Pie XII 1953



DOCUMENTS PONTIFICAUX

de 5a Sainteté PIE, XII

1953

DOCUMENTS PONTIFICAUX
DE SA SAINTETÉ PIE XII
réunis et présentés par


R. KOTHEN

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)

IMPRIMI POTEST

Mechliniae, die 27a septembris 1955 Can. VAN DEN DRIES libr. Censor


IMPRIMATUR
Mechlinioe, die 28a septembris 1955 t L. J. SUENENS Eppus tit. Isinden. Vic. gen.



Tous droits réservés




LETTRE PREFACE DE S. EM. LE CARDINAL FELTIN,

Archevêque de Paris





Paris, le 22 février 1955



Monsieur l Abbé,



Il y a quelques semaines, alors que l'Eglise se préparait à célébrer la Nativité du Sauveur, les catholiques furent plongés dans l'angoisse par des nouvelles alarmantes sur la santé du Chef vénéré et du Père bien-aimé qui a, comme Pasteur suprême, la charge du troupeau du Christ. Quelle ne fut pas l'émotion de tous lorsqu'on apprit que, malgré l'état de faiblesse extrême où l'avait réduit sa maladie, le Saint-Père tenait à adresser cependant au monde un important Message de Noël, nouvel appel à la paix entre tous les peuples, nouvel avertissement sur les conditions de cette paix. Ce courageux acharnement soulignait, une fois de plus, l'importance que le Pape Pie XII a toujours attribuée à sa tâche de Docteur universel. Il a le souci de projeter inlassablement, et dans tous les domaines, la lumière de la vérité que l'Eglise détient du Christ et qui est capable d'éclairer tous les hommes et toutes les situations humaines.

Il est du plus haut intérêt que ces enseignements lumineux puissent parvenir à la connaissance de tous. Plusieurs catholiques l'ont compris et s'emploient, sous des formes diverses, à en assurer la diffusion. Les beaux volumes de la collection que vous avez entreprise prennent une place de choix dans cet effort. Celui que vous présentez aujourd'hui, consacré aux documents de 1953, est un nouveau témoignage de la richesse, de la variété et de l'actualité des enseignements pontificaux :

— c'est la bienfaisante Constitution Apostolique concernant le jeûne eucharistique qui, en favorisant la pratique de la Communion sacramentelle et en accentuant l'impulsion déjà donnée par l'Encyclique



« Mediator Dei » permet à Sa Sainteté Pie XII de poursuivre efficacement l'oeuvre commencée par Saint Pie X.

— C'est l'Encyclique « Doctor Mellifluus », où le Saint qui domine par la profondeur de son esprit et par l'ardeur de sa charité un siècle particulièrement troublé, nous apparaît porteur d'un message précieux pour notre temps.

— C'est la magnifique couronne tressée à Notre-Dame, à la veille de l'ouverture de l'Année Mariale, par le Pontife qui, à la fin de la récente Année Sainte, avait solennellement défini le dogme de son Assomption dans le Ciel.

— C'est la touchante prière pour l'Année Mariale, où le Pasteur de tous les fidèles adoptant les soucis de chacun, exprime à la Vierge leur commune supplication.

— C'est enfin, transparaissant dans toutes ces allocutions, ces lettres, ces messages radiodiffusés, le souci continuel de rappeler aux chrétiens la richesse et les exigences de leur foi : vie de grâce à intensifier, mission de témoignage et d'apostolat à remplir, rapports sociaux à assainir, paix du monde à établir dans la charité et la vérité...

La publication des « Documents de Sa Sainteté Pie XII 1953 » permettra à de nombreux catholiques de langue française de puiser plus facilement dans ce trésor.

Soyez-en, Monsieur l'Abbé, sincèrement remercié et veuillez agréer l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.

t Maurice, Cardinal Feltin Archevêque de Paris.






INTRODUCTION





L'année 1953 n'a été marquée par aucune béatification, ni canonisation.

Le Souverain Pontife a publié deux Encycliques :

le 24 mai 1953 : l'Encyclique : « Docteur Mellifluus » à l'occasion du VIIIe Centenaire de la mort de Saint Bernard l.

le 8 septembre 1953 : l'Encyclique : « Fulgens Corona », célébrant le Ie' Centenaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception 2.

. En ce même jour : 8 décembre 1953, s'ouvrait pour le monde catholique une année mariale.

Une Constitution Apostolique datée du 6 janvier 1953 est venue atténuer la discipline du jeûne eucharistique 3.

Un Consistoire tenu le 12 janvier 1953 créait 24. nouveaux Cardinaux * ramenant ainsi l'effectif du Sacré-Collège, à cette date, à son nombre complet.

La Hiérarchie était instituée en Afrique orientale britannique, le 25 Mars 1953 5 ; de même, au Danemark, 0 en Suède et en Norvège s.
? Au cours de l'année de nouveaux diocèses furent institués :


un en Espagne : Huelva

un au Canada : Yarmouth

deux aux Etats-Unis : Bridgeport et Norwich

deux dans la République Dominicaine : Santiago et La Vega.





ó Cf. p. 103

« Cf. p. 177.

' Cf. p. 180.

8 Cf. p. 282.



On signale la création aussi de Préfectures Apostoliques :

une aux Bermudes

une aux Philippines, à Lulu.

Dans l'Eglise orientale, on signale la fondation :

d'un archidiocèse en Irak : Bassora

d'un diocèse aux Indes : Tellycheny (Malabar)

d'un vicariat apostolique latin en Syrie

d'un vicariat apostolique latin au Liban.

Sur les territoires dépendant de la S. Congrégation de la Propagande on note :

huit nouvelles Préfectures apostoliques douze nouveaux Vicariats apostoliques.
? Aux Indes, il y eut un remaniement des circonscriptions ecclésiastiques.


Sur un total de population de 36x.821.624 habitants (au recensement de 1951), on comptait 3.356.225 catholiques de rite latin, auxquels il faut ajouter environ un million de catholiques de rites orientaux.

Pour les catholiques de rite latin, il y a désormais 12 provinces comprenant en tout 57 diocèses.

On compte de 30 à 40.000 conversions par an.

Au Pakistan, il y a 228.431 catholiques répartis en deux archidio-cèses et six diocèses, pour une population de 80 millions d'habitants 9.
? L'Eglise continue à être violemment persécutée dans les régions soumises au joug communiste.


1953 vit Vemprisonnement du Primat de Pologne : Son Eminence - le Cardinal WyszynskiI0.

Un accord avait cependant été signé le 14 avril 1950 entre l'Eglise et l'Etat polonais ; toutefois, par un décret du 10 février 1953, l'Etat prétendit contrôler les nominations ecclésiastiques. Le 8 mai les évêques protestaient contre cet abus de pouvoir.

Un procès retentissant mettait en cause S. Exc. Mgr Kaczmarek, évêque de Kielce, il était accusé d'espionnage au service de l'impérialisme américain et condamné, le 22 septembre à douze ans de prison ; d'autres prêtres étaient, au cours de ce même procès, condamnés à diverses peines.

Peu après, une campagne de presse accusait S. Em. le Cardinal Wyszynski, archevêque de Gniezno et Varsovie de mener une activité hostile à l'Etat et de saboter l'accord entre l'Eglise et l'Etat.

Le 26 septembre, le Cardinal était arrêté, et un communiqué du Gouvernement déclarait qu'il lui était désormais interdit d'exercer ses fonctions ecclésiastiques u.

Mais, c'est surtout en Chine que le catholicisme est attaqué.

Depuis l'arrivée au pouvoir des communistes ont été expulsés de ce pays :

52 ordinaires dont 4 archevêques 38 évêques 8 préfets apostoliques 2 administrateurs apostoliques.

De même, on peut donner les chiffres suivants concernant le clergé en Chine durant les années :

1948 1952

Prêtres chinois 2250 1900

Prêtres étrangers 730 472

Frères 400 51

Religieuses 2000 200

Mais, c'est surtout en 1953 que les expulsions se sont faites plus nombreuses.

Parmi les étrangers, on comptait encore en Chine :

Evêques 7 en liberté 5 en prison

Prêtres 97 en liberté 60 en prison

Frères 7 en liberté 3 en prison

Soeurs 85 en liberté





u On lira des détails sur cette forme de persécution dans ta Documentation catholique, t. L, c. 1375.

De plus, les prêtres chinois étaient au nombre de 400 en prison, 350 hors de Chine.

Parmi les martyrs morts en Chine, on dénombre 200 victimes dont 165 prêtres, 26 frères, 4 soeurs et le restant, des laïcs.

De même, ces 200 victimes se répartissent en 128 Chinois et y2 étrangers.

Il y a actuellement 22 millions de Chinois vivant hors du territoire chinois. Par un décret du 5 mai 1953, le Saint-Siège a créé la fonction de Visiteur Apostolique pour subvenir aux besoins religieux de ces Chinois dispersés. Ce Visiteur Apostolique : S. Exc. Mgr Van Melckbeke a son siège à Singapour12.



Sur le terrain des missions, il faut mentionner la Réunion pour Dirigeants de l'Apostolat des Laïcs en terre africaine qui s'est tenu à Kisu-bi dans l'Ouganda du 8 au 13 décembre 1953 13.

A la suite de la promulgation de la Constitution Apostolique : « Exsul Familia », du 1er août 1952 en 1953 fut constitué au Vatican un Conseil Supérieur de l'Emigration, et le Secrétariat Général International de l'Apostolat de la Mer fut réorganisé pour être en pleine conformité avec ce document.

Pour mettre en application la Constitution « Sponsa Christi » du 21 novembre 1950 15, la Sacrée Congrégation des Religieux a provoqué la réunion de Congrès s'adressant aux Religieuses, notamment en Italie, en France, en Espagne, en Autriche et en Amérique du Sud. Ces congrès avaient pour but d'étudier les adaptations à réaliser dans le monde religieux, pour que celui-ci réponde à certaines exigences actuelles.

Dans ce même ordre d'idées, l'année 1953 a vu naître 33 Fédérations de monastères.

En vue de préparer et d'organiser les manifestations prévues pour 1954, un Comité de l'Année Mariale était institué à Rome, sous la présidence de Son Exc. Mgr Louis Traglia, vice-gérant du diocèse de Rome.

Pour publier ces pages, un grand nombre de collaborateurs ont apporté leur précieux concours : qu'ils soient vivement remerciés de leurs travaux de recherche, de traduction, de correction du texte et de rédaction des Tables.

Nous avons cette année encore eu l'avantage de pouvoir nous servir de nombreux textes parus ' dans l'édition française hebdomadaire de T« Osservatore Romano ».

Plusieurs documents paraissent dans la presse, sans être datés, notamment les Lettres émanant de la Secrêtairerie d'Etat, dès lors, nous avons dû nous borner à les dater du four où les documents paraissent dans l'édition quotidienne de l'« Osservatore Romano ».

Ce volume de « Documents Pontificaux » 1953 constitue le sixième tome d'une collection inaugurée par le volume « Documents Pontificaux » 1948.





1 CONSTITUTION APOSTOLIQUE CONCERNANT LE JEUNE EUCHARISTIQUE

(6 janvier 3953) 1


Cette Constitution intitulée « Christus Dominus » formule de nouvelles règles concernant le jeûne eucharistique. Elle est entrée en vigueur le jour de sa publication aux « Acta Apostolicee Sedis », c'est-à-dire le 16 janvier 2953. Elle est complétée par une Instruction de la Sacrée Congrégation du Saint-Office, datée elle aussi du 6 janvier 2.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXV, 1953, p. 15.
2 Cf. p. 26.


Pie XII rappelle d'abord l'institution par Notre-Seigneur de l'Eucharistie.

Lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ, « la nuit où il fut livré » (1Co 11,23), célébra pour la dernière fois la Pâque de l'Ancien Testament, il distribua, après la Cène (Lc 22,20), le pain à ses disciples en disant : « Ceci est mon corps, qui sera immolé pour vous » (1Co 11,24); de même il leur présenta le calice en disant : « Ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance, qui va être versé pour un grand nombre » (Mt 26,28), « Faites cela en mémoire de moi » (1Co 11,24-25).


D'après la volonté de Notre-Seigneur, le Sacrifice de la Messe devait remplacer le Sacrifice de l'Ancienne Alliance.

Ces passages de la Sainte Ecriture manifestent clairement que le Divin Rédempteur voulut substituer à cette dernière célébration pascale, où l'on mangeait l'agneau selon le rite hébraïque, la nouvelle Pâque, destinée à durer jusqu'à la fin des siècles, c'est-à-dire la consommation de l'Agneau immaculé qui devait être immolé pour le salut du monde, afin que la nouvelle Pâque de la nouvelle Loi clôturât l'antique Phase et que la vérité chassât l'ombre 8.


La Cène du Jeudi Saint unissait en un seul repas les deux Sacrifices ; mais après ce dernier, une nouvelle discipline s'instaurait : la Messe.

L'union des deux Cènes ayant eu lieu pour signifier le passage de l'ancienne Pâque à la nouvelle, on peut facilement comprendre pourquoi l'Eglise, dans le Sacrifice eucharistique qui, selon le commandement du Divin Rédempteur doit se renouveler en mémoire de Lui, a pu s'écarter des règles observées dans l'antique agape et introduire l'usage du jeûne eucharistique.


Désormais on imposa le jeûne avant de pouvoir participer à l'Eucharistie.

En effet, dès l'époque la plus ancienne, s'établit l'habitude de distribuer l'Eucharistie aux fidèles à jeun 9. Déjà, vers la fin du IVe siècle, il fut décrété dans divers Conciles que ceux qui devaient célébrer le sacrifice eucharistique observeraient le jeûne. En 393, le Concile d'Hippone prescrivit : « Le Sacrement de l'Autel ne doit pas être célébré sinon par des personnes à jeun »10. Peu après, c'est-à-dire en l'an 397, ce précepte fut promulgué avec les mêmes paroles par le IIIe Concile de Car-thage 11 ; au début du Ve siècle, cet usage pouvait être considéré comme assez commun et ah immemorabili, aussi saint Augustin put-il affirmer : que la Sainte Eucharistie est toujours reçue par des personnes à jeun, et que cet usage est universel » 12.


Les motifs de cette discipline sont déjà exprimés par saint Paul : il fallait à la fois éviter les excès de table et professer un grand respect envers la personne du Christ.

Sans aucun doute, cette coutume s'appuyait sur de très graves motifs, parmi lesquels on peut rappeler avant tout ce que l'Apôtre des Gentils déplorait à propos de l'agape fraternelle des chrétiens (1Co 11,21 ss.). En effet l'abstention de la nourriture et de la boisson convient au profond respect que nous devons avoir envers la Majesté suprême de Jésus-Christ, quand nous nous apprêtons à le recevoir caché sous les- voiles de l'Eucharistie. En outre, en recevant son corps et son sang si précieux avant tout autre aliment, nous démontrons clairement qu'il est la première et suprême nourriture qui soutient notre âme et en accroît la sainteté. C'est donc à juste titre que saint Augustin faisait observer : « Il a plu au Saint-Esprit, en l'honneur d'un si grand Sacrement, que le Corps du Seigneur entre dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture » 14.

14 S. Aug. 1. 1. c.


Le jeûne eucharistique favorise encore la piété.

Et ce jeûne ne constitue pas seulement un digne hommage pour honorer le Divin Rédempteur ; il suscite également la piété et il peut, par conséquent, contribuer à augmenter ces fruits si salutaires de sainteté que Jésus-Christ, source et auteur de tout bien, nous demande de produire avec l'aide de la grâce.

Du reste, tout le monde sait par expérience que, selon les lois mêmes de la nature, quand le corps n'est pas alourdi par la nourriture, l'esprit devient plus alerte et s'applique avec une plus grande efficacité à méditer sur l'ineffable et sublime mystère, qui s'accomplit dans l'âme comme dans un temple, en accroissant la charité divine.


L'Eglise s'est d'ailleurs montrée sévère dans l'application de cette discipline.

Combien l'Eglise a eu à coeur l'observation du jeûne eucharistique, on peut également le déduire des graves peines infligées à ceux qui le violaient. En effet, le VIIe Concile de Tolède (646) menaça d'excommunication ceux qui célébreraient les mystères sacrés sans être à jeun 15 ; auparavant, en 372 le IIIe Concile de Braga16 et en 383, le IIe Concile de Mâcon 17 avaient décrété que soient déposés de leur fonction et de leur dignité ceux qui se rendraient coupables de cette faute.

15 Conc. de Tolède, 7, cap. 2. : Mansi, 10, 768.
16 Conc. de Braga, 3, can. lo : Mansi, 9, 841.
17 Conc. de Macon, 2, can. 6 : Mansi, 9, 952.


Parfois, cependant, l'Eglise admettait de légitimes exceptions.

Toutefois au cours des siècles, on a justement estimé que, quelquefois, il était opportun, dans des circonstances particulières, de relâcher en quelque manière pour les fidèles cette loi du jeûne. Aussi le Concile de Constance (1415), tout en confirmant cette loi sacro-sainte, ajoute quelques limitations : « Conformément aux canons sacrés et selon une louable coutume, approuvée par l'Eglise et constamment observée jusqu'à présent, ce Sacrement ne doit pas être célébré après le repas, ni reçu par les fidèles qui ne sont pas à jeun, sinon en cas de maladie ou d'autre nécessité, admis par le droit ou par l'Eglise » 18.

18 Conc. de Constance, sess. XIII : Mansi, 27, 727.


Si aujourd'hui les circonstances imposent un élargissement de la discipline traditionnelle, l'Eglise entend qu'on respecte, autant que possible, les dispositions traditionnelles.

Nous avons tenu à rappeler ces choses, afin que tout le monde sache bien que, si les nouvelles conditions de temps et de choses Nous inspirent de concéder plusieurs facultés et permissions en cette matière, Nous entendons toutefois, avec cette Constitution Apostolique, confirmer dans toute leur vigueur la loi et la coutume du jeûne eucharistique et Nous exhortons ceux qui le peuvent, à continuer de l'observer exactement, de sorte que seuls ceux qui se trouvent dans la nécessité aient recours à ces concessions et cela dans les limites imposées par cette même nécessité.


A l'heure actuelle on assiste à un renouveau de la dévotion eucharistique.

C'est pour Notre esprit un motif de douce consolation, — et Nous sommes heureux de le déclarer ici, voire brièvement, — de constater que la dévotion envers l'Auguste Sacrement de l'Autel se développe sans cesse non seulement dans l'esprit des fidèles, mais également dans la splendeur du culte qui se révèle souvent de façon éclatante dans les manifestations publiques des peuples. Sans aucun doute, les sollicitudes empressées des Souverains Pontifes n'ont pas médiocrement contribué à ce résultat et spécialement celles du Bienheureux Pie X, qui, faisant appel à tous pour renouveler l'antique coutume, a exhorté à s'approcher fort souvent et, si possible, chaque jour du pain des Anges 19. En même temps, il invita les enfants à ce banquet céleste, et par une sage disposition déclara que le précepte de la Confession et de la Communion annuelles est une obligation pour tous ceux qui ont atteint l'âge de raison20 ; ce qui a été également sanctionné dans le code de Droit Canon21. Et les fidèles, répondant avec enthousiasme aux sollicitudes des Souverains Pontifes, se sont approchés de plus en plus nombreux de la sainte Table. Veuille le Seigneur que cette faim du pain céleste et cette soif du sang divin deviennent sans cesse plus ardentes chez tous les hommes de tout âge et de toute condition sociale !


Toutefois les conditions de vie changent et posent le problème du jeûne eucharistique dans des termes nouveaux.

Nous devons toutefois reconnaître que les conditions particulières des temps dans lesquels nous vivons ont introduit de nombreuses modifications dans les usages de la société et dans la vie courante, d'où surgiraient de graves difficultés, — au point d'éloigner les hommes de la participation aux mystères divins, — si la loi du jeûne eucharistique devait être observée par tous comme on l'a fait jusqu'à présent.


Le petit nombre de prêtres oblige ceux-ci à célébrer plusieurs messes le dimanche.

Tout d'abord il est bien connu que le nombre des prêtres ne correspond pas aujourd'hui aux nécessités toujours croissantes des fidèles ; les jours de fête spécialement ils doivent se soumettre à un travail souvent excessif, ils sont parfois obligés de célébrer le sacrifice eucharistique fort tard, plus d'une fois de biner ou de triner, ou d'accomplir un déplacement difficile pour ne pas laisser sans messe des parties importantes de leur troupeau. Ce travail épuisant exigé par le ministère sacré affaiblit certainement la santé des prêtres ; et ceci d'autant plus qu'ils doivent, en plus de la célébration de la sainte Messe et de l'explication de l'Evangile, entendre des confessions, faire le catéchisme, et satisfaire à toutes les autres obligations de leur fonction qui réclament sans cesse davantage de zèle et d'activité. A cela s'ajoutent actuellement les moyens à préparer et à adopter pour repousser les attaques, devenues aussi rusées que violentes, lancées de divers côtés contre Dieu et son Eglise.


Les conditions de vie religieuse, dans les pays de missions, sont telles, que tant pour les prêtres que pour les fidèles, il y a lieu de prévoir un ajustement des règles du jeûne eucharistique.

Mais Notre pensée va tout spécialement à ceux qui, ayant quitté leur patrie, sont allés travailler dans de lointaines régions pour répondre généreusement à l'invitation et au commandement du Divin Maître : « Allez et enseignez toutes les nations » " ; Nous voulons parler des hérauts de l'Evangile qui, supportant parfois des fatigues fort lourdes et surmontant de nombreuses difficultés de voyage, se livrent à de grands efforts pour que la lumière de la religion chrétienne resplendisse pour tous, et pour nourrir du pain des anges, qui alimente la vertu et ravive la piété, leurs troupeaux dont bien des membres sont encore des néophytes.

C'est à peu près dans les mêmes conditions que se trouvent aussi les fidèles, résidant dans plus d'une terre de mission ou dans d'autres régions, qui sont privés d'un ministre sacré affecté à leur assistance spirituelle et, par conséquent, astreints à attendre l'arrivée, à une heure tardive, d'un prêtre pour pouvoir participer au Sacrifice eucharistique et recevoir la sainte Communion.


Les conditions de travail à leur tour, imposent des horaires nouveaux, qu'il s'agisse des ouvriers ou des mères de famille.

En outre, avec le développement des industries de tout genre, il arrive souvent que bon nombre d'ouvriers, affectés aux usines, aux transports, aux travaux des ports ou à d'autres services publics, sont pris par des tours non seulement de jour mais également de nuit, et, ainsi, peuvent se trouver, parfois, dans la nécessité de prendre quelque nourriture pour se restaurer ; et de la sorte ils sont empêchés de s'approcher à jeun de la Table Eucharistique.

Il arrive de même, fréquemment, que les mères de famille ne peuvent pas non plus s'en approcher avant de s'être occupées des besognes domestiques, qui souvent réclament plusieurs heures de travail.


De même les écoliers et étudiants.

Nombreux pareillement sont les élèves des écoles qui désirent répondre à l'invitation divine : « Laissez venir à moi les petits enfants » (Mc 10,14), parce qu'ils ont confiance que Celui qui « se nourrit parmi les lis » (Ct 2,16 Ct 6,2) conservera la candeur de leur âme et l'intégrité de leurs moeurs contre les séductions de la jeunesse et contre les embûches du monde. Mais parfois il leur est fort difficile, avant d'aller à l'école, de se rendre à l'église pour se nourrir du Pain des Anges et, ensuite, revenir chez eux pour prendre l'aliment nécessaire.


Il faut signaler aussi que se multiplient les grandes manifestations qui réunissent les catholiques durant l'après-midi.

Enfin il faut observer que, souvent de nos jours, les fidèles se portent en grand nombre, au cours de l'après-midi, d'un heu à un autre, pour participer à des célébrations religieuses ou à des manifestations de caractère social. Par conséquent, s'il était aussi permis en ces occasions de célébrer le Mystère Eucharistique qui est une source vive de grâce divine et qui enflamme les volontés en les stimulant à l'acquisition de la vertu, il n'est pas douteux que les fidèles y puiseraient la force nécessaire pour sentir et agir pleinement en chrétiens, comme pour obéir aux justes lois.


La santé de beaucoup se trouve affaiblie à la suite des circonstances récentes (guerre, famine, etc.)

A ces considérations de caractère particulier, il semble opportun d'en ajouter d'autres d'ordre général : bien que la médecine et l'hygiène aient à notre époque fait tant de progrès et grandement contribué à la diminution de la mortalité, surtout infantile, les conditions présentes de vie et les privations résultant des immenses guerres de ce siècle n'ont pas médiocrement affaibli la constitution physique et la santé des hommes.


C'est pourquoi, de partout, on a demandé un allégement de la loi du jeûne eucharistique.

Pour ces raisons et précisément en vue de faciliter le développement et le renouveau de la piété eucharistique, de nombreux évêques de diverses nations sollicitent officiellement que la loi du jeûne soit quelque peu mitigée ; et le Siège Apostolique a déjà accordé avec bienveillance des facultés et des dispenses aux prêtres et aux fidèles. Au sujet de ces concessions, il Nous plaît de rappeler le Décret Posf Editum publié par la Sacrée Congrégation du Concile en date du 7 décembre 1906, en faveur des malades25 ; et pour les prêtres la Lettre adressée par la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office aux Ordinaires des lieux, le 22 mars 1923 26.

Puis, ces derniers temps, les requêtes des évêques sont devenues plus fréquentes et plus pressantes, et les facultés accordées ont été plus larges, spécialement à l'occasion de la guerre. Cela démontre clairement qu'il y a des choses nouvelles, graves, continues et assez générales, qui, dans de multiples circonstances, rendent fort difficiles aux prêtres la célébration et aux fidèles la Communion à jeun.

25 A. A. S., 39, p. 603. 2« A. A. S., 15, p. 151.


Aussi pour obvier à ces graves inconvénients et difficultés, ainsi que pour éliminer les diversités causées dans la pratique par la variété des induits, Nous estimons nécessaire de mitiger la discipline du jeûne eucharistique et de la régler de manière que tous soient mis en mesure d'obtempérer à cette loi le plus largement possible et dans la mesure appropriée aux conditions particulières de temps, de lieux et de personnes.

Par ces dispositions, Nous avons confiance de contribuer grandement au développement de la dévotion eucharistique et de pousser et stimuler tout le monde à participer à la Table sainte : cela tournera certainement à la plus grande gloire de Dieu et accroîtra la sainteté du Corps Mystique de Jésus-Christ.



Les dispositions nouvelles précisent :

1. que l'eau naturelle ne rompt plus le jeûne

que la règle du jeûne eucharistique — à partir de minuit — reste en vigueur.

Et ainsi, de par Notre Autorité Apostolique, Nous établissons et décrétons ce qui suit :

I) Ceux qui ne se trouvent pas dans les conditions spéciales que Nous indiquons plus bas, doivent continuer à observer le jeûne eucharistique à partir de minuit. Nous donnons, cependant, comme règle générale, valable désormais pour les prêtres et les fidèles, que l'eau naturelle ne rompt pas le jeûne eucharistique.


2. Le cas des malades.

II) Les malades, même non alités, peuvent prendre, avec le conseil prudent du confesseur, quelque chose sous forme de liquide ou de vrai remède, à l'exclusion de boissons alcoolisées.
La même concession vaut pour les prêtres malades, qui célèbrent la sainte Messe.


3. Les prêtres devant célébrer à une heure tardive ou après un travail absorbant.

III) Les prêtres qui célèbrent à une heure tardive, ou après avoir accompli un ministère fatigant, ou après une longue route, peuvent prendre quelque chose sous forme de liquide, à l'exclusion de boissons alcoolisées, mais ils devront s'en abstenir au moins une heure avant la célébration de la Messe.


4. Concernant les ablutions de la Messe.

IV) Les prêtres qui binent ou trinent, peuvent prendre à la première et à la seconde Messe les ablutions, qui, dans ce cas, toutefois, ne doivent pas être faites avec le vin, mais avec l'eau seule.


5. Pour les fidèles qui ont des difficultés à rester à jeun.

V) Les fidèles eux aussi, même bien portants, mais qui, par suite d'un réel empêchement — c'est-à-dire un travail fatigant, ou l'heure tardive à laquelle il leur est seulement possible de s'approcher de la Sainte Table, ou un long chemin à parcourir — ne peuvent être tout à fait à jeun pour s'approcher de la Table Eucharistique, sont autorisés, sur l'avis prudent du confesseur, et pour le temps que durera cette situation, à prendre quelque chose sous forme de liquide, à l'exclusion de boissons alcoolisées, mais doivent s'en abstenir au moins une heure avant de se nourrir du Pain des Anges.


6. Il est permis de célébrer la sainte Messe l'après-midi.

VI) Si les circonstances le rendent nécessaire, Nous concédons aux Ordinaires des lieux de permettre la célébration de la sainte Messe durant l'après-midi, — mais elle ne doit pas commencer avant seize heures —, les jours de fêtes de précepte, y compris celles supprimées, les premiers vendredis du mois, les jours où quelque solennité est célébrée avec un grand concours de peuple, et une fois durant la semaine. Le prêtre aura à observer le jeûne de trois heures relativement aux aliments solides et aux boissons alcoolisées et d'une heure pour les autres liquides. Durant ces Messes, les fidèles pourront s'approcher de la Sainte Table, pourvu que, tenant compte du can. 857, ils aient observé le jeûne comme il est prescrit pour le célébrant.

Quant aux terres de mission, en raison de leurs conditions particulières qui font que les prêtres peuvent rarement visiter les stations lointaines, Nous accordons aux Ordinaires des lieux de pouvoir user de ces facultés tous les jours de la semaine.


Les Evêques devront se montrer vigilants dans l'application de ces faveurs.

Les Ordinaires des lieux veilleront toutefois attentivement à empêcher toute interprétation qui étende les facultés ainsi concédées et à ce que soient évités tous abus et irrévérences. Nous avons accordé ces facultés requises aujourd'hui par les circonstances de personnes, de lieux et de temps, mais Nous entendons confirmer toute l'importance, la valeur et l'efficacité du jeûne eucharistique pour ceux qui reçoivent le divin Rédempteur caché sous les voiles eucharistiques. En outre, chaque fois que les mauvaises conditions physiques viennent à s'améliorer, l'esprit doit compenser, dans la mesure du possible, soit par la pénitence intérieure, soit d'une autre façon, suivant en cela la pratique traditionnelle de l'Eglise, qui a coutume, lorsqu'elle mitigé le jeûne, de prescrire d'autres bonnes oeuvres.


Que tous ceux qui bénéficient de ces privilèges en remercient Dieu.

Dès lors, ceux qui pourront user des facultés concédées devront faire monter avec plus de ferveur leurs prières vers le ciel pour adorer, remercier Dieu et surtout pour obtenir le pardon de leurs péchés et implorer de nouveaux secours. Se rappelant que Jésus-Christ a institué l'Eucharistie comme « un souvenir durable de sa passion » qu'ils raniment dans leurs âmes ces sentiments d'humilité chrétienne et de pénitence chrétienne, que la méditation des souffrances et de la mort du divin Rédempteur doit exciter. Qu'ils offrent à ce même divin Rédempteur qui, en s'immolant continuellement sur nos Autels, nous donne sans cesse la preuve suprême de son amour, des fruits accrus de charité envers le prochain. De la sorte tous contribueront certainement à réaliser toujours davantage cette union dont parle l'Apôtre : « Il y a un seul pain, et nous ne sommes qu'un corps malgré notre grand nombre, attendu que tous nous recevons notre pain de ce pain unique » 28.

Nous voulons que tous les décrets contenus dans cette Constitution soient stables, ratifiés et valides, nonobstant toute disposition contraire, même digne de mention très spéciale, et étant abolis tous les autres privilèges et facultés accordés par le Saint-Siège, de quelque façon que ce soit, afin que tous observent uniformément et exactement cette nouvelle discipline.

Tout ce qui précède entrera en vigueur à partir du jour de sa promulgation par les Acta Apostolicoe Sedis.




Pie XII 1953