Pie XII 1954 - RADIOMESSAGE AUX CATHOLIQUES RASSEMBLÉS A SALERNE LORS DE LA RECONNAISSANCE DES RELIQUES DE SAINT GRÉGOIRE VII


RADIOMESSAGE POUR LA CONSÉCRATION DE LA BASILIQUE DE LISIEUX

(11 juillet 1954) 1


La Basilique de Lisieux était consacrée ce jour, le Pape y envoya le Radiomessage suivant :

La consécration de la Basilique votive, que les fidèles du monde entier ont contribué à ériger en l'honneur de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, évoque en Notre coeur d'émouvants souvenirs. C'était hier, semble-t-il, et pourtant dix-sept ans déjà se sont écoulés depuis le 11 juillet 1937 où, Légat a latere de Notre Vénéré Prédécesseur dans la douce terre de France, au Congrès Eucharistique national de Lisieux, Nous avions le bonheur de procéder à l'inauguration et à la bénédiction de cette même Basilique, à peine construite, et exalter, dans Notre discours, une triple présence de Dieu : dans le nouveau temple qui s'ouvrait au culte, dans la Très Sainte Eucharistie que l'on vénérait solennellement, et dans l'âme embrasée d'amour de la généreuse Carmélite.

Cette année aussi, pour la consécration solennelle, Nous avons voulu à Notre tour être parmi vous en la présence très chère et très digne de Notre Légat, le Cardinal Archevêque de Paris. Mais les promoteurs de ces fêtes ont pensé qu'elles seraient plus belles encore, si Notre humble voix pouvait s'y faire entendre. Songeant également aux innombrables fidèles qui, malgré leur désir, ne peuvent y assister, Nous voudrions en quelques mots interpréter la ferveur et l'admiration de tous envers sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Si la Divine Providence a permis l'extraordinaire diffusion de son culte, n'est-ce pas parce qu'elle a transmis et transmet toujours au monde un message d'une étonnante pénétration spirituelle, un témoignage unique d'humilité, de confiance et d'amour ?

Message d'humilité d'abord ! Quelle étrange apparition au sein d'un monde imbu de lui-même, de ses découvertes scientifiques, de ses virtuosités techniques, que le rayonnement d'une jeune fille que ne distingue aucune action d'éclat, aucune oeuvre temporelle. Avec son dépouillement absolu des grandeurs terrestres, le renoncement à sa liberté et aux joies de la vie, le sacrifice combien douloureux des affections les plus tendres, elle se pose en vivante antithèse de tous les idéals du monde. Quand les peuples et les classes sociales se défient ou s'affrontent pour la prépondérance économique ou politique, Thérèse de l'Enfant-Jésus apparaît les mains vides : fortune, honneur, influence, efficacité temporelle, rien ne l'attire, rien ne la retient que Dieu seul et son Royaume. Mais en revanche le Seigneur l'a introduite dans sa maison, lui a confié ses secrets : il lui a révélé toutes ces choses qu'il cèle aux sages et aux puissants2. Et maintenant, après avoir vécu silencieuse et cachée, voici qu'elle parle, voici qu'elle s'adresse à toute l'humanité, aux riches et aux pauvres, aux grands et aux humbles. Elle leur dit avec le Christ : « Entrez par la porte étroite. Car large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui le prennent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent » 3.

La porte, étroite en vérité, mais accessible à tous, est celle de l'humilité. Thérèse de l'Enfant-Jésus, entrée par elle au paradis, se tient sur le seuil, les bras chargés de roses, et montre sa « petite voie d'enfance ». C'est l'Evangile même, le coeur de l'Evangile qu'elle a retrouvé, mais avec combien de charme, et de fraîcheur. « Si vous ne redevenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux » 4. Ne vous appuyez donc pas sur la force, l'argent, l'intelligence, et toutes les autres ressources humaines. Cherchez l'unique nécessaire. Acceptez le joug du Seigneur suave et léger ; reconnaissez son souverain domaine sur vos personnes, vos familles, vos associations, vos nations. Accueillez sa loi d'entraide fraternelle et vous connaîtrez la paix et la tranquillité. Renonçant aux appuis

Matth., 11, 25. Matth., 7, 13. Matth., 18, 3.

illusoires d'une civilisation toute matérielle, vous trouverez la vraie sécurité que Dieu donne à ceux qui n'adorent que Lui.

Mais si douce et souriante que soit la messagère, beaucoup trouveront cette humilité difficile à pratiquer. Les hommes d'aujourd'hui, souillés de tant de fautes, alourdis par leur égoïsme, peuvent-ils encore espérer se redresser, secouer leurs entraves morales et se mettre en marche vers Dieu ? Le Seigneur n'a-t-il pas horreur de tant de lâchetés et de divisions, de tant d'avarice et de sensualité ? Que Thérèse elle-même donne la réponse ! Qu'elle avoue avec une merveilleuse franchise combien elle a conscience de sa faiblesse et de son dénûment absoiu, elle, l'incomparable privilégiée, l'âme choisie pour des faveurs incompréhensibles. Une enfant incapable de se hisser sur une marche d'escalier, d'avancer de quelques pas sans trébucher, ainsi se voit-elle devant Dieu. Mais parce qu'elle est certaine de son impuissance totale, elle fixe sur Dieu un regard implorant. Fille d'un admirable chrétien, elle a compris, sur les genoux de son père, les trésors d'indulgence et de compassion que recèle le coeur du Seigneur. Aussi affirme-t-elle, sûre de traduire les dispositions du Père céleste : « Ce n'est pas parce que j'ai été préservée du péché mortel, que je m'élève à Dieu par la confiance et l'amour. Ah ! je le sens, quand même j'aurais sur la conscience tous les crimes qui se peuvent commettre, je ne perdrais rien de ma confiance ; j'irais, le coeur brisé de repentir, me jeter dans les bras de mon Sauveur,... car je sais à quoi m'en tenir sur son amour et sa miséricorde » 5. Formule qui résume admirablement la pensée de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : Dieu est un Père dont les bras sont constamment tendus vers ses enfants. Pourquoi ne pas répondre à son geste ? Pourquoi ne pas crier sans cesse vers Lui notre immense détresse ? Il faut se fier à la parole de Sainte Thérèse, quand elle invite, le plus misérable aussi bien que le plus parfait, à ne faire valoir devant Dieu que la faiblesse radicale et la pauvreté spirituelle d'une créature pécheresse.

Mais cette créature est destinée aussi à recevoir le plus éblouissant des dons du Ciel : l'amour divin. Dès sa plus tendre enfance, Thérèse se sent possédée de lui, livrée à toutes ses exigences, incapable de rien lui refuser. Petit à petit, se précisent les renoncements qu'il attend d'elle. Aucun sacrifice ne lui sera

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, Histoire d'une âme, chap. X, fin.

épargné : Dieu comme une flamme ardente la consumera tout entière jusqu'à l'ultime agonie, qui s'accomplira dans la foi pure, privée de toute consolation. Mais Sainte Thérèse sait qu'elle présente une offrande expiatoire pour les fautes du monde, qu'elle continue en sa chair et en son coeur lacérés le mystère de la Croix. Ne s'appelle-t-elle pas Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face ? Le manteau royal dont le Christ revêt son élue, c'est le manteau de pourpre de sa Passion rédemptrice. Car Thérèse sait qu'elle conquiert ainsi les âmes et qu'un jour ses « immenses désirs » se réaliseront en surabondance. « O mon Dieu, Trinité bienheureuse, s'écrie-t-elle, je désire vous aimer et vous faire aimer, travailler à la glorification de la Sainte Eglise, en sauvant les âmes » 6. A l'égal de François-Xavier, elle deviendra Patronne des Missions catholiques. Et l'hommage que le peuple chrétien unanime lui décerne encore en ce jour, témoigne de la fécondité universelle de son sacrifice.

O Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, modèle d'humilité, de confiance et d'amour, du haut des cieux, effeuillez sur les hommes ces roses que vous portez dans les bras : la rose de l'humilité, pour qu'ils abolissent leur orgueil ; celle de la confiance, pour qu'ils s'abandonnent à la volonté de Dieu et se reposent en sa miséricorde ; la rose de l'amour enfin, pour que, s'ouvrant sans mesure à la grâce, ils réalisent l'unique fin pour laquelle Dieu les a créés à son image : l'aimer et le faire aimer.

Nous ne voudrions pas terminer ce Message sans évoquer Celle dont le sourire apporta à Thérèse enfant la guérison miraculeuse et qui demeura le soleil de sa vie, la Très Sainte Vierge. Nous sommes heureux de voir se dérouler pendant l'Année Mariale la grandiose manifestation qui vous rassemble à Lisieux aujourd'hui et, confiant Nos voeux à la « petite fleur de Marie », Nous implorons sur vous, Vénérables Frères et chers fils, et sur le monde entier, l'effusion des grâces, que la miséricorde de Dieu a voulu confier aux mains très pures de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus.


LETTRE A M. CHARLES FLORY PRÉSIDENT DES SEMAINES SOCIALES DE FRANCE

(14 juillet 1954)1


La XXXXIe Session des Semaines Sociales se tenait à Rennes et avait pour thème : crise du pouvoir et crise du civisme. On y fêtait en même temps le cinquantième anniversaire de leur fondation.

En ouvrant à Rennes la prochaine Session des Semaines Sociales de France, vous n'évoquerez pas sans émotion ni reconnaissance la première de ces assemblées appelées à un si large retentissement, qui, il y a un demi-siècle, réunissait déjà quelques centaines d'auditeurs dans la grande cité lyonnaise, toujours féconde en initiatives charitables et sociales. Et Nous voulons Nous-même vous dire tout d'abord Notre joie de ce jubilé d'or et vous adresser de grand coeur en cette circonstance Nos paternelles félicitations.

Lorsqu'en 1904 naissaient les Semaines Sociales sous l'impulsion d'un Marius Gonin, d'un Adéodat Boissard et de quelques autres grands chrétiens nourris des enseignements de Léon XIII, une double intention, doctrinale et apostolique, animait ces généreux pionniers. D'une part, déclarait Henri Lorin, leur premier Président, ils voulaient prendre pour eux-mêmes « la conscience nette de ce que requiert et de ce qu'entraîne le catholicisme au point de vue des relations humaines »; et, tournés d'autre part vers le monde du commerce et de l'industrie, ils entendaient « rechercher, à l'endroit des rapports sociaux, les exigences de la réalité totale, de celle, disait-il, qu'une foi pleine nous révèle, comme de celle qu'une observation scrupuleuse nous fournit » 2.








Ibid., Acte d'offrande comme victime d'holocauste, début.



Les Semaines Sociales sont toujours demeurées fidèles à ce programme, dans un esprit de filiale docilité au Magistère de l'Eglise. Par la compétence de collaborateurs de choix, groupés, après la mort d'Henri Lorin, autour d'Eugène Duthoit, puis de vous-même, par la valeur intellectuelle de ses enseignements recueillis en une précieuse collection, en raison aussi de la prudence de ses conclusions, qui projettent sur le sujet traité une lumière chrétienne sans préjuger des justes libertés d'action, votre « Université itinérante » s'est peu à peu imposée à l'attention des juristes, des sociologues, des économistes, pour faire pénétrer le ferment de la doctrine catholique jusque dans les institutions. Elle a su, dans le même temps, gagner la confiance de larges auditoires, où se mêlent, chaque année, prêtres et laïcs, hommes d'études et hommes d'action. Son rayonnement au surplus a depuis longtemps franchi les frontières de votre patrie et, si les Sessions attirent des participants étrangers toujours plus nombreux il faut surtout se réjouir de ce que les Semaines Sociales deviennent en plusieurs pays une institution reconnue, à laquelle l'épiscopat et le Saint-Siège lui-même attachent un juste prix.

Tâche magnifique, menée avec persévérance malgré l'ébranlement profond des deux guerres mondiales qui interrompirent quelque temps vos travaux. Maintes fois Nos prédécesseurs et Nous-même avons béni votre entreprise. Mais en cette année jubilaire, Nous aimons vous dire Notre gratitude et le voeu que Nous formons de voir les Semaines Sociales de France poursuivre avec succès une oeuvre qui s'avère plus utile que jamais. Tant de menaces pèsent encore sur la Société, tant d'erreurs s'efforcent d'en saper les fondements, tant de mirages séduisent les meilleurs ! Aujourd'hui comme hier, les Semaines Sociales fermes dans la doctrine, courageuses dans la recherche, fraternelles dans la collaboration de tous, doivent être pour les catholiques et leurs divers mouvements un carrefour vivant où, à la lumière d'exposés substantiels se confrontent les expériences, se forgent les convictions et se mûrissent les initiatives d'action.

Telle sera, en particulier, Nous aimons à le penser, la présente Session de Rennes. Sous l'égide prudente et éclairée du Cardinal Archevêque de cette catholique cité bretonne, qui accueillait déjà vos devanciers, il y a trente ans, vous désirez célébrer ce Cinquantenaire dans le travail ; et le seul titre « Crise du Pouvoir, Crise du Civisme » prouve que vous n'avez pas craint de traiter une grave et difficile question, dont tous les observateurs s'accordent à reconnaître le caractère d'actualité.

Il y a une doctrine chrétienne concernant le pouvoir civil.

En abordant ce sujet, rendu plus complexe encore par le jeu des passions partisanes et des intérêts particuliers, les maîtres de la Semaine Sociale auront à coeur d'affermir leur pensée sur les principes chrétiens concernant le Pouvoir civil, si souvent réaffirmés par les Pontifes romains, surtout depuis Léon XIII. Quiconque, en effet, n'en possède pas une claire notion, risquerait de se laisser abuser par une présentation toute spécieuse des problèmes nouveaux posés à l'Etat moderne.

L'Etat est une institution de droit naturel.

La mission de l'Etat, rappelions-Nous au début de Notre Pontificat, est « de contrôler, aider et régler les activités privées et individuelles de la vie nationale, pour les faire converger harmonieusement vers le bien commun ; or celui-ci ne peut être déterminé par des conceptions arbitraires, ni trouver sa loi primordiale dans la prospérité matérielle de la société, mais il la trouve bien plutôt dans le développement harmonieux et dans la perfection naturelle de l'homme, à quoi le Créateur a destiné la société en tant que moyen » 3. En un mot, la vraie notion de l'Etat est celle d'un organisme fondé sur l'ordre moral du monde ; et la première tâche d'un enseignement catholique est de dissiper les erreurs, — celle en particulier du positivisme juridique, — qui, en dégageant le Pouvoir de son essentielle dépendance à l'égard de Dieu, tendent à briser le lien éminemment moral qui l'attache à la vie individuelle et sociale.

3 Encyclique Summi Pontificatus, A. A. S., 31, 1939, p. 433.

4 Cf. A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 15 ; Documents Pontificaux 1933, p. 656.




Seul d'ailleurs cet ordre souverain peut fonder 1' « autorité véritable et effective » de l'Etat, dont Nous redisions l'impérieuse nécessité en Notre dernier Radiomessage de Noël4. Sur cette base commune, la personne, l'Etat, l'autorité publique, avec leurs droits et leurs devoirs respectifs, sont indissolublement liés : « la dignité de l'homme est la dignité de l'image de Dieu ; celle de l'Etat est la dignité de la communauté moraie voulue par Dieu ; celle de l'autorité politique est la dignité de sa participation à l'autorité de Dieu » 5. En vertu de cette intime connexion, l'Etat ne saurait donc violer les justes libertés de la personne humaine sans ébranler sa propre autorité et inversement c'est, pour l'individu, ruiner sa propre dignité que d'abuser de sa liberté personnelle au mépris de sa responsabilité vis-à-vis du bien général.

Les citoyens doivent être soumis aux règles morales.

Si donc on déplore une crise civique, que l'on s'interroge d'abord sur la fidélité des uns et des autres à ces exigences essentielles de la morale politique. Quand bien même certaines circonstances rendraient de nos jours plus difficile l'exercice du Pouvoir, qu'on ne craigne pas de dénoncer cette carence spirituelle et morale. Dans une large mesure, une crise du Pouvoir est une crise de civisme, c'est-à-dire en fin de compte une crise de l'homme.

N'est-ce pas d'ailleurs ce que confirme l'expérience quotidienne ?

S'il est vrai que, dans un Etat démocratique, la vie civique impose de hautes exigences à la maturité morale de chaque citoyen, il ne faut pas craindre de reconnaître que beaucoup d'entre eux, même parmi ceux qui se disent chrétiens, ont leur part de responsabilité dans le désarroi actuel de la société. Les faits sont là, qui exigent un redressement certain. C'est, pour ne citer que les plus notoires, le désintéressement des affaires publiques, se traduisant entre autre par l'abstention électorale aux conséquences si graves ; c'est la fraude fiscale, qui se répercute sur la vie morale, l'équilibre social et l'économie du pays ; c'est la critique stérile de l'autorité et la défense égoïste des privilèges au mépris de l'intérêt général.

Dans la réaction nécessaire contre cet état de choses, le catholique doit donner l'exemple. Car « loin d'y avoir la moindre incompatibilité entre la fidélité à l'Eglise et le dévouement aux intérêts et au bien-être du peuple et de l'Etat, les deux ordres de devoirs, que le vrai chrétien doit toujours avoir présents à l'esprit sont intimement unis dans la plus parfaite harmonie »6. N'est-ce pas le Prince des Apôtres qui enseignait

5 Radiomessage Noël 1944, A. A. S., 37, 1945, p. 15.

« Radiomessage Noël 1950, A. A. S., 1951, p. 55 ; Documents Pontificaux lç;o, p. 615.

déjà : « Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur... car telle est la volonté de Dieu » 7 ?

Mais d'individuel, l'incivisme devient vite collectif. Et la constitution de groupes d'intérêts, puissants et actifs, est peut-être l'aspect le plus grave de la crise que vous analysez. Qu'il s'agisse de syndicats patronaux ou ouvriers, de trusts économiques, de groupements professionnels ou sociaux — dont certains mêmes sont au service direct de l'Etat, — ces organisations ont acquis une puissance qui leur permet de peser sur le gouvernement et la vie de la nation. Aux prises avec ces forces collectives, souvent anonymes, et qui parfois, à un titre ou à un autre, débordent les frontières du pays, comme aussi bien les limites de leur compétence, l'Etat démocratique issu des normes libérales du XIXe siècle parvient difficilement à maîtriser des tâches chaque jour plus vastes et plus complexes.

Entre le citoyen et l'Etat, il faut constituer des corps intermédiaires.

Sans doute l'enseignement de l'Eglise recommande-t-il l'existence, au sein de la nation, de ces corps intermédiaires qui coordonnent les intérêts professionnels et facilitent à l'Etat la gestion des affaires du pays. Et toutefois, « oseraient-elles se flatter de servir la cause de la paix intérieure, ces organisations qui, pour la défense des intérêts de leurs membres, ne recourraient plus aux règles du droit et du bien commun, mais s'appuieraient sur la force du nombre organisé et sur la faiblesse d'autrui » 8 ? Le même sens chrétien de désintéressement dans le service, de respect des devoirs de justice et de charité, ici encore est requis. Et, si les responsables de ces organismes ne savent pas élargir leurs horizons aux perspectives de la nation, s'ils ne savent pas sacrifier leur prestige et, éventuellement, leur avantage immédiat à la loyale reconnaissance de ce qui est juste, ils entretiennent dans le pays un état de tension nuisible, ils paralysent l'exercice du Pouvoir politique et compromettent finalement la liberté de ceux mêmes qu'ils prétendent servir.

Aussi bien est-ce pour protéger la liberté du citoyen, en même temps que pour servir le bien commun par l'active

7 I Petr., 2, 13-15.

8 Radiomessage Noël 1950, loc. cit.

coopération de toutes les forces vives de la nation, que les pouvoirs publics doivent exercer leur activité avec fermeté et indépendance. Ils le feront avec une claire vision de leur mission et de ses limites ; ils le feront « avec cette conscience de leur propre responsabilité, cette objectivité, cette impartialité, cette loyauté, avec cette générosité et cette incorruptibilité, sans lesquelles un Gouvernement démocratique, disions-Nous naguère, réussirait difficilement à obtenir le respect, la confiance et l'adhésion de la meilleure partie du peuple » ".

Les gouvernants eux aussi ont des obligations morales.

La fidélité des gouvernants à cet idéal sera au surplus leur meilleure sauvegarde contre la double tentation qui les guette devant l'ampleur croissante de leur tâche : tentation de faiblesse, qui les ferait abdiquer sous la pression conjuguée des hommes et des événements, tentation inverse d'étatisme, par laquelle les Pouvoirs publics se substitueraient indûment aux libres initiatives privées pour réagir de façon immédiate sur l'économie sociale et les autres branches de l'activité humaine. Or, si l'on ne peut aujourd'hui dénier à l'Etat un droit que lui refusait le libéralisme, il n'en reste pas moins vrai que sa tâche n'est pas, en principe, d'assumer directement les fonctions économiques, culturelles et sociales qui relèvent d'autres compétences ; elle est bien plutôt d'assurer la réelle indépendance de son autorité, en sorte de pouvoir accorder à tout ce qui représente une puissance effective et valable dans le pays une juste part de responsabilité, sans péril pour sa propre mission de coordonner et d'orienter tous les efforts vers une fin commune supérieure. Et si même, pour réaliser une meilleure intégration de certains corps intermédiaires dans la communauté nationale, il pouvait parfois s'avérer opportun de les appeler à une collaboration plus étroite et plus organique avec les Pouvoirs publics, cette question serait susceptible de faire l'objet de nouvelles et prudentes recherches.

En politique, il faut affermir la primauté de la morale.

Et pourtant, Nous aimons le redire en terminant, que la réflexion sur les institutions et la recherche de remèdes au niveau des structures politiques ne fasse jamais perdre de vue les racines morales de toute crise du civisme. Trop longtemps, le sens juridique fut vicié par la pratique d'un utilitarisme partisan au service des intérêts particuliers d'individus, de classes, de groupes ou de mouvements. Il faut que l'ordre juridique se sente de nouveau lié à l'ordre moral. Et plaise à Dieu que celui qui commande, comme celui qui se soumet, n'aient désormais devant les yeux que l'obéissance aux lois éternelles de la vérité et de la justice.

Les maîtres de la Semaine Sociale de Rennes ne mettront pas en relief ces graves exigences du devoir civique, sans souligner en même temps la force surnaturelle qu'il faut recevoir de Dieu pour y demeurer fidèle. Hommes de gouvernement aux prises avec de lourdes responsabilités, organisations privées chargées de vastes intérêts collectifs, simples citoyens justement soucieux de servir le bien général : c'est à tous que s'adresse l'avertissement du Psalmiste : « Si le Seigneur n'édifie pas la maison, en vain travaillent les bâtisseurs ; si le Seigneur ne garde pas la cité, en vain veille la sentinelle » 10. Aussi est-ce de grand coeur que Nous appelons à ces intentions sur Nos Chers Fils de France et, en premier lieu, sur les auditeurs de la Semaine Sociale de Rennes, leurs maîtres et leur si dévoué Président, une particulière abondance de grâces, en gage desquelles Nous vous accordons, en cette année jubilaire, Notre très paternelle Bénédiction apostolique.





Ps. cxxvi, I.




LETTRE A MUINTIR NA TIRE

(15 juillet 1954) 1

L'abbé John M. Rayer, fondateur de ce mouvement agricole irlandais — dénommé « Les Hommes de la Terre » — reçut la lettre suivante à l'occasion du Congrès de cette association tenu à Wexford, du 8 au 15 août 1.934.

Nous avons appris avec satisfaction l'oeuvre louable accomplie par l'organisation « Muintir na Tire » que votre zèle apostolique vous incita à fonder voici dix-sept ans.

Tout effort pour mettre l'enseignement social chrétien en application mérite l'éloge et l'encouragement, non seulement parce que les fils de la lumière — comme l'indiqua Notre Prédécesseur Pie XI d'heureuse mémoire 2 — ne doivent pas se laisser dépasser en zèle par les fils des ténèbres, mais aussi à cause des bienfaits très certains que retire la communauté de l'application de la doctrine sociale de l'Eglise.

L'organisation dont vous êtes le président considère la paroisse comme l'unité de base de l'ordre chrétien et Nous avons constaté avec satisfaction que c'est là le sujet choisi pour être discuté à votre prochaine Semaine Rurale. Afin de promouvoir la pratique de la justice et de la charité dans l'entourage immédiat de chacun, « Muintir na Tire » encourage un esprit de bon voisinage et de confiance mutuelle et stimule les individus à se dévouer pour le bien de la communauté même au prix d'un sacrifice personnel.

En Nous adressant, voici quelques années, à un groupe d'agriculteurs, Nous faisions allusion à cette nécessité de coopération amicale et d'« aide mutuelle, non seulement dans le cercle de la famille de chacun, mais aussi d'une famille à l'autre, d'une maison à l'autre » 3 ; et Nous insistions sur le fait que l'élément le plus important et le plus essentiel d'une civilisation rurale authentique est un véritable esprit religieux 4.

Comme le fit observer Notre Prédécesseur de sainte mémoire Pie X, que Nous avons eu récemment le privilège de proclamer Saint, la restauration de toutes choses dans le Christ amène « à prendre à coeur les intérêts du peuple et spécialement des classes ouvrière et paysanne, non seulement en inculquant les principes de la religion dans les coeurs de tous... mais aussi en s'ef-forçant de sécher leurs larmes, d'adoucir leurs peines et d'améliorer leurs conditions économiques avec des mesures bien appropriées » 5.

Fidèle à cet avertissement, « Muintir na Tire » soutient des projets de caractère économique, éducatif et récréatif. Outre d'autres avantages, ceux-ci aident à rendre la vie à la campagne plus intéressante et attrayante et servent ainsi à freiner l'exode actuel de la jeunesse des zones rurales vers les villes et les centres, dans le pays même et à l'étranger, avec toutes ses conséquences spirituelles et ses dangers moraux.

En plus d'une occasion, Nous avons souligné la haute dignité et le privilège de ceux qui vivent et travaillent à la campagne. Nous invoquons les bénédictions spéciales de Dieu Tout-Puissant sur l'oeuvre de « Muintir na Tire » en faveur de la population de l'Irlande rurale et Nous prions pour que ses efforts méritoires dans la réalisation de ses nobles idéaux puissent être couronnés par un succès sans cesse croissant.

Comme gage de la faveur divine et comme témoignage de Notre paternel intérêt, Nous donnons de tout coeur, à vous, cher fils, aux membres de l'Exécutif national de « Muintir na Tire », aux participants de la Semaine Rurale et à tous ceux qui collaborent à l'oeuvre de l'organisation, Notre Bénédiction apostolique.





1 D'après le texte anglais des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 488.

2 Encyclique Quadragesimo Anno, A. A. S. XXII, 1931, p. 227.

Allocution aux Cultivateurs Italiens, 15 novembre 1946. Ibid.

Lettre Encyclique II Fermo Proposito.



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ALLOCUTION AUX ENFANTS DE MARIE IMMACULÉE

(17 juillet 1954) 1


Pie XII reçut ce jour en audience quelques milliers de jeunes filles, réunies dans la Basilique de Saint-Pierre, à l'occasion d'un Congrès International des Enfants de Marie Immaculée.

Dans l'Encyclique Fulgens Corona 2 par laquelle Nous avons proclamé l'Année mariale actuellement en cours, Nous demandions à tous les fidèles que cette année fût marquée par une étude plus attentive des prérogatives de Marie en vue de mieux l'imiter et de la prier davantage. Nous les invitions aussi à prendre part aux fêtes, congrès ou pèlerinages, organisés en l'honneur de la Mère de Dieu. Or vous avez, chères Enfants, réalisé à la lettre Nos désirs, avec une docilité et un empressement qui réjouissent Notre coeur et Nous font augurer les meilleurs fruits pour votre Association internationale, pour vos différents groupes et pour chacune d'entre vous.

» D'après le texte français des A. A. S., XXXXVI, 1954, p ,gI
2 Documents Pontificaux i9;3, p. 37I. '




Qui d'ailleurs était mieux préparé à comprendre pleinement le sens profond de ces manifestations ? N'êtes-vous pas à titre spécial les enfants de l'Immaculée, par votre consécration individuelle mûrement réfléchie, souvent renouvelée et loyalement pratiquée? Cette année doit donc marquer une grande date dans votre histoire. Il y a sept ans, la canonisation de sainte Catherine Labouré coïncidait providentiellement avec le centenaire de votre Association, et de même que la naissance de celle-ci a préludé à la définition du dogme de l'Immaculée Conception, en enflammant d'une intense dévotion les âmes ravies de ce grand privilège mariai, ainsi le pèlerinage qui s'achève aujourd'hui à Rome doit, Nous le souhaitons vivement, stimuler l'ardeur de votre piété et l'élan généreux de vos activités apostoliques. Nous savons que c'est la préoccupation de vos directeurs et des animatrices de vos groupes, et Nous pensons que par leur intermédiaire comme jadis par la voix de sa fidèle servante, Catherine Labouré, Marie veut aujourd'hui renouveler son invitation aux âmes ferventes et faire converger leurs regards et leurs coeurs vers ses mains de grâce, dont ne cessent de jaillir des rayons de lumière : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ».

Puissiez-vous, chères enfants de Marie Immaculée, mettre dans cette invocation, diffusée à travers l'univers chrétien par la médaille miraculeuse, toute l'admiration et toute la confiance que mérite votre céleste patronne. Marie, à vrai dire, est la mère de tous les chrétiens ; mais l'origine surnaturelle de votre Association, l'application que vous avez mise à pénétrer la grandeur de ses privilèges, l'amour avec lequel vous vous êtes consacrées à Elle, sont autant de liens qui vous unissent à l'Immaculée d'une façon particulière. Entretenez donc à son égard la plus vive admiration ! Ne craignez jamais d'exalter trop celle qui resplendira dans l'éternité comme le chef-d'oeuvre de Dieu, la plus merveilleuse des créatures, le miroir le plus éclatant des perfections divines. C'est pour devenir la Mère de Dieu qu'elle a reçu de son divin Fils tous les dons de la nature et de la grâce. Voilà pourquoi le culte de la Vierge, si du moins on le comprend bien, loin de rien ôter à la gloire de Dieu, remonte immédiatement à Lui, l'Auteur de tout bien, qui l'a voulue si grande et si pure.

Ayez grande confiance dans l'intercession de la Très Sainte Vierge et demandez-lui instamment de vous aider à tenir vos promesses. Vous ne pourriez en effet y rester fidèles sans un secours spécial, car de toutes parts, le monde invite au laisser-aller, à la facilité et souvent même au péché ; tandis que vous cherchez loyalement à faire le bien, il pénètre en vous par ses images, sa publicité, ses spectacles, il impose à votre esprit ses maximes, à votre goût sa mode, et vous n'échapperiez pas seules à ses embûches et ses déformations. Voilà pourquoi votre Association constitue une aide providentielle, en vous éclairant et en vous soutenant dans le combat spirituel qui se livre nécessairement entre le monde et vous.



Vous avez d'abord besoin d'une formation chrétienne sérieuse. L'éducation du catéchisme reçue à l'âge de dix ou douze ans, si soignée qu'on l'imagine, ne saurait suffire pour toute la vie. A mesure que vous grandissez, vous rencontrez de nouvelles difficultés et de nouveaux problèmes qui appellent des éclaircissements et les conseils de ceux qui vous parlent au nom de l'Eglise. Vous aurez aussi à coeur de lire la revue de votre Association, qui s'adressant à un nombre important d'adhérentes, et basée sur une large information, répond aux questions que se pose toute Enfant de Marie.

Etudiez personnellement la doctrine chrétienne dans les ouvrages que l'on vous indiquera ; méditez les grands mystères qui nourrissent la piété ; lisez les Evangiles, où vit à jamais le Divin Maître dans ses paroles de vérité, dans ses gestes de miséricorde, dans la sublime simplicité de son Coeur doux et humble. Aimez à prendre contact avec la vie des saints, ces héros du christianisme, si humains et si courageux, et recherchez-y tout ce qui peut alimenter, approfondir et fortifier votre foi.

Vous vivez en effet dans un monde constamment oublieux de Dieu et de l'au-delà, où la seule préoccupation de la foule semble être la satisfaction des besoins temporels, le bien-être, le plaisir, la vanité. Pour garder votre liberté en face d'appels, souvent intéressés, qui s'adressent de toutes parts à vos sens, à votre curiosité, qui sollicitent votre attention, votre temps, votre argent, parfois même votre coeur, il faut édifier au dedans de vous une forteresse spirituelle, où, dans le recueillement et le silence, vous continuiez à écouter respectueusement la voix de Dieu ; en un mot, ayez une vie intérieure nourrie d'une foi solide et éclairée.

Cette raison suffirait déjà pour vous inciter à vous unir et à étudier ensemble l'enseignement de l'Eglise ; mais il en est d'autres, non moins importantes. Dans votre Association vous trouverez non seulement la lumière, mais aussi la force. De vous sentir nombreuses et pleinement d'accord sur l'idéal de votre vie chrétienne, n'est-ce pas un puissant soutien dans l'action quotidienne ? Car il ne suffit pas de savoir ; il faut agir en conséquence, il faut se compromettre et vaincre le respect humain. L'attitude nette qu'une jeune fille isolée n'osera guère adopter, plusieurs, qui auront réfléchi et prié ensemble, la prendront sans crainte. Il est inutile de donner ici beaucoup de précisions ; les points sur lesquels la morale chrétienne demande l'effort généreux et la réaction décidée de la jeunesse, vous les connaissez bien : ce sont la tenue d'abord, puis les conversations, les lectures, les spectacles, les relations. Oh ! combien de jeunes filles ne croient pas commettre de faute, en suivant docilement certaines modes éhontées. Elles rougiraient certes, si elles devinaient l'impression et les sentiments de ceux qui les regardent. Que ne voient-elles le tort causé par l'excès de certains exercices de gymnastique et de sport, qui ne conviennent pas à des jeunes filles vertueuses ? Que de péchés commis ou provoqués par des conversations trop libres, par des spectacles immodestes, par des lectures dangereuses. Oh ! que les consciences sont devenues lâches et les moeurs païennes !

La plupart d'entre vous, chères enfants de Marie Immaculée, se destinent au mariage. Puissiez-vous dans vos réunions, sous la conduite prudente de guides expérimentés, comprendre à la lumière de vos responsabilités prochaines quelle doit être votre conduite aujourd'hui et comment on se prépare clignement à la haute mission de mère de famille. Comment répondrez-vous devant Dieu de l'âme de vos enfants, si vous ne savez pas vous imposer à vous-mêmes dès maintenant la retenue, la maîtrise de soi, sans lesquelles il devient impossible d'observer les commandements de Dieu et de remplir les devoirs de l'éducateur ?

Et si la grâce divine vous invitait à la vie parfaite, craignez de rester sourdes à son appel et de vous rendre indignes d'un si grand don par des négligences et des complaisances coupables.

Quel que soit d'ailleurs le genre de vie que Dieu vous réserve, comportez-vous dès maintenant avec l'aide de la Très Sainte Vierge selon la noblesse contractée au baptême. Car la filiation divine, qui donne à l'homme non seulement le nom, mais aussi la qualité d'enfants de Dieu, Marie, notre Mère, nous en fera comprendre et aimer les obligations. Jésus lui-même du haut de sa croix voulut ratifier par un don symbolique et efficace la maternité spirituelle de Marie à l'égard des hommes, quand il prononça les paroles mémorables : « Femme, voici ton fils». En la personne du disciple bien-aimé il confiait ainsi toute la chrétienté à la Très Sainte Vierge. Le « Fiat » de l'Incarnation, sa collaboration à l'oeuvre de son Fils, l'intensité des souffrances endurées pendant la Passion, et cette mort de l'âme qu'elle éprouva au Calvaire, avaient ouvert le coeur de Marie à l'amour universel de l'humanité et la décision de son divin Fils imprima le sceau de la toute-puissance à sa maternité de grâce. Désormais

l'immense pouvoir d'intercession, que lui confère auprès de Jésus son titre de Mère, elle le consacre tout entier à sauver ceux que Jésus lui désigne du haut du ciel, en lui disant encore : « Femme voici tes enfants ».

Demandez, chères Enfants, à la Vierge Immaculée, de vous obtenir un esprit filial vis-à-vis de Dieu. Qu'elle vous enseigne à prier, comme elle le fit dans son Magnificat, le regard tourné vers le Tout-Puissant avec joie et reconnaissance ; qu'elle vous enseigne la docilité, comme elle le fit à Cana, quand elle suggéra aux serviteurs de faire tout ce que leur dirait son divin Fils ; qu'elle vous obtienne enfin une immense charité fraternelle et apostolique, comme elle le fit par sa prière au milieu des premiers chrétiens réunis au Cénacle.

Tandis que Nous formulons ces souhaits, Nous vous assurons encore de toute l'affection de Notre coeur paternel, et Nous vous donnons, en gage des abondantes faveurs du ciel, pour vous-mêmes, vos familles, tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.





LETTRE


A L'OCCASION DU XVIe CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE SAINT AUGUSTIN

(25 juillet 1954)1


Saint Augustin est né le 13 novembre 354 ; pour commémorer ce centenaire, le Pape écrivit aux Supérieurs des Ordres religieux disciples de saint Augustin 2 la lettre que voici :

Bien que l'Eglise, ainsi que le fait déjà remarquer saint Augustin3 n'ait pas coutume de célébrer la naissance à la vie mortelle des saints du ciel, — sauf celle de la Très Bienheureuse Mère de Jésus et celle de son Précurseur, — la sainteté sublime de l'évêque d'Hippone et l'éclat de sa science humaine et divine sont tels que le seizième centenaire de sa naissance ne saurait aucunement être passé sous silence. De la louable décision que vous avez prise de commémorer cet événement par de dignes cérémonies, Nous souhaitons et espérons



















deux fruits principaux : que la doctrine de saint Augustin qui non seulement dénonça, réfuta et détruisit par son puissant génie et la vigueur de ses raisonnements, toutes les erreurs de son temps, mais encore fournit d'excellents instruments propres à combattre aussi les sophismes de notre époque, soit mieux mise en pleine lumière, et que son éminen-te vertu ainsi que son zèle apostolique si ardent servent d'exemples à tous, particulièrement à ceux qui en vertu de leurs voeux religieux se proclament ses fils spirituels.

Une fois que, grâce aux larmes et aux prières de sa très pieuse mère, il eut été ramené à l'intégrité et à l'unité de la religion catholique, conseillé par saint Ambroise, et attiré et guidé par la grâce divine, il marcha d'un pas rapide dans le chemin de la perfection évangélique et fit de tels progrès dans toutes les disciplines qu'il conquit l'estime et la vénération de tous. Les Pontifes romains lui décernèrent les plus hautes louanges, les Conciles de l'Eglise, aussi bien dans le lointain passé que dans les temps plus récents, empruntèrent plus d'une fois ses propres paroles pour établir et définir les dogmes de la religion catholique ; les Pères et les docteurs de l'Eglise recoururent très souvent à ses écrits pour protéger contre l'erreur la vérité chrétienne, empruntant à ses ouvrages les arguments les plus solides et les plus riches de sagesse. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, voici en quels termes saint Jérôme l'interpelle : « Tu es célèbre dans le monde entier ; les catholiques te vénèrent et te proclament comme le restaurateur de l'antique foi, et, titre de gloire encore plus grand, tous les hérétiques te détestent. » 4 De nos jours, Notre Prédécesseur de pieuse mémoire Léon XIII, parlant des Pères qui illustrèrent l'Eglise par leur doctrine, s'exprime ainsi : « La palme semble appartenir entre tous à saint Augustin, ce puissant génie qui, pénétré à fond de toutes les sciences divines et humaines, armé d'une foi souveraine, d'une doctrine non moins grande, combattit toutes les erreurs de son temps. Quel point de la philosophie n'a-t-il pas touché, n'a-t-il pas approfondi, en découvrant aux fidèles les plus hauts mystères de la foi, tout en les défendant contre les assauts furieux de ses adversaires... Avec quelle élévation, quelle profondeur n'a-t-il pas traité des anges, de l'âme, de l'esprit humain, de la volonté et

* Cf. Epist. CXCV, Migne, P. L„ XXXIII, 891.

du libre arbitre, de la religion et de la vie bienheureuse, du temps et de l'éternité, et jusque de la nature des corps sujets aux changements ?» 5

Quant à Notre Prédécesseur immédiat d'immortelle mémoire Pie XI, à l'occasion du XVe centenaire de la mort de I'évê-que d'Hippone, il célèbre dans une Encyclique la science, les actions et les mérites éminents de saint Augustin : « La puissance de son génie pénétrant, l'abondance et la profondeur de sa science, la sublimité de sa sainteté, la lutte invincible qu'il entreprit pour défendre la vérité catholique, font qu'il ne se trouve pour ainsi dire pas d'hommes, ou bien peu en tout cas, à qui on puisse le comparer depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours 6 ».

S'il est très utile à tous de méditer la vie de saint Augustin et de lire avec attention ses remarquables écrits, Nous pensons qu'ils sont particulièrement profitables à ceux qui sont encore retenus par les chaînes du péché et qui désirent très vivement s'en libérer. Il y a lieu, semble-t-il, de leur rappeler ce qu'il écrivait déjà au peuple confié à ses soins : « Il en est ainsi, frères, aussi longtemps que nous vivons ; il en est ainsi même pour nous qui vieillissons dans les rangs de cette milice ; nous avons moins d'ennemis assurément, mais nous en avons. Bien dure est la lutte que soutiennent les jeunes gens ; nous en savons quelque chose, nous qui l'avons affrontée. Aussi longtemps en effet, que vous portez ce corps mortel, le péché combat contre vous ; mais qu'il ne règne pas, c'est-à-dire que l'on ne soit pas soumis à ses désirs. Si l'on commence à lui obéir, il règne. Or, qu'est-ce qu'obéir sinon livrer nos membres au péché tels des instruments de corruption ? . . . Ne livre pas tes membres au péché telles des armes de corruption7 ».

Quant à ceux qui, séduits jadis par les attraits du péché étaient comme entravés par des chaînes, ils peuvent, s'ils ont réussi à s'en délivrer, supplier Dieu en répétant ces magnifiques paroles de saint Augustin : « Vous m'étiez constamment présent par votre miséricordieuse sévérité, accompagnant des plus amers dégoûts tous mes plaisirs illicites, pour me faire rechercher des joies sans amertume ; et où pouvais-je en trouver, sinon en Vous, Seigneur ?» 8 Et aussi cette phrase bien connue : « Vous nous avez faits pour vous et notre coeur est inquiet tant qu'il ne se repose pas en vous. » 9

La méditation des écrits de l'évêque d'Hippone n'est pas moins utile à ceux qui, égarés dans les sentiers de l'erreur, s'écartent de la doctrine catholique, mais cependant ont faim et soif de la vérité. Voici en quels termes très affectueux saint Augustin les console : « Ceux-là s'emportent contre vous qui ignorent quelle peine il faut se donner pour trouver la vérité et combien il est difficile de se garder de l'erreur.. . Quant à moi qui ai connu tant de troubles et de si violents, qui ai pu enfin distinguer ce qu'était cette sincérité qui n'a pas besoin de vains développements pour être découverte .. ., moi enfin qui ai recherché curieusement, écouté attentivement et admis toutes les fictions qui vous enchaînent et vous embarrassent dans des habitudes invétérées..., moi, dis-je, je ne saurais m'irri-ter contre vous. » 10 Et c'est avec une bienveillance et une charité extrêmes qu'il les invite à tourner leur âme confiante vers Celui qui, seul, peut apporter la lumière aux esprits, et à rechercher auprès de Lui la vérité, en le suppliant humblement : « Viens au Christ, leur dit-il, il est ta fin ; il est ton chemin. » 11 « Quiconque s'écarte de son principe et se détourne de son Créateur, tel le fleuve aboutissant à la mer finit par se perdre dans la malice saturée d'amertume de ce siècle. » 12 Ailleurs, prenant en considération ceux qui, séduits par le vain éclat de quelque docteur vide, n'ajoutent foi qu'aux paroles de la science humaine et ne cherchent pas autre chose, il déclare à leur sujet : « Malheureux celui qui connaît tout cela, mais vous ignore, vous, mon Seigneur et mon Dieu ; heureux, par contre, qui vous connaît, même s'il ignore ces choses. Quant à celui qui vous connaît vous et les autres choses ce n'est pas la connaissance de ces dernières qui le rend heureux, mais vous seul, si, vous connaissant, il vous glorifie comme Dieu et vous rend grâces, sans se perdre dans ses propres pensées. » 13

Ces écrits et d'autres encore de l'évêque d'Hippone, ceux-là surtout qui concernent l'universalité ou « catholicité » de l'Eglise, firent l'objet de la lecture de H. Newman, cet illustre et opiniâtre chercheur de la vérité 14 ; il en fut si ébranlé que, rejetant toute idée préconçue, il gagna librement et résolument, avec le coeur noble et sincère qui était le sien, le seul bercail de Jésus-Christ.

Si saint Augustin fut un excellent maître et conseiller pour les égarés, et aussi pour ceux qui sont rivés au péché, il faut cependant reconnaître que pour ceux qui, comme vous, tendent ardemment à la perfection de la vie évangélique, l'évêque d'Hippone s'offre d'une manière toute particulière comme un exemple à imiter. En effet, dès après avoir quitté les sentiers de l'erreur et du péché pour s'engager dans le chemin de la vérité et de la vertu, il fit, ainsi que Nous l'avons dit, de si rapides progrès qu'il parvint au sommet de la sainteté et ne désira rien tant que d'aimer Dieu et d'être étroitement uni à Lui. Il affirmait, en effet, que les conseils suivants s'adressaient pour ainsi dire à lui-même : « Tu n'as pas été appelé pour t'attacher à la terre, mais pour gagner le ciel ; tu as été appelé, non pour le bonheur terrestre, mais la félicité céleste ; non pour les succès temporels, mais pour la vie éternelle avec les anges. » 15 Et il trouve encore des termes magnifiques pour donner cet avertissement : « Si l'homme veut être quelque chose qu'il se tourne vers Celui qui l'a créé. S'il s'en éloigne, il se refroidit ; s'il s'en rapproche, il devient brûlant ; s'il s'en éloigne, il s'enfonce dans les ténèbres ; s'il s'en rapproche, il s'entoure de lumière. Car Celui qui lui a donné de vivre est aussi Celui auprès duquel il fait bon vivre. » 16

Salutaires pour tous, ces avis le sont surtout pour ceux qui, en raison du genre de vie qu'ils ont choisi, doivent s'unir chaque jour plus étroitement à Jésus-Christ par l'amour, la piété et l'action ; et, en outre, fortifiés et poussés par cette amitié divine et par la grâce, doivent attirer à lui, dans la mesure de leurs responsabilités, un grand nombre d'âmes aussi bien par leurs exhortations que par leurs activités et l'exemple de leurs brillantes vertus.



8 Ibid., Conf., lib. II, c. II, nO 4 ; Migne, P. ., 32, 676-677.

9 Ibid., lib., 1, c. I, nO 1 ; Migne, P. L., 32, 661.

10 Ibid., Contra Epist. Manichaei, quam vocant fundamentum, c. II-III, nO 2-3 ; Migne, P. L., 42, 174-175.

11 Ibid., X, in Epist. To, 5 ; Migne P. L., 35, 2057.

12 Ibid., Enarr. in Ps. CXII, Serm., 1, n» 7 ; Migne, P. L., 37, 1479.

13 Ibid., Confess. Lib. V, c. IV ; Migne, P. L., 32, 708.

Cf. H. Newman, Apol., ed. London, 1800, pp. 116-117.

Ibid., Serm. CCXCVI, C. VI, nO 7 ; Migne, P. L., 38, 1356. Ibid. Enarr. in Ps. LXX, Serm. II, nO 6 ; Migne, P. L., 36, 896.

Puisse saint Augustin être pour vous, les tout premiers, un stimulant et un modèle à suivre, à imiter ; pour vous, disons-Nous, qui avez embrassé cette vie évangélique et commune — accommodée, il est vrai, à nos temps et conforme aux règles et constitutions particulières de chacune de vos familles religieuses — qu'il proposa d'une façon si fructueuse au clergé de son diocèse, selon une règle pleine de sagesse.

Nous souhaitons et demandons instamment à Dieu que les bienfaits de ce centenaire vous soient accordés à tous par l'intercession de l'Evêque d'Hippone, et, dans une mesure plus grande encore, par l'effet de la grâce céleste.

En gage de cette divine grâce et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, recevez la Bénédiction apostolique que Nous donnons bien affectueusement à chacun de vous, chers Fils, ainsi qu'à toutes et à chacune des Congrégations religieuses confiées à vos soins respectifs.


Pie XII 1954 - RADIOMESSAGE AUX CATHOLIQUES RASSEMBLÉS A SALERNE LORS DE LA RECONNAISSANCE DES RELIQUES DE SAINT GRÉGOIRE VII