à la tradition des premiers siècles et la célébration de la vigile solennelle de Pâques dans la nuit du Samedi Saint. Toutefois, pour cette année, cette célébration est autorisée à titre d'essai, moyennant la permission des Ordinaires diocésains.

Depuis les temps les plus anciens, l'Eglise a eu coutume de célébrer avec la plus grande solennité la vigile du dimanche de Pâques, appelée par S. Augustin, « mère de toutes les saintes vigiles » 2.

La célébration de cette vigile s'accomplissait la nuit qui précède la Résurrection du Sauveur. Dans le cours des siècles, et pour différents motifs, cette célébration fut anticipée, d'abord le soir du samedi, ensuite, l'après-midi, puis enfin aux premières heures du matin. En même temps s'introduisaient divers changements malheureux pour le symbolisme primitif.

De nos jours, grâce aux développements pris par les recherches sur la liturgie antique, un vif désir est né de ramener spécialement la vigile de Pâques à sa splendeur première en la restituant à sa place originelle : la nuit qui précède le dimanche de la Résurrection. En faveur d'un rétablissement de ce genre, s'ajoute une raison précise d'ordre pastoral : favoriser la participation des fidèles à ces cérémonies. En effet, comme le

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 128.

2 Sermon 219, P. L., 38, 1088.

Samedi Saint n'est plus le jour férié de jadis, la grande majorité des fidèles se trouve dans l'impossibilité d'assister le matin à l'office sacré.

C'est pourquoi, encouragés par ces motifs, bon nombre d'évêques, d'associations de fidèles et de religieux, adressèrent des suppliques au Saint-Siège, pour qu'il daigne consentir à remettre l'antique vigile pascale dans la nuit du Samedi Saint au dimanche de la Résurrection.

Aussi, le Souverain Pontife, le Pape Pie XII, accueillant ces prières avec faveur, traita une question de cette importance avec le soin et la sollicitude qui lui sont propres : il la confia à une Commission spéciale d'experts à charge de soumettre l'ensemble de cette question à une étude et un examen approfondis.

Enfin, sur rapport du soussigné Cardinal Pro-Préfet de la Sacré Congrégation des Rites 3, Sa Sainteté a daigné approuver les rubriques suivantes pour la célébration nocturne de la vigile de Pâques4 ; son instauration à titre d'expérience, facultative cette année, est laissée au prudent jugement des Ordinaires locaux. C'est pourquoi, les Ordinaires locaux qui auront fait usage de cette faculté sont priés de faire rapport à la Sacrée Congrégation des Rites sur l'affluence et la piété des fidèles et le succès

3 Le pro-préfet de la Sacrée Congrégation des Rites qui a signé ce document est Son Eminence le Cardinal Micara, évêque de Velletri.

4 VOsservatore Romano du 18 mars 1051 publiait le communiqué suivant :

En réponse à diverses questions posées au sujet de l'application du nouveau cérémonial du Samedi Saint, la Sacrée Congrégation des Rites communique :

L Les prêtres qui célébreront la cérémonie du Samedi Saint le matin doivent suivre le rite tel qu'il est décrit au Missel romain ; ceux, au contraire, qui la célébreront le soir, doivent suivre le nouveau cérémonial du Samedi Saint.

IL Dans le cas où on ferait des ordinations au cours de la cérémonie du soir, les nouveaux prêtres pourront célébrer leur première messe le matin de Pâques, pourvu qu'ils n aient pas pris les ablutions à la messe d'ordination.

III. Les fidèles qui assistent aux cérémonies du matin pourront faire la sainte communion dans les conditions ordinaires, c'est-à-dire pendant la messe ou immédiatement après.

Ces fidèles pourront encore recevoir la communion à la messe de la Vigile, puisqu'elle commence à minuit. Dans ce cas, ils ne pourront naturellement pas renouveler leur communion dans la matinée de Pâques.

IV. Enfin, le Saint-Père décide que les prêtres qui ont obtenu la faculté de biner les Jours de fête d'obligation, peuvent en jouir le jour de Pâques, même s'ils ont célébré la messe pendant la veillée nocturne.

5 On lira le commentaire du décret rédigé par le R. P. Ferdinand Antonelli O. F. M. dans VOsservatore Romano du 4 mars 1951 et traduit dans ta Documentation catholique, XLVIII, c. 341. De même : La nuit pascale dans nos paroisses, dans La Maison-Dieu, No 26.

rencontré par l'instauration de la vigile pascale. En outre, il est interdit à tous les éditeurs d'imprimer ce cérémonial sans l'autorisation expresse de la Sacrée Congrégation des Rites. Nonobstant toutes dispositions contraires 5.


DÉCRET DE LA SACRÉE CONGRÉGATION DU SAINT-OFFICE

(12 février 1951) 1

A cette suprême Sacrée Congrégation fut soumise la difficulté suivante :

« A quel moment doit se faire la grande prostration (gony-klisia)2 dans les endroits où elle est devenue habituelle dans la célébration de la Messe de rite byzantin : après les paroles du Christ prononcées à la consécration du Pain et du Vin, ou à la fin, après la récitation de l'Epiclèse ? »

Les Eminentissimes Cardinaux chargés de la garde de la foi et des moeurs, après avoir entendu l'avis des Pères consulteurs ont, dans leur session du 20 décembre 1950, répondu :

« Oui, à la première partie ; non, à la seconde. »

Le jeudi suivant, le Saint-Père a ordonné la publication de cette résolution 3.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 217.

2 Le gonyklisia est un autre nom pour la grande métanie ou pokîon qui consiste en une prostration par terre jusqu'à ce que le front touche le sol. L'Epiclèse est l'invocation a Dieu d'envoyer son 5aint-Esprit sur les saints Dons pour en faire le Corps et le Sang du Christ. Dans tous les rites orientaux, elle suit l'anamnèse.

3 L'usage des grandes métanies au cours de la liturgie byzantine est surtout répandu chez les Russes. Ils en font plusieurs d'après la dévotion de chaque célébrant individuel sans qu'il existe aucune prescription rubricale à cet égard. L'origine du présent décret est a chercher dans l'usage introduit au Russicum — et inconnu ailleurs dans tout le monde byzantin uni ou dissident — de faire une prostration non après l'Epiclèse, mais avant. C est cet usage qui est approuvé ici.


LETTRE DE MONSEIGNEUR MONTINI, SUBSTITUT DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT, A M. F. JOLIOT-CURIE, PRÉSIDENT DU CONSEIL MONDIAL DE LA PAIX

(16 février 1951) 1

Le 26 février M. F. Joliot-Curie a envoyé la lettre suivante à Monseigneur Montini :

Le Conseil mondial de la Paix prie Votre Excellence de vouloir bien présenter à Sa Sainteté le Pape Pie XII la lettre qu'il lui adresse au nom du Deuxième Congrès Mondial de la Paix.

A cette lettre était jointe la lettre que voici adressée au Saint-Père :

Le Deuxième Congrès mondial de la Paix qui s'est tenu en novembre 1950 à Varsovie avec la participation de délégués de quatre-vingts pays a adopté comme texte essentiel une Adresse à l'Organisation des Nations Unies. Dans cette Adresse se trouvent exposées les conditions de base d'une paix solide et durable parmi lesquelles il n'en est pas de plus importante que l'interdiction des armes de destruction massive ainsi que la réduction progressive et contrôlée des armements.

Dans l'angoisse présente des peuples devant la menace d'une troisième guerre mondiale, Votre Sainteté comprendra que, au nom du Congrès, nous lui donnions communication officielle du septième point de l'Adresse à l'Organisation des Nations Unies :

« Interprètes des peuples qui ploient sous les lourdes charges des budgets de guerre, fermement résolus à garantir à l'humanité une paix solide et continue, nous saisissons l'Organisation des Nations Unies, les Parlements et les peuples des propositions suivantes :

1 D'après le texte français de VOsservatore Romano du 7 mars 1951.

— Interdiction absolue de toutes espèces d'armes atomiques, des armes bactériologiques, chimiques, toxiques, radio-actives et tous autres moyens de destruction massive ;

— Dénonciation comme criminel de guerre du gouvernement qui emploierait ces armes le premier.

Le IIe Congrès mondial, conscient de sa responsabilité devant les peuples, s'adresse avec la même solennité aux grandes puissances et leur propose de procéder au cours des années 1951 et 1952 à une réduction progressive, simultanée et dans la même proportion de toutes les forces armées de terre, de l'air et de mer, cette réforme allant du tiers à la moitié.

Une telle mesure, en mettant un terme décisif à la course aux armements, diminuera les risques d'agression.

Elle permettra d'alléger les charges qui grèvent le budget des Etats et pèsent lourdement sur toutes les couches du peuple.

Elle permettra également d'aboutir au rétablissement de la confiance internationale et de l'indispensable coopération entre toutes les nations, quel que soit leur régime social.

Le Congrès déclare que le contrôle concernant l'interdiction des armes atomiques et de destruction massive ainsi que celui des armes dites conventionnelles sont techniquement possibles. Un organisme de contrôle international disposant d'inspecteurs qualifiés doit être constitué auprès du Conseil de Sécurité : il sera chargé de contrôler aussi bien la réduction des armes conventionnelles que l'interdiction des armes atomiques, bactériologiques, chimiques et autres.

Le contrôle, pour être efficace, doit porter non seulement sur les forces militaires, l'armement existant et la production d'armes tels qu'ils seront déclarés par chaque pays, mais encore, sur réclamation de la Commission de Contrôle International, il doit s'étendre à l'inspection des forces militaires, de l'armement et de la production d'armes qui seraient supposées en plus de celles qui auraient été déclarées.

Ces propositions de réduction des forces armées constituent une première étape dans la voie du désarmement général et total qui reste l'objectif final des Partisans de la Paix.

Le IIe Congrès mondial des Partisans de la Paix, convaincu que la Paix ne peut être garantie par la recherche d'un équilibre de forces entraînant la course aux armements, affirme que ces propositions ne donnent aucun avantage de puissance militaire à quelque nation que ce s°it, mais qu'elles auront pour effet certain de faire échec à la guerre et d'accroître le bien-être et la sécurité de tous les peuples du monde. »

Le Conseil mondial de la Paix a présentes à l'esprit les paroles que Votre Sainteté prononça dans ses messages de Noël 1.939 et de Noël 1941 :

« On ne doit pas permettre que le malheur d'une guerre mondiale, avec ses ruines économiques et sociales, avec ses aberrations et perturbations morales, se déverse pour la troisième fois sur l'humanité. Pour écarter un tel fléau, il est nécessaire que l'on procède avec sérieux et honnêteté à une limitation progressive et adéquate des armements » (1941).

« Des conclusions de paix qui n'attribueraient pas une fondamentale importance à un désarmement mutuellement consenti, organique, progressif, dans l'ordre pratique comme dans les esprits, et qui ne s'emploieraient pas à le réaliser loyalement, révéleraient tôt ou tard leur inconsistance et leur précarité » (1939).

C'était reprendre la doctrine de votre prédécesseur, le pape Benoit XV qui, dans son message du 1er août 1919, déclarait :

« Le point fondamental doit être qu'à la force matérielle des armes soit substituée la force morale du droit, d'où un juste accord de tous pour la diminution simultanée et réciproque des armements, selon des règles et des garanties à établir. »

De même, en ce qui concerne les armes atomiques, bactériologiques, chimiques, toxiques, radio-actives et tous autres moyens de destruction massive, Votre Sainteté en a plusieurs fois réprouvé l'emploi et récemment encore dans votre Encyclique du 19 juillet 1930 :

« Avec le progrès, la technique moderne a créé et préparé de telles armes meurtrières et inhumaines que... non seulement pourraient être exterminées les armées et les flottes, non seulement les villes, les bourgades et les villages, non seulement les trésors inestimables de la religion, de l'art et de la culture, mais encore les enfants innocents avec leurs mères, les malades et les infirmes, les vieillards. Tout ce que le génie humain a produit de beau, de bon, de sain, tout ou presque tout peut être anéanti ! »

Le Conseil mondial de la Paix constate l'accord complet de ces textes sur le principe d'un désarmement progressif et contrôlé par delà les dispositifs possibles de l'application. C'est pourquoi nous nous permettons en son nom de faire appel à Votre Sainteté pour appuyer, par les moyens qu'Elle jugera opportuns, ces propositions de réduction des forces armées, étapes dans la voie du désarmement général et qui répondent en vérité aux aspirations et aux besoins de tous les peuples dont le Congrès mondial voulait exprimer la voix.

C'est à cette lettre que Monseigneur Montini répondit dans les termes suivants :

J'ai bien reçu la lettre que vous m'adressiez le 26 janvier dernier, et je me suis empressé, comme vous me le demandiez, de remettre entre les mains du Saint-Père le message qui y était joint et dont II a pris attentivement connaissance.

Vous constatez dans ce document que Sa Sainteté, à la suite de Ses prédécesseurs, a proclamé à maintes reprises la nécessité de travailler à l'établissement de la paix entre les Nations, par la substitution de la force du droit à la force des armes, et en procédant avec sérieux et honnêteté à une limitation progressive et adéquate des armements.

Vous faites également état de la récente Encyclique du 19 juillet 1950, en citant les paroles mêmes de Sa Sainteté sur les engins meurtriers inventés par la technique moderne.

On ne peut que voir avec plaisir reconnu le fait que le Souverain Pontife s'est toujours prononcé en faveur de la paix, d'une vraie et juste paix.

C'est là un point qui a été nié ou méconnu bien souvent et par beaucoup en ces dernières années : les paroles et les actes du Saint-Père ont même été à ce point travestis, que des organisations puissantes, qui prétendaient cependant travailler pour la paix, ont été jusqu'à tenter d'accréditer dans les masses l'absurde calomnie que le Pape désirait et favorisait la guerre.

Il est pourtant évident que le Vicaire du « Prince de la Paix », Chef visible de l'Eglise — dont la mission est de faire régner sur terre la justice et la charité — ne peut avoir de plus ardent désir que l'avènement de la paix entre les hommes.

Il n'y a donc pas lieu de douter que le Saint-Siège ne continue — comme il l'a fait jusqu'ici — à agir au service de la paix — de la véritable paix — en vertu des principes mêmes qui dirigent son action et qui ont leur source dans la doctrine enseignée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et on ne peut que souhaiter que ses efforts rencontrent partout — aussi bien auprès des Gouvernements qu'auprès des peuples et dans les consciences individuelles — sincère compréhension et adhésion.


DISCOURS A L'OCCASION DE LA BÉATIFICATION D'ALBÉRIC CRESCITELLI

(19 février 1951)1

Les parents d'Albéric Crescitelli tenaient une pharmacie à Artavella Irpina située entre Benevent et Avellino ; ils eurent onze enfants, Albéric naquit en 1863 et, très jeune, il entra au Séminaire des Apôtres Pierre et Paul, à Rome, qui venait d'être fondé par Don Avinzini (Pietro) en vue de préparer des missionnaires. Après avoir suivi les cours de philosophie et de théologie aux Universités Appolinaire et Grégorienne, il fut ordonné prêtre en i88j. Le 2 avril 1888, après avoir été reçu en audience par Léon XIII, il partait en Chine où il allait résider dans la province de Shensi.

Le 1er juillet 1900, un décret impérial ordonnait l'expulsion des missionnaires et l'apostasie des chrétiens chinois ; les Boxers, c'est-à-dire des bandes de brigands en profitèrent pour se livrer à des excès. Le 21 juillet 1900, le Père Crescitelli est sauvagement tué. Cette même persécution faisait de nombreuses victimes : 5 évêques, 39 missionnaires, 7 prêtres indigènes, 5 séminaristes, 7 franciscaines missionnaires de Marie, et plus de 30,000 chrétiens.

En 1918, le procès informatif de béatification fut introduit et, en 1928, Pie XI signa l'introduction de la cause en Cour de Rome 2.

Le 18 février 1951, Albéric Crescitelli était déclaré bienheureux et le lendemain, le Saint-Père recevait en audience les pèlerins venus à Rome, à cette occasion.

Il y a à peine un peu plus de quatre ans, Nous célébrions la glorification des vingt-neuf martyrs de la grande persécution

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 165.

2 Décret de la Sacrée Congrégation des Rites sur le martyre et les miracles d'Albéric Crescitelli, 5 mars 1950, A. A. S., XXXXII, 1950, p. 490.

qui ensanglanta la Chine au début de ce siècle3. En voici aujourd'hui un nouveau, en attendant que bien d'autres encore, s'il plaît au Seigneur, soient élevés aux honneurs des autels.

Admirable dans la procession céleste, la phalange des martyrs aux vêtements lavés dans le sang de l'Agneau, et resplendissante de lumière, s'avance en chantant les louanges de Dieu. Te Martyrum canditatus laudat excercitus. Variés à l'infini, les timbres de leurs mille voix s'harmonisent en un choeur incomparable. Car tous portent à la main la palme des vainqueurs ; s'ils se différencient entre eux comme une étoile du firmament se distingue des autres par sa clarté, ils n'en ont pas moins en commun une extraordinaire générosité pour répondre à la grâce exceptionnellement insigne du Christ crucifié, et victorieux par sa mort.

Il arrive parfois — l'histoire de l'Eglise en présente de précieux exemples — que cette grâce et cette générosité se révèlent tout à coup, dans une conversion improvisée, qui tient du miracle et déconcerte les courtes vues humaines. Mais dans la plupart des cas, le martyre n'est que le couronnement d'une vie entière d'héroïsme quotidien et de soumission continue à la volonté divine. Souvent la biographie des martyrs, qui précède et prépare le glorieux épisode, frappe d'admiration ceux qui en furent les témoins ou en sont les lecteurs. D'autres fois, en revanche, la grandeur et la sainteté de toute une vie ne se révèlent qu'à l'observateur attentif ; elles n'offrent point à la curiosité des traits saisissants, mais elles ne sont pas pour cela moins éclatantes dans leur modeste et discrète simplicité. Tel Nous semble être le cas d'Albéric Crescitelli.

Il s'est donné à Dieu et aux âmes, pour toujours, sans hésitation de même que sans réserve. C'est là le secret de son magnifique entraînement à la victoire suprême. Pour se donner complètement, il a renoncé à tout.

Nous ne parlons pas du renoncement au bien-être matériel, aux commodités de la vie, aux prétentions de l'amour-propre. Même une âme élevée peut éprouver une inclination naturelle pour de tels attraits ; mais elle les méprise, et la vie du mission-

3 Le 24 novembre 2946, le Pape canonisait 29 martyrs victimes de la persécution des Boxers : trois évêques, cinq religieux, dont quatre prêtres et un frère lai, cinq séminaristes, neuf chrétiens et sept religieuses Franciscaines Missionnaires de Marie (cf. Discours du 27 novembre 1946, dans les A. A. S., 39, 1947, p. 307).

naire est toute faite de privations insupportables aux médiocres. Quelques infirmités rendaient au nouveau Bienheureux particulièrement pénibles et douloureux les voyages à cheval, surtout par les routes impraticables, interrompues par les torrents, ravinées par les pluies, dans la rigueur de l'hiver, ou dans la chaleur torride de l'été. Epuisé au terme de la longue route, il s'estimait encore trop heureux de trouver une misérable hutte, répugnante de saleté, malsaine, sans un petit coin tranquille pour dormir en paix. « Le missionnaire, déclarait-il, doit être prêt à tout en vue d'arriver à son but : la conversion des infidèles. Courage donc, et au travail, sans donner aucune attention aux commodités personnelles. »

Il renonce également aux satisfactions et aux consolations du coeur, c'est-à-dire à tout ce qu'il y a de purement naturel dans les saintes affections de la famille.

Quelle générosité ! mais en même temps de quel tact et de quelle délicatesse il fait preuve ! Il écrit souvent à ceux qu'il a laissés dans sa patrie ; dans toute sa correspondance, il démontre un optimisme, une tranquillité inaltérable, même aux heures où la croix de tous les jours se fait plus lourde, la faim plus tenaillante, le péril plus grave, sans toutefois faire naître ou entretenir chez ceux qui lui sont chers une illusion qui diminuerait leur mérite dans le sacrifice. « Ayez un bon esprit, leur répète-t-il ; ne soyez pas en souci pour moi. Je suis entre les mains de Dieu et je me trouve content. » Rien de rude, rien de stoïque dans ses manières ; il sent vivement et profondément, mais il est magnanime et veut communiquer sa générosité à ceux qu'il aime, en les élevant à sa hauteur.

Plus qu'à ses sens et à son corps, plus qu'à sa vie, plus qu'à son coeur même, l'homme est ordinairement attaché à son propre jugement, à sa propre volonté. Cependant le nouveau Bienheureux renonce également à cela, à un tel point qu'en toutes choses, il s'en remet à la volonté de son Evêque et de ses supérieurs. En toutes circonstances, il les interroge pour se conformer en tout à leurs avis et à leurs intentions, si bien, qu'à première vue, il pourrait sembler qu'il manque d'idées et de desseins personnels. Cela pourrait sembler ; mais, en réalité, comme il se tromperait celui qui le jugerait ainsi ! Du début de sa vie sacerdotale jusqu'à la fin, jusqu'à l'heure du martyre, il sait donner la preuve d'une résolution rapide, ferme, sans hésitation, sans arrière-pensées, ni regret, ni faiblesses. Alors qu'il vient de faire une visite à sa mère, comme nouveau prêtre et prendre congé d'elle comme missionnaire, alors qu'il est sur le point de quitter pour toujours son lieu de naissance, le choléra éclate soudain. Sans repos ni trêve, méprisant le risque grave de contagion, il se consacre entièrement au service des cholériques. Mais dès que l'épidémie cesse, plus rien ne peut le retenir.

Missionnaire, il revendique avec une énergie indomptable le droit pour les chrétiens de recevoir comme les païens, une part égale dans la distribution de riz en temps de disette. Peu lui importent les inimitiés qu'il s'attire pas sa fermeté. Non ! Albéric Crescitelli n'est pas un faible, un irrésolu, un passif ; il est obéissant et, seuls, les forts sont capables d'être tels avec fidélité et au prix de n'importe quelle souffrance.

Ce serait cependant une folie de renoncer à tout et à soi-même, pour laisser ensuite comme désert ce qu'on abandonne ; on ne le fait, on n'a le droit de le faire que pour un plus grand et plus saint amour. Vous le savez, chers fils de l'Institut des Missions Etrangères *. Pour l'amour de Dieu, pour l'amour des âmes, votre Confrère s'est détaché de tout et de lui-même. Ce détachement et ce motif sont évidemment communs à tous les vrais apôtres ; mais cet amour a divers degrés selon le tempérament et le caractère, selon les dons naturels et surnaturels de chacun. Le sentiment qui anime votre Bienheureux envers Dieu est calme et fort ; une expression qui lui est familière et qu'il répète sous diverses formes, le révèle : « Entre les mains de Dieu ! » C'est là sa grande pensée, la pensée dominante et permanente et qui transparaît si souvent dans ses paroles et dans ses écrits.

Quant à son amour pour les âmes, pour toutes les âmes, mais particulièrement pour celles que l'obédience a confiées à ses soins personnels toute son activité de missionnaire en porte la marque : faire et renouveler chaque jour le don de sa propre vie pour elles ; affronter toutes les fatigues, toutes les peines, toutes les souffrances, tous les périls sans s'épargner ; se donner tout entier à tous ; tel est son programme, son histoire. Un trait le dépeint exactement comme homme et comme mission-

En 1926, les Missionnaires de SS. Pierre et Paul de Rome ont fusionné avec l'Institut l'ssions Etrangères de Milan. Le Supérieur général de cet Institut est le R. P. Louis L Institut compte 500 religieux. (81, Via Monte Rosa, Milan.)

naire : l'intérêt qu'il éprouve et manifeste pour tout ce qui concerne ses Chinois du Shen-si. Il a reçu de la nature un don singulier d'observation ; il remarque tout : le pays, les coutumes, les usages, le caractère ; et il a le talent de communiquer aux autres ses notes et ses études d'ordre scientifique, artistique et pratique. Ses lettres à sa mère contiennent parfois de minutieux détails sur l'économie domestique.

Chez un esprit si bien doué, l'observation éveille l'intérêt qui est un aspect de l'amour, et l'intérêt à son tour stimule l'observation. Celle-ci ensuite l'aide même dans son ministère apostolique ; elle lui sert à procurer à ses chers Chinois le bien matériel et, indirectement, aussi le bien spirituel. Il exprime lui-même cette pensée au début de son étude sur la culture du riz : « Ne semble-t-il pas étrange, écrit-il, qu'un missionnaire s'occupe d'agriculture ? On ne dira certainement pas qu'il soit contraire au ministère apostolique de connaître le caractère du peuple auquel on doit annoncer la bonne nouvelle. Chercher à connaître ce qui l'intéresse le plus, en faisant voir qu'on s'y intéresse soi-même, me semble même un des moyens de se donner entièrement à tous. »

Il a passé ainsi, en aimant et en faisant le bien ; il méritait donc de recevoir la grande récompense de ceux qui ont donné leur vie par amour : le martyre qui complète et couronne ce don.

Le sien, au point de vue humain, fut horrible, peut-être un des plus atroces qu'évoque l'histoire. Rien n'y a manqué, ni la cruauté des tourments, ni leur dureté, ni les humiliations les plus barbares, ni les souffrances du coeur, ni les trahisons hypocrites de faux amis, ni les clameurs hostiles et menaçantes des sicaires, ni l'obscurité de l'abandon !

Un demi-siècle s'est écoulé. Depuis lors le martyr jouit de sa récompense auprès de Dieu, dans la béatitude et dans la gloire ; mais combien ce demi-siècle a-t-il été terrible pour ce cher peuple, déjà éprouvé de tant de manières !

Au ciel, autour du trône de l'Agneau immolé, la voix de notre Bienheureux, jointe à celle de tant d'autres martyrs, sacrifiés dans la même persécution, s'élève suppliante vers le Juge Souverain : Domine ne statuas illis hoc peccatum 5. « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché !» — « Nous avons donné

Act. VII, 50.

volontiers pour eux notre vie jusqu'à la mort, en signe de notre grand amour. Notre sang, après nos sueurs et nos larmes, s'est répandu sur cette terre : qu'il ne la laisse point stérile, mais qu'il la féconde abondamment ! » Sanguis martyrum semen ! « Le sang des martyrs est une semence. »

Notre voix et les vôtres, chers fils, s'unissent aux leurs pour attirer sur cette nation, par l'intercession de la Reine des Martyrs, des dons de lumière et de grâce. Et que sur tous les apôtres de la Chine, sur votre Institut en particulier, descendent abondantes les faveurs célestes, en gage desquelles Nous vous donnons de tout coeur, à vous, à tous vos confrères, à tous ceux pour qui vous priez, travaillez et souffrez, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE AU R. P. AUGUSTIN GEMELLI A L'OCCASION DE LA JOURNÉE UNIVERSITAIRE D'ITALIE

(19 février 1951) 1

A l'occasion de la journée universitaire d'Italie le Saint-Père adressa la lettre suivante, au Rév. Père Auguste Gemelli de l'Ordre des Frères Mineurs, Recteur magnifique de l'Université Catholique du Sacré-Coeur :

Nous n'hésitons pas à ajouter Notre paternelle parole aux soins diligents et industrieux que vous prenez, bien-aimé Fils, pour assurer le plus grand succès à la « Journée Universitaire » en faveur de l'Université Catholique du Sacré-Coeur.

Cette parole veut exhorter les catholiques italiens à considérer cet Ateneo comme leur oeuvre préférée sur le terrain de l'étude, et les inciter à favoriser son épanouissement, sachant bien qu'il dépend en grande partie de la noble émulation de leur générosité.

Ses mérites gagnés dans la discipline scientifique et littéraire sont si nombreux, et si insignes ceux qu'il a acquis dans la lutte assidue contre l'erreur pour la garde de la vraie pensée chrétienne, que soit les uns soit les autres peuvent constituer, pour tous ceux qui ont à coeur les destins spirituels de la nation, un stimulant urgent pour apporter la contribution de leur charité à l'entreprise pacifique et civile que l'Ateneo poursuit activement.

En effet, les troupes de jeunes gens élevés dans le culte du vrai et de l'honnête, les efforts toujours mieux orientés vers la progression des hautes études, les nombreuses collections de doctes publications dans tous les champs du savoir, les nouvelles fondations d'Instituts scientifiques, de collèges et d'oeuvres en faveur des étudiants, les multiples et opportunes activités pour diffuser, dans un cercle toujours plus large, les trésors de la culture catholique, nous révèlent que l'Ateneo remplit magnifiquement ses fonctions intellectuelles et sociales, dans un moment qui requiert une participation combien plus courageuse et efficace des catholiques à la défense et au progrès des traditions de la culture chrétienne.

Par conséquent, Nous encourageons avec ardeur les laborieux efforts de la chère Université, heureuse de son passé et confiante dans son avenir pour avoir comme titulaire ce Coeur « dans lequel sont tous les trésors de la sagesse et de la science », pendant que Nous vous donnons à Vous, bien-aimé Fils, à vos collaborateurs et à tous ceux qui ont coopéré à l'heureux succès de la « Journée Universitaire », Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE A SON EM. LE CARDINAL VAN ROEY SUR LE CENTENAIRE DU TIERS ORDRE FRANCISCAIN DE BRUXELLES

(20 février 1951) 1

Nous apprenons avec satisfaction que le Tiers Ordre de saint François d'Assise, érigé à Bruxelles au Couvent des Frères Mineurs Capucins en 1851, s'apprête à fêter, au cours d'une Journée Nationale Franciscaine, le centenaire de son existence. Nous ne voulons pas qu'à Nos fils et filles des Fraternités de Belgique, d'expression tant française que flamande, manque en cette circonstance une parole d'encouragement du Chef de l'Eglise.

Il n'est peut-être jamais apparu plus opportun qu'à notre époque de porter témoignage devant le monde, du sublime idéal de ferveur, de détachement et de pure charité dont le Poverello d'Assise fut, en son temps, le messager. Aussi ne pouvons-Nous qu'exhorter fraternellement les Membres des Fraternités du Tiers-Ordre belge à se distinguer toujours par une grande fidélité à l'esprit franciscain et à ses obligations.

Appelant sur eux et sur leurs dévoués Directeurs la protection de leur glorieux patron, Nous leur envoyons de grand coeur à tous, et notamment à ceux qui seront présents à la prochaine Journée Nationale, en gage de Notre bienveillance, la Bénédiction apostolique.

1 D'après le texte de l'Etendard Franciscain, 52e année, 1951, No 3-4, p. 14.


COMMUNIQUÉ DU ST-OFFICE CONDAMNANT L'ABBÉ FRANCESCO VITTORIO MASSETTI

(23 février 1951) 1

Le prêtre Francesco Massetti du diocèse de Ripa Transone, fondateur du groupe dit « Cénacle presbytéral »2 ayant déjà été réprimandé, persiste dans son état de désobéissance et de contumace.

C'est pourquoi la Sacrée Congrégation du Saint-Office suspend a divinis le prêtre Massetti, le menaçant en outre de la réduction à l'état laïc s'il ne se présente pas à son propre évêque dans les trente jours après la publication du présent communiqué et n'obtempère pas à ses ordres.

Le Saint-Office exhorte les quelques prêtres qui ont adhéré au groupe Massetti et qui persistent dans leur position irrégulière vis-à-vis des décisions de l'autorité ecclésiastique compétente, de se mettre à la disposition de leur Ordinaire et ils sont avertis que dans le cas d'entêtement ultérieur dans leur attitude blâmable ils encourront les plus graves sanctions 3.

1 D'après le texte latin de VOsservatore Romano du 25 février 1951.

2 Le « Cénacle presbytéral » ne constituait pas une institution, mais il s'agissait d'un cercle privé suspect de faux mysticisme teinté de sentimentalité dangereuse.

3 Un communiqué a paru dans VOsservatore Romano du 9 juin 1951, disant : « Dans le temps fixé par le communiqué du 23 février 1951, le prêtre François Victor Massetti du diocèse de Ripatransone, promoteur du Cénacle presbytéral, s'est présenté à la Sacrée Congrégation du Saint-Office et a fait acte de soumission et d'obéissance en signant la déclaration suivante : ,, Je soussigné, abbé François Victor Massetti, reconnais avoir manqué ^ 1 obéissance envers mes Supérieurs ecclésiastiques et d'avoir contribué, en exerçant une

ausse direction spirituelle, à provoquer l'insubordination de quelques prêtres et fidèles. * déplore sincèrement ces manquements et déclare vouloir me soumettre totalement aux irectives et aux décisions de mes Supérieurs ecclésiastiques." (Document signé et daté du » juin 105i.) ,,

DISCOURS A L'OCCASION DU IVe CENTENAIRE DU COLLÈGE ROMAIN

(24 février 1951) 1

Le Pape reçut dans la Salle des Bénédictions les professeurs et élèves du Lycée « Ennio Quirino Visconti » et de l'Institut « Massimiliano Massimo » issus tous deux du Collège Romain, dont on fêtait le IVe centenaire. Le Saint-Père aima rappeler qu'il avait été lui-même élève dans ces deux institutions.

Il Nous est particulièrement agréable de voir aujourd'hui réunie autour de Nous cette nombreuse assemblée de professeurs et d'élèves en l'heureuse occasion du quatrième centenaire de la fondation de ce Collège Romain, dont la gloire resplendit — en plus de l'Université Pontificale Grégorienne, qui y institua en 1553 les cours universitaires — dans le Lycée Ennio Quirino Visconti et dans l'Institut Massimiliano Massimo aux Thermes, qui lui sont reliés de diverses manières.

Nous ne saurions Nous considérer comme étranger à la joie de la célébration d'aujourd'hui (organisée en une heureuse pensée par le distingué Proviseur, le Professeur Charles Pier-santi) ni comme Pasteur universel de l'Eglise qui a récolté au Collège Romain, pendant de longs siècles, des fruits abondants de doctrine, de vertu et d'énergies apostoliques, ni du fait du cher souvenir du temps passé au Lycée Ennio Quirino Visconti et à l'Université Grégorienne, aux trésors de science et de bonté auxquels Nous reconnaissons volontiers avoir puisé. Entouré comme Nous le sommes, en ce moment, par une jeunesse si florissante, il Nous semble même revenir pour ainsi dire aux vertes années de Nos premières études et à l'âge des espérances

et des joies sereines ; revoir dans vos visages, chers élèves, les traits de ceux avec lesquels, un jour lointain, Nous avons entrepris le dur chemin de la vie, et dans les visages des enseignants d'aujourd'hui, les vénérées images de Nos anciens Maîtres.

Pie XII évoque les origines du Collège Romain :

Quelle lumière brillante éclaire le cours des quatre siècles du Collège Romain ! La noblesse des intentions qui inspirèrent sa fondation, la sainteté des hommes qui en furent les promoteurs, les difficultés et la hardiesse des premiers pas enveloppent son berceau de cette atmosphère quasi épique qui accompagne d'habitude la naissance des oeuvres les plus grandes. A ses origines, se trouvent deux saints : Ignace de Loyola et François de Borgia, qui, jusque dans les différences de leurs caractères extérieurs unissent une égale connaissance de leur siècle, une même ampleur de vues, une commune hardiesse et un pareil esprit concret des gigantesques conceptions : la marque même de l'universalité et de la perpétuité dans leurs entreprises ; il y a aussi un Souverain Pontife, Jules III, qui, comme son Prédécesseur immédiat, a donné un sûr élan au mouvement salutaire de restauration religieuse, et comme le réveil de la lamentable léthargie dans laquelle était à peu près tombée la vie catholique, en égale conséquence de l'abandon des études et de l'incurie dans l'éducation de la jeunesse. Ames illuminées et ardentes de zèle, elles comprirent bien, qu'à un monde en partie vieilli par déficience de véritable culture, en partie égaré par les déformations de la nouvelle doctrine humaniste, qu'engendrait et nourrissait la civilisation païenne renaissante, il fallait opposer une jeunesse forte et saine et formée ainsi d'esprit et de coeur qu'elle sût conserver et accroître les conséquences séculaires du christianisme et en même temps les mettre en harmonie avec les progrès scientifiques apportés par les temps. Ces hommes virent surtout combien il était nécessaire que l'harmonie désirée entre le vieux et le nouveau se réalisât en une vie reconstituée dans la sainteté des moeurs, de manière que le verum resplendît avec le bonum et que Vhumanum s'enrichît avec le divinum. Le Collège Romain, dans les intentions expresses de ses fondateurs, visait précisément à rétablir cette harmonie sans laquelle aucune civilisation ne répond à son nom, et de la sorte il venait jeter sur un terrain propice les meilleures et plus efficaces semences de l'inéluctable renouveau catholique. L'Eglise et Rome revendiquaient encore une fois pour elles la mission de l'enseignement des peuples ; la ville située sur la montagne se reprenait à rayonner ; et à la jeunesse, en laquelle se renouvelle la vie, se trouvaient reconnus la charge et l'honneur de sauver le monde en préparant un avenir meilleur.

C'est ainsi qu'en février 1551, s'ouvrait dans une humble maison sise sur les pentes du Capitule, la nouvelle « Ecole de Grammaire, d'Humanités et de Doctrine chrétienne, gratis » pour les jeunes gens résidant dans l'Urbs. Comme dans toutes les entreprises florissantes et spécialement dans les oeuvres voulues plus par Dieu que par les hommes, le petit germe se développa rapidement, renversant les obstacles de toute sorte et dépassant les attentes les plus favorables, sinon des fondateurs qui. dès les débuts en entrevirent la force et le destin futur, mais certainement des contemporains étonnés devant un essai si hardi. Les élèves et les cours se multiplièrent d'année en année ; de solides et abondants résultats en répandirent la renommée parmi les nations ; la valeur même et l'excellence des maîtres et des érudits qui s'y réunirent attirèrent et accrurent l'admiration de tous les milieux : jusqu'à ce que, triomphant de la précarité et de l'insuffisance des pauvres conditions matérielles, l'édifice définitif du Collège Romain, par la ferme volonté de l'immortel Pape Grégoire XIII, s'installa avec honneur parmi les monuments de la Rome antique et du XVIe siècle, avec ce style d'austérité et de grandeur qui sera le témoignage, au cours des siècles, de sa doctrine et de son nom. La nouvelle institution qui avait déjà une large renommée, faisait écrire en 1563 à Aldo Manuzio jeune, pour la première fois en visite à Rome, dans sa dédicace au Collège Romain de l'édition de Salluste : Ac me quidem hic permulta delectarunt ex veteribus monumentis, quse vel excellentium artificium ingenia superiorum temporum declarant: sed neque marmoreum ullum eeneumve simulacrum, neque septem augusta illa Capitolii facies tantam animo meo iucunditatem admirationemve attulit, quantam Collegii vestri dignitas et ordo 2.

2 Cf. Edizione Aldinadi Sallustio, Venetiis, 1567, A 2.

En réalité, on rencontre rarement d'autres édifices vénérables qui aient accueilli autant de gloires de science et de vertu qu'en ont vu les salles de l'Ammannati. De là sont sorties, imposantes par le nombre comme par la qualité, des séries d'hommes illustres : maîtres accomplis dans les sciences théologiques et philosophiques, certains éminents dans les disciplines professées ; Saints et Martyrs ; Papes et Evêques ; célèbres érudits des lettres et des sciences profanes jusqu'à nos jours : véritable réservoir d'hommes et d'oeuvres au bénéfice du monde civilisé et de l'Eglise.

Aujourd'hui, ces Instituts rendent encore d'éminents services :

La succession des temps, comme aussi les nécessités croissantes et les exigences diverses de méthode, ont aujourd'hui divisé en de multiples institutions ce qui au début ne formait qu'un tout. Mais celles-ci, parce qu'elles sont une continuation naturelle dans les légitimes développements du projet primitif, ou parce qu'elles sont dans l'antique siège, se sentent avec fierté liées aux mêmes origines du Collège Romain, qui, ces jours-ci, franchit le seuil de son cinquième siècle.

En réservant, comme il se doit, à Notre Université Grégorienne une dilection particulière manifestée de mille façons, Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'exprimer combien Nous sont chers, et l'Institut Massimiliano Massimo aux Thermes, né de l'esprit et du coeur d'un digne fils de Rome et de la Compagnie de Jésus, et le Lycée Ennio Quirino Visconti, tous deux destinés à la jeunesse romaine, et encore tant d'instituts d'éducation qui, à l'exemple du glorieux et antique Collège Romain, prospèrent dans les nations chrétiennes. Nous tenons à redire toute Notre satisfaction paternelle, toute Notre vive sollicitude à leur égard, parce que c'est d'eux en grande partie que dépend l'avenir civil et religieux du monde.

L'expérience faite principalement au cours du siècle dernier ne devrait plus laisser aucun doute au sujet des bienfaits qui proviennent de l'école guidée par des principes catholiques : en revanche elle devrait remplir d'angoisse tout esprit sachant penser avec un sens des responsabilités à une si tendre jeunesse, devant les ruines qu'apporte aux individus et à la société l'école sans Dieu. Vous pouvez juger à ceci combien est grande Notre joie de voir en vous les continuateurs de l'oeuvre éducatrice chrétienne, et quels sont les fruits féconds que Nous souhaitons vous voir retirer de cette célébration.

Le mérite et la dignité de la mission à laquelle vous consacrez louablement toute votre vie se font de plus en plus évidents pour vous, Enseignants ; vous, modeleurs d'âmes ; vous, continuateurs de l'effort de civilisation au cours des siècles ; vous, qui formez à la vérité et au bien ; vous qui, peut-être plus que jamais dans le passé, êtes aujourd'hui comme les arbitres de l'avenir de la société humaine. C'est de vous que dépend en grande partie si le monde de demain devra retomber dans la barbarie de funestes erreurs et de lois iniques, ou en revanche poursuivre son ascension vers de plus riches et hautes conquêtes. Avec les parents et avec l'Eglise, vous tenez déposée dans vos mains la clef de la félicité même éternelle de ces âmes, car, bien qu'elles ne vous soient confiées qu'en vue de la culture — une culture authentique qui les perfectionne intimement — elles ne parviendront à la faire véritablement leur qu'après avoir appris à aimer et servir Dieu.

Et vous, chers élèves, montrez-vous dignes du nom et de la devise Religioni et bonis artibus de ce Collège Romain qui a dispensé tant de gloires et qui en a tant reçu de ses élèves. Un titre particulier exige de vous ce que l'Eglise et la Patrie demandent aux autres : réaliser dans la rectitude de votre vie les vérités que vous apprenez et dans l'excellence des moeurs le sens esthétique de la culture classique, qui ne peut donner tous ses fruits et entièrement mûrs que sur le terrain de la foi chrétienne.

N'oubliez pas le haut titre « romain » dont vous vous faites honneur, mot qui évoque la grandeur, l'harmonie, l'universalité et surtout la chrétienté. A Rome toute oeuvre doit être insigne et exemplaire, parce que vers Rome se tournent constamment les yeux de l'Italie, comme vers son centre, et du monde, comme vers son phare. Ici tout travail mûrement entrepris et poursuivi avec fermeté doit servir au bien universel ; ici la plus haute justice, la vertu la plus pure, la piété la plus ardente doivent être l'apanage de chacun de ceux qui ont le privilège de se dire citoyens de cette ville, et en eux doivent resplendir en quelque sorte les lois et les traditions qui rendent vénéré et glorieux le nom de Rome.

Ainsi que l'anniversaire de ce centenaire ait pour vous tous, Enseignants et Elèves, la valeur d'un bienfaisant retour aux sources où les eaux vives de santé, avec leur limpide fraîcheur, dévoilent le secret de leur fécondité, indiquent la direction de leur cours, et rendent la vigueur à ce que le temps tendrait à assoupir.

Avec ces voeux paternels, à vous tous, à vos familles, à vos études, à tout ce que vous portez dans l'esprit et dans le coeur, Nous vous donnons, en présage d'abondantes grâces célestes, Notre Bénédiction apostolique.


PieXII 1951 - DISCOURS AUX CURÉS DE ROME ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME