Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX INFIRMIÈRES D'ITALIE


ALLOCUTION A UN GROUPE DE MÉDECINS MUNICIPAUX

(4 octobre 1953)1






L'Association Italienne des Médecins catholiques a organisé des cours de perfectionnement pour les médecins municipaux. A cette occasion, ceux-ci furent reçus en audience par le Pape qui leur dit :

Au début de votre cours d'information organisé par la méritante section romaine de l'Association des médecins catholiques italiens, vous avez exprimé, chers fils, le désir d'être reçus par Nous ; désir qui éveille dans Notre coeur un écho de paternelle affection et de vive satisfaction.

Parmi les nombreuses audiences que des savants de toutes les branches du savoir et des spécialistes de toutes les disciplines ont l'habitude de Nous demander, celles qui concernent les médecins sont particulièrement fréquentes et variées, car elles se rapportent aux spécialités les plus diverses dont est riche le fertile domaine de leur science. Pour ne citer que des faits fort récents, le mois dernier, il y a eu deux audiences, l'une aux spécialistes de la Génétique du Primum Symposium Geneticoe Medicse 2 et l'autre aux membres du VIe Congrès International de Microbiologie 3 : médecins donc les premiers, et en majorité, médecins aussi les seconds. Médecins expérimentés comme vous l'êtes également, vous n'avez pas manqué de noter la coïncidence qui a conduit ici, à quelques jours d'intervalle, des spécialistes qui poursuivent leurs recherches dans les deux branches si nettement complémentaires de l'étiologie endogène des maladies héréditaires et de l'étiologie exogène des maladies contagieuses et parasitaires.

Les médecins municipaux professent, eux, la médecine générale :

Mais, ceci dit, Nous tenons à souligner que vous Nous offrez, vous les médecins municipaux, une occasion rare de considérer, non point l'un ou l'autre aspect de la science et de l'art sanitaire, mais la profession médicale en un regard unique et synthétique. En effet, les médecins municipaux représentent la catégorie qui professe la médecine de la manière la plus vaste, en apportant aux malades tous les secours possibles que la science et l'art de la médecine sont aujourd'hui en mesure d'offrir.

Tandis qu'une grande partie de vos collègues se sont spécialisés dans des branches fondamentales (médecine interne, chirurgie, obstétrique), ou bien dans les autres perfectionnements multiples, vous continuez à cultiver et à pratiquer la médecine totale, en poursuivant dans la vie de votre profession, cette orientation polyvalente que le programme des études universitaires trace et exige pour la formation du médecin.

Cette caractéristique de votre profession Nous semble digne d'être mise en relief aussi bien sous l'aspect scientifique que sous les aspects social et spirituel. S'il est vrai que la spécialisation des études médicales est nécessaire, afin que puissent progresser les connaissances scientifiques et les possibilités thérapeutiques, il est cependant tout aussi certain qu'une spécialisation exagérée peut être nuisible au point de vue doctrinal tout aussi bien que pratique, car elle empêche d'approfondir l'harmonie et l'interdépendance complètes, les équilibres et les lois qui lient les organes, appareils et systèmes dans l'économie de l'organisme humain, lequel n'est pas un assemblage de parties, mais une intime cohésion de structures et de fonctions. Du reste, et depuis longtemps, la médecine a forgé une expression pour indiquer ces phénomènes de construction et de corrélation du corps humain qui lui confèrent un caractère unitaire et, en même temps, attribuent une empreinte individuelle à l'organisme distinct. Cette expression, comme vous le savez bien, est celle de « constitution », déjà esquissée dans ces termes de la médecine antique : « humeur », « tempérament » et autres semblables. Dans cette conditon, vous êtes les mentors et pour ainsi dire les gardiens de l'esprit unitaire dont vous constatez la nécessité et que vous appliquez chaque jour dans votre exercice professionnel.



1 D'après le texte italien de VOsseruatore Romano, des 5 et 6 octobre 1953.

2 Cf. p. 390. » Cf. p. 419.



Les médecins municipaux doivent également veiller à l'hygiène sociale :

Au point de vue social, le médecin municipal qui, si souvent, est également médecin officiel, ou bien en exerce les fonctions, doit non seulement s'occuper des maladies en cours, mais étudier aussi le lieu, les personnes et les choses, pour tout ce qui est relatif à l'hygiène et à la prophylaxie. Il se trouve donc dans une situation très favorable pour saisir et considérer les rapports de l'homme dans l'ensemble de la vie sociale, qui se manifeste sous ses yeux dans ses aspects positifs et négatifs. Aussi, son intervention n'est-elle pas toujours seulement médicale, mais souvent sociale également et, dans ce domaine, il est doté de notions si importantes et est revêtu d'une autorité morale si reconnue que dans les différends actuels, il peut rendre des services signalés à la communauté en suggérant un esprit de respect envers la personne humaine là où l'égoïsme tend à l'opprimer, et un esprit d'objectivité là où la démagogie altère la base des problèmes dont elle empêche une solution raisonnable.



Souvent aussi les médecins municipaux sont « médecins de famille » :

Enfin, vous continuez — et avec vous de nombreux autres praticiens de mérite — à être ces médecins de famille qui connaissent non seulement les vicissitudes pathologiques des individus appartenant à chaque génération, mais également les aspects spirituels, idéologiques et pour ainsi dire « caractériologiques » de chaque famille, de sorte que vous êtes en mesure d'évaluer l'homme dans sa propre nature d'âme et de corps coexistant dans le composé humain et sujets à une influence réciproque. Selon la nature l'âme et le corps ne sont nullement en opposition, mais dans une intime et constante collaboration, si bien que lorsque se présente l'occasion, pour vous, d'être utiles aux âmes — et cela arrive souvent — vous devez agir avec la conviction que vous apportez une contribution efficace à tout l'homme, non seulement dans la partie spirituelle, mais souvent aussi pour la meilleure efficience de tout son organisme. Puis quand le corps que vous avez défendu de toute façon contre les attaques de la maladie succombe à la loi universelle de la mort, loin de sentir sur vous comme le poids humiliant d'une défaite, vous devez penser que reste pour vous ouverte la possibilité d'apporter au malade l'aide extrême la plus importante, en appelant à son chevet le prêtre, qui lui ouvrira la porte d'une vie divine qui ne connaît pas de fin.



Pape exalte les fonctions de ces médecins municipaux :

Votre art, qui, comme on le sait, fut qualifié par un patriote humaniste, sans doute, pour plaisanter, de « pitoyable » et « vaincu », est donc noble et complet, même s'il n'est pas toujours facile et pas toujours apprécié comme il le mérite. Quand la maladie revêt une certaine gravité, d'ordinaire ce n'est pas le malade qui va chez le médecin municipal, mais c'est ce dernier qui se rend auprès de lui, affrontant de longs et fréquemment, même encore aujourd'hui, de pénibles trajets. Souvent, il confine toute sa vie et celle de sa famille dans des lieux écartés. A ces problèmes s'en ajoutent d'autres, non moins graves, non moins importants, de nature économique, qui dépendent de l'organisation locale et générale de l'assistance sanitaire. Tandis que l'appréciation de votre charge et l'aide dont elle a besoin appartiennent à la collectivité et aux autorités qui la dirigent, vos efforts visent à rendre plus compétents et par conséquent plus efficaces vos services professionnels. C'est précisément là ce que vous faites avec tant de zèle, au moyen de livres, de périodiques, de conférences, de la fréquentation d'hôpitaux et d'instituts, et actuellement au moyen du cours d'information — dirigé par de si illustres savants — pour lequel vous êtes venus à Rome.

Soyez très vivement félicités pour votre importante mission et pour vos études ; pour renforcer vos intentions et soutenir vos volontés, Nous implorons de Dieu, pour vous, pour vos Professeurs, pour vos familles personnelles et pour la plus vaste famille de vos malades Ses meilleures bénédictions.










ALLOCUTION AU CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA FONDERIE

(5 octobre 1953)1






Une délégation d'industriels américains venus à Paris pour assister au Congrès International de la Fonderie, fut reçue en audience à Castel-gandolfo et Pie XII lui adressa la parole en ces termes :

Vous venez, Messieurs, de votre Congrès International de la Fonderie de Paris, et Nous sommes heureux de vous adresser quelques paroles de bienvenue et aussi d'encouragement. Il est réconfortant que le problème délicat, mais critique, des relations humaines dans l'usine, dans la fonderie et dans le bureau soit en train d'attirer l'attention qu'il mérite dans vos réunions avec vos collègues de l'étranger. Ces fréquents et cordiaux contacts croissants entre les représentants des moyennes et petites entreprises privées, harcelées dans le monde entier par des problèmes communs à l'humanité, surtout en ce qui concerne la famille, ne peuvent qu'améliorer les systèmes de production et de distribution.

A condition toutefois que vous fassiez passer au premier plan les choses principales au bureau, comme vous le faites à la maison. Il y a quelques années Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, dut exprimer l'amer regret que « la matière sort ennoblie de l'usine, et les hommes trop souvent avilis » 2. Non, avant d'être un moule pour le métal, l'usine, comme toute association humaine est un moule pour les hommes. Pour animer le groupe industriel ou pour l'unir, il y a l'âme du travailleur, aussi bien employeur qu'employé, avec toutes ses espérances et ses craintes humaines, avec son noble destin et ses prérogatives inaliénables. La sécurité et l'efficacité dans une affaire sont le résultat d'un sens de justice et d'un souci de bonne entente entre ceux qui unissent leurs efforts humains — souvent leur courage héroïque — pour réaliser ce que vous, Américains, appelez « une affaire qui marche ». Devons-Nous vous rappeler une fois de plus que les bénéfices, les salaires et les bilans de production sont tous en fonction de l'activité humaine — qui comprend les droits et les sentiments humains — et non point le contraire.

Nous espérons que vous aurez été encouragés de trouver vos collègues européens unis à vous dans leur volonté de résister courageusement à ce processus de dépersonnalisation — un mot barbare pour une réalité barbare — qui menace aujourd'hui beaucoup plus que les simples valeurs économiques.

Puisse la bénédiction du Maître de la vie et de l'amour, que Nous sommes heureux de vous donner, ainsi qu'à votre personnel et à ceux qui vous sont chers, éclairer vos esprits et fortifier la résolution de vos coeurs et de vos mains pour la glorieuse entreprise de l'avenir, la reconstruction d'un ordre social chrétien pour votre génération et celle de vos enfants.















1 CONGRES INTERNATIONAL DE LA SOIE



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ALLOCUTION AUX PARTICIPANTS AU IVe CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA SOIE
(6 octobre 1953)1






Recevant les membres du /Ve Congrès International de la Soie, le Pape déclara :

Vous avez exprimé, Messieurs, le vif désir de Nous rendre visite à l'occasion des manifestations qui concluent à Rome, votre IVe Congrès International de la Soie tenu ces jours-ci à Milan. Votre démarche témoigne de l'attachement que vous avez pour Nous et Nous voudrions par ces quelques mots vous dire combien elle nous est agréable.

D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 8 octobre 1953.




Pendant une semaine vous vous êtes appliqués à l'étude des problèmes qui concernent tous les stades de la production, de la transformation et de l'utilisation de la soie. Vous espérez rendre ainsi à cette fibre textile la place d'honneur parmi toutes les autres, en augmenter la consommation et promouvoir efficacement les intérêts de tous les secteurs de cette industrie. Cette intention trouve certainement un écho chez tous ceux qui restent attachés à toutes les formes d'une beauté artistique dans laquelle se reflète une longue tradition de labeur humain. Votre groupe composé des représentants de vingt et une nations prouve éloquemment quelle importance l'industrie de la soie garde encore aujourd'hui. Elle a joué dans l'histoire économique et culturelle de trois continents un rôle brillant, et vous entendez bien qu'elle continue à faire honneur à son glorieux passé. Des centaines de milliers de cultivateurs, d'ouvriers et de techniciens en ont tiré leur subsistance : la matière première comme les produits fabriqués donnent lieu à des échanges commerciaux où les économies nationales sont intéressées. La soie trouve de nombreux emplois aux fins les plus diverses, pour les ornements sacrés, les tentures, la confection et même dans le domaine militaire, puisqu'on en fait des parachutes. Aussi ce n'est pas seulement la cause d'un petit nombre ou d'une classe privilégiée que vous représentez mais celle d'une activité sociale étendue, dont le maintien et le développement préoccupent aussi les pouvoirs publics.

Il serait inexact cependant d'envisager la production de la soie et toutes ses modalités du seul point de vue économique : sans doute celui-ci attire-t-il d'abord l'attention, mais une autre perspective mérite aussi d'être considérée. Ne représentez-vous pas en effet une tradition bien antérieure à l'ère chrétienne et dont l'histoire s'intègre nécessairement dans celle des relations entre l'Extrême-Orient et les pays occidentaux ? La Chine, pays de haute civilisation, ne fut-elle pas connue principalement comme le pays de la soie ? Pendant longtemps, la cour royale et les hauts dignitaires s'y réservèrent l'emploi des soieries. La fabrication de la soie ne devait se répandre en Europe que pendant les derniers siècles du moyen âge et y connaître un éclat tout spécial avec l'épanouissement de la Renaissance, dont elle servit à merveille le goût du faste. Les oeuvres picturales de cette époque en ont conservé le témoignage et restituent pour une part l'éclat chatoyant des belles étoffes qui captive le regard et provoque l'étonnement.

Tout autant que le goût de la beauté chez ceux qui les utilisaient il faut admirer le métier de l'artisan, la perfection de sa technique capable de produire une matière aussi riche et de l'utiliser avec habileté et un sens très affiné de ses ressources. Vous savez peut-être que les Papes eux-mêmes s'intéressèrent alors à l'industrie de la soie. Sixte V en particulier invita les propriétaires de terres à y cultiver le mûrier ; il fit même construire quelques fabriques dans l'intention également de fournir du travail aux pauvres.

Malgré les changements profonds que la civilisation moderne a apportés dans la façon de travailler, en particulier par une mécanisation toujours plus intense, la production de la soie continue à requérir de ceux qui y collaborent un apport personnel. Les oeuvres humaines n'acquièrent-elles pas leur valeur plénière par l'effort intelligent, le souci de la perfection, la lutte continue contre les défectuosités accidentelles du produit ? Ne demande-t-on pas, par exemple, que les cocons du ver à soie

présentent des caractéristiques physico-chimiques uniformes tandis que l'opération du tirage doit à son tour exploiter au maximum les possibilités de la matière première, afin de fournir un fil d'un calibre aussi régulier que possible ? Ainsi l'expérience de l'éleveur et la dextérité professionnelle de l'ouvrier représentent le résultat de longs efforts dont ils ont le droit d'être fiers.

Les exigences actuelles de la production, dont il faut réduire le coût, vont augmenter le rendement sans toutefois rien sacrifier de la qualité du fil. Le technicien peut ici déployer son ingéniosité et l'importance de sa collaboration conditionne incontestablement l'avenir de tout ce secteur industriel. Ainsi, à chaque stade d'élaboration de la soie, se posent des problèmes précis, décisifs, propres à stimuler toutes les énergies créatrices.

L'Eglise fait usage de la soie pour les vêtements liturgiques, destinés à rehausser de leur éclat la splendeur des cérémonies et des actes du culte. Il ne s'agit pas là d'une vaine ostentation destinée à éblouir ou à provoquer un plaisir purement esthétique. Les offices liturgiques ont pour but la louange de Dieu et sont ordonnés à la prière. Ils doivent inspirer aux fidèles l'idée de la grandeur du Roi qu'ils veulent honorer, et les inciter à adopter en sa présence l'attitude d'un profond respect et d'une humble prière. Sans doute les déploiements de l'apparat sont-ils peu de chose au regard de la majesté divine ; mais au moins l'Eglise laisse-t-elle pressentir ainsi à ses enfants une part des joies du ciel auxquelles elle les convie. Les habits précieux dont l'homme se revêt aux jours de fête, et particulièrement dans la participation au culte divin symbolisent aussi le vêtement de l'âme, la grâce divine qui permet à l'homme de se présenter devant son Seigneur et d'avoir part à son festin, selon la parabole de l'Evangile. Par là, les étoffes que vous avez produites, auxquelles tant de mains expertes ont travaillé, participent comme une offrande de prix à l'adoration et à la prière que le peuple chrétien adresse sans cesse à Dieu.

Nous n'ignorons pas, Messieurs, les difficultés auxquelles vous avez à faire face pour assurer la prospérité de vos entreprises. Depuis la guerre, l'avènement des fibres artificielles synthétiques et l'appauvrissement des populations ont provoqué dans la consommation et les échanges de la soie une réduction notable. Cependant, vous avez le plaisir de noter une reprise nette qui s'accentuera et en particulier pour l'usage des tissus, au fur et à mesure de l'élévation du standard de vie. Il s'agit pour vous de concentrer vos efforts et de tirer parti le plus habilement possible des caractéristiques technologiques et esthétiques de la soie afin qu'elle s'affirme sur le marché en regard des autres fibres textiles dont elle se différencie nettement. Vous n'oubliez pas de veiller à l'amélioration des conditions de travail et au développement des services sociaux qui encadrent cette industrie ; en même temps, qu'ils attireront une main-d'oeuvre plus abondante ou mieux qualifiée et qu'ils en assureront un meilleur rendement, tous les progrès en cette matière répondent aux exigences de justice et de charité rappelées si souvent par Nos Prédécesseurs et par Nous-même. Enfin sur le plan international, vous souhaitez d'obtenir une plus grande liberté des échanges et la suppression des barrières qui entravent l'importation des soieries.

Dans les entreprises humaines, l'obstacle est aussi un stimulant, une invitation à l'effort. Le développement croissant des sciences et de leurs applications pratiques renouvelle constamment les données des problèmes que vous affrontez ; s'il en rend parfois la solution plus ardue, il apporte aussi de nouveaux éléments de succès. L'essentiel reste de ne point s'abandonner au découragement dont la tentation menace aux heures de lassitude. Les motifs culturels et sociaux que Nous avons effleurés tantôt, et dont vous percevez le poids beaucoup mieux que Nous n'avons pu le dire, vous incitent à continuer vers le terme que se proposait votre Congrès et qui signifie aussi votre foi au succès.









ALLOCUTION AU XXVIe CONGRÈS D'UROLOGIE
(8 octobre 1953) 1






Un groupe de trois cent cinquante participants au XXVIe Congrès International organisé par la Société Italienne d'Urologie, fut reçu par le Souverain Pontife à Castelgandolfo. Le Pape prononça à cette occasion l'allocution que voici :

Nous vous saluons, Messieurs, vous qui, à l'occasion de votre Congrès d'Urologie, avez voulu Nous donner le plaisir de votre visite.

Vous représentez une spécialité de la médecine et vous vous efforcez de faire reconnaître à ce domaine particulier de la science et de l'art médical la place qui lui revient, aussi bien dans les études médicales que dans l'équipement des grandes cliniques. Nous souhaitons à vos projets le succès que mérite en fait l'objet tellement important de votre science. Il s'agit pour vous aussi de secourir l'infirmité humaine et de sauvegarder, en les conservant à leur profession, la capacité de travail d'hommes qui ont encore une lourde tâche à accomplir.

Vous Nous avez demandé d'expliquer deux questions. La première d'entre elles concerne votre pratique médicale, la seconde, votre activité d'experts : periti, peritiores, peritissimi, dans les procès matrimoniaux.



Le Pape discute un premier problème : peut-on enlever certains organes en cas de maladie ?

La première question, vous Nous l'avez posée sous la forme d'un cas particulier, typique cependant de la catégorie à laquelle

il appartient, c'est-à-dire l'amputation d'un organe sain pour supprimer le mal qui affecte un autre organe, ou du moins pour arrêter son développement ultérieur avec les souffrances et les dangers qu'il entraîne, vous Nous demandez si cela est permis.

En ce qui concerne votre diagnostic, et votre pronostic, il ne Nous appartient pas d'en traiter. Nous répondons à votre question en supposant que tous les deux sont exacts.

Trois choses conditionnent la licéité morale d'une intervention chirurgicale qui comporte une mutilation anatomique ou fonctionnelle : d'abord que le maintien ou le fonctionnement d'un organe particulier dans l'ensemble de l'organisme provoque en celui-ci un dommage sérieux ou constitue une menace ; ensuite que ce dommage ne puisse être évité, ou du moins notablement diminué que par la mutilation en question et que l'efficacité de celle-ci soit bien assurée ; finalement, qu'on puisse raisonnablement escompter que l'effet négatif, c'est-à-dire la mutilation et ses conséquences, sera compensé par l'effet positif : suppression du danger pour l'organisme entier, adoucissement des douleurs, etc.

Le point décisif ici n'est pas que l'organe amputé ou paralysé soit malade lui-même, mais que son maintien ou son fonctionnement entraîne directement ou indirectement pour tout le corps une menace sérieuse. Il est très possible que, par son fonctionnement normal, un organe sain exerce sur un organe malade une action nocive de nature à aggraver le mal et ses répercussions sur tout le corps. Il peut se faire aussi que l'ablation d'un organe sain et l'arrêt de son fonctionnement normal enlève au mal, au cancer par exemple, son terrain de croissance ou, en tous cas, altère essentiellement ses conditions d'existence. Si l'on ne dispose d'aucun autre moyen, l'intervention chirurgicale sur l'organe sain est permise dans les deux cas.

La conclusion que Nous venons de tirer, se déduit du droit de disposition que l'homme a reçu du Créateur à l'égard de son propre corps, d'accord avec le principe de totalité, qui vaut ici aussi, et en vertu duquel chaque organe particulier est subordonné à l'ensemble du corps et doit se soumettre à lui en cas de conflit. Par conséquent, celui qui a reçu l'usage de tout l'organisme a le droit de sacrifier un organe particulier, si son maintien ou son fonctionnement cause au tout un tort notable, qu'il est impossible d'éviter autrement.



' D'après le texte français des A. A. S., 1953, XXXXV, p. 673.



Puisque vous assurez que, dans le cas proposé, seule l'ablation des glandes séminales permet de combattre le mal, cette ablation ne soulève aucune objection du point de vue moral.

Nous Nous voyons cependant amené à attirer l'attention sur une fausse application du principe expliqué ci-dessus.

Il n'est pas rare, lorsque des complications gynécologiques-entraînent une intervention chirurgicale, ou même indépendamment de celle-ci, qu'on extirpe les oviductes sains ou bien qu'on les rende incapables de fonctionner pour prévenir une nouvelle grossesse et les dangers graves qui pourraient peut-être en résulter pour la santé et même la vie de la mère, dangers dont la cause relève d'autres organes malades, comme les reins, le coeur, les poumons, mais qui s'aggravent en cas de grossesse. Pour justifier l'ablation des oviductes on allègue le principe cité tantôt, et l'on dit qu'il est moralement permis d'intervenir sur des organes sains quand le bien du tout l'exige.

Ici cependant on en appelle à tort à ce principe. Car en ce cas le péril que court la mère ne provient pas, directement ou indirectement, de la présence ou du fonctionnement normal des oviductes ni de leur influence sur les organes malades, reins, poumons, coeur. Le danger n'apparaît que si l'activité sexuelle libre entraîne une grossesse qui pourrait menacer les organes susdits trop faibles ou malades. Les conditions qui permettraient de disposer d'une partie en faveur du tout en vertu du principe de totalité font défaut. Il n'est donc pas permis moralement d'intervenir sur des oviductes sains.



Une deuxième question concerne les procès matrimoniaux :

La deuxième question que vous Nous proposiez concerne, comme Nous l'avons déjà dit, votre activité comme experts dans les procès matrimoniaux.

Le principe décisif se déduit de la nature et de la finalité de cette activité. Que, d'après cela, l'expert dise donc ce que ses connaissances médicales lui imposent de dire et qu'il le dise avec les nuances et les distinctions exigées par son savoir. Les conclusions qui découlent de l'expertise médicale pour la sentence judiciaire ne sont pas de la compétence du peritus ou peritissimus.

Le serment qu'il a prêté oblige donc le médecin-expert à proposer, en son âme et conscience, au tribunal ce qu'il a trouvé et à donner son avis à ce sujet : qu'il présente les faits médicaux comme des faits, leur interprétation médicale comme une interprétation, les conclusions médicales telles quelles, les avis médicaux comme des avis. Ce dernier terme désigne les déclarations du client au médecin, par lesquelles celui-ci grâce à sa compétence, obtient peut-être des éclaircissements auxquels le client lui-même probablement n'a pas pensé du tout, et que le profane, et même le juge, dépourvu de formation médicale, n'aperçoivent pas. L'expert doit donner son avis de telle sorte que les nuances indiquées soient clairement perceptibles.

Mais vous mentionnez des détails concrets et voulez être renseignés à ce propos. Nous en prenons le point central que vous désignez par ces mots : « Il nous arrive d'émettre des avis dans les procès d'annulation de mariage pour impotentia gene-randi ».

Pour répondre exactement à cette question, il peut être utile avant tout de dissiper les malentendus autour du concept d'iîîj-potentia generandi. Potentia generandi revêt parfois un sens si large qu'il comprend tout ce que doivent posséder les deux partenaires pour procréer une nouvelle vie : les organes internes et externes, ainsi que l'aptitude aux fonctions qui répondent à leur finalité. L'expression est prise aussi en un sens plus étroit et ne comprend alors que ce qui est exigé en marge de l'activité personnelle des époux, pour que cette activité puisse réellement engendrer la vie sinon dans tous les cas, au moins par elle-même et d'une façon générale. En ce sens, la « potentia generandi » s'oppose à la « potentia coëundi ».

Les conditions requises pour la « potentia coëundi » sont déterminées par la nature et se déduisent du mécanisme de l'acte. En cela, l'action des conjoints, au point de vue biologique, est au service de la matière séminale qu'elle transmet et reçoit. A quoi peut-on voir que la « potentia coëundi » existe réellement et que par conséquent l'acte des époux comporte tous ses éléments essentiels ? Un critère pratique bien qu'il ne vaille pas sans exception dans tous les cas, en est la capacité d'accomplir de façon normale l'acte externe. Cependant ce « signum mani-festativum » doit suffire en pratique dans la vie, car celle-ci demande que, pour une institution aussi ample que le mariage, les hommes possèdent, dans les cas normaux, un moyen sûr ec facilement reconnaissable de constater leur aptitude à se marier ; cela suffit parce que la nature a coutume de bâtir l'organisme humain de telle sorte que la réalité interne réponde à la forme et à la structure externe.

En outre la « potentia coëundi » comporte de la part de l'époux la capacité de transmettre de façon naturelle le liquide des glandes séminales ; il n'est pas question de chacun des éléments spécifiques et complémentaires constituants de ce liquide. Le manque de sperme actif n'est pas d'habitude une preuve que l'époux ne peut exercer la fonction de transmission. Aussi l'a-zoospermie, l'oligospermie, l'asthenospermie, la necrospermie n'ont rien à faire en soi avec 1' « impotentia coëundi » parce qu'elles concernent les éléments constitutifs du liquide séminal lui-même, et non la faculté de le transmettre.

En tout cela, il faut maintenir que cette action des époux est et reste au service d'une finalité : l'éveil d'une nouvelle vie. Il est erroné d'affirmer que la médecine et la biologie auraient un autre concept de la « potentia coëundi » que la théologie et le droit canon, et que ce dernier vise par cette expression autre chose que ce qu'ont déterminé la nature et le Créateur. Vous n'avez qu'à lire le texte du canon 1068 sur la « puissance » physique pour voir qu'il veut parler non du droit positif, mais du droit naturel.

Certainement le bon sens des hommes et la pratique de l'Eglise ne laissent aucun doute sur le fait que des valeurs personnelles sont engagées dans le mariage et sa consommation ; valeurs qui dépassent de loin le biologique et que les époux souvent comprennent beaucoup mieux que les fins immédiatement biologiques de la nature. Mais la raison et la Révélation suggèrent aussi et donnent à entendre que la nature introduit. cet élément personnel et supra-biologique parce qu'elle appelle au mariage non des êtres sensitifs privés de raison, mais des hommes doués d'intelligence, de coeur et de dignité personnelle, et qu'elle les charge de procréer et d'éduquer une vie nouvelle ; parce que, dans le mariage les époux se consacrent à une tâche permanente et à une communauté de vie indissoluble.

La biologie et la médecine ont — aujourd'hui plus que jamais — la mission d'orienter de nouveau les contemporains vers une conception approfondie du sens biologique de la collaboration des époux et du motif pour lequel la nature n'autorise cet acte que dans le mariage. De nos jours, on écoute peut-être parfois plus volontiers le médecin que le prêtre. Mais le médecin lui-même doit posséder un jugement sûr, guidé par la nature, et assez d'indépendance personnelle pour y rester fidèle.

Ceci dit, Nous pouvons répondre à votre question : L'expertise exigée par le tribunal ecclésiastique dans les procès de nullitate ex titulo impotentioe ne consiste pas généralement à constater l'impotentia generandi, mais l'impotentia coëundi. L'impotentia generandi, pour autant qu'on l'oppose à l'impotentia coëundi, ne suffit pas, d'après la jurisprudence habituelle, pour obtenir un jugement de nullité. On pourrait donc, dans la très grande majorité des cas, omettre l'examen microscopique du sperme. On peut démontrer d'une autre manière, si cela devait avoir quelque utilité, que le tissu séminal possède encore quelque aptitude fonctionnelle et, de même, que les canaux qui relient ces glandes aux organes d'évacuation fonctionnent encore, ne sont pas entièrement détériorés ou définitivement obstrués. L'examen du sperme par lui seul peut difficilement procurer une sécurité suffisante.

Du reste le Saint Office a décidé déjà le 2 août 1929 2 qu'une masturbatio directe procurata ut obtineatur sperma n'est pas licite ; ceci quel que soit le but de l'examen. Autre chose est si le médecin prélevait le sperme de l'organisme d'une autre manière licite, au cas où ce serait réellement possible, ou si, sans intervenir, il reçoit de l'intéressé la matière à examiner. Il n'est pas responsable des actes de l'autre, tandis que l'examen et l'utilisation de ses données ne sont pas moralement reprehensibles. Si des tribunaux ecclésiastiques parfois ignorent ou rejettent expressément des expertises basées sur ce procédé, c'est pour ne pas sembler, en les utilisant, favoriser un abus.

Vous Nous avez encore proposé d'autres cas qui se présentent dans votre activité d'experts.

Le médecin doit témoigner de l'impuissance d'un homme. Pour tel ou tel motif, il ne reste que des facteurs indirects, et l'expert en est réduit à la « preuve morale ». La démonstration se meut ici sur un terrain moins sûr, où le pour et le contre sont exposés à une certaine indécision. L'expert peut-il alors en vertu de sa conviction personnelle conférer à son jugement une précision et une force qui dépassent les bases médicales, prises matériellement ? Vous posez cette question en faisant d'ailleurs remarquer que la conviction personnelle influe toujours, même quand on dispose à suffisance de preuves matérielles. Mais, à présent vous voudriez savoir comment le peritus ou peritissimus



A. A. S., 21, 1929, p. 490, 11.

doivent se comporter quand les bases médicales convaincantes font défaut.

Nous croyons déjà avoir apporté la réponse à votre question en exposant plus haut les normes générales, mais Nous voulons insister encore une fois sur ce qui suit : quand l'expert dans son rapport relate en termes médicaux des déclarations de témoins, il n'introduit pas dans ces déclarations des éléments qui ne s'y trouvaient pas, mais il en extrait ce qu'elles renferment, ce que le profane ne serait guère capable d'en tirer. Dans le cas présent de nullitate, l'expertise médicale ne falsifie certainement pas les faits, quand elle rend par des expressions techniques les déclarations sincères de l'épouse. Un jugement global, qui s'appuie sur la totalité des éléments acquis, mais mentionne en passant l'avis du peritus et du peritissimus, ne mérite assurément aucune critique. Cependant cette note personnelle doit apparaître comme telle au juge.

Voilà ce que Nous croyons devoir répondre à vos questions. Nous voudrions enfin attirer votre attention sur ceci : quand vous êtes invités à témoigner comme experts, dans une cause matrimoniale, regardez alors d'un point de vue supérieur le sens de votre collaboration : d'une part, elle concourt à sauvegarder la sainteté du mariage et, d'autre part, elle soutient l'effort consciencieux pour conserver à des hommes, qui, peut-être, se trouvent dans une grande détresse, la liberté à laquelle ils ont un droit personnel devant Dieu et devant les hommes. Daigne la bénédiction du Dieu tout-puissant que vous découvrez tous les jours dans son oeuvre créatrice, descendre abondante sur vos recherches et votre activité médicale.

Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX INFIRMIÈRES D'ITALIE