Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX ABBÉS BÉNÉDICTINS


DÉCLARATION DE LA SACRÉE CONGRÉGATION CONSISTORIALE A PROPOS DE L'ARRESTATION DE SON EM. LE CARDINAL WYSZINSKI

(30 septembre 1953)1






Son Em. le Cardinal Piazza, secrétaire de la Sacrée Congrégation Consistoriale a signé le communiqué suivant :

Comme on a osé récemment élever la main de façon sacrilège contre Son Eminence le Cardinal de la Sainte Eglise Romaine, Etienne Wyszinski, archevêque de Gniezno et Varsovie, et empêcher l'exercice de sa juridiction ecclésiastique, la Sacrée Congrégation Consistoriale déclare que tous ceux qui ont commis les délits mentionnés ont encouru, conformément aux canons 2334 n. 2 et 2343 § 2 du Code de Droit Canon, l'excommunication réservée « speciali modo » au Siège Apostolique et 1'« infamia juris ».










ALLOCUTION AUX PRÊTRES CATÉCHISTES ET AUX JEUNES GENS LAURÉATS DU CONCOURS DE CULTURE RELIGIEUSE

(30 septembre 1.953) 1






Tous les ans l'Action Catholique italienne organise un concours de culture religieuse. Cette année, professeurs et élèves furent reçus en audience et le Pape prononça Y allocution suivante :

S'adressant d'abord aux prêtres catéchistes, Pie XII leur donna ces directives :

Notre premier salut paternel est pour vous, chers fils, prêtres spécialisés dans les activités catéchistiques. Répondant avec empressement et zèle à l'invitation du Centre national, vous vous êtes réunis à Rome pour étudier les problèmes du catéchisme, pour constater les besoins qui sont urgents dans ce domaine, pour bien considérer les forces dont on peut disposer et, en général pour discuter sur ce qui pourrait et devrait être fait par des prêtres et par des laïcs. Nous savons que demain, en revenant à vos diocèses, vous vous mettrez au service des évêques et de ce même Centre national, et vous vous rendrez partout où seront nécessaires votre aide et votre oeuvre pour organiser l'enseignement catéchistique dans toute l'Italie.

Nous savons également que vous entendrez réserver des soins particuliers à ces zones qui se révéleront moins bien pourvues et par conséquent plus faibles au point de vue spirituel. Si, dans l'obéissance à vos Pasteurs, vous savez, avec un esprit de charité catholique dépasser les limites des diocèses ; si vous savez accourir partout où l'on a besoin de vous, Nous vous en serons très reconnaissant et Nous vous exprimons dès à présent Notre vive satisfaction.

Et comme vous attendez de Nous non point un ensemble d'instructions — ce qui serait impossible en cette occasion — mais seulement une parole de conseil, la voici dans sa simple brièveté.



En plus de la raison, il faut que le catéchisme développe la foi et forme à la pratique de la vie chrétienne :

Dans l'enseignement du catéchisme, on est naturellement soucieux que les élèves apprennent bien ce qu'on leur explique : c'est tellement indispensable que si cela faisait défaut, on ne pourrait parler en aucun cas de véritable école catéchistique. Mais peut-être n'apporte-t-on pas autant de soin à aider la pensée des élèves à émettre l'acte de foi : alors qu'il est clair qu'il ne servirait à rien de bien savoir si, ensuite, on ne croyait pas fermement tout ce que Dieu a révélé et tout ce que la Sainte Eglise propose de croire. D'autre part — et Nous attirons particulièrement votre attention là-dessus — vous n'auriez pas atteint votre but de catéchistes si vous ne vous efforciez pas de mener vos élèves à la pratique de ce qu'ils ont appris, de ce qu'ils ont cru.

Si Nous devions donc vous laisser un bref mot d'ordre pour vos élèves, grands et petits, Nous dirions cela : qu'ils sachent bien, qu'ils croient fermement, qu'ils pratiquent intégralement.



Aux jeunes, le Pape déclare :

Parmi tant de compétitions de vitesse, de force, de résistance, aucune — pour parler ainsi — n'a dû réjouir le Coeur divin de Jésus comme la vôtre, chers fils, vainqueurs du Concours « Veritas » 1953.

Vous étiez deux cent mille élèves italiens, et ce nombre si réconfortant révèle à lui seul le développement de la bienfaisante institution que Nous avons déjà encouragée, et que Nous bénissons de nouveau avec toute l'effusion de Notre esprit. D'autant plus que la valeur des chiffres qui Nous ont été présentés par ses organisateurs indique clairement un intérêt sans cesse croissant et une participation plus intense au concours « Veritas ». En une année seulement, par exemple, il y a eu une augmenta-

M tion de quarante mille concurrents, et certains buts particuliers déjà atteints font entrevoir comme possible un net progrès vers la participation quasi totale des élèves : à Ivrea, par exemple, sur 2942 élèves des écoles secondaires, 2638 ont pris part au Concours, et notamment tous les élèves des trois années supérieures. A Florence, le nombre des classes participantes a presque doublé, tandis qu'à Gaète, toutes les écoles secondaires du diocèse se sont présentées aux examens pour le concours.

Nous avons cité trois exemples choisis à peu près au hasard, car il serait presque impossible de décrire même seulement de façon sommaire le travail accompli et les résultats obtenus dans les diocèses où cette action s'est exercée avec un zèle tenace et persévérant. Pour tout cela, Nous félicitons le Centre National d'Activités catéchistiques en exhortant tous Nos chers fils les prêtres qui en font partie à multiplier, si c'est possible, les efforts qui pourront conduire au but.

Quand Nous avons appris, chers jeunes gens, que vous vouliez voir le Pape et que pour cela vous aviez exprimé le désir que Rome fût choisie comme siège de votre assemblée, Nous Nous sommes empressé de donner des instructions afin que l'audience ait lieu dans les meilleures conditions possible. Aussi avons-Nous voulu vous voir ici, à part, pour être plus à Notre aise avec vous et vous parler plus librement. Peut-être n'imaginez-vous même pas chers fils et chères filles, toute la joie avec laquelle Nous vous souhaitons la bienvenue dans Notre paternelle affection, ni combien Nous sommes heureux que le souffle d'un printemps débordant de tant de promesses ait pénétré aujourd'hui dans la Maison du Père commun des fidèles.

Nous voudrions avoir le temps et la possibilité de Nous entretenir avec chacun de vous ! Nous voudrions, Nous ne dirons pas couronner votre front de laurier, mais au moins accrocher sur votre poitrine une médaille, afin qu'elle indique à vos parents, à vos maîtres, à tous vos chers compagnons, combien le Vicaire du Christ est satisfait et, par conséquent, combien est content Jésus lui-même. Qu'il vous bénisse comme Nous vous bénissons pour l'effort silencieux et constant qui vous a soutenus dans la compétition et vous a conduits à la victoire.

Aujourd'hui — Nous en sommes sûr — vous possédez déjà la culture religieuse qui est possible à votre âge et au degré de vos études. Vous avez donc la certitude absolue de l'existence de Dieu qui peut parler aux hommes et se faire entendre d'eux.



Avec l'aide de vos maîtres et, encore davantage, avec votre effort personnel, vous avez acquis la certitude, non seulement de l'authenticité, mais également de la valeur historique des Livres Saints. Et comme vous êtes convaincus que dans ces textes authentiques et historiques est présenté un homme véritable qui parle en Dieu, agit en Dieu, vit en Dieu, meurt en Dieu et ressuscite comme Dieu seul peut ressusciter, c'est-à-dire par sa propre vertu, vous avez pu — vous avez même dû — émettre, en pleine conscience et avec une joie sereine, votre acte de foi explicite et solennel.

Mais cette foi ferme et joyeuse, Nous voudrions qu'elle demeurât telle en vous également quand vous serez dans la pleine force de la jeunesse, quand la barque de votre âme pourrait courir des dangers que vous n'imaginez peut-être même pas aujourd'hui.

Chers fils et chères filles !

Au début de ce mois, en Nous adressant aux aumôniers diocésains d'Action Catholique, Nous avons recommandé de préparer pour l'Eglise une armée de jeunes héros, prêts à n'importe quelle hardiesse2. Voulez-vous aussi être de courageuses avant-gardes de cette pacifique armée ? Voulez-vous répondre pleinement à ce que l'Eglise attend de sa jeunesse étudiante ?

Après l'heureux succès au concours « Veritas », une autre victoire vous attend : celle sur un monde sans Christ, sans Dieu. Mais on ne livre et on ne gagne une telle bataille qu'avec une foi vive, intègre, cohérente. Haec est victoria ame vincit mun-dum, fiâes nostra 3. Cependant, elle pourrait vaciller, elle pourrait se briser sur les écueils du doute, elle pourrait être même submergée dans la boue de la passion. Si vous voulez donc répondre à ce que l'Eglise attend de vous, vous devez vous préparer à soutenir votre foi et à la défendre par tous les moyens.



Les jeunes doivent connaître sérieusement leur religion :

Personne n'exigera de vous, en extension et profondeur, la même culture que de celui qui fréquente un cours régulier de théologie ; mais vous devez aussi vous écarter de certains petits



* Cf. p. 405. » I lean, 5, 4.

manuels absolument insuffisants pour des hommes cultivés et vous vous garderez d'une superficialité qui crée de faciles déceptions à celui qui se contente, par exemple, seulement de formules apprises par coeur.

Il n'est pas douteux — et Nous saisissons l'occasion pour insister là-dessus — que la jeunesse catholique étudiante doit exceller dans toutes les branches de la culture ; le devoir l'exige, de même que le veut l'Eglise, qui, aujourd'hui comme toujours, doit défendre la civilisation chrétienne et humaine contre les attaques d'un matérialisme souvent bien masqué. Mais il est tout aussi certain que le développement sans cesse croissant de vos connaissances historiques, littéraires, scientifiques, sans l'approfondissement nécessaire et approprié de la religion, pourrait être tout ce qu'il y a de plus dangereux pour vos âmes. C'est pour cela, très chers jeunes gens, que Nous vous conjurons de continuer cette étude avec le zèle et la constance qui vous ont conduits cette année à la victoire au concours « Veritas ». Ne vous estimez pas satisfaits tant que vous n'aurez pas pénétré — le plus possible — le sens intime de la vérité religieuse, et tant que cette même vérité n'aura pas pénétré profondément en vous : dans votre intelligence, dans votre imagination, dans votre coeur, dans tout votre être.

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Il faut se prémunir contre le doute :

Cette étude assidue, attentive et profonde, non seulement assurera la solidité des bases de votre foi, mais elle vous fera éviter ou surmonter les écueils du doute : autre danger que rencontre l'âme des jeunes.

Il n'est pas question ici du doute que nous pourrions appeler « dynamique » et qui est fécond, constructeur ; c'est-à-dire du doute qui « naît au pied de la vérité » et est un stimulant pour de nouvelles études et de nouvelles conquêtes. Nous faisons, au contraire, allusion au doute « statique », qui presque toujours enfonce ses racines dans l'ignorance ou, tout au moins, dans la faible et imparfaite connaissance. Il faudra donc se soucier de résoudre, chaque fois et radicalement, toutes les difficultés qui se présenteraient et mettraient en péril vos certitudes, peut-être péniblement acquises. Pour arriver à cela vous devez avoir recours à vos maîtres, à vos livres de doctrine profonde et objective, à vos propres compagnons qui seraient mieux préparés et plus avancés que vous, sans oublier que la discussion animée et bien orientée peut être, elle aussi, un excellent moyen, pour soi et pour les autres, d'éclaircir les idées.

N'ayez pas de crainte que ce désir de clarification, que cet esprit de recherche, de votre part, puissent se heurter — comme certains le pensent à tort — à l'écueil de quelque vérité scientifique contraire. La vraie science ne peut jamais être contre la foi, parce que jamais une vérité ne peut être en contraste réel avec une autre vérité, le vrai Dieu étant le seul et même auteur de toute vérité.



Il faut lutter contre l'immoralité :

Nous ajouterons une dernière parole, chers fils et chères filles, et Nous voudrions vous la dire avec le coeur plutôt qu'avec les lèvres. Trop souvent, le naufrage de la foi chez les jeunes est provoqué non point par la faible solidité de la culture religieuse, ni par les écueils du doute rationnel, mais plutôt par la boue d'une passion, qui, aujourd'hui, fait des ravages — peut-être plus qu'hier — parce que le démon et les fils du démon ont multiplié démesurément les embûches contre votre vertu.

C'est la chaîne du vice impur, qui retient tant de jeunes dans l'obscurité d'un mystérieux cachot aux parois dorées et qui les empêche de voir la lumière ; c'est la boue des mauvaises moeurs qui trouble le coeur des jeunes et fait descendre sur l'oeil de l'esprit la cataracte du vice. Et quand les âmes sont devenues pour ainsi dire aveugles, un vigoureux torrent de lumière de la grâce est nécessaire pour dissiper leurs ténèbres et les réveiller de leur torpeur.

Ecoutez, chers fils et filles, la voix émue de votre Père ; regardez en haut comme il convient à des êtres humains ; élevez même votre regard plus loin, au-delà des étoiles, comme doivent le faire des fils de Dieu. Là-haut dans le ciel, se trouve votre Patrie ; là vous attend Dieu, votre Père, avec sa couronne, avec sa gloire, avec sa joie.

Dites-Nous, très chers jeunes gens, que pour vous conserver purs, vous n'hésiterez devant aucun martyre : ni le martyre du sang, ni le martyre non sanglant et silencieux auquel assistent les anges et Dieu. Demandez à Marie, la Mère si pure, la force de vous conserver sans tache au milieu de tant de laideurs, au milieu de tant de boue.

m Soyez réconfortés par la certitude que vous n'êtes pas seuls à lutter et à vaincre. Dans le lamentable spectacle de ténèbres et de mort, une scène de lumière et de vie est déjà assez visible. En effet, si vous regardez autour de vous, vous découvrirez une véritable multitude de jeunesses engagées dans le même combat et visant à la même victoire ; fleurs parfumées et pleines d'enchantement dans leur beauté cachée.

Peu importe si préférées par Dieu, elles demeurent éternellement des fleurs par la consécration de toute leur vie, ou si, après une jeunesse immaculée, elles fructifient dans un foyer béni par Dieu.

Certes, il n'est pas facile de trouver cette floraison de pureté hors de l'Eglise, et c'est ainsi, très chers jeunes gens, que vous vous assurerez une protection pour votre foi, mais vous serez aussi une autre preuve que l'humanité d'aujourd'hui, si elle veut se sauver du naufrage, doit regarder l'Eglise comme la seule capable de tenir efficacement le gouvernail.










LETTRE A SON EM. LE CARDINAL COPELLO LE NOMMANT LÉGAT AU CONCILE PLÉNIER DES ÉVÊQUES D'ARGENTINE

(30 septembre 1953) 1






C'est avec grand plaisir que Nous avons appris la décision de l'Episcopat de toute la République Argentine de célébrer au mois de novembre prochain un Concile Plénier au siège Métropolitain. Ce projet, certes opportun, Nous le louons justement et Nous l'encourageons présentement. Elle importe grandement en effet au salut des âmes et à la continuation des progrès, l'union des volontés des Evêques de chaque nation, de même que la concordance des lois et des préceptes, de manière que la comparaison des manières de voir amène une certaine norme commune de la conduite du troupeau. Les chapitres principaux à discuter en Concile Nous semblent assurément les suivants : De l'instruction catéchétique à donner tant aux enfants et jeunes gens dans les paroisses et les écoles qu'aux adultes dans les églises, selon les prescriptions du Décret « Provida sane » de la Sacrée Congrégation du Concile, du 12 janvier 1935 ; du ferme maintien de la foi catholique contre les doctrines des protestants, des francs-maçons et des communistes ; de l'impulsion à donner et du progrès à assurer à l'Action Catholique des laïcs et aux autres associations pieuses ; de la fidèle observance et du rétablissement des moeurs privées et publiques ; des vocations ecclésiastiques à cultiver par tous les moyens ; de la formation régulière des âmes des clercs et des adolescents et de la discipline des ministres sacrés, surtout des curés ; de la piété et du zèle à promouvoir de plus en plus ; de la question sociale et de sa solution à faire progresser avec ar

deur selon les préceptes de l'Evangile et les instructions du Saint-Siège ; de la bonne administration des biens ecclésiastiques et de l'exacte exonération des charges qui grèvent des legs et fondations pieuses. Mais comme, selon la règle du Droit Canon, un Concile Plénier doit être convoqué par Nous et présidé par Notre Légat, Nous vous choisissons et nommons Notre Légat, Cher Fils qui tenez le gouvernail de ce siège illustre et resplendissez de l'éclat de la pourpre romaine, pour que vous présidiez en Notre nom et par Notre autorité le Concile Plénier de l'Episco-pat argentin qui doit se tenir bientôt. Nous sommes assuré que les réunions solennelles de cette sorte seront très utiles au peuple chrétien pour l'accroissement de la religion et de la piété ancestrales, suppliant Dieu en une abondante prière d'éclairer et de diriger par la grâce céleste les esprits et les coeurs de tous les participants, et de mener cette rencontre à une heureuse et favorable conclusion. Que soit entre temps médiatrice et messagère de ce secours divin et le témoignage de Notre spéciale affection la Bénédiction apostolique que Nous vous accordons de grand coeur dans le Seigneur, à vous, Notre cher Fils, et aux autres Evêques d'Argentine, surtout au Cardinal-Evêque de Rosario, et à vos clergés et fidèles.

ALLOCUTION AUX INFIRMIÈRES D'ITALIE

(ier octobre 1953)1




Les participantes au Congrès National Italien des infirmières professionnelles et des assistantes visiteuses, ont été reçues en audience à Castel-gandolfo par le Saint-Père, qui prononça l'allocution suivante :

Avec le sentiment de prédilection que trouvent dans Notre coeur les apôtres de la charité, Nous vous souhaitons la bienvenue, chères filles, infirmières professionnelles et assistantes sanitaires visiteuses, qui désirez couronner votre Congrès par la Bénédiction du Vicaire de ce même Jésus que votre foi éclairée vous fait voir dans chaque malade, en vous enseignant à lui prodiguer quelque chose de plus et de mieux que la simple assistance professionnelle : c'est-à-dire la chaleur de la charité surnaturelle, qui est sans doute le premier et le meilleur remède.

L'infirmière est une messagère de charité — de même que des idéaux chrétiens :

Notre profonde pitié pour le vaste monde des malades ainsi que le désir que l'activité professionnelle soit pour vous un moyen quotidien de sanctification, Nous suggèrent de vous exhorter à pénétrer sans cesse davantage et à faire vôtre l'esprit de votre méritante Association, qui se propose le noble but d'élever votre profession à l'exercice d'un véritable ministère sacré, et en outre vous engage opportunément à vous employer, dans la mesure du possible, à ce que dans la législation soient protégés les principes de droit naturel et chrétien qui garantissent la liberté et le respect de la personne assistée.



Elle doit être compétente :

Ces deux buts, ou si l'on préfère, ces idéaux inspirant votre profession — quand ils sont secondés et soutenus par une

expérience technique en constant progrès — serviront à faire de chacune de vous le modèle de l'infirmière.



L'infirmière doit souvent méditer l'exemple du Christ :

Afin que vous puissiez aisément parvenir à un but si élevé, proposez-vous comme exemple le Divin Guérisseur de tous ceux qui avaient recours à Lui dans les tourments des maladies, le Maître Jésus. Méditez fréquemment sur les pages de l'Evangile, là où sont racontées les affectueuses rencontres du Fils de Dieu avec l'humanité souffrante. Avec un regard de pieuse attention, observez toute la pitié avec laquelle II se penchait sur les miséreux, le sentiment de paternité avec lequel II les accueillait et tout le dévouement avec lequel II se mettait à leur service, parcourant parfois un long chemin pour se rendre jusqu'auprès d'eux. Ne manquez pas de noter le profond respect pour leur personne et leur liberté dans l'emploi de son pouvoir de thaumaturge en leur faveur. L'attente ordinaire d'une demande quelconque de guérison de la part du malade, démontrait non seulement la valeur intrinsèque de la prière, mais également Son respect pour la personne et la volonté humaine. En un mot, Jésus ne guérissait pas pour ainsi dire d'autorité, mais attendait le libre consentement à son action ; de la même manière que, comme Rédempteur du genre humain, Il ne sauve que celui qui en quelque sorte le veut.

Voir Jésus-Christ dans le malade et vous comporter comme Lui avec lui : voilà l'idéal de tout infirmier chrétien ! Il en résultera ainsi que l'on verra, auprès de tout lit de douleur, deux fois l'image du Christ : dans le malade, le Christ du Calvaire expiant et résigné ; et en celui qui l'assiste, le Christ compatissant, médecin divin des âmes et des corps.



Pie XII précise les devoirs de l'infirmière dans le domaine de la hothérapie :

Votre Congrès a choisi comme thème d'étude la neuro-psy-chiâtrie en relation avec votre profession : en exposant donc sous vos yeux surtout les conditions pitoyables de la catégorie de malades qui inspire peut-être le plus de compassion — ceux de l'esprit —, et en vous invitant à vous préparer comme il convient pour leur consacrer quand c'est nécessaire, votre assistance professionnelle et chrétienne, il Nous paraît opportun à Nous aussi de vous encourager à cette haute et urgente charité.

C'est avant tout un honneur pour vous, le fait que la société attend de votre corporation la réalisation pratique des vastes programmes de prévention et de guérison que les savants et les techniciens de la psychothérapie proposent depuis quelques dizaines d'années ; ils le font en partie parce qu'ils sont en souci devant le nombre croissant de ces maladies et en partie parce qu'ils ont confiance dans les nouveaux systèmes de prophylaxie et de traitement qui devraient remplacer à peu près intégralement les mesures adaptées jusqu'à présent et considérées comme ne convenant plus désormais. Devant cette vaste mobilisation de la science et des pouvoirs publics pour vaincre le fléau social de la maladie mentale, Nous désirons, poussé non seulement par la profonde commisération humaine qu'inspirent ces malades, mais aussi par des considérations religieuses, exprimer une satisfaction particulière pour tout ce qui est fait et ce que se proposent d'entreprendre — même sur le plan mondial comme le « Comité d'experts de la santé mentale » — des comités, des organisations, des lois, pour promouvoir efficacement un des biens fondamentaux de l'homme : c'est-à-dire l'équilibre et l'harmonie de ses facultés physiques.



L'Eglise a en très haute estime la santé mentale :

Que la santé mentale soit un des biens fondamentaux au point de vue de la nature, c'est là chose évidente. Mais il en est de même dans le domaine religieux et surnaturel. En effet, le plein développement des valeurs religieuses et de la santé chrétienne n'est pas concevable dans une âme, si l'on ne part d'un esprit sain et équilibré dans ses mouvements ; alors que, en revanche, il est certain qu'aucune tare ou diminution physique ne peut empêcher la réalisation de la plus sublime sainteté. Est-il nécessaire de rappeler en quelle haute estime est tenue la santé mentale dans la pensée et dans l'usage chrétiens ? Tout ce que dit l'Ecriture pour louer la sagesse divine et la simple sagesse humaine, qui doivent être préférées aux forces physiques, aux royaumes, aux richesses 2 est une mise en valeur implicite des présuppositions psychiques, c'est-à-dire de l'esprit sain. Et dans la pratique, tout en permettant dans la pénitence et dans



2 Sap., 6, 1 et passim.

la mortification modérée, une inhibition de certaines facultés et de certains mouvements de l'esprit, et en estimant justifiées par les motifs les plus élevés de légères diminutions physiques et même la prévision d'une durée plus brève de la vie par les rigueurs de la pénitence, l'Eglise, on le sait, a en revanche toujours repoussé et condamné les formes pseudo-religieuses et pssudo-mystiques qui pourraient troubler l'équilibre psychique du sujet. Elle est également soucieuse de promouvoir dans sa tradition pédagogique et pastorale les meilleures méthodes qui, par une expérience éprouvée, permettent le développement harmonieux des facultés spirituelles. Et même, malgré ce que le sectarisme d'autres temps avait la prétention d'affirmer, il est admis aujourd'hui que la conduite de vie conforme aux préceptes chrétiens dont l'observation réclame souvent de graves luttes et sacrifices — qui peuvent toujours être surmontés à l'aide de la grâce — est la meilleure garantie pour sauvegarder chez des sujets normaux l'harmonie de l'esprit, tandis que les efforts pour la reconquérir constituent un soutien, un corroborant des forces épuisées ou écroulées.



C'est pourquoi l'Eglise se félicite aujourd'hui des progrès de la psychiatrie :

Si l'estime que trouve la santé morale dans la pensée et dans la vie catholique est donc si grande, il est juste que l'Eglise considère avec satisfaction la nouvelle voie sur laquelle s'est engagée la psychiatrie en ce récent après-guerre. Elle sait que soustraire un esprit à la démence en prévenant ou en soignant, est comme commencer à le gagner pour le Christ, car on le met dans la possibilité de devenir ou de redevenir, d'atrophié et inerte, un membre conscient et actif de son Corps mystique.

Que ce côté humain et religieux de votre profession soit donc présent à votre esprit, quand il vous sera donné de vous occuper de malades mentaux ou de travailler en quelque manière dans ce domaine, afin que vous soyez encouragées à prodiguer généreusement votre contribution personnelle et spirituelle de façon spéciale en les assistant directement, car ce ne sont pas tellement les remèdes externes qui les guérissent mais, et surtout, le voisinage d'esprits sains et harmonieux, qui servent à leur rendre une vision sereine et aimable du monde et de la vie.

En matière de psychiatrie, les infirmières doivent connaître leurs devoirs :

Votre qualité d'infirmières, bien qu'elle soit essentielle dans l'exercice du traitement et de la prophylaxie, soumet toutefois votre action aux règles et aux suggestions des psychiatres dont vous devez normalement suivre avec fidélité les indications. Mais comme il s'agit d'une matière ayant des rapports si étroits avec les droits de la personne et comme il est généralement facile pour chacun de se former, sur la base de ses propres expériences et observations intérieures, un jugement sur la valeur ou non d'une méthode déterminée de traitement, il peut se faire que vous trouviez, par un juste discernement, quelque contraste entre ce jugement et les principes naturels et chrétiens que vous professez, d'autant plus que la psychiatrie moderne s'avance avec hardiesse sur des voies qui ne sont pas encore consolidées par une longue expérience. Comment vous comporter dans de tels conflits éventuels ? S'agissant de droits naturels authentiques et sacrés, il n'est pas nécessaire de le dire. Il faut plutôt que vous sachiez exactement quels sont ceux-ci.

Le Pape résume les devoirs des psychiatres :

Aussi avons-Nous eu le souci d'en exposer les plus importants et fondamentaux, à l'occasion d'un récent Congrès international de Psychothérapie et Psychologie clinique, aux illustres participants qui se réunirent en Notre présence 3. En effet, Nous leur disions, et Nous le rappelons à présent, que l'attitude fondamentale du psychologue et du psychiatre chrétiens devant l'homme doit consister à le considérer : 1) comme unité et totalité psychiques ; 2) comme unité organisée en elle-même ; 3) comme unité sociale ; enfin 4) comme unité transcendantale, c'est-à-dire tendant vers Dieu. Il est clair que cette dernière considération trop souvent sujette à être négligée en raison de la survivance de courants naturalistes, doit en revanche être tenue dans un profond respect par vous qui vous proposez d'élever votre profession au rang d'un véritable ministère sacré. N'oubliez donc pas que la perfection, l'équilibre et l'harmonie de l'esprit humain se réalisent ici-bas dans la tendance vers Dieu et là-haut dans leur accomplissement. C'est là un principe qui, sur le plan doctrinal, vous donne l'explication complète de la nature humaine et, sur le plan pratique, vous éloigne de ces méthodes de traitement qui, quoique avantageuses en apparence nuisent cependant à la meilleure partie de l'homme. Nous faisions alors allusion à certains cas, comme celui de troubles psychiques dus à une claire conscience de culpabilité qu'aucun soin ne peut apaiser, si ce n'est le repentir religieux, et à la fausse méthode induisant à estimer comme péché matériel l'exercice illicite d'une faculté quand existe en même temps la claire conscience de ce caractère illicite.

Il faudra surtout amener les malades à pratiquer les vertus chrétiennes :

Toutefois si l'on excepte ces contrastes qui peuvent surgir entre les systèmes modernes de traitement et les principes chrétiens, votre action devra normalement se conformer aux règles et aux prescriptions de la science, dont vous saurez apprécier et suivre les progrès. Celle-ci vous demande avant tout de créer autour du malade une atmosphère de sérénité et de confiance amicale. Mais qui peut obtenir cela, si ce n'est celui qui vit déjà soi-même dans la sérénité et dans l'harmonie de ses propres facultés ? Or seul l'exercice parfait des vertus chrétiennes produit la sérénité intérieure et cet optimisme éprouvé, qui se reflètent spontanément chez les autres et sont la meilleure aide qui puisse être offerte à un malade de l'esprit. Ils font oublier facilement les circonstances malheureuses de la vie qui ont concouru à provoquer la maladie, plus facilement que la clinique ou l'isolement.

En toutes circonstances, l'infirmière sera mue par les sentiments chrétiens.

Et, lorsque dans le domaine de la prophylaxie, vous vous trouverez placées auprès de berceaux où il n'y a plus de mères, pour collaborer à la vaste oeuvre d'hygiène mentale prévue dans les programmes modernes, l'importance qu'a la part affective qui vous est réclamée en plus de la technique d'observation et de contrôle, est évidente. Mais aucune femme ne peut se sentir tout à fait la mère de créatures d'autrui et leur communiquer cette affection qui, suivant un psychologue contemporain, est aussi importante pour la santé mentale que les vitamines et les protéines pour la santé physique, si elle ne trouve pas en elle un solide titre de maternité spirituelle. La foi et la piété chrétiennes offrent une large base à ce titre de mère à l'égard de tout fils de Dieu racheté par Jésus-Christ. La même chose est valable si vous êtes destinées à collaborer avec les maîtres dans les écoles, avec les assistantes sociales dans les usines, avec les médecins dans les asiles des vieillards et dans les dispensaires où la psychothérapie entend apporter son action prophylactique. L'esprit de foi doit vous accompagner en tout lieu, non seulement comme protection de votre vertu, mais également comme sérieux coefficient de votre valeur professionnelle.

Chères filles infirmières, qui, par vocation religieuse ou par libre choix, avez embrassé une vie hérissée de sacrifices pour le bien de l'humanité souffrante, vous ne devez pas estimer votre oeuvre moins qu'elle n'est appréciée par Dieu et la société humaine. Elle est noble et nécessaire, elle vise à procurer le bien du corps et celui de l'âme, et elle sert le temps et l'éternité : véritable ministère sacré ! Cette estime, sans nuire au sentiment chrétien de votre humilité, doit vous servir de stimulant et d'encouragement dans le dur travail, dans la patience inaltérable, dans l'exactitude scrupuleuse ; et quand il s'agit de malades de l'esprit, elle est un motif de générosité pour donner quelque chose de votre esprit au frère infortuné afin qu'il renaisse à la vie. Que la blancheur, rayonnant de vos vêtements et évoquant aux yeux fatigués des malades des visions angéliques, soit le symbole et l'uniforme de votre vie intérieure et surnaturelle, telle qu'elle fasse vraiment de vous des anges mis au service des hommes.

Afin que ces idéaux, comme Nous le souhaitons Nous-même, se réalisent en vous et en tous ceux qui s'offrent à soulager les chers malades toujours présents dans Notre esprit et dans Nos prières, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.









DISCOURS AU VIe CONGRÈS INTERNATIONAL DE DROIT PÉNAL



(3 octobre 1953) 1





Le VIe Congrès International de Droit Pénal s'étant tenu à Rome, les participants furent reçus en audience à Castelgandolfo et le Souverain Pontife lut le discours suivant :

Nous croyons que très rarement un groupe aussi important et aussi choisi de juristes, spécialistes de la science et de la pratique du droit, venus du monde entier, se soient trouvés réunis dans la demeure du Pape, comme Nous vous voyons aujourd'hui rassemblés autour de Nous. Notre joie est d'autant plus grande, Messieurs, de vous souhaiter la bienvenue dans Notre maison. Ce salut s'adresse à chacun de vous comme à l'ensemble de votre sixième Congrès International de Droit Pénal qui, pendant ces derniers jours, a déployé une activité intense. Nous prenons un vif intérêt au déroulement de votre Congrès, et Nous ne pouvons Nous empêcher de faire au sujet de ses objectifs et de ses résolutions quelques considérations de principes : Nous espérons répondre ainsi aux souhaits qui sont parvenus de vos rangs jusqu'à Nous.



Le Pape situe le droit pénal :

Une vie sociale, pacifique et ordonnée, dans la communauté nationale ou dans celle des peuples, n'est possible que si l'on observe les normes juridiques qui règlent l'existence et le travail en commun des membres de la société. Mais, il se trouve toujours des gens qui ne s'en tiennent pas à ces normes et qui violent le droit. Contre eux, la société doit se protéger.

De là, le droit pénal qui punit la transgression et par le châtiment ramène le transgresseur à l'observation du droit violé.

Ensuite, le Pape signale la nécessité d'internationaliser certains articles du droit pénal :

Les Etats et les peuples ont chacun leur droit pénal propre. Ceux-ci sont constitués par l'assemblage de nombreuses parties et toujours il subsiste entre eux une diversité plus ou moins grande. Comme de nos jours on change facilement de domicile et l'on passe fréquemment d'un Etat dans un autre, il est souhaitable qu'au moins les délits les plus graves soient sanctionnés partout et, si possible, d'une manière également sévère de sorte que les coupables ne puissent nulle part se soustraire ou être soustraits au châtiment. C'est une entente et un soutien réciproques de ce genre que le droit pénal international - tâche de réaliser.

Si ce que Nous disions vaut déjà en temps normal, l'urgence en apparaît tout particulièrement en temps de guerre et lors de troubles politiques violents, quand des luttes civiles éclatent à l'intérieur d'un Etat. Le délinquant en matière politique trouble autant l'ordre de la vie sociale que le délinquant du droit commun : ni l'un ni l'autre ne peuvent avoir l'assurance de l'impunité.

Protéger les individus et les peuples contre l'injustice et les violations du droit par l'élaboration d'un droit pénal international constitue un objectif élevé. C'est pour essayer de l'atteindre que Nous voudrions vous adresser quelques mots.

La guerre et l'après-guerre ont montré la nécessité d'établir des normes internationales :

Nous parlerons d'abord de l'importance du droit pénal international telle qu'elle ressort de l'expérience de ces dernières dizaines d'années.

Cette expérience couvre deux guerres mondiales et leurs répercussions. Au cours de leurs péripéties, à l'intérieur des pays et entre eux, et lorsque les totalitarismes politiques se déployaient librement, des faits se sont produits dont l'unique loi était la violence et le succès : on a témoigné alors d'un cynisme impensable en des circonstances normales pour atteindre la fin proposée et la neutralisation de l'adversaire. Celui-ci

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n'était plus en général considéré comme un homme. Ce ne sont pas des forces naturelles aveugles, mais des hommes qui, tantôt avec une passion sauvage, tantôt avec une froide réflexion, ont apporté à des individus, à des communautés, à des peuples, d'indicibles souffrances, la misère et l'anéantissement.

Ceux qui agissaient ainsi se sentaient sûrs ou tentaient de se procurer l'assurance que personne ne pourrait jamais, où que ce soit, leur demander des comptes. Si le destin se tournait contre eux, il leur restait toujours possible de fuir à l'étranger. Telle était la disposition d'âme de ceux qui se conduisaient eux-mêmes en criminels ou qui, forts de leur puissance, commandaient aux autres, les forçaient à agir, ou leur laissaient commettre le mal, bien qu'ils pussent et fussent obligés de les en empêcher.

Chez leurs sujets, tout ceci créait l'impression d'une carence du droit, d'un manque de protection, et celle d'être livrés à l'arbitraire et à la force brutale. Mais cela révélait aussi une exigence : il faut que tous les coupables dont Nous venons de parler soient, sans considération de personne, obligés de rendre compte, qu'ils subissent la peine et que rien ne puisse les soustraire au châtiment de leurs actes, ni le succès, ni même « l'ordre d'en haut » qu'ils ont reçu.

C'est le sens humain spontané de la justice qui exige une sanction et qui aperçoit dans la menace d'une peine applicable à tous une garantie, sinon infaillible, du moins non négligeable contre de tels délits. Ce sens de la justice a trouvé en gros une expression suffisante dans le droit pénal des Etats, pour ce qui concerne les délits de droit commun ; à un moindre degré, dans les cas de violences politiques à l'intérieur des Etats ; et très peu, jusqu'à présent, pour les faits de guerre entre les Etats et les peuples.

Et cependant un sens équilibré de la justice ne pose pas des exigences moins évidentes, ni moins urgentes, et, s'il y est satisfait, on n'éprouvera pas moins sa force d'inhibition. La certitude, confirmée par les traités, que l'on devra rendre compte — même si l'acte délictueux réussit, même si l'on commet le délit à l'étranger, même si l'on fuit à l'étranger après l'avoir commis — cette certitude est une garantie à ne pas sous-estimer. La considération de ces circonstances est propre à faire comprendre, même au premier venu, l'importance d'un droit pénal international. En effet, il ne s'agit pas ici de simples exigences de la nature humaine et du devoir moral, mais de l'élaboration de normes juridiques coercitives clairement définies qui, en vertu de traités formels, deviennent obligatoires pour les Etats contractants.

J7 faut prévoir des sanctions uniformes pour les délits particulièrement graves :

En second lieu, Nous parlerons des catégories de délits, dont le droit pénal international a l'intention de s'occuper.

Si déjà le droit pénal ordinaire doit appliquer le principe qu'il ne peut prendre pour objets tous les actes contraires à la morale, mais ceux-là seuls qui menacent sérieusement l'ordre de la vie communautaire, ce même principe mérite une considération toute spéciale lors de l'élaboration d'un droit pénal international 2. Ce serait une entreprise vouée d'avance à l'échec que de vouloir établir des conventions internationales au sujet de toutes les infractions quelque peu importantes. On ne doit envisager ici, que les délits particulièrement graves, disons même, les plus graves. Pour eux seuls, il est possible d'uniformiser le droit pénal entre les Etats.



Les sanctions doivent être basées sur des critères objectifs :

En outre, le choix et la délimitation des délits à punir doivent se baser sur des critères objectifs : la gravité de certains délits et la nécessité de procéder précisément contre eux. Sous ces deux aspects, il est d'une importance décisive de tenir compte des éléments suivants :

1) la valeur des biens lésés ; ce ne seront que les plus considérables ;

2) la force d'attrait qui pousse à léser ;

3) l'intensité de la volonté mauvaise que l'on déploie habituellement, quand on commet ces délits ;

4) le degré de perversion de l'ordre juridique dans la personne du délinquant, au cas, par exemple où ceux qui devraient être les gardiens du droit le violent eux-mêmes ;

5) la gravité de la menace qui pèse sur l'ordre juridique à cause de circonstances extraordinaires, qui d'une part accentuent le péril d'entreprises délictueuses, et d'autre part les rendent



2 Cf. S. Thomas d'Aquin, Summ. Theol, la, zae, q. 96, a. 2 ad I.

beaucoup plus redoutables dans leurs effets. Qu'on songe, par exemple, aux situations d'exception, aux états de guerre et de siège.

Sur la base de ces critères, on peut citer une série de cas que devrait sanctionner un droit pénal international.

Pie XII énonce une série de cas qui devraient relever d'un droit pénal international.

En premier lieu, le crime de guerre.

En première place se trouve le crime d'une guerre moderne, que n'exige pas la nécessité inconditionnée de se défendre et qui entraîne — Nous pouvons le dire sans hésiter — des ruines, des souffrances et des horreurs inimaginables. La communauté des peuples doit compter avec les criminels sans conscience, qui, pour réaliser leurs plans ambitieux, ne craignent pas de déclencher la guerre totale. C'est pourquoi si les autres peuples désirent protéger leur existence et leurs biens les plus précieux et s'ils ne veulent pas laisser les coudées franches aux malfaiteurs internationaux, il ne leur reste qu'à se préparer pour le jour où ils devront se défendre. Ce droit à se tenir sur la défensive, on ne peut le refuser, même aujourd'hui, à aucun Etat. Cela ne change d'ailleurs absolument rien au fait que la guerre injuste est à placer au premier rang des délits les plus graves, que le droit pénal international met au pilori, qu'il frappe des peines les plus lourdes, et dont les auteurs restent en tout cas coupables et passibles du châtiment prévu.

En deuxième lieu, certains procédés de guerre :

Les guerres mondiales que l'humanité a vécues, et les événements qui se sont déroulés dans les Etats totalitaires, ont engendré encore beaucoup d'autres méfaits, parfois plus graves, qu'un droit pénal international devrait rendre impossibles, ou dont il devrait débarrasser la communauté des Etats. Aussi même dans une guerre juste et nécessaire, les procédés efficaces ne sont pas tous défendables aux yeux de qui possède un sens exact et raisonnable de la justice. La fusillade en masse d'innocents par représailles pour la faute d'un particulier n'est pas un acte de justice, mais une injustice sanctionnée ; fusiller des otages innocents ne devient pas un droit parce qu'on en fait une nécessité de guerre. Ces dernières dizaines d'années, on a vu massacrer par haine de race ; on a mis à jour devant le monde entier les horreurs et les cruautés des camps de concentration ; on a entendu parler de la « suppression » par centaines de milliers « d'êtres inadaptés à la vie », d'impitoyables déportations en masse, dont les victimes étaient livrées à la misère souvent avec femmes et enfants, de violences exercées sur un si grand nombre de jeunes filles et de femmes sans défense, de chasse à l'homme organisée parmi la population civile pour enrôler des travailleurs ou plus exactement des esclaves du travail. L'administration de la justice dégénéra par endroits jusqu'à un arbitraire sans limites tant dans les procédés d'enquête que dans le jugement et l'exécution de la sentence. Pour se venger de quelqu'un dont les actes étaient peut-être moralement irréprochables, on n'a même pas eu honte parfois de s'en prendre aux membres de sa famille.

Ces quelques exemples — vous savez qu'il en existe beaucoup d'autres — peuvent suffire pour montrer quel genre de délits doivent faire l'objet de conventions internationales capables d'assurer une protection efficace et qui indiqueront exactement les délits à poursuivre et fixeront leurs caractéristiques avec une précision toute juridique.



Le droit pénal doit fixer pour chaque délit une peine.

Le troisième point, qui exige au moins une brève mention, concerne les peines que doit requérir le droit pénal international. Une remarque générale peut ici suffire.

Il existe une façon de punir qui livre le droit pénal au ridicule ; mais il en est une qui dépasse toute mesure raisonnable. Là où l'on jouerait avec la vie humaine un jeu criminel ; où des centaines et des milliers de gens seraient livrés à la misère extrême et poussés à la détresse : une pure et simple privation des droits civils constituerait un affront à la justice. Quand, au contraire, la transgression d'un règlement de police, quand une parole inconsidérée contre l'autorité est punie de la fusillade ou du travail forcé à perpétuité, le sens de la justice se révolte. La fixation des peines dans le droit pénal et leur adaptation au cas particulier devrait répondre à la gravité des délits.

Le droit pénal des divers Etats se charge en général d'énu-mérer les sanctions et de préciser les normes qui les déterminent,






ou il laisse ce soin au juge. Mais il faudrait tâcher d'obtenir par des conventions internationales un ajustement de ces peines, si bien que les délits cités dans les conventions ne puissent nulle part donner quelque profit, c'est-à-dire que leur punition ne soit pas moins redoutable dans un pays que dans un autre, et qu'on ne puisse espérer un jugement plus bénin devant un tribunal que devant un autre. Imposer de force un tel ajustement aux Etats serait impossible. Mais un échange de vues objectif pourrait laisser cependant une chance d'arriver peu à peu à un accord sur l'essentiel. On ne rencontrerait d'obstacle invincible que là où un système politique serait lui-même bâti sur les injustices précitées que l'entente internationale doit poursuivre. Qui vit de l'injustice ne peut contribuer à l'élaboration du droit et qui se sait coupable ne proposera pas une loi qui établit sa culpabilité et le livre au châtiment. Cette circonstance explique un peu ce qui est arrivé quand on a tenté de faire reconnaître les « Droits de l'Homme », bien qu'il existe d'autres difficultés qui procèdent de motifs entièrement différents.



Pie XII traite ensuite des garanties juridiques.

Nous parlerons en quatrième lieu des garanties juridiques, dont il est question à diverses reprises dans le programme de votre Congrès.

La fonction du droit, sa dignité et le sentiment d'équité naturel à l'homme, demandent que, du début jusqu'à la fin, l'action punitive se base non sur l'arbitraire et la passion, mais sur des règles juridiques claires et fermes. Cela signifie d'abord qu'il y a une action juridique, au moins sommaire, si l'on ne peut attendre sans danger, et que par réaction contre un délit on ne passe pas outre au procès pour mettre la justice devant le fait accompli. Venger un attentat à la bombe commis par un inconnu en fauchant à la mitrailleuse les passants qui se trouvent par hasard dans la rue, n'est pas un procédé légal.



Et d'abord en matière d'arrestation.

Déjà le premier pas de l'action punitive, l'arrestation, ne peut obéir au caprice, mais doit respecter les normes juridiques. Il n'est pas admissible que même l'homme le plus irréprochable puisse être arrêté arbitrairement et disparaître sans plus dans une prison. Envoyer quelqu'un dans un camp de concentration et l'y maintenir sans aucun procès régulier, c'est se moquer du droit.



De même, il faut exclure la torture.

L'instruction judiciaire doit exclure la torture physique et psychique et la narco-analyse, d'abord parce qu'elles lèsent un droit naturel, même si l'accusé est réellement coupable, et puis parce que trop souvent elles donnent des résultats erronés. Il n'est pas rare qu'elles aboutissent exactement aux aveux souhaités par le tribunal et à la perte de l'accusé, non parce que celui-ci est coupable en fait, mais parce que son énergie physique et psychique est épuisée et qu'il est prêt à faire toutes les déclarations que l'on voudra. « Plutôt la prison et la mort que pareille torture physique et psychique ! » De cet état de choses Nous trouvons d'abondantes preuves dans les procès spectaculaires bien connus avec leurs aveux, leurs autoaccusations et leurs requêtes d'un châtiment impitoyable.

Il y a 1100 ans environ, en 866, le grand Pape Nicolas I,r répondait de la manière suivante à l'une des demandes d'un peuple qui venait d'entrer en contact avec le christianisme 3.

« Si un voleur ou un brigand est pris et nie ce qu'on lui impute, vous affirmez chez vous que le juge doit lui rouer la tête de coups et lui percer les côtés avec des pointes de fer jusqu'à ce qu'il dise la vérité. Cela, ni la loi divine ni la loi humaine ne l'admettent : l'aveu ne doit pas être forcé, mais spontané ; il ne faut pas qu'il soit extorqué, mais volontaire ; enfin s'il arrive qu'après avoir infligé ces peines, vous ne découvrez absolument rien de ce dont on charge l'inculpé, ne rougissez-vous donc pas à ce moment du moins et ne reconnaissez-vous pas combien votre jugement fut impie ? De même, si l'inculpé ne pouvant supporter de telles tortures, avoue des crimes qu'il n'a pas commis, qui, je vous le demande, porte la responsabilité d'une telle impiété, sinon celui qui l'a contraint à pareil aveu mensonger ? Bien plus, on le sait, si quelqu'un profère des lèvres ce qu'il n'a pas dans l'esprit, il n'avoue pas mais il parle. Renoncez donc à ces choses et maudissez du fond du coeur ce que, juqu'à présent, vous avez eu la folie de pratiquer ; en effet, quel fruit avez-vous retiré de ce dont vous rougissez maintenant ? »

Qui ne souhaiterait que durant le long intervalle écoulé depuis lors, la justice ne se soit jamais écartée de cette règle ! Qu'il faille aujourd'hui rappeler cet avertissement donné voici 1100 ans, est un triste signe des égarements de la pratique judiciaire au vingtième siècle.



Il faut ménager pour l'accusé des moyens de défense.

Parmi les garanties de l'action judiciaire, on compte aussi la possibilité pour l'accusé de se défendre réellement, et non seulement pour la forme. Il doit lui être permis, ainsi qu'à son défenseur, de soumettre au tribunal tout ce qui parle en sa faveur ; il est inadmissible que la défense ne puisse avancer que ce qui agrée au tribunal et à une justice partiale.



Le tribunal doit être composé de juges impartiaux.

Aux garanties du droit se rattache comme un facteur essentiel, la composition impartiale de la cour de justice. Le juge ne peut être « partie », ni personnellement ni pour l'Etat. Un juge qui possède le sens véritable de la justice renoncera de lui-même à l'exercice de sa juridiction dans le cas où il devrait se considérer comme partie. Les « tribunaux populaires », qui dans les Etats totalitaires furent composés exclusivement de membres du parti, n'offraient aucune garantie juridique.

L'impartialité du collège des juges doit être assurée aussi et surtout quand des relations internationales sont engagées dans les procès pénaux. En pareil cas, il peut être nécessaire de recourir à un tribunal international, ou du moins de pouvoir en appeler du tribunal national à un tribunal international. Celui qui n'est pas impliqué dans le différend, ressent un malaise lorsqu'après la fin des hostilités, il voit le vainqueur juger le vaincu pour des crimes de guerre, alors que ce vainqueur s'est rendu coupable envers le vaincu de faits analogues. Les vaincus peuvent sans doute être coupables ; leurs juges peuvent avoir un sens manifeste de la justice et la volonté d'une entière objectivité ; malgré cela, en pareil cas, l'intérêt du droit et la confiance que mérite la sentence demanderont assez souvent d'adjoindre au tribunal des juges neutres, de telle manière que la majorité décisive dépende de ceux-ci. Le juge neutre ne doit pas considérer alors comme de son devoir d'acquitter l'accusé ; il doit appliquer le droit en vigueur et se comporter d'après lui. Mais l'adjonction précitée donne à tous les intéressés immédiats, aux tiers hors de cause et à l'opinion publique mondiale une assurance plus grande que le « droit » sera prononcé. Elle constitue sans aucun doute une certaine limitation de la souveraineté propre ; mais cette renonciation est plus que compensée par l'accroissement de prestige, par le surplus de considération et de confiance envers les décisions judiciaires de l'Etat qui agit ainsi.



Il faut déterminer exactement la faute.

Parmi les garanties exigées par le droit, il n'est rien peut-être d'aussi important ni d'aussi difficile à obtenir que la détermination de la culpabilité. Ce devrait être en droit pénal un principe inattaquable que la « peine » au sens juridique suppose toujours une « faute ». Le principe de causalité pure et simple ne mérite pas d'être reconnu comme un principe juridique se suffisant à lui tout seul. Il n'y a là d'ailleurs aucune menace pour le droit. Dans le délit commis avec intention mauvaise, le principe de causalité sort son plein effet ; le résultat — Yeffectu secuto du droit canonique — peut réellement être exigé pour que l'existence d'un délit soit vérifiée ; mais, en droit pénal, la causalité et le résultat obtenu ne sont imputables que s'ils vont de pair avec la culpabilité.

Ici, le juge se heurte à des problèmes difficiles, même très difficiles. Pour les résoudre, il faut avant tout un examen consciencieux du fait subjectif — l'auteur du délit connaissait-il suffisamment l'illégalité de son acte ? sa décision de l'accomplir était-elle substantiellement libre ? On s'aidera pour répondre à ces questions des présomptions prévues par le droit. S'il est impossible d'établir la culpabilité avec une certitude morale on s'en tiendra au principe : in dubio standum est pro reo.



Que décider dans le cas de participation à un crime commandé par des instances supérieures ?

On trouve déjà tout ceci dans le procès criminel simple. Mais les nombreux procès de la guerre et de l'après-guerre jusqu'à

nos jours ont conféré au problème une physionomie particulière. Le juge y devait et y doit encore étudier le cas de ceux qui ont commandé à d'autres de commettre un délit, ou qui ne l'ont pas empêché bien qu'ils le pussent et le dussent. Plus fréquemment encore se posait la question de la culpabilité de ceux qui n'avaient commis de faute que sur l'ordre de leurs chefs ou même forcés par eux sous la menace des pires châtiments et souvent de la mort. Bien souvent, dans ces procès, les accusés ont invoqué cette circonstance qu'ils n'avaient agi que sur injonction des « instances supérieures ».

Sera-t-il possible d'obtenir par des conventions internationales, d'une part, que les chefs soient mis juridiquement dans l'incapacité d'ordonner des crimes, et soient punissables pour avoir donné de tels ordres ; et d'autre part, que les subordonnés soient dispensés d'exécuter ceux-ci, et soient punissables s'ils y obtempéraient ? Sera-t-il possible de supprimer par des conventions internationales la contradiction juridique par laquelle un inférieur est menacé dans ses biens et sa vie, s'il n'obéit pas, et, s'il obéit, d'avoir à craindre qu'après les hostilités le parti lésé, s'il remporte la victoire, ne le traduise en justice comme « criminel de guerre » ? Aussi claire que puisse être la norme morale dans ces cas — aucune instance supérieure n'est habilitée à commander un acte immoral ; il n'existe aucun droit, aucune obligation, aucune permission d'accomplir un acte en soi immoral, même s'il est commandé, même si le refus d'agir entraîne les pires dommages personnels — cette norme morale n'entre pas pour l'instant en discussion ; il s'agit à présent de mettre fin à la contradiction juridique que Nous avons signalée, en établissant par le moyen de conventions internationales des règles juridiques positives, bien définies reconnues par les Etats contractants et obligatoires.



faut examiner le cas des fautes collectives.

La même nécessité d'un règlement international existe par rapport au principe, si souvent invoqué et appliqué ces dernières dizaines d'années, de la faute collective, sur lequel le juge avait à se prononcer lors du procès sur la culpabilité de l'accusé et qui, plus souvent encore, servit à justifier des mesures administratives. Les Etats et les tribunaux qui trouvaient dans le principe de la faute collective une justification à leurs prétentions et à leurs agissements, l'invoquaient en théorie et l'appliquaient comme règle d'action. Les opposants le contestaient, le considéraient comme inacceptable dans tout ordre de choses établi seulement par les hommes, parce qu'entaché de contradiction en lui-même et au point de vue juridique. Mais ici aussi, le problème éthique et philosophique de la faute purement collective n'est pas en jeu pour le moment ; il s'agit plutôt de trouver et de fixer juridiquement une formule pratique adoptable en cas de conflit, surtout de conflit international, où la faute collective peut être d'une importance décisive pour déterminer la culpabilité et l'a été plus d'une fois. La garantie d'un processus juridique régulier exige ici que l'action des gouvernements et des tribunaux soit soustraite à l'arbitraire et à l'opinion purement personnelle et reçoive un fondement solide de normes juridiques claires, un fondement qui réponde à la saine raison, au sentiment universel de justice, et à la disposition duquel les gouvernements contractants puissent mettre leur autorité et leur force de coercition.



Les fondements du droit.

Un dernier mot au sujet de certains fondements du droit pénal. Ce sont les suivants :

1. — L'établissement d'un droit positif présuppose une série d'exigences fondamentales empruntées à l'ordre ontologique.

2. — Il faut édifier le droit pénal sur l'homme comme être personnel et libre.

3. — Seul peut être puni celui qui est coupable et responsable devant une autorité supérieure.

4. — La peine et son application sont en dernière analyse des fonctions nécessaires de l'ordre juridique.



Il y a un droit essentiel.

1. — Le droit est nécessairement fondé en dernier ressort sur l'ordre ontologique, sa stabilité, son immutabilité. Partout où des hommes et des peuples sont groupés en communautés juridiques, ne sont-ils pas précisément des hommes, avec une nature humaine substantiellement identique ? Les exigences, qui découlent de cette nature, sont les normes ultimes du droit. Aussi différente que puisse être la formulation de ces exigences en droit positif, d'après les temps et les lieux, d'après le degré d'évolution et de culture, leur noyau central, parce qu'il exprime la « nature », est toujours la même.

Ces exigences sont comme le point mort d'un pendule. Le droit positif dépasse le point mort, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, mais le pendule retourne toujours, qu'il le veuille ou non, au point mort fixé par la nature. Que l'on appelle ces exigences de la nature « droit », « normes éthiques », ou « postulats delà nature », peu importe. Mais il faut reconnaître le fait qu'elles existent ; qu'elles n'ont pas été établies par le caprice de l'homme ; qu'elles sont enracinées ontologiquement dans la nature humaine que l'homme n'a pas façonnée lui-même ; qu'elles doivent donc se trouver partout ; que par conséquent, tout droit public et tout droit des gens trouvent dans la nature humaine commune un fondement clair, solide et durable.

Il s'ensuit qu'un positivisme juridique extrême ne peut se justifier devant la raison. Il représente le principe : « Le droit comprend tout ce qui est établi comme „ droit " par le pouvoir législatif dans la communauté nationale ou internationale, et rien que cela, tout à fait indépendamment de n'importe quelle exigence fondamentale de la raison ou de la nature ». Si l'on s'appuie sur ce principe, rien n'empêche qu'un contresens logique et moral, la passion déchaînée, les caprices et la violence brutale d'un tyran et d'un criminel puissent devenir « le droit ». L'histoire fournit, on le sait, plus d'un exemple de cette possibilité devenue réalité. Là où par contre le positivisme juridique est-compris de telle sorte que, tout en reconnaissant pleinement ces-exigences fondamentales de la nature, on n'utilise le terme « droit » que pour les lois élaborées par le législatif, plusieurs jugeront peut-être cet emploi peu exact dans sa généralité ; toujours est-il qu'il offre une base commune pour l'édification d'un droit international fondé sur l'ordre ontologique.



Il faut considérer les hommes comme responsables de leurs actes.

2. — La réalisation de l'ordre ontologique s'obtient d'une manière essentiellement autre que l'ordre physique. Ce dernier se réalise automatiquement par la nature des choses elle-même. Celui-là par contre ne s'accomplit que par la décision personnelle de l'homme, quand précisément il conforme sa conduite à l'ordre juridique. « L'homme décide de chacun de ses actes personnels » : cette phrase est une conviction humaine indéracinable. La généralité des hommes n'admettra jamais que ce que l'on appelle l'autonomie du vouloir ne soit qu'un tissu de forces internes et externes.

On parle volontiers des mesures de sûreté destinées à remplacer la peine ou à l'accompagner, de l'hérédité, des dispositions naturelles, de l'éducation, de l'influence étendue des dy-namismes à l'oeuvre dans les profondeurs de l'inconscient. Bien que ces considérations puissent donner des résultats intéressants, qu'on ne complique pas le fait tout simple : l'homme est un être personnel, doué d'intelligence et de volonté libre, un être qui finalement décide lui-même de ce qu'il fait ou ne fait pas. Etre doué d'autodétermination ne veut pas dire échapper à toute influence interne et externe, à tout attrait et à toute séduction ; cela ne veut pas dire ne pas lutter pour garder le droit chemin, ne pas devoir livrer chaque jour un combat difficile contre des poussées instinctives peut-être maladives ; mais cela signifie ensuite que l'homme normal doit servir de règle dans la société et dans le droit.

Le droit pénal n'aurait pas de sens, s'il ne prenait en considération cet aspect de l'homme ; mais si celui-ci a la vérité pour soi, le droit pénal a un sens plénier. Et puisque cet aspect de l'homme est une conviction de l'humanité, les efforts pour uniformiser le droit pénal ont une base solide.



Seul le coupable doit être puni.

3. — Un troisième présupposé de la justice pénale est le facteur de la faute. Celui-ci situe en dernier ressort la frontière entre la justice au sens propre et les mesures administratives de sécurité. Sur lui repose finalement le veto inconditionné de l'ordre juridique pénal contre l'arbitraire et les violations du droit ; de lui se tire une dernière motivation et délimitation des garanties requises dans la procédure pénale.

Le droit pénal dans sa nature intime est une réaction de l'ordre juridique contre le délinquant ; il présuppose le lien causal entre celui-ci et celui-là. Mais ce lien causal doit être établi par le délinquant coupable.

C'est une erreur de la pensée juridique que de contester la nécessité de ce lien causal en alléguant que la peine se justifie

T entièrement par la dignité du droit violé. Cette violation — on l'affirme — demande une satisfaction qui consiste à imposer une peine douloureuse à l'auteur du délit, ou à un autre qui est soumis à l'ordre juridique violé.

L'importance de la culpabilité, de ses présupposés et de ses effets en droit exigent, et cela surtout chez le juge, une connaissance approfondie du processus psychologique et juridique de sa genèse. A cette seule condition, le juge s'épargnera l'incertitude pénible qui pèse sur le médecin obligé de prendre une décision, mais qui ne peut établir aucun diagnostic certain d'après les symptômes de la maladie, parce qu'il n'aperçoit pas leur cohérence interne.

Au moment du délit, le délinquant a devant les yeux la défense portée par l'ordre juridique ; il est conscient de celui-ci et de l'obligation qu'il impose ; mais en dépit de cette conscience, il se décide contre ce veto et, pour exécuter cette décision, il accomplit le délit externe. Voilà le schéma d'une violation coupable du droit. En raison de ce processus interne et externe, on attribue l'action à son auteur comme à sa cause ; elle lui est imputée comme faute, parce qu'il l'a commise en vertu d'une décision consciente ; l'ordre est violé et l'autorité de l'Etat, qui en est le gardien, lui en demande compte ; il tombe sous le coup des peines, fixées par la loi et imposées par le juge. Les influences multiples exercées sur les actes d'intelligence et de volonté — donc sur les deux facteurs qui représentent les éléments constitutifs essentiels de la culpabilité — n'altèrent pas la structure fondamentale de ce processus, quelle que soit leur importance dans l'appréciation de la gravité de la faute.

Parce que le schéma ainsi esquissé est emprunté à la nature de l'homme et à celle de la décision coupable, il vaut partout. Il fournit la possibilité d'une base commune aux discussions internationales et peut rendre des services appréciés lors de la formulation de règles juridiques qui doivent être incorporées à une convention internationale.

La connaissance approfondie de ces questions difficiles empêche aussi la science du droit pénal de glisser dans la pure casuistique, et d'autre part, l'oriente dans l'usage de la casuistique nécessaire dans la pratique, et donc justifiable.

Si, au contraire, l'on refuse de fonder le droit pénal sur le facteur de la culpabilité comme sur une circonstance essentielle il sera difficile de créer un vrai droit pénal et d'arriver à une entente lors de discussions internationales.

Appliquer une peine est une nécessité pour la sauvegarde du bien commun.

4. — Il reste un mot à dire sur le sens dernier de la peine. La majorité des théories modernes du droit pénal explique la peine et la justifie en fin de compte comme une mesure de protection, c'est-à-dire de défense de la communauté contre les entreprises délictueuses, et en même temps, comme une tentative pour ramener le coupable à l'observation du droit. Dans ces théories, la peine peut comporter aussi des sanctions sous la forme d'une diminution de certains biens assurés par le droit, afin d'apprendre au coupable à vivre honnêtement. Mais ces théories refusent de considérer l'expiation du délit commis, qui sanctionne la violation du droit, comme la fonction capitale de la peine.

On peut laisser à une théorie, à une école juridique, à une législation pénale nationale ou internationale le soin de définir philosophiquement la peine comme elles l'entendent, en conformité avec leur système juridique, pourvu qu'elles respectent les considérations développées plus haut sur la nature de l'homme et l'essence de la faute.

Mais d'un point de vue différent, et l'on peut bien dire plus élevé, il est permis de se demander si cette conception satisfait au sens plénier de la peine. La protection de la communauté contre les délits et les délinquants doit rester assurée, mais le but final de la peine devrait se situer sur un plan supérieur.

Le noeud de la faute, c'est l'opposition libre à la loi reconnue obligatoire, c'est la rupture et la violation consciente et voulue de l'ordre juste. Une fois qu'elle s'est produite, il est impossible de faire en sorte qu'elle n'existe pas. Pour autant cependant que l'on peut accorder satisfaction à l'ordre violé, il faut le faire. C'est une exigence fondamentale de la « justice ». Son rôle dans le domaine de la moralité est de maintenir l'égalité existante et justifiée, de garder l'équilibre et de restaurer l'égalité compromise. Celle-ci demande que, par la peine, le responsable soit soumis de force à l'ordre. L'accomplissement de cette exigence proclame la suprématie absolue du bien sur le mal ; par elle s'exerce l'absolue souveraineté du droit sur l'injustice. Veut-on encore faire un dernier pas : dans l'ordre métaphysique, la peine est une conséquence de la dépendance envers la Volonté suprême, dépendance qui s'inscrit jusque dans les derniers replis de l'être créé. S'il faut jamais réprimer la révolte de

l'être libre et rétablir le droit violé, c'est bien ici quand l'exigent le Juge suprême et la justice suprême. La victime d'une injustice peut renoncer librement à la réparation, mais la justice, de son côté, la lui assure dans tous les cas.

Dans cette dernière conception de la peine, la fonction de protection, que lui attribuent les modernes, se voit aussi pleinement mise en valeur ; mais elle est ici saisie plus à fond. 11 s'agit, en effet, tout d'abord non de protéger les biens assurés par le droit, mais le droit lui-même. Rien n'est aussi nécessaire à la communauté nationale et internationale que le respect de la majesté du droit, comme aussi l'idée salutaire que le droit est en lui-même sacré et défendu et que par conséquent, celui qui l'offense s'expose à des châtiments et les subit en effet.

Ces considérations permettent d'apprécier plus justement une époque antérieure que plusieurs regardent comme dépassée. On distinguait alors les peines médicinales — poenae médicinales — et les peines vindicatives — poenae vindicativae. — Dans ces dernières, la fonction vindicative d'expiation est à l'avant-plan ; la fonction de protection est comprise dans les deux genres de peines. Le droit canon s'en tient aujourd'hui encore, comme vous le savez, à cette distinction, et cette attitude, comme vous le voyez, se fonde sur les convictions énoncées plus haut. Elle seule répond aussi en un sens plénier à la parole bien connue de l'Apôtre aux Romains : « Non enim sine causa gladium portât vindex in iram ei qui malum agit » 4. « Ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive », dit saint Paul, de l'Etat, « il est ministre de Dieu, l'instrument de sa colère contre les malfaiteurs ». Ici l'expiation est mise à l'avant-plan.

La fonction expiatoire seule permet finalement de comprendre le jugement drrnier du Créateur lui-même, qui « rend à chacun selon ses oeuvres », comme le répètent les deux Testaments 5. Ici la fonction de protection disparaît complètement lorsqu'on considère la vie de l'au-delà. Pour la toute-puissance et l'om-niscience du Créateur, il est toujours facile de prévenir tout danger d'un nouveau délit par la conversion morale intime du délinquant. Mais le Juge suprême, dans son jugement final, applique uniquement le principe de la rétribution. Celui-ci doit donc certes posséder une valeur qui n'est pas négligeable.

Aussi bien, comme Nous l'avons dit, qu'on laisse à la théorie et à la pratique le soin de définir le rôle de la peine dans le • sens moderne plus étroit ou dans l'autre plus large. Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, une collaboration est possible et l'on peut viser à la création d'un droit pénal international. Mais qu'on ne renonce pas à envisager cette dernière motivation de la peine uniquement parce qu'elle n'apparaît pas apte à produire des résultats pratiques immédiats.



Et le Pape conclut :

Nos explications, Messieurs, ont suivi la ligne de contact entre le droit et ses bases métaphysiques. Nous Nous féliciterons, si par là Nous avons pu quelque peu contribuer aux travaux de votre Congrès pour protéger et défendre l'homme contre les crimes et les ravages de l'injustice.

Nous conclurons en souhaitant que vos efforts réussissent à édifier un droit pénal international sain, au profit de la société, de l'Eglise et de la communauté des peuples. Daigne la bonté et la miséricorde de Dieu tout-puissant vous en donner pour gage sa bénédiction.




















Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX ABBÉS BÉNÉDICTINS