PieXII 1955 - DISCOURS A L'UNION CHRÉTIENNE DES CHEFS D'ENTREPRISE


LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT

AUX AUMÔNIERS DES PROPRIÉTAIRES EXPOITANTS D'ITALIE

(8 juin 1955)1

Le 8 juin, Sa Sainteté Pie XII a fait parvenir à M. l'abbé Jean d'Ascenzi, aumônier général de la Confédération nationale des propriétaires exploitants, par l'intermédiaire de Son Exc. Mgr Dell'Acqua, la lettre suivante :

L'heureux souvenir de la mémorable audience accordée par le Souverain Pontife en mai dernier à la Confédération des propriétaires exploitants, rend encore plus vif le paternel intérêt de Sa Sainteté pour le Congrès national que les aumôniers diocésains de la Confédération tiendront à Rome ces jours prochains.

Un double fait accentue l'importance de ce congrès : d'un côté, les notables développements réalisés par la Confédération, qui font d'elle, comme le disait le Saint-Père à l'audience en question, « une des plus solides bases sociales et morales de la nation », et d'un autre, la considération que le mouvement, tout en visant immédiatement à l'amélioration des conditions de vie du cultivateur, se trouve engagé à résoudre des problèmes dont les répercussions religieuses et morales ne peuvent en aucune manière être sous-évaluées.

Un fait certainement consolant est que la Confédération des propriétaires exploitants, en vertu de ses statuts, se propose d'accomplir une action syndicale conforme aux principes de l'école sociale chrétienne ; et c'est précisément à cet esprit chrétien qui la pénètre que doit être attribuée la demande de la collaboration


AUMONIERS DES PROPRIETAIRES EXPLOITANTS 171

du prêtre, dont la présence s'étend désormais à tout le vaste réseau d'organisation du mouvement.

Tout cela ouvre, sans aucun doute, à l'oeuvre éducatrice du prêtre un champ de travail des plus riches en promesses ; cependant, il ne faut pas oublier que l'entrée du prêtre dans la Confédération pourrait aussi facilement constituer un danger si son activité ne se conformait pas aux strictes exigences de sa mission apostolique. D'où la nécessité du prochain congrès pour coordonner le travail des aumôniers, en fixer plus nettement les limites, et prévenir des excès.

A ce propos, il convient de noter que, si le prêtre ne peut ni ne doit ignorer les problèmes d'ordre économique et social qui tourmentent la population des campagnes, il ne peut cependant prendre des initiatives et assumer des responsabilités de caractère syndical contingent, qui s'opposeraient ou, tout au moins, seraient étrangères aux devoirs du ministère sacré. En revanche, il trouvera l'occasion d'accomplir utilement son action au sein de la Confédération, en l'orientant dans le domaine de l'éducation et de la formation des dirigeants et des adhérents, et, en même temps, en rappelant opportunément les principes du magistère ecclésiastique en ce qui concerne les problèmes de la vie rurale, principes dont il faut toujours tenir compte, si l'on veut contribuer au développement d'une société rurale pacifique, laborieuse, utile au bien-être de la collectivité. Et il dépendra beaucoup de la prudence, de l'opportunité et du courage chrétien avec lesquels l'aumônier exercera ses fonctions, que la population agricole sache résister aux dangers auxquels elle se trouve exposée aujourd'hui, qu'elle réussisse à sauvegarder les valeurs inestimables de ses traditions familiales, source principale de sa vigueur physique et morale ; et qu'elle puisse se livrer à son oeuvre syndicale avec des vues de plus en plus ouvertes aux intérêts de la communauté et avec un esprit de compréhension chrétienne et de collaboration à l'égard des autres catégories de travailleurs.

Aussi appartient-il à l'aumônier de protéger ce caractère chrétien de l'organisation, sans lequel le mouvement non seulement perdrait son unité, mais aussi cesserait de représenter une précieuse réserve de forces religieuses et spirituelles.

Avec la confiance que les participants au Congrès resteront fidèles à cette consigne et voudront, guidés par elle, discuter fraternellement leurs plans de travail, le Souverain Pontife implore les lumières et les encouragements célestes et donne à tous la Bénédiction apostolique.

DISCOURS AUX DÉLÉGUÉS DU IVe CONGRÈS MONDIAL DU PÉTROLE

(10 juin igss)1

Le 10 juin, le Pape recevait en audience des délégués du quatrième Congrès mondial du pétrole qui se tenait alors à Rome. Il leur adressa l'allocution que voici :

C'est la quatrième fois depuis 1933 que vous vous réunissez. Messieurs, pour tenir un Congrès mondial, dans le but d'examiner les nombreuses questions d'ordre scientifique, technique, économique, que pose le développement incessant de l'industrie du pétrole. Nous profitons volontiers de cette occasion pour vous dire l'intérêt que Nous avons pris aux documents concernant vos travaux, et vous remercier de l'hommage que vous avez voulu Nous rendre par votre visite. L'expansion actuelle de l'industrie pétrolière, la multiplication de ses débouchés, les exigences de qualité auxquelles doivent répondre ses produits nécessitent des rencontres périodiques, comme celle qui vous réunit, où chercheurs, techniciens et administrateurs visent à accélérer encore, par des contacts personnels, des discussions et des échanges d'idées, le progrès d'une activité inséparablement liée à la marche de la civilisation moderne.

Votre congrès se distingue certainement par l'ampleur de la matière qu'il traite, le nombre et la valeur des participants, la haute spécialisation des communications qui y sont faites. Ne pouvant en signaler tous les aspects, Nous Nous contenterons de souligner rapidement quelques-uns des résultats qui Nous ont frappé, sans tenir pour autant en moindre considération les multiples travaux, dont il ne Nous est même pas possible de faire mention.


CONGRES MONDIAL DU PETROLE

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Le Saint-Père rappelle les progrès prodigieux de l'industrie pétrolière laquelle sont ouvertes des perspectives presque illimitées.

Il paraît aujourd'hui bien étrange qu'au début du siècle dernier le pétrole ait dû sa vogue à ses propriétés thérapeutiques. Depuis lors, l'application universelle du moteur à explosion dans les transports et l'industrie, la substitution du combustible liquide au charbon, la fabrication de produits chimiques dérivés du pétrole ont ouvert des perspectives illimitées à l'industrie pétrolière. Pour répondre aux besoins de la consommation, il est essentiel de savoir d'abord repérer les gisements et les localiser avec le minimum d'incertitudes. A cela concourent les divers systèmes de prospection : à côté des indications nécessaires de la géologie, on utilise aussi couramment celles de la géophysique, fournies par les méthodes gravimétrique, magnétique, sismique et électrique. Appliquées d'abord sur la terre ferme, puis sur les régions marécageuses et les bassins internes, elles sont maintenant utilisées en pleine mer ; c'est ainsi qu'un outillage spécialisé a permis d'enregistrer une quarantaine de découvertes dans le golfe du Mexique, où fut surtout mis en oeuvre ce mode de prospection. En ce qui concerne les méthodes elles-mêmes, les techniques sismiques de réflexion se sont perfectionnées ; des zones jusqu'ici interdites ont pu être explorées grâce aux tirs multiples simultanés, en même temps que les appareils et l'équipement de travail subissaient d'intéressantes améliorations. On assure que les méthodes électriques de surface mériteraient un emploi plus généralisé et ne sont pas moins riches en résultats, à condition d'être bien connues et appliquées adéquatement.

Le forage des puits, qu'il faut parfois pousser jusqu'à de grandes profondeurs, a donné lieu à des études théoriques suggestives, afin de dépasser les possibilités des systèmes et du matériel actuels. On envisage de la sorte des procédés, que l'expérience n'a pas encore éprouvés, mais qu'on espère pouvoir utiliser plus tard grâce aux développements de la technique et de la métallurgie. La méthode des puits dirigés, prenant leur départ du littoral, a permis d'atteindre des gisements situés sous la mer, à brève distance des côtes ; ce type d'installation exigea la création d'instruments nouveaux et obligea les techniciens à résoudre de nombreux problèmes pratiques.

Dans le raffinage du pétrole des méthodes nouvelles sont employées. La radio-activité est employée pour la solution de nombreux problèmes techniques de l'industrie pétrolière.

Dans le raffinage du pétrole brut, on a visé à augmenter le rendement de la méthode de cracking catalytique, qui a acquis une importance considérable, puisque, depuis la fin de la guerre, la quantité de pétrole traitée de cette manière a presque triplé. Comme acquisitions récentes du cracking catalytique fluide, le plus fréquemment employé, il convient de signaler la simplification et le perfectionnement des dispositifs de récupération et de circulation du catalyseur, la réduction des dimensions des récipients et, par conséquent, une économie sensible dans les frais d'installation. Des améliorations dans la conduite du processus lui-même ont entraîné un rendement accru en essence et en gasoil, aux dépens de l'huile lourde.

Afin d'analyser le pétrole, on utilise maintenant, avec des techniques de séparation physique, la spectrométrie de masse, qui sert non seulement pour l'étude des gaz et des essences, mais aussi pour les huiles lourdes, moyennant divers perfectionnements dans l'appareillage de laboratoire. La radio-activité ne pouvait manquer d'apporter elle aussi son aide à la solution des problèmes techniques de l'industrie pétrolière. Aussitôt après le forage, on peut identifier les couches rocheuses par le moyen d'une sonde nucléaire utilisant la radio-activité naturelle et les radiations nucléaires induites ; des radiodétecteurs sont chargés d'effectuer un contrôle automatique des installations industrielles, tandis que des procédés radio-actifs contribuent à l'analyse chimique continue de la production.

Parmi les produits dérivés du pétrole, une place particulière revient au polyéthylène.

Parmi les produits chimiques dérivés du pétrole, le polyéthylène, découvert en 1933 et qui joua un rôle important dans le développement du radar durant la deuxième guerre mondiale, mérite une mention particulière. Son coût modéré et l'association de propriétés intéressantes qui en permettent les usages les plus variés dans la fabrication du matériel électrique surtout, en ont fait monter la consommation à plusieurs centaines de millions de kilos par an.

Dans le domaine des applications pratiques, notons l'amélioration du rendement des moteurs d'automobiles par une construction plus rationnelle de la chambre d'explosion et l'adjonction au carburant d'additifs destinés à prévenir la formation des dépôts.

Les intérêts économiques doivent passer après les besoins humains personnel.

Ces quelques jalons que Nous avons relevés réussissent à peine à suggérer l'étendue des efforts accomplis pour répondre aux besoins toujours plus variés et plus nombreux, auxquels doit faire face l'industrie pétrolière. Ils permettent néanmoins d'évoquer l'activité de tant d'hommes, dont le sort est directement ou indirectement lié au sien, parce qu'ils y sont employés ou parce qu'ils subissent les contrecoups des mouvements économiques qu'elle détermine. Ce fait invite à la réflexion et met en évidence la responsabilité particulière de ceux qui remplissent un rôle de direction dans cette industrie. A l'heure présente, où l'on aperçoit de mieux en mieux la prépondérance que doivent prendre les problèmes sociaux sur ceux de l'économie pure, où l'on s'efforce de promouvoir les « relations humaines » au sein de l'entreprise, nul n'a le droit de se cantonner dans la spécialisation technique ou les tâches administratives. Une section de votre congrès s'occupe de la formation du personnel, et l'on y a souligné fort heureusement que les préoccupations des dirigeants ont à porter de plus en plus sur les hommes eux-mêmes qui leur servent de collaborateurs ; il importe que ceux-ci déploient, au profit de l'employeur, toutes les ressources de leur initiative. Mais ils n'y seront amenés que si l'entreprise d'abord se soucie de répondre à ces besoins humains profonds, que ne satisfont ni un juste salaire ni même l'estime due à la compétence professionnelle.

Les nations privilégiées ont des devoirs envers les moins favorisées.

Ce qui est vrai des individus vaut aussi pour les collectivités. Les richesses naturelles d'une région, d'un pays, d'un continent, sont destinées non au seul profit économique du petit nombre, mais à l'amélioration des conditions de vie, matérielles d'abord, mais aussi et surtout morales et spirituelles, des groupes humains

qui doivent vivre en exploitant les ressources du sol. Le caractère mondial de plus en plus apparent de l'économie et les devoirs qui incombent aux nations privilégiées envers les moins favorisées auront leur incidence sur la répartition des biens produits. Aussi osons-Nous espérer, Messieurs, que les soucis inhérents aux tâches importantes qui sont les vôtres ne vous empêchent pas d'envisager cette question fondamentale, inéluctablement posée dès que les hommes se réunissent pour discuter de problèmes internationaux. Ainsi, vous contribuerez pour une large part à assurer, par-delà les conquêtes économiques, celle d'une élévation morale de l'humanité, qui suppose, en premier lieu, l'abolissement de tout égoïsme individuel ou collectif.

Daigne le Dieu tout-puissant seconder votre labeur et en assurer la réussite ! Qu'il bénisse vos personnes, vos familles, vos collaborateurs, et vous accorde ses faveurs les plus précieuses. Nous vous en donnons pour gage Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES CHEMINOTS DU SUD-EST DE LA FRANCE

(13 juin 1955) 1

« L'Amicale sportive des Cheminots du Sud-Est » a été reçue en

audience par le Souverain Pontife, le lundi 13 juin. Voici l'allocution prononcée par le Saint-Père, à cette occasion.

Nous agréons bien volontiers, Messieurs, l'hommage filial que l'Amicale sportive des cheminots du Sud-Est a voulu Nous faire en sollicitant cette audience.

Le programme de votre congrès vous a conduits cette année au-delà des Alpes et vous avez choisi pour la première fois, Rome pour lieu de votre réunion. Nous sommes heureux de l'occasion qui vous est ainsi offerte de goûter les beautés de l'Italie et l'aimable accueil de vos collègues de ce pays. Nous souhaitons que les liens d'amitié sincère qui existent déjà au-delà des frontières entre membres de la même corporation s'en trouvent renforcés, que l'estime réciproque et les services rendus favorisent encore des relations déjà fréquentes, faciles et cordiales.

Nous aimons également voir ici, Messieurs, les familles de beaucoup d'entre vous et constatons avec plaisir que, loin de nuire à l'union des foyers, votre Amicale sportive ne fait que la renforcer. La saine distraction que vous procure le sport, si elle vous tient quelque temps hors de la maison, vous permet d'y revenir plus gais et plus détendus. L'exercice physique, la discipline du jeu, la constance dans l'effort entretiennent l'âme et le corps dans une heureuse harmonie, et chacun sait que la santé morale en profite largement. C'est d'ailleurs un excellent moyen d'acquérir et de conserver la maîtrise de soi, le contrôle de l'attention et des réflexes, si nécessaires dans votre profession.

Le beau métier que vous exercez demande en effet de grandes qualités. Plus encore que d'autres services publics, il porte de lourdes responsabilités, car la vie économique du pays dépend de son bon fonctionnement. Les chemins de fer s'arrêtent-ils pour quelque raison, il en résulte un trouble considérable : des denrées de première nécessité viennent rapidement à manquer, certaines industries sont aussitôt paralysées, des foules d'ouvriers restent sans travail ou ne peuvent se rendre à l'usine, le ravitaillement des villes est compromis, les déplacements à grande distance rendus très difficiles. Si l'on considère maintenant le fonctionnement du trafic quotidien, quelle conscience profession- | nelle, quelle vigilance ne requiert-il pas ? Les appareils automatiques de contrôle ne remplacent jamais entièrement le coup d'oeil du spécialiste, la compétence du chef qui calcule et prévoit.

L'importance même de l'organisme, auquel il appartient, rend le rôle de chacun plus important. Il a conscience d'être membre d'un grand corps, de bénéficier de ses ressources, de participer à la vie commune ; il est solidaire de tous ses collègues, fier de leurs succès, attristé de leurs peines. Lorsque la presse récemment annonçait les remarquables performances de certaines locomotrices françaises, n'avez-vous pas tressailli de joie, parce que ces succès faisaient honneur à la grande famille des Cheminots ?

Votre Amicale sportive est une branche de l'Union sportive des Cheminots français, elle-même rattachée à l'Union sportive internationale des cheminots. Nous félicitons et encourageons de tels organismes, car ils cherchent à développer chez leurs membres l'ouverture d'esprit aux valeurs culturelles, aux préoccupations et aux intérêts des autres peuples ; ils facilitent ainsi sur le plan international la compréhension et la collaboration plus généreuse et plus spontanée, dont le monde actuel éprouve un besoin si instant.

Que le Créateur de tout bien, qui a donné aux hommes le 1 grand précepte de la charité, daigne agréer l'hommage que vous lui rendez chaque jour, en vous acquittant de vos obligations professionnelles au service de votre pays et de vos concitoyens, et celui que vous entendez lui adresser maintenant en contribuant à resserrer les liens de bonne entente et de fraternité avec vos collègues italiens. Nous lui demandons de protéger vos familles, vos personnes, vos associations et d'accorder ses faveurs à ceux qui vous sont chers. En gage de Notre bienveillance, Nous vous accordons de grand coeur Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU « CONVICTUM S. EUGENII » DE VALENCE

(16 juin 1955) 1

Au cours d'une récente audience, le Saint-Père a reçu une cinquantaine de prêtres du « Convictum S. Eugenii », de Valence, en Espagne. Il leur a adressé l'allocution que voici :

Le groupe de prêtres, élèves du « Convictum Sancti Eugenii », de l'insigne archidiocèse de Valence, n'a pas voulu terminer son année de préparation immédiate au ministère sacerdotal, sans recevoir la Bénédiction du Vicaire du Christ et écouter de ses lèvres paternelles des paroles d'orientation et d'encouragement.

Parmi les nombreuses oeuvres, qui distinguent votre célèbre archidiocèse, très chers fils, prêtres de Valence, il se peut fort bien qu'il n'y en ait point qui soient supérieures à celle à l'ombre de laquelle vous avez suivi cette session. Le progrès humain dans toutes les branches du savoir, la diffusion croissante de la culture au sein de la société, la spécialisation caractéristique de notre époque, la nécessité de mieux employer les forces lorsqu'elles suffisent à peine à répondre aux premiers besoins, et la dignité même du ministère apostolique en une époque où tout se pèse et se mesure avec une critique exigeante — sans parler de ce zèle qui pousse l'Eglise à désirer toujours le mieux, pour remplir sa si haute vocation — ont donné naissance à ces centres de formation, où les nouveaux ministres du Seigneur puissent se préparer à l'apostolat qui les attend dans l'avenir.

Rendez grâces à Dieu, très chers fils, pour cette nouvelle manifestation de sa bonté à votre égard et appliquez-vous à y répondre demain comme on l'espère de vous. Et si vous devez être dignes d'un archidiocèse qui compte parmi ses pasteurs un

1 D'après le texte français de l'Ossertmfore Romand, du 8 juillet 1955.

saint Thomas de Villeneuve ou un bienheureux Jean de Ribera ; si vous devez satisfaire les aspirations pastorales de votre si digne archevêque, heureux créateur de votre « Convictum » ; si vous devez être à la hauteur de ce que votre patrie réclame de vous, il faut que soient abondante votre charité, abondants votre zèle sacerdotal, votre amour pour le pauvre et pour l'humble, votre esprit de sacrifice et votre union avec Celui de qui vient tout bien.

Nous bénissons donc votre « Convictum », votre très dévoué prélat, votre directeur ici présent, toute la riante région orientale et toute la très chère Espagne. Mais Nous donnons une bénédiction spéciale pour votre futur apostolat, pour toutes les âmes et chacune en particulier que vous êtes appelés à conduire au Seigneur et pour tous vos projets et toutes vos aspirations en leur faveur. Que la Vierge des abandonnés vous protège et vous accompagne, et que Notre saint Patron, également Patron de votre « Convictum », fasse de celui-ci le jardin le plus fécond de la plus haute sainteté sacerdotale.

LETTRE POUR LE Ve CENTENAIRE DE SAINT VINCENT FERRIER

(16 juin 1955) 1

A l'occasion du cinquième centenaire de la mort de S. Vincent Terrier, apôtre de l'Espagne, le Souverain Pontife a adressé la lettre suivante à Mgr Marcellin Olaechea Loizaga, archevêque de Valence.

Il y aura bientôt cinq siècles que S. Vincent Ferrier, gloire de la catholique Espagne et de toute l'Eglise, fut inscrit au catalogue des saints. Nous pensons qu'il serait non seulement convenable, mais très utile de mettre en lumière sa mémoire et ses actes illustres, et en même temps, par des cérémonies publiques, de faire revivre plus intensément son culte. C'est pourquoi nous avons appris avec joie que votre diocèse, où il vit le jour, se préparait à cet -anniversaire par des fêtes auxquelles participeront non seulement le troupeau qui vous est confié et les frères de l'Ordre de S. Dominique dont il est la gloire, mais encore de nombreux fidèles venus des autres provinces d'Espagne, sous la conduite de leurs évêques et des magistrats de votre patrie.

Saint Vincent Terrier vécut à une époque très sombre de l'histoire de l'Eglise.

Sans aucun doute, l'époque où vécut S. Vincent Ferrier fut une période fort sombre de la vie de l'Eglise, dont la tunique sans couture semblait déchirée par un schisme funeste. C'est pourquoi par suite de l'incertitude des temps et des événements, la foi catholique chancelait chez beaucoup de fidèles, tandis que les moeurs privées et publiques devenaient mauvaises. Que ce soit en Espagne ou dans les autres pays d'Europe, ce désir effréné et désordonné des biens terrestres agitait les peuples, tandis que les princes se menaçaient les uns les autres de se faire la guerre. A cela, on ajoutera d'innombrables épidémies de peste, de formidables tremblements de terre, en même temps que la famine et la cherté des denrées.

Dieu intervient toujours, au moment opportun, en suscitant des hommes, pour ramener les peuples à la vérité, à l'unité, à la concorde. Saint Vincent fut un de ces hommes providentiels.

Mais, comme l'attestent les Ecritures, jamais le divin Rédempteur n'abandonne son épouse très chaste ; au bon moment, il ne refuse jamais le secours opportun. Bien plus, quand les circonstances deviennent plus dangereuses, alors que l'orage et la tempête s'efforcent de submerger la barque de Pierre, alors le Christ se trouve présent en la personne de ses représentants et, intrépide devant la tempête, il semble parler aux eaux tumultueuses. Ainsi à son commandement se fit-il un grand calme.

Parmi ces messagers du Christ, qui à la fin du XIVe siècle ou au début du XVe siècle, ramenèrent les peuples et les princes à la vérité et à de meilleurs sentiments, à l'unité et à la concorde, S. Vincent Ferrier occupe une place particulière. L'efficacité de son apostolat, et même ses succès dans les affaires publiques ne peuvent se comprendre facilement, si une réflexion profonde ne fait pas apprécier sa grande sainteté. Celui qui est dans un tel état de sainteté ne s'appuie pas sur ses propres forces, pas plus qu'il n'est gêné de sa faiblesse, mais puisqu'il s'en remet entièrement à la volonté et à la puissance divines, il peut s'attribuer cette phrase de l'apôtre Paul : « Je puis tout en Celui qui me fortifie. » Or, pour S. Vincent, toute la raison de vivre et d'agir, et même ces exploits illustres qu'on trouve rapportés dans l'histoire de l'Eglise et de la nation espagnole, semblent issus de ce Livre d'or que lui-même écrivit, le De vita spirituali. C'est pourquoi, il nous paraît opportun de dire quelque chose de ces saints préceptes qui ont une saveur d'Evangile : « Que celui qui veut être utile à l'âme de son prochain et l'édifier par ses paroles, s'efforce de posséder en lui quelque chose à donner aux autres ; car sa parole sera inefficace, si les hommes ne trouvent en lui ce qu'il enseigne. » De même que furent très utiles les paroles qu'il écrivit sur le mépris des biens terrestres, sur la pureté de l'âme, sur la conformité de la volonté personnelle à la volonté divine, sur l'amour de l'humilité chrétienne, sur nos tendances à diriger et à réfréner pour obtenir l'union de l'âme à Dieu, de même celui qui, aujourd'hui, lirait ces passages avec réflexion, pourrait puiser à cette lecture un grand profit spirituel.

Prêtres et religieux peuvent tirer un grand profit spirituel en méditant les enseignements de ce grand saint.

Pour les religieuses et surtout pour les prêtres, il serait non moins opportun de méditer souvent tout ce qui a trait aux moyens de perfection, et tout particulièrement ce qu'il dit du travail apostolique, de l'étude des lettres et des autres disciplines unie à la vie d'oraison. Quant aux règles si sages, données par S. Dominique à ses moines, il répond à ses compagnons en ordonnant ce qui suit : « Qu'ils soient tellement empressés pour l'étude que, de jour, de nuit, dans leur maison, en voyage, ils lisent quelque chose ou méditent ; qu'ils fassent effort pour retenir dans leur coeur tout oe qu'ils peuvent. » Ce qu'il traite dans la dernière partie de ce livre si utile, ce sont deux principes de vie spirituelle qui nous permettent d'arriver à la plus haute sainteté, à savoir le dégoût de nous-mêmes et notre conversion entière au Christ.

S. Vincent Terrier atteignit les plus hauts sommets de la perfection chrétienne et s'employa à y conduire les autres.

Il n'est donc pas étonnant qu'en méditant ces principes, en priant, en agissant, Vincent Ferrier ait atteint les plus hauts sommets de l'ascèse chrétienne, c'est-à-dire la perfection évan-gélique. En vérité, après avoir orné son âme des biens célestes, il s'employa à communiquer cette sainteté aux autres. Il connaissait bien cette maxime de S. Thomas d'Aquin : « Mieux vaut illuminer que de briller seul ; mieux vaut donner aux autres les vérités contemplées que de contempler seul. » Aussi se conformant à ces préceptes, brûlant du zèle de l'apostolat, Vincent Ferrier eut à coeur de procurer la paix aux âmes qui s'égarent loin de la vérité chrétienne, en même temps que par son ardeur et par son zèle infatigable il s'employait à faire régner la paix et la concorde parmi les peuples de l'Espagne et chez leurs princes. Héraut de la doctrine évangélique, tel un ange envoyé des deux, il ne refusa pas les voyages les plus difficiles, et on le vit cheminer à travers villes et villages, non seulement dans sa propre patrie, mais aussi en Gaule, en Suisse, en Italie, et dans les Flandres. Partout où cet ouvrier de l'Evangile, resplendissant de l'éclat de la sainteté, excellent orateur, illustre par ses miracles, a élevé la voix, des foules innombrables, comme atteintes par la lumière divine, sont passées de l'erreur à la vérité, de la jalousie à la concorde, des moeurs relâchées à la pénitence et à un renouveau de vie chrétienne. On était étonné de voir tant de milliers d'hommes et de femmes, le regarder et l'écouter, puis de les voir s'agenouiller et demander pardon à Dieu de leurs fautes et enfin, sous la conduite de la foi catholique et de la vérité chrétienne, entrer dans une nouvelle vie. En vérité ce renouveau admirable eut une influence salutaire, non seulement au coeur même de l'Eglise, mais aussi pour la société civile. Ceci se produisit d'une façon particulière lorsque, à la mort de Pierre d'Aragon, se posa la question brûlante de lui trouver un successeur ; devant les menaces d'une guerre civile, et cédant aux instances de Vincent Ferrier, l'Assemblée de Caspo put rétablir la paix entre les princes et les peuples.

Le Saint-Père termine par une pressante invitation à imiter saint Vincent Ferrier.

Ce n'est donc pas pour un seul motif, vénérable Frère, que par des cérémonies solennelles, vous allez commémorer ce héraut de la parole divine, ce prédicateur de la vertu, cet admirable médiateur de paix. Nous souhaitons que cela se fasse également à Vannes, en Bretagne, où sa dépouille mortelle est conservée. Mais, plus encore, tendez à reproduire dans vos moeurs ses illustres exemples de sainteté, chacun selon votre condition. En outre, appliquez-vous avec empressement et constance, chacun selon votre charge, à susciter ce renouveau de vie chrétienne qu'il suscita lui-même si largement et avec tant de succès chez les autres.

Tels sont, vénérable Frère, les fruits que Nous souhaitons à ces fêtes centenaires. Par l'intercession de saint Vincent, Nous les demandons instamment à Dieu, avec vous. Que la Bénédiction apostolique rende efficaces Nos voeux très ardents, et leur assure une heureuse réalisation. Cette Bénédiction, Nous l'accordons très affectueusement dans le Seigneur à tous ceux qui, avec vous, vénérable Frère, participeront à ces cérémonies, et particulièrement aux religieux dominicains, au clergé et aux magistrats civils, et aussi au très cher peuple de la catholique Espagne.


LETTRE

A SON ÉMINENCE LE CARDINAL MASELLA LE NOMMANT LÉGAT AU CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL DE RIO-DE-JANEIRO

(21 juin 1955) 1

Sa Sainteté Pie XII a désigné Son Eminence le cardinal Masella comme légat « a latere » pour présider le trente-sixième Congrès eucharistique international qui s'est déroulé à Rio-de-Janeiro du 17 au 24 juillet. Voici la lettre de nomination du légat :

Combien grande est la piété du peuple brésilien à l'égard de l'admirable sacrement ! Ne l'a-t-il pas manifesté de façon éclatante, lorsqu'il y a vingt-deux ans, dix-neuf siècles après l'institution de la sainte Eucharistie et la Rédemption du genre humain, un Congrès eucharistique, le premier qui réunissait toute la nation, fut célébré à Bahia, c'est-à-dire dans la première ville fondée par les Portugais en ce pays. Nous savons qu'en ce moment les chrétiens du Brésil préparent avec leur enthousiasme accoutumé et avec grande joie, un Congrès eucharistique de tous les peuples du monde catholique, et que le lieu choisi, cette ville et capitale de Rio-de-Janeiro (Sanetus Sebastianus Fluminis Januarii), ils le revêtent d'un magnifique apparat et de splendides décorations, en vue des imposantes cérémonies que l'on doit y célébrer en l'honneur de l'auguste sacrement. C'est pourquoi, par des discours et des exhortations publiques, prononcés en présence des fidèles ou même publiés dans les journaux quotidiens ou transmis par radio, également par des assemblées religieuses et des missions tenues dans chaque paroisse, on encourageait depuis longtemps et on enflammait les esprits et les coeurs des fidèles. Mais si toute la société des catholiques du Brésil trahit son désir de participer à la joie, si par des foules pieuses et nombreuses, d'autres peuples désirent assister à ces solennités très prochaines et s'y disposent, Nous-même, Nous sommes rempli d'une très grande joie, et Nous désirons Nous trouver présent en quelque sorte à ces célébrations. C'est que Nous avons souvent remarqué de quelle union les fidèles du Brésil se trouvent liés à cette Chaire de Pierre, de quel amour et de quel attachement ils ont coutume d'honorer les successeurs du Bienheureux Pierre. C'est pourquoi, vénérable Frère, Vous qui pendant près de dix neuf ans avez rempli au Brésil la charge de Nonce apostolique, et qui par la nécessité de vos fonctions, mais aussi par les liens étroits de l'amitié êtes lié au peuple brésilien, Nous vous désignons et vous proclamons légat « a latere », à charge de représenter Notre personne, et comme tel de présider les cérémonies religieuses qui se célébreront au cours de ce très prochain Congrès eucharistique international qui doit se tenir solennellement dans cette ville de Rio-de-Janeiro. D'ailleurs, à cause de votre piété envers l'auguste sacrement, eu égard à votre dignité dans l'Eglise et à la splendeur de la pourpre romaine, Nous sommes certain que vous répondrez complètement et utilement à Notre attente. Nous demandons instamment au Seigneur de combler les participants à ce congrès de l'abondance de ses grâces, et à titre de présage de ces secours célestes et comme gage de Notre amour particulier, à vous, vénérable Frère, à tous ceux qui vous accompagnent dans votre légation, ainsi qu'à tous ceux qui assisteront aux cérémonies, très affectueusement dans le Seigneur, Nous accordons la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX REPRÉSENTANTS DE L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE ITALIENNE

(21 juin 1955) 1

Le mardi 21 juin, Sa Sainteté Pie XII a reçu en audience dans la basilique Saint-Pierre les représentants de l'industrie cinématographique italienne, et leur a adressé l'important discours que voici :

C'est pour Nous un très grand plaisir, Messieurs, d'accueillir en Notre présence les dignes représentants de ce monde du cinéma, dont l'extension et le prestige ont atteint en quelques années des proportions extraordinaires, au point d'imprimer en quelque sorte sa marque à notre siècle.

Le Saint-Père commence son discours en disant que son coeur est partagé entre la joie et l'anxiété en pensant au bien et au mal que peut faire le cinéma.

Bien que d'autres fois et en différentes circonstances Nous ayons accordé à l'activité cinématographique une attention pleine de sollicitude, Nous sommes heureux de rencontrer aujourd'hui personnellement ceux qui s'y consacrent de façon stable, pour ouvrir Notre coeur de pasteur où l'éloge envers les réalisations remarquables obtenues par eux s'accompagne d'une vive anxiété pour le sort de tant d'âmes sur lesquelles le cinéma exerce un pouvoir profond.

C'est à juste titre qu'on peut parler d'un « monde du cinéma », quand on pense à l'activité vaste et dynamique à laquelle le cinéma a donné naissance, soit dans le domaine strictement artistique, soit dans celui de l'économie et de la technique. Il dépend de légions de producteurs, d'écrivains, de réalisateurs, d'acteurs, de musiciens, d'opérateurs, de techniciens et de tant

d'autres, dont les emplois sont désignés par des noms nouveaux de nature à constituer une nomenclature particulière dans la linguistique moderne. Que l'on pense encore aux établissements industriels innombrables et complexes qui pourvoient à la production des matériaux et des machines, aux studios, aux salles de spectacle : si l'on imaginait tout cet ensemble réuni en un seul lieu, il constituerait certainement une des plus grandes villes du globe, et, de fait, à la périphérie de nombreuses villes on en trouve de semblables, de dimensions plus réduites. De plus, le cercle des intérêts économiques créés par le cinéma et gravitant autour de lui, soit pour la production des films, soit pour leur utilisation, trouve peu d'équivalents dans l'industrie privée, spécialement si l'on considère la masse des capitaux engagés, la facilité avec laquelle ils sont offerts, et combien vite ils font retour aux industriels eux-mêmes, non sans d'enviables bénéfices.

Or ce monde du cinéma ne peut pas ne pas créer autour de soi un champ d'influence extraordinairement large et profond dans la pensée, dans les moeurs et dans la vie des pays où il déploie son pouvoir, surtout parmi les classes les plus humbles, pour lesquelles le cinéma constitue souvent l'unique détente après le travail, et parmi la jeunesse, qui voit dans le cinéma le moyen rapide et agréable de rassasier la soif de connaissance et d'expériences que son âge lui promet.

De la sorte, au monde du cinéma de la production, que vous représentez, fait pendant un monde particulier et bien plus vaste, celui des spectateurs, qui, avec plus ou moins d'assiduité et d'efficacité, reçoivent du premier une orientation déterminée dans leur culture, leurs idées, leurs sentiments et souvent dans la conduite même de leur vie. Cette simple considération montre clairement que l'art du cinéma doit être convenablement étudié dans ses causes et dans ses effets, afin que cette activité, comme toute autre, soit orientée vers le perfectionnement de l'homme et la gloire de Dieu.

I. L'importance de l'art du cinéma.

Le nombre des spectateurs, dans les salles de cinéma, est évalué à usieurs milliards, chaque année, pour le monde entier.

L'extraordinaire pouvoir du cinéma dans la société contemporaine paraît à la soif croissante qu'elle en a et qui, mise en

chiffres, constitue un phénomène tout à fait nouveau et étonnant. Dans la copieuse documentation qui Nous a été aimablement communiquée, on rapporte, entre autres, que durant l'année 1954, le nombre des spectateurs pour l'ensemble de tous les pays du monde a été de douze milliards, parmi lesquels deux milliards et demi pour les Etats-Unis d'Amérique, un milliard trois cents millions pour l'Angleterre, tandis que le chiffre de huit cents millions met l'Italie au troisième rang.

Causes essentielles de cette extraordinaire attraction du cinéma :

Où ce nouvel art puise-t-il l'attrait fascinant grâce auquel, depuis environ soixante ans qu'il est apparu, il a obtenu le pouvoir quasi magique d'attirer dans l'obscurité de ses salles, et non certes gratuitement, des foules qui se comptent par milliards ? Quel est le secret du charme qui fait de ces foules ses clients assidus ? Dans la réponse à ces questions se trouvent les causes fondamentales dont dérivent la grande importance et la popularité si étendue du cinéma.

a) la perfection croissante de la technique du film ;

La première force d'attraction d'un film naît de ses qualités techniques, lesquelles opèrent le prodige de transporter le spectateur dans un monde imaginaire, ou bien, pour un film documentaire, de mettre sous ses yeux la réalité distante dans l'espace et dans le temps. La technique occupe donc la première place dans l'origine et dans l'évolution du cinéma. Elle a précédé le film et l'a rendu d'abord possible ; c'est elle encore qui le rend chaque jour plus agréable, facile, vivant. Les principaux éléments techniques d'un spectacle cinématographique existaient déjà avant que le film naisse, puis petit à petit le film s'en est emparé, jusqu'à pousser enfin la technique à créer de nouveaux moyens pour son service. Dans cette influence réciproque la technique et le film ont ainsi évolué rapidement vers la perfection, partant de la prise de vue floue d'un train qui arrive pour passer au film animé par des idées et des sentiments, d'abord avec des personnages muets, puis parlants, puis se mouvant dans des lieux sonorisés par des bruits et de la musique. Préoccupé de réaliser la transposition parfaite du spectateur dans le monde irréel, le film a réclamé à la technique les couleurs de la nature, puis les trois dimensions de l'espace, et il tend maintenant par des procédés hardis à faire pénétrer le spectateur dans la scène vivante.

Quand on revoit aujourd'hui un film vieux de quarante ans, on peut noter les merveilleux progrès techniques obtenus et on doit admettre que, grâce à eux, un film d'aujourd'hui, même simplement sonore et en blanc et noir constitue une splendide représentation.

b) le perfectionnement de l'élément artistique ;

Mais plus que de la qualité technique, la force d'attraction et l'importance du film dérivent du perfectionnement de l'élément artistique, qui s'est affiné non seulement par suite de la contribution d'auteurs, d'écrivains et d'acteurs choisis selon des critères rigoureux, mais aussi en vertu de l'émulation vive qui s'est établie entre eux dans une compétition mondiale.

De la simple narration visuelle d'un événement ordinaire on est arrivé à mettre à l'écran le cours de la vie humaine dans ses drames multiformes, en analysant dans le détail les idéaux, les fautes, les espérances, les médiocrités ou les profondeurs d'un ou de plusieurs personnages. Une maîtrise grandissante dans l'invention et la formation du sujet a rendu le spectacle toujours plus vivant et plus palpitant ; il a d'ailleurs tiré parti du pouvoir traditionnel de l'art dramatique de tous les temps et de toutes les cultures, jouissant même sur lui d'un avantage notable grâce à la grande liberté de mouvement, à l'ampleur de la scène et aux autres effets propres du cinéma.

c) les lois de la psychologie des foules ;

Mais pour pénétrer toute l'efficacité du film et pour apprécier à sa juste valeur la cinématographie, il faut porter son attention sur la part importante qu'y tiennent les lois de la psychologie, soit pour expliquer la manière dont le film agit sur les esprits, soit qu'on s'en serve consciemment pour faire plus d'impression sur les spectateurs. Les spécialistes de cette science observent avec soin le processus d'action et de réaction que suscite la vision du film, en appliquant la méthode d'enquête, l'analyse, les résultats de la psychologie expérimentale et scrutant les couches secrètes du subconscient et de l'inconscient. Non seulement ils recherchent l'influence du film en tant que reçu passivement par le spectateur, mais ils analysent également sa puissance connexe d'activation psychique, selon ses lois immanentes, c'est-à-dire le pouvoir qu'il a de subjuguer un esprit par le charme de la représentation. Si, par suite de l'une et l'autre influence, le spectateur demeure vraiment prisonnier du monde qui défile devant ses yeux, il est poussé à transférer d'une certaine manière son moi, avec ses dispositions psychiques, ses expériences intimes, ses désirs latents et mal définis, dans la personne de l'acteur. Durant tout le temps de cette sorte d'enchantement, dû en grande partie à la suggestion du protagoniste, le spectateur se meut dans le monde de celui-ci comme si c'était le sien, et même, en un certain sens et jusqu'à un certain point, il vit à sa place et comme en lui, en parfaite communion de sentiment ; parfois même il est entraîné par l'action à lui suggérer des paroles et des expressions. Ce processus, que les metteurs en scène des films modernes connaissent bien et dont ils cherchent à tirer profit, a pu être comparé à l'état onirique, avec la différence que les visions et les images du rêve jaillissent seulement du monde intime de celui qui rêve, tandis que pour le spectateur elles proviennent de l'écran, de manière toutefois à en susciter d'autres, plus vives et plus chères, du plus profond de sa conscience. Il arrive souvent alors que le spectateur voit se réaliser sous les images de personnes et de choses, ce qui ne s'est jamais produit dans les faits, mais ce qu'il a cependant plusieurs fois pensé profondément, désiré ou craint en lui-même. C'est donc à raison que le pouvoir extraordinaire du film trouve son explication la plus profonde dans la structure intime du fait psychique, et le spectacle est d'autant plus attachant que le film en stimule davantage les processus.

Par conséquent le réalisateur lui-même est continuellement poussé à affiner sa propre sensibilité psychologique et sa perspicacité par l'effort qu'il fait pour rechercher la forme la plus efficace en vue de communiquer au film ce pouvoir cité plus haut, lequel peut agir dans une direction morale bonne ou mauvaise. En fait les dynamismes intimes du moi du spectateur, dans le fond de sa nature, de son subconscient et de son inconscient, peuvent le conduire aussi bien dans le royaume de la lumière, de la noblesse, du beau, que dans les domaines des ténèbres et de la dépravation, à la merci d'instincts extrêmement puissants et effrénés, selon que le spectacle met en évidence et stimule les éléments de l'un ou de l'autre domaine et en fait le centre de l'attention, du désir et de l'impulsion psychique. La condition de la nature humaine est effectivement telle que les spectateurs n'ont pas ou ne conservent pas toujours, ni tous, l'énergie spirituelle, la réserve intérieure, souvent même la volonté de résister à la suggestion attirante et avec cela la capacité de se dominer et de se guider soi-même.

d) la part laissée à l'interprétation personnelle du spectateur.

A côté de ces causes fondamentales et de ces explications de l'attirance et de l'importance du film, un autre élément psychique actif a été amplement mis en lumière. C'est l'interprétation libre et personnelle du spectateur et la prévision du développement futur de l'action qui procure, en quelque mesure, le plaisir propre de qui crée un événement. Le metteur en scène tire également profit de cet élément par des gestes habiles, apparemment insignifiants comme pourraient être par exemple un mouvement de main, un haussement d'épaules, une porte laissée entrouverte.

Avec des méthodes propres, le film a ainsi adopté les canons de la narration traditionnelle — fondés eux aussi sur les lois de la psychologie —, dont le premier consiste à tenir l'attention du lecteur constamment soutenue jusqu'au dernier épisode, en suscitant en lui des suppositions, des attentes, des espérances, des craintes, en un mot en le mettant dans l'angoisse de ce qui arrivera aux personnages devenus désormais, d'une certaine manière, ses connaissances. Ce serait donc une erreur de présenter dès le début d'une manière claire et limpide la trame de la narration ou de la vision. Au contraire, le livre, et plus encore peut-être le film, en vertu des moyens les plus variés et les plus subtils dont il dispose, trouve son charme typique en incitant le spectateur à donner sa propre interprétation du récit, en l'invitant par une logique à peine esquissée ou d'agréables artifices, à entrevoir ce qui est indéterminé, à prévenir une action, à anticiper une impression, à résoudre un cas. Ainsi, en s'adap-tant de la sorte à l'activité psychique du spectateur, le film accroît encore le charme de la représentation cinématographique.

L'énorme influence exercée par le film a attiré l'attention de tous — individus ou collectivités — qui ont le sens des responsabilités.

Une fois éprouvée la force pénétrante du film et vérifié le fait de sa large influence dans les rangs du peuple et sur les

moeurs, la cinématographie a attiré l'attention tant des autorités compétentes, civiles et ecclésiastiques, que de la collectivité et de tous ceux qui sont doués d'un jugement serein et d'un véritable sens des responsabilités.

A la vérité, comment pourrait-on laisser livré à soi-même ou conditionné par le seul intérêt économique un moyen, en soi tout à fait noble, mais tellement puissant pour élever les âmes ou les dépraver ? un instrument prompt à faire le bien mais aussi à répandre le mal ?

La vigilance et la réaction des pouvoirs publics, pleinement justifiées par le droit de défendre le patrimoine commun civil et moral, se manifestent sous des formes diverses : par la censure civile et ecclésiastique des films et, s'il est nécessaire, par leur prohibition ; par la publication de listes provenant de commissions d'examen des films qui les qualifient selon leur valeur afin de fournir au public des informations et des normes. Il est bien vrai que l'esprit de notre temps, qui se montre plus qu'il ne convient irrité des interventions des pouvoirs publics préférerait une défense qui proviendrait directement de la collectivité. Il serait certainement désirable que l'on obtînt l'accord des bons contre le film corrupteur, partout où il se montre, pour le combattre par les moyens juridiques et moraux à leur disposition ; une telle action n'est cependant pas en soi suffisante.

L'ardeur du zèle privé peut s'attiédir, et de fait s'attiédit bien vite, comme le démontre l'expérience. Au contraire la propagande agressive ne s'attiédit pas, qui tire souvent du film d'abondants bénéfices et qui souvent trouve un allié facile au fond même de l'homme, Nous voulons dire dans l'instinct aveugle avec ses attraits ou ses impulsions brutales et basses.

Si, en conséquence, le patrimoine civil et moral du peuple et des familles doit être protégé de manière efficace, il est plus que juste que l'autorité publique intervienne comme il se doit pour empêcher ou freiner les influences les plus dangereuses.

Que les producteurs se soucient eux aussi de la valeur morale autant qu'artistique des films qu'ils lancent.

Laissez-Nous maintenant vous adresser, à vous qui êtes si pleins de bonne volonté, une parole, Nous voudrions presque dire confidentielle et paternelle. Ne serait-il peut-être pas opportun que l'appréciation honnête et le rejet de ce qui est indigne

Ceci dit, il Nous semble qu'il faut considérer le film idéal sous trois aspects :

1) par rapport au sujet, c'est-à-dire aux spectateurs auxquels le film est destiné ;

2) par rapport à l'objet, c'est-à-dire au contenu du film lui-même ;

3) par rapport à la communauté sur laquelle, comme Nous le disions tantôt, il exerce une influence particulière.

Puisque Nous désirons Nous arrêter un peu sur cet argument important, Nous nous bornerons aujourd'hui à traiter le premier aspect, en réservant le second et le troisième à une autre audience, si l'occasion Nous en est donnée.

Le film idéal considéré par rapport au spectateur. Sa première qualité doit être le respect de la dignité du spectateur.

a) Le premier caractère qui doit à cet égard distinguer le film idéal est le respect envers l'homme. Il n'y a en effet aucun motif pour qu'il échappe à la norme générale, selon laquelle celui qui traite avec des hommes doit être rempli de respect pour l'homme.

Bien que les différences d'âge, de condition et de sexe puissent suggérer une attitude différente et une adaptation, l'homme conserve toujours cependant la dignité et la noblesse que le Créateur lui donna quand il le fit à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26). Dans l'homme, se trouve l'âme spirituelle et immortelle ; le microcosme avec sa multiplicité et son polymorphisme, avec l'agencement merveilleux de toutes ses parties ; la pensée et la volonté avec la plénitude et l'ampleur de leur champ d'activité ; la vie affective avec ses élévations et ses profondeurs ; le monde des sens avec son pouvoir, sa perception et sa sensation multiforme ; le corps formé jusque dans ses dernières fibres selon une téléologie qui n'est pas encore entièrement explorée. L'homme est constitué seigneur de ce microcosme ; il doit se guider librement lui-même selon les lois du vrai, du bien et du beau, comme la nature, la vie en commun avec ses semblables et la révélation divine le lui indiquent.

Puisque le spectacle cinématographique, comme on l'a observé, a le pouvoir d'orienter l'esprit du spectateur vers le bien ou vers le mal, Nous n'appellerons un film idéal que si non seulement il n'offense pas ce que Nous venons de décrire mais le

ou inférieur fût dès le début et d'une manière particulière entre vos mains ? Dans ce cas on ne pourrait certainement pas parler d'incompétence ou de prévention, si vous, par un jugement mûr, formé selon de sages principes moraux, et dans un dessein sérieux, vous réprouviez ce qui cause du dommage à la dignité humaine, au bien des particuliers et de la société, et spécialement à la jeunesse.

Aucun esprit sensé ne pourrait ignorer ou railler votre verdict consciencieux et pondéré dans une matière qui concerne votre propre profession. Faites donc largement usage de ce prestige et de cette autorité que votre savoir, votre expérience, la dignité de votre travail vous confèrent. Remplacez les spectacles insignifiants ou pervertisseurs par des images bonnes, nobles, belles, qui, sans être troubles peuvent certainement être attirantes et même toucher au sommet de l'art. Vous aurez avec vous l'accord et l'approbation de tous ceux qui ont un jugement sain et une volonté droite, et surtout l'approbation de votre conscience.

IL Le film idéal.

Les trois qualités du film idéal.

Nous avons jusqu'ici consacré une partie de Notre exposé au film tel qu'il est en réalité à présent ; maintenant Nous voudrions, dans une seconde partie, dire Notre pensée sur le film tel qu'on voudrait qu'il soit, c'est-à-dire du film idéal.

Avant tout une question préalable : peut-on parler d'un film idéal ? L'usage appelle l'idéal ce à quoi rien ne manque de ce qui lui est propre mais qui au contraire le possède d'une manière parfaite. Y a-t-il en ce sens un film simplement idéal ? Certains ont coutume de nier qu'un idéal absolu puisse exister ; en d'autres termes, on affirme que tout idéal est relatif, c'est-à-dire que l'idéal signifie toujours quelque chose, mais seulement pour une personne ou une chose déterminée. La divergence d'opinion est causée en grande partie par les critères différents employés pour distinguer les éléments essentiels des éléments accessoires. En effet, malgré qu'on en affirme la relativité, l'idéal ne manque jamais d'un noyau d'absolu, qui se réalise dans tous les cas, même dans la multiplicité et la variété des éléments secondaires, requis par leur relation à un cas déterminé.

traite avec respect. Bien plus, cela même ne suffit pas ! Nous devons dire : s'il renforce et élève l'homme dans la conscience de sa dignité ; s'il lui fait connaître et aimer davantage le rang élevé où le Créateur le mit dans sa nature ; s'il lui parle de la possibilité d'accroître en soi les qualités d'énergies et les vertus dont il dispose ; s'il consolide en lui la persuasion qu'il peut vaincre des obstacles et éviter des décisions erronées ; qu'il peut toujours se relever de ses chutes et se remettre sur la bonne route ; enfin qu'il peut progresser du bien au mieux en se servant de sa liberté et de ses facultés.

Au respect du spectateur doit s'ajouter une affectueuse compréhen-de sa vie, de ses expériences et de son état d'âme.

b) Un tel film aurait déjà en réalité la fonction fondamentale d'un film idéal ; mais on peut encore lui accorder quelque chose de plus si, au respect de l'homme s'ajoute une compréhension affectueuse. Rappelez-vous la parole émouvante du Seigneur : « J'ai pitié de ce peuple » (Mc 8,2).

La vie humaine ici-bas a ses grandeurs et ses abîmes, ses ascensions et ses déclins, elle se meut parmi les vertus et les vices, les conflits, les difficultés et les trêves, elle connaît victoires et défaites. Tout cela chacun l'expérimente à sa façon selon ses conditions internes et externes et selon les différents âges qui, comme un fleuve, le portent de paysages montagneux vers les collines boisées et vers les plaines illimitées brûlées de soleil.

Ainsi se diversifient les conditions de mouvement et de lutte ; chez l'enfant, à l'éveil de son esprit ; chez le garçon, la première fois qu'il possède pleinement l'usage de la maîtrise de sa raison ; chez le jeune homme, pendant les années de son développement quand de grandes tempêtes alternent avec de merveilleuses éclaircies ; chez l'homme mûr souvent totalement absorbé dans la lutte pour la vie avec ses secousses inévitables ; chez le vieillard, qui, jetant avec regret, nostalgie et repentir un regard en arrière sur son passé, se pose des questions et considère les événements comme seul peut le faire qui a beaucoup navigué.

Le film idéal doit montrer au spectateur qu'il sait toutes ces choses, qu'il les comprend et les apprécie exactement ; mais il doit le montrer à l'enfant comme il convient à l'enfant, au jeune homme avec un langage à lui adapté, à l'homme mûr comme il lui convient, c'est-à-dire en assimilant sa façon propre de connaître et de regarder les choses.

Mais il ne suffit pas de comprendre l'homme en général, quand le film s'adresse à une profession ou à une condition déterminée ; il faut en outre une compréhension spécifique des caractères particuliers aux divers états sociaux. Le film doit communiquer à qui voit et écoute le sens de la réalité mais d'une réalité vue avec les yeux de qui sait plus que lui et traitée avec la volonté de qui se place fraternellement à côté du spectateur pour pouvoir, s'il le faut, l'aider et le réconforter.

Dans cet esprit, la réalité reproduite par le film est présentée d'une manière artistique puisque c'est le propre de l'artiste de ne pas reproduire mécaniquement le réel ni de s'assujettir aux seules possibilités techniques des instruments, mais en se servant d'eux, d'élever et de dominer le sujet sans l'altérer ni le soustraire à la réalité. On en trouvera un exemple magnifique dans les paraboles splendides de l'Ecriture Sainte, dont les sujets sont empruntés à la vie quotidienne et aux occupations des auditeurs, avec une fidélité, Nous dirions presque photographique, mais dominés et élevés de telle manière que réalité et idéal soient fondus dans une forme d'art parfaite.

Le film doit aussi satisfaire les légitimes aspirations du spectateur qui désire trouver au cinéma une détente et l'oubli de ses peines. Toutefois il ne faut pas que l'illusion soit présentée de telle sorte qu'elle soit prise pour la réalité par des esprits inexpérimentés.

c) Au respect et à la compréhension, il faut ajouter l'accomplissement des promesses et la satisfaction des désirs offerts peut-être et suscités dès le début ; bien plus, en général les millions de personnes qui affluent au cinéma, y sont poussées par l'espérance vague d'y trouver la satisfaction de leurs désirs secrets et imprécis, de leurs aspirations intimes ; dans l'aridité de leur vie, elles se réfugient au cinéma comme chez un magicien qui peut tout transformer au toucher de sa baguette.

Le film idéal par conséquent doit savoir répondre à l'attente et apporter une satisfaction non quelconque, mais totale ; il n'a certes pas à satisfaire toutes les aspirations, même fausses et déraisonnables (Nous ne parlons pas de celles qui sont déplacées ou amorales) mais bien celles que le spectateur nourrit à bon droit.

Sous l'une ou l'autre forme, ce qu'on en attend est tantôt un soulagement, tantôt un enseignement, une joie, un réconfort, ou une émotion ; les unes plus profondes, les autres superficielles. Le film répond tantôt à l'une, tantôt à l'autre requête, ou bien il donnera une réponse qui peut satisfaire plusieurs ensemble.

Vous laissant juger en spécialistes ce qui touche à l'aspect technique et esthétique, Nous préférons considérer l'élément psychologique et personnel pour en tirer la confirmation de ce fait que, malgré l'élément de relativité, il reste toujours un noyau d'absolu qui dicte les normes pour accepter ou refuser de répondre aux requêtes du spectateur.

Pour se faire une idée de la question, il n'est pas nécessaire de reprendre les considérations de filmologie et de psychologie dont Nous Nous sommes déjà occupé ; il suffit de se laisser guider, ici encore, par le sens commun. Dans l'homme normal, en effet, on trouve aussi une psychologie pour ainsi dire non savante, dérivant de sa nature même qui le rend capable de se diriger correctement dans les cas ordinaires de la vie quotidienne, pourvu qu'il suive la saine faculté de penser, son sens du réel et les conseils de son expérience ; mais surtout pourvu que l'élément affectif soit en lui ordonné et réglé, puisque ce qui, en dernier lieu, détermine l'homme à juger et à agir est sa disposition affective actuelle.

Sur la base de cette psychologie simple, il est clair que celui qui va voir un film sérieux et instructif, a droit à l'enseignement promis ; qui se rend à une représentation historique veut qu'on lui montre l'événement, même si les exigences techniques et artistiques en modifient et en élèvent la forme ; celui à qui on a promis de montrer un roman ou une nouvelle, ne doit pas s'en aller déçu parce qu'il n'en a pas vu développer le sujet.

Mais il y en a qui, au contraire, fatigués de la monotonie de leur vie, ou affaiblis par ses luttes, cherchent dans le film en premier lieu le soulagement, l'oubli, la détente : peut-être aussi la fuite dans un monde illusoire. Ces exigences sont-elles légitimes ? Le film idéal peut-il s'adapter à de tels désirs et tenter de les satisfaire ?

L'homme moderne — affirme-t-on — au soir d'une journée tourmentée ou monotone, sent le besoin de changer les circonstances de personnes et de lieux ; il désire donc des représentations qui, par la multiplicité de leurs images, à peine liées entre elles par un léger fil conducteur, calment l'esprit, même si elles restent à la superficie et ne pénètrent pas en profondeur, pourvu qu'elles réparent la fatigue et éloignent l'ennui.

Il se peut qu'il en soit ainsi, et même souvent. En ce cas, le film doit chercher à répondre d'une façon idéale à cette condition, en évitant cependant de tomber dans des vulgarités ou des sensations indignes.

Il n'est pas niable que même un spectacle plutôt superficiel puisse atteindre des formes artistiques élevées et mériter d'être jugé idéal, car l'homme est aussi superficialité et non seulement profondeur : mais celui qui n'est que superficialité et ne réussit pas à approfondir pensées et sentiments n'est qu'un sot.

Sans doute, il est permis au film de conduire l'esprit fatigué et ennuyé sur le seuil du monde de l'illusion, afin qu'il jouisse d'une courte trêve dans la réalité qui l'opprime ; mais on aura soin de ne pas revêtir l'illusion de telles formes qu'elle soit prise pour la réalité par des esprits trop inexpérimentés et faibles. Le film, en effet, qui conduit de la réalité à l'illusion, doit ensuite ramener de l'illusion à la réalité, un peu avec la même douceur que la nature utilise dans le sommeil. Elle aussi soustrait l'homme fatigué à la réalité et le plonge, pour quelque temps, dans le monde illusoire des songes ; mais, après le sommeil, elle le ramène plus solide et comme rénové, à la réalité vivante, à la réalité habituelle dans laquelle il vit et qu'il doit sans cesse dominer par le travail et la lutte. Que le film suive en cela la nature ; il aura alors accompli une partie notable de son office.

Le film doit enfin encourager l'homme dans l'accomplissement de ses devoirs.

d) Mais le film idéal, considéré par rapport au spectateur, a enfin une mission haute et positive à remplir.

Pour l'apprécier, il ne suffit pas d'avoir pour le spectateur respect et compréhension ni de répondre à ses attentes légitimes et à ses justes désirs. Il faut aussi qu'il s'adapte aux exigences du devoir inhérent à la nature de la personne humaine et, en particulier, de l'esprit. L'homme depuis le moment où la raison s'éveille jusqu'à celui où elle s'éteint, a une foule de devoirs particuliers à remplir, à la base desquels, comme leur fondement à tous, on trouve celui de disposer justement de lui-même, c'est-à-dire selon une pensée et un sentiment honnêtes, selon son intelligence et sa conscience. La norme directive nécessaire à cette fin, l'homme la prend dans la considération de sa nature, dans l'enseignement d'autrui, dans la parole de Dieu aux hommes. Le détacher de cette norme signifierait le rendre incapable de mener à terme sa mission essentielle, de la même manière que ce serait le paralyser si on lui coupait les tendons et ligaments qui unissent et soutiennent les membres et les parties de son corps.

Eh bien ! un film idéal a justement l'important devoir de mettre les grandes possibilités et la force d'influence que Nous avons déjà reconnues à la cinématographie, au service de l'homme et de l'aider à maintenir et réaliser l'affirmation de soi-même dans le chemin de la rectitude et du bien.

On ne cache pas que pour cela sont requis chez le réalisateur des dons excellents car tout le monde sait qu'il n'est certainement pas difficile de produire des films attirants, en les rendant complices des instincts inférieurs et des passions qui entraînent l'homme en le soustrayant aux règles de sa raison et de son meilleur vouloir. La tentation des chemins faciles est grande, d'autant plus que le film pervers — le poète dirait « galeotto » — se prête facilement à remplir les salles et les caisses, à susciter des applaudissements frénétiques et à recevoir dans les colonnes de quelques journaux des recensions trop ser-viles et bénévoles ; mais tout cela n'a rien de commun avec l'accomplissement d'un devoir idéal. En réalité c'est une décadence et une dégradation ; c'est surtout un renoncement aux cimes. Le film idéal par contre entend les atteindre à toute force et tout en refusant de servir des marchands sans scrupules. Il n'affecte pas de faire une morale creuse, mais compense abondamment ce refus par une oeuvre positive, qui, comme les circonstances l'exigent, enseigne, charme, répand une joie et un plaisir nobles et vrais, écarte tout ennui ; il est à la fois léger et profond, imaginatif et réel. En un mot, il sait entraîner, sans arrêts ni secousses, dans les régions pures de l'art et du plaisir de telle façon que le spectateur, à la fin, sort de la salle plus joyeux, plus libre et, dans l'intime de son âme, meilleur que lorsqu'il est entré : si à ce moment, il rencontrait le producteur, le scénariste ou le réalisateur, il ne manquerait peut-être pas de les entourer amicalement dans l'élan de son admiration et de sa reconnaissance, comme Nous les remercierions Nous-même, au nom de tant d'âmes devenues meilleures.

Nous vous avons signalé, Messieurs, un idéal sans cacher les difficultés de sa réalisation ; mais Nous exprimons en même temps la confiance dans votre haute compétence et dans votre bon vouloir. Réaliser le film idéal c'est le privilège des artistes qui sortent de l'ordinaire ; certes c'est le but élevé vers lequel au fond tendent votre pouvoir et votre vocation. Fasse le Seigneur que vous obteniez l'aide de tous ceux qui en sont capables.

Pour que Nos voeux se réalisent dans ce domaine important de la vie, si proche des régions de l'esprit, Nous invoquons sur vous, sur vos familles, sur les artistes et les travailleurs du monde cinématographique, la divine bienveillance, en gage de laquelle descende sur vous tous Notre paternelle Bénédiction apostolique.


PieXII 1955 - DISCOURS A L'UNION CHRÉTIENNE DES CHEFS D'ENTREPRISE