Pie XII 1956




DOCUMENTS PONTIFICAUX

de Sa Sainteté PIE XII


DOCUMENTS PONTIFICAUX
DE SA SAINTETÉ PIE XII

réunis et présentés par

Mgr SIMON DELACROIX




EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)


IMPRIMATUR



Seduni, die 14a Julii 1958 Jos. BAYARD Vic. gén.



Tous droits réservés


PREFACE DE SON EMINENCE LE CARDINAL VALERI Préfet de la Sacrée Congrégation des Religieux



Ce nouveau recueil des Documents Pontificaux de l'année 1956 se distingue par la variété et la richesse de son contenu. Chacun d'eux : discours, lettre ou message du Saint-Père, instruction ou décret des organes du Saint-Siège que sont les Congrégations romaines est, à sa manière, le signe d'une présence attentive, d'une sollicitude pastorale toujours en éveil et à laquelle rien de ce qui est humain, rien de ce qui intéresse les hommes, leur dignité, leur destinée de fils de Dieu ne doit rester étranger.

Que voilà bien réalisée la triple consigne donnée par le Christ à Pierre et à ses successeurs : Pais mes agneaux : pais mes brebis... Guide-les, défends-les, nourris-les... Parle et ne cesse pas d'enseigner, d'exhorter, de reprendre, de consoler et d'encourager... Prêche l'Evangile à toute créature et porte la Bonne Nouvelle jusqu'aux extrémités du monde !

Cette collection est un éclatant témoignage de la fidélité de l'Eglise et de son Chef visible à la mission reçue d'En-Haul. Ces enseignements lumineux éclairent merveilleusement la route à suivre pour qui cherche la vérité et la vie. Les Documents Pontificaux de ce recueil sont en même temps un trésor, une mine inépuisable où l'on pourra trouver ce que l'Evangile appelle « nova et veiera », une application neuve et autorisée du Message du Christ aux exigences de la vie et de l'activité des chrétiens clercs, religieux ou laïcs dans le monde d'aujourd'hui.

Ce n'est certes pas un des moindres bienfaits de Dieu que ce magistère admirablement adapté aux besoins de notre époque, et dont les enseignements lumineux en scrutent les moindres recoins, aidant à discerner sagement dans les conquêtes du progrès moderne ce qui doit être retenu ou amélioré, utilisé ou rejeté.

C'est d'un coeur tout plein de piété filiale, de reconnaissance et de docilité que ce volume doit être accueilli et médité, comme on lit un commentaire d'Evangile ou quelque précieux monument de la tradition catholique.

Il porte en lui sa recommandation, et l'on s'apercevra bien vite, en le parcourant, qu'il n'avait guère besoin de cette préface trop longue déjà puisqu'elle en retarde quelque peu la lecture : Toile et lege !



28 avril 1958

t VALERIO, cardinal VALERI

Préfet de la Sacrée Congrégation des Religieux






INTRODUCTION


L'importance du magistère de Sa Sainteté Pie XII ne fait que grandir. Le rayonnement de ses paroles incite les éditeurs à multiplier leur diffusion. Notre collection, qui fut des premières à comprendre la valeur exceptionnelle de cet auguste message, se réjouit de voir le chemin qu'elle a tracé suivi désormais par d'autres initiatives. Fidèle à ses origines, elle publie tous les discours et écrits officiels du Saint-Père et en leur totalité. Cette conception rassure qui la consulte et le dispense d'autres recherches. En notre temps de presse, l'avantage n'est pas mince pour le prélat, le prêtre, le militant d'Action catholique, le penseur et l'homme d'Etat soucieux d'une documentation complète. Ses tables, minutieusement dressées par M. l'abbé Charrot, incitent le lecteur à l'exploitation intégrale des richesses extraordinaires des documents pontificaux.

L'activité du Saint-Père ne se ralentit point et demeure toujours prodigieuse. Ce volume en apporte le témoignage : 512 pages en 1955, 772 en 1956. Son indomptable énergie, qui a eu raison de la maladie, le conduit à l'utilisation extrême de ses forces. C'est à peine s'il laisse percer, une fois ou l'autre, le mystère de ce travail extraordinaire : « Nos journées sont surchargées, comme vous le savez, savants visiteurs d'outremer ; le travail Nous poursuit sans répit », confie-t-il aux membres de la Commission américaine pour les échanges culturels avec l'Italie. (18 mai, 66, 309)

Il reçoit des chefs d'Etat et des ministres : M. Kubitschek de Oli-veira, président des Etats-Unis du Brésil (ig janvier, 5, 36), le docteur Sukarno, président de la République d'Indonésie (13 juin, 81, 374), le chancelier Adenauer (5 juillet, 93, 420), le docteur Tubman, président du Libéria (23 septembre, 128, 573), M. José Figueres Ferrer, président




1 Le premier chiffre indique le no du document ; le second, la page.

de Costa-Rica (27 septembre, 130, 576), les ministres des Affaires Etrangères du Venezuela (23 octobre, 146, 652), et d'Espagne (3 novembre, 160, 696).

Il accueille, sans jamais manifester de lassitude, des pèlerins, sans cesse plus nombreux et plus admiratifs, aux audiences habituelles : au Vatican, à Saint-Pierre et à Castelgandolfo. Sans souci de la fatigue que lui imposent tant d'allocutions, il reçoit tous les groupes qui implorent ses conseils et ses encouragements : « représentants d'associations sportives, des équipes, des champions » (13 février, 17, 77), membres de Y Automobile Club de Rome à qui il recommande « de respecter les usagers de la route » (12 avril, 43, 175), anciens prisonniers de guerre (15 avril, 45, 182 et 27 octobre, 150, 663), personnel des hôpitaux (26 juin, 88, 396), fabricants de confiserie (21 avril, 49, 203), membres de l'Office d'information publique de l'O.N.U. (24 avril, 51, 209), fonctionnaires du gouvernement bavarois (21 mai, 70, 328), Frères des Ecoles chrétiennes (23 mai, 71, 330), pèlerinage du personnel de maison (3 juin, 771 357)i professeurs et étudiants autrichiens de droit canonique (3 juin, 78, 363), représentants de banques populaires (9 juin, 79, 366), éditeurs (11 juin, 80, 370), inspecteurs de l'enseignement primaire espagnol (3 juillet, 91, 414), sportifs de Bilbao (6 juillet, 94, 423), élèves de l'Ecole militaire de Billom (7 juillet, 95, 426), cadets de la marine brésilienne (10 juillet, 96, 428), religieux professeurs d'Universités (19 juillet, loi, 442), maires et présidents des administrations provinciales d'Italie (22 juillet, 102, 446), dirigeantes (23 juillet, 103, 451) et dirigeants de patronages (28 juillet, 107, 462), choeur polyphonique des médecins de Barcelone (29 août, 113, 482), membres de la Ligue d'abstinence d'Irlande (13 septembre, 122, 324), Fédération aéronautique internationale (20 septembre, 123, 544), Comité de la santé publique de l'Union Européenne occidentale (18 octobre, 143, 643), membres du premier congrès mondial de prévention et d'extinction du feu (19 octobre, 144, 645), techniciens de la pharmacie (21 octobre, 143, 649), athlètes catholiques des Olympiades de Melbourne (24 octobre, 147, 655), représentants de l'Institut international des classes moyennes (25 octobre, 148, 637), directeurs d'agences de presse (26 octobre, 149, 660), techniciens de l'élégance automobile (29 octobre, 134, 681), jeunes de la Campagne européenne de la jeunesse (19 novembre, 163, 716), montagnards italiens (23 novembre, 166, 718), spécialistes de l'orthocide (27 novembre, 167, 723), Commissions italiennes de la ligue pour la lutte contre le bruit (11 décembre, 172, 741), instituteurs catholiques de Bavière (31 décembre, *75t 770). La chrétienté, le monde, tous les mondes, toutes les professions viennent chercher auprès de lui des consignes de travail et de sagesse.

II s'associe aux grandes festivités de tous ses enfants. Le centenaire de la mort de saint Pierre Nolasque (19 janvier, 4, 34), le millénaire de la conversion de sainte Olga (20 janvier, 7, 41), le septième centenaire de l'Union des Ermites de Saint-Augustin (2 février, 12, 36), le cinquième centenaire de la mort de sainte Rita (11 février, 14, 61), le premier centenaire de la fondation des prêtres du Très Saint Sacrement (10 avril, 40, 163) et de l'Oeuvre d'Orient (7 mai, 39, 241), le 430e anniversaire de la Garde suisse (6 mai, 57, 228), la 16e Semaine sociale d'Espagne (8 mai, 60, 243), le 16e centenaire de la mort de saint Antoine (31 mai, 75, 340), le 16e Congrès eucharistique national de France (22 juin, 84, 383 ; 23 juin, 87, 393), le 3e centenaire de la réhabilitation de Jeanne d'Arc (25 juin, 86, 388) et de saint Pierre Regalado, franciscain de Valladolid (4 juillet, 92, 417), le 10e Congrès national de la Confrérie de la doctrine chrétienne aux Etats-Unis (16 juillet, 99, 439), le 4e Congrès international de Pax Christi (30 juillet, 108, 464), le 4e centenaire de saint Ignace (31 juillet, 109, 467), la première assemblée du Mouvement international de la jeunesse agricole et rurale catholique (2 août, 110, 473) lui sont autant d'occasions d'adresser à tous ses fils du monde entier qui le lui demandent l'assurance de sa sollicitude paternelle.

Les radiomessages lui permettent de s'associer de plus près à certaines manifestations telles que la clôture de huit jours d'exercices spirituels en Espagne (21 janvier, 8, 43). Le mercredi des Cendres 15 février, il s'adresse paternellement aux écoliers catholiques des Etats-Unis pour leur recommander les enfants malheureux du monde entier (19, 87). D'autres encore portent sa parole aux fêtes du cinquantenaire de la Vierge des Douleurs de Quito, Equateur, (22 avril, 30, 203), aux associations des travailleurs chrétiens lors du Congrès eucharistique national italien de Lecce (6 mai, 38, 234), aux fêtes espagnoles du 4e centenaire de saint Ignace (31 juillet, 109, 467), au 7e Congrès international des médecins catholiques (11 septembre, 121, 512), au 2e Congrès eucharistique des Philippines (2 décembre, 168, 723), à celui de Caracas pour les six pays bolivariens (16 décembre, 173, 744), aux catholiques d'Argentine (2 décembre, 169, 730).

Il ne cesse de louer le travail et les travailleurs. Aux dirigeants des fédérations européennes des industries du verre (18 avril, 47, iço) il rappelle la « nécessaire transfiguration » qui s'impose à tout labeur et recommande « l'élan vers les hauteurs qui ennoblit l'âme et la rend capable de toutes les générosités ».

A tous les travailleurs du monde, il enseigne « que le travail fait pour Dieu et parce que voulu par Dieu devient une prière précieuse et continue, ainsi qu'un chant de louange envers Lui, qui s'en trouve hautement qualifié ». Il recommande aussi avec insistance la compétence technique, la conscience professionnelle, l'amour de la tâche (20 mai, 6g, 323).

Aux associations chrétiennes de travailleuses (ier mai, 53, 214), il assigne une « fonction de guide au milieu du monde du travail » et leur recommande d'être les artisans du règne du Christ dans leur entreprise et leur cité, (28 octobre, 132, 66g).

La petite industrie et la petite entreprise semblent avoir particulièrement retenu son attention (20 janvier, 6, 38). Il loue l'entreprise privée qui « contribue à élever le rendement du travail, à diminuer les coûts de production, à accélérer la formation de l'épargne » (13 avril, 44, 177). Il souligne que les petites et moyennes entreprises ont un rôle social capital à jouer, qu'elles doivent s'organiser pour lutter contre la concurrence, que leurs chefs doivent faciliter aux membres de leur personnel l'accès à la propriété et les traiter comme frères dans le Christ (8 octobre, 13g, 623).^

En défendant l'entreprise privée, il souligne que « l'Eglise n'a pas cessé et ne cessera pas de réagir contre les tentatives qui sont faites dans certains pays pour attribuer à l'Etat des fonctions qui ne lui appartiennent pas », mais il déclare aussi que « l'Etat a le droit d'intervenir pour assurer une plus juste répartition des biens de production » (13 avril, 44, 1-77)-

Il affirme avec force pour l'Eglise « le droit de juger avec une autorité suprême même en matière économique », et demande « que l'économie soit organisée de manière à „ satisfaire les besoins de l'homme ", mais s'il rappelle que la religion est la meilleure sauvegarde de la justice et de la charité dans la société, il n'en reconnaît pas moins à l'Etat, le droit « comme promoteur du bien commun » de rappeler les individus à leurs devoirs sociaux (22 septembre, 127, 565).

Aux prêtres et religieux chargés de la critique des livres, il recommande, outre l'objectivité, la probité, l'incorruptibilité et la fermeté de caractère, l'absence de passion et de partialité, « une critique juste et bienveillante », une interprétation favorable à la droiture de l'auteur (13 février, 16, 67).

Aux traducteurs, il propose l'Eglise elle-même comme modèle, et leur conseille « de pénétrer les cultures diverses en extension et en profondeur, d'assimiler assez complètement leur histoire et leur esprit pour oser passer de l'une à l'autre sans danger de trahir leur génie propre » (ier mars, 24, 102).

Aux éducateurs, il définit leurs responsabilités respectives et les collaborations nécessaires (20 avril, 48, 192).

Il exalte en toutes occasions la mission de la femme et de la jeune fille catholiques : « Rien n'est plus beau qu'une jeune fille et une femme devenues des apôtres, des occasions de bien » (9 avril, 38, 157), restauratrices du foyer, de la famille, de la société (14 octobre, 142, 633), messagères de culture aussi (26 janvier, 9, 49).

A tous les apôtres de ce temps, il rappelle (27 septembre, 131, 578) que l'apostolat de la prière est la base de tout apostolat fécond et que la vie spirituelle constitue « le coeur même de l'apostolat chrétien » (3 avril, 36, 148).

Du haut de son observatoire incomparable, il entend les S.O.S. pressants du monde en détresse et recommande aux organisations d'Action catholique « les liaisons internationales plus organiques et un effort d'ensemble proportionné aux besoins de l'heure» (12 mars, 29, 123).

Aux curés et prédicateurs de Rome, il prêche l'amour mutuel, l'entraide, le travail en équipes, le dévouement apostolique (14 février, 18, 79). Aux prêtres, à l'occasion de la 6e Semaine d'adaptation pastorale (14 septembre, 123, ¡27) dans une magistrale leçon, il rappelle le devoir, l'importance et les lois de la prédication.

Le Congrès international de pastorale liturgique d'Assise (22 septembre, 126, ¡49) lui fournit l'occasion d'encourager le mouvement de renaissance liturgique et de compléter les enseignements et directives donnés précédemment par lui et qui ont bouleversé la vie du peuple chrétien.

Préoccupé de l'avenir du monde, il ne cesse de dénoncer les dangers de la civilisation matérialiste (26 janvier, 9, 49), d'une confiance excessive dans la science et la technique (4 mars, 25, 106), et d'une foi naïve en leur aptitude à remédier aux maux de l'humanité (p. 130-131), le péril enfin que court une société qui veut s'édifier hors les lois de Dieu et de la morale chrétienne (22 juillet, 102, 446).

Il exalte la grandeur de toutes les professions, de tous les métiers (17 février, 21, 93). Aux industriels (19 février, 22, 96) il adresse un véritable code de noble déontologie. Il déplore les préjugés dont sont victimes les bons commerçants, définit leur mission au service du bien commun et énumère les qualités professionnelles et morales qui doivent être les leurs (17 février, 20, 90).

Aux membres du Comité de coordination pour l'information publique de l'O.N.U., il déclare que « l'informateur digne de ce nom doit n'accabler personne, mais chercher à comprendre et à faire comprendre les échecs, même les fautes commises » (24 avril, 51, 209).

Les délégués des coopératives italiennes apprennent de lui avec fierté que leurs coopératives « maintiennent en éveil leur sens du bien commun, de leurs responsabilités sociales, et démontrent par leur activité les bénéfices de la collaboration intelligente et de son pouvoir stimulant » (jo mai, 62, 236 ; 25 mai, 23, 334).

Les docteurs et infirmières sont invités à se rappeler « sans cesse que le patient a une tâche à remplir dans la société humaine et que, celle-ci accomplie, il a à se rencontrer avec son Dieu (24 mai, 72, 332). Les portiers des hôtels à être présents, vigilants, serviables et courtois (26 mai, 74, 337). Les gens de maison s entendent appeler « âmes généreuses et si riches d'entraînement même dans votre modeste activité » et sont invités à transformer « en service de Dieu tout leur travail » (3 in™, 77, 337).

Des savants catholiques doivent être préparés pour rencontrer l'ennemi sur son propre terrain. Eclairés dans leur tâche par les splendeurs de la foi divine, ils démontreront, au-dessus de tout doute, que la Vérité est unique» (19 juillet, 101, 442).

Les maires d'Italie sont conviés à acquérir une solide formation technique et à « tenir les engagements . .. pris publiquement devant les électeurs » (22 juillet, 102, 446).

Les techniques nouvelles de la radio, de la télévision et du cinéma doivent « servir . . . a la diffusion de la vérité » (24 juillet, 104, 453).

L'objectif constant du distributeur de produits alimentaires ? : « Réduire les prix, garantir la qualité, multiplier les commodités de l'acheteur grâce au choix abondant des articles et à la facilité de les acquérir » (22 juin, 83, 380). Les membres du 14e Congrès international du lait et de ses dérivés sont encouragés dans leur service (28 septembre, 132, 582). Et aussi les fabricants de panneaux de fibres (2g septembre, 133, 586). Et encore les membres du contrôle des assurances privées (4 octobre, 135, 593)-

Il met en garde les cultivateurs propriétaires exploitants d'Italie contre les promesses démagogiques et leur recommande de se cultiver sur le plan professionnel, social et religieux (11 avril, 41, 165).

Des patrons et chefs d'entreprises chrétiens, il attend « un sens aigu de leurs devoirs et des qualités professionnelles éprouvées » (8 mars, 27, 112).

Les discours sur les questions médicales comptent peut-être parmi ceux qui ont provoqué le plus large écho dans l'opinion. Aux membres du y Congrès international des médecins catholiques (11 septembre, 121, 512), il enseigne que les droits de la personne humaine sont la source du droit médical et la règle d'agir du praticien. L'accouchement sans douleur (8 janvier, 2, 20), la fécondité et la stérilité involontaires (19 mai, 67, 311), la lèpre (16 avril, 76, 184), les maladies des artères coronaires (9 mai, 61, 249), la licéité de la transplantation de la cornée du corps humain mort sur un vivant et l'utilisation d'un cadavre comme objet d'étude (14 mai, 63, 238), les difficultés de recherches des cancérologues (19 août, ni, 475), la chimiothérapie, les antibiotiques et les hormones (6 octobre, 137, 598), l'histophysiologie (15 novembre, 163, 704) ; nul problème technique ne rebute sa compétence extraordinaire et tous les spécialistes s'avouent émerveillés de son information et de son savoir prodigieux.

En face d'Etats laïcs et totalitaires, le Saint-Père, avec autant de force que de tact et de respect de la mission propre de l'Etat, ne cesse de rappeler que la haute mission de l'Eglise « consiste à faire respecter l'ordre des valeurs, et la subordination des facteurs de progrès matériels aux éléments proprement spirituels » (4 mars, 23, 106). Soucieux de garder la pureté du message à lui confié, il rappelle que « l'Eglise ne s'identifie à aucune culture » parce qu'il y a une « indépendance radicale de la religion vis-à-vis de la culture » parce que « son divin fondateur, Jésus-Christ, ne lui a donné aucun mandat ni fixé aucune fin d'ordre culturel ». Mais soucieux de l'avenir de la civilisation, il ajoute que l'indépendance ne veut pas dire indifférence car « la culture qui se veut authentique, saine et durable, appelle d'elle-même une relation intime à la religion » (9 mars, 28, 113). « Le progrès de l'esprit — quand il est conforme à la vérité et à la bonté de Dieu — appelle celui de l'âme », et, dit-il encore, « le patient effort de Y éducateur et du maître fraye le chemin du pionnier de l'Evangile (3 mai, 36, 223).

Messager inlassable de la paix (PP 107, 143, 220, 227), de l'unité des hommes et du monde (PP 238, 336, 437), il encourage les efforts du mouvement international Pax Christi (30 juillet, 108, 464), il engage les jeunes à « une union fraternelle des jeunes catholiques dans le respect de l'attachement de chacun à sa patrie, à sa race, à sa culture » (4 décembre, 170, 734), et les membres de la Fédération internationale des hommes catholiques à se faire les promoteurs d'une paix conforme aux principes chrétiens (8 décembre, 171, 737).

Le 28 octobre, par trois lettres encycliques qui ont, en une heure critique de l'histoire, ému le monde entier, (28 octobre, 131, 666 ; 1er novembre, 139, 693 et 5 novembre, 161, 698), il s'associe aux souffrances de la Hongrie pour laquelle il demande une croisade universelle de prières (28 octobre, 131, 666) et par le radiomessage du 10 novembre (162, 700) il adresse un appel pressant aux gouvernements du monde entier afin que la paix soit sauvegardée.

Cet enseignement de Pie XII culmine en cette année 1956 en trois sommets.

L'encyclique Haurietis aquas redonne un nouvel élan, magistral et prégnant de richesses à exploiter, à la dévotion au Sacré-Coeur (15 mai, 65, 270-308).

Le message de Pâques recommande aux esprits troublés par l'évolution du monde, la foi agissante, la sérénité puisée dans la foi au Christ, la confiance dans les progrès déjà réalisés et supplie les hommes de s'arrêter « dans cette course à l'abîme » que pourrait être la course aux armes nucléaires (ier avril, 35, 142-147).

Le message de Noël, enfin, sur la dignité de la nature humaine et ses limites, montre avec courage les conséquences du péché dans la vie sociale, définit le vrai réalisme chrétien et proclame une fois de plus les fondements et les conditions de la paix (174, 749-769).

Père commun des fidèles et admiré de tous les hommes, Pie XII parle à notre monde inquiet et à notre époque tourmentée, comme nul autre pape avant lui ne l'a fait. A partir des réalités quotidiennes, des soucis professionnels des hommes, des problèmes qu'il ont à affronter, et appuyé sur une information et une compétence étonnantes en tous domaines, il élabore une véritable somme qui appelle au travail les théologiens et les chrétiens d'aujourd'hui et de demain.


S. DELACROIX

Professeur à l'Institut Catholique de Paris Directeur général de l'Union Apostolique



DISCOURS AU PÈLERINAGE DES OEUVRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

(5 janvier 1956) 1






Le jeudi 5 janvier, le Saint-Père a adressé au pèlerinage des OEuvres de la Compagnie de Jésus un discours en italien dont nous publions la traduction ci-dessous :

De toutes les régions d'Italie et, pour ainsi dire, comme manifestation complémentaire du centenaire ignatien que Nous avons Nous-même, en signe de bienveillance particulière, tenu à ouvrir par une de Nos Lettres 2, vous êtes venus à Rome, chers fils et filles, en représentants des diverses oeuvres dirigées par la Compagnie de Jésus, pour visiter pieusement ces lieux mêmes que le grand patriarche de Loyola sanctifia un jour par sa présence.



Fruits des oeuvres de la Compagnie.

Comme son grand coeur aurait exulté dans le Seigneur, en vous voyant si nombreux, enthousiastes et pieux et, surtout, en constatant combien a fructifié dans vos âmes le germe qu'il sema, dans une conception géniale, avec grandeur d'esprit et le plus juste zèle, et que, maintenant, ses fils affectueux cultivent avec amour.

1 D'après le texte italien de Discorsi e radiomessaggi, 17, traduction française de l'Osservatore Romano, du 20 janvier 1956.

2 Cf. Documents Pontificaux 1955, p. 266.




Dans les collèges de la Compagnie, vous avez modelé vos esprits dans la vertu et dans la science, en posant les fondements inébranlables de cette formation chrétienne, qui devrait ensuite vous conduire toujours sur le juste sentier : vous qui, dans le livre d'or des Exercices, jamais assez loué, trouvez toujours le guide sûr et l'élan irrésistible pour gravir le chemin de la perfection ; vous qui puisez aux sources inépuisables du Coeur divin l'inspiration continue pour votre prière et votre apostolat ; vous qui, dans les très chères Congrégations mariales, avez adopté une règle de vie, qui fait de vous des collaborateurs assidus de l'apostolat hiérarchique ; vous qui, dans les diverses publications, que soutient la Compagnie de Jésus, nourrissez vos connaissances d'une doctrine solide, bien orientée et en parfaite harmonie avec Nos enseignements et désirs ; vous qui, du zèle des âmes qui brûle chez les fils d'Ignace, avez tiré l'ardeur qui vous pousse à travailler sans trêve dans le champ des missions ; vous qui recevez des bienfaits quotidiens de la milice ignatienne au confessionnal, par la prédication et dans les innombrables oeuvres — à l'avantage aussi bien du clergé que du laïcat — où trouve à s'exprimer son inlassable élan pour la plus grande gloire de Dieu. Et, en plus de vous, combien d'âmes en Italie, en Europe, dans le monde ! Combien aujourd'hui et toujours !



Pèlerinages ignatiens à Rome.

Il était donc naturel, en cette année centenaire de la naissance au ciel du glorieux patriarche, que vous désiriez venir à Rome : en cette ville qui non seulement a l'honneur de conserver ses précieux restes mortels, mais qui aussi, pour de nombreuses raisons, se sent la mère d'un si illustre fils, inestimable don de l'Espagne catholique au centre de la chrétienté ; c'était comme un devoir pour vous de le commémorer en ces lieux où l'on a encore l'impression de le voir, avec sa petite taille, son air grave, modeste et digne, sa légère claudication, mais son visage toujours illuminé de la ferveur de la charité, ses yeux flamboyant de zèle pour les âmes et avec ce quelque chose, dans toute sa figure, qui rappelait le ciel et parlait de Dieu. C'est ainsi que vous avez visité la modeste chapelle de la Storta, lieu de très hautes communications divines ; vous avez traversé ces voies étroites et tortueuses de la Rome médiévale et de la Renaissance, aux coins desquelles il expliquait le catéchisme ; sous les simples voûtes de Sainte-Catherine dei Funari ou de Sainte-Marie de Montserrat, il vous a semblé entendre résonner encore sa parole apostolique et convaincante ; près de la Trinité des Monts et de l'antique Tour du Melangolo, vous avez foulé avec vénération et respect le sol où se trouva sa simple demeure et qui fut le théâtre de sa charité ; à Saint-Paul-hors-les-murs, vous avez vu apparaître encore, dans les faibles lueurs du matin, le petit groupe qui, devant l'antique mosaïque de la Mère de Dieu, émit la profession religieuse, avec beaucoup de dévotion et les larmes aux yeux ; à Sainte-Marie-Majeure, vous vous êtes prosternés devant la crèche de l'Enfant, qui fut témoin de la première messe qu'il célébra avec une joie indicible ; dans l'église du Gesù, en priant dans la chapelle consacrée à la suave image de Notre-Dame de la Strada, si chère au saint, vous avez évoqué la modeste maison des profès, via degli Astalli, d'où il gouverna l'Ordre jusqu'à sa mort ; dans les « camerette » il vous a semblé le voir encore priant, travaillant, écrivant, organisant, souffrant et mourant ; devant son splen-dide sépulcre, vous avez senti comme si cette sainte dépouille vibrait d'une affection paternelle et comme si d'elle s'élevait une voix qui vous rendait grâces pour votre pieuse présence.

Oui, chers fils, comme Vicaire de ce Christ qu'Ignace aima avec tant d'ardeur ; de ce Siège, au service inconditionné duquel il consacra sa vie et son oeuvre ; comme dépositaire de ce coeur et de cet esprit, qu'il mit ici-bas entièrement entre les mains du successeur de Pierre ; Nous vous souhaitons la plus affectueuse bienvenue ; Nous vous louons pour le fervent amour que vous professez envers le saint patriarche et ses dignes fils ; et Nous interprétons votre présence comme une promesse de fidélité à l'authentique esprit ignatien, tant de fois approuvé et loué par les Souverains Pontifes, comme une ferme résolution de profiter le plus possible des grâces que le Seigneur vous accorde dans les oeuvres auxquelles vous appartenez, et comme une manifestation de votre gratitude envers ceux qui les soutiennent et les dirigent.

Enfin, voyez un gage des plus abondantes faveurs célestes dans la Bénédiction apostolique que, de grand coeur, Nous donnons à vous, à vos familles, à tout ce que vous portez dans la pensée et dans le coeur et, principalement, à l'insigne Compagnie de Jésus, dont votre très pieux pèlerinage est le fruit et la preuve du zèle éclairé.


DISCOURS SUR L'ACCOUCHEMENT SANS DOULEUR (8 janvier 1956)



1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 82.



Le dimanche 8 janvier, le Saint-Père a adressé le discours suivant à un grand nombre de médecins spécialistes, pour la plupart professeurs de gynécologie et d'obstétrique dans différentes universités, directeurs d'écoles et de maternités, provenant de diverses provinces d'Italie, ainsi que d'Allemagne, Autriche, Belgique, Colombie, Egypte, Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Hollande, Irlande, Suisse, Tanger, Uruguay. Ils s'étaient rassemblés à l'invitation du Secrétariat international des Médecins catholiques, de l'Association des Médecins catholiques italiens et de l'Institut de Génétique « G. Mendel » de Rome.



Nous avons reçu des informations sur une acquisition nouvelle de la gynécologie et l'on Nous a prié de prendre position à cet égard au point de vue moral et religieux. Il s'agit de l'accouchement naturel, sans douleur, dans lequel on n'utilise aucun moyen artificiel, mais où l'on met uniquement en oeuvre les forces naturelles de la mère.



Rappel de déclarations antérieures.

Dans Notre allocution aux membres du quatrième congrès international des médecins catholiques, le 29 septembre 1949 2, Nous disions que le médecin se propose au moins d'adoucir les maux et les souffrances qui affligent les hommes. Nous évoquions alors le chirurgien, qui s'efforce dans les interventions nécessaires d'éviter au maximum la douleur ; le gynécologue, qui tente de diminuer les souffrances de la naissance, sans mettre en danger la mère ni l'enfant et sans nuire aux liens d'affection maternelle qui — affirme-t-on — se nouent d'habitude à ce moment. Cette dernière remarque se référait à un procédé utilisé à l'époque dans la maternité d'une grande ville moderne : pour lui éviter de souffrir, on avait plongé la mère dans une hypnose profonde, mais on constata que ce procédé entraînait une indifférence affective à l'égard de l'enfant. D'aucuns cependant estiment pouvoir expliquer autrement ce fait.

2 Discorsi e Radiomessaggi, vol. XI, pp. 221-234 ; Documents Pontificaux 194g, p. 407.


Instruit par cette expérience, on eut soin par la suite d'éveiller la mère plusieurs fois pour quelques moments au cours du travail ; on réussit de la sorte à éviter ce que l'on craignait. Une constatation analogue put être faite lors d'une narcose prolongée.

La nouvelle méthode, dont Nous voulons parler à présent, ne connaît pas ce danger ; elle laisse à la parturiente sa pleine conscience, du début à la fin, et le plein usage de ses forces psychiques (intelligence, volonté, affectivité) ; elle ne supprime, ou, selon d'autres, ne diminue que la douleur.

Quelle position faut-il adopter à son égard au point de vue moral et religieux ?


I. ESQUISSE DE LA NOUVELLE METHODE

i. SES RAPPORTS AVEC L'EXPERIENCE DU PASSE

D'abord l'accouchement indolore considéré comme fait courant tranche nettement sur l'expérience humaine commune, celle d'aujourd'hui, mais aussi celle du passé et des temps les plus reculés.

Les recherches les plus récentes indiquent que quelques mères mettent au monde sans ressentir aucune douleur, bien qu'on n'ait utilisé aucun analgésique ou anesthésique. Elles montrent aussi que le degré d'intensité des souffrances est moindre chez les peuples primitifs que chez les civilisés ; s'il est moyen en beaucoup de cas, il reste élevé pour la plupart des mères, et même il n'est pas rare qu'il soit insupportable. Telles sont les observations actuelles.

Il faut dire la même chose des âges passés, pour autant que les sources historiques permettent de contrôler le fait. Les douleurs des femmes en travail étaient proverbiales ; on s'y référait pour exprimer une souffrance très vive et angoissante, et la littérature profane aussi bien que religieuse en fournit les preuves. Cette façon de parler est courante, en effet, même dans les textes bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament, surtout dans les écrits des prophètes. Nous en citerons ici quelques exemples : Isaïe compare son peuple avec la femme qui, au moment de la naissance, souffre et crie (Is 26,17) ; Jérémie qui regarde en face l'approche du jugement de Dieu, dit : « J'entends des cris comme ceux d'une femme en travail ; des cris d'angoisse, comme ceux d'une femme qui enfante pour la première fois » (Jr 4,31). Le soir qui précède sa mort, le Seigneur compare la situation de ses Apôtres à celle de la naissance : « Une mère qui enfante est dans les douleurs, parce que son heure est venue. Mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus de sa tribulation, parce qu'elle se réjouit qu'un homme soit venu au monde » (Jn 16,21).

Tout ceci permet d'affirmer, comme un fait reçu parmi les hommes de jadis et d'aujourd'hui, que la mère enfante dans la douleur. C'est à quoi s'oppose la nouvelle méthode.


2. LA NOUVELLE METHODE CONSIDEREE EN ELLE-MEME

a) Considérations générales préliminaires faites par ses tenants

Deux considérations générales, faites par ses tenants, guident et orientent celui qui veut esquisser ses traits principaux ; la première concerne la différence entre l'activité indolore et l'activité douloureuse des organes et des membres ; l'autre, l'origine de la douleur et son lien avec la fonction organique.

Les fonctions de l'organisme, affirme-t-on, lorsqu'elles sont normales et accomplies comme il faut, ne s'accompagnent pas de sensations douloureuses ; celles-ci dénotent la présence de quelque complication ; sinon la nature se contredirait elle-même, car elle associe la douleur à tel processus de défense et de protection contre ce qui lui serait nuisible. La naissance normale est une fonction naturelle et devrait par conséquent se passer sans douleurs. D'où celle-ci provient-elle donc ?

La sensation de douleur, répond-on, est déclenchée et réglée par l'écorce cérébrale, où parviennent les excitations et les signaux de tout l'organisme. L'organe central réagit sur eux de manières très différentes ; certaines de ces réactions (ou réflexes) reçoivent de la nature un caractère précis et sont associées par elle à des processus déterminés (réflexes absolus) ; pour d'autres, par contre, là nature n'a fixé ni leur caractère ni leurs connexions, mais elles sont déterminées par ailleurs (réflexes conditionnés).

Les sensations de douleur sont au nombre des réflexes (absolus ou conditionnés) provenant de l'écorce cérébrale. L'expérience a prouvé qu'il est possible, grâce à des associations établies arbitrairement, de provoquer des sensations de douleur, même quand l'excitation qui les déclenche en est par elle-même totalement incapable.

Dans les relations humaines, ces réflexes conditionnés ont comme agent des plus efficaces et des plus fréquents, le langage, la parole prononcée ou écrite, ou si l'on veut, l'opinion qui règne dans un milieu et que tout le monde partage et exprime par le langage.



b) Eléments de la nouvelle méthode

On comprend par là l'origine des sensations douloureuses vives ressenties à la naissance : elles sont considérées par certains auteurs comme dues à des réflexes conditionnés contrariants déclenchés par des complexes idéologiques et affectifs erronés.

Les disciples du Russe Pavlov (physiologistes, psychologues, gynécologues), mettant à profit les recherches de leur maître sur les réflexes conditionnés, présentent en substance la question comme suit :



son fondement

L'accouchement n'a pas toujours été douloureux, mais il l'est devenu au cours des temps à cause des « réflexes conditionnés ». Ceux-ci ont pu avoir leur origine dans un premier accouchement douloureux ; peut-être l'hérédité y joue-t-elle aussi un rôle, mais ce ne sont là que des facteurs secondaires. Le motif principal en est le langage et l'opinion du milieu qu'il manifeste : la naissance, dit-on, est « l'heure difficile de la mère », elle est une torture imposée par la nature, qui livre la mère sans défense à des souffrances insupportables. Cette association, créée par le milieu, provoque la crainte de la naissance et la crainte des douleurs terribles qui l'accompagnent. Ainsi, quand les contractions musculaires de l'utérus se font sentir au début de l'accouchement, surgit la réaction de défense de la douleur ; cette douleur provoque une crampe musculaire et celle-ci, à son tour, un accroissement des douleurs. Les douleurs sont donc réelles, mais elles découlent d'une cause faussement interprétée. A la naissance ce qui est un fait, ce sont les contractions normales de l'utérus et les sensations organiques qui l'accompagnent ; mais ces sensations ne sont pas interprétées par les organes centraux pour ce qu'elles sont : de simples fonctions naturelles ; en vertu des réflexes conditionnés, et en particulier de la « crainte » extrême, elles dérivent vers le domaine des sensations douloureuses.



son but

Telle serait la genèse des douleurs puerpérales.

On voit par là quels seront le but et la tâche de l'obstétrique indolore. Appliquant les connaissances scientifiques acquises, elle doit d'abord dissocier les sensations normales des contractions de l'utérus et les réactions de douleur de l'écorce cérébrale. De cette manière on supprime les réflexes négatifs.



son application pratique

Quant à l'application pratique, elle consiste à donner d'abord aux mères (longtemps avant l'époque de la naissance) un enseignement approfondi, adapté à leurs capacités intellectuelles, sur les processus naturels qui se déroulent en elles pendant la grossesse, et en particulier pendant l'accouchement. Ces processus naturels, elles les connaissaient déjà en quelque sorte, mais le plus souvent sans en percevoir clairement l'enchaînement. Aussi beaucoup de choses restaient-elles encore enveloppées d'une obscurité mystérieuse et prêtaient même à de fausses interprétations. Les réflexes conditionnés caractéristiques acquéraient aussi une force d'action considérable, tandis que l'angoisse et la crainte y trouvaient un aliment constant. Tous ces éléments négatifs seraient éliminés par l'enseignement susdit.

En même temps on adresse à la volonté et au sentiment de la mère un appel répété pour ne pas laisser surgir des sentiments de crainte non-fondés et qu'on leur a montrés tels ; il faut aussi rejeter une impression de douleur, qui tendrait peut-être à se manifester, mais qui, en tout cas, n'est pas justifiée et ne repose, comme on le leur a enseigné, que sur une fausse interprétation des sensations organiques naturelles de l'utérus qui se contracte. Les mères sont surtout amenées à estimer la grandeur naturelle et la dignité de ce qu'elles accomplissent à l'heure de la parturition. On leur donne aussi des explications techniques détaillées sur ce qu'il importe de faire pour assurer le bon déroulement de la naissance ; on leur apprend par exemple comment actionner exactement la musculature, comment bien respirer. Cet enseignement prend surtout la forme d'exercices pratiques pour que la technique leur soit devenue familière au moment de la naissance. Il s'agit donc de guider les mères et de les mettre en état de ne pas subir l'accouchement de façon purement passive comme un processus fatal, mais d'adopter une attitude active, de l'influencer par l'intelligence, la volonté, l'affectivité, de la mener à terme dans le sens voulu par la nature et avec elle.

Pendant la durée du travail, la mère n'est pas laissée à elle-même ; elle profite de l'assistance et du contrôle permanent d'un personnel formé selon les nouvelles techniques et qui lui rappelle ce qu'elle a appris, lui indique au moment voulu ce qu'elle doit faire, éviter, modifier et qui, éventuellement, redresse tout de suite ses erreurs, et l'aide à corriger les anomalies qui se présenteraient.

Telle est pour l'essentiel, selon les chercheurs russes, la théorie et la pratique de l'accouchement sans douleur. De son côté, l'Anglais Grantly Dick Read a mis au point une théorie et une technique analogue sur un certain nombre de points ; dans ses présupposés philosophiques et métaphysiques toutefois, il s'en écarte substantiellement, car il ne s'appuie pas comme eux sur la conception matérialiste.



extension et succès

En ce qui concerne l'extension et le succès de la nouvelle méthode (appelée méthode psycho-prophylactique), on prétend qu'en Russie et en Chine elle a déjà été utilisée pour des centaines de milliers de cas. Elle s'est implantée aussi en divers pays de l'Occident ; plusieurs maternités municipales auraient mis à sa disposition des sections particulières. Les maternités organisées exclusivement selon ces principes seraient jusqu'à présent peu nombreuses en Occident ; la France, entre autres, en a une (communiste) à Paris ; en France également deux institutions catholiques, à Jallieu et Cambrai, ont adopté complètement la méthode dans leurs services, sans sacrifier ce qui avait fait ses preuves antérieurement.

Quant au succès, on affirme qu'il est très important : 85% à ç>o°/o des naissances survenues de la sorte auraient été réellement indolores.



II. APPRECIATION DE LA NOUVELLE METHODE

1. APPRECIATION SCIENTIFIQUE



Après avoir ainsi tracé l'esquisse de cette méthode, Nous passons à son appréciation. Dans la documentation qui Nous a été remise, on trouve cette note caractéristique : « Pour le personnel, la première exigence indispensable, c'est la foi inconditionnée à la méthode. » Peut-on sur la base de résultats scientifiques assurés exiger une foi absolue de ce genre ?

La méthode contient sans doute des éléments, qu'il faut considérer comme scientifiquement établis ; d'autres n'ont qu'une haute probabilité ; d'autres restent encore (au moins pour le moment) de nature problématique. Il est établi scientifiquement qu'il existe des réflexes conditionnés en général ; que des représentations déterminées ou des états affectifs peuvent être associés à certains événements, et que le cas peut se vérifier aussi pour les sensations de douleur. Mais qu'il soit déjà prouvé (ou du moins, qu'il puisse être prouvé par là) que les douleurs de la délivrance sont dues uniquement à cette cause, ce n'est pas évident pour tous à l'heure actuelle. Des juges sérieux formulent aussi des réserves au sujet de l'axiome affirmé quasi a priori ; « tous les actes physiologiques normaux, et donc aussi la naissance normale, doivent se passer sans douleur, sinon la nature se contredirait elle-même ». Ils n'admettent pas qu'il soit universellement valable sans exception, ni que la nature se contredirait, si elle avait fait de la parturition un acte intensément douloureux. En effet, disent-ils, il serait parfaitement compréhensible, physiologiquement et psychologiquement, que la nature, soucieuse de la mère qui engendre et de l'enfant engendré, fasse par là prendre conscience d'une manière inéluctable de l'importance de cet acte et veuille forcer à prendre les mesures requises pour la mère et pour l'enfant.

La vérification scientifique de ces deux axiomes, que les uns prétendent certains et les autres discutables, laissons-la aux spécialistes compétents ; mais il faut, pour décider du vrai et du faux, retenir le critère objectif décisif : « Le caractère scientifique et la valeur d'une découverte doivent s'apprécier exclusivement d'après son accord avec la réalité objective. » Il importe de ne pas négliger ici la distinction entre « vérité » et « affirmation » (« interprétation », « subsomption », « systématisation ») de la vérité. Si la nature a rendu l'accouchement indolore dans la réalité des faits, s'il est devenu douloureux par la suite à cause des réflexes conditionnés, s'il peut redevenir indolore, si tout cela n'est pas seulement affirmé, interprété, construit systématiquement, mais démontré réel, il s'ensuit que les résultats scientifiques sont vrais. S'il n'est pas, ou du moins pas encore possible d'obtenir à cet égard une certitude entière, il faut s'abstenir de toute affirmation absolue et considérer les conclusions obtenues comme des « hypothèses » scientifiques.

Mais, renonçant pour l'instant à porter un jugement définitif sur le degré de certitude scientifique de la méthode psychoprophylactique, Nous allons l'examiner au point de vue moral.



2. APPRECIATION ETHIQUE

Cette méthode est-elle moralement irréprochable ? La réponse, qui doit en considérer l'objet, le but et le motif, s'énonce brièvement : « Prise en soi, elle ne contient rien de critiquable au point de vue moral. »

L'enseignement donné sur le travail de la nature dans l'accouchement ; la correction de l'interprétation fausse des sensations organiques et l'invitation à la corriger ; l'influence exercée pour écarter l'angoisse et la crainte non fondées ; l'aide accordée pour que la parturiente collabore opportunément avec la nature, garde son calme et sa maîtrise ; une conscience accrue de la grandeur de la maternité en général, et en particulier de l'heure où la mère met l'enfant au monde ; tout cela ce sont des valeurs positives, auxquelles il n'y a rien à reprocher, des bienfaits pour la parturiente, et ils sont pleinement conformes à la volonté du Créateur. Ainsi vue et comprise, la méthode est une ascèse naturelle, qui garde la mère de la superficialité et de la légèreté ; elle influence positivement sa personnalité pour qu'à l'heure si importante de l'enfantement, elle manifeste la fermeté et la solidité de son caractère. Sous d'autres aspects encore, la méthode peut conduire à des succès moraux positifs. Si on réussit à éliminer les douleurs et la crainte de la naissance, on diminue souvent par là-même une incitation à commettre des actions immorales dans l'utilisation des droits du mariage.

En ce qui concerne les motifs et le but des secours accordés à la parturiente, l'action matérielle, comme telle, ne comporte aucune justification morale, ni positive ni négative ; elle est l'affaire de celui qui prête son aide. Elle peut et doit s'accomplir pour des motifs et en vue d'un but irréprochable, tel que l'intérêt présenté par un fait purement scientifique ; le sentiment naturel et noble qui fait estimer et aimer dans la mère la personne humaine, qui veut lui faire du bien et l'assister ; une disposition profondément religieuse et chrétienne, qui s'inspire des idéaux du christianisme vivant. Mais il peut arriver que l'assistance recherche un but et obéisse à des motifs immoraux ; en ce cas, c'est l'activité personnelle de celui qui prête son aide qui en subit le préjudice ; le motif immoral ne transforme pas l'assistance bonne en une chose mauvaise, du moins en ce qui concerne sa structure objective et, inversement, une assistance bonne en soi ne peut pas justifier un motif mauvais ou fournir la preuve de sa bonté.



3. APPRECIATION THEOLOGIQUE

Il reste à dire un mot d'appréciation théologique et religieuse, pour autant qu'on la distingue de la valeur morale au sens strict. La nouvelle méthode est souvent présentée dans le contexte d'une philosophie et d'une culture matérialistes et en opposition avec l'Ecriture Sainte et le christianisme.

L'idéologie d'un chercheur et d'un savant n'est pas en soi une preuve de la vérité et de la valeur de ce qu'il a trouvé et exposé. Le théorème de Pythagore ou, (pour rester dans le domaine de la médecine), les observations d'Hippocrate qu'on a reconnues exactes, les découvertes de Pasteur, les lois de l'hérédité de Mendel, ne doivent pas la vérité de leur contenu aux idées morales et religieuses de leurs auteurs. Elles ne sont ni « païennes », parce que Pythagore et Hippocrate étaient païens, ni chrétiennes, parce que Pasteur et Mendel étaient chrétiens. Ces acquisitions scientifiques sont vraies, parce que et dans la mesure où elles répondent à la réalité objective.

Même un chercheur matérialiste peut faire une découverte scientifique réelle et valable ; mais cet apport ne constitue en aucune manière un argument pour ses idées matérialistes.

Le même raisonnement vaut pour la culture à laquelle un savant appartient. Ses découvertes ne sont pas vraies ou fausses selon qu'il est issu de telle ou telle culture, dont il a reçu l'inspiration et qui l'a marqué profondément.

Les lois, la théorie et la technique de l'accouchement naturel, sans douleur, sont valables sans doute, mais furent élaborées par des savants qui, en bonne partie, professent une idéologie, appartiennent à une culture matérialiste ; celles-ci ne sont pas vraies, parce que les résultats scientifiques précités le sont. Il est encore beaucoup moins exact que les résultats scientifiques sont vrais et démontrés tels, parce que leurs auteurs et les cultures d'où ils proviennent ont une orientation matérialiste. Les critères de la vérité sont ailleurs.

Le chrétien convaincu ne trouve rien dans ses idées philosophiques et sa culture qui l'empêche de s'occuper sérieusement, en théorie et en pratique, de la méthode psycho-prophylactique ; il sait en règle générale que la réalité et la vérité ne sont pas identiques à leur interprétation, subsomption ou systématisation et que, par conséquent, il peut en même temps accepter entièrement l'un et rejeter entièrement l'autre.



4. LA NOUVELLE METHODE ET L'ECRITURE SAINTE

Une critique de la nouvelle méthode au point de vue théologique doit en particulier rendre compte de l'Ecriture Sainte, car la propagande matérialiste prétend trouver une contradiction éclatante entre la vérité de la science et celle de l'Ecriture. Dans la Genèse (Gn 3,16) on lit : In dolores paries filios (« Tu enfanteras dans la douleur »). Pour bien comprendre cette parole, il faut considérer la condamnation portée par Dieu dans l'ensemble de son contexte. En infligeant cette punition aux premiers parents et à leur descendance, Dieu ne voulait pas défendre et n'a pas défendu aux hommes de rechercher et d'utiliser toutes les richesses de la création ; de faire avancer pas à pas la culture ; de rendre la vie de ce monde plus supportable et plus belle ; d'alléger le travail et la fatigue, la douleur, la maladie et la mort, bref de se soumettre la terre (Gen. I, 28).

De même, en punissant Eve, Dieu n'a pas voulu défendre et n'a pas défendu aux mères d'utiliser les moyens qui rendent l'accouchement plus facile et moins douloureux. Aux paroles de l'Ecriture, il ne faut pas chercher d'échappatoire : elles restent vraies dans le sens entendu et exprimé par le Créateur : la maternité donnera beaucoup à supporter à la mère. De quelle manière précise Dieu a-t-il conçu ce châtiment et comment l'exécutera-t-il ? L'Ecriture ne le dit pas. Certains prétendent que l'enfantement fut, aux origines, entièrement indolore et ne devint douloureux que plus tard, (peut-être à la suite d'une interprétation erronée du jugement de Dieu), par le jeu de l'auto et de l'hétérosuggestion, des associations arbitraires, des réflexes conditionnés et à cause des comportements fautifs des parturientes ; jusqu'ici, toutefois, ces affirmations dans leur ensemble n'ont pas été prouvées. D'autre part, il peut être vrai qu'un comportement incorrect, psychique ou physique, des parturientes soit susceptible d'accroître fortement les difficultés de la naissance et les ait accrues en réalité.



Considérations finales sur l'obstétrique chrétienne.

En guise de conclusion, ajoutons quelques remarques sur l'obstétrique chrétienne.

La charité chrétienne s'est depuis toujours occupée des mères à l'heure de l'accouchement ; elle s'est efforcée et s'efforce aujourd'hui encore de leur procurer une assistance efficace, psychique et physique, selon l'état d'avancement de la science et de la technique. Ce peut être le cas à présent pour les nouvelles acquisitions de la méthode psycho-prophylactique dans la mesure où elles rencontrent l'approbation des savants sérieux. L'obstétrique chrétienne peut ici intégrer dans ses principes et ses méthodes tout ce qui est correct et justifié.

Toutefois, qu'elle ne s'en contente pas pour les personnes susceptibles de recevoir davantage, et qu'elle n'abandonne rien des valeurs religieuses qu'elle mettait à profit jusqu'à présent. Dans Notre allocution au Congrès de l'Association italienne des sages-femmes catholiques, le 29 octobre 19513, Nous avons parlé en détail de l'apostolat, dont les sages-femmes catholiques sont capables et qu'elles sont appelées à pratiquer dans leur profession ; entre autres, Nous mentionnions l'apostolat personnel, c'est-à-dire celui qu'elles exercent par le moyen de leur science et de leur art et par la solidité de leur foi chrétienne ; puis l'apostolat de la maternité en s'efforçant de rappeler aux mères sa dignité, son sérieux et sa grandeur. Ici s'applique ce que Nous avons dit aujourd'hui, puisqu'elles assistent la mère à l'heure de la naissance. La mère chrétienne puise dans sa foi et sa vie de grâce la lumière et la force pour mettre en Dieu une pleine confiance, se sentir sous la protection de la Providence et aussi pour accepter volontiers ce que Dieu lui donne à supporter ; il serait donc dommage que l'obstétrique chrétienne se borne à lui rendre des services d'ordre purement naturel, psycho-prophylactiques.

Deux points méritent d'être soulignés : le christianisme n'interprète pas la souffrance et la croix de façon purement négative. Si la nouvelle technique lui épargne les souffrances de l'accouchement ou les adoucit, la mère peut l'accepter sans aucun scrupule de conscience ; mais elle n'y est pas obligée. En cas d'un succès partiel ou d'échec, elle sait que la souffrance peut devenir une source de bien, si on la supporte avec Dieu et par obéissance à sa volonté. La vie et la souffrance du Seigneur, les douleurs que tant de grands hommes ont supportées et même cherchées, grâce auxquelles ils ont mûri, grandi jusqu'aux sommets de l'héroïsme chrétien, les exemples quotidiens d'acceptation résignée de la croix, que Nous avons sous les yeux, tout cela révèle la signification de la souffrance, de l'acceptation patiente de la douleur dans l'économie actuelle du salut, pendant le temps de cette vie terrestre.

3 Discorsi e Radiomessaggi, vol. XIII, pp. 333-353 ; Documents Pontificaux 1951, p. 470.




Une deuxième remarque. La pensée et la vie chrétiennes, et donc l'obstétrique chrétienne, n'attribuent pas une valeur absolue aux progrès de la science et aux raffinements de la technique. Par contre une pensée et une conception de vie d'inspiration matérialiste trouvent cette position naturelle : elle leur sert de religion ou de succédané de la religion. Bien qu'il applaudisse aux nouvelles découvertes scientifiques et les utilise, le chrétien rejette toute apothéose matérialiste de la science et de la culture.

Il sait que celles-ci occupent une place sur l'échelle objective des valeurs, mais que sans être la dernière, ce n'est pas non plus la première. Même à leur égard, il répète aujourd'hui, comme jadis et comme toujours : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6,33). La plus haute, l'ultime valeur de l'homme, elle se trouve, non dans sa science et ses capacités techniques, mais dans l'amour de Dieu et le dévouement à son service. Pour ces raisons, mis en face de la découverte scientifique de l'accouchement sans douleur, le chrétien se garde de l'admirer sans retenue et de l'utiliser avec un empressement exagéré ; il la juge d'une façon positive et réfléchie, à la lumière de la saine raison naturelle, et à celle, plus vive, de la foi et de l'amour, qui émane de Dieu et de la croix du Christ.





Pie XII 1956