PieXII 1955 - LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU PREMIER CONGRÈS DE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX EN FRANCE (13-15 avril 1955)


MESSAGE PASCAL AUX FIDÈLES DU MONDE ENTIER

(10 avril 1955) 1

Comme chaque année, le jour de Pâques, le Saint-Père a adressé aux fidèles du monde entier un message dont voici le texte.

Le Christ ressuscité vit au milieu des hommes.

Surrexit, Il est ressuscité (Matth. XXVIII, 6) : telle fut la joyeuse nouvelle que l'ange annonça aux saintes femmes à l'aube de la Résurrection sur le tombeau vide du Rédempteur. C'est le même cri de victoire et la promesse faite par Jésus d'assister perpétuellement son Eglise, promesse devenue depuis des siècles une réalité tangible (Matth. XXVIII, 20), que Nous désirons en son nom vous répéter aujourd'hui comme salut pascal, à vous tous, chers fils et filles, venus de Notre ville épiscopale de Rome, de l'Italie et de tant de régions du monde, afin que le réconfort bienfaisant et la paix céleste qui rayonnent du divin Sauveur pénètrent vos âmes et inspirent vos pensées, vos sentiments et vos volontés.

Il est ressuscité et il vit au milieu de nous ; quelle vérité plus sûre, quelle réalité plus consolante, dans le présent exil terrestre, que ce double fait sur lequel se fondent la certitude de la foi et l'espérance de tout salut !

Le Christ est ressuscité ! Cette vérité historique brille sans que la ternisse le moindre doute, et son éclat demeure, confirmé par le témoignage vivant de l'Eglise, qui n'aurait pas résisté au poids des siècles si le Christ n'était ressuscité.

1 D'après le texte italien des A A ç yyyyuii de VOsservatore Romane, du avril I05Î * ' tradUC"0n '""^



Le Christ est au milieu de nous ! La réalité de la présence active de Jésus dans l'Eglise resplendit d'une lumière irrésistible. Vous-mêmes en êtes témoins. Cette Eglise, qui ne peut résulter de plans humains — qui renie au contraire les instincts non ordonnés et se voit pour cela haïe du monde (Jn 15,18-19) — demeure ferme parce que Quelqu'un habite en elle pour renouveler la fraîcheur de la vie et de la jeunesse. Le Dieu fait homme et ressuscité s'y cache pour rénover sans cesse et de l'intérieur la vie de l'humanité et communiquer à quiconque croit en Lui sa vérité, sa grâce et sa paix.

Pour le chrétien qu'illumine la vérité de la Résurrection, la foi est vie, vie pleine et essentielle, en communion avec le Christ dans l'Eglise.

Comment alors un croyant pourrait-il séparer en lui la religion de la vie sans créer en son être même une division mortelle et sans bouleverser comme un insensé l'oeuvre de Dieu ?

Qu'en vous donc la foi soit vivante ; qu'elle soit une foi ardente et vécue, de manière que la religion dirige la vie et que la vie devienne un acte ininterrompu de religion. En vérité, plus le chrétien est enraciné profondément dans la foi, plus il remplit allègrement les devoirs que la vie lui impose ; et plus il agit efficacement lorsque, s'y trouvant habilité et appelé, il doit affronter les grandes charges et les grandes obligations qui ont pour fin le bien social, l'ordre public et les relations pacifiques entre les peuples.

Que se fortifie donc en tous, chers fils et filles, avec la joie de Pâques, la ferme conviction que la religion est une condition indispensable à la vie authentique, et que seule la synthèse active de l'une et de l'autre fournit la solution des problèmes petits et grands qui angoissent l'humanité actuelle.

Pour que ce voeu s'accomplisse et que la joie de la Résurrection ne disparaisse pas avec la fin de ce jour, mais se transforme en ferme espérance, Nous implorons du Rédempteur, vainqueur de la mort, l'abondance de ses grâces.

Bénédiction et voeux du Saint-Père à fous les hommes.

Que Notre Bénédiction parvienne donc à tous les hommes de bonne volonté, afin que, toujours plus nombreux, ils deviennent le nouveau levain (I Cor. V, 7) de la vérité et du bien.

Qu'elle parvienne à ceux qui vivent dans la vraie foi, afin qu'ils y persévèrent et que, nourris par elle, ils s'élèvent à une perfection toujours plus haute ; mais spécialement à tous ceux qui souffrent persécution pour leur fidélité au Christ et à l'Eglise et sont condamnés à une misère injuste, arrachés à leurs familles, exilés, privés de la liberté et emprisonnés. Nous les bénissons avec une affection particulière, pour que, le regard tourné vers le Sauveur, ils supportent avec constance et sérénité des maux si nombreux et ne soient pas brisés spirituellement ; qu'ils offrent donc leurs souffrances pour leurs persécuteurs eux-mêmes et les gagnent ainsi à Dieu ; qu'ils fassent de leur sacrifice la semence d'une moisson surabondante de véritable bonheur chrétien.

Le coeur serré d'angoisse pour le sort de tant de peuples sur lesquels pèse encore le nuage d'un avenir obscur, Nous bénissons également tous ceux dont l'action a une influence prépondérante pour le bien de l'humanité et le salut des âmes, et qui détiennent le redoutable pouvoir de contribuer à l'un et à l'autre ou, au contraire, de leur faire subir des torts graves. Nous les bénissons afin qu'au lieu de les fermer, ils ouvrent largement les portes à l'oeuvre de Dieu ; afin que dans les deux hémisphères de la terre, sincèrement désireux de chercher une entente durable, ils contractent des engagements qui assurent la paix, amorcent un désarmement progressif, de manière à épargner à l'humanité la ruine d'une nouvelle guerre ; pour qu'à l'intérieur des nations, ils établissent des lois et prennent des mesures qui visent toujours l'utilité générale, qui respectent la dignité humaine et la liberté de faire le bien, qui favorisent la justice sociale et la charité fraternelle, de manière que dans leurs territoires les vertus chrétiennes, fondement de toute prospérité, puissent fleurir en abondance.

Aux hommes attachés à la recherche scientifique, source de progrès matériel.

Nous savons quel empire toujours plus vaste et plus important acquiert la recherche scientifique dans la vie des peuples et dans la politique elle-même ; et Nous bénissons le Seigneur qui a incliné les esprits des hommes à des desseins de modération et de paix. Nous avons observé sans anxiété ni tremblement les récents progrès qui, après quelques installations fixes, ont permis de mener à bon terme la tentative de propulser un navire avec l'énergie tirée de transmutations nucléaires, employant finalement ces forces non à détruire, mais à servir l'homme. Nous ne pouvons pas ne pas souhaiter et implorer du ciel que l'homme les ait toujours plus à sa disposition et puisse toujours mieux les dominer. Nous savons combien de telles recherches sont longues, difficiles et périlleuses. Cependant Nous exhortons les hommes de science et de bonne volonté à persévérer avec audace et confiance dans l'étude théorique et expérimentale des préparations et des matériaux productifs, de manière à atteindre une production notable d'énergie facilement accessible, qui serve là où il faut, et contribue à diminuer la pression du besoin et de la misère. Nous prions le Dieu tout-puissant qu'il éclaire et dirige un travail qui peut rendre un très grand service humain et moral, sans parler de son utilité scientifique ; Nous le supplions d'empêcher qu'un effort si grand et si profond se transforme en une violence démoniaque qui entraînerait tout à la ruine.

Avec une même confiance et une même attente, Nous suivons les multiples recherches destinées à étudier les effets que les nombreux types de radiations actuellement utilisables ont sur les végétaux, leur développement, leurs fruits et leur possibilité de conservation ; elles peuvent en effet contribuer à résoudre les problèmes de l'alimentation si importants dans la vie de l'humanité. Pour elles aussi Nous implorons de Dieu l'assistance providentielle sans laquelle les efforts humains demeurent stériles. Toutefois, en ce qui concerne le travail de la recherche dans le domaine de la vie, Nous devons encore une fois rappeler les dangers que la génétique prévoit comme possibles quand le mystère enfermé en tout être vivant est violé par des interventions imprudentes ou par un changement violent de l'habitat, par exemple l'influence d'une radioactivité qui dépasserait un seuil de sécurité biologique encore inconnu. Les horreurs de générations tératomorphiques, et pire encore les traumatismes cachés subis par le patrimoine génétique, donneraient alors le signal d'une révolte de la nature contre de telles violences.

Et surtout à tous ceux qui souffrent.

Et finalement Notre Bénédiction attendrie va aux foules désolées des pauvres répandus à travers le monde, mais si proches de Notre coeur. Aux familles à qui tout manque, aux malades qui languissent dans les hôpitaux, dans les sanatoriums, dans les cliniques, aux malheureux détenus dans les prisons, et à tous


LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU R. P. GOBERT, AUMÔNIER GÉNÉRAL DES SCOUTS FLAMANDS

DE BELGIQUE POUR LE XXVe ANNIVERSAIRE DU „VLAAMS VERBOND DER KATHOLIEKE SCOUTS"

(19 avril 1955) 1

C'est avec une vive satisfaction que le Saint-Père a appris que la Fédération des scouts catholiques flamands de Belgique, s'apprêtait à célébrer solennellement, sous la présidence du Cardinal-Archevêque de Malines, le vingt-cinquième anniversaire de sa fondation. Et Sa Sainteté, qui bien souvent déjà a marqué son estime pour ce Mouvement éducatif de la jeunesse, forme volontiers à cette occasion des voeux très paternels pour le succès des prochaines fêtes jubilaires et l'avenir du scoutisme catholique belge.

Les quelque vingt mille membres de la Fédération attestent aujourd'hui sa vitalité. A tous ces jeunes et à leurs aînés depuis un quart de siècle elle n'a cessé de donner une formation chrétienne et humaine qui, selon des méthodes éprouvées, les préparent à leurs futures responsabilités familiales, professionnelles et civiques. Mais surtout l'esprit apostolique, dont vous tenez à ce que soit pénétrée toute l'activité du scout, la participation du mouvement à l'action catholique belge et à la vie des paroisses, la piété eucharistique et mariale sur laquelle vous insistez si opportunément, ont favorisé la formation de militants sûrs et dévoués au service de l'Eglise, et même l'éclosion de nombreuses

D'après les Collectanea Mechlinensia, t. XL, 1955, pp. 524-525.

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vocations sacerdotales et religieuses, dont Sa Sainteté se réjouit tout spécialement.

Fideles à ces traditions, les jeunes scouts de la Fédération flamande demeureront toujours plus attachés à leur bel idéal, prêts à servir Dieu et leurs frères, fermes contre les séductions du mal, fiers de leur foi et ardents pour la répandre. De grand coeur Sa Sainteté appelle sur eux tous, en cette date anniversaire, une grande abondance de grâces ; elle invoque l'assistance divine sur les chefs, responsables aux divers échelons de cette importante tâche d'éducation, et en particulier sur les aumôniers qui exercent auprès de chaque troupe un ministère sacerdotal qu'on ne saurait trop recommander à leur zèle ; à tous elle accorde, en gage de sa constante bienveillance, une très spéciale Bénédiction apostolique.


DISCOURS POUR L'INAUGURATION DE L'EXPOSITION FRA ANGELICO

(20 avril 1955)1

Le 20 avril, le Souverain Pontife a inauguré l'exposition d'oeuvres de Giovanni da Fiesole, dit Fra Angelico, organisée dans les « Stanze » de Raphaël, près la chapelle de Nicolas V également décorée de fresques du grand artiste dominicain, à l'occasion du Ve centenaire de sa mort.

L'exposition doit avoir pour but de « raviver le message profondément religieux et humain » que Fra Angelico a prêché.

En recevant dans Notre demeure un nombre aussi remarquable de chefs-d'oeuvre de Fra Giovanni da Fiesole, Nous n'avons pas seulement voulu donner un témoignage particulier d'admiration au génie de qui sut s'élever jusqu'aux cimes de l'art, en tirant son inspiration des mystères de la foi, mais aussi raviver le message profondément religieux et humain qu'il a prêché avec son pinceau aux générations contemporaines et futures, qui jamais ne se lassent de contempler ses visions mystiques où la beauté et l'harmonie transcendent les sommets de l'humain pour ouvrir comme une échappée sur le ciel.

Nous désirons avant tout exprimer le vif plaisir que Nous cause le vaste mouvement d'études provoqué par la célébration du Ve centenaire de sa mort, qui a poussé d'insignes critiques et écrivains à mieux approfondir et à faire connaître davantage la figure et l'oeuvre de Fra Angelico par des publications de valeur dont certaines ont jeté une lumière nouvelle et plus vraie sur son époque et sur les courants de pensée et d'art qui ont caractérisé la première moitié du Quattrocento ; ces publications font honneur non seulement aux arts mais aussi à la culture générale et à la religion elle-même.

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXVII, 1955, p. 285 ; traduction française l'Osseruafore Romano, du 29 avril 1955.

Nous exprimons en outre Notre cordiale gratitude envers toutes et chacune des personnalités qui, répondant avec un empressement filial à Nos désirs, se sont employées à ce que les oeuvres de l'Angelico, conservées comme des trésors incomparables dans les musées et galeries de diverses nations, Nous fussent envoyées pour un temps en cette heureuse circonstance, Nous procurant ainsi le plaisir de les admirer et en même temps la joie de pouvoir les montrer à Nos chers fils qui, venus de toutes les parties du monde, visiteront la Ville pendant ces jours.

La présente exposition est la première de cette importance à rassembler ses oeuvres en un même endroit et précisément en ce palais apostolique dont l'artiste au génie éminent avait maintes fois franchi le seuil. L'humble et pieux Fra Giovanni da Fiesole y vint, comme on le sait, dans la période la plus mûre de sa vie artistique, appelé par Nos prédécesseurs, Eugène IV d'abord, puis le grand mécène Nicolas V, à qui la Renaissance doit beaucoup de ses premiers pas. Ici sur ces parois il laissa à la postérité quelques-unes des pages les plus vigoureuses de son monde d'images, comme un ornement éclatant de cette résidence apostolique et un témoignage éternel de l'entente parfaite entre la religion et l'art. A cinq siècles de distance, l'hommage rendu aujourd'hui au saint religieux et au grand artiste revêt la signification d'une reconnaissance bien méritée, que Nous lui accordons bien volontiers, parce que sa mémoire et son oeuvre Nous semblent aussi liées en quelque manière avec Notre pontificat et ses épreuves. Il Nous plaît de rappeler entre autres, la visite que Nous faisions, il y a quinze ans, à la basilique de « Santa Maria sopra Minerva », qui garde religieusement ses restes mortels ; mais l'Angelico, que l'on peut appeler le peintre extatique de Marie, Reine des Cieux, Nous rappelle d'une manière toute spéciale la faveur extraordinaire concédée par la divine Providence à Notre petitesse, d'honorer la Mère de Dieu d'une manière singulière, et entre autres de couronner de Notre main l'image de la Vierge, comme il le fit plusieurs fois dans l'extase artistique en des chefs-d'oeuvre qui sont restés, à travers les siècles, comme des types de beauté paradisiaque.

Et maintenant la haute estime que Nous portons à Fra Angélico dont Nous avons tant d'oeuvres sous les yeux, Nous porterait à faire une étude analytique de son art. Toutefois Notre état présent ne Nous permet que de toucher rapidement quelques aspects plus caractéristiques, en laissant aux illustres critiques la charge et le plaisir d'approfondir certaines questions qui ont toujours intéressé les amateurs d'art, depuis l'époque où il vécut et bien plus encore depuis que s'est élaborée, avec une méthode propre, la science de l'histoire et de la critique de l'art lui-même. C'est en effet pour l'Angelico un très grand honneur que de s'être imposé en tout temps à l'attention et à l'admiration des spécialistes ; et, en vérité, il ne pourrait être négligé par quiconque s'emploie à suivre les voies maîtresses le long desquelles s'est développée la culture occidentale, dont il est sans aucun doute un pilier soit comme interprète de son époque soit comme promoteur efficace de son avancement.

Caractères de l'art de Fra Angelico.

Si à une date lointaine et aujourd'hui encore, les jugements des critiques ont adopté à son égard des positions divergentes, celles-ci concernent des côtés secondaires de son art, ou ses aspects purement interprétatifs ; mais aucun homme droit n'a mis en doute les attributs essentiels qui lui sont reconnus universellement : que l'Angelico est un peintre éminent, d'une haute spiritualité, innovateur et génial, efficace, sincère et parfait. Bien que, sur les chemins de l'art, les goûts et les modes changent avec le temps et bien que la recherche de nouvelles formes d'expression amène souvent les esprits à un certain oubli et mépris de l'ancien, pour l'Angelico comme pour les grands et vrais génies, jamais la profonde admiration qu'il suscitait tant chez les gens cultivés que parmi le peuple n'a diminué. Son art est lié, c'est vrai, à une époque ; il appartient à un âge déterminé auquel tant d'autres ont fait suite ; mais les développements ultérieurs, il ne faut pas les considérer en opposition avec cet art, comme s'il n'avait pas atteint sa perfection ou son terme. Les études les plus récentes sont d'accord sur ce jugement essentiel, puisqu'elles ont désormais résolu en sa faveur la question débattue autrefois de savoir s'il fallait le considérer comme disciple de la tradition gothique ou précurseur de la Renaissance humaniste. L'Angelico fut tout disposé à assimiler les courants nouveaux rénovateurs de l'art, et s'employa afin que lui fût conservé le caractère religieux traditionnel dans ses finalités didactiques et éthiques. Aucun doute qu'il ne soit un des anneaux les plus représentatifs dans le travail de transition d'un âge à l'autre.

On a également fait la vérité sur sa personne, en la soustrayant à la légende pieuse et populaire, selon laquelle le fervent moine aurait peint ses saints comme absorbé en extases inconscientes, et en laissant conduire sa main par des êtres supra-terrestres. Cela ne signifie cependant pas que sa religiosité profonde, son ascèse sereine et austère, nourrie de vertus solides, de contemplations et de prières, n'ait pas exercé une influence déterminante en donnant à l'expression artistique cette puissance de langage par laquelle il rejoint immédiatement les esprits et, comme on l'a noté plusieurs fois, en transformant son art en prière, lui qui avait l'habitude de répéter : « qui fait les choses du Christ, doit être toujours avec le Christ » 2.

Il a puisé son inspiration dans la doctrine de saint Thomas.

S'il dépendait de Giotto et sous quels aspects, dans quelle mesure il subit l'influence de Masaccio, avec quels critères il résolvait les problèmes nouveaux et difficiles soulevés depuis lors autour des théories de l'espace et de la lumière, comment il entendait le retour au classicisme, s'il suivait le parti de Cen-nini qui attribuait à la peinture le rôle de découvrir l'invisible, et non d'Alberti, qui restreignait son domaine aux seules choses visibles ; s'il y avait en lui une intention explicitement polémique contre le courant néo-platonicien, qu'il rejetait certainement, ces questions font encore l'objet d'enquêtes qui honorent ceux qui s'y appliquent.

La piété simple de l'Angelico est considérée avec raison comme une base essentielle de son efficacité ; mais il faut en rechercher une autre dans sa culture, c'est-à-dire dans la doctrine de l'univers apprise à l'école de la « philosophia perennis » et à laquelle il adhérait avec une certitude claire et tranquille. Un bon nombre de critiques ont justement observé que la doctrine thomiste se reflétait dans ses tableaux non seulement par son contenu mais aussi par sa méthode stylistique et technique. L'Angelico part de la nature, dirait-on, à l'imitation du grand Docteur, lorsqu'il s'apprête à exposer ses fameuses « cinq voies » ; et la nature, il l'aime passionnément, en tant qu'elle est oeuvre et reflet de Dieu. Dans celle-ci, cependant, il s'efforce de mettre en relief l'aspect esthétique ; bien plus, il semble qu'il vise avec

2 G. Vasari, Vite dei più eccellenti pittori, scultori ed architetti, Firenze 1878 t II p. 520.

audace à lui imposer l'idéal de beauté, entrevu dans les contemplations pieuses de son monde surnaturel. La vision du créé dans son caractère esthétique n'est pas mutilée ni partielle puisque pour lui le beau s'identifie avec ce qui est vrai, bon, saint, parfait, et chaste, un peu de la manière dont les perfections divines que les créatures reflètent, ne se distinguent pas réellement en Dieu mais seulement d'une manière plus ou moins explicite à cause de la faiblesse innée de l'intelligence créée.

Il a emprunté à la doctrine de saint Thomas la grande synthèse de l'univers, divers dans les éléments qui le constituent, qui vient de Dieu et retourne à Dieu après avoir parcouru comme une brillante orbite d'harmonie, de beauté, de vérité et de sainteté : cette synthèse il semble qu'on la trouve dans les compositions célèbres où de délicieuses figures d'anges, de saints, de moines, de vierges entourent le trône du Rédempteur et de sa Mère.

Il a créé une peinture essentiellement religieuse dans ses sujets et dans sa manière.

Il est sûr que la peinture de l'Angelico est toujours religieuse : par les sujets qu'il choisit, mais aussi par la manière et la méthode avec lesquelles il les traite. Accoutumé à la tranquille discipline monastique et toujours soucieux de perfection dans l'intention, dans les paroles, dans les actes, il cherchera à l'atteindre même dans la technique de l'art, qui sera en conséquence clair et serein. Dans sa vie comme dans ses peintures, il n'y aura pas à l'extérieur de moments dramatiques : les luttes seront intérieures et se livreront dans une pleine résignation au vouloir divin et dans une calme confiance en la victoire du bien. La lumière même qu'il répand dans l'espace et sur les personnages ne se mesure pas tant par sa quantité que par sa pureté ; c'est, dans les limites du possible, une lumière céleste.

Ses récits sont simples et linéaires, modelés en quelque sorte sur le style des évangélistes. Ses personnages révèlent toujours une vie intérieure intense qui transfigure les visages, les gestes, les mouvements. Quand il raconte ou montre au peuple les mystères divins, il se comporte en habile « prêcheur » qu'il était, en cherchant à susciter une admiration immédiate grâce aux éléments descriptifs et décoratifs, pour parler ensuite plus paisiblement à l'intime de l'âme. Mais quand il veut fournir un sujet de contemplation à ses confrères exercés à la méditation des choses célestes, il a soin d'écarter toute cause de distraction, à savoir les tonalités fortes de la lumière et des couleurs, la multiplicité des figures et des gestes, et met au contraire en relief la pure intériorité : les corps sont sublimés et prennent une apparence diaphane et une légèreté supra-terrestre, les espaces se vident, les volumes se contractent et les parties décoratives qui lui sont si chères, comme les gracieux paysages de sa Toscane et les nouvelles formes architectoniques créées alors par Brunelleschi, disparaissent. Il en résulte un lyrisme spirituel jaillissant de purs accords intérieurs, qui plane encore dans les cellules et les couloirs de son couvent de saint Marc à Florence, dont les murs suffiraient à eux seuls à célébrer la gloire immortelle d'un artiste.

Quand il le faudra, dans ce studio de Nicolas V et dans certains grands tableaux d'autel, il aura recours au style monumental, mais dans la mesure compatible avec le dessein, devenu désormais la règle absolue de son expression, de parler des choses divines en un langage vrai et compréhensible, digne toutefois de Dieu et de ses Saints, soucieux d'inculquer la foi et d'inciter à la pratique.

Mais à quoi vise, en substance, le langage pictural que l'Angelico adresse aux fils de son siècle et des siècles suivants ? D'une part il entend inculquer les vérités de la foi, en persuadant les esprits par la force de leur beauté ; de l'autre, il se propose d'inciter les fidèles à la pratique des vertus chrétiennes par les exemples aimables et attirants qu'il en présente. Par cette seconde intention, son oeuvre devient un message perpétuel de christianisme vivant et aussi, sous un certain aspect, un message profondément humain, fondé sur le principe du pouvoir spiritualisant de la religion, en vertu duquel tout homme qui entre en contact direct avec Dieu et ses mystères finit par devenir semblable à Lui en sainteté, en beauté, en béatitude, c'est-à-dire un homme selon les desseins primitifs de son créateur.

donné vie à un type d'homme modèle « en qui tout est équilibré ».

Le pinceau de Fra Angelico donne ainsi vie à un type d'homme-modèle, non sans ressemblance avec les anges, en qui tout est équilibré, serein et parfait : modèle d'hommes et de chrétiens, rares peut-être dans les conditions de la vie terrestre.

mais à proposer à l'imitation du peuple. Que l'on regarde attentivement les saints qui entourent le Christ et la Vierge, ou même les personnages anonymes de ses narrations. Ils ne révèlent pas d'incertitudes ou de tourments d'ordre intellectuel : chacun d'eux jouit de la tranquille possession de la vérité, à laquelle il est arrivé par la connaissance naturelle ou par la foi surnaturelle. Leur volonté est tournée vers le bien ; les passions, les réactions, les sentiments auxquels ils sont soumis en tant que créatures humaines, se présentent toujours comme tempérés par une maîtrise intérieure de l'âme. La lamentation sacrée sur le Rédempteur mort est bien une vive douleur, mais non un déchirement désespéré ; la joie des bienheureux ne peut encore s'appeler abandon à une joie incoercible ; l'austérité des pénitents n'a pas une ombre d'angoisse ; la concentration méditative de saint Dominique est bien différente de l'abstraction extatique qui annulerait la personnalité de l'homme ; la véhémence du Baptiste est dominée par la vigueur de l'esprit. Voilà la modération des passions et des sentiments que l'Angelico veut prêcher aux âmes chrétiennes.

Tous ses personnages respirent la bonté.

De plus, une bonté positive enveloppe toute figure, que ce soient des anges, de saints religieux ou des gens du peuple. Une bonté maternelle transparaît de ses Vierges, même quand elles sont assises dans la majesté monumentale d'un trône. L'ange qui a reçu de Dieu le redoutable office de chasser nos premiers parents de l'Eden trouve moyen lui aussi de mettre sur l'épaule d'Adam la main qui ne tient pas l'épée ; on dirait qu'il veut lui donner courage et espoir. Même les juges injustes et les bourreaux des martyrs ne manquent pas d'une certaine bonté, peut-être parce qu'ils ont conscience de se savoir les instruments de la gloire de Dieu.

Il semblerait, à vrai dire, que lui-même se déclare incapable de représenter le trouble et la méchanceté. Contraint parfois de faire place dans son univers à cet élément ténébreux de la réalité humaine, il en évite le plus possible la vision directe, comme on peut le voir dans le « Martyre des saints Côme et Damien » et dans le « Jugement dernier », où la troupe des damnés est attribuée par bon nombre de critiques à d'autres mains de son école.

L'homme, dans le monde de l'Angelico, qui est le monde de la vérité, n'est par nature ni bon ni saint ; mais il peut et doit le devenir, car la sainteté est facile et belle, parce que le Christ, dont il a tant de fois représenté le sacrifice, est mort dans ce but ; sa très sainte Mère en est l'exemple éminent, les saints sont bienheureux pour l'avoir atteinte, et les anges font leurs délices de vivre en conversation avec les saints.

Dans les vertus qu'il propose pour y affectionner les âmes, il met en relief moins l'effort qu'il faut faire pour les conquérir que le bonheur qui dérive de leur possession et la noblesse de qui en est revêtu. De la sorte, la profonde humilité de la Vierge devant Gabriel se manifeste dans son visage en même temps qu'une expression de majesté, la même qui l'illumine au moment d'être couronnée de la main de son Fils : à cause de cela, les profils de la Vierge dans ces deux moments sont également royaux, sauf le léger trouble suggéré dans le premier et transformé dans le second en un gracieux sourire de joie. Dans la condamnation de saint Etienne s'affrontent la vertu et la passion, la première sous la figure de l'accusé, la seconde en celle du juge ; mais l'accusé humilie le puissant, bien que celui-ci soit assis sur un trône, par la fermeté impavide de sa foi. L'Angelico est insurpassable pour développer l'éloge des vertus chrétiennes ; là où peut-être la louange devient poème, c'est dans l'admirable fresque, ici à côté, qui peut se définir l'apothéose de la pauvreté et de la misère chrétiennement supportées. L'aveugle, le paralytique, l'infirme, la veuve et les autres indigents qui entourent le saint diacre Laurent, puisent dans la foi chrétienne dont ils sont pénétrés, une splendeur de dignité que les misères mêmes ne réussissent pas à obscurcir. Peut-être l'un de ces anges délicieux qui peuplent en si grand nombre d'autres visions de lui serait-il à l'aise parmi cette bande de pauvres gens, dont l'âme toutefois est riche de sérénité et d'espérance.

Son monde pictural resplendit de paix, de sainteté, d'harmonie et de joie.

Le monde pictural de Fra Giovanni da Fiesole est certes le monde idéal, dont l'atmosphère resplendit de paix, de sainteté, d'harmonie et de joie, et dont la réalité se situe dans l'avenir, quand sur la nouvelle terre et dans les nouveaux deux, triomphera la justice finale (II Petr. III, 13) ; toutefois ce monde suave et bienheureux peut dès maintenant prendre vie dans le


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secret des âmes, et c'est pourquoi il le leur propose et les invite à y entrer. C'est, Nous semble-t-il, dans cette invitation que consiste le message que l'Angelico confie à son art, confiant qu'il serait plus que tout autre apte à le répandre efficacement.

mission de l'art.

Il est vrai que l'art, pour être tel, ne requiert pas une mission morale ou religieuse explicite. En tant que langage esthétique de l'esprit humain, s'il le reflète dans sa vérité totale, ou du moins ne le déforme pas positivement, il est déjà par lui-même sacré et religieux, dans la mesure où il est l'interprète d'une oeuvre de Dieu ; mais si de plus, son contenu et ses buts sont ceux que l'Angelico confia au sien, alors il s'élève pour ainsi dire à la dignité de ministre de Dieu dont il reflète, en plus grand nombre, les perfections. Cette haute possibilité de l'art, Nous voudrions ici l'indiquer à la famille des artistes, qui Nous est si chère. Si, au contraire, le langage artistique s'adaptait par ses paroles et ses cadences à des esprits faux, vides et troubles, s'écartant ainsi du dessein du Créateur, si, au lieu d'élever l'esprit et le coeur à de nobles sentiments, il excitait les passions les plus vulgaires, il trouverait certes auprès de certains un écho favorable, ne serait-ce qu'en vertu de la nouveauté, qui n'est pas toujours une valeur, et de la petite part de réel que tout langage contient ; mais un tel art se dégraderait lui-même en reniant son aspect primordial et essentiel, il ne serait ni universel ni durable comme l'esprit humain auquel il s'adresse.

C'est pourquoi tandis que Nous rendons hommage à l'artiste souverain et invitons Nos chers fils à accueillir, comme préparé par la Providence, le message religieux et humain de Fra Ange-lico da Fiesole, Notre pensée ne peut s'empêcher de considérer avec anxiété le monde présent dans lequel nous vivons, si différent de celui que décrivent ces merveilleux tableaux où l'on trouve, scellées par un art exquis, les aspirations humaines les plus élevées et les plus vraies.

Nous faisons donc des voeux ardents pour que le souffle de la bonté chrétienne, de la sérénité et de l'harmonie divine, qui se dégage de l'oeuvre de l'Angelico, pénètre tous les coeurs, tandis que Nous vous accordons de grand coeur, comme gage des plus abondantes grâces célestes, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


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