Pie XII 1957 - DANS LES MISSIONS D'ASIE ET D'AFRIQUE


CONCLUSION

Il y a toujours eu dans l'Eglise du Christ un apostolat des laïcs. Des saints, comme l'empereur Henri II, Etienne, le créateur de la Hongrie catholique, Louis IX de France, étaient des apôtres laïcs, bien que, au début, on n'en ait pas été conscient et que le terme d'apôtre laïc n'existât pas encore à l'époque. Des femmes aussi, comme sainte Pulchérie, soeur de l'empereur Théodose II, ou Mary Ward, étaient des apôtres laïques.

Si aujourd'hui cette conscience est éveillée et si le terme d'apostolat laïc est l'un des plus employés, quand on parle de l'activité de l'Eglise, c'est parce que la collaboration des laïcs avec la hiérarchie ne fut jamais à ce point nécessaire, ni pratiquée de manière aussi systématique.

Cette collaboration se traduit en mille formes diverses, depuis le sacrifice silencieux offert pour le salut des âmes, jusqu'à la bonne parole et à l'exemple, qui force l'estime des ennemis de l'Eglise eux-mêmes, jusqu'à la coopération dans les activités propres de la hiérarchie, communicables aux simples fidèles, et jusqu'aux audaces que l'on paie de sa vie, mais que Dieu seul connaît et qui n'entrent dans aucune statistique. Peut-être cet apostolat laïc caché est-il le plus précieux et le plus fécond de tous.

L'apostolat laïc a, comme tout autre apostolat d'ailleurs, deux fonctions : celle de conserver et celle de conquérir, qui toutes deux s'imposent d'urgence à l'Eglise actuelle. Et, pour le dire bien clairement, l'Eglise du Christ ne songe pas à abandonner sans lutte le terrain à son ennemi déclaré, le communisme athée. Ce combat sera poursuivi jusqu'au bout, mais avec les armes du Christ !

Mettez-vous à l'oeuvre avec une foi plus forte encore que celle de saint Pierre, lorsqu'à l'appel de Jésus il quitta sa barque et marcha sur les flots pour aller à la rencontre de son Seigneur (Mt 14,30-31).

Durant ces années si agitées, Marie, la Reine glorieuse et puissante du ciel, a fait sentir dans les plus diverses régions de la terre, son assistance de manière tellement tangible et merveilleuse, que Nous lui recommandons avec une confiance illimitée toutes les formes de l'apostolat laïc.

En gage de la force et de l'amour de Jésus-Christ, qui se répandent aussi dans l'apostolat laïc, Nous accordons aux Emi-nentissimes Cardinaux ici présents, à Nos Vénérables Frères dans l'épiscopat, aux prêtres qui participent à votre Congrès et à vous tous, hommes et femmes de l'apostolat laïc, à tous ceux qui sont venus ici et à ceux qui travaillent dans le monde entier, Notre paternelle Bénédiction apostolique.






DISCOURS A UN PÈLERINAGE DU CENTRE DES VOLONTAIRES DE LA SOUFFRANCE

(7 octobre 1.957)1






Le 7 octobre, 5,000 malades appartenant au Centre des volontaires de la souffrance étaient réunis dans la cour du Belvédère de la Cité du Vatican. Le Saint-Père leur adressa un discours en italien dont voici la traduction :

Devant cette multitude de malades, multitudo magna languentium (Jn 5,3), qui s'offre à Notre regard, Nous éprouvons le vif regret de ne pouvoir Nous trouver plus intimement au milieu de vous, chers fils et chères filles. C'est-à-dire que Nous voudrions écouter chacun de vous, essuyer chacune de vos larmes, participer à vos anxiétés et à vos douleurs, rasséréner votre esprit, en posant sur votre tête Notre main paternelle bénissante.

Nous sommes heureux toutefois que les ondes de la radio vaticane donnent la possibilité à Notre voix de pénétrer dans chaque maison, de passer à travers les salles des hôpitaux, de s'arrêter à côté de chaque lit, où les patients souffrent et gémissent : peut-être déconcertés par le caractère inexplicable de leur mal ou inquiets parce qu'il leur semble que ne leur sont pas assurés tous les soins nécessaires et utiles ; ou bien las de l'attente d'une amélioration qui tarde à venir ; peut-être aussi — à Dieu ne plaise — désespérés parce qu'ils ont cru comprendre que la science a désormais pour ainsi dire renoncé à leur égard à toute tentative de secours, en ne donnant plus de conseils, en ne suggérant plus de remèdes. Nous adressons Notre parole à vous tous, Nous vous présentons Notre salut affectueux. Et pour contribuer à vous réconforter, à vous soutenir dans vos peines, Nous vous invitons à une brève méditation, en premier lieu sur ce qui en vous est l'apparence, et ensuite sur ce qui, au contraire, est la consolante réalité.

Humainement parlant, le malade est profondément seul. Sa vie est considérée comme inutile, souvent même comme nuisible à la société.

1. — Le monde s'attarde sur votre apparence avec son regard myope et, par conséquent, superficiel et nécessairement incomplet.

a) Aux yeux du monde, vous apparaissez avant tout comme seuls. Etrangers à la fête de la nature, peut-être à peine quelque rayon de soleil pénètre-t-il dans votre chambrette. Vous demeurez ainsi comme absents de tout ce qui brille dans l'air, qui frémit et exulte dans les campagnes.

La clarté de l'aube, la splendeur des midis brûlants, l'enchantement des sereins couchers de soleil : tout vous apparaît lointain. Lointain le monde complexe et merveilleux de l'art avec ses fantaisies et ses intuitions géniales ; seulement quelque image ou quelque écho de celui-ci parvient jusqu'à vous. Egalement dans le monde du travail, on agit, on produit, on lutte sans vous : vous assistez en effet de loin ou en demeurant des spectateurs passifs au progrès continu de la domination des hommes sur la terre. Alors qu'ils engagent toutes leurs énergies physiques et emploient leurs facultés intellectuelles, en risquant parfois leurs biens et même leur vie, vous demeurez en dehors de l'immense épreuve. Vous êtes seuls dans une pièce, immobiles sur un lit, les bras inertes et l'esprit incapable d'une longue et sérieuse application. Le monde de l'affection semble lui aussi fermé à la plupart d'entre vous ; non seulement l'amour qui est lié à la légitime activité des sources de la vie données par Dieu à toutes les créatures humaines, mais l'amour fraternel lui-même, l'amour de ceux qui sont unis à vous par les liens du sang. Le cas n'est pas rare en effet de ceux que l'on voit confiés à des mains étrangères, spécialement si la maladie est trop longue et si les secours de la science apparaissent incapables de changer le cours du mal. Alors souvent les visites se font plus rares ou se réduisent à de simples actes de pitié.

b) Mais il y a quelque chose de plus pénible pour vous : vous semblez seuls et vous êtes affligés d'apparaître inutiles.



En effet, dans le monde, comme en une immense machine, tout, même la plus petite partie, sert au fonctionnement général. Voyez le travail incessant des racines dans les entrailles de la terre ; voyez les eaux qui descendent du ciel et des montagnes comme des artères vitales apportant la fécondité aux champs ; voyez la vie et l'activité des animaux : un enchevêtrement de fonctions diverses et complexes, mais tendant toutes finalement au bien de l'humanité entière. Voyez cette même humanité travailler comme dans un gigantesque chantier, où personne n'est inutile : du savant au prêtre, du forgeron à la mère de famille, de l'institutrice à l'ouvrier. Dans cette forge qu'est le monde, où beaucoup sont nécessaires et tous sont ou peuvent être en quelque manière utiles, vous semblez inutiles parce que vous êtes malades. Si vous aviez aussi le soupçon de ne pas être seulement seuls et inaptes, mais, encore gênants et même nuisibles pour votre famille et pour la société ; s'il vous semblait être un obstacle aux élans de la jeunesse et à sa joie de vivre ; si l'on vous faisait comprendre qu'il y a un grand arrêt, à cause de vous, dans ce qui constituait l'activité de ceux qui sont contraints à vous assister le jour et à veiller sur vous la nuit ; si tout cela arrivait, une tristesse désolée et désolante naîtrait dans votre coeur. Et de vos lèvres jaillirait un gémissement, une plainte : l'humanité nous supporte à peine. Nous sommes seuls, nous ne servons à rien, nous empêchons les autres de travailler et de produire.



Mais dans la réalité surnaturelle, le malade qui accepte la volonté de Dieu devient la demeure de Jésus. Sa souffrance se transforme en une valeur authentique et précieuse.

2. — Et cependant, vraiment, votre réalité est tout autre et le regard pénétrant de Jésus se pose sur elle.

a) Vous n'êtes pas seuls. En effet, en vous peut être présent, vivant et agissant Jésus lui-même, qui s'engagea à habiter, comme en sa propre demeure, dans toute âme qui observe sa parole (Jn 14,23). Faites donc la volonté de Dieu, chers fils et filles. Qui peut plus que vous l'accomplir entièrement et avec la plus grande simplicité ? On ne vous demande pas, en effet, d'agir ; on vous demande d'accepter : toujours avec sérénité, joyeusement si c'est possible. C'est dans cette acceptation de votre état qu'est l'accomplissement de la volonté de

Dieu en vous. Alors le fruit promis est déjà assuré : Jésus est avec vous, Jésus est en vous. Même si vous étiez laissés seuls par tous, même si dans la nuit vous ne pouviez dormir et craigniez de troubler le repos des autres, Jésus est près de vous. Apprenez à écouter sa voix, d'autant plus perceptible que le silence est plus grand. Apprenez à parler avec Lui. Vous apprécierez et verrez combien le Seigneur est bon : Gustate et videte, quam bonus sit Dominus (Ps 33, g). Et vous vous apercevrez de plus en plus que vous êtes de mystérieux mais vivants tabernacles de Jésus ; peu à peu les battements de votre coeur se confondront avec les battements de Son coeur. Et déjà sur la terre — dans la solitude apparemment désolée de votre petite chambre — vous connaîtrez en quelque sorte à l'avance la joie du ciel.

b) Vous n'êtes pas inutiles. A côté de la matière, il y a le monde de l'esprit ; dans les corps des hommes, il y a leurs âmes, formes substantielles des corps, et par l'effet de l'amour de Dieu, elles participent à sa vie même. Qui pourrait dire les mystérieuses relations entre les âmes ? Qui pénétrera entièrement le mystère ineffable de la communion des saints ? Vous ne pouvez guère parler ; et cependant quel apostolat vous exercerez et quels fruits de salut et de sanctification vous ferez naître et mûrir dans les âmes d'autrui, par votre exemple ! Celui qui vient vous visiter n'écoutera que quelques paroles de vous, mais il verra ; il verra votre effort tenace pour rester soumis à la volonté de Dieu ; il verra votre sérénité et votre paix, et il se rendra compte qu'elles sont des eaux jaillies des sources du Sauveur Jésus. Il verra le sourire sur vos lèvres : sourire conscient et continu. Et les larmes inévitables qui couleront de vos yeux sembleront des perles ; elles sembleront une rosée qui tombe sur le désert du monde et le fait fleurir.

Et que dire de votre souffrance ? Jésus, venu au monde pour racheter les hommes — c'est-à-dire pour leur donner la vie et la donner en abondance (Jn 10,10) — voulut que cela se fît au moyen de sa Passion. Mais sa Passion — et par conséquent la Rédemption — doit être « complétée » (Col 1,24) par notre souffrance. Vous n'êtes donc pas inutiles, chers fils et filles. Par l'offrande de votre douleur surnaturelle, vous pouvez conserver tant d'innocences, ramener sur le droit chemin tant d'égarés, éclairer tant de sceptiques, rendre la sérénité à tant d'angoissés. Les prêtres s'étonneront parfois de ne pas demeurer les mains vides dans les travaux de leurs ardus ministères : ils verront dans le ciel à qui était due l'efficacité imprévue de leurs paroles. Nous avons lu quelques lettres parvenues au méritant « Centre des volontaires de la souffrance ». Un prêtre écrit par exemple : « Je suis encore vivant... pour aider le divin Maître et la bonne Mère céleste à sauver quelques âmes. » Une femme également fait observer : « En ces jours où tant de pauvres meurent pour la liberté du royaume de Notre-Seigneur le Christ, nous devons plus que jamais, nous les malades, nous sentir unis pour implorer la paix tant désirée. » Et une autre lettre s'exprime ainsi : « Je peux dire que les plus belles joies, je les ai goûtées dans la souffrance ; je remercie donc le bon Dieu qui m'en a fait un large don et que cela soit à l'avantage des âmes. » Et encore : « J'ai offert toute ma vie pour les vocations sacerdotales ; parce qu'ici, également, dans ma paroisse, il n'y en a pas beaucoup. Il y a 26 ans que je suis dans un fauteuil à roulettes et j'y resterais encore 50 autres années pour aider les prêtres à sauver des âmes. » Encore une autre : « Après avoir été soumis à toutes les épreuves nécessaires pour l'intervention, après-demain ce sera mon tour pour l'opération... Je sens que la Mère céleste est près de moi avec son aide puissante et cela est pour moi la meilleure récompense de mes souffrances, que j'offre au bon Dieu avec joie pour le bien de mon âme et pour tous les besoins de l'Eglise. » Enfin un ouvrier des aciéries de Terni, atteint d'arthrite déformante, qui l'avait immobilisé pendant 18 ans, et mort en odeur de sainteté, notait ainsi dans une de ses lettres : « Que les malades ne soient jamais inoccupés, mais qu'ils arrachent des âmes aux ennemis de nos âmes, jusqu'au salut total de toutes les âmes qui peuplent le monde. »

Vous n'êtes pas inutiles, chers fils et filles. Quand ceux qui souffrent prient, c'est comme s'ils faisaient violence au ciel ; ils contraignent pour ainsi dire le coeur de Jésus à exaucer leurs requêtes. Et les grâces descendent sur le monde ; la lumière retourne, l'amour revient, la vie renaît.

Nous ne voulons pas conclure cette exhortation sans avoir tout d'abord béni avec toute l'ardeur de Notre esprit paternel ces personnes dévouées qui, suivant l'exemple d'un généreux prêtre de la Curie romaine, ont réuni en une phalange pacifique les souffrants d'Italie. Notre présence au rassemblement organisé pour la première décade de votre Centre vous dit toute la sollicitude avec laquelle Nous suivons les développements de votre oeuvre silencieuse et très précieuse.

Et vous, chers fils et filles malades, continuez avec hardiesse et confiance le chemin de perfection entrepris. Que Marie, la Vierge de Lourdes et de Fatima, sous le patronage de laquelle vous avez fait vos premiers pas, vous protège et vous conduise vers des buts de plus en plus lumineux, vers des cimes de plus en plus hautes, jusqu'à votre sublime élévation dans la joie de la glorieuse conquête du ciel. Et, maintenant, en gage des réconforts divins les plus abondants, que sur tous descende avec l'effusion de Notre coeur la Bénédiction apostolique.


DISCOURS A UN PÈLERINAGE IRLANDAIS

(8 octobre 1957) 1



Les manifestations en l'honneur du IIIe centenaire de la mort du savant et saint religieux franciscain, Luke Wadding, ont été clôturées par un grand pèlerinage d'Irlande à Rome. Le 8 octobre, le Saint-Père reçut en audience les pèlerins et leur adressa un discours en anglais, dont nous publions la traduction suivante :

Nous vous souhaitons mille fois la bienvenue à tous, à Nos Vénérables Frères dans l'épiscopat, à vous « Taoiseach », à tous les fils de saint Patrick. Vous êtes venus du lointain Nord, de cette île fixée comme une émeraude sur l'anneau de la mer, à la tombe du Pêcheur de Galilée, et ici à la maion de son successeur.

Il y a trois cents ans, la courageuse, l'intrépide âme du Fr. Luke Wadding s'envola vers sa véritable, sa céleste patrie, en laissant son corps fragile et exténué à Rome. Ses chers confrères franciscains lui ont donné ici une digne place de repos dans ce monastère qu'il avait fondé. Voici un an, au commencement de l'année du centenaire, Nous avons écrit une lettre à Notre cher Fils, votre vénéré cardinal archevêque d'Armagh, en l'assurant de Notre bénédiction pour vos célébrations et en exaltant les mérites immortels de ce saint religieux ; aujourd'hui, alors que l'année touche à sa fin, vous êtes venus, en pèlerins, honorer la mémoire de votre compatriote dans la ville où il travailla et mourut, et Nous sommes heureux de vous parler brièvement et simplement comme un père à ses enfants.

1 D'après le texte anglais des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 959 ; traduction française de l'Osserr>afore Romano, du 18 octobre 1957.




La mémoire de Luke Wadding doit susciter dans votre esprit un vif sentiment de gratitude pour un double héritage, qui, durant un millier d'années et davantage, a enrichi la vie du peuple irlandais à la fois dans sa patrie et au-delà des mers. Vous vous rappelez qu'il vint tout d'abord à Rome de Lisbonne en 1618, comme membre d'une commission royale pour demander, avec instance, du Pape de déclarer que Marie, la Mère de Dieu, avait été conçue immaculée. C'était là, en vérité, une pétition chère à tout coeur franciscain ; et qu'aurait-il pu y avoir de plus désirable, de plus émouvant pour l'âme d'un Irlandais que de participer à la révélation à ses compatriotes d'un nouveau joyau dans la magnifique couronne de la Reine des cieux ? La terre de saint Patrick n'était-elle pas constellée de sanctuaires à Marie la Vierge Mère, Lumière de Nazareth, Gloire de Jérusalem, Reine du Monde ? Chaque coeur irlandais ne bat-il pas plus vite, avec amour, lorsque ce nom est mentionné ? N'était-ce pas la pensée de sa puissante intercession auprès de son Fils qui leur donnait un réconfort dans leurs épreuves, un espoir quand les ombres noires les enveloppaient ? Cette Vierge toute pure était toujours présente à la pensée de Luke Wadding, toujours elle fut l'amour de son coeur, durant toutes les années de son exil. Cet héritage, fils bien-aimés, est aussi le vôtre. Défendez-le ; faites qu'il s'accroisse. Faites que l'amour filial pour votre Mère Marie soit une flamme, forte et inextinguible, qui donnera lumière et chaleur et encouragera même pendant les plus tristes jours qui viennent à leur heure pour tous. Faites que son nom soit sur les lèvres de vos enfants, que le respect et l'amour pour elle se développent rapidement avec leurs années, et même s'ils se trouvent en des terres étrangères, elle ne leur fera jamais défaut à l'heure du besoin.

Bien que Luke Wadding quittât l'Irlande comme jeune étudiant, pour ne jamais revoir sa côte battue par la mer, ses heureuses vallées et la verdure de ses pâturages, il ne cessa jamais d'être un dévoué fils d'Erin. Pendant quarante ans, plus de la moitié de sa vie, il vécut à Rome, et le solennel avertissement de votre glorieux Patriarche s'applique à iui encore plus vivement que jamais : comme vous êtes chrétiens, de même vous devez être romains. Pour être chrétien on doit être romain ; on doit reconnaître l'unité de l'Eglise du Christ, qui est gouvernée par un successeur du Prince des Apôtres, lequel est l'évêque de Rome, Vicaire du Christ sur la terre. Pour préparer des prêtres irlandais dans le vrai centre de l'unité romaine, près du coeur solide et palpitant du Corps mystique du Christ,

Luke Wadding fonda Saint-Isidore pour ses confrères religieux. Pendant trente ans, il gouverna le Collège et sous sa direction et son inspiration, d'éminents savants furent formés, des professeurs furent préparés à occuper des chaires d'université dans toute l'Europe, et, ce qui était son plan primordial et son espoir, des missionnaires furent envoyés au loin, pourvus de science, de courage et de zèle généreux pour soutenir et fortifier la foi de leurs pères parmi le peuple opprimé de l'Irlande du dix-septième siècle.

Pour accroître ce nombre de missionnaires formés à Rome, le Fr. Luke persuada le cardinal Ludovisi de fonder un Collège pour des séminaristes irlandais, qui saisissant le flambeau d'héroïsme allumé par les Martyrs et les Confesseurs, dont les mémoires avaient été pour eux une compagnie quotidienne, le brandiraient tout enflammé pour illuminer les jours de persécution et conduire leurs compatriotes à la défense de la foi qui ne se rendrait jamais.

Quel trésor saint Patrick a confié à son peuple ! C'est le vôtre, très chers fils, la vraie foi, qui tout au long des siècles n'a jamais subi l'obscurcissement de l'hérésie. Allez à Saint-Isidore ; là, dans le monastère, vous trouverez un peu de votre Irlande transplantée ici à Rome. L'antique pays a été le meilleur pour son établissement. Agenouillez-vous dans l'église devant votre Dieu dans le Saint Sacrement ; chantez vos louanges à Marie et à son divin Fils ; exhalez de votre coeur la gratitude pour la foi qui est la vôtre, adoucie comme elle l'est et confirmée par votre dévotion pour Marie votre Mère ; et puisse le Fr. Luke Wadding, par son intercession auprès du trône de Dieu, continuer à être une bénédiction pour l'Irlande.

A vous, Vénérables Frères, et à tous les membres de vos troupeaux, à l'honorable Chef du Gouvernement, ici présent, à vous très chers fils et filles de Notre Irlande bien-aimée et à tous ceux qui vous sont chers, d'un coeur plein de joie et d'affection. Nous donnons la Bénédiction apostolique.


ACTE DE CONSÉCRATION DES MALADES A LA VIERGE DES DOULEURS

(g octobre 1957)1






Composée par le Souverain Pontife, la prière suivante a été lue pour la première fois en public par son Em. le cardinal Pizzardo, en présence de 5.000 malades du « Centre des volontaires de la souffrance » réunis sur la Place Saint-Pierre :

O Mère clémente et douce, dont l'âme fut transpercée du glaive de la douleur (Lc 11,35), nous voici, pauvres malades, près de vous, sur le calvaire de votre Jésus.

Appelés à la grâce sublime de la souffrance et désireux d'accomplir également en nous ce qui manque à la passion du Christ, pour Son corps qui est l'Eglise (Col 1,24), nous vous consacrons nos personnes et nos peines, afin que vous les déposiez les unes et les autres sur l'autel de la Croix de votre divin Fils, humbles hosties de propitiation pour notre salut spirituel et celui de nos frères.

Accueillez notre consécration, ô Mère douloureuse, et affermissez dans nos coeurs la grande espérance que, participant aux souffrances du Christ, nous puissions recevoir aussi son réconfort dans la vie présente et dans la vie éternelle. Ainsi soit-il!2











radiomessaggi, 19, traduction française de

accorder une indulgence partielle de mille acte de consécration.




DISCOURS AUX POÈTES DIALECTAUX D'ITALIE



(13 octobre 1957) 1





Le 13 octobre, les participants au IIIe Congrès de l'Association italienne des poètes dialectaux ont été reçus en audience spéciale à Castelgandolfo. Voici la traduction du discours que le Saint-Père a prononcé en cette circonstance :

C'est avec un vif sentiment de sympathie paternelle que Nous vous accueillons, très chers fils, participants au troisième Congrès des Poètes dialectaux, en vous exprimant Notre vive reconnaissance pour la dévotion filiale que vous avez tenu à Nous témoigner par votre venue.

Cette réunion d'insignes adeptes de la poésie exprimée avec les accents propres à chaque région d'Italie Nous suggère pour votre péninsule l'image d'une harpe magique, vibrant avec des tonalités différentes, mais exhalant une unique et admirable symphonie : le noble et fervent sentiment du peuple italien. Ce n'est pas que la langue nationale, héritage commun d'une patrie qui embrasse des régions nombreuses et distinctes par tempérament, histoire et culture, soit incapable d'en interpréter les esprits ; toutefois les dialectes sont des miroirs plus fidèles, plus spontanés, peut-être même les aînés du langage ultérieur, que précède tout fait linguistique.

Vous connaissez les rapports réciproques entre langue et dialectes et toutes les questions ardues auxquelles ils ouvrent la voie, principalement si l'on veut remonter aux origines. De quelque façon que se soit accomplie leur évolution historique, il semble que l'on puisse dire que, tandis que les langues, en tant que moyen d'expression et de compréhension au service d'un groupe plus vaste, se ressentent souvent de l'abstrait et du conventionnel, les dialectes, au contraire, manifestent les sensations et les élans de l'esprit avec davantage de spontanéité et de vivacité, parce qu'ils expriment des sensations provenant directement de la nature et de la vie. C'est pour cela que le dialecte est déjà par lui-même poésie, tout au moins à l'origine, c'est-à-dire une effusion ardente et personnelle des mouvements de la pensée. A sa fréquente limitation supplée la langue nationale, plus riche de pensée et plus souple, au caractère social plus marqué, mais dont l'usage comporte l'acceptation de formes qui, parfois, ne répondent pas au caractère d'un groupe particulier.

Il ne résulte pas de cela que la langue et les dialectes doivent être considérés comme ennemis entre eux ou que celle-là ait absorbé toutes les valeurs intimes de ces derniers. Le « vulgaire », particulièrement celui de votre nation, que le Poète sublime avait l'habitude d'indiquer par les termes d'« illustre, cardinal, aulique, curial » 2, soit dans sa formation, soit après, peut être comparé à un solide Institut, où les dialectes déposent et prélèvent les meilleurs moyens d'expression à l'avantage commun. Cet apport constructif des dialectes à l'enrichissement du langage commun a sans doute inspiré le thème de votre congrès, qui vise à étudier la contribution que la littérature dialectale peut apporter « à la formation de la conscience nationale ». Le sujet dépasse de la sorte la question linguistique pour s'élever à des régions plus vitales, en restituant aux dialectes la fonction propre à toute langue, comme véhicule naturel des valeurs de l'esprit.

Mais quels sont les éléments constitutifs de ce trésor commun, appelé par vous « conscience nationale », à l'enrichissement duquel doivent concourir les régions ? Par quelles méthodes peuvent-ils être identifiés, pour les introduire comme des ruisseaux féconds sur le terrain de la patrie commune ? Les sciences historiques et ethnologiques, la philosophie et la psychologie sont certainement aptes à ce travail de choix ; mais, non moins qu'elles et avec une plus grande évidence, la littérature dialectale révèle le fond commun de la conscience d'un peuple et les qualités particulières, peut-être recouvertes çà et là par l'écoulement des siècles. Parmi les nombreux éléments



* De Vulgari Eloquentia, lib. I, chap. XVIII.



communs, vous trouverez en premier lieu et pour ainsi dire comme souterrain un profond sentiment religieux, exprimé avec plus ou moins de vivacité, mais identique dans la substance et dans la chaleur, dans chaque région italienne. La poésie dialectale en particulier a largement puisé à la fraîche source chrétienne ; presque toute pensée, tout sentiment et toute aspiration en sont imprégnés. Souvent la poésie locale semble presque ne point connaître d'autres thèmes que les drames et les hymnes sacrés, qui à eux seuls ont alimenté pendant de longs siècles la vie spirituelle et civile du peuple.

D'autres caractéristiques sont un vif sens de moralité, la haute estime pour les valeurs de la famille, la pitié envers les faibles et les souffrants, le culte de la simplicité et pour ainsi dire l'austérité de la vie. De même que les dialectes sont des témoins indiscutables de ces valeurs caractéristiques de votre peuple, pareillement en ce qui les concerne, ils doivent en être les dépositaires et comme les pierres de touche pour fixer l'authenticité de la « conscience nationale ». Si d'une part on peut dire que la connaissance accrue et le rapprochement des peuples, facilités à présent par tant de moyens, sont un véritable progrès, d'autre part se manifeste le péril que représente plus d'une fois la tendance à une assimilation indiscriminée des mentalités et des coutumes d'autrui. Il faut donc éviter qu'un cosmopolitisme mal entendu ne conduise les peuples distincts au renoncement à leurs valeurs traditionnelles et en dénature les aspects. A cette sage oeuvre de sauvegarde sont également appelés les littérateurs et, parmi ceux-ci, dans votre patrie, les poètes dialectaux, en tant que gardiens les plus proches des sources saines.

Nous souhaitons d'heureux résultats à votre Congrès et, en élevant des prières suppliantes au Tout-Puissant pour qu'il ne détourne jamais son regard de protection et de grâce de votre patrie, Nous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


R AD IOM ESS AGE A UNE CONFRÉRIE EUCHARISTIQUE D'ESPAGNE



(17 octobre 1957)1



Le 50e anniversaire de l'Archiconfrérie des « Jeudis eucharistiques » a été célébré à Saragosse, où les solennités se sont terminées le jeudi 17 octobre. A cette occasion, le Saint-Père a daigné encourager personnellement les membres de cette pieuse association en un radiomessage diffusé par la Radio vaticane à laquelle était reliée la Radio nationale espagnole. Voici la traduction du texte espagnol :

Très chers fils, disséminés dans le monde, qui formez les ferventes légions de 1'« Archiconfrérie des Jeudis eucharistiques », et, particulièrement vous qui, çà et là, êtes réunis en ce moment pour célébrer par une Heure sainte le cinquantième anniversaire de votre pieuse association.

De Rome vous parle votre père le Pape ; votre pasteur qui connaît ses brebis (Jn 10,14) et qui, bien que si loin, a l'impression de percevoir l'ardente palpitation de vos coeurs ; c'est à vous que s'adresse le Vicaire, tout indigne qu'il soit, de Celui qui, caché sous les minces voiles du sacrement, est peut-être en ce moment devant vos yeux et est le juste objet de vos adorations.

Regardez-le une fois de plus ; faites un acte de foi Credo, Domine (Mc 9,24) ; un acte d'adoration Dominus meus et Deus meus (Jn 20,28) ; un acte de fidélité Domine, ad quem ibimus ? verba vitoe seternae habes (Jn 6,68). Et alors, présent pour ainsi dire au milieu de vous, ce sera votre Père qui vous suggère ce que vous devez méditer en ce moment.

— Donc, avant tout, un regard en arrière pour comprendre et peser les bienfaits reçus.





Quand, aux premières années de ce siècle, là, tout près de ce lieu où, à l'Occident, l'Europe veut s'enfoncer dans la mer, au milieu des brumes de la douce Galice et dans une de ces riantes embouchures de fleuve qui évoquent tellement le recueillement et l'intimité par les délicates lignes de leur paysage et l'aimable enchantement de leur verdure éternelle, la ferveur de quelques âmes d'élite allumait la petite étincelle insignifiante, qui aurait pu rêver des vingt mille centres d'aujourd'hui, des millions d'adhérents et, en un mot, de ce si grand foyer dont tous perçoivent la lumière et la chaleur ? Combien de villes et combien de villages purifiés et rénovés ; combien de paroisses et combien de centres vivifiés et favorisés de bienfaits ; combien d'âmes sanctifiées et même élevées jusqu'aux plus hauts idéaux de la perfection chrétienne !

Peu à peu l'approbation d'insignes prélats, la recommandation du Congrès eucharistique international de Madrid (1911), la bénédiction des Souverains Pontifes, la faveur toute spéciale d'être reçus sous le manteau maternel de la Patronne et Reine d'Espagne. Vous, qui Nous entendez de Saragosse, qui Nous écoutez sous les voûtes de cette insigne basilique, devant cette chambre angélique ! Nous entendons chanter aujourd'hui une fois de plus, les gloires humaines et chrétiennes de la fameuse capitale aragonaise, comme Nous l'avons déjà fait à l'époque 2, parce que Nous voulons maintenant seulement Nous présenter devant le trône de la Vierge du Pilar pour lui dire : « Oh ! Mère très pieuse, qui du haut de cette colonne avez présidé, dirigé et encouragé l'évangélisation d'un grand peuple, auquel de si hauts destins étaient réservés dans l'histoire de la chrétienté ; daignez aujourd'hui présenter à votre très Saint Fils le témoignage de notre gratitude pour avoir tant béni notre humble Archiconfrérie, tandis que Nous espérons qu'il voudra toujours la conserver et la faire croître, pour sa gloire et pour le bien des âmes ».

— Mais comment pensez-vous pouvoir coopérer à la plus grande splendeur et au développement de votre chère Archiconfrérie ? Tout dépendra de deux facteurs : de la grâce divine qui s'offre déjà à vous avec tant d'abondance, et de la vigueur que vous saurez infuser dans l'esprit surnaturel qui la distingue.





* Cf. Discorsi e radiomessaggi, 16, p. 196.

Il est donc bien de faire de tous les jeudis de l'année une journée consacrée spécialement à l'évocation de ce grand jour, où notre très aimable Rédempteur, cum dilexisset suos, qui erant in mundo, bien qu'il eût toujours aimé les siens de cette terre, les aima alors jusqu'à la fin (Jn 13, i), non seulement en demeurant avec eux pour toujours, mais encore en se donnant à eux comme aliment, en produisant ainsi dans leurs âmes les plus merveilleux effets et en leur accordant la perfection et l'accomplissement de la vie surnaturelle, qui trouve là subsistance, développement, réparation et joie3. Il sera opportun de le considérer ainsi dans votre méditation eucharistique matinale ; de l'évoquer solennellement, comme vous le désirez, dans vos ferventes communions ; de l'honorer et glorifier, selon votre intention, durant l'heure sainte du soir. Mais tout cela serait une chose vide, si vous n'étiez pas pénétrés d'une intime connaissance de la grandeur de ce don, tel qu'il n'y en a ni ne peut y en avoir de plus grand ni au ciel ni sur la terre ; tout cela serait quelque peu inexplicable si, comme l'Apôtre, vous ne vous approchiez pas de cette poitrine ardente (Jn 21,20), pour écouter les palpitations de l'amour qui l'anime ; tout se révélerait une chose morte si, en juste correspondance, vous ne sentiez pas s'élever dans vos poitrines les élans du plus grand, du plus saint, du plus pur des amours, en même temps que la plus profonde, la plus vive gratitude qui vous conduise au plus sincère désir de réparation.

s S. Thomas, 3 p. q. 79, art. 1 in c.




— Amour et gratitude ; gratitude et réparation. C'est là le feu divin qui doit purifier vos pensées, vos paroles et vos actions ; c'est là la lumière qui doit éclairer vos yeux, pour qu'ils ne s'écartent jamais du droit chemin ; c'est là la force qui vous fera surmonter toutes les difficultés, en les transformant en degrés vers le ciel ; c'est là le stimulant qui doit vous entraîner continuellement à l'apostolat jusqu'à faire de vous autant de foyers de perfection et de sainteté. S'il est certain que le monde souffre et languit parce que la sensualité, l'orgueil et la cupidité veulent le transformer en royaume des trois concupiscences (1Jn 11,16), il sera également certain que le meilleur remède contre des maux si graves, l'humanité le trouvera toujours dans l'Eucharistie, qui mitigé l'ardeur des passions 4, et augmente l'ardeur de la charité5, en détachant l'homme des choses basses et en le dirigeant vers les choses élevées et célestes.

C'est pour cela, malgré tous les maux de notre époque, que Notre espérance est grande, parce que précisément en ces temps et peut-être plus qu'en d'autres, la fréquentation des sacrements est grande, le culte que les individus et les peuples, en tant que tels, rendent au Seigneur souverain dans le sacrement est universel et magnifique, et parce qu'il est hautement consolant de voir combien la piété eucharistique, sous ses formes les plus variées, s'étend et se diffuse, au point que l'on peut affirmer qu'elle est une des plus splendides réalités de nos jours.

Votre Heure sainte, fils bien-aimés, est sur le point de se terminer. Nous savons que vous avez l'intention particulière d'y prier pour Nous et pour tous les désirs et soucis de Notre coeur de Père. Eh, bien ! Nous désirons déclarer que Notre volonté est que vos précieuses prières soient appliquées à cette intention précise : que votre Archiconfrérie et toutes les institutions similaires, qui fleurissent dans l'Eglise de Dieu, croissent et se développent jusqu'à inonder et remplir chaque nation, jusqu'à atteindre le monde tout entier et toutes les âmes, en leur communiquant l'amour de l'Eucharistie qui doit sauver le monde.

C'est un gage et une garantie de ces grâces qu'entend être la Bénédiction que Nous vous donnons maintenant, pour tous et chacun de vous, pour vos parents et amis, pour vos intentions et désirs et, tout spécialement, pour votre méritante Archiconfrérie.























Thomas, 3 p. q. 79, art. 6, ad 3. Thomas, 3 p. q. 78, art. 3, ad 6.




Pie XII 1957 - DANS LES MISSIONS D'ASIE ET D'AFRIQUE