PieXII 1955




DOCUMENTS PONTIFICAUX

de Sa Sainteté PIE XII

« Ignorant ou ayant rejeté de la sorte la présence de Dieu incarné, l'homme moderne a construit un monde dans' lequel les merveilles se confondent avec les misères, plein d'incohérences, comme une voie sans issue, ou comme une maison pourvue de tout, mais qui, faute de toit, ne peut donner la sécurité désirée à ses habitants. »

Pie XII

Message de Noël 1955.

DOCUMENTS PONTIFICAUX

DE SA SAINTETÉ PIE XII

réunis et présentés par

Mgr SIMON DELACROIX

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)

IMPRIMATUR

Seduni, die 2. Augusti 1957 Jos. BAYARD Vic. gen.

Tous droits réservés

PRÉFACE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL OTTAVIANI Pro-Secrétaire de la Suprême Congrégation du Saint-Office

Si la voix du Pontife régnant, Pie XII, s'élève si souvent, tantôt en des appels déchirants, tantôt en discours savants, parfois en messages paternels, parfois en exhortations inspirées, très souvent en un entretien paternel avec les multitudes de fidèles rassemblés autour de lui dans des audiences mémorables, on le doit à une hantise quasi prophétique, à l'« instantia quotidiana » de celui qui, s'étant proposé pour devise dis-tinctive de son pontificat la parole de saint Paul « veritatem facientes in caritate », sent continuellement l'invitation divine « clama, ne cesses ».

Et, en vérité, le commandement divin « docete omnes gentes » donné aux Apôtres et de façon toute particulière adressé au Chef du Collège apostolique de toute l'Eglise, avec le privilège de confirmer ses frères, « confirma fratres tuos », requiert aujourd'hui plus que jamais une vigilance, une application, une instance quotidienne qui rendent aujourd'hui plus qu'à beaucoup d'autres époques de l'histoire puissant et exigeant le « clama, ne cesses ».

En fait, il ne s'agit pas seulement de défendre et d'expliciter toujours mieux le « depositum fidei » avec le charisme de l'infaillibilité en tout ce qui directement touche la pureté de la divine perle de la vérité révélée, mais aussi de proposer dans le magistère ordinaire la droite ligne du savoir et de l'agir, même en ce qui peut et doit conduire plus ou moins indirectement à la fin suprême du salut des hommes.

A nulle autre époque non plus comme aujourd'hui la science, la technique et le progrès n'ont créé dans des domaines si nombreux et si étendus des problèmes, des dangers et des erreurs qui s'écartent de la rectitude de la pensée et de la justesse de l'action.

« L'erreur — a déclaré Pie XII dans son Message pascal de xgs7 — sous ses formes quasi innombrables a réduit en servitude l'intelligence de créatures par ailleurs très supérieure, et l'immoralité de toutes sortes a atteint un degré de précocité, d'impudeur, d'universalité tel qu'elle préoccupe sérieusement ceux qui sont soucieux des destins du monde ».

D'où la nécessité, pour celui qui est assis dans la chaire suprême du magistère universel, de poser les principes et de tirer les conséquences qui commandent les formes et les branches si nombreuses du savoir et de l'action des hommes.

On ne s'étonnera donc pas si, dans ce volume des « Documents Pontificaux » de 1955, rassemblés en une édition élégante par l'OEuvre de Saint-Augustin, nous trouvons aussi des documents du magistère pontifical qui traitent non seulement des sujets qui ont une relation directe avec les attributions apostoliques du magistère papal, mais aussi beaucoup d'autres qui indirectement donnent occasion aux enseignements pontificaux.

Dans les chaires de Droit public ecclésiastique on a l'habitude — et à juste titre — de revendiquer pour l'Eglise le droit de fonder des écoles non seulement pour l'enseignement des sciences sacrées, mais aussi pour l'enseignement de tout le savoir profane, comme moyen apte à soutenir l'enseignement moral et religieux qui se donne en même temps.

Ainsi fait le Pape, avec la bonté d'un père qui se sent père et maître de tous ses enfants : des savants comme des ignorants, des travailleurs comme des hommes de toutes les professions, de ceux qui prennent soin des corps comme de ceux qui prennent soin des âmes ; il les rassemble autour de lui pour leur adresser des allocutions cordiales et parfaitement adaptées.

Et comme quelqu'un qui veut se rendre familier à ses auditeurs, il leur parle sur les sujets qui les intéressent, afin de susciter une communauté d'idées et de sentiments génératrice de confiance en les préparant à recevoir avec un esprit bien disposé les enseignements d'ordre religieux ou moral qui peuvent se déduire des principes posés, ou afin de les avertir de se garder de certains dangers qui, à l'occasion, peuvent menacer leur âme.

On peut bien dire que désormais le magistère de Pie XII donne la lumière pour croire et la règle pour agir en tous domaines.

La conscience que le Pape est toujours parmi nous, qu'avec ses enseignements en toutes matières, il sert de guide sûr pour peser choses et événements, études et travaux, technique et art, droit et morale, action et pensée, nous inspire un sentiment de paix profonde qui nous permet de travailler sans crainte.

Malheureux ceux qui ne se réjouissent pas de semblable certitude comme d'un encouragement, mais s'en indignent comme d'un dépassement de frontières ; mais plus malheureux encore ceux qui, au lieu d'en prendre occasion pour aimer davantage le Pape, s'en prévalent pour s'opposer à lui.

fai déjà écrit ailleurs que c'est une grande gloire et une grande bénédiction pour l'Eglise d'avoir à sa tête un homme qui a fait de sa vie une trajectoire de lumière et de bonté, d'intelligence supérieure et de charité sans limites. En lui nous avons non seulement un Pape, mais encore nous possédons un Pape selon le coeur de Dieu et selon notre coeur : un Pape qui même sur le seul plan naturel émerge parmi les souverains de la terre et gouverne la famille chrétienne avec une rare prudence, avec une grandeur d'esprit et avec un consentement unanime qui n'ont jamais été aussi vastes et aussi cordiaux envers un Pontife romain.

En exaltant le Pape, n'oublions pas qui aujourd'hui est Pape : aidons-le à porter un aussi grand poids de gloire et de responsabilité, par notre prière, par notre affection et, par-dessus tout, par notre obéissance et notre adhésion à ses enseignements.

Et quant à la lutte que le pouvoir des ténèbres déchaîne pour obscurcir la lumière de vérité qui rayonne du Vatican, ne craignons pas : le Pape est là.

Rome, en la fête de saint Joseph artisan, 1957.

f ALFRED, cardinal OTTAVIANI Pro-Secrétaire de la Suprême Congrégation du Saint-Office


INTRODUCTION

Durant Vanné 1955, l'activité du Saint Père ne s'est guère ralentie malgré l'alerte de santé qui émut le monde catholique tout entier. Discours, allocutions, lettres, radiomessages sur les sujets les plus divers témoignent toujours d'une puissance de travail extraordinaire, d'une attention sans cesse en éveil aux problèmes qui angoissent les hommes et d'un désir émouvant d'être le Père commun de tous jusqu'aux extrêmes limites du possible. N'écrivait-il pas le 12 février aux évêques d'Allemagne (p. 38-44) qui avaient cru discret de ne point l'informer « des choses inquiétantes ou troublantes » survenues dans leur pays : « Nous désirons toujours que vous Nous informiez franchement dans vos lettres, non seulement de vos joies, mais aussi des nombreuses nécessités et difficultés que vous rencontrez quotidiennement dans l'exercice de vos tâches pastorales. »

Outre le message de Pâques (10 avril, p. 82-86) et de Noël (24 décembre, p. 467-484), et l'encyclique « Musicae sacras disciplina » auxquels toutes les revues ont donné un large écho, certains discours et lettres méritent d'être particulièrement signalés ici qui ont eu ou sont appelés à avoir un retentissement considérable : discours aux juristes catholiques italiens sur l'état de faute et de peine (5 février, p. 21-36), exhortation aux curés et prédicateurs de carême de Rome (10 mars, p. 47-53), lettre au premier congrès de Y enseignement religieux en France (9 avril, p. 78 à 81), discours aux travailleurs catholiques italiens qui annonce l'institution de la fête de saint Joseph artisan (ier mai, p. 122-128), lettre à l'occasion de la conférence des évêques de l'Amérique latine (29 juin, p. 216-222), discours au dixième congrès international des sciences historiques (7 septembre, p. 286-297), discours au quatrième congrès thomiste international (14 septembre, 298-307), discours pour la reconstitution internationale (13 octobre, p. 371-383).

Par des allocutions ou des messages, il prend part aux travaux de dix-sept journées, semaines, assemblées et congrès importants, qui se tiennent à Rome, et adresse message ou radiomessage aux autres : assemblée des O.C.I. (11 mars, p. 54-56), congrès mondial de la prévention des accidents du travail (3 avril, p. 66-69), congrès de l'Union médicale latine à Rome (7 avril, p. 70-77), premier congrès de l'enseignement religieux en France (9 avril, p. 78-81), troisième congrès du Bureau international de l'enfance (28 avril, p. 110-112), quinzième semaine sociale d'Espagne (30 avril, p. 117-121), congrès de l'association des enseignantes catholiques d'Allemagne (13 mai, p. 138-139), journées internationales d'études cinématographiques de Dublin (22 juin, p. 202-205), semaine sociale de Nancy (14 juillet, p. 233-240), cinquième semaine d'adaptation pastorale de Gênes (18 juillet, p. 241-244), jamboree mondial des scouts catholiques à Niagara-on-the-Lake (28 juillet, p. 261-262), vingt-troisième congrès mondial de Pax Romana (30 juillet, p. 263-265), congrès national de l'éducation à Bruxelles (24 août, p. 271-273), semaines sociales du Canada (29 août, p. 278-281), troisième congrès des religieuses édu-catrices à Paris (5 septembre, p. 284-285), dixième congrès international des sciences historiques (7 septembre, p. 286-297), quatrième congrès international thomiste (14 septembre, p. 298-307), cinquième assemblée des associations américano-européennes à Rome (18 septembre, p. 308 à 311), douzième congrès international des villes et pouvoirs locaux à Rome (30 septembre, p. 328-333), vingt-huitième semaine sociale d'Italie (25 septembre, p. 320-326), deuxième congrès de la Fédération routière internationale (4 octobre, p. 340-344), dixième anniversaire du Centre sportif italien (9 octobre, p. 348-357), troisième Congrès international des communications à Rome (11 octobre, p. 360-364), allocution aux membres du congrès de l'Union internationale des centres cinématographiques (28 octobre, p. 400-415).

Il est présent par les encouragements et les directives de ses radio-messages à tous les grands événements qui marquent la vie des nations de la catholicité : chapitre général des dominicains (25 mars, p. 62-65), restauration de la hiérarchie ecclésiastique en Rhodésie du Sud (24 avril, p. 108-109), congrès eucharistique national de Costa-Rica (28 avril, p. 113-116), congrès eucharistique international de Rio de Janeiro (21 juin, p. 185-186 et 24 juillet, p. 250-253).

Il s'associe aux célébrations des fêtes de ses collaborateurs : entrée solennelle de Son Exc. Mgr Montini à Milan (4 janvier, p. 17-18). Il marque par des discours ou des lettres les anniversaires d'associations ou de fondateurs d'ordres : vingtième anniversaire de la J.I.C.F. (9 mars, p. 45-46), centenaire de l'association ouvrière catholique Kolping (19 mai, p. 149-151), centenaire de saint Vincent Ferrier (16 juin, p. 181-184), neuvième anniversaire de la mort de saint Barthélémy, abbé (30 juin, p. 223-224), fête de l'oratoire Saint-Joseph à Montréal (21 juillet, p. 248-249), centenaire de la mort de saint Ignace de Loyola (31 juillet, p. 266-270), millénaire de la bataille de Lechfeld, 10 août 955, (27 juillet, p. 257-260), cinquième centenaire de la mort de saint Jean de Capistran, (4 octobre, p. 345-347), centenaire du Tiers-Ordre carmêlitain au Malabar (30 octobre, p. 416-417), cinquième centenaire de saint Laurent Justinien (24 décembre, p. 485-488).

Il semble ne jamais se lasser de recevoir tous les groupes qui le désirent : journalistes (19 mars, p. 61, 2 juillet, p. 225-226, 3 juillet, p. 227-230), travailleurs (ier mai, p. 122-128), rosiéristes (10 mai, p. 132 à 134), biologistes (12 mai, p. 135-137), constructeurs d'avions (21 mai, p. 152-154), ingénieurs de chemin de fer (17 mai, p. 142-143), cheminots (13 juin, p. 177-178), propriétaires exploitants (18 mai, p. 144-148), chefs d'entreprise (5 juin, p. 163-168, 27 novembre, p. 458-459), directeurs et employés de banques (29 mai, p. 157-160), délégués du quatrième congrès mondial du pétrole (10 juin, p. 172-176), représentants de l'industrie cinématographique (21 juin, p. 187-201), métallurgistes (20 juillet, p. 245 à 247), jeunes filles jicistes (26 juillet, p. 254-256), dirigeantes des mouvements des guides catholiques (26 août, p. 274-277), membres du conseil de gestion de l'institut international d'épargne (16 mai, p. 140-141), débitants de tabac (23 septembre, p. 312-314), spécialistes de la diététique (25 septembre, p. 315-319).

Aux curés et prédicateurs de Carême de Rome (10 mars, p. 47-53)' il donne des conseils pour l'apostolat individuel et aussi des directives pour une pastorale d'ensemble, leur recommande l'étude sérieuse des problèmes sociologiques, leur rappelle l'obligation de faire appel à toutes les bonnes volontés et de lutter contre l'individualisme et donne droit de cité parmi les sciences ecclésiastiques à la statistique et à la sociologie religieuses (10 mars, p. 47-53).

Encourageant les travaux du congrès mondial de la prévention des accidents de travail (3 avril, p. 66-69), H rattache ce noble souci de la santé des hommes à « un plan d'ensemble qui tiendra compte de tous les aspects de la vie du travailleur et qui fera droit à toutes ses aspirations légitimes et à l'exemple du Christ dont la vie et la mort furent consacrées à l'humanité souffrante pour apporter un remède à ses maux » (3 avril, p. 67-69).

Le congrès de l'Union médicale latine (7 avril, p. 70-77), lui fournit l'occasion de célébrer le « caractère pour ainsi dire sacré qui enveloppe la personne et les interventions des médecins, la valeur de toutes les cultures et spécialement de la culture latine portée à son expression la plus parfaite dans la conception chrétienne de la vie humaine », source d'enrichissement scientifique, technique, moral et spirituel, et sa valeur contre le matérialisme envahissant (7 avril, p. 71-77).

Le 9 avril, il inscrit l'enseignement religieux au tableau des préoccupations de l'opinion catholique et de l'Action catholique (p. 78-81), insiste pour que soit donnée une sérieuse formation aux prêtres, religieux, religieuses et catéchistes, recommande la collaboration de l'école, de la famille et de l'Eglise. Le 28, dans une lettre au Bureau international de l'Enfance, il assigne comme but à l'enseignement religieux le développement chez les enfants d'« une conscience vraiment catholique » (p. 110-112).

Rien ne lui est étranger : ni le droit (6 février, p. 21-36), ni l'histoire (7 septembre, p. 286-297), ni le sport (9 octobre, p. 348-357), ni l'art, ni les découvertes, ni la science, ni la technique (11 octobre, p. 360-364), ni le cinéma, ni la télévision, qu'il qualifie d'« élément complémentaire de la formation » scolaire, moyen efficace de favoriser l'unité de la famille autour du foyer domestique, et en même temps d'instrument de meilleure compréhension entre les peuples (21 octobre, p. 386-391).

L'exposition de Fra Angelico, qu'il décore des beaux titres de peintre de la bonté, de la paix, de la sainteté et de l'humain, lui est une occasion de célébrer en lui le révélateur d'un type d'homme « en qui tout est équilibré », créateur d'une peinture essentiellement religieuse dans ses sujets et sa manière inspirée de la doctrine thomiste à qui « il a emprunté... la grande synthèse de l'univers » (p. 89-98).

A l'assemblée plénière de l'Académie pontificale des sciences, il définit les savants comme les « découvreurs des intentions de Dieu », les interprètes du « livre de la nature », les professeurs d'admiration pour la création, les « maîtres avides d'en divulguer la beauté, la puissance et la perfection et de les faire goûter aux autres » et les incite à établir une synthèse universelle de la pensée (24 avril, p. 98-108).

Sensible à la peine des hommes, il célèbre avec joie « l'immense valeur humaine » des découvertes (11 et 21 octobre, p. 360-365 et p. 386-391), mais aussi la grandeur de la vie pastorale (11 octobre, p. 365-367). Il s'intéresse à la vie communale et définit le rôle des communes dans la nation, l'Europe et la sauvegarde du patrimoine culturel, artistique et religieux de l'humanité (30 septembre, p. 328-333). Les dangers de la circulation automobile lui fournissent l'occasion de rappeler le devoir pour l'automobiliste de pratiquer la charité fraternelle (4 octobre, p. 340-344). Il prône « la diffusion du sport sain parmi la jeunesse moins fortunée » (9 octobre, p. 348-357). Il n'hésite pas à encourager les efforts de la « Food Agriculture Organisation » pour la conservation et l'amélioration de la fertilité des sols, la préservation des forêts et la lutte contre la faim (10 novembre, p. 434-439).

Il magnifie la grandeur des professions consacrées aux soins des malades (11 novembre, p. 439-443), dégage la haute signification de la fonction publique et les responsabilités des fonctionnaires (20 novembre, p. 447-453) et, songeant à l'ascétisme de la vie des marins, il lui compare dans une phrase savoureuse la vie du chrétien. « Marins ou gens de mer, nous le sommes tous un peu dans ce voyage qu'est la vie dans lequel nous louvoyons toujours pour tourner le vent contraire, pour éviter les écueils, pour fuir les ennemis qui, tantôt à bâbord, tantôt à tribord, ne manquent jamais de nous pousser (17 novembre, p. 444-446).

Le cinéma et les techniques de diffusion retiennent toute son attention. Il insiste pour que « cette activité, comme toute autre, soit orientée vers le perfectionnement de l'homme et la gloire de Dieu ». Pour ce faire, il définit la qualité du film idéal (21 juin, p. 187-201), efficace instrument d'élévation, d'éducation et d'enseignement (28 octobre, p. 400-415), « instrument toujours plus utile au bien commun et aide précieuse » à la famille, à l'Etat, à l'Eglise. Il déclare « plus que juste que l'autorité publique intervienne comme il se doit pour empêcher ou freiner les influences les plus dangereuses » (21 juin, p. 187-201), revendique les droits de l'Eglise à intervenir en ce domaine, fait à tout chrétien « obligation personnelle » de s'informer de la valeur morale des films et d'en assurer autour de lui la diffusion, rappelle enfin aux parents et aux éducateurs leur devoir en ce domaine (22 juin, p. 202-205).

La Semaine sociale de Nancy lui est occasion de dénoncer les dangers des techniques de diffusion dont « l'irruption dans notre société... plus périlleuse encore que le progrès du machinisme des siècles derniers..', menace l'homme dans son autonomie spirituelle ». Elles doivent avant tout respecter la personne humaine. Eglise, pouvoirs publics et opinion, et chrétiens doivent assurer « cette sauvegarde des valeurs personnelles dans la société contemporaine... » (14 juillet, p. 233-240).

Aux problèmes sociaux et internationaux, il donne de précieuses et hautes solutions. Il proclame que « le civisme est le lien d'une société saine et forte », et que Y éducation civique du citoyen doit être donnée non seulement par l'Etat mais encore par la famille (29 août, p. 278), que les intérêts économiques doivent passer après les intérêts humains du travailleur, que les nations privilégiées ont des devoirs envers les moins favorisées (10 juin, p. 175). Il prône avec courage et persévérance la paix, le respect mutuel, la pacification préventive, la prévention des conflits entre les peuples (13 octobre, p. 371-383, Noël, p. 482-483).

Pie XII ne cesse de revenir sur l'école, les droits respectifs de la famille, de l'Eglise et de l'Etat dans Y éducation et la nécessité de leur collaboration, les méthodes éducatives et leur adaptation, l'importance de Y enseignement chrétien et de la formation des maîtres catholiques (28 avril, p. 110-112 ; 24 août, p. 271-273 ; 5 septembre, p. 284-285 ; 25 septembre, p. 320-326 ; 24 octobre, p. 392-395 ; 4 nov., p. 420-428).

Enfin, dans son message de Pâques, sa charité aux dimensions des angoisses du monde lui fait s'adresser à tous ceux qui souffrent persécution pour leur fidélité au Christ et à l'Eglise, et, par-delà les catholiques et les croyants, à tous les hommes : à tous ceux qui « sont condamnés à une misère injuste, arrachés à leurs familles, exilés, privés de la liberté et emprisonnés..., aux foules désolées des pauvres répandues à travers le monde », aux savants attachés à la recherche scientifique, aux responsables du pouvoir, pour qu'ils contractent tous les engagements qui assurent la paix-» (10 avril, p. 82-86).

Prodigieuse activité et magnifique enseignement d'un Pape que ni la maladie, ni la souffrance, ni la fatigue, n'empêchent de demeurer aux écoutes des angoisses du monde et d'apporter vérité, lumière, espoir et espérance à tous les hommes de bonne volonté.

S. DELACROIX Professeur à l'Institut Catholique de Paris directeur général de l'Union Apostolique


DOCUMENTS PONTIFICAUX

MESSAGE AU DIOCÈSE DE MILAN POUR L'ENTRÉE SOLENNELLE DE SON NOUVEL ARCHEVÊQUE

(4 janvier 1955)1

Le 6 janvier 1955, fête de l'Epiphanie, Son Excellence Mgr Jean-Baptiste Montini, le nouvel archevêque de Milan a fait son entrée officielle dans son archidiocèse. Lorsqu'il eut pris place au trône, Mgr Ernest Camagni, de la Secrétairerie d'Etat lut le message suivant du Souverain Pontife.

Le rôle que la divine Providence Nous a réservé en donnant à l'archidiocèse de Milan son nouveau Pasteur, Nous voudrions le remplir jusqu'au bout en souhaitant ce que Nous dicte Notre coeur à celui qui s'en va et aux populations catholiques lombardes qui l'accueillent avec allégresse.

Nous implorons de Dieu pour lui, sous les auspices du Père prestigieux de l'Eglise ambrosienne, l'esprit de son admirable prédécesseur Charles Borromée. Comme saint Charles, qui fut donné à la métropole lombarde par un pape qui l'eut comme prédeux collaborateur dans le gouvernement de l'Eglise, que le nouveau pasteur, qui porte avec lui une active connaissance de l'Eglise et un amour inlassable, puisse de même donner au troupeau l'exemple, toujours antique et toujours nouveau, que le Pasteur des pasteurs et les âmes avec lui attendent de son action et de sa vie. Qu'il soit la gloire des fils ; que les fils soient sa couronne.

Aux fils, Nous disons : en celui qui vient à vous au nom du Seigneur, vous avez le gage de Notre affection et de Nos sollicitudes pour vous. Il sera le fidèle dépositaire, dans son archi-

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 86 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 14 janvier 1955.

diocèse, de la saine doctrine et conscient, grâce à une longue expérience, des voies tracées aujourd'hui pour la grande famille chrétienne dans la société nouvelle et de ce monde meilleur tellement désiré par Nous. Vous devez considérer sa tâche pastorale avec une parfaite unité d'esprits et de coeurs et en suivre les orientations avec une humble et sage docilité, et l'aider dans le développement du Royaume de Dieu dans vos âmes et dans vos institutions.

C'est là ce que réclame de vous la vie de foi, qui est la vie même du chrétien. A cette condition, la grâce de Dieu, qui assiste le pasteur, sanctifiera le troupeau, en le sauvant des ruines de l'orgueil et des faux prophètes. L'Eglise ambrosienne continuera en paix dans ses glorieuses traditions de zèle apostolique et missionnaire, de vitalité dans les oeuvres et de généreuses entreprises dans tous les domaines d'action. Et le Père commun pourra être fier de vous, comme saint Paul des Thessaloniciens : « Nous nous rappelons continuellement l'activité de votre foi, le labeur de votre charité, la constance de votre espérance en Notre Seigneur Jésus-Christ, sous le regard de Dieu, notre Père » (I Thess. I, 3).

Avec ces voeux et ces sentiments, Nous sommes heureux d'ouvrir au nouveau pasteur, par Notre Bénédiction apostolique, la route d'une activité que Nous lui souhaitons longue et féconde ; et à la chère famille ambrosienne de consacrer l'allégresse d'un joyeux accueil par des résolutions de fidélité inébranlable à l'Eglise et de sincère vie chrétienne.


CHIROGRAPHE A L'ORDRE SOUVERAIN DE MALTE

(ier février 1955) 1

Dans sa glorieuse histoire, l'Ordre Souverain Militaire de Malte s'est trouvé, comme toutes les institutions humaines, en graves difficultés extérieures et intérieures. Nos prédécesseurs sont, à de nombreuses reprises, intervenus pour soutenir de leurs mains paternelles l'institution afin qu'elle puisse franchir rapidement les points difficiles de son chemin.

Nous-même, à la requête de l'Ordre, par Notre chirographe du 10 décembre 1951, avons constitué un tribunal cardinalice chargé de déterminer la nature de ses qualités d'Ordre souverain et d'Ordre religieux et de résoudre les questions connexes ; après que ledit tribunal eût prononcé sa sentence, on pouvait espérer que l'institution entrerait rapidement dans une nouvelle phase d'heureux développement.

Mais les efforts faits par l'Ordre pour sortir du présent état de choses ont rencontré des difficultés qui les ont empêché de produire jusqu'ici les effets désirés. De même, la révision des Constitutions, que l'Ordre considère comme un important pré-mice de vie nouvelle et à laquelle on travaille, est encore dans la phase d'études.

Afin de donner une impulsion vigoureuse aux généreuses intentions de ceux qui sont préoccupés de l'avenir de l'Ordre, Nous nous sommes résolu à confier à une commission expressément constituée et formée des mêmes cardinaux qui ont déjà composé le tribunal plus haut mentionné et aussi du cardinal Valério Valéri, comme préfet de la Sacrée Congrégation des religieux, l'examen des projets de revision des constitutions et

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 59.

l'étude, la fixation et l'application des dispositions et des moyens aptes à favoriser le retour de l'Ordre à la règle et à promouvoir en lui une nouvelle floraison de vie spirituelle. La commission sera, en conséquence, constituée de leurs Eminences les cardinaux Eugène Tisserant, Clément Micara, Joseph Pizzardo, Benoît Aloïs Mazzela, Valério Valéri et Nicolas Canali. Le secrétaire en sera Mgr Jean-Baptiste Scapinelli di Leguigno.

Nous avons décidé et décidons ceci nonobstant toutes choses contraires, même dignes de mention spéciale.


DISCOURS AUX JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS

(5 février 1955) 1

Le dimanche 5 décembre 1954, le Saint-Père avait fait parvenir aux participants du V7e Congrès national d'étude de l'Union des juristes catholiques Italiens, la première et la seconde partie du discours qui leur était destiné : « Le chemin vers la faute et la peine » et « L'état de faute et de peine » 2. Malgré sa maladie, il a bien voulu achever et rédiger au début de février 1955, la troisième et dernière partie, la plus ample et la plus importante, qui concerne « La libération de la faute et de la peine » :

Il reste maintenant à parler de la dernière étape du processus que Nous voulons vous montrer, c'est-à-dire du retour de l'état de faute et de peine à celui de libération.

La libération de la faute et la libération de la peine ne s'identifient pas nécessairement, ni quant à leur concept ni quant à leur réalité. En faisant abstraction du fait que devant Dieu la rémission de la peine éternelle est toujours liée à la rémission de la faute grave, — on peut rencontrer des cas d'extinction de la faute sans que s'ensuive une extinction de la peine. Et, vice versa, la peine peut avoir été expiée, sans qu'au plus intime du coupable la faute ait cessé d'exister.

Or le retour à l'ordre juridique et éthique consiste essentiellement dans la libération de la faute et non de la peine.

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 72 ; traduction française de l'Osseroafore Romano, du 11 février 1955.

2 Cf. Documents Pontificaux 1954, p. 521.


I. LA LIBÉRATION DE LA FAUTE

Dans l'exposé de la première étape de ce processus, Nous montrions le caractère à la fois interne et externe de l'acte coupable, aussi bien relativement à l'auteur lui-même, que dans ses rapports envers l'autorité supérieure et, en définitive, toujours envers celle de Dieu, dont la majesté, la justice et la sainteté sont, dans tout acte coupable, méprisées et offensées.

En quoi consiste la libération de la faute...

La libération de la faute doit donc rétablir dans leur intégrité les rapports troublés par l'acte coupable. S'il s'agit d'une simple dette réelle, c'est-à-dire concernant des prestations purement matérielles, elle peut être complètement éteinte par la seule prestation due, sans que soit nécessaire un contact personnel quelconque avec l'autre partie. Si, au contraire, il est question d'une offense personnelle (seule, ou liée à une dette réelle), alors le coupable est tenu envers la personne du créancier par une obligation au sens strict, dont il doit être dégagé. Et comme cette obligation, Nous l'avons déjà dit, a un aspect psychologique, juridique, moral et religieux, telle doit être également sa libération.

Toutefois, sous son aspect intérieur, la faute entraîne aussi pour le coupable un esclavage et un asservissement de lui-même à l'objet auquel il s'est donné dans l'accomplissement de l'acte coupable ; c'est-à-dire en somme à un pseudo-moi, dont les tendances, les impulsions et les fins constituent chez l'homme une caricature du moi authentique ordonné par le Créateur et la nature uniquement au vrai et au bien ; elle contrevient aux normes de la rectitude, selon laquelle l'homme, créé à l'image de Dieu, doit agir et se former. De cet esclavage aussi il faut accomplir la libération psychologique, juridique, morale et religieuse.

En droit humain on peut parler d'une certaine libération de la faute, quand cesse la procédure de l'autorité publique contre l'acte coupable ; ainsi par exemple lorsque, même sans égard aux dispositions intérieures actuelles du coupable, l'autorité remet positivement la faute, ou lorsqu'expire le délai légal, dans les limites duquel cette autorité entend, sous certaines conditions, citer devant son tribunal, pour la juger, l'atteinte portée au droit. Toutefois cette manière de faire ne constitue pas une conversion intérieure, une fiezàvoca une libération de l'esclavage intime du moi, de sa volonté de mal et d'illégalité. Or c'est seulement sur cette libération de la faute proprement dite, sur cette fiezdvoca (« changement de sentiment »), que Nous voudrions attirer votre attention.

. Psychologiquement...

Considérée du point de vue psychologique, la libération de la faute est l'abandon et la rétractation du vouloir pervers, que le moi a librement et consciemment mis dans l'acte coupable, et la résolution de vouloir à nouveau le juste et le bien. Ce changement de volonté suppose qu'on rentre en soi-même et qu'on prend conscience de la malignité et de la culpabilité de la résolution antérieurement prise contre le bien reconnu comme obligatoire. A cette prise de conscience s'unit la réprobation de l'acte mauvais, le repentir, c'est-à-dire la douleur voulue, la tristesse voulue de l'âme, pour le mal qui a été fait, parce qu'il est mauvais, contraire aux normes et, en définitive, contraire à Dieu. Dans cette intime xdâaeoiç s'accomplit également et se situe l'éloignement du faux bien vers lequel l'homme s'était tourné dans l'acte coupable. Il revient se soumettre à l'ordre juste et droit, dans l'obéissance à celui qui en est l'auteur et le gardien, et contre lequel il s'était révolté.

Ceci nous conduit psychologiquement à la dernière étape. Puisque l'acte coupable — comme on l'a déjà dit — ne consiste pas à enfreindre une norme abstraite du droit, mais au fond à s'opposer à la personne de l'autorité qui oblige ou interdit, la conversion accomplie porte par nécessité psychologique, — sous une forme ou sous une autre, — vers la personne de l'autorité lésée, pour un aveu repentant, explicite ou implicite, de la faute et l'intime imploration de la rémission et du pardon. La Sainte Ecriture nous donne d'un tel repentir des expressions brèves et classiques : telles les paroles du publicain au Temple Deus propitius esto mihi peccatori : Mon Dieu, pardonnez au pécheur que je suis (Luc. XVIII, 13), ou celles du fils prodigue Pater, peccavi, Père, j'ai péché (Luc. XV, 21).

Néanmoins, considéré sous l'aspect purement psychologique, le vouloir pervers s'exprimant dans l'acte coupable peut prendre fin d'une autre manière, sans que se réalise une libération de la faute. Le coupable ne pense plus à son acte, et ne l'a pas rétracté ; ce dernier a simplement cessé de peser sur sa conscience. Mais alors il faut dire bien clairement qu'un tel processus psychologique ne constitue pas une libération de la faute, de même que le fait de s'endormir le soir n'assure ni ne signifie l'éloignement et encore moins la suppression du mal commis durant le jour. Peut-être, aujourd'hui, certains diront-ils que la faute a été ensevelie dans le subconscient ou dans l'inconscient. Mais en réalité, elle est toujours là.

Et 1' on n'obtiendrait pas un meilleur résultat en essayant de supprimer la conscience psychologique de la faute au moyen d'une autosuggestion ou d'une suggestion externe, ou encore en utilisant la psychothérapie clinique et la psychanalyse. On ne peut corriger ou supprimer psychologiquement une volonté coupable, réelle et libre, en faisant naître la persuasion qu'elle n'a jamais existé. Nous avons indiqué les déplorables conséquences d'une telle façon d'envisager la question de la faute, dans le discours adressé aux participants du Ve congrès international de Psychothérapie et de Psychologie clinique, le 13 avril 1953 3.

Il convient d'ajouter encore une dernière observation sur la libération psychologique de la faute. Un seul acte, pleinement conscient et libre, peut contenir tous les éléments psychiques de la vraie conversion, mais sa profondeur, sa fermeté, son extension peuvent présenter des déficiences, sinon essentielles, du moins fort importantes. Une libération de la faute, profonde, complète et durable, est souvent un long processus qui ne mûrit que graduellement, surtout si l'acte coupable a été le fruit d'une disposition habituelle de la volonté. La psychologie de la récidive offre ici un matériel de preuves plus que suffisant, et ceux qui soutiennent qu'un emprisonnement de quelque durée est de nature à purifier, éduquer et fortifier, trouvent dans ces expériences une confirmation de leur théorie.

. . Juridiquement...

La libération juridique de la faute, à la différence de la conversion psychologique, qui s'accomplit principalement dans l'intime de la volonté du coupable, s'adresse essentiellement à l'autorité supérieure, dont les exigences pour l'observation des normes établies furent méprisées ou violées. Les violations

Cf. Discorsi e Radiomessaggi, vol. XV, p. 67. Documents Pontificaux 1955, p. 139.

privées du droit, — si elles ont eu lieu de bonne foi ou ne portent pas autrement préjudice au bien commun — se règlent en forme privée entre les parties, ou au moyen d'une action civile, et elles ne forment pas ordinairement un objet de droit pénal.

Dans l'analyse de l'acte coupable, Nous disions qu'il consiste à refuser et à nier la subordination qui est due, le service et le dévouement qui sont dûs, le respect et l'hommage qui sont dûs. Nous disions qu'il est objectivement une offense à la grandeur et à la majesté de la loi, ou mieux, de celui qui en est l'auteur, le gardien, le juge et le vengeur. Les exigences de la justice, et par conséquent la libération juridique de la faute, réclament qu'on donne au service, à la subordination, au dévouement, à l'hommage et au respect envers l'autorité, tout autant que ce qui lui avait été refusé par le délit.

Cette satisfaction peut être accomplie librement ; elle peut aussi, du fait de la souffrance causée par la peine infligée, être jusqu'à un certain point imposée ; elle peut être à la fois imposée et libre. Le droit actuel des Etats ne donne guère d'importance à la libre réparation. Il se contente, par le moyen de la souffrance attachée à la peine, de plier la volonté du coupable au fort vouloir de l'autorité publique, et de le réadapter ainsi au travail, aux relations sociales, à une conduite honnête. Que cette manière de procéder puisse conduire, en vertu des lois psychologiques immanentes, à un redressement intérieur et, par là, à une libération intime de la faute, il n'y a pas lieu de le mettre en doute. Cependant, que cela doive arriver ou arrive régulièrement, ce serait encore à prouver. De toute façon, ne pas prendre en considération, par principe, la volonté du coupable de satisfaire à ce que réclament le vrai sens juridique et la justice violée, c'est là un manque et une lacune ; l'intérêt de la doctrine et de la fidélité aux principes fondamentaux du droit pénal, invite vivement à les combler.

Toutefois, la libération juridique de la faute comprend non seulement la volonté de s'acquitter de la prestation due, mais aussi le fait de la prestation elle-même. Ici la science et la vie concrète se heurtent à cette question souvent difficile : que doit-il arriver dans le cas d'incapacité morale ou physique à s'acquitter de cette prestation ? doit-on recourir à quelque compensation ou suppléance, ou bien les exigences du droit violé doivent-elles être laissées sans réparation ? — On a déjà laissé

infini, la majesté absolue et se place en fait au-dessus de Dieu. Mais si, maintenant, l'homme repentant redevient soumis à la majesté de Dieu, si, dans un don conscient et complet de son moi au bien suprême infini, il se détache de son acte coupable jusqu'à sa racine profonde, pour être de nouveau libre dans le bien et en son Dieu, il se trouve toutefois dans l'impossibiUté de réparer adéquatement par ses propres forces (c'est-à-dire son être, son vouloir et son pouvoir) ce que par son acte il a commis à l'égard de Dieu. Il a offensé et méprisé un bien absolument infini, un droit absolument illimité, une Majesté absolue. Dans la gravité de sa faute intervient ainsi cette infinité absolue, alors que tout ce que l'homme peut offrir ou réaliser est essentiellement fini en intensité et en extension : la réparation durerait-elle jusqu'à la fin des siècles, elle ne pourra à aucun moment parvenir à l'égalité — tantum quantum — entre l'exigence de Dieu et la prestation de l'homme 4. Dieu a comblé cet abîme ; il a placé entre les mains de l'homme fini un prix infini ; il a accepté comme prestation en faveur de l'homme coupable le rachat opéré par le Christ, surabondant du fait de l'union hypostatique et en raison de sa valeur infinie de soumission, d'honneur et de glorification ; ainsi tant que dureront les siècles, l'homme repentant recevra rémission de sa faute devant Dieu à cause des mérites de Jésus-Christ.

Que l'on ne dise pas que ces considérations théologiques et religieuses se situent en dehors du domaine et de l'intérêt de la science et de la pratique juridique. Sans doute, une nette distinction de compétences est à l'avantage même de la vie et d'une science véritable ; mais dans cette auto-limitation, on ne doit pas aller jusqu'à ignorer ou nier explicitement des connexions indissolubles qui, par nécessité intrinsèque, partout se manifestent. Dans toute véritable faute — en quelque domaine matériel qu'elle ait été commise — est incluse désormais une relation à l'instance suprême de tout droit et de tout ordre. C'est une caractéristique ou une prérogative du monde du droit qu'il n'y ait rien en lui qui, dans sa structure fondamentale, n'ait été créé sans cette suprême instance, ou qui, dans son analyse poussée jusqu'au bout, puisse être rendu intelligible sans cette relation transcendante. Il n'y a en cela aucun abaissement, mais plutôt une élévation du droit et de la science juridique, pour laquelle la laï-

Prestation : ce que l'homme peut offrir en réparation.

entendre que l'homme est parfaitement en mesure, par un acte coupable commis avec pleine responsabilité, de léser ou de détruire des biens et des obligations juridiques, mais que souvent il n'est plus à même, une fois le fait accompli, d'assurer une réparation appropriée : ainsi, dans les cas d'assassinat, de privation de la vue, de mutilation, de complète violence sexuelle, d'adultère, d'atteinte irréparable à la réputation, de déchaînement d'une guerre injuste, de trahison de secrets d'Etat importants et vitaux, de certaines formes de lèse-majesté et d'autres délits semblables. La méthode du talion infligerait bien au coupable un mal proportionné ; mais, à s'y tenir, celui qui a été directement atteint dans son droit, ne recevrait ni réparation, ni restitution de ce qui lui appartient. Toutefois, sans parler du fait qu'une telle impossibilité de dédommagement approprié ne se vérifie pas dans tous les cas, il faut noter que le jugement concernant la faute ne porte pas tellement sur le bien lésé de l'autre partie, mais principalement sur la personne du coupable et sa volonté perverse exercée à son propre avantage. A celle-ci s'oppose précisément la prestation que le coupable tire, à ses dépens, de son être, de son avoir et de son pouvoir, au profit d'autrui, autrement dit, dans tous les cas, au profit du droit lésé et donc de l'autorité supérieure. Ainsi la prestation active, qui inclut la conversion intérieure de la volonté, constitue pour le coupable, qui s'acquitte à ses dépens de la satisfaction à laquelle il est tenu, le second des deux éléments indiqués ci-dessus comme constituant la libération de la faute. On ne peut en dire autant de la prestation purement passive, c'est-à-dire quand le coupable se soumet sous la contrainte à la souffrance qu'elle comporte. Cette satisfaction purement passive, à laquelle fait défaut toute volonté libre et repentante, est privée de l'élément essentiel de la libération de la faute. Le coupable demeure donc tel.

Plusieurs fois Nous avons fait ressortir que tout véritable acte coupable en matière grave est, en dernière analyse, une faute devant Dieu, qui a un droit absolu, parce que divin, à l'obéissance et à la soumission, au service et à la louange, et qui, comme auteur, gardien, juge et vengeur de l'ordre juridique, fait connaître au coupable ses exigences avec ce caractère absolu et inconditionné qui est propre aux manifestations intimes de la conscience. Dans la détermination coupable du moi, l'homme méprise Dieu tel qu'il se révèle à lui ; il laisse de côté le bien

cisation totale n'est pas un enrichissement, mais un appauvrissement. Les anciens Romains, malgré la différence des deux concepts, unissaient ensemble jus ac fas, et ne les concevaient pas sans une relation avec la divinité. Et, si la psychologie actuelle des profondeurs a raison, il existe dans les dynamismes innés du subconscient et de l'inconscient une tendance qui pousse vers le Transcendant et fait s'orienter l'être même de l'âme vers Dieu. L'analyse des processus de culpabilité et de libération de la faute révèle la même tendance vers le Transcendant ; elle fait entrer en jeu des considérations et des points de vue dont la science et la pratique du droit pénal n'ont certainement pas à traiter ex professo, mais dont elles devraient avoir une connaissance suffisante, afin que d'autres puissent les rendre utilisables en vue de l'exécution de la peine et les appliquer à l'avantage du coupable.

Moralement...

La libération morale de la faute coïncide en substance dans sa plus grande partie avec ce que Nous avons déjà dit au sujet de la libération psychologique et juridique. Elle est la réprobation et la rétractation du mépris effectif et de la violation de l'ordre moral impliqués dans l'acte coupable ; elle est le retour conscient et libre du coupable repentant à la soumission et à la conformité à l'ordre éthique et à ses exigences. Dans ces actes positifs sont compris les efforts du coupable qui s'offre à satisfaire les justes requêtes de l'ordre éthique violé, ou plutôt de celui qui en est l'auteur, le Seigneur, le gardien et le vengeur ; ces efforts manifestent la volonté et la résolution conscientes de rester fidèle à l'avenir aux préceptes du bien. Dans ses traits essentiels, la libération morale est donc cette disposition intérieure qui, dans les exposés que vous avez présentés, est donnée comme le but et le fruit du juste accomplissement de la peine, même si elle est ici considérée et circonscrite sous un angle quelque peu différent.

Religieusement

Enfin, par libération religieuse de la faute, on entend la libération de cette faute intime qui grève et enchaîne la personne du coupable devant Dieu, — suprême et dernière instance de tout droit et de toute obligation morale, — qui couvre et protège de son infinité sa volonté et sa loi, soit que celle-ci émane immédiatement de lui, soit qu'elle provienne d'une autorité humaine légitime agissant dans le ressort de sa compétence. Comment, ensuite, l'homme peut se libérer ou être libéré de son offense contre Dieu, cela a déjà été suffisamment expliqué dans le second point concernant l'aspect juridique. Mais si l'on n'indique pas au coupable cette ultime libération religieuse, ou du moins, si on ne lui en montre et aplanit la voie, serait-ce au moyen d'une longue et dure peine, alors on n'offre à 1'« homme » coupable puni que bien peu, pour ne pas dire rien, quand bien même on parlerait de guérison psychique, rééducation, formation sociale de la personne, affranchissement de ses erreurs et de l'esclavage envers soi-même. Sans doute, ces expressions désignent-elles quelque chose de bon et d'important ; mais avec tout cela l'homme demeure dans sa faute face à l'autorité suprême dont dépend son destin final. Cette autorité peut attendre et souvent elle attend longtemps, mais à la fin, elle livre le coupable à la faute à laquelle il ne veut pas renoncer et à ses conséquences. Il est infiniment triste que l'on doive dire d'un homme : bonum erat ei, si natus non fuisset homo ille : Il aurait mieux valu pour lui ne pas être né (Matth. XXVI, 24). Aussi, lorsque quelqu'un ou quelque chose peut contribuer à écarter un si grand mal, même s'il s'agit de droit pénal ou de l'exécution d'une peine légitime, rien ne doit être négligé. D'autant plus que Dieu, durant cette vie, est toujours prêt à la réconciliation. Il stimule l'homme à réaliser intérieurement l'éloignement psychique de son acte insensé ; il lui offre de l'accueillir de nouveau, repentant, dans son amitié et dans son amour. Puisse un droit pénal humain, dans ses jugements et leur exécution, ne pas oublier l'homme dans le coupable et ne pas manquer de l'aider et de l'encourager dans son retour à Dieu !


PieXII 1955