Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS DE MICROBIOLOGIE


RADIOMESSAGE AU CONGRÈS EUCHARISTIQUE DE TURIN

(13 septembre 1953)1




Le quatorzième Congrès Eucharistique d'Italie avait lieu cette année à Turin. C'était Son Em. le Cardinal Schuster, de Milan, qui le présidait, au titre de Légat pontifical2. Le dimanche soir le Pape s'est adressé à la foule en ces termes.

L'esprit débordant d'une joie religieuse égale à celle qui inonde vos âmes, chers fils de Turin et du Piémont, et vous tous qui venez de toute l'Italie pour le XIVe Congrès Eucharistique National, c'est de tout coeur que Nous avons accueilli votre désir de sentir, par Notre parole, la présence spirituelle du Vicaire de Jésus, auquel, vivant et caché sous le voile de l'Eucharistie, vous avez voulu offrir un public et solennel triomphe.

Aussi, prosterné par la pensée devant le brillant ostensoir, vers lequel convergent les regards et les coeurs de cette immense multitude en fête, Nous répétons les paroles qui, tout à l'heure, résonnaient dans les rues et les places de la noble cité de Turin : Tantum ergo Sacramentum - veneremur cernui. Et Nous sommes certain que Notre voix suppliante, à laquelle s'unit votre choeur impétueux, sera portée par votre fleuve royal aux plaines fertiles jusqu'à la mer et partout répétée en écho par le majestueux cercle des Alpes, posé comme un diadème aux gemmes étin-celantes de ses cent glaciers sur votre ville et toute l'Italie en une affirmation solennelle de la foi eucharistique de vos pères, singulièrement professée par Turin.

Elle est la « cité du Très Saint Sacrement », qui vit le célèbre Miracle dont des documents presque contemporains de l'événement conservent le souvenir ; elle garde, comme un précieux trésor, le « Saint Suaire », qui offre à notre émotion et à notre réconfort l'image du corps inanimé et du divin visage meurtri de Jésus ; chez elle sont florissantes, fruits authentiques de la dévotion eucharistique, les oeuvres insignes de la charité et de l'apostolat, pour lesquelles Turin recueille à juste titre des louanges dans l'Eglise de Dieu.

Elle était et elle est donc bien digne d'accueillir dans ses murs le triomphe eucharistique d'aujourd'hui votre généreuse cité, sanctifiée presque à sa naissance par la doctrine et par le zèle de son grand évêque saint Maxime ; toujours prompte au cours des siècles à d'insignes entreprises pour maintenir sauves les libertés civiques, et prête aux progrès techniques les plus hardis, réalisés grâce à l'activité industrieuse de ses fils, qui toutefois savent accorder en un juste équilibre l'ardeur pour la technique aux valeurs supérieures de l'esprit, et aux valeurs religieuses avant tout.

C'est à la tradition chrétienne, éducatrice incomparable des peuples, respectée avec ténacité par vos pères, à l'exception de brèves parenthèses dues à de difficiles contingences historiques, que l'on doit en grande partie la prospérité pour ainsi dire constante de votre ville et du Piémont, mais encore plus directement le caractère aimable et fort de son peuple, habitant les plaines fertiles, les vallées enchanteresses, les vertes collines. En effet on n'obtient point un véritable progrès, complet sous tous ses aspects, et la civilisation des esprits n'est pas possible non plus, là où la religion est proscrite, l'Eglise réduite au silence, là où, de quelque façon que ce soit, les trésors religieux du passé sont dissipés.

Le présent triomphe eucharistique du Piémont religieux est de la sorte l'heureuse démonstration du lien nécessaire entre la religion et la civilisation ; mais il est également le voeu public de Turin qui entend demeurer une des perles de l'éblouissant collier de cités catholiques dont s'orne l'Italie.

A ceux qui, l'esprit voilé par de vieux préjugés, demanderaient encore : comment donc le Turin moderne et avec lui l'Italie évoluée ont-ils encore en réserve des triomphes à décerner à la religion ? — ou interrogeraient avec l'étonnement de l'étranger : que veulent ces multitudes qui prient sur les places devant les vieux autels ? — vous sauriez aussitôt répondre : le Turin moderne et l'Italie évoluée n'abjurent pas leurs traditions religieuses, car ils savent que c'est d'elles qu'est sortie leur



haute civilisation ; et nous sommes tous ici, devant l'autel sacré, pour affirmer notre soif de ciel, qu'une grâce divine nous fait sentir plus ardemment que ne le prétendent ceux qui n'aiment pas la vérité ; nous sommes réunis ici pour dire à notre Dieu que nous l'aimons et à nos frères que nous nous aimons mutuellement ; nous sommes ici, gens de toutes classes et professions, pour nous engager devant la Majesté Divine à travailler avec une vigueur sans cesse plus grande à la réalisation de toute justice et de tout vrai progrès, mais surtout à la sanctification de nos âmes et de celles d'autrui. En ces mémorables journées eucharistiques, vous avez pris plus directement l'engagement de votre sanctification, conscients, comme vous l'êtes, que l'Hostie divine, dans laquelle se cache, réellement vivant et agissant, le Donneur de toute grâce, est la source première de toute sainteté et de toute bonté.

Oh ! si les hommes, qui sans cesse élèvent des plaintes pour les plaies dont le monde est affligé, pour la méfiance qui stérilise les remèdes, pour l'obscurité qui assombrit les esprits, pour la fatigue qui affaiblit la volonté, pour la cupidité qui déchaîne les passions, connaissaient la mine inépuisable de ressources spirituelles que l'Eucharistie offre à toute âme ; combien différente et plus heureuse serait l'histoire de l'homme sur la terre, et combien serait avancée l'heure de la réalisation de ses nobles idéaux !

En cette heure solennelle, permettez que Nous, Vicaire et Parole de Jésus caché mais présent, Nous vous soyons encore une fois témoin de la féconde et prodigieuse action que la divine Eucharistie exerce dans le secret des âmes et dans la communauté des fidèles. Tout ce que dans son existence bimillénaire l'Eglise a accompli de vrai, de saint, d'éternel, de divin a eu son origine, son développement, son aliment dans le mystère eucharistique. L'histoire est prête à témoigner et à prouver que, à toutes les époques et partout où le culte eucharistique fut vigoureux, d'admirables réalisations chrétiennes s'accomplirent dont le christianisme tire un légitime orgueil : de l'héroïque résistance, trois fois séculaire, des premières communautés puisant d'indomptables énergies autour des tables sacrées de la fractio partis à la prodigieuse expansion des idées et des institutions chrétiennes ; des promptes reprises de vigueur, après des défaillances momentanées et locales, à la floraison de Saints et de Saintes, d'institutions charitables, scolaires, scientifiques aux merveilleuses conquêtes missionnaires. Aucune action surnaturelle et sainte, bonne et grande, ne fut accomplie sur terre par ceux qui croient au Christ, qui ne tirât inspiration et force de l'Eucharistie, c'est-à-dire du Christ fait nourriture des âmes.

Et pour en venir à des temps plus récents, voire à vos propres souvenirs, n'est-il donc pas vrai que la floraison de Saints éminents et d'oeuvres insignes dans votre Turin — qui se fait une gloire des noms de saint Jean Bosco, de saint Joseph Cottolengo, de saint Joseph Cafasso — coïncide avec le réveil du culte eucharistique refroidi auparavant par le souffle glacé des courants jansénistes ?

Soyez certains, chers fils, que la réserve par excellence des énergies nécessaires au renouvellement de la vie et de la piété chrétiennes, à la défense et à l'action dans le camp de Dieu, est pour tous et pour chacun l'Eucharistie. Comme dans le passé, à présent encore, on n'obtient point dans l'Eglise de progrès de sainteté qui ne tire du mystère eucharistique une garantie d'heureux succès. De même, dans le domaine de la vie sociale, les sublimes idéaux de la paix et de la justice, de l'égalité et de l'authentique liberté, caressés ardemment par les hommes modernes, mais bien loin d'être assurés même après d'immenses efforts et de douloureuses expériences, auraient des alliés bien plus nombreux et efficients, si étaient plus denses les foules des âmes droites, vivant du sacrement du Dieu avec nous.

Comment serait-il en effet imaginable que des convives assidus du même banquet céleste, nourris des chairs de l'unique Sauveur divin, unis comme membres de son Corps mystique en une solidarité de vie, baignés de son même précieux Sang, ayant comme doctrine une foi identique, comme espérance un identique destin ; enveloppés de la même flamme d'amour miséricordieux du même Dieu fait homme et mort pour chacun et pour tous ; comment serait-il imaginable — demandons-Nous — que ces hommes, commensaux, membres et frères, conçoivent des rapports de haine mutuelle jusqu'à se déchaîner les uns contre les autres dans le paroxysme destructeur des guerres ? que le privilégié en biens matériels ferme son coeur et sa bourse au pauvre, image de l'Hôte commun de toutes les âmes, et ne lui rende pas ce qui lui est dû ? et que le pauvre, à son tour, renonçant aux richesses éternelles dont il a le gage dans son coeur, cherche à faire valoir son droit à la justice au moyen de la haine, de l'irréligiosité, du crime, plutôt que par des remèdes plus sensés et plus efficaces ? qu'il y ait des peuples qui gaspillent leurs biens sans aucun sens de la mesure, auprès d'autres, semblables à eux par la nature humaine, qui, en revanche, languissent dans la misère et dans la faim — ceux-là méritant par conséquent le blâme que déjà l'apôtre Paul infligeait aux membres dégénérés d'une communauté de son époque, en vertu de l'égalité raisonnable et possible qu'exige la Cène du Seigneur3 ? — enfin qu'il y ait des gens qui, abusant du pouvoir, oppriment des individus, des groupes, des nations entières dont le Rédempteur brisa définitivement les anciennes chaînes, aussi bien de l'esprit que du corps, en les associant à sa propre dignité comme fils adoptifs de Dieu ? Non, ces contradictions ne seraient pas possibles si les citoyens d'une nation et — Dieu le veuille — tous les hommes connaissaient la réalité du mystère eucharistique et en inspiraient leurs sentiments et leur vie.

De la sorte le triomphe présent, que vous avez consacré aujourd'hui au mystère de la sainteté et de la paix, devient un vceu ardent et équivaut à une solennelle promesse, non seulement dans le domaine de votre esprit, mais également dans celui de l'Eglise et du monde entier. Que l'ampleur de sa portée ne vous surprenne pas ni ne vous épouvante, car le Christ est l'unique et suffisant Rédempteur du monde : il est le Premier-Né des créatures, Il est l'alfa et l'oméga de la création ; c'est de Lui que dérivent toute grâce surnaturelle et toute vertu humaine ; c'est en Lui et par Lui que s'accomplit le destin de l'humanité entière.

Avec ces sentiments, prosterné devant le mystère de l'Amour, qui, sous les humbles espèces du pain, resplendit en ce moment aux yeux de la foi de toute l'Italie catholique, Nous offrons « au Roi des siècles, immortel et invisible », l'hommage de toute la famille chrétienne. Et tout en demandant à sa miséricorde que sur cette terre bénie reste largement ouverte la source eucharistique de la grâce et que, dans les coeurs, comme dans tout le corps social, régnent en une ferveur d'oeuvres la justice et la paix, Nous donnons de tout coeur, à tous les auditeurs présents en personne et en esprit à cette si pieuse célébration, et en premier lieu à Notre très digne Cardinal Légat, au très zélé Cardinal Archevêque de Turin, aux autres Vénérables Cardinaux, Archevêques et Evêques, comme également aux autorités de l'Etat qui ont participé à ce mémorable Congrès, Notre Bénédiction apostolique.

Cor., 11, 18 et suiv.








ALLOCUTION AU SEPTIÈME CONGRÈS DE LA VIGNE ET DU VIN

(16 septembre 1953) 1



Réunis à Rome pour le septième Congrès International de la Vigne et du Vin, vous avez désiré, Messieurs, Nous présenter vos hommages, et Nous accueillons bien volontiers cette démarche, heureux de saluer en vous un groupe illustre de professeurs, de techniciens et d'économistes qu'intéressent tous, à des titres divers, la viticulture et l'oenologie.

Comment ne pas évoquer en ce lieu le souvenir des agronomes de l'antiquité qui ont consacré à la vigne leurs études, et des poètes qui lui ont voué leurs chants ? Dans le plus ancien livre en prose latine parvenu jusqu'à nous, le De agri cultura de Caton l'Ancien, une partie considérable de l'ouvrage est consacrée à la vigne. C'est non loin d'ici, dans la Sabine, que cet homme énergique et rude cultivait lui-même les champs et les vignes, que lui avait légués son père.

Deux siècles plus tard, le doux Virgile trouvait le moyen d'écrire en des vers exquis les travaux minutieux de l'année viticole :

. . . tum stringe comas, tum brachia tonde, . . . tum denique dura

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romane du 18 septembre 1053.

2 Georg., 2, vers. 368-70.

3 lbid., vers. 397-99-




exerce imperia et ramos compesce fluentes 2. Est etiam ille labor curandis vitibus alter eux numquam exhausti satis est...3 Ce n'étaient pas, il faut bien le dire, que des observations empiriques, mais de l'avis des connaisseurs, elles étaient le plus



souvent fort justes, et l'on a pu écrire que jusqu'au milieu du XIXe siècle la viticulture s'était bien peu écartée des préceptes des anciens.

Des problèmes plus complexes et plus vastes préoccupent aujourd'hui particulièrement dans un Congrès International comme le vôtre. De nos jours, les marchés internationaux imposent des prix, la publicité influe sur la vente, de nombreux facteurs techniques, juridiques et commerciaux entrent en ligne de compte. Impossible dans de telles conditions, de maintenir la qualité et la réputation d'un vin sans posséder les connaissances les plus diverses, qu'un seul homme réunit à peine. La viticulture constitue désormais une science propre, qui a ses maîtres et ses instituts spécialisés. L'oenologie, d'autre part, met à profit les connaissances toujours plus approfondies de la chimie minérale et de la chimie organique pour la production et la conservation des vins ; mais il ne suffit pas encore d'offrir à la clientèle un produit de bonne qualité ; il faut pouvoir l'écouler, et l'écouler avec profit ; ce problème essentiel fait l'objet de l'économie viticole, à laquelle votre Congrès a consacré plusieurs études.

Bien que les questions purement techniques ne relèvent pas de Notre compétence, Nous ne pouvons toutefois passer sous silence un problème économique qui touche sur plus d'un point à la morale. Des statistiques récentes montrent qu'en certaines régions, la production du vin dépasse largement la consommation et les possibilités d'exportation. Or, il serait inadmissible que la défense d'intérêts matériels provoquât d'une manière ou d'une autre, une excessive consommation individuelle de vin, et par conséquent, d'alcool. Nous n'ignorons pas qu'une grande partie de cet alcool ne provient pas du vin ; mais comment rester indifférent devant les terribles conséquences physiques et morales de l'alcoolisme, non seulement dans les pays de civilisation favorisée, mais aussi et surtout dans les pays arriérés, où les ravages en sont encore plus épouvantables ?

Ce que Nous venons de dire, comme relevant de Notre devoir, ne doit pas jeter le discrédit sur l'industrie qui vous occupe. Le vin est en soi une chose excellente. Sans faire état de la sagesse populaire, dont les Saints Livres ont maintes fois adopté les maximes, soit pour louer le vin, soit pour en blâmer les excès, tout chrétien se rappelle que le premier miracle du divin Maître aux Noces de Cana, consista dans la transformation d'une copieuse quantité d'eau en vin généreux.

Il peut certes y avoir de sérieuses raisons de se priver de vin, raisons de prudence personnelle, d'amour du prochain, de réparation religieuse pour ses propres fautes ou pour celles des autres. Sous cet aspect, beaucoup ont fait et font encore de bien graves sacrifices. Mais il est non moins légitime de mettre en évidence de façon aussi scientifique que possible, les hautes qualités alimentaires et hygiéniques du vin. Nous sommes persuadé qu'en cela vous rendrez service à l'humanité, car en même temps vous aiderez à préciser la mesure hors de laquelle l'usage de toute créature est un abus.

Nous ne voulons pas achever sans élever Notre pensée jusqu'au mystère de foi dans lequel la religion catholique contemple la plus grande marque d'amour de Dieu pour les hommes, le Saint Sacrifice de la Messe. Usant de l'intelligence que lui avait donnée le Créateur, l'homme fit le pain à partir du blé et le vin à partir du raisin, et le Fils de Dieu fait homme, prenant entre ses mains créatrices ces produits essentiels de la terre et de l'homme, soutiens et stimulants de sa vie passagère, les changea dans sa puissance et bonté infinies en soutiens et stimulants de la vie qui ne passe pas. Depuis deux mille ans, les générations chrétiennes puisent dans le Sacrement du pain et du vin l'aliment de leur vie spirituelle et les méditations les plus profondes des Pères de l'Eglise et des penseurs chrétiens, qui se succèdent de siècle en siècle, n'ont pas épuisé la profondeur des signes efficients de la grâce, dans lesquels le Sauveur des hommes a concentré à la fois tout son enseignement et tout son amour. Le travail de l'homme et le fruit de ses efforts servent à l'action de grâces, à l'adoration, à l'expiation et à la prière ; ils préparent la matière qui sera convertie en nourriture et en boisson pour la vie de l'âme. C'est toute la vie humaine qui reçoit un sens religieux et une consécration. Même pour ceux qui n'auraient pas le bonheur de partager la foi chrétienne, une telle richesse de sens et une telle valeur évocatrice de sentiments ne sauraient passer inaperçues. C'est pourquoi Nous avons voulu au moins y faire une brève allusion devant vous, Messieurs, persuadé qu'il n'est pas indifférent d'exercer une profession qui a quelque rapport avec les plus hauts mystères.

Souhaitant à vos travaux les plus féconds résultats et à votre séjour dans la ville de Rome une place privilégiée dans vos meilleurs souvenirs, Nous vous donnons à vous-mêmes et à tous ceux qui vous sont chers Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU DIX-HUITIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA NAVIGATON

(îg septembre 1953) 1






Plus de 700 membres de ce Congrès furent reçus en audience et le Pape leur dit :

Toutes les fois que l'occasion Nous fut donnée de recevoir des groupes d'ingénieurs, Nous n'avons pas manqué de leur signifier la haute estime en laquelle Nous tenons leur profession, et de leur en dire les motifs. C'est pourquoi, en vous accueillant ici, Nous voudrions vous manifester, Messieurs, tout l'intérêt que Nous portons aux travaux de votre XVIIIe Congrès international de Navigation.

Cette branche des sciences appliquées peut se vanter de prolonger une glorieuse tradition de civilisations méditerranéennes et de la civilisation gréco-latine en particulier. L'histoire de ces régions qu'on a appelées le « Croissant fertile » montre leurs habitants aux prises, dès les âges les plus anciens, avec les difficiles problèmes de la régulation des cours d'eau, tandis que l'épopée grecque reflète les curiosités d'un peuple de navigateurs et son goût de l'aventure. L'Empire Romain, de son côté, présente une organisation des voies maritimes et un fonctionnement systématique de la navigation, qui, pour la technique de l'époque, sans vapeur ni énergie électrique, suscite notre éton-nement.

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romana du 20 septembre 1953.




Sans doute, les doctes rapports de vos assemblées ne sont-ils point comparables aux récits merveilleux, où l'expression poétique déploie toutes ses ressources pour dire le labeur patient ou l'audace conquérante de ceux qui ont posé les bases de la culture européenne. Mais cependant vos préoccupations ressemblent aux leurs, et les abstractions du langage mathématique, si rebutantes et incompréhensibles pour le profane, traduisent en termes modernes des soucis analogues. Qu'un fleuve soudainement grossi par les pluies, ou la fonte des neiges, brise ses digues ; que la mer soulevée par une marée exceptionnelle et bouleversée par la tempête submerge les îles et le continent ; et voici renouvelée une catastrophe, dont la brutalité et le déroulement inéluctable feront des victimes par centaines et par milliers.

Protéger la terre de l'envahissement des eaux, tel sera le soin constant des populations, qui tirent du fleuve ou de la mer leur subsistance, ou sont établies dans leur voisinage. C'est pourquoi, depuis des siècles, l'ingénieur, à qui l'on demande de prévenir le fléau de l'inondation, construit et reconstruit des digues. Chaque échec l'incite à perfectionner ses méthodes, à chercher des matériaux plus résistants, à accroître la puissance des appareils de levage, capables maintenant de mettre en place des blocs de plusieurs centaines de tonnes.

Au lieu de se contenter de procédés empiriques, la construction des ouvrages de protection tire profit d'une étude scientifique de l'action des flots. Une longue série de recherches théoriques a permis d'obtenir des formules mathématiques d'une approximation toujours plus satisfaisante, tandis que des stations expérimentales enregistraient l'énergie de la poussée des vagues, leurs caractéristiques géométriques et leur effet sur des modèles à échelle réduite. Ainsi peu à peu, malgré la grande complexité des données, l'ingénieur détermine là aussi la loi des phénomènes pour mieux les contenir et les utiliser à ses fins.

Les grands cours d'eau se plient également aux entreprises de la technique ; tandis que des études hydrologiques en précisent le comportement, des travaux d'aménagement s'efforcent d'en régler le débit, autant pour prévenir les inondations, que pour les rendre plus aisément navigables.

Lorsqu'on parle des progrès de la navigation, il est courant de penser d'abord à l'évolution des divers types d'embarcation et de leurs moyens de propulsion : on perd souvent de vue, et bien à tort, le complexe des installations à terre, vastes et coûteuses, et de l'équipement des ports, qui constituent comme la charpente solide, sur laquelle s'appuie tout le trafic maritime.

Il ne suffit pas, pour assurer la prospérité des échanges internationaux, que l'on dispose de nombreux navires : il faut encore que ceux-ci puissent prendre leur cargaison et la décharger d'une manière rapide et commode, sans être contraints à de longues attentes et sans que leur fret soit exposé à subir quelque dommage. Un vaste champ de recherches est ouvert ici aux ingénieurs : disposition et équipement des terre-pleins et des hangars destinés à abriter les marchandises, choix des appareils de manutention, extension et modernisation des stations maritimes pour passagers. Ces problèmes et d'autres similaires ont reçu dans les différents pays des solutions diverses, dont il vous appartient de juger les avantages et les inconvénients.

Mais l'expansion des transports maritimes et la concentration des industries le long des cours d'eau ou à proximité des ports, ont fait apparaître le danger de la pollution des eaux, danger qui menace la navigation et la faune maritime, mais aussi les industries elles-mêmes et la santé publique en général. Le mal est si étendu, que les moyens techniques s'avèrent insuffisants à le supprimer par eux seuls : il faut y adjoindre des mesures législatives et des ententes internationales. Il reste cependant que l'on demande toujours à l'ingénieur de fournir des solutions locales pratiques, aussi économiques que possible, et permettant au surplus d'éviter les charges trop lourdes pour la navigation.

Ainsi dans les différents secteurs, qui concernent l'aménagement des voies de communication maritimes et fluviales, vous avez accompli, spécialement pendant ce dernier siècle, des progrès importants. On ne peut évidemment se flatter de parer à toutes les éventualités et d'éviter définitivement des catastrophes analogues à celles qui sont encore dans toutes les mémoires. Mais à la vue des ouvrages gigantesques que l'on oppose aux débordements des flots, comment ne pas dire l'admiration et la confiance qu'ils inspirent. Ne représentent-ils pas une victoire permanente de l'esprit de l'homme sur des énergies formidables, au déchaînement desquelles apparemment rien ne peut résister ?

Lorsque les Livres Saints veulent illustrer l'étendue de la puissance divine, ils décrivent avec admiration son empire sur les eaux déchaînées : « Les fleuves ont élevé leur voix, les fleuves élèvent leurs flots retentissants » s'écrie le Psalmiste ; mais « plus que la voix des grandes eaux, plus que le soulèvement de la mer, le Seigneur est puissant dans les hauteurs » 2.

Dieu domine donc la force aveugle des eaux ; mais bien plus encore, celles-ci ont peur de Lui : « Les eaux t'ont vu, ô Dieu, et elles ont frémi ; les abîmes de la mer ont tremblé » 3.

Cette puissance impressionnante, Dieu en a, pour ainsi dire, délégué une parcelle à l'homme. C'est à lui qu'il revient de prendre de plus en plus possession du monde, de gouverner les éléments, et cet effort continuel l'ennoblit et lui procure les satisfactions les plus intenses. Il est aussi de la plus haute utilité. Que deviendrait la vie économique et la prospérité de la plupart des pays du monde, si leur réseau de communications maritimes était subitement coupé ; si, relâchant une surveillance constante, ils ne veillaient à défendre leurs ports de l'ensablement, des dépôts d'alluvions, à assurer par une signalisation adéquate la sécurité des navires. Il est inutile, croyons-Nous, de démontrer l'importance du service social, que remplit ici l'ingénieur, service dont l'efficacité dépend par ailleurs d'une étroite collaboration : chacun des éléments qui conditionnent la marche d'un navire doit être assuré, et cela malgré des difficultés pratiques souvent énormes et qui requièrent la mise en jeu de vastes complexes et la collaboration des secteurs public et privé.

La part, que vous y apportez, exige, outre des connaissances intellectuelles entretenues par l'étude et par une mise au point incessante, un sens profond de vos responsabilités, une ténacité que ne décourage aucun échec, toujours prête à tenter des voies nouvelles où l'on entrevoie l'espoir de quelque amélioration.

Votre profession qui répond tellement aux besoins de l'époque présente et à son idéal de conquête technique, doit aussi, sous peine d'entretenir une dangereuse illusion, s'inspirer, dans toutes ses réalisations, d'une vue supérieure aux intérêts immédiats et aux fins d'utilité pratique. La nature, dont elle entreprend de canaliser les énergies, est l'oeuvre de Dieu ; elle ne servira vraiment l'homme que si celui-ci reconnaît l'autorité de son Créateur et ne lui refuse pas dans sa vie la place qui Lui revient. On n'usurpe pas le pouvoir divin, et le Seigneur rejette les plans les plus audacieux, quand ils s'accomplissent sans Lui ou contre Lui.

Que la grandeur et la beauté de vos constructions, loin de vous inspirer un orgueil funeste, vous portent à manifester votre reconnaissance envers l'Auteur de toutes choses. De tous



» Ps. LXXVI, 17.

temps, les âmes les plus nobles, contemplant la nature et les ouvrages les plus grandioses du génie humain, se sont livrées d'instinct à l'adoration et à la louange de la Source première de tout savoir et de toute bonté.

Nous vous souhaitons de mener à bonne fin les travaux de votre Congrès et, rentrés dans vos pays respectifs, de mettre à profit ce que vous aurez appris au cours de ces échanges de vues enrichissants. Pour le succès de votre tâche si nécessaire au bien de tous, pour la prospérité de vos familles, de tout coeur Nous appelons sur vos personnes et sur tous ceux qui vous sont chers, les plus abondantes bénédictions de Dieu.










ALLOCUTION AUX ABBÉS BÉNÉDICTINS

(24 septembre 1953) 1




Le Révérendissime Primat Dom Bernard Kaelin avait convoqué au Collège international de Saint-Anselme à Rome, 120 Abbés et Prieurs Bénédictins pour discuter des problèmes de l'Ordre. A cette occasion, les participants furent reçus en audience par le Pape qui déclara :

Votre présence ici, très chers fils, qu'il Nous plaît de saluer en ce moment de paroles affectueuses, et qui émeut Notre coeur d'une grande consolation et d'une grande joie, vient affirmer manifestement aujourd'hui le respect et la vénération, bien connus de tous, héritage de leur Père Fondateur, des Pères Bénédictins envers le Siège Apostolique.

C'est un motif d'une grave et grande importance qui vous a conduits de partout en cette Ville, centre de l'univers chrétien. Vous vous êtes donc rassemblés, selon le principe de la propre Règle de votre Confédération, afin d'examiner ensemble avec soin, au moyen de réunions profitables, en mettant en commun vos avis et vos travaux, les questions les plus aptes à faire progresser les intérêts et les entreprises de l'Ordre Bénédictin : en sorte que votre illustre Institut, placé en face de nouvelles nécessités, puisse mieux répondre à sa mission et se réjouir d'accroissements de jour en jour plus importants.

Nous honorons d'une louange bien méritée et Nous accompagnons de voeux fervents et de félicitations cette activité déployée d'un commun accord, qui, en raison des circonstances présentes et des événements actuels, semble tout à fait requise, et qui contribuera beaucoup à raffermir les liens entre toutes les familles bénédictines.

A Nos yeux, en effet, il est certain que c'est par une très sage résolution que Notre Prédécesseur, d'heureuse mémoire,

Léon XIII, chercha à unir les différentes Congrégations Bénédictines dans les liens d'une fraternelle Confédération dont les fruits, en vérité surabondants, sont attestés par le nombre de frères qui augmente de jour en jour, et par le prestige et la gloire de l'Ordre Bénédictin depuis ce temps-là. C'est pourquoi Nous-même, lorsque s'en présenta l'occasion, plus d'une fois, Nous vous avons exhortés de toutes Nos forces à cette union de travaux, soit par la Lettre Encyclique du 21 mars 1947, pour le quatorzième centenaire de la mort de S. Benoît, soit dans l'Homélie prononcée le 17 septembre de la même année en la Basilique d'Ostie, soit encore par la Lettre Apostolique dans laquelle Nous avons en fin de cette même année, confirmé de Notre Autorité les Statuts de la Confédération Bénédictine.

Il faut donc souhaiter et implorer dans nos prières que par les secours surnaturels de sa grâce, Dieu fasse prospérer vos entreprises et donne à vos projets les bons résultats désirés, qui soient réellement salutaires, non seulement à l'Eglise, mais à la Société civile. Qui donc, en effet, relisant les Annales de l'Eglise et de la Société, pourrait ignorer les services remarquables rendus par votre Ordre, et ne pas apprécier au plus haut point ce souffle chrétien salutaire animé par saint Benoît, sous l'inspiration de la Divine Providence. C'est poussées par ce souffle que jadis, d'innombrables cohortes de moines, soutenues non pas par les glaives et la guerre, mais appuyées sur la Croix et la charrue, la charité et la vérité, portèrent en tous les lieux la lumière de l'Evangile et amenèrent les peuples barbares de l'Europe à adoucir leurs moeurs conformément aux préceptes de Jésus-Christ, à la Paix, à la concorde, et à cet esprit de labeur, d'où une nouvelle ère vint briller pour le genre humain.

Mais puisque, aujourd'hui, beaucoup d'hommes, surtout dans plusieurs nations, se sont écartés de cette voie droite, il n'est pas étonnant qu'un si grand nombre soient la proie de tant de périls, inquiets de tant de calamités, et très misérablement désunis par tant de discordes. D'où la nécessité de continuer aujourd'hui avec toujours plus de zèle, l'adaptant aux nécessités présentes, le bon travail entrepris par vos prédécesseurs, avec tant de joie, pour le bien commun des peuples. En effet, votre Ordre Bénédictin peut apporter encore cette même force salutaire qui fournira le remède opportun aux maux qui menacent, et, en donnant un développement à la sainte liturgie, à la discipline monastique, et aux vertus chrétiennes, contribuera grandement au succès de la cause chrétienne.

Chers fils, il importe au plus haut point que « désirant garder l'unité de l'esprit dans le lien de la paix » 8 vous vous efforciez de consolider plus étroitement les liens de votre Confédération, pour que les différentes Congrégations bénédictines s'unissent comme en une seule famille. De sorte que votre Ordre, avec une force nouvelle et plus agissante, pourra répondre encore mieux aux soucis maternels du Siège Apostolique, dont ce collège Saint-Anselme, où vous êtes réunis, est pour vous un témoignage éclatant. A cette union durable, que Nous avons tant à coeur, l'autonomie de chaque Congrégation ne met guère d'obstacle : en fait, chacun des Instituts monastiques garde intégralement son propre mode de vie, car le grand nombre de branches qui ont poussé sur l'unique tronc planté par saint Benoît, démontre manifestement de quelle puissance variée l'Ordre Bénédictin est riche, et de quelle abondance de vie il est jeune.

De même la vénérable antiquité de vos institutions n'est pas altérée quand vous cherchez à vous adapter aux nécessités d'une époque en mouvement ; cette adaptation doit être considérée non comme un signe de relâchement ou d'affaiblissement de la discipline monastique, mais comme une preuve de progrès, pourvu que vous preniez garde, ainsi que Nous l'avons dit dans Notre allocution aux délégués des Religieux venus à Rome, le 8 décembre 19503 de ne pas accepter du monde ce qu'il a d'affligeant et de nuisible, mais à chercher au contraire à lui inculquer ce que vous avez de bon et de saint et qui s'accorde avec ses saines aspirations. Ayez donc soin de stimuler, de perfectionner ce qui chez les autres est timidement bon : « de ses parcelles d'or, façonnez des vases précieux, de ses minces filets d'eau, faites sortir des fleuves ».

Chers fils, poursuivez donc le noble chemin où vous êtes engagés pour que les fruits de votre zèle deviennent encore plus abondants, en gardant toujours plus inviolablement les préceptes de votre Fondateur et les directives du Siège Apostolique, et, vous défiant de vous-mêmes, cherchez en Dieu l'espérance d'une heureuse réussite. Que Lui-même affermisse vos énergies et vous donne de nouveaux secours ; en les appelant sur vous, Nous vous donnons de tout coeur, à vous et à tous vos frères, la Bénédiction apostolique.

2 Eph., 4, 3.

3 Documents Pontificaux 1950, p. 584.









LETTRE DE MONSEIGNEUR MONTINI PRO-SECRÉTAIRE D'ÉTAT A LA XXVIe SEMAINE SOCIALE D'ITALIE
(27 septembre 1953) 1




Le 27 septembre 1953, s'ouvrait à Palerme la XXVIe Semaine Sociale des Catholiques Italiens. Elle avait pour thème : Les problèmes de population. Au nom du Saint-Père, Mgr Montini envoya la lettre suivante à Son Em. le Cardinal Siri, archevêque de Gênes et président du Comité des Semaines Sociales.

Conformément à une louable tradition, cette année les méritants organisateurs des Semaines Sociales des Catholiques d'Italie ont exprimé à Sa Sainteté le désir que Sa Bénédiction, propi-tiatrice comme toujours de lumières et de réconfort célestes, descende sur les travaux de la prochaine Session de Palerme.

J'ai l'honneur d'annoncer à Votre Eminence Révérendissime que le Saint-Père a daigné accueillir bien volontiers cette requête, d'autant plus que le thème de cette année mérite sous plusieurs aspects la considération la plus attentive.

Il s'agit en effet d'examiner à la lumière de la doctrine de l'Eglise, les problèmes urgents de la population et, tout particulièrement, d'étudier le rapport entre l'accroissement démographique et le développement économique, d'identifier les causes dont dépend le déséquilibre entre les deux phénomènes et d'en indiquer les remèdes possibles.

Ce problème est complexe et il faut s'attacher à le résoudre selon la pensée de l'Eglise :

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano des 28 et 29 septembre 2953.




Il n'est rien, en vérité, qui importe davantage à la société que ces délicats problèmes, mais, en même temps, il est facile

de comprendre avec quel intérêt vital l'Eglise souhaite leur juste solution : de cette dernière en effet dépendent des conséquences qui concernent étroitement la transmission de la vie humaine et qui touchent également par là même l'institution de la famille, cellule mère de la société, de laquelle l'Eglise attend la première formation de ses membres.

Le problème n'est donc pas seulement économique, mais, spécialement pour le catholique, il assume aussi un caractère religieux et moral. En outre, considéré à l'échelle universelle, il intéresse particulièrement encore l'ordre international, parce qu'il vise à trouver d'abord les remèdes à un désordre qui provient non point tellement de la nature que de la volonté des hommes ; puis à rétablir dans les zones qui supportent un excédent de population la juste harmonie entre la densité démographique et les ressources vitales. Par voie de conséquence, cette question se relie au problème fondamental de la paix qui, selon le témoignage de saint Augustin, n'est autre que « la tranquillité de l'ordre », en vertu de laquelle chaque Etat peut exercer sa mission sociale et apporter sa contribution au bien de la communauté internationale.

C'est à cette paix du monde à réaliser au moyen d'un meilleur équilibre entre les hommes et leurs moyens de subsistance, que se référait le Pontife régnant, en pleine guerre mondiale, quand le jour de Pentecôte 1941, Il exprimait le désir de coopérer « à la future organisation de l'ordre nouveau que, dans l'immense fièvre de la présente lutte, le monde attend », et pour arriver au but, Il souhaitait « une distribution plus favorable des hommes sur la superficie terrestre... superficie que Dieu créa et prépara pour l'usage de tous ».

Pour le bien de la paix, il faut rapidement apporter une solution :

Il n'est personne qui ne voie que les prévoyantes et paternelles sollicitudes du Pontife Romain sont devenues aujourd'hui plus urgentes que jamais, les statistiques de ces dernières années ayant signalé — malgré les ressources naturelles illimitées de la terre — des disproportions aiguës dans plusieurs parties du monde entre la population et les disponibilités alimentaires. Phénomène qui, attirant à juste titre l'attention des responsables de la vie publique, a toutefois suscité dans de nombreux milieux une atmosphère d'appréhension à l'égard de la continuelle montée démographique de l'humanité, incitant à



croire que l'unique solution fût dans la limitation des naissances. D'où la recrudescence de la propagande malthusienne, c'est-à-dire dirigée contre les sources mêmes de la vie ; propagande qui, au nom de faux présupposés scientifiques, diffuse sans cesse davantage des idées et des habitudes qui influent dangereusement sur la moralité publique et conduisent la société à un affaiblissement des principes moraux et religieux sans cesse plus grave et funeste.

Trop souvent on préconise comme remède des procédés immoraux 3 c'esf pourquoi la Semaine Sociale devra s'inspirer des principes permanents énoncés par l'Eglise :

Conscients des besoins et des devoirs sociaux qui les entourent, les catholiques ne pourront donc pas ne pas sentir l'impérieuse nécessité de trouver également dans ce domaine la voie sûre, qui, même dans les circonstances difficiles de notre époque, devra aboutir à la parfaite harmonie entre les postulats économiques et les principes chrétiens. La nouvelle et providentielle rencontre de la pensée et de l'action, qui aura lieu à Palerme, constituera par conséquent l'occasion propice offerte aux catholiques italiens d'apporter à ce sujet une contribution efficace, le thème proposé — comme il apparaît d'après le programme — devant être considéré sous le quadruple aspect métaphysico-moral, médico-biologique, économique et politique.

Afin que le développement d'un thème si délicat aboutisse à d'utiles résultats, il sera avantageux, aux rapporteurs du Congrès, de réfléchir sur certains enseignements du magistère ecclésiastique qui leur serviront de guide et de lumière au cours des travaux.

En premier lieu, il faut tenir compte de la loi morale concernant la procréation :

Ils se rappelleront avant tout qu'aucune solution des problèmes démographiques ne pourra jamais être considérée comme répondant à la justice et à la vérité, si l'on ne tient pas un juste compte de la valeur sacrée et intangible de la vie humaine, ou si en quelque manière on exclut le respect des normes qui président à sa transmission ordonnée. Celle-ci trouve son application naturelle dans le cadre de la famille, dans la dignité des rapports conjugaux et englobe la procréation et l'éducation de la progéniture. C'est donc un crime — que la raison d'Etat ou quelque prétexte d'eugénisme ou d'économie ne saurait justifier

— d'attenter d'une façon ou d'une autre contre la vie dans son itinéraire qui va de l'union des époux jusqu'au berceau : et il faut entendre par là non seulement le meurtre direct de l'innocent, mais également la fraude contre les desseins de la nature qui, en tant que tels, expriment la volonté du Créateur. « Si le sens profond du bien commun est l'âme de l'Etat sain et fort

— avertissait le Saint-Père dans le radiomessage du zo septembre 1946 au peuple suisse — la dignité et la sainteté de la vie conjugale et familiale en sont comme la colonne vertébrale. Quand celle-ci subit une grave lésion, la force de l'Etat prend fin et le peuple tôt ou tard tombe dans la ruine. » Pour ce motif, parlant aux sages-femmes, Il leur recommandait « l'apostolat de l'estime et de l'amour pour la nouvelle vie », et définissait comme opposée à la pensée de Dieu et au langage de l'Ecriture-Sainte et également à la saine raison et au sentiment de la nature, « la mentalité moderne hostile à l'idéal d'une famille féconde » 2.



En deuxième lieu, en matière de propriété des biens, il faut respecter la justice et la charité :

2 Cf. Discours du 29 octobre 1951, Documents Pontificaux 1951, p. 470.

3 Encycl. Sertum Laetitia, du 1er novembre 1939, cf. A. A. S., 31, 1939, pp. 635-644.




Il est en outre nécessaire de tenir compte d'un autre enseignement, fondamental lui aussi dans le problème discuté de la population, et c'est l'immuable exigence « que les biens créés pour tous les hommes parviennent équitablement à tous, selon les principes de la justice et de la charité3. Cette doctrine qui fut également confirmée par le Saint-Père dans le radiomessage de Pentecôte cité plus haut, tout en reconnaissant à chaque homme le droit d'accès aux biens primordiaux, établit d'autre part dans les relations internationales le devoir tout aussi naturel de justice sociale, qui oblige les peuples les plus riches à venir en aide aux peuples moins bien pourvus. « Dans le domaine d'un nouvel ordre fondé sur les principes moraux — s'exprimait Sa Sainteté dans le document en question — il n'y a point place pour les étroits calculs égoïstes, tendant à l'accaparement des sources économiques des matières d'usage courant, de telle sorte qu les nations les moins favorisées s'en trouvent exclues. »

Il s'ensuit que l'étude approfondie des rapports entre la densité de la population et les moyens de subsistance doit tendre à se développer sur un plan mondial, et le problème ainsi posé ne peut se résoudre que sur le même plan, dans la solidarité agissante de tous les peuples, de manière que, les barrières artificielles qui les séparent ayant été supprimées, soit permise une circulation plus ordonnée de peuples, de capitaux et de biens matériels. Dans cette subordination du bien économique national particulier au bien commun de la société des Etats, les frontières ne seront pas des vallées qui séparent, mais des ponts qui unissent, et les biens matériels pourront ainsi remplir leur fonction naturelle qui est de satisfaire aux besoins de tous.

C'est précisément à cette solidarité qu'exhortait en un appel ému, le Souverain Pontife quand dans le radiomessage de Noël 1952, Il disait : « Que chaque peuple, en ce qui concerne le standard de vie et l'emploi de la main-d'oeuvre, développe ses possibilités et contribue au progrès parallèle des autres peuples moins doués. Bien que la réalisation même la plus parfaite de la solidarité internationale puisse difficilement obtenir l'égalité absolue, elle doit être cependant pratiquée de toute urgence au moins suffisamment pour modifier sensiblement les conditions actuelles...». D'autre part, les ressources naturelles du globe, qui offrent d'immenses possibilités d'exploitation, ainsi que les perspectives que l'intelligence et le travail humains ouvrent pour l'avenir, sont bien loin de justifier les sombres prévisions des prophètes du néo-malthusianisme. Et si telle ou telle région est surchargée de population, ce serait une erreur — continue le Saint-Père — « de rejeter sur les lois naturelles la faute des difficultés présentes, tandis que manifestement celles-ci viennent du manque de solidarité entre les hommes et les peuples ».



La solution n'est pas dans la restriction de la natalité, mais dans une meilleure distribution des biens :

Ce n'est donc pas vers la violation des lois de la vie, ni vers la compression du flot naturel de la famille humaine que doivent être dirigés les efforts destinés à rétablir l'équilibre entre les moyens de subsistance et l'accroissement démographique. Pareille attitude de renonciation en face de la vie humilie les plus nobles exigences de l'esprit, tandis que le déclin de la natalité a toujours été dans les destinées des nations, à plus ou moins longue échéance, une défaite et une condamnation. Ces efforts doivent, au contraire, tendre à éduquer les consciences, quant à la valeur et à la responsabilité de la vie humaine, à favoriser une plus équitable distribution des biens, à exploiter suivant des formes toujours plus rationnelles les ressources de la nature, à protéger la famille en tout ce qui regarde ses droits inviolables et l'exercice de sa haute fonction, tout en évitant en même temps le recours aux moyens défensifs eugéniques qui portent atteinte à la liberté et à la dignité de la personne humaine et que le bon sens moral et la morale chrétienne surtout, doivent rejeter aussi bien en théorie que dans la pratique.

Il ne faut pas oublier non plus à ce sujet, ainsi que l'a répété le Saint-Père tant de fois, l'avantage qu'il pourrait y avoir à favoriser les courants migrateurs vers des régions non encore suffisamment mises en valeur, en allégeant ainsi le lourd poids du chômage. « Si des deux côtés — disait le Saint-Père dans son discours du 1er juin 1941 — et ceux qui permettent de quitter le sol natal, et ceux qui reçoivent les nouveaux venus, continuent à avoir soin loyalement d'éliminer tout ce qui pourrait empêcher la naissance et le développement d'une vraie confiance entre le pays d'émigration et le pays d'immigration, tous tireront avantage d'un tel changement de lieu et de personnes ; les familles recevront une terre qui sera pour elles terre paternelle, patrie dans le vrai sens du mot ; les terres à population dense seront soulagées et leurs peuples se créeront de nouveaux amis en territoire étranger ; les Etats, enfin, qui accueillent les émigrants, s'enrichiront en citoyens laborieux 4. »

Eclairer les consciences des catholiques sur de si hauts devoirs et encourager une étude toujours plus approfondie de ces problèmes, afin de pourvoir à la solide formation de personnes compétentes en ce domaine sera la tâche des prochaines cessions du Congrès duquel le Souverain Pontife attend les plus brillants résultats.

Parmi tant de funestes idéologies, que s'élève donc en un avertissement salutaire la voix d'une assemblée si choisie et qu'elle soit une sûre orientation pour beaucoup dans un monde





Message radiophonique La Solennità du 1er juin 1941, A. A. S., 33, 1941, p. 195.

qui, enclin à se soustraire aux obligations éthiques et aux idéals surnaturels n'en a que besoin davantage d'entendre un vigoureux rappel aux valeurs suprêmes et irremplaçables de la foi catholique.

Tel est le but de la Bénédiction apostolique que le Saint-Père envoie de tout coeur à vous-même, Eminence Reverendissime, et à tous les organisateurs, rapporteurs et participants de la Semaine Sociale de Palerme.










Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS DE MICROBIOLOGIE