Pie XII 1954 - ALLOCUTION A L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DE L'HÔTELLERIE


LETTRE A SON ÉM. LE CARDINAL MICARA A L'OCCASION DE LA CLÔTURE DE L'ANNÉE MARIALE

(28 novembre 1954) 1


Le 8 décembre 1954 l'Année Mariale inaugurée le 8 décembre 1953 prenait fin à travers le monde ; c'est pourquoi le Cardinal Vicaire de Rome reçut la lettre ci-dessous :

Voici la fin de l'année mariale. Nous en avions marqué le début par l'Encyclique Fulgens Corona2 afin que sur toute la terre on célèbre le centenaire du moment où Notre vénéré prédécesseur Pie IX a défini et proclamé : « La Bienheureuse Vierge Marie au premier instant de sa conception, par une grâce et par un privilège uniques du Dieu Tout-Puissant, fut préservée de toute atteinte du péché originel, en prévision des mérites de Jésus-Christ, le Sauveur du genre humain » 3. Nous ne pouvons que rendre grâces sans fin à Dieu pour ce qu'il Nous a donné de voir : non seulement à Rome, dans la capitale du Nom Chrétien, non seulement dans les villes, les villages et les bourgs des nations catholiques, en tous lieux où la foi chrétienne est vigoureuse, mais même sur les terres lointaines où les missionnaires de la vérité évangélique donnent à Jésus-Christ de nouveaux enfants par leur dur travail et même par l'effusion de leur sang, là aussi a jailli des âmes un immense mouvement d'amour envers la Vierge Mère de Dieu, et on a fait monter vers elle les plus ardentes prières.

Après avoir remercié Dieu, Nous voulons témoigner Notre reconnaissance à tous, évêques, prêtres, laïcs hommes et femmes, revêtus ou non d'autorité, tous ceux qui ont joué un rôle important pour donner de manière admirable un beau spectacle de foi et de piété.

Certainement Rome a été un exemple pour les autres villes : la basilique de Sainte Marie Majeure surtout a vu des foules innombrables affluer, suivant la pieuse coutume des pèlerins, même de régions lointaines, pour mêler leurs prières et leurs supplications. Maintenant encore Nous gardons un souvenir ému des jours où Nous avons vu la Basilique et la Place Saint-Pierre couvertes d'une foule dense qui désirait faire monter avec Nous ses prières vers le ciel, comme un encens. Ce sera une date particulièrement mémorable dans l'histoire de l'Eglise que le jour où Nous avons pu, devant un grand rassemblement enthousiaste, couronner d'une couronne d'or l'antique image de la Vierge Mère de Dieu qu'on appelle « Salut du Peuple romain », et qu'on peut bien nommer Gardienne et Salut de tout le peuple chrétien. Nous avions auparavant fait acte de Notre Autorité apostolique pour décider que la fête de sa Royauté serait célébrée sur toute la terre 4.

Nous ne voulons pas non plus passer sous silence ce grand congrès international auquel Nous avons voulu nous adresser Nous-même par radio 5 : tant d'hommes très savants y ont tenu des réunions fort érudites, ils ont illustré la doctrine mariologi-que d'arguments nouveaux, de raisons nouvelles, et ils ont, par de brillants discours, célébré les vertus et les privilèges de la Bienheureuse Vierge Marie.

Ce qui s'est si bien fait à Rome, Nous savons qu'on l'a fait partout, en s'adaptant aux circonstances et aux lieux divers, car dans toutes les églises et surtout dans celles où l'on vénère la Vierge Marie Mère de Dieu à un titre spécial, ou par une piété plus grande, des foules de chrétiens se sont rassemblés pieusement, religieusement, et ont su donner de magnifiques témoignages de leur commune foi et de leur amour commun envers leur Mère de Dieu.

Tout cela Nous fut une très grande consolation ; d'autant plus que, Nous l'espérons bien, toutes ces fleurs de piété, tous



1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 708.

2 Cf. Documents Pontificaux 1953, p. 371.

S Bulle lneffabilis Deus, du 8 décembre 1854.

Cf. Encyclique Ad Coeli Reginam, 11 octobre 1954, p. 418. Cf. p. 463



ces bons mouvements, toute cette bonne odeur partout répandue, ne vont pas maintenant retomber, perdre leur vigueur, mourir, mais bien reverdir encore et donner d'abondants fruits de salut. Nous demandons que la Bienheureuse Vierge Marie voie davantage les fidèles se rassembler près des autels ses jours de fête ; qu'elle les voie imiter ses hautes vertus chaque jour plus volontiers, plus efficacement ; qu'elle les voie venir plus nombreux vers les sacrements qui sont les sources de la grâce divine, surtout à la table eucharistique où l'auteur même de la vie céleste communie avec les hommes ; qu'elle voie enfin renaître, ou peut-être se développer, cette coutume de nos ancêtres qu'on ne saurait trop louer : le soir, quand les pères et les mères de famille se retrouvent avec leurs enfants dans le groupe familial, qu'ils se mettent à genoux devant l'image de la Bienheureuse Vierge Marie et qu'ils récitent le chapelet avec piété. Oh ! sans aucun doute, notre Mère très aimante regardera avec bonté ces familles qui prient ensemble et chassera certainement par sa protection si puissante tous les malheurs, les vrais malheurs, ceux qui s'opposent en particulier à la paix du foyer, à la foi et aux vertus ancestrales.

Cette foi ancestrale et ces vertus, l'époque où nous vivons demande qu'elles revivent chaque jour davantage. La puissance des ténèbres qui s'est efforcée d'obscurcir, d'abattre et d'éteindre la société que venait de fonder le divin Rédempteur, attaque aujourd'hui même l'Eglise de Dieu avec de nouveaux moyens très puissants. La religion chrétienne est partout âprement combattue, même en public ; ses droits divins sont foulés aux pieds ; ses pasteurs sont empêchés de remplir leurs fonctions ou sont jetés en prison ; par des calomnies et de fausses doctrines la foi est arrachée de bien des âmes. Presque partout ceux qui ont détourné leur coeur de l'Eglise la combattent par des livres sans nombre dont ils se servent comme ils se serviraient des armes les plus nuisibles. De là ces gros ouvrages ou ces futiles revues écrits et propagés largement pour ridiculiser la vertu et recommander le vice. De là ces pages volantes quotidiennes qui diffusent un virus si pernicieux qu'il entraîne au mal la foule des âmes simples et surtout la jeunesse imprudente. Alors la fonction si noble d'écrivain se transforme en une honteuse affaire d'argent. Pour toutes ces raisons et d'autres encore, on arrive à peine à dire à quel point se désagrègent les moeurs et quel danger menace l'intégrité de la religion.

Qu'on mette donc tout en oeuvre, avec courage et vigilance, pour résister à ces fléaux : cela convient à des chrétiens. Que rien de ce qui peut servir à repousser une si grave contagion ne soit négligé, rien ne soit omis. Et puisque les forces humaines sont incapables d'atteindre ce résultat, qu'on ait recours, encore et toujours, dans la prière et la supplication à Celle que nos pères ont pris l'habitude d'implorer comme auxiliaire en tous périls, à cette Reine des anges et des hommes dont la prière a tant de pouvoir auprès de Dieu et qui n'a jamais cessé de couvrir de sa protection maternelle l'Eglise de son divin Fils. Ce que l'Année Mariale a si bien réalisé par la prière et par les actes, il ne faut pas l'abandonner, il faut chaque jour le faire avec plus de zèle. Et voici vers quoi vont tendre nos prières réunies : que notre très bonne Mère du Ciel nous obtienne enfin de Dieu une époque de paix et de progrès, sous le signe de la vérité, de la justice et de la charité, pour son Eglise sainte, pour chaque homme et pour toutes les nations réunies par les liens d'une amitié sincère.

Pour Nous, voici Nos voeux : comme Nous avons commencé à la Basilique Sainte-Marie-Majeure cette année particulièrement consacrée à la Vierge Bienheureuse, Nous voudrions, si Dieu le permet la terminer de même par une prière devant cette sainte image qu'on a bien raison d'appeler « Salut du peuple romain ». Et devant la foule immense qui ne manquera pas de s'y réunir, Nous aimerions consacrer à nouveau à notre Mère très aimante, à la Reine du Ciel, le genre humain tout entier, blessé par le péché, désuni par un trop grand amour des réalités terrestres, troublé et angoissé par les événements présents et futurs. Et, Nous n'en doutons pas, ce que Nous allons faire ici, si Dieu le permet, Nos frères et Nos fils dans le Christ, tous joyeusement en union avec Nous, chacun de son côté va le refaire dans son église. Du haut du Ciel, qu'elle regarde chacun avec bonté en cette heure solennelle, la Vierge Marie, Mère de Dieu ; qu'elle accorde à tous ce que promettait le docteur de Clairvaux, saint Bernard, en termes si beaux, si élevés : « Suis-la, tu ne dévies pas ; prie-la, tu ne désespères pas ; pense à elle, tu ne te trompes pas ; elle te tient, tu ne glisses pas ; elle te protège, tu ne crains pas ; elle est ton guide, tu ne te lasses pas ; elle t'aime, tu aboutis...6. » Voilà l'espérance qui Nous fortifie ; et pour

Homélie super Missus est, 2, n. 17 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 71 A.



vous donner un début des dons du Ciel, et un gage de bienveillance paternelle, à vous, Vénérable Frère, aux évêques, au clergé et au peuple chrétien, spécialement à chacun de ceux qui par leur effort et par leurs soins, ont contribué au succès de l'Année Mariale, Nous accordons, très affectueusement dans le Seigneur, la Bénédiction apostolique.






LETTRE A L'OCCASION DU PREMIER CENTENAIRE DE LA BASILIQUE DE ST-PAUL HORS-LES-MURS

(ier décembre 1954) [2]




A l'occasion du centenaire de la consécration de cette Basilique par Pie IX, le Pape envoya la lettre suivante à Son Exc. Mgr Vannucci, abbé de Saint-Paul :

Avec les insignes merveilles de son art et les souvenirs de son antiquité chrétienne, la Basilique Patriarcale d'Ostie, située non loin du Tibre, célèbre en un hymne sublime les louanges de l'Apôtre, Docteur des Gentils. Il sera à jamais mémorable ce jour où Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire, Pie IX, consacra lui-même ce temple, quarante-huit heures après la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception.

Comme Nous l'avons appris par les lettres qui Nous sont adressées, vous désirez célébrer prochainement par des fêtes publiques le centenaire de cet heureux événement. Nous approuvons bien volontiers cette initiative, puisqu'elle encourage les fidèles à témoigner leur vénération à l'apôtre Paul, d'autant que votre désir correspond très intimement aux sentiments de Notre coeur. Nous avons, en effet, la joie d'être né au centre de la Chrétienté dans cette Rome qui Nous a saisi dès Notre plus jeune âge par l'éclat de sa sainteté ; et dès ce moment Nous avons pris l'habitude d'alimenter Notre piété à la tombe des Apôtres.

Les solennités que vous préparez sont de nature à satisfaire tout bon catholique. Qui donc ignorerait le soin, les sentiments de vénération et l'amour que l'Eglise universelle porte à ce temple vénérable où l'on veille sur la tombe de l'apôtre Paul ?



S'il faut comparer les corps des saints, dans l'Eglise, à des sources d'où découlent, comme des ruisseaux vivifiants et intarissables, les dons des cieux au peuple chrétien, il faut le dire tout particulièrement du sépulcre de Paul, à qui s'adresse cet éloge du Divin Rédempteur lui-même : « Il m'est un vase d'élection, pour porter mon nom aux nations et aux rois » 2, lui que, avec le bienheureux Pierre, comme l'atteste notre Prédécesseur Léon le Grand « la grâce de Dieu a porté à une telle excellence entre tous les membres de l'Eglise, qu'elle a fait de tous deux, en ce grand corps dont le Christ est la tête, comme la prunelle des yeux » 3. C'est pourquoi on a toujours regardé ce glorieux tombeau comme la sauvegarde sacrée de la Ville éternelle, et le lieu désirable vers qui se tourne, de tous les points du monde, le coeur ardent des chrétiens. Pour le vénérer, le grand Chrysos-tome désirait voir Rome et ne pouvait retenir ce voeu brûlant : « Qui m'accordera d'embrasser le corps de Paul, d'adhérer à son tombeau ? Ah, voir les cendres du corps de celui qui achevait ce qui manque au Christ, qui portait ses stigmates, qui semait partout l'évangile ! Oui, la poussière de ce corps qui le fit aller par l'univers, de ce corps par qui le Christ parlait, et une lumière brillait plus belle que toute clarté, un cri jaillissait plus terrible aux démons que le tonnerre 4. » Rien d'étonnant qu'en un lieu si saint, un premier temple ait été construit par les soins de Constantin le Grand ; les diverses générations de chrétiens ont rivalisé d'émulation pour agrandir et embellir cette oeuvre avec toutes les ressources de leur technique et de leur art. Si les Pontifes Romains lui ont décerné les plus grandes louanges., c'est aussi avec la plus large libéralité qu'ils lui ont conféré dons et privilèges ; de même, venant des régions les plus lointaines, la pieuse multitude des pèlerins y a afflué, soit pour remercier le céleste protecteur des faveurs qu'il leur avait déjà accordées, soit pour obtenir de Dieu par son intercession la fin des maux et des dangers qui menaçaient.

Cependant les témoignages de profond amour dont ce temple fut l'objet dans les circonstances qu'évoqueront vos cérémonies centenaires dépassèrent tous les autres, tant ils furent généraux, universels et unanimes. C'est alors que tout le monde applaudit

2 Act. Ap., 9, 15.

5 S. Leo Magnus, Sermo LXXXII ; P. t., LIV, 422. i Ad Rom. Homélie XXII ; P. C, LX, 678-679.

avec joie la résurrection de la Basilique paulinienne qui, comme chacun sait, avait été presque totalement détruite en quelques heures dans un incendie survenu à l'improviste au cours de la nuit du 15 au 16 juillet 1823. Cet affreux désastre a semblé affecter non pas la seule cité pour laquelle ce temple était une parure et une gloire, mais toute la catholicité qui ne put pas souffrir que Rome demeurât plus longtemps privée d'un ornement insigne ; elle n'admit pas que tout autour du sépulcre de saint Paul que la violence des flammes avait seul épargné, gisent éparses des cendres, uniques restes de cet extraordinaire embrasement. Voilà pourquoi, tout aussitôt, Notre Prédécesseur Léon XII, dans la lettre encyclique Ad plurimas, du 23 janvier 1825, fait appel à la générosité des chrétiens pour reconstruire la Basilique dans sa forme et ses dimensions premières. On répondit de toute part avec un tel enthousiasme unanime que les désirs et les espérances du Pontife Romain furent dépassés. Là où quelques années auparavant il n'y avait que l'aridité des déblais et des ruines, surgit à nouveau des décombres mêmes, dans l'allégresse générale, cet insigne monument de la religion et de l'art. Les marbres y brillèrent avec la splendeur et la magnificence qui étaient dues aux restes et à la gloire du Docteur des Gentils.

Tout ceci, vous le mettrez en lumière, fort à propos, avec les fêtes du centenaire de cet événement. Si à cette occasion Notre souvenir reconnaissant va à tous, Nous savons cependant qu'il est juste de vous attribuer d'une façon toute particulière, fils de saint Benoît, la joie de cette heureuse célébration. C'est grâce à vous, en effet, Nous le proclamons, qu'au cours des siècles, la majesté de ce lieu vénérable résida moins dans les oeuvres d'art que dans les magnifiques exemples de sainteté et de doctrine qui s'y épanouirent en grand nombre. Beaucoup sont inscrits en lettres d'or dans l'histoire de l'Eglise. En cette occasion principalement, ces exemples doivent briller à vos yeux dans tout leur éclat, afin que, affermis et nourris ainsi par une force presque surnaturelle vous répandiez toujours davantage la bonne odeur du Christ puisée en abondance aux vertus de saint Paul. Ainsi participerez-vous à la très sainte dignité de ce lieu. Le 28 juillet 1425, Notre Prédécesseur Martin V adressait, — non sans motif, puisque lui avait été confiée la garde d'un trésor si précieux — ces paroles remarquables à votre communauté, «... il convient que vous soyez le miroir de toute l'Eglise et de tous

les monastères..., afin que les Eglises du monde tout entier aiment à fixer leurs regards dans cette lumière [3]. »

Toutefois, ce qui est primordial — et c'est précisément le but des solennités prochaines — c'est qu'en cette occasion resplendisse de plus en plus l'éclatante figure de saint Paul, et que chacun, à commencer par vous, se propose de l'imiter. Puissent l'ardeur de sa charité, sa force d'âme invincible, le zèle infatigable qui a animé son apostolat jusqu'à son dernier soupir et enfin son glorieux martyre, par lesquels l'Apôtre s'est distingué durant son existence et semble encore vivre et respirer de nos jours dans l'enceinte sacrée de ce temple, influencer profondément les esprits et les coeurs de tous ceux qui iront le prier à l'occasion de ce centenaire. Que l'illustre Apôtre leur fasse comprendre, comme une salutaire leçon, combien il importe et quelle source de joie c'est de suivre les traces du Christ et d'embrasser courageusement ses enseignements quand on a méprisé la vanité des biens terrestres.

Ce sont Nos voeux ardents, et les fruits salutaires que Nous supplions Dieu de vous accorder. L'esprit rempli de ces pensées, continuez, chers fils, à accomplir avec soin votre oeuvre de dévouement pour que l'Apôtre des Nations reçoive dans son temple les honneurs qui lui sont dus. Par votre vie religieuse, faites en sorte que la masse grandiose de cet édifice, célèbre par ses merveilles d'art, ne soit pas seulement un monument de marbre qui provoque une admiration stérile chez ceux qui le visitent. Mais que tous, pris par la majesté secrète du lieu, puisant à ces richesses, augmentent leur foi en Rome, cette foi que loua l'Apôtre des Gentils [4], et se sentent poussés à aimer davantage cette « Eglise majeure d'où est sortie l'unité sacerdotale » [5], que Paul, en union avec le Prince des Apôtres, scella lui-même de son sang, pour que se forme « la race sainte, le peuple élu, la cité sacerdotale et royale, tête de l'Univers par le Siège sacré du Bienheureux Pierre » [6].

Fort de cet espoir très doux, en gage de Notre bienveillance pour cet auguste temple et pour votre famille religieuse, Nous vous accordons volontiers, à vous-même, Vénérable Frère, et à chacun de ceux qui font partie de votre illustre monastère, la Bénédiction apostolique.




RADIOMESSAGE AU CONGRÈS MARIAL DES PHILIPPINES

(5 décembre 1954) [7]


Le IIe Congrès mariai national ayant lieu aux Philippines à Manille, Pape envoya le message suivant :

Lorsque le voyageur alerte, au terme d'une heureuse journée, jette un regard derrière lui, il se réjouit en contemplant la magnifique route parcourue, tandis que, le coeur débordant de joie, il va faire les derniers pas qui doivent le conduire au but tout proche. A Notre tour, à l'approche de la clôture de l'Année Mariale, Nous ne pouvons manquer de manifester une fois de plus Notre satisfaction pour les nombreuses grâces qu'elle a procurées à l'humanité, pour l'honneur qui en a rejailli sur la Reine des Cieux et de la terre et, surtout, pour la gloire qui en a résulté pour son très doux Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ ; soli Deo honor et gloria [8].

Et de même que les ondes — de l'éther, de l'air et de l'eau — transmettent la vibration reçue et la portent sur leurs ailes impalpables jusqu'aux dernières extrémités ; pareillement aussi, à l'annonce de l'Année Mariale dans la Ville Eternelle, Nous avons pu être témoin d'une émotion qui, en se répandant en vagues de ferveur et d'enthousiasme, Nous semble — maintenant — comme un dernier écho provenant pour ainsi dire des antipodes — revenir de nouveau vers Nous avec votre magnifique Congrès Mariai. Nous désirons signaler tout d'abord la spiritualité dont vous avez su le pénétrer, — ces triduums de préparation intérieure, cette récitation continue du chapelet, jour et nuit, durant les cent vingt heures du Congrès. — Ensuite Nous devons dire la riche portée des thèmes étudiés — Maternité de la Vierge, Immaculée Conception, Assomption de Marie — et enfin la signification profonde du Congrès lui-même.

En effet, les Iles Philippines ne sont pas seulement un pays merveilleux divisé en milliers d'îles à la végétation touffue, aux volcans ardents, aux races les plus diverses, comme si la mer avait fleuri et s'était transformée en un jardin enchanteur ; mais aussi votre peuple, situé — comme Nous l'avons fait ressortir à l'époque * — en un « point vital du globe terrestre », représente dans le sud-est asiatique l'unique grande nation catholique qui, par sa position de barrière naturelle entre deux immenses mers, est un terrain de rencontre de civilisations et de peuples, un carrefour vital de routes et de courants, ne pouvant manquer d'être appelée à jouer un rôle providentiel sur la scène de l'histoire.

C'est pour cela que l'élan évangélisateur et colonisateur de l'Espagne missionnaire, dont un des mérites fut de savoir fondre en une seule les deux finalités, ne pouvant même pas se contenir dans les immensités du Nouveau Monde, franchit les cordillères inaccessibles, se lança vers les îles solitaires du Pacifique et arriva à vos plages, arborant la Croix sur l'étendard violet de Cas-tille. La première messe fut célébrée à Putrian le 30 mars 1321 ; les premiers religieux augustiniens arrivèrent le 13 février 1563 ; et, dans cette dernière expédition, se trouvait le grand Legazpi, « le gouverneur le plus jaloux de la gloire de Dieu », et le génial Urdaneta, première plante d'une génération apostolique, à l'ombre de laquelle se modela l'âme de votre nation.

Ce fut une conquête principalement pacifique, une fusion de races que seule la cohésion de la religion put réaliser à la façon d'une mère ; que seul le souffle unanime d'une foi profondément enracinée put maintenir au milieu de tant de vicissitudes. Au coeur de tout cela, enfin, une dévotion, une tendresse pour la plus aimée des mères, sans laquelle l'âme nationale philippine se trouverait comme vide, elle qui ne sut jamais séparer la Mère de son Fils.

Plusieurs de vos villes ne portent-elles pas le nom de la Vierge : Sainte-Marie, la Conception, Notre-Dame des Anges ? Les cimes de vos montagnes ne Lui sont-elles pas consacrées l la Sierra Madré, la cime de la Mère de Dieu ? Et combien parmi vous, chères filles qui Nous écoutez, ne s'honorent-elles pas de son nom ? Quels sont les foyers qui n'ont pas son image installée à la place d'honneur ? Devant qui chantez-vous, durant le Carême, les cantiques de la Passion ; ou qui accompagnez-vous, le lendemain de Pâques, à la « Sainte Rencontre » ? Et au mois de mai, à qui offrez-vous vos « fleurs »? A la tombée du soir, dans vos villages et vos hameaux, se font entendre, accompagnés au « banjo », les doux cantiques sur les douleurs et les joies de Marie ; tandis que des maisons voisines monte le rythme suave de l'Ave Maria, répété sans cesse dans la récitation du Saint Rosaire. C'est bien là cette dévotion nationale philippine, qui parfois est restée le dernier lien, qui a maintenu l'union et la foi des chrétiens dans certains îlots du nord, si lointains qu'ils restent comme perdus dans le brouillard, si reculés qu'ils n'avaient pas vu de missionnaires depuis des années et des années.

Philippines, royaume de Marie ! Philippines, royaume du Saint Rosaire ! Accourez à ce trône de grâce, à cette dévotion de salut, car la tempête fait rage non loin de vous. Restez fermes dans la sainte foi de vos pères, que vous avez reçue dès le berceau, comme demeurent fermes vos îles, bien que secouées par les tremblements de terre et assaillies avec violence par les vagues irritées. Et ne laissez jamais s'éteindre dans vos âmes le feu sacré de l'amour pour votre Mère céleste, de même que ne s'éteignent pas ces volcans qui, de temps en temps, manifestent la fournaise cachée sous votre sol.

Par une disposition providentielle, vous possédez, comme base de votre structure nationale, une variété de peuples ayant en commun la vivacité de l'esprit, la bonté de caractère et une inclination naturelle à l'honnêteté et à la droiture. Sur ce terrain le Seigneur voulut répandre une excellente semence qui, en quelque sorte, vous rattache au tronc robuste des nations hispaniques. Aujourd'hui enfin, vous croissez et prospérez à la chaleur de courants nouveaux, avec les plus riches qualités, appelés à jouer un rôle important dans l'histoire contemporaine. Ouvrez vos âmes à ce qui est neuf, mais en conservant la vieille foi ; organisez votre nation naissante, mais en donnant la juste place aux valeurs chrétiennes ; soyez vous-mêmes, mais sans vous détacher du tronc qui vous donna la vie de l'esprit. En agissant de la sorte vous vous assurerez en toute chose le meilleur et vous vous disposerez à être en Extrême-Orient un phare de vie chrétienne, colonne et fondement d'un édifice à l'imprévisible grandeur.

La florissante Manille, à peine cicatrisée de ses récentes blessures, vous a généreusement ouvert les bras pour accueillir votre Assemblée. Abritée au centre de sa grandiose baie, comme une perle en son écrin, couronnée de montagnes et arrosée par l'abondant Pasig aux nombreux affluents, donnant à la campagne environnante richesse et fertilité, Manille se glorifie aussi de sa « Vierge de la Guide », providentiellement trouvée — racontent les chroniques — ce 15 mai 1571, où s'ouvrait la première page de son histoire ! Qu'elle écoute vos ardentes prières ! Que les entende aussi Notre-Dame de Caysasay, l'image prodigieuse pour laquelle votre générosité filiale a préparé cette précieuse couronne qui couronnera son front le jour même du centenaire de la définition du Dogme. Mais que vos larmes soient accueillies avec bienveillance surtout par la « Reine de la Paix », que vous avez invoquée dans votre Assemblée générale, cette « Reine de la Paix », à laquelle Nous aussi adressons Nos prières suppliantes pour qu'Elle écarte du monde le terrible fléau dont vous avez fait la douloureuse expérience il n'y a pas si longtemps. Tout en reconnaissant toute la bonne volonté nécessaire aux dirigeants des peuples, Nous sommes cependant entièrement convaincu que c'est seulement en se tournant vers Jésus-Christ, vers son Royaume et sa doctrine — dans cette seule direction — que se trouve la voie sûre pour arriver à la paix souhaitée.

Que les meilleures Bénédictions du ciel, dont Notre Bénédiction veut être l'anticipation, couronnent votre Congrès. Bénédiction pour Notre cher Cardinal Légat, qui vous a apporté de Saint-Jacques ce parfum fidèle de l'encens brûlant dans les « botafumeiro », ce parfum familier de la foi bien connu de vos âmes. Bénédiction pour Notre Vénérable Frère l'Archevêque de Manille ; pour tous les prélats, prêtres et religieux présents ; pour toutes les autorités et le peuple réunis là ; et pour toutes ces très chères Iles Philippines, avant-garde de l'Eglise dans deux Océans. Que les ondes vous apportent cette Bénédiction, qui veut parvenir jusqu'au dernier îlot perdu, jusqu'au dernier récif, où quelqu'un écoute Notre voix, où peut-être un fils tout ému partage l'émotion de son Père *.





DISCOURS AUX JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS

(5 décembre 1954)1


Le Pape, frappé par la maladie, ne put prononcer ce discours, mais le texte en fut distribué aux intéressés.

Recevez, Messieurs, Notre salut de bienvenue. Nous l'adressons à votre digne Assemblée avec les mêmes sentiments de joie et de confiance avec lesquels Nous vous reçûmes l'année passée 2.

La question que Nous examinons aujourd'hui Nous a été signalée par un des vôtres, le Professeur Carnelutti. C'est le rôle de la peine, le « rachat du coupable au moyen de la pénitence », question que Nous aimerions formuler ainsi : la faute et la peine dans leur connexion réciproque. Nous voudrions donc indiquer à grands traits l'itinéraire de l'homme qui, du fait de la faute, passe de l'état de non-culpabilité à l'imputabilité de l'acte et de la peine (reatus culpse et poenoe) ; et le retour, par le repentir et l'expiation, à l'état de libération de la faute et de la peine. Nous pourrons alors voir plus clairement quelle est l'origine de la peine, quelle en est l'essence, la fonction, quelle forme elle doit prendre pour conduire le coupable à sa libération.

I. Le chemin qui conduit à la faute et la peine.

Il faut d'abord donner ici deux avertissements. Avant tout, le problème de la faute et de la peine est un problème de la personne et cela sous un double aspect. Le chemin qui conduit à la faute part de la personne du sujet actif, de son « Moi ».



1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 60.

2 Cf. Documents Pontificaux 1953, p. 464.



Dans l'ensemble des actes qui en proviennent, comme d'un centre d'action, il ne faut considérer ici que ceux qui se fondent sur une détermination consciente et voulue ; les actes donc que le Moi pouvait accomplir ou ne pas accomplir, qu'il accomplit parce que lui-même s'y est librement résolu. Cette fonction centrale du Moi envers lui-même — même s'il subit des influences de nature diverse — est un élément nécessaire, si l'on veut parler de vraie faute et de vraie peine.

Toutefois le fait coupable est toujours aussi une prise de position d'une personne contre une personne, que l'objet immédiat de la faute soit une autre chose, comme dans le vol, ou qu'il soit une personne, comme dans l'homicide ; en outre, le Moi de la personne qui se rend coupable se dresse contre l'Autorité supérieure, et donc en fin de compte toujours contre l'autorité de Dieu. En ceci, Nous avons en vue le vrai problème de la faute et de la peine proprement dites, Nous faisons abstraction de la faute purement juridique et de la pénalité qui en découle.

Il faut ensuite observer que la personne et la fonction personnelle du coupable forment une unité étroite qui, à son tour, présente différents aspects. Elle concerne en même temps les domaines psychologique, juridique, moral et religieux. Ces aspects peuvent sans doute être considérés séparément ; mais dans la faute et la peine réelles, ils sont tellement unis entre eux que c'est seulement dans leur unité complexe qu'il est possible de se former une idée juste sur le coupable ainsi que sur la question de la faute et de la peine. On ne peut par conséquent traiter ce problème unilatéralement, sous le seul aspect juridique.

Voici donc la route qui mène à la faute : l'esprit de l'homme se trouve dans la situation suivante : il est devant une action ou une omission qui se présente à lui comme purement obligatoire, comme un « Tu dois » absolu, une exigence inconditionnée qu'il faut actuer par une détermination personnelle. A cette exigence l'homme refuse d'obéir : il rejette le bien, il accepte le mal. A la résolution interne, quand celle-ci ne s'épuise pas en elle-même, fait suite l'action externe. De la sorte, l'acte coupable est accompli à la fois dans son élément interne et externe.

Nature et aspects multiples de l'acte coupable.

En ce qui regarde le côté subjectif de la faute, pour l'apprécier justement il faut tenir compte non seulement du fait extérieur, mais aussi des influences internes et externes qui ont coopéré à la décision du coupable, tels que les dispositions innées ou acquises, les impulsions ou obstacles, les empreintes de l'éducation, les influences des personnes et des choses parmi lesquelles il vit, ce qui provient des circonstances et en particulier l'intensité habituelle et actuelle du vouloir, ce qu'on appelle « l'énergie criminelle » qui a contribué à l'accomplissement de l'acte coupable.

Considéré en son terme, l'acte coupable est un mépris arrogant de l'Autorité en tant que chargée de maintenir l'ordre de la justice et du bien et constituée comme source, gardienne, protectrice et vengeresse de l'ordre lui-même. Et puisque toute Autorité humaine ne peut finalement dériver que de Dieu, tout acte coupable est une opposition à Dieu lui-même, à son droit suprême et à sa suprême majesté. Cet aspect religieux est immanent et essentiellement lié au fait coupable.

Cet acte a aussi pour terme la communauté de droit public chaque fois qu'il met en péril et viole l'ordre établi par les lois. Toutefois les actes vraiment coupables, tels qu'on les a décrits plus haut, n'ont pas tous le caractère de faute de droit public. Le pouvoir public ne doit s'occuper que de ceux qui lèsent la vie en commun normale dans l'ordre fixé par les lois. De là vient cette règle de la faute juridique : Nuïla culpa sine lege. Mais une telle violation, si elle est d'autre part en elle-même un véritable acte coupable, est toujours aussi une violation de la norme morale et religieuse. Il suit de là que les lois humaines qui se trouvent en contradiction avec les lois divines, ne peuvent former la base d'un vrai fait coupable de droit public.

Au concept de fait coupable se rattache celui de son auteur méritant un châtiment (reatus pcense). Le problème de la peine commence donc, en ce cas, au moment où l'homme devient coupable. La peine est la réaction face à la faute, requise par le droit et la justice ; peine et faute sont comme le coup et le contre-coup. L'ordre violé par l'acte coupable exige la réintégration et le rétablissement de l'équilibre troublé. C'est l'office propre du droit et de la justice de garder et de préserver la concordance entre le devoir d'une part et le droit de l'autre, et de la rétablir quand elle est lésée. La peine ne touche pas de soi le fait coupable mais son auteur, sa personne, son Moi qui, par une détermination consciente, a accompli l'action coupable. De même la punition ne vient pas pour ainsi dire d'un ordre juriclique abstrait mais de la personne concrète investie de l'Autorité légitime. De même que l'action coupable, la punition oppose personne à personne.

Sens et fin de la peine.

La peine proprement dite ne peut donc avoir d'autre sens et d'autre but que celui, énoncé à l'instant, de ramener à nouveau dans l'ordre du devoir le violateur du droit qui en était sorti. Cet ordre du devoir est nécessairement une expression de l'ordre de l'être, de l'ordre du vrai et du bien qui seul a le droit d'exister par opposition à l'erreur et au mal qui représentent ce qui ne doit pas être. La peine accomplit son office à sa façon, en tant qu'elle force le coupable à une souffrance, c'est-à-dire à la privation d'un bien et à l'imposition d'un mal. Mais pour que cette souffrance soit une peine, la connexion causale avec la faute est essentielle.

II. L'état de faute et de peine.

Ajoutons que le coupable a créé, par son acte, un état qui, de soi, ne cesse pas en même temps que le fait lui-même. Il reste celui qui a consciemment et librement violé une norme obligatoire (reatus culpse) et par là a encore la peine (reatus pceme). Cet état personnel subsiste, même dans sa situation vis-à-vis de l'Autorité dont il dépend, c'est-à-dire de l'Autorité humaine de droit public, en tant que celle-ci participe au processus pénal correspondant ; et il subsiste, toujours aussi manifeste, vis-à-vis de la suprême Autorité divine. Il se forme ainsi un état durable de faute et de peine exprimant une condition particulière du coupable devant l'Autorité offensée et de celle-ci envers le coupable 3.

En partant de cette idée que le temps et l'espace, pris formellement, ne sont pas simplement des réalités mais des instruments et des formes de la pensée, on a essayé de conclure qu'après la cessation du fait coupable et de la peine elle-même, on ne pourrait plus leur attribuer une permanence quelconque dans la réalité, dans l'ordre réel, ni donc parler d'un état de peine et de faute. S'il en était ainsi, on devrait renoncer au principe : « Quod factum est infectum fieri nequit ». Appliqué à un fait spirituel — et tel est en soi l'acte coupable — ce principe se fonderait, comme on l'affirme, sur une fausse évaluation et un usage erroné du concept de « temps ». Nous dépasserions les limites de ce discours, si Nous voulions traiter ici la question de l'espace et du temps. Il suffira de noter que l'espace et le temps ne sont pas une simple forme de la pensée mais ont un fondement dans la réalité. De toutes façons, la conséquence qu'on en veut tirer contre l'existence d'un état de faute ne vaut pas. Sans doute la chute de l'homme dans la faute se produit sur cette terre en un lieu et un temps déterminés, mais elle n'est pas une qualité de ce lieu et de ce temps et donc sa cessation n'est pas liée avec la cessation d'un « ici » et d'un « maintenant ».

Ce que Nous avons exposé concerne l'essence de l'état de faute et de peine. Mais quant à l'Autorité supérieure à laquelle le coupable a refusé la subordination et l'obéissance requises, son indignation et sa désapprobation s'adressent non seulement au fait mais à l'auteur lui-même, à sa personne, à cause de son acte.

A l'acte fautif est immédiatement lié, comme on l'a déjà indiqué, non la peine elle-même, mais le fait que l'acte lui-même est coupable et punissable. Malgré cela, on n'exclut pas une peine que l'on encourrait en vertu d'une loi, automatiquement, au moment de l'acte coupable. En droit canonique, on connaît les poense latse sententise ipso facto commissi delicti incurrendoe. En droit civil, une telle peine est rare, et même inconnue dans certaines constitutions juridiques. De plus, le fait d'encourir automatiquement la peine suppose toujours une faute véritable et grave.

présupposés de toute sentence pénale.

En règle générale donc, la peine est infligée par l'Autorité compétente. Cela présuppose une loi pénale en vigueur et un homme légitimement investi de l'autorité pénale. Celui-ci doit avoir une connaissance sûre de l'acte à punir tant du côté objectif, c'est-à-dire dans l'actuation du délit envisagé par la loi, que du côté subjectif, c'est-à-dire pour ce qui regarde la culpabilité du coupable, sa gravité et son extension.



3 Cf. S. Thomas, Somme Thèologique, ad 3.



Cette connaissance, nécessaire pour prononcer une sentence pénale, est parfaitement claire et infaillible au tribunal de Dieu, Juge suprême. Cette indication ne peut pas être sans intérêt pour le juriste, Dieu étant présent à l'homme, dans la résolution interne et dans l'accomplissement externe du fait coupable, pénétrant tout pleinement de son regard jusqu'aux derniers détails ; tout est devant Lui, maintenant comme au moment de l'action. Mais cette connaissance qui s'étend dans une plénitude absolue et une souveraine sûreté à tout instant de la vie et sur toute action humaine, est propre à Dieu seul. Aussi c'est uniquement à Dieu qu'il revient de juger en dernier lieu la valeur d'un homme et de décider de son sort définitif. Dieu prononce ce jugement selon qu'il trouve l'homme au moment où il l'appelle à l'éternité. Toutefois il existe aussi un jugement infaillible de Dieu durant la vie terrestre, non seulement sur tout son ensemble mais aussi sur chaque acte coupable en particulier et sur la peine correspondante ; et même en un certain nombre de cas, il exécute déjà cette peine pendant la vie de l'homme, bien qu'il soit toujours prêt à accorder la rémission et le pardon.

La certitude morale dans les jugements humains.

Avant de prononcer la sentence judiciaire, le juge humain qui, par contre n'a pas l'omniprésence et l'omniscience de Dieu, a le devoir de se former une certitude morale, excluant tout doute raisonnable et sérieux au sujet du fait extérieur et de la culpabilité interne. Or il n'a pas une vision immédiate de l'état intérieur de l'accusé tel qu'il était au moment de l'action ; bien plus, la plupart du temps, il n'est pas capable de le reconstruire avec une pleine clarté à l'aide des arguments de l'enquête, et parfois il ne le peut même pas avec les aveux du coupable. Mais ce défaut et cette impossibilité ne doivent pas être exagérés, comme s'il était d'ordinaire impossible au juge humain d'acquérir une sécurité suffisante et donc un fondement solide pour baser la sentence. Selon les cas, le juge ne manquera pas de consulter des spécialistes renommés sur la capacité et la responsabilité de l'inculpé et de tenir compte des résultats des sciences modernes, psychologiques, psychiatriques et caractérologiques. Si malgré tous ces soins, il reste encore un doute important et sérieux, aucun juge consciencieux ne procédera à une sentence de condamnation, surtout quand il s'agit d'une peine irrémédiable comme la peine de mort.

Dans le plus grand nombre des délits, le comportement externe manifeste déjà suffisamment le sentiment interne dont il est issu. Donc en règle générale on peut — et même parfois on doit — déduire de l'extérieur une conclusion substantiellement exacte, si l'on ne veut pas rendre impossibles les actions juridiques parmi les hommes. D'autre part, on ne doit pas non plus oublier qu'aucune sentence humaine ne décide en dernière instance et définitivement le sort d'un homme, mais que cela revient uniquement au jugement de Dieu tant pour les actes particuliers que pour la vie entière. Donc pour tous les cas où les juges humains viennent à faillir, le Juge suprême rétablira l'équilibre, d'abord immédiatement après la mort dans le jugement définitif sur la vie entière, et ensuite, plus tard et plus complètement, devant tous, au jugement universel. Non que ceci dispense le juge de mener l'enquête avec un soin consciencieux ; mais c'est quelque chose de grand de savoir qu'il y aura une adéquation ultime de la faute et de la peine ne laissant rien à désirer pour sa perfection. Celui qui est chargé de l'assistance du prévenu dans la prison préventive ne doit pas manquer de considérer le fardeau et la souffrance que l'enquête elle-même cause déjà à celui-ci, même quand on n'emploie pas de méthodes d'investigation inadmissibles en aucune manière. On ne tient ordinairement pas compte de ces souffrances dans la peine qui sera finalement infligée, et l'on ne pourrait d'ailleurs y arriver que difficilement. Il faut toutefois que le souvenir en demeure conscient.

Dans le domaine juridique extérieur la sentence du tribunal est décisive pour statuer pleinement sur la faute et la peine.

uelques propositions de réforme.

Dans vos milieux, Messieurs, le souhait s'est manifesté de voir introduit par voie législative un certain relâchement du lien qui lie le juriste aux articles du Code pénal, non pas dans le sens de l'activité du préteur en droit romain adjuvandi, supplen-di vel corrigendi iuris civilis gratia, mais dans le sens d'une plus libre appréciation des faits objectifs en dehors des normes juridiques générales définies par le pouvoir législatif. Même dans le droit pénal on pourrait alors appliquer une certaine analogía iuris, et le pouvoir discrétionnaire du juge subirait élargissement par rapport aux limites jusqu'ici en vigueur. On pense que de cette manière on obtiendrait une simplification notable des lois pénales et une diminution considérable du nombre des délits particuliers, et qu'on arriverait à mieux faire comprendre au peuple ce que l'Etat considère comme passible de peine et pour quels motifs.

On peut sans aucun doute reconnaître un certain fondement à une telle idée. De toute façon, les fins pour lesquelles une telle proposition est faite, c'est-à-dire la simplification des normes légales, la mise en valeur non seulement du droit formel strict, mais aussi de l'équité et du sain jugement spontané, une plus grande adaptation du droit pénal au sentiment du peuple, ces fins, disons-Nous, ne donnent pas matière à objection. La difficulté devrait surgir moins du côté théorique que dans le mode de réalisation, qui devrait d'une part, conserver les garanties du règlement en vigueur et d'autre part, tenir compte des besoins nouveaux et des désirs raisonnables de réforme. Le droit canonique offre des exemples dans ce sens, comme on le note dans les Canons 2220-2223 du C. I. C.

Variété et efficacité des peines.

Pour ce qui concerne les différentes sortes de peines (peines concernant l'honneur [la capacité juridique], les biens de patrimoine, la liberté personnelle, le corps et la vie - les peines corporelles ne sont pas comprises dans le droit italien), Nous Nous bornerons dans cet exposé à les considérer dans la mesure où se manifestent en elles la nature et le but de la peine. Puisque cependant, comme Nous l'avons déjà dit en passant, certains ne partagent pas la même opinion au sujet du sens et de la fin de la peine, il en résulte que leur attitude est également différente vis-à-vis des différentes peines.

Il peut être vrai, jusqu'à un certain point, que la peine de la prison ou de la réclusion, appliquée comme il se doit, soit la plus apte à procurer le retour du coupable dans l'ordre et à la vie en communauté. Mais il ne s'ensuit pas qu'elle soit la seule bonne et juste. C'est le lieu de rappeler ce que Nous avons dit Nous-même, dans Notre discours du 3 octobre 1953 sur le droit pénal international, au sujet de la théorie de la rétribution [9]. La peine vindicative est rejetée par beaucoup, non toutefois par la généralité, même si elle n'est pas proposée comme exclusive mais à côté de peines médicinales. Nous avons alors affirmé qu'il ne serait pas juste de repousser en principe et totalement la fonction de la peine vindicative. Tant que l'homme est sur la terre, elle peut et doit servir à son salut définitif, pourvu qu'il ne mette pas autrement obstacle à son efficacité salutaire. Celle-ci, en effet, n'est pas en opposition avec la fonction d'équilibre et de réintégration dans l'ordre que Nous avons déjà indiquée comme essentielle à la peine.

Exécution de la peine.

L'imposition d'une peine trouve son achèvement naturel dans son exécution considérée comme la privation effective d'un bien, déterminé par l'Autorité légitime, pour réagir contre l'acte coupable. C'est une compensation non immédiatement de la faute, mais du trouble apporté à l'ordre juridique. L'acte répréhensible a manifesté dans la personne du coupable un élément qui ne s'accorde pas avec le bien commun et avec la vie sociale ordonnée. Cet élément doit être ôté du coupable, opération comparable à l'intervention médicale dans l'organisme et qui peut être douloureuse, surtout quand on doit atteindre non seulement les symptômes, mais la cause même de la maladie. Le bien du coupable, et peut-être plus encore celui de la communauté, exige que le membre malade redevienne sain. Mais comme celui du malade, le traitement pénal requiert un diagnostic clair, non seulement symptomatique, mais encore étiologique, une thérapeutique adaptée au mal, un pronostic prudent et une prophylaxie complémentaire appropriée.

Les réactions du condamné...

La voie que doit prendre le coupable lui est indiquée par le sens objectif et par la fin de la peine, comme par l'intention, la plupart du temps conforme, de l'Autorité qui punit. Ce sera de reconnaître le mal qui lui a occasionné la peine ; de prendre en aversion l'acte même et de le répudier. C'est la voie du repentir, de l'expiation et de la purification, de l'efficace résolution pour l'avenir. C'est la voie que le condamné doit prendre. La question toutefois est de savoir quelle voie il prendra en réalité. Quand on considère cette question, il peut être utile d'envisager la souffrance causée par la peine selon les divers aspects que celle-ci présente : psychologique, juridique, moral, religieux, bien que normalement ils constituent une seule et même réalité.

. sous l'aspect psychologique...

Psychologiquement, la nature réagit spontanément contre le mal concret de la peine, d'une manière d'autant plus véhémente que la souffrance qui frappe la nature de l'homme en général ou le tempérament individuel du particulier est plus profonde. A cela s'ajoute, aussi spontanément, le fait que l'attention du coupable se dirige et se fixe sur l'acte coupable, cause de la peine ; leur connexion est nette devant son esprit, ou, au moins, passe alors au premier plan de sa conscience.

Après de telles attitudes plus ou moins involontaires, apparaît la réaction consciente et voulue du Moi, centre et source de toutes les fonctions personnelles. Cette réaction plus profonde peut être une acceptation volontaire et positive, comme on le voit dans les paroles du bon larron sur la croix Digna factis recipimus : « Nous recevons ce que nous méritaient nos actions 5. » Ce peut être aussi une résignation passive ; ou au contraire, une exacerbation profonde, un écroulement intime total ; ou encore un endurcissement dans le mal ; ou finalement une sorte de révolte intérieure et extérieure, sauvage et impuissante. Une telle réaction psychologique prend des formes diverses selon qu'il s'agit d'une peine durable ou au contraire d'une peine restreinte dans le temps à un instant, tandis qu'en intensité et en profondeur elle surpasse toute mesure de temps, comme la peine de mort.

. dans le domaine juridique...

Juridiquement, l'exécution de la peine signifie l'action effective et efficace du pouvoir supérieur et dominateur de la communauté juridique (ou plus exactement de celui qui détient l'autorité) sur le violateur du droit, qui, dans sa volonté obstinée et contraire à la loi a transgressé de façon coupable l'ordre juridique établi. Il se trouve actuellement contraint à se soumettre aux prescriptions de l'ordre, pour le plus grand bien de la communauté et du coupable lui-même.

Luc, 23, 41.

De là ressortent clairement la nature du droit pénal et sa nécessité.

D'autre part, la justice exige que dans l'exécution des dispositions de la loi pénale on évite toute aggravation des peines fixées dans la sentence, tout arbitraire et toute dureté, toute vexation et toute provocation. L'Autorité supérieure a le devoir de surveiller l'exécution de la peine et de lui donner la forme correspondant à son but, non pour accomplir de façon rigide chacune de ses prescriptions et chacun de ses paragraphes, mais en vue de l'adapter autant que possible à la personne qui est soumise à la peine elle-même. Or le sérieux et l'honneur du pouvoir pénal et de son exercice suggèrent naturellement à l'Autorité publique de considérer comme son office principal d'entrer en contact avec la personne du coupable. Il faudra ensuite juger selon les circonstances particulières si l'on peut remplir pleinement les devoirs de cet office grâce à ses propres organismes. Le plus souvent, sinon toujours, une partie devra en être confiée à d'autres, spécialement le soin des âmes au sens propre.

Certains ont proposé comme opportune la fondation d'une Congrégation religieuse ou d'un Institut séculier à qui l'on confierait, dans la plus large mesure, l'Assistance psychologique des détenus. Sans doute depuis longtemps déjà de bonnes religieuses ont porté un rayon de lumière et les bienfaits de la charité chrétienne dans les maisons de détention de femmes, et c'est pour Nous l'occasion de leur adresser une parole de reconnaissance et de gratitude. Toutefois, la proposition en question Nous semble digne de toute considération, et Nous formons aussi le souhait qu'une fondation de ce genre, non moins que les organismes religieux et ecclésiastiques qui déploient déjà leur activité dans ces maisons, laissent travailler les énergies qui jaillissent de la foi chrétienne. Mais, Nous désirons aussi que tous les résultats sûrs provenant des recherches et des expériences psychologiques, psychiatriques, pédagogiques et sociologiques soient utilisés à l'avantage des détenus. Cela suppose naturellement chez ceux qui sont appelés à les appliquer une formation professionnelle complète.

. du point de vue moral...

Aucun de ceux qui connaissent d'un peu près comment se passe l'exécution des peines, ne nourrira l'espoir utopique d'obtenir d'importants succès. L'influence extérieure doit rencontrer la bonne volonté du condamné, mais celle-ci ne peut s'obtenir par la force. Veuille la divine Providence la susciter et la diriger par sa grâce !

Le côté moral de l'exécution de la peine et de la souffrance que celle-ci apporte est en relation avec les buts et les principes qui doivent déterminer les dispositions de la volonté du condamné.

Souffrir en cette vie terrestre signifie en quelque sorte tourner son esprit de l'extérieur vers l'intérieur ; c'est un processus qui éloigne de la surface pour conduire dans les profondeurs. Considérée ainsi, la souffrance est d'une haute valeur morale pour l'homme. Son acceptation volontaire, à supposer que l'intention soit droite, est une oeuvre précieuse : « La constance s'accompagne d'oeuvres parfaites », écrit l'Apôtre saint Jacques '. Cela vaut aussi de la souffrance causée par la peine. Elle peut être un progrès dans la vie intérieure. Selon sa propre nature, c'est une réparation et un rétablissement — par le moyen de la personne et dans la personne du coupable, et voulu par celui-ci — de l'ordre social violé de façon coupable. L'essence du retour au bien consiste proprement non dans l'acceptation volontaire de la souffrance, mais dans l'éloignement de la faute. A cela peut conduire la souffrance même, et le repentir de la faute peut, à son tour, conférer à celle-ci une plus haute valeur morale et faciliter et augmenter son efficacité morale. Ainsi la souffrance peut s'élever jusqu'à l'héroïsme moral, la patience et l'expiation héroïques.

Dans le domaine de la réaction morale, il ne manque cependant pas de manifestations contraires. Souvent la valeur morale de la peine n'est pas même reconnue ; souvent elle est consciemment et volontairement repoussée. Le coupable ne veut reconnaître ni admettre aucune faute de sa part, il ne veut en aucune manière se soumettre, se plier au bien, il ne veut aucune expiation ou pénitence pour ses fautes personnelles.

Et maintenant quelques mots sur l'aspect religieux de la souffrance causée par la peine.

... au point de vue religieux...

Toute faute morale de l'homme, même commise matériellement dans le seul cadre des lois humaines légitimes, et punie par des hommes selon le droit humain positif, est toujours aussi une faute aux yeux de Dieu et s'attire un jugement pénal de Dieu. Il n'est pas dans l'intérêt de l'autorité publique de ne pas s'en occuper. La Sainte Ecriture enseigne 7 que l'autorité humaine, dans les limites de sa compétence, n'est autre, en ce qui concerne l'accomplissement de la peine, que l'exécutrice de la justice divine : « Elle est en effet le ministre de Dieu pour en assouvir la colère, en châtiant celui qui fait le mal. »

Cet élément religieux de l'exécution de la peine trouve dans la personne du coupable son expression et son actuation, dans la mesure où il s'humilie sous la main de Dieu qui punit par le moyen des hommes ; il accepte donc de Dieu la souffrance, il l'offre à Dieu comme un acompte de la dette qu'il a à son égard. Une peine supportée de la sorte devient sur cette terre pour le coupable, une source de purification intérieure, de conversion plé-nière, de vigueur pour l'avenir, de protection contre toute rechute. Une souffrance ainsi supportée avec foi, repentir et amour est sanctifiée par les douleurs du Christ et accompagnée de sa grâce. Ce sens religieux et sacré de la souffrance causée par la peine apparaît dans les paroles du bon larron à son compagnon de crucifixion : Domine, mémento mei, cum veneris in regnum tuum : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras dans la gloire de ton règne », prière qui mise sur la balance de Dieu, apporta au pécheur repenti l'assurance du Seigneur. Hodie me-cum eris in paradiso 8. — « Aujourd'hui, tu seras avec moi au Paradis. » C'est comme la première indulgence plénière, accordée par le Christ lui-même.

Puissent tous ceux qui sont tombés sous les coups de la justice humaine souffrir la peine qui leur est infligée non sous la simple contrainte, non pas sans Dieu et sans Christ, non pas révoltés contre Dieu, ou déchirés spirituellement dans leur douleur ; mais puisse à travers elle, s'ouvrir pour eux la voie qui conduit vers la sainteté 9.



8 lac, 1, 4.


Pie XII 1954 - ALLOCUTION A L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DE L'HÔTELLERIE