PieXII 1951 - PÈLERINS DE FATIMA 415


CONGRÈS EUCHARISTIQUE DU CHILI

431

premier Congrès mariai national chilien 6, que Nous Nous plaisions à décrire comme un digne couronnement d'une Année Sainte éminemment mariale. Avec une si providentielle préparation, la voie se trouvait ouverte pour cette magnifique assemblée, encore empreinte de ce parfum ineffable que la Sainte Mère de Dieu laisse sur tout ce qu'elle touche — car, hier même vous avez couronné votre Vierge très pure de Lo Vasquez, objet de tendresse particulière pour tout digne fils de Valparaiso — et qui coïncide également avec les grandioses cérémonies de Fatima 7, début de la clôture du Grand Jubilé étendu au monde entier.

Coïncidences providentielles et voies de Dieu ! Mais tout cela ne voudra-t-il pas dire que, malgré tant de nuages qui semblent fermer l'horizon, tant d'insécurité dans l'avenir, tant de crainte et tant de haine dans les âmes, nous pouvons espérer grâce à l'intercession de la Reine des cieux, le triomphe de la charité et de l'amour ?

« Dieu est charité » 8r et de même qu'il donna à l'homme, en le créant, et renouvela en le rachetant, une participation à son intelligence et à sa vérité infinie, il alluma aussi dans sa poitrine une étincelle de sa vie qui est une vie d'amour. Et comment cela peut-il se réaliser mieux qu'au moyen de ce Sacrement qui est à son tour une expression de la charité du Christ envers nous et la nourriture de notre amour pour le Christ ? '

Qui n'aime pas, ne vit pas ; et vous, maintenant, répondant peut-être comme jamais à l'amour infini d'un Dieu fait Hostie pour être votre rédemption et votre aliment, perfectionnez votre vie surnaturelle qui a ses racines dans la charité : In caritate radicati10.

Mais cette perfection ne sera ni pleine ni complète, si, se contentant d'une affection momentanée, elle ne continue pas à puiser dans l'Eucharistie les précieux enseignements appris en ces jours de ciel !

Que l'Eucharistie est sacramentum pietatis, le sacrement de la piété, la cristallisation de toute la bonté d'un Dieu pour nous

* Cf. Radiomessage au 1er Congrès mariai du Chili, 31 décembre 1950 (Documents-Pontificaux 1950, p. 652).

7 Cf. Radiomessage aux pèlerins de Fatima, 13 octobre 1951, p. 414.

8 I. Jean, 4, 8.

» Cf. S. Thomas, Summa Theolog., 3 p. q. 78, art. 3 ad 3 ; q. 78, art. 3 ad 6. 'o Eph., 3, 17.

et, par cela même, le promoteur et le conservateur le plus efficace d'une authentique vie chrétienne, intègre dans la foi, pure dans les moeurs, sans tache dans le foyer, d'une vie de piété dont la conséquence naturelle devrait être une abondance de vocations sacerdotales et religieuses, qui vous sont tant nécessaires ; que l'Eucharistie est vinculum caritatis, le lien de la charité, qui, nous incorporant au Christ, et accomplissant notre union avec Lui et avec nos frères, doit être le commencement de la fusion des intelligences et, surtout, des coeurs, entre les membres de la grande famille humaine, entre les diverses catégories de la société ; enfin que l'Eucharistie est signum unitatis, le signe de l'unité 11 : une sorte d'expression visible de ce grand commandement nouveau de Jésus, proclamé précisément après l'institution du Sacrement de son Corps et de son Sang et en ayant sous les yeux la noire trahison de l'apôtre infidèle, triste précurseur de tous ceux qui dans l'avenir en viendraient à oublier l'amour fraternel.

Catholiques chiliens, fils bien-aimés que Nous gardons toujours dans Notre coeur ! Savez-vous qui sont les ennemis de votre foi ? Ceux qui, comme les oiseaux nocturnes, ne peuvent supporter l'éclat de la lumière, et, à cause de cela, ferment les yeux et nient les splendeurs eucharistiques. Voulez-vous reconnaître les adversaires de votre charité ? Ce sont ceux qui s'éloignent de la source de l'amour pour pouvoir plus librement exciter les haines de classes et allumer un feu qui ne peut être éteint qu'avec les flots que déverse ce torrent d'eaux vives. Désirez-vous identifier les destructeurs de votre unité ? Considérez comme tels ceux qui désertent la table eucharistique et oublient leurs frères pour aller chercher des jouissances factices dans les festins de leurs propres adversaires, faisant — inconsciemment espérons-le — le jeu des ennemis de Dieu et de l'Eglise.

Non, ce dont l'Eglise a besoin, ce dont la Patrie a besoin, ce sont des âmes pleines de ferveur eucharistique, ces âmes qui ont chanté en ces jours, jusqu'à en perdre la voix : « Cette Eglise du Chili qui t'acclame — comme unique Pasteur de ses destins — t'implore ici pour que tu conserves notre patrie chrétienne, libre et prospère dans ta paix » 12.

11 S. Augustin in Jo. 10, 16, 13, Migne PL., t. 35, col. 1613.

12 Hymne du Congrès.

La perle du Pacifique, le précieux joyau de l'antique « bahia du Quintil » le siège historique qu'honorèrent un jour la charité de ces éminents prélats qui s'appelèrent Izquierdo et Gimpert, ainsi que l'entraînante éloquence d'un Salvador Donoso ou d'un Ramon Angel Lara, la ville qui se distingue par sa dévotion pour le sacrement de l'Autel, pour le Sacré-Coeur de Jésus et pour la Sainte Vierge, vous a offert un digne cadre pour votre ferveur.

Mais Notre pensée, suivant les élans d'un coeur où la paternité universelle élargit les espaces pour qu'il puisse contenir tout le monde, vole très loin et unit ce que la Providence a, évidemment, voulu aussi unir. A Fatima, près des rives de l'Atlantique, la Sainte Hostie s'est élevée, trois jours sans interruption, en implorant pour les pauvres pécheurs et pour la paix du monde ; maintenant, à Valparaiso, balcon fleuri sur le vaste Pacifique, Nous désirons implorer aussi pour les âmes égarées, ces âmes qui, à cause de leur absence, sont pour Notre esprit une de ses plus grandes afflictions, ces âmes que Nous attendons tous les jours, les bras ouverts ; Nous voulons implorer aussi pour la paix : paix des consciences, paix à l'intérieur des nations, paix dans la vie internationale.

Que la Vierge du Carmel, patronne du Congrès et protectrice spéciale de votre pays, veuille, en ce centenaire de son Scapulaire, écouter Nos ardentes prières ; c'est ce que Nous lui demandons de tout coeur, en même temps que, avec un sentiment paternel, Nous vous donnons, à vous, Vénérables Frères, avec votre clergé, à tous ceux qui sont présents à Valparaiso, à la très chère nation chilienne et à tous ceux qui écoutent Notre voix, Notre affectueuse Bénédiction.

A l'issue de l'audience accordée aux membres du Congrès de l'apostolat des laïcs 2 le Saint-Père s'agenouilla pour réciter la prière que voici qu'il avait composée lui-même. ':•

Seigneur Jésus, qui nous avez appelés à l'honneur de fournir notre humble apport à l'oeuvre de l'apostolat hiérarchique, vous qui avez demandé au Père Céleste non pas de nous retirer du monde mais de nous garder du mal, accordez-nous en abondance votre lumière et votre grâce pour vaincre en nous-mêmes l'esprit des ténèbres et du péché pour que, conscients de notre devoir, persévérants dans le bien, enflammés de zèle pour votre cause, par la force de l'exemple, de la prière, de l'action, et de la vie surnaturelle, nous nous rendions chaque jour plus dignes de notre sainte Mission, et plus aptes à établir et à assurer entre les hommes nos frères votre règne de justice, de paix et d'amour.

1 D'après le texte italien de VOsservatore Romano du 17 octobre 1951 et les A. A. S., XXXXIII du 20 décembre 1951, p. 871.

2 Cf. Documents Pontificaux 1951, p. 418.


PRIÈRE DES MEMBRES DE L'ACTION CATHOLIQUE

(14 octobre 1951) 1

ALLOCUTION A UN GROUPE DE DÉLÉGUÉS DE LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE DES MIGRATIONS

(17 octobre 1951) 1

Une Conférence internationale des Migrations ayant eu lieu à Naples, une centaine de participants vinrent à Rome pour être reçus en audience par le Saint-Père.

Ce n'est pas un discours, vous le savez bien, que Nous avons l'intention de vous adresser. Messieurs et Mesdames, mais Nous Nous réjouissons de pouvoir accueillir un nombre si considérable de participants de la Conférence des Migrations, qui vient d'avoir lieu à Naples, et de grand coeur Nous vous souhaitons la bienvenue.

Vos délibérations portaient sur l'émigration et l'immigration, principalement sur l'émigration de l'Europe vers les contrées d'Outre-Océan, depuis le Canada jusqu'à l'Amérique du Sud et l'Australie.

Nous n'avons pas besoin de vous dire que l'Eglise catholique se sent obligée au plus haut point de s'intéresser à l'oeuvre des migrations. C'est qu'il s'agit de remédier à d'immenses nécessités : le manque d'espace et le manque de moyens d'existence, parce que la vieille patrie ne peut plus nourrir tous ses enfants et que la surpopulation contraint ceux-ci à émigrer ; la misère des réfugiés et des refoulés, qui par millions sont forcés de renoncer au pays où ils sont nés, perdu pour eux, et d'aller au loin s'en chercher et s'en édifier un autre. L'Eglise ressent ces détresses d'autant plus qu'elles atteignent en très grande partie ses propres enfants.

Nous sommes heureux que votre assemblée ait contribué à rendre l'opinion publique mondiale consciente de la gravité de cette tâche. Et Nous Nous réjouissons doublement de ce que les valeurs spirituelles et morales, qui dans l'émigration et l'immigration doivent être sauvées, protégées, développées, aient tou-vé un bel écho dans votre Congrès : la dignité et les droits de la personne humaine et de la famille, pour que celle-ci demeure réunie, qu'elle puisse se créer un nouveau chez-soi et y trouver le nécessaire, afin de vivre contente et agréable à Dieu.

Nous savons combien il y a encore à faire, et combien de labeurs et de difficultés signifie l'établissement dans un nouveau pays et sur un nouveau sol. Nous vous remercions d'autant plus vivement pour votre effort, et appelons du fond du coeur sur l'oeuvre de l'émigration et de l'immigration la protection de Dieu et l'abondance de ses divines faveurs.


HOMÉLIE

LORS DE LA CANONISATION DES SAINTS ANTOINE-MARIE GIANELLI FRANÇOIS-XAVIER-MARIE BIANCHI ET IGNACE DE LACONI

(20 octobre 1951) 1

Le 20 octobre 1951 en la Basilique de Saint-Pierre eut lieu la canonisation de trois nouveaux saints et le Pape prononça l'homélie suivante :

C'est pour Nous une grande joie que d'avoir pu aujourd'hui élever aux honneurs suprêmes de la sainteté, trois bienheureux du ciel qui, en différant beaucoup entre eux par la dignité de leur Ordre et par leurs fonctions, brillent cependant de la même gloire immortelle.

Nous désirons maintenant mettre en lumière les magnifiques qualités d'âme de chacun de ces héros, avec l'espoir d'attirer doucement tous les hommes à marcher courageusement sur leurs traces.

Antoine-Marie Gianelli2 doué naturellement d'une riche nature, l'enrichit des dons de la grâce et des progrès de la science et de la vertu, si bien que, dès sa jeunesse, on put présager qu'il parviendrait à un haut degré dans la sainteté et

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIII, 1051, p. 754, traduction française de la Documentation Catholique, t. XLVIII, c. 1555.

2 Antoine-Marie Gianelli est né en Ligurie, le 12 avril 1789. Devenu prêtre, il se distingua comme missionnaire et comme prédicateur populaire ; il enseigna aussi la rhétorique dans les Petits Séminaires de Gênes et de Chiavari, où il fonda en 1829 la Congrégation des Figlie ài Maria Santissima Aell'Orto, dont les activités sont consacrées à l'éducation de la jeunesse féminine et aux soins des malades (Italie, Amérique du Sud, Asie, Jérusalem). Le bienheureux Gianelli devint évêque de Bobbio en 1838 et mourut à Plaisance Ie 7 juin 2846. Il avait été béatifié par Pie XI le 19 avril 1925.

qu'il produirait les meilleurs fruits de salut. Elevé au sacerdoce, il passa de nombreuses années à éduquer comme maître et comme directeur, de jeunes clercs dont le développement faisait l'espoir de l'Eglise, plus remarquable à leurs yeux par l'exemple de sa sainteté que par l'autorité de son magistère. Chargé ensuite d'une très grande paroisse à Chiavari, il se dévoua tout entier au salut des âmes. Sa charité envers les pauvres, les malheureux et les malades le fit appeler le père de tous ; son zèle courageux et infatigable, un « homme de fer ». Ensuite la dignité episcopale qui lui fut conférée ayant ouvert un champ plus vaste à son activité, il s'y montra rempli de sagesse et de vertu, non moins que de prudence dans les affaires, prudence acquise par l'expérience. Il s'appliqua à former ses jeunes clercs à la piété et à la discipline, à diriger ses prêtres, à les gouverner et à les pousser d'une façon salutaire et activé vers toutes les bonnes oeuvres ; il entreprit lui-même les saintes prédications au peuple, qu'on désigne sous le nom de missions, ou il en fit prêcher le plus souvent possible par ses collaborateurs ; le tout avec un grand succès. Par-dessus tout, il eut à coeur que tous, au milieu des temps troublés que l'on traversait, entraînés par son exemple, restent très attachés au Saint-Siège.

Il fut en outre le fondateur d'une Congrégation de religieuses, dont le but était d'élever chrétiennement la jeunesse et de soigner les malades et les vieillards dans les hôpitaux et les hospices avec cette bonté qu'inspire la charité chrétienne. A la fin, ceux qui le voyaient tellement accablé et fatigué le reprenaient doucement et il leur répondait que le prêtre n'avait que deux lieux de repos, la tombe pour son corps et le paradis pour son âme.

François-Xavier Bianchi3 ne lui fut pas dissemblable en ce qui concerne la charité et le zèle apostolique. Né à Arpino de parents honorables et honnêtes, il eut tellement à coeur depuis son enfance, de garder immaculé si soigneusement et si religieusement le lis de sa virginité qu'il allait jusqu'à flageller son corps tendre et innocent non seulement pour le plier à l'obéis

3 François-Xavier-Marie Bianchi naquit à Arpino en Campanie le 2 décembre 1743. Entré dans l'Ordre des Barnabites, il se distingua à Naples au service des oeuvres de charité où il déploya un zèle surnaturel très remarquable. Il mourut le 31 janvier 1815 à la suite d'une pénible maladie qu'il supporta avec un courage exemplaire durant de nombreuses années. Le Bienheureux avait été béatifié par Léon XIII le 22 janvier 1893.

sance, à la raison et à la volonté divine, mais aussi pour expier par son sang, lui non coupable, les fautes d'autrui.

Poussé par la recherche et le zèle de la perfection évangé-lique et, sous une inspiration divine, il désirait par-dessus tout dire adieu aux joies vaines et passagères de cette vie terrestre et se consacrer complètement au service de Dieu qui permet de jouir et d'être inondé de joies qui ne finiront jamais. Malgré l'opposition de ses parents, et en dépit de grandes difficultés matérielles, il réussit, éclairé par une céleste lumière et nanti du secours de Dieu, à vaincre et à surmonter tous les obstacles. Il entra finalement dans l'Institut des Clercs Réguliers de Saint-Paul et il mena dès lors une vie plus angélique qu'humaine. Sa soumission aux règles de cet Institut religieux était toujours prompte, active et joyeuse : il refrénait durement et foulait aux pieds les convoitises et les plaisirs du corps afin de donner plus de facilité à son âme de s'élever aux choses d'en-haut ; il se livrait volontairement et de grand coeur aux macérations corporelles et, ce qui est le plus important, il était si étroitement et si continuellement uni à Dieu qu'il n'avait pas de plus ardent désir ni de plus grande joie que de passer à genoux devant le tabernacle de longues mais très douces heures dans l'adoration. Aussi la renommée de sa sainteté s'étendit tellement que tant les plus humbles que les personnages les plus élevés en dignité venaient nombreux vers lui pour lui ouvrir leur conscience et recevoir de lui des directions, des exemples et des encouragements pour bien vivre. Il n'est donc pas étonnant qu'on lui ait donné ce titre honorifique « d'homme de conseil » ni qu'il ait pu, avec la grâce de Dieu, opérer tant de conversions, pousser et diriger dans les voies de la perfection chrétienne avec tant de sagesse ceux qui étaient déjà entrés dans le chemin de la vertu. C'est pourquoi il avait déjà recueilli, lorsqu'il arriva à la fin de sa vie, une abondante et surnaturelle moisson de mérites ; et la récompense de son existence ici-bas, incomparablement supérieure à toute espérance terrestre, fut la béatitude céleste qui lui donne de jouir éternellement de Dieu, ce Bien souverain et infini.

A ces deux héros de la sainteté s'ajoute un troisième, Ignace de Laconl 4 qui, né dans un pauvre village, vécut toujours dans

4 Ignace de Laconi naquit le 17 décembre 1701 dans la petite ville de Laconl en Sar-daigne. Il entra comme Frère dans l'Ordre des Capucins, où il passa sa vie d'abord dans

l'humilité par sa condition et sa vie, marcha cependant d'un pas chaque jour plus rapide vers la perfection évangélique.

L'île de Sardaigne fut sa patrie, une cabane l'abritait, le dur travail des champs le nourrissait très frugalement. Sa pieuse mère le consacra, dit-on, dès avant sa naissance, au saint patriarche d'Assise et, en grandissant, il s'efforça lui-même malgré de grandes difficultés, d'être fidèle à ce voeu. Enfin le jour vint où il put revêtir la bure austère des Capucins. Il en ressentit une telle joie que, depuis lors, toujours on le vit la face rayonnante. Cette joie surnaturelle était le reflet semblable à celui de la lumière dans un miroir, du repos intime, de la paix, de la sérénité de son âme, et le tout était entretenu par la grâce de Dieu avec qui il était intimement et continuellement uni. Les travaux même longs et pénibles lui paraissaient légers ; l'obéissance due à ses supérieurs toujours facile ; les mortifications corporelles parfois cruelles, lui étaient une joie et une douceur ; enfin tout ce qui lui arrivait, agréable ou pénible, était accueilli avec le calme d'une volonté toute confiante en Dieu et s'appuyant sur son bon plaisir. Lorsqu'il parcourait les villes, les villages, les fermes, en demandant humblement l'aumône, de porte en porte, son âme ne restait point attachée à cette terre que seuls foulaient ses pieds, mais elle était fixée au ciel ; les anges, ses compagnons de route, étaient les interlocuteurs de cet ange revêtu d'un corps humain. Sa vue seule était un exemple pour tous ; à l'entendre parler des choses de Dieu, tous les coeurs étaient ravis et tellement touchés qu'ils se sentaient enflammés du désir d'entrer ou de progresser dans le chemin de la vertu. Lorsqu'il priait, à genoux devant l'autel, — ce qui était d'ailleurs son plus grand bonheur, sa plus grande joie — son visage devenait éclatant de lumière et il présentait à ceux qui le voyaient un spectacle plus digne du ciel que de la terre. Cette haute sainteté eut sa récompense même ici-bas dans les miracles extraordinaires qu'il accomplit par le secours de Dieu. Beaucoup de malades graves recouvrèrent par lui la santé et, de plus, il eut une telle influence pour les attirer à la vertu qu'ils consacrèrent tout le reste de leur vie au service de Dieu et à l'acquisition du bonheur éternel.

les différents couvents de Sardaigne puis, enfin, à Cagliari où il remplit pendant trente-sept ans les fonctions de quêteur. Connu de tous dans la ville de Cagliari, il avait surtout l'estime de la jeunesse. Le Frère Ignace accomplit de nombreux miracles durant sa vie. Il mourut le il mai 1781 et fut béatifié par Pie XII le 16 juin 1940.

Vous avez, vénérables Frères et chers fils, en face de vous trois saints du ciel à qui il Nous a été donné aujourd'hui de conférer cet honneur sublime. Il est donc permis à tous, quelle que soit leur condition : humble, moyenne ou supérieure, de trouver en eux des remarquables exemples qu'ils doivent imiter avec soin dans la conduite et l'activité. Appuyés sur le secours divin, Nous les invitons à le faire ; ils auront ici-bas une consolation que personne ne pourra leur ôter ; ils auront au ciel une récompense, la vie bienheureuse qui n'aura point de fin. Amen.


DISCOURS AUX PÈLERINS VENUS A ROME A L'OCCASION DE LA CANONISATION DES SAINTS IGNACE DE LACONI FRANÇOIS-XAVIER-MARIE BIANCHI ET ANTOINE-MARIE GIANELLI

(21 octobre 1951) 1

Le 20 octobre 1951, en la Basilique de St-Pierre, le Pape canonisait trois nouveaux saints italiens 2. Le lendemain, recevant en audience les pèlerins venus à Rome pour cette cérémonie, Pie Xli leur dit :

L'Eglise a offert, hier, trois figures d'apôtres à la vénération et à l'admiration des fidèles. Si l'on ne considérait que les événements extérieurs de leur vie, les traits visibles de leur physionomie, on les jugerait fort différents : un évêque dévoré par le zèle pastoral, un religieux humaniste, entièrement appliqué au soin des âmes ; un frère lai qui consacre la plus grande partie de son existence à quêter de porte en porte pour pourvoir aux besoins de son couvent. En considérant le bien spirituel que tous les trois ont fait, nous serons amenés à conclure que ce ne sont pas l'état particulier de vie et de profession, ni les formes d'action qui font l'apôtre puissant, fécond, conquérant, comme le furent ces trois nouveaux saints, de même qu'un bon nombre de ceux et celles que Nous avons élevés au cours de ces dernières années, à la gloire des autels.

Toutefois, il faut aussi qu'il y ait en eux quelques caractères communs qui renferment le secret de leur influence apostolique.

1 D'après le texte italien de VOsseroatore Romano du 24 octobre 1951.

2 On lira l'Homélie prononcée ce jour, p. 437.

Or, l'étude de leur biographie met surtout en lumière : le renoncement à toute affection trop naturelle et à tout amour-propre ; l'intimité avec Dieu dans la contemplation habituelle, même au milieu des occupations les plus disparates et les plus nombreuses ; le dévouement au salut et à la sanctification du prochain.

Ces caractères même dans la plus grande diversité de leurs manifestations, se relèvent ouvertement chez chacun des trois nouveaux saints ; le capucin Ignace de Laconi ; le barnabite François-Xavier-Marie Bianchi ; l'évêque Antoine-Marie Gianelli.

Saint Ignace de Laconi :

Deuxième fils d'une pauvre famille d'agriculteurs sardes, sans aucune instruction, grandi au milieu des travaux de la terre, pieux d'une piété sans aucun doute exceptionnelle, mais simple et sans affectation, Ignace Vincent Peis, bien avant de devenir frère Ignace, pratique par amour de Jésus crucifié, de grandes mortifications, tout en continuant à vivre parmi les siens son existence de paysan. A plusieurs reprises, l'appel de Dieu s'était fait entendre : sa mère semble avoir promis de le consacrer à son service dans la famille de S. François et lui-même s'y était engagé à l'heure du danger. Cependant, il tarde à remplir son voeu et c'est seulement à l'âge de vingt ans que sa résolution est prise, mais alors elle est définitive et triomphe de toute opposition, de même qu'est total son renoncement à toute affection terrestre.

Il est contemplatif à sa manière. Déjà, encore tout petit, il se soustrayait à la compagnie et à l'agitation de ses compagnons d'âge avec cette simple réflexion : « Il vaut mieux que j'aille à l'église ». L'église avait pour lui l'attirance irrésistible de l'aimant, et très souvent, il fut vu, à l'aube, attendant que la porte de la paroisse s'ouvre.

Dans la vie religieuse, son recueillement continu est favorisé de communications célestes, spécialement de la Sainte Vierge, qu'il aime avec une dévotion filiale et ingénue. Le silence et le calme du noviciat, puis du couvent, où il a un emploi très modeste, tout d'abord comme apprenti à l'atelier de filature de laine, puis comme cuisinier et dépensier, lui rendent ce recueillement plus facile ; mais après environ vingt ans de vie retirée, le voici quêteur, parcourant tous les jours, de maison en maison, les rues de la ville et la campagne pour demander l'aumône et pourvoir aux besoins de sa communauté.

Comme sont nécessaires une étroite union de l'âme avec Dieu et une habituelle et profonde contemplation intérieure pour ne pas se laisser dissiper un instant, par le contact avec le monde et avec les soucis temporels ! Précisément ce recueillement lui concilie, malgré un extérieur peu attrayant, la sympathie et ensuite la vénération de toutes les classes de la société ; sa parole est accueillie pour ainsi dire comme un oracle ; nombreux sont ceux qui recourent à ses prières, et Dieu répond! souvent à celles-ci par des prodiges. Il n'a pas besoin d'une autre éloquence : celle qui va droit au coeur du Tout-Puissant lui suffit, et son apostolat pendant ces quarante ans produit des fruits qui pourraient être enviés par des prédicateurs-célèbres.

2. Saint François-Xavier-Marie Bianchi :

Bien différent est saint François-Xavier-Marie Bianchi. Né-et élevé dans l'aisance, avec une solide instruction et une culture de choix, il a tout ce qui peut rendre un jeune homme aimable et agréable, et son innocence lui aurait gagné l'affection universelle si, en revanche, elle ne lui avait attiré le sarcasme et l'hostilité de personnes, dont la mauvaise conduite et les propos malhonnêtes offensaient sa conscience délicate. Ce fut pour ainsi dire un miracle qu'il ait passé indemne à travers cette fournaise. Déjà son coeur est à Dieu, résolu à se donner à Lui ; mais, tandis qu'Ignace de Laconi, après quelques temporisations, tranche d'un seul coup tout lien, il ne se libère, lui, que progressivement, lentement, de l'attachement trop naturel à sa famille, aux études profanes, aux diverses petites satisfactions innocentes, en contraste avec la mortification religieuse totale, vers laquelle il tendra graduellement, mais sans pause, jusqu'à ce que la main divine le dépouille complètement de tout ce qui pouvait encore rester en lui de sensible dans les plus-saintes affections. Il avance courageusement et Dieu l'aide, en le purifiant dans le creuset de la souffrance : souffrance du corps, de l'esprit et du coeur, mais souffrance acceptée, aimée, embrassée.

Il est aussi un contemplatif, mais bien différent du capucin quêteur ; il semble qu'à nul mieux qu'à lui puisse s'appliquer

3 Op. cit., ch. 20.

la parole de l'Imitation de Jésus-Christ : Cella continuata elucescit3. Il l'aime d'un amour surnaturel, mais la chère habitude du silence et de la solitude est devenue en lui comme une seconde nature. Il ne faut pas qu'elle devienne à son tour comme une nouvelle inclination, sainte en elle-même, mais plus ou moins docile aux attraits des goûts sensibles. Et c'est ainsi que la divine Providence, par l'intermédiaire de ses Supérieurs religieux, l'applique aux charges les plus variées et les plus difficiles.

Mais désormais, son coeur est libre. Professeur, conférencier, Supérieur de ses frères en religion, partout il est l'homme de Dieu, l'apôtre du Christ. Il faisait sentir Dieu, même quand il n'en parlait pas, tellement il possédait l'art de faire tourner au profit spirituel jusqu'aux discussions sur des matières profanes. Son apostolat commence discrètement à s'exercer dans un domaine restreint, mais tout en force et en profondeur ; c'est l'apostolat de la direction spirituelle des âmes de choix, dans le confessionnal et au moyen de la correspondance épistolaire ; cependant, bientôt le nombre de ceux qui accourent à lui augmente de telle sorte que certains doivent se contenter d'entrevoir, au moins rapidement, son visage de saint.

Le Seigneur appuie son action par des grâces extraordinaires, par les charismes des prodiges et des prophéties. En réalité, son union avec Dieu, ses souffrances héroïquement aimées ont fait de lui l'apôtre de Naples, que certains n'ont pas hésité à comparer à saint Alphonse de Liguori.

3. Saint Antoine-Marie Gianelli :

Si l'on veut suivre le chemin et l'ascension de saint Antoine-Marie Gianelli, de la modeste petite maison natale au palais épiscopal de Bobbio, le souvenir du Bienheureux Pie X revient naturellement à la pensée. Pauvre et fier de sa pauvreté, il l'aime et en fait la compagne de toute sa vie.

Il renonce à tout ce qui aurait pu contaminer avec l'esprit du siècle son amour pour sa famille, amour qu'il n'étouffe pas mais qu'il transfigure. Il aurait regardé comme un acte d'odieux népotisme toute démarche pour promouvoir le bien matériel ou l'honneur mondain des siens, mais, il veut auprès de lui, avec une tendresse filiale, sa pauvre et toujours humble mère. Rien

» L. I., c. 20.

n'est plus émouvant que l'exemple de cet évêque qui, pleinement soucieux de ses devoirs de fils, entièrement appliqué à ses devoirs de pasteur et de père, écrit au chevet de sa mère mourante, une de ses plus belles lettres de direction spirituelle.

Il est, en effet, un maître de la vie spirituelle, une de ces âmes privilégiées, qui reversent sur les autres la surabondance de la vie divine fermentant dans leur esprit et dans leur coeur. Tout son être est une réponse triomphante à ceux qui voudraient trouver dans l'agitation d'un zèle sincère mais indiscret, une excuse ou un prétexte pour déserter la contemplation au bénéfice de l'action. L'histoire ne désigne-t-elle point les plus actifs et féconds apôtres comme les plus grands contemplatifs ? Notre saint est un des leurs.

Contemplation et mortification, fidélité aux devoirs de son état et de la mission reçue, c'est tout ce que Dieu attend de ceux dont il veut faire ses apôtres ; le résultat, c'est Lui-même qui s'en charge. Or, à la prière et à l'union avec Dieu, le saint évêque associe, à un haut degré, la mortification intérieure et extérieure, dans son activité apostolique comme dans sa vie privée. Le témoignage en a été rendu par ceux qui, en raison de leur condition et de leur charge, étaient en mesure de surprendre le secret de ses âpres austérités personnelles ; ou qui le voyaient dans les missions et dans les processions de pénitence, pieds nus, une corde au cou et le front ceint d'épines, ou se flagellant sévèrement. Et comme si tout cela n'eût point suffi, aux afflictions volontaires et spontanées, viennent s'ajouter celles dont Dieu le comble. Rien ne lui est épargné : hostilité, contradictions, soupçons, calomnies, persécutions ; même pas l'abandon et l'apostasie de son plus cher disciple, dont l'émouvante conversion, bien plus tard, fut le fruit de ses prières et de ses larmes.

Personne ne peut suivre le Maître divin, ni participer à son oeuvre de salut, s'il ne porte après Lui la croix, sa propre croix, proportionnée, adaptée, ajustée à son destin providentiel. Celle de saint Antoine-Marie Gianelli a pesé de tout son poids sur ses épaules, prenant, comme la Croix de Jésus, tous les aspects, parce que la mission qui lui est confiée s'étend à tous et à toutes. L'objet direct de cette mission ? C'est l'enseignement, l'éducation, le gouvernement, l'administration, parce que là encore, il est apôtre. Sa manière ? Fortiter et suaviter ; la douceur et la fermeté, soutenues au prix des plus graves sacrifices, tempérées seulement par la charité pour la gloire et le service de Dieu et pour le plus grand bien des âmes. Son champ d'action ? Les collèges, séminaires, paroisses et diocèses. Son extension ? Bien au-delà de ce qu'il peut faire et fait par lui-même, les prêtres et les religieux formés par lui, les missionnaires et les oblats, tant qu'ils durent, font rayonner et comme se multiplier son activité personnelle. Son oeuvre préférée, les Soeurs « Filles de Notre-Dame de l'Orto », formées à son école et à son exemple, étendent efficacement son influence salutaire, surtout parmi les catholiques de toute condition et de tout niveau.

Ignace de Laconi, François-Xavier-Marie Bianchi, Antoine-Marie Gianelli sont là vraiment trois apôtres de la meilleure trempe. Ils en ont les caractères naturels, qui les font semblables, alors qu'ils ont avancé et travaillé dans des voies bien différentes, manifestant ainsi la grâce multiforme de Dieu. Chers fils et filles, que la reconnaissance, la dévotion, l'esprit filial ont réunis autour de vos trois saints, rappelez-vous que, bien que dans les activités et les circonstances les plus variées, Dieu vous appelle tous à l'apostolat. Pour répondre à l'invitation divine, efforcez-vous, dans la mesure de la grâce accordée à chacun et à chacune de vous, de progresser toujours dans l'esprit de prière et d'abnégation, et, avec cet esprit, appliquez-vous à remplir chaque jour les devoirs de votre état. En cela les trois nouveaux saints et encore plus hautement saint Joseph, l'époux de la Bienheureuse Vierge, dans l'obscurité de son humble métier, Marie, Reine des Apôtres, Jésus, Rédempteur du monde, sont vos modèles et, en même temps, vos intercesseurs pour vous obtenir les plus hautes grâces de Dieu, en gage desquelles Nous vous donnons, à vous, à tous ceux que vous représentez et à toutes les personnes et les choses qui vous sont chères, Notre Bénédiction apostolique.


PieXII 1951 - PÈLERINS DE FATIMA 415