Pie XII 1952 - KATHOLIKENTAG DE VIENNE


ALLOCUTION AUX SUPÉRIEURES DES CONGRÉGATIONS RELIGIEUSES DE FEMMES

(15 septembre 1.952) 1


Les Supérieures générales des Instituts et Congrégations féminines (non éducatrices) de droit pontifical se sont réunies en Congrès à Rome, pour la première fois, sur convocation de la Congrégation des Religieux.

Le 15 septembre, le Pape les reçut en audience et donna ses directives sur les problèmes d'adaptation posés par les conditions modernes :

Nous vous adressons Notre salut paternel, très chères Filles, qui êtes venues en si grand nombre au Congrès international des Supérieures générales des Ordres et Congrégations de femmes et qui, à la fin de vos travaux, au moment de mettre en oeuvre les résultats de vos délibérations, venez chercher auprès de Nous la bénédiction du Vicaire du Christ.

Lorsque la Sacrée Congrégation des Religieux Nous proposa de réunir ce Congrès, Nous crûmes devoir réfléchir : une entreprise de caractère international comme celle-ci exige toujours des dépenses considérables de temps, d'argent et d'effort personnel. Il fallait cependant admettre sa nécessité ou en tout cas sa grande utilité. En fait, Nous avons cru devoir Nous rendre au bien-fondé des motifs présentés et l'imposante assemblée que Nous avons ici sous les yeux, vos regards, toute votre attitude Nous disent que, durant ces jours, une immense bonne volonté était à l'oeuvre.

Oui, très chères Filles, les échos du Congrès qui vient de se terminer, ont proclamé avec quel sérieux vous envisagez le service de Dieu et combien vous voulez vous dépenser pour vos familles religieuses et pour l'Eglise. A cette fin, vous souhaitez



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DOCUMENTS PONTIFICAUX



CONGREGATIONS RELIGIEUSES DE FEMMES 473





entendre de Nous un mot de consolation, d'encouragement et quelques directives.

Il y a juste un an, Nous avons traité en détail une série de questions qui concernent le bon état des Ordres et Congrégations de religieuses éducatrices et leur adaptation convenable à la situation actuelle 2. Un certain nombre, sinon la plupart des indications que Nous donnions alors, valent aussi pour toutes les autres Congrégations de religieuses. Les expériences de l'année qui vient de s'écouler Nous invitent à attirer votre attention sur les directives que Nous formulions à cette époque. Nous vous demandons de vous y conformer courageusement lorsque vos Soeurs et votre propre expérience vous disent que le moment est venu de tenir compte intelligemment des formes de vie actuelles.

Responsabilité des prêtres et laïcs, prédicateurs, orateurs, écrivains, dans l'estime de la virginité vouée au Christ :

Nous avons pour vous parler ainsi un motif bien spécial. Vous savez que les Ordres de femmes traversent une crise assez grave : Nous voulons dire la baisse du nombre des vocations. Cette crise n'a certes pas encore atteint tous les pays. Même là où elle sévit, son intensité n'est pas égale partout. Mais déjà maintenant, dans une série de pays européens, elle est inquiétante. Dans une région où, il y a vingt ans, la vie religieuse féminine était en pleine efflorescence, le nombre des vocations a baissé de moitié. Et cependant, autrefois, de sérieuses difficultés entravaient la vocation des jeunes filles, tandis qu'à notre époque les conditions extérieures semblent y pousser et l'on croirait devoir se mettre en garde contre des vocations fictives.

Nous ne voulons pas traiter en détail de cette crise qui Nous cause de lourds soucis. Une autre circonstance Nous en fournira l'occasion. Aujourd'hui, Nous voulons uniquement Nous adresser à ceux qui, prêtres ou laïcs, prédicateurs, orateurs ou écrivains, n'ont plus un mot d'approbation ou de louange pour la virginité vouée au Christ ; qui, depuis des années, malgré les avertissements de l'Eglise et à l'encontre de sa pensée, accordent au mariage une préférence de principe sur la virginité ; qui vont même jusqu'à le présenter comme le seul moyen capable d'assu-

' Allocution aux Religieuses enseignantes, du 14 septembre 1951 (Cf. Documents Pontificaux 1951, p. 367).

rer à la personnalité humaine son développement et sa perfection naturelle. Ceux qui parlent et écrivent ainsi, qu'ils prennent conscience de leur responsabilité devant Dieu et devant l'Eglise. Il faut les mettre au nombre des principaux coupables d'un fait dont Nous ne pouvons vous parler qu'avec tristesse : alors que, dans le monde chrétien et même partout ailleurs, retentissent aujourd'hui plus que jamais les appels aux Soeurs catholiques, on se voit bien à regret forcé d'y donner coup sur coup une réponse négative ; on est même parfois contraint d'abandonner des oeuvres anciennes, des hôpitaux et des établissements d'éducation — tout cela parce que les vocations ne suffisent pas aux besoins.

Il faut éviter que des coutumes anachroniques, une ascèse inadaptée, notamment en matière de vêtements, soient un obstacle aux vocations :

Pour vous-mêmes, voici Nos recommandations : dans cette crise des vocations, veillez à ce que les coutumes, le genre de vie ou l'ascèse de vos familles religieuses ne soient pas une barrière ou une cause d'échecs. Nous parlons de certains usages qui, s'ils avaient jadis un sens dans un autre contexte culturel, ne l'ont plus aujourd'hui, et dans lesquels une jeune fille vraiment bonne et courageuse ne trouverait qu'entraves pour sa vocation. Dans Notre exposé de l'an passé, Nous en avons donné différents exemples. Pour revenir en un mot sur la question du vêtement : l'habit religieux doit toujours exprimer la consécration au Christ ; c'est cela que tous attendent et désirent. Pour le reste, que l'habit soit convenable et réponde aux exigences de l'hygiène. Nous ne pouvions qu'exprimer Notre satisfaction, lorsque, dans le courant de l'année, Nous vîmes que l'une ou l'autre Congrégation avait déjà tiré quelques conséquences pratiques à cet égard. En résumé, dans ces choses qui ne sont pas essentielles, adaptez-vous autant que vous le conseillent la raison et la charité bien ordonnée.

Le Saint-Père exhorte les Supérieures à une charité maternelle :


Ceci dit, Nous vous proposons, très chères Filles, deux exhortations instantes :

Il est sans doute vrai, comme le prétend la psychologie, que la femme revêtue de l'autorité ne réussit pas aussi facilement

que l'homme à doser exactement la sévérité et la bonté, à les équilibrer. Raison de plus pour cultiver vos sentiments maternels. Dites-vous bien que les voeux ont exigé de vos Soeurs, comme de vous-mêmes, un grand sacrifice. Elles ont renoncé à leur famille, au bonheur du mariage et à l'intimité du foyer. Sacrifice de haut prix, d'une importance décisive pour l'apostolat de l'Eglise, mais sacrifice tout de même. Celles de vos Soeurs dont l'âme est la plus noble et la plus affinée ressentent ce détachement de la façon la plus vive. La parole du Christ : « Celui qui, ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n'est pas apte au royaume de Dieu », trouve ici son application intégrale et, aujourd'hui encore, sans réserve. Mais l'Ordre doit remplacer la famille, autant qu'il se peut, et vous, les Supérieures générales, vous êtes appelées en premier lieu à insuffler à la vie commune des Soeurs la chaleur des affections familiales.

Aussi devez-vous vous-mêmes être maternelles dans votre comportement extérieur, dans vos paroles et vos écrits, même si parfois vous devez vous dominer ; soyez-le par-dessus tout dans vos pensées intimes, vos jugements et, autant que possible, votre sensibilité. Demandez chaque jour à Marie, Mère de Jésus et notre Mère, qu'elle vous apprenne à être maternelles.

Le Pape invite les Supérieures à rendre possible à leurs Soeurs une formation égale à leurs collègues dans le monde :

Ici pas de mesquinerie, mais soyez larges de vues. Qu'il s'agisse d'éducation, de pédagogie, de soin des malades, d'activités artistiques ou autres, la Soeur doit avoir ce sentiment : la Supérieure me rend possible une formation qui me met sur un pied d'égalité avec mes collègues dans le monde. Donnez-leur aussi la possibilité et les moyens de tenir à jour leurs connaissances professionnelles. Cela aussi, Nous l'avons développé l'année passée. Nous le répétons afin de souligner l'importance de cette exigence pour la paix intime et l'activité de vos Soeurs.

Le Pape conclut en remerciant les Religieuses pour leurs prières, leurs activités et leur bon exemple :

Vous venez, très chères Filles, de toutes les parties du monde, de près et de loin. Dites à vos Soeurs que Nous les remercions pour leur prière dont Nous avons tant besoin ; pour leur bon exemple, qui aide puissamment à confirmer tant de catholiques dans leur foi et à conduire vers l'Eglise tant de ceux qui ne lui appartiennent pas ; pour leur travail au service de la jeunesse, des malades et des pauvres, dans les Missions, sous beaucoup d'autres formes qui toutes sont précieuses pour la croissance et l'épanouissement du règne de Jésus-Christ sur les âmes. Dites à vos Soeurs que Nous leur accordons toute Notre affection ; que leurs soucis sont Nos soucis ; leurs joies, Nos joies ; que, par-dessus tout, Nous leur souhaitons la double force du courage et de la patience dans l'oeuvre de leur propre perfection et pour l'apostolat que leur divin Maître et Epoux leur a assigné.

En signe de Notre bienveillance paternelle et comme gage de la grâce et de l'amour triomphant du divin Coeur, Nous vous accordons, très chères Filles, à vous, à vos Soeurs et à vos oeuvres, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE DE MONSEIGNEUR J.-B. MONTINI, SUBSTITUT À LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT^ AU PRÉSIDENT DES SEMAINES SOCIALES D'ITALIE

(21 septembre 1952) 1


Son Exc. Mgr Joseph Shi, archevêque de Gênes et Président des Semaines Sociales d'Italie, reçut à l'occasion de la XXVe session, ayant lieu à Turin, la lettre que voici :

Cette semaine avait pour thème : « L'Entreprise dans l'Economie moderne ».

Je suis chargé de vous communiquer que Sa Sainteté, avec une satisfaction paternelle, a pris connaissance des travaux qui seront accomplis à la XXVe Semaine Sociale des Catholiques Italiens, à Turin, du 21 au 27 septembre.

Le thème « L'entreprise dans l'économie moderne » constitue un important sujet d'étude et de considération et reflète le désir, voire la nécessité de la contribution que les catholiques italiens doivent apporter à la solution de ces problèmes qui tourmentent le plus les esprits et les consciences dans un domaine déterminé et en un certain moment historique de la vie politique, sociale, économique et morale de la nation.

Aussi l'Eglise, toujours soucieuse également du bien temporel de l'humanité, ne peut que louer et stimuler les généreux efforts de tous ceux qui se consacrent, avec une volonté sincère et avec une juste connaissance des principes sociaux-chrétiens, à hâter la réalisation de l'harmonie nécessaire qui doit régner entre les diverses classes sociales et qui doit se fonder sur les postulats de la justice et de la fraternité chrétienne.

En conséquence on peut utilement rappeler ici quelques-uns des enseignements des Souverains Pontifes sur ce thème spécifique de la Semaine.

Comme on le sait, la discipline de la production et de la distribution de la richesse est un problème fondamental de la vie économique qui doit être réalisé en conformité avec la justice et le bien commun, et de manière à sauvegarder l'intégrité et le développement de la personnalité humaine.

Or, pour qui parcourt les enseignements pontificaux à ce sujet, trois aspects importants de l'entreprise peuvent être notés : le rapport entre la machine et le travailleur ; la position juridico-sociale du personnel ; le rapport entre l'entreprise et l'Etat.

La machine et l'ouvrier.

Si au cours des dernières décades on a constaté des améliorations substantielles dans les milieux du travail, l'aspect du rapport entre la machine et le travailleur demeure toutefois encore grave. La découverte, l'adoption et l'application de la machine représentent certainement une conquête du progrès humain. Mais ce grandiose phénomène comporte en lui un côté négatif, du fait que les processus de production, en s'insérant en une succession de phases presque toujours identiques, menacent de faire perdre au travail tout souffle d'humanité pour se réduire à un simple mouvement mécanique.

D'où la nécessité d'étudier des mesures particulières là où la machine est susceptible d'accroître le chômage ; d'offrir au travailleur une instruction professionnelle appropriée qui le rende conscient de la contribution spécifique qu'il apporte au bien produit (et à ce sujet il convient de reconnaître l'action des autorités publiques pour l'institution et le développement des cours de reclassement professionnel) ; de tendre à améliorer la conscience morale et le sens social qui lui permettent de se persuader que son travail répond également à un service envers le prochain ; et surtout de renforcer le sentiment religieux, afin que le travailleur considère son oeuvre comme une collaboration à l'action créatrice et rédemptrice de Dieu, et, par conséquent, comme un moyen de son propre perfectionnement spirituel.



II. La position juridico-sociale de l'ouvrier.

Sa Sainteté Pie XII, à plusieurs reprises, s'est référée à la position juridico-sociale du personnel dans les entreprises, en précisant ce qui entre dans la sphère du droit naturel et ce qui fait partie des aspirations des classes ouvrières et qui peut, par conséquent, être poursuivi comme un idéal et avec des moyens licites. En effet le Saint-Père avertissait qu'« un danger se présente quand on exige que les salariés, appartenant à une entreprise, aient le droit de cogestion économique ; spécialement quand l'exercice de ce droit se réclame, de fait, directement ou indirectement, d'organisations guidées de l'extérieur de l'entreprise. Or, ni la nature du contrat de travail, ni la nature de l'entreprise ne comportent nécessairement par elles-mêmes un droit de ce genre... La sagesse de Notre Prédécesseur Pie XI l'a exposé de manière limpide dans l'Encyclique Quadragesimo anno, et, en conséquence s'y trouve niée la nécessité intrinsèque de modeler le contrat de travail sur le contrat de société.2 »

En général on ne reconnaît donc point un véritable droit de l'ouvrier à la codirection ; mais ceci n'interdit pas aux chefs d'entreprise d'y faire participer l'ouvrier sous une forme et dans une mesure quelconque, comme cela n'empêche pas l'Etat de conférer au travail la faculté de faire entendre sa voix dans la gestion de l'entreprise, dans certaines entreprises et dans certains cas où le pouvoir débordant du capital anonyme abandonné à lui-même nuit manifestement à la communauté... Et dans le Radiomessage du 1er septembre 1944, le Souverain Pontife enseignait que « la petite et la moyenne propriété dans l'agriculture, dans les arts et dans les métiers, dans le commerce et dans l'industrie, doivent être garanties et encouragées ; les unions coopératives doivent leur assurer les avantages des grandes entreprises ; là où la grande entreprise se manifeste encore aujourd'hui comme davantage productive, la possibilité doit être offerte de tempérer le contrat de travail par un contrat de société ».

Mais Sa Sainteté, avec une paternelle insistance, a rappelé l'attention sur les profondes modifications spirituelles à réaliser pour humaniser et vivifier les rapports entre le personnel et les dirigeants à l'intérieur des entreprises. En effet Sa Sainteté, s'adressant aux Chefs d'entreprise chrétiens, s'exprimait de la sorte :

« Cette fonction, cet idéal, avons-Nous dit, c'est le plein exercice, sublime et chrétien, de votre entreprise, inspiré de sentiments humains dans la plus large et la plus haute acception du mot. Ce sens humain, il faut qu'il pénètre, comme la goutte d'huile dans l'engrenage, tous les membres, tous les organes de l'entreprise, les dirigeants, les collaborateurs, les employés, les travailleurs de tout degré, de l'artisan et de l'ouvrier le plus qualifié jusqu'au plus modeste manoeuvre.

Si se multiplient en s'unissant à vous les entreprises effectivement pénétrées du véritable sens humain, si elles deviennent comme autant de grandes familles, et si, non contentes de leur vie privée, comme en vase clos, elles s'unissent entre elles, toutes ensemble elles tendront à former une société forte et heureuse...

...Vous avancez... sur la seule voie sûre, celle qui tend à animer les rapports personnels de sentiments de fraternité chrétienne ; voie qui est praticable partout et qui traverse largement le plan de l'entreprise. Cette intention vous rendra ingénieux et habiles pour faire en sorte que la dignité personnelle du travailleur, bien loin de se perdre dans l'organisation générale de l'entreprise, conduise celle-ci à une plus grande efficacité non seulement matérielle, mais aussi et surtout susceptible de lui assurer la valeur d'une véritable communauté...3 »

Une fois que sera transformée l'atmosphère à l'intérieur des entreprises, se trouveront possibles et facilitées les innovations que les capacités professionnelles et le sens de responsabilité des travailleurs, la sensibilité active et avisée des chefs d'entreprise et les exigences du bien commun pourraient, à un moment donné, permettre ou réclamer.

III. L'entreprise et l'Etat.

Enfin la doctrine de l'Eglise est claire en ce qui concerne le rapport entre l'entreprise et l'Etat. Si la conception dite libérale s'appuie sur divers principes erronés, non moins erronée et dangereuse est la doctrine qui attribue à l'Etat une « planification » intégrale du monde économique, également parce que s'ensuivraient la compression et la fin des droits humains fondamentaux : « Que cette servitude, — déclare si sagement Sa Sainteté, — résulte du pouvoir débordant du capital privé ou du pouvoir de l'Etat, l'effet ne change pas ; même sous la pression d'un Etat, qui domine tout et règle tout le domaine de la vie publique et privée, en pénétrant jusque sur le terrain des conceptions et convictions et de la conscience, ce manque de liberté peut avoir des conséquences encore plus lourdes, comme l'expérience le manifeste et l'atteste 4. »

Le monde économique est en premier lieu une création de la libre volonté des hommes ; il appartient donc à l'Etat de créer les conditions qui permettent à l'initiative privée de se développer dans les limites de l'ordre moral et du bien collectif.

Aussi l'Eglise a-t-elle toujours vu avec bienveillance et encouragé les formes d'entreprise où peut trouver une possibilité d'affirmation l'initiative personnelle de tous ceux qui y exercent leur propre activité, comme l'entreprise de l'artisan, l'entreprise agricole à dimensions familiales, l'entreprise coopérative5. Mais l'Eglise estime aussi qu'il peut convenir à un ordre juste que l'entreprise à grandes dimensions, — quand ne s'y opposent pas des motifs évidents de bien commun, — demeure dans le cadre de l'initiative privée 6. Cela pourra s'obtenir d'autant mieux que les responsables de ces entreprises connaîtront davantage leurs droits et leurs devoirs soit envers la communauté, soit envers leur personnel ; et que les classes ouvrières, rendues conscientes des aspects négatifs du supercapitalisme d'Etat, seront davantage admises à prendre des responsabilités appropriées dans le cycle de l'économie nationale, dans la vie professionnelle et dans les organismes mêmes de la production. Et Sa Sainteté, dans le discours du 11 mars 1945, soulignait que contribueraient à cette solution la vraie conception de la justice et le sentiment actif de la fraternité chrétienne : « Le moment est désormais venu d'abandonner les phrases vides et de penser avec Quadragesimo anno, à un nouvel ordre des forces de production du peuple. C'est-à-dire qu'il faut, au-dessus de la distinction entre employeurs et employés, que les hommes sachent voir et reconnaître la plus haute unité qui lie entre eux tous ceux qui collaborent à la production, c'est-à-dire leur union et leur solidarité dans le devoir qu'ils ont de pourvoir ensemble, de façon stable, au bien commun et aux besoins de toute la communauté. Que cette solidarité s'étende à toute branche de la production, qu'elle devienne le fondement d'un meilleur ordre économique, d'une saine et juste autonomie, et qu'elle ouvre aux classes ouvrières la voie pour acquérir honnêtement leur part de responsabilité dans la conduite de l'économie nationale. De cette manière, grâce à cette coordination et cette coopération harmonieuse, à cette union plus intime du travail avec les autres facteurs de la vie économique, le travailleur arrivera à trouver dans son activité un gain tranquille et suffisant pour son entretien et celui de sa famille, une véritable satisfaction de son esprit et un puissant stimulant pour son perfectionnement ».

Le Saint-Père, tout en formulant les meilleurs voeux pour que la Semaine Sociale soit féconde en résultats, envoie avec une pensée paternelle à Votre Excellence Reverendissime, aux promoteurs et à tous les participants, le réconfort de la Bénédiction apostolique implorée, en gage de grâces et de lumières célestes.




ALLOCUTION A LA CONFERENCE INTERNATIONALE DE L'AVIATION CIVILE

(23 septembre 1952)1


Une Conférence Diplomatique de l'Aviation Civile réunissait à Rome des délégués de divers pays, aussi — ceux-ci reçus en audience — entendirent-ils Pie XII leur dire :

Nous apprécions vivement, Messieurs, votre déférent hommage et le désir, que vous manifestez, de Nous intéresser à vos travaux. Vous savez avec quelle sollicitude Nous suivons et encourageons tous les efforts de ceux qui, responsables du progrès bien ordonné de notre civilisation, consacrent leur activité à faire régner entre les individus et les nations plus de compréhension et de respect mutuel, et qui à cette fin élaborent un ensemble de règles juridiques destinées à faciliter la solution pacifique des problèmes délicats, que suscite la complexité toujours plus vaste des relations humaines.

Aussi voudrions-Nous vous exprimer tout l'intérêt que Nous portons à cette première Conférence Diplomatique réunie par l'Organisation Internationale de l'Aviation Civile. Parmi les traits caractéristiques de notre époque et de ces vingt dernières années en particulier, le développement extraordinaire de l'aviation tient une place de choix. On regrettera sans doute que, parmi les motifs d'une évolution si rapide, il faille ranger les nécessités d'un conflit inhumain. Mais au moins peut-on se réjouir de voir appliquer maintenant au service de la paix les découvertes et les perfectionnements magnifiques, dont a bénéficié la navigation aérienne. Celle-ci compte à présent parmi les moyens de contact privilégiés entre les divers pays. Non seulement ces conquêtes spectaculaires ont attiré sur elle l'attention générale, mais l'augmentation de la vitesse, de la sécurité, l'intensification du trafic lui gagnent un nombre croissant d'usagers, la désignent tout naturellement pour les communications rapides à longues distances. Un réseau de plus en plus serré se tisse autour du globe, qui trace des chemins directs entre les pays les plus éloignés.

On comprend dès lors que surgissent à cette occasion des problèmes juridiques nouveaux, qui demandent l'adaptation et la mise au point des conventions anciennes. La question, à laquelle vous vous attachez, Nous paraît, dans ses données toutes matérielles, un exemple-type des situations juridiques créées par notre civilisation. Pour démêler le jeu des responsabilités dans le cas de dommages causés au sol à des tiers par un appareil étranger et pour en assurer la juste réparation, il faut posséder sans doute une connaissance théorique des principes du droit et de leurs applications actuelles, mais il n'est pas moins nécessaire de réaliser l'entente des différents pays au sujet des points de procédure et des mesures qui ne se déduisent pas immédiatement des principes généraux.

Vous mettez ainsi en oeuvre les deux outils principaux, grâce auxquels l'humanité édifie les civilisations : l'étude objective d'une situation donnée et l'accord des volontés, qui impose à cette civilisation de fait son cachet humain. Que surgissent des obstacles, des difficultés, des incertitudes, nul ne s'en étonnera. Mais il appartient à la volonté droite et sincère d'appeler à son aide tous les moyens raisonnables pour en triompher, pour amener aussi près que possible de leur perfection les institutions de défense et de protection ayant pour but de garantir les individus et les peuples des coups du hasard et de la mauvaise volonté. C'est le mérite des hommes de loi, qui s'appliquent à résoudre des problèmes d'apparence parfois modeste, mais dont trop souvent les graves conséquences révèlent la portée réelle.

Vous réunissez ainsi en votre tâche les deux extrêmes : continuateurs d'une tradition aussi vieille que l'humanité, vous en étudiez les points d'application dans une conjoncture issue de la vie la plus actuelle. Depuis que les hommes essaient d'organiser une communauté, ils ont éprouvé le besoin d'institutions juridiques, non pas d'abord pour sauvegarder les intérêts économiques ou financiers, mais pour permettre l'éclosion des vraies valeurs humaines, qui ne sauraient croître et s'épanouir sans la nécessaire garantie des personnes et des biens.

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Il vaut la peine de continuer aujourd'hui la même entreprise. Sans doute vous attachez-vous dans l'immédiat à la protection d'intérêts temporels, mais il importe de se souvenir qu'ils conditionnent l'existence de biens supérieurs et tirent de là leur sens véritable. Les exigences les plus hautes de la personnalité humaine, son développement moral et religieux appellent aujourd'hui l'existence et le fonctionnement d'institutions destinées à prévenir les conflits, que suscite souvent entre les nations le souci de défendre leurs intérêts matériels. C'est pourquoi l'Eglise s'intéresse à vos travaux, les encourage et souhaite qu'ils contribuent à fortifier dans les relations internationales le climat de compréhension mutuelle. Elle sait que son message spirituel trouve un écho plus net et plus profond dans une atmosphère pacifiée, fruit des efforts conjugués de tous ceux qui, comme vous, s'attachent, dans leur spécialité, à réaliser un accord aussi universel que possible.

C'est dans ces sentiments que Nous vous félicitons de tout coeur. La Providence, qui sans cesse guide l'humanité sur les routes nouvelles, où l'engage son désir de progrès et d'unification, ne manquera pas d'inspirer votre travail, et Nous prions Dieu de vous combler, ainsi que ceux qui vous sont chers, de ses meilleures bénédictions.


ALLOCUTION À L'UNIVERSITÉ POPULAIRE CONTARDO FERRINI

(6 octobre 1952) 1


Le Souverain Pontife a reçu, le 6 octobre, dans la Salle des Suisses, au Palais de Castel Gandolfo le Conseil de Direction, le Conseil académique et de nombreux membres de l'Université populaire « Contardo Ferrini » de Gênes, à l'occasion du xxxe anniversaire de sa fondation. Sa Sainteté leur a adressé le discours suivant :

Avec un sentiment de légitime satisfaction, chers fils, vous êtes venus à Nous, en ce trentième anniversaire de l'Université Populaire Catholique « Contardo Ferrini », désireux de Nous présenter le Mémorial de votre activité multiple. Notre esprit se réjouit de la diversité de vos entreprises et des heureux résultats par lesquels la divine Providence a récompensé la générosité et le dévouement dont vous avez fait preuve, depuis plus d'un quart de siècle, dans les champs d'action les plus variés.

A l'origine de votre Institution, nous trouvons un groupe d'intellectuels catholiques, qui, convaincus de la responsabilité des hommes de haute culture, décidèrent de répondre, de manière pratique et efficace, aux aspirations, peut-être voilées, mais profondes et insistantes de tant d'âmes chez lesquelles les nécessités pressantes de la vie quotidienne n'ont pas éteint le désir de la vérité, de la beauté et surtout d'une charité plus intense envers Dieu et les hommes. Luceat lux vestra coram hominibus *. « Que votre lumière resplendisse devant les hommes » ; de nombreux chrétiens n'écoutent pas cette parole du divin Maître. Estiment-ils donc que les faveurs d'une condition sociale plus élevée, d'une éducation plus soignée, d'une formation intellectuelle plus longue, soient des privilèges utilisables pour leur seul avantage personnel ? Ce n'est pas ce qu'ont pensé les fondateurs de votre Institut, ni vous non plus, qui prolongez incessamment les bienfaits de leur vigoureuse impulsion. Vous entendez répandre largement les dons de votre intelligence et de votre coeur, faire resplendir la vérité chrétienne en ces temps où l'esprit de l'erreur poursuit souvent dans l'ombre ses menées de perversion. Au lieu d'imiter le serviteur timide et indolent, vous ne cachez pas dans la terre les talents que vous a confiés le Seigneur, mais vous les faites fructifier en un apostolat dans lequel l'Eglise reconnaît la marque de ses véritables fils.

Il ne suffit pas en effet pour l'exercer justement d'attendre, avec bonne volonté, que se présente l'occasion favorable. Les esprits sont influencés par tant d'attraits, tant de promesses, dont ils ne sont pas capables de discerner la valeur réelle ! Il convient non seulement d'aller à leur rencontre, d'éveiller en eux le désir du développement intellectuel et moral, de mettre entre leurs mains les moyens de réalisation ; mais il est également nécessaire de susciter un mouvement, le plus vaste possible, qui entraîne les indifférents et les indécis, et prouve sa valeur intrinsèque par les résultats obtenus. C'est à ce but que correspondent les formes multiples de votre activité. Il faut qu'elles se réalisent au moyen de conférences, de cours scolaires, de manifestations d'art lyrique et dramatique, de pèlerinages ; toutes sont susceptibles de conquérir non seulement quelques rares dilettantes, mais aussi de larges groupes, parmi lesquels elles répandent efficacement les richesses de la culture humaine et chrétienne dans un monde et en une époque où plus que jamais s'en fait sentir le besoin. Aux uns comme aux autres, votre Institut offre l'occasion d'échanges féconds et favorise l'exercice d'une compréhension réciproque dans un esprit vraiment catholique.

Aussi apprécions-Nous vivement votre oeuvre. Sa rapide extension démontre qu'elle répondait à un besoin, en même temps qu'elle satisfaisait les élans désintéressés de coeurs généreux et remédiait à l'indigence spirituelle d'un si grand nombre.

Si votre Institution s'était limitée à l'enseignement et à des oeuvres d'éducation, elle aurait déjà pu à juste titre s'en faire honneur. Mais elle attire également l'attention par un autre caractère que Nous Nous plaisons à signaler particulièrement : Nous voulons parler des entreprises charitables dans lesquelles vous manifestez un zèle digne d'un éloge spécial, L'idée de joindre l'instruction théorique à l'intervention active au secours des misères de l'humanité révèle clairement l'universalité et le réalisme de votre esprit chrétien. L'apôtre Paul n'écrivait-il donc pas aux Corinthiens : « Quand bien même aurais-je toute la science, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien 3. » Sans doute parlait-il de la vertu théologale de la charité ; mais il est impossible d'aimer vraiment Dieu sans aimer ses propres frères et sans s'appliquer efficacement à secourir leur pauvreté, à soulager leurs infirmités, à remédier à leurs déficiences. La vitalité des organisations catholiques d'assistance ne le démontre-t-elle pas lumineusement ? Soyez donc heureux de prouver votre qualité de membres de l'Eglise par l'ampleur de vos interventions charitables. Nous apprécions particulièrement votre souci de venir en aide à des séminaristes pauvres au moyen de bourses d'études. Le Seigneur se réjouira certainement de votre contribution directe à la préparation de futurs prêtres, permettant à des âmes droites et ferventes de répondre à leur vocation. Et quelle délicate sollicitude manifestent vos dons aux nouveau-nés pauvres et comme vous interprétez bien, de la sorte, les sentiments de l'Eglise, qui se penche avec une tendresse maternelle sur ses enfants les plus faibles et les plus déshérités !

Sans doute attendez-vous de Nous également quelques conseils pour l'avenir. Comment pourrions-Nous ne pas vous exhorter à rendre sans cesse plus intense ce qui Nous semble un des traits les plus caractéristiques de votre Institut : cette heureuse synthèse qui, d'une part, assure les échanges entre la classe la plus cultivée et le peuple désireux de guides sûrs et sincères et, d'autre part, joint à l'exposition de la doctrine, l'action concrète de l'assistance sociale. La société chrétienne aspire à l'apaisement des conflits qui divisent les classes et les groupes humains, mais non sur la base de critériums purement matériels et sans se soucier des différences qualitatives qui forment la hiérarchie parmi les membres d'un même organisme. Elle professe la libre et féconde communication, en vertu de laquelle les dons naturels et spirituels se répandent largement à l'avantage de tous pour l'édification de la grande famille des enfants de Dieu.

Que votre activité directrice s'exerce surtout dans le domaine des idées. En effet, sans négliger l'importance des manifestations artistiques, il demeure cependant toujours vrai que l'on prouve aujourd'hui la nécessité absolue d'une connaissance précise des principes moraux qui doivent diriger la société. Appliquez-vous à propager fidèlement l'enseignement de l'Eglise et à le faire pénétrer dans un cercle de plus en plus large, en ajoutant à cela l'exemple vécu et la pratique sincère des maximes chrétiennes, spécialement dans les oeuvres d'intérêt social. Continuez avec confiance et ténacité le travail entrepris. Que les désillusions et les obstacles n'ébranlent pas votre foi en la puissance invincible de l'Amour divin qui seul peut transformer un monde d'ignorance et de luttes en une communauté de paix, de joie et de félicité.

Avec ce souhait et en gage de la protection et des faveurs divines pour vous et pour tous ceux qui vous sont chers, Nous vous donnons de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.




Pie XII 1952 - KATHOLIKENTAG DE VIENNE