Pie XII 1957 - I CERTAINS ASPECTS GÉNÉRAUX DE LA MODE


II

CONSIDÉRATIONS DU PROBLÈME MORAL DE LA MODE ET SES SOLUTIONS



Attitude positive de l'Eglise face au problème moral de la mode.

Et c'est justement à concilier, en un équilibre harmonieux, l'ornement extérieur de la personne avec l'ornement intérieur d'« un esprit doux et tranquille », que consiste le problème de la mode. Mais existe-t-il vraiment — se demandent certains — un problème moral au sujet d'un fait aussi extérieur, contingent et relatif que l'est la mode ? Et ceci admis, en quels termes le problème doit-il être posé, et suivant quels principes doit-il être résolu ?

Ce n'est pas ici le lieu de déplorer longuement l'insistance de plus d'un contemporain dans la tentative de soustraire au domaine moral les activités extérieures de l'homme, comme si elles appartenaient à un autre univers et comme si l'homme n'était pas lui-même le sujet, le terme et, par conséquent, le responsable devant le suprême ordonnateur de toutes les choses. Il est bien vrai que la mode, ainsi que l'art, la science, la politique et les activités similaires, dites profanes, ont leurs règles propres pour réaliser les finalités immédiates auxquelles ils sont destinés ; toutefois leur sujet reste invariablement l'homme, qui ne peut se dispenser de faire tendre ces activités à la fin ultime et suprême, à laquelle il est lui-même essentiellement et totalement ordonné. Le problème moral de la mode existe donc, non seulement en tant qu'activité génériquement humaine, mais, plus spécifiquement, en tant que s'exerçant dans un domaine où sont impliquées, plus ou moins directement, d'évidentes valeurs morales ; et, plus encore, du fait que les buts, honnêtes en eux-mêmes, de la mode sont davantage exposés à être obnubilés par les inclinations perverses de la nature humaine déchue par suite du péché originel, et changés en occasion de péché et de scandale. Cette tendance de la nature corrompue à abuser de la mode amena la tradition ecclésiastique à la traiter plus d'une fois avec méfiance et avec de sévères jugements, exprimés par d'insignes orateurs sacrés avec une vigoureuse fermeté, et par de zélés missionnaires, voire avec la « mise au feu des vanités », qui, conformément aux usages et à l'austérité de ces temps, étaient estimés d'une éloquence efficace auprès du peuple. De telles manifestations de sévérité, qui démontraient au fond la sollicitude maternelle de l'Eglise envers le bien des âmes et les valeurs morales de la civilisation, ne permettent cependant pas de déduire que le christianisme exige presque de renoncer absolument au culte ou au soin de la personne physique et de sa dignité extérieure. Quiconque conclurait dans ce sens démontrerait qu'il a oublié ce qu'écrivait l'apôtre des Gentils : « Que les femmes aient une tenue décente, parées avec réserve et modestie » (1Tm 2,9).



Mais la mode ne- doit jamais fournir une occasion de péché.

L'Eglise ne blâme donc pas et ne condamne pas la mode, quand elle est destinée à la juste dignité et au juste ornement du corps ; toutefois, elle ne manque jamais de mettre les fidèles en garde contre ses faciles égarements.

Cette attitude positive de l'Eglise dérive de motifs bien plus élevés que ceux purement esthétiques et hédonistes adoptés par un retour de paganisme. Elle sait et enseigne que le corps humain, chef-d'oeuvre de Dieu dans le monde visible, lequel est au service de l'âme, fut élevé par le divin Rédempteur à la dignité de temple et d'instrument du Saint-Esprit et doit être respecté en tant que tel. Sa beauté ne devra donc pas être exaltée comme une fin en elle-même, encore moins de façon à avilir cette dignité acquise.

Sur le terrain concret, il est incontestable qu'à côté d'une mode honnête on en trouve une autre impudente, cause de trouble chez les esprits raisonnables, si ce n'est même incitation au mal. Il est toujours ardu d'indiquer par des règles universelles les frontières entre l'honnêteté et l'indécence, parce que l'évaluation morale d'une parure dépend de nombreux facteurs ; toutefois ce qu'on appelle la relativité de la mode par rapport aux temps, aux lieux, aux personnes, à l'éducation n'est pas une raison valable pour renoncer « a priori » à un jugement moral sur telle ou telle mode, lorsqu'elle dépasse les limites de la pudicité normale. Celle-ci perçoit immédiatement, sans presque même avoir été interrogée, où se trouvent l'impudence et la séduction, l'idolâtrie de la matière et le luxe ou seulement la frivolité ; et si les artisans de la mode impudique sont habiles dans une sorte de contrebande de la perversion, en la mêlant à un ensemble d'éléments esthétiques, honnêtes en eux-mêmes, la sensualité humaine est malheureusement encore plus adroite à la découvrir et prête à en subir l'attrait. Une très grande sensibilité dans la perception de la menace du mal, ici comme ailleurs, ne constitue nullement un titre de blâme pour celui qui en est pourvu, comme si c'était seulement l'effet d'une dépravation intérieure ; c'est au contraire le signe de la pureté d'esprit et de la vigilance à l'égard des passions. Mais si vaste et mouvante que puisse être la relativité morale de la mode, il y a toujours un absolu à sauver, après avoir écouté l'avertissement de la conscience qui constate le danger : la mode ne doit jamais fournir une occasion proche de péché.



Ce qui caractérise une mode impudique ou immorale.

Parmi les éléments objectifs qui concourent à former une mode impudique, il y a en premier lieu la mauvaise intention de ses artisans. Lorsque ceux-ci se proposent de susciter par leurs modèles, des images et des sensations dénuées de chasteté, ils font preuve, même sans aller à l'extrême, d'une malignité larvée. Ils savent, entre autres, que la hardiesse en cette matière ne peut être poussée au-delà de certaines limites ; mais ils savent également que l'effet cherché se trouve à peu de distance de celles-ci, et qu'un habile mélange d'éléments artistiques et sérieux avec d'autres d'ordre inférieur sont plus aptes à surprendre l'imagination et les sens, tandis qu'ils rendent le modèle acceptable aux personnes qui désirent le même effet, sans toutefois compromettre — du moins, le pensent-elles — leur réputation de personnes honnêtes. Toute épuration de la mode doit donc commencer par celle des intentions aussi bien chez celui qui fait le vêtement que chez celui qui le porte ; chez l'un comme chez l'autre doit être réveillée la conscience de leurs responsabilités à l'égard des conséquences fatales qui peuvent dériver d'un vêtement trop hardi, spécialement lorsqu'il est porté sur la voie publique.

Plus précisément, l'immoralité de certaines modes dépend surtout des excès aussi bien d'immodestie que de luxe. Quant aux premiers, qui pratiquement mettent en cause la coupe, ils doivent être appréciés non pas selon le jugement d'une société en décadence ou déjà corrompue ; mais selon les aspirations d'une société qui apprécie la dignité et la gravité des moeurs publiques. On a souvent l'habitude de dire et avec une sorte de résignation inerte, que la mode exprime les moeurs d'un peuple ; mais il serait plus exact et plus utile de dire qu'elle exprime la volonté et l'orientation morale qu'entend prendre une nation, à savoir faire naufrage dans le dérèglement ou bien se maintenir au niveau où l'ont élevée la religion et la civilisation.

Les excès de la mode ne sont pas moins néfastes, bien que dans un domaine différent, lorsqu'on lui assigne le rôle de satisfaire la soif de luxe. Le faible mérite du luxe, comme source de travail, est presque toujours annulé par les graves désordres qui en dérivent pour la vie privée et publique. En faisant abstraction du gaspillage de richesses que le luxe excessif exige de ses adorateurs, destinés pour la plupart à être dévorés par lui, il a toujours le caractère d'une offense à l'honnêteté de celui qui vit de son travail, tandis qu'il révèle un cynisme d'esprit envers la pauvreté, soit en dénonçant des gains trop faciles, soit en semant des doutes sur la conduite de vie de celui qui s'en entoure. Là où la conscience morale ne réussit pas à modérer l'usage des richesses, même honnêtement gagnées, de terribles barrières se dressent entre les classes ou bien c'est toute la société qui ira à la dérive, épuisée par la course vers l'utopie de la facilité matérielle.



is principes pour la solution du problème moral de la mode.

Le fait d'avoir fait allusion aux maux que le dérèglement de la mode peut causer aux individus et à la société ne signifie pas la volonté d'en comprimer la force expansive, ni de freiner l'inspiration créatrice de ses auteurs ni non plus de la réduire à la fixité des formes, à la monotonie ou à une sombre sévérité ; mais c'est lui indiquer le bon chemin, afin qu'elle atteigne le but d'être une fidèle interprète de la tradition civile et chrétienne. Pour arriver à cela, quelques principes serviront, comme points de repère dans la solution du problème moral de la mode ; il est facile d'en déduire des règles plus concrètes.

ï. — Prendre conscience de l'influence réelle de la mode.

Le premier est de ne pas donner trop peu d'importance à l'influence de la mode même, autant dans le bien que dans le mal. Le langage de l'habillement, comme Nous l'avons déjà indiqué, est d'autant plus efficace qu'il est plus fréquent et compris par quiconque. La société parle, pour ainsi dire, par le vêtement qu'elle porte ; par le vêtement, elle révèle ses aspirations secrètes et elle se sert de lui, au moins en partie, pour édifier ou détruire son avenir. Mais le chrétien, qu'il soit auteur ou client, se gardera de négliger les dangers et les ruines spirituelles, semés par les modes immodestes, spécialement en public, en raison de la cohérence qui doit exister entre la doctrine professée et la conduite même extérieure. Il se rappellera la pureté élevée que le Rédempteur exige de ses disciples, même dans les regards et dans les pensées ; et il se rappellera aussi la sévérité manifestée par Dieu contre les fauteurs de scandales. A ce propos, on peut rappeler la page vigoureuse du prophète Isaïe, où est prophétisé l'opprobre réservé à la ville sainte de Sion pour l'impudicité de ses filles (Is 3,16-24) ï e* l'autre où le sublime poète italien exprimait, par des paroles brûlantes, son indignation contre l'indécence qui se propageait dans sa cité 2.



2. — Ne pas suivre aveuglément la mode, mais réagir fermement quand la conscience le demande.

2 Cf. Dante, Purg., 23, 94-108.




Le second principe est que la mode doit être disciplinée et non pas abandonnée au caprice ou servilement suivie. Ceci vaut pour les artisans de la mode — modélistes et critiques — auxquels la conscience demande de ne pas se soumettre aveuglément au goût dépravé que peut manifester la société, ou plutôt une partie d'elle, qui n'est pas toujours la plus digne de considération pour sa sagesse. Mais cela a également une valeur pour les individus, dont la dignité exige qu'ils s'affranchissent, par une conscience libre et éclairée, de l'imposition de goûts déterminés, spécialement discutables dans le domaine moral. Discipliner la mode signifie également réagir avec fermeté contre les courants opposés aux meilleures traditions. Le contrôle sur la mode n'infirme pas, mais au contraire corrobore le dicton « la mode ne naît pas sans et contre la société », à condition qu'on attribue à celle-ci, comme il se doit, conscience et autonomie dans sa propre direction.



— Se laisser guider par le sens de la modération.

Le troisième principe, encore plus concret, est le respect de la « mesure », c'est-à-dire de la modération dans tout le domaine de la mode. Si les excès sont les principales causes de sa déformation, la modération lui conservera sa valeur. Elle devra agir avant tout sur les esprits, en réglant l'ardent désir du luxe, de l'ambition, du caprice à tout prix. Les artisans de la mode se laisseront guider par le sens de la modération, spécialement les « modélistes », en dessinant la ligne ou la coupe et en choisissant les ornements d'un habit, persuadés que la sobriété est la meilleure qualité de l'art. Sans vouloir aucunement ramener à des formes dépassées par le temps — qui, du reste, reviennent plus d'une fois comme nouveauté dans la mode — mais seulement pour confirmer la valeur permanente de la sobriété, Nous voudrions inviter les artistes d'aujourd'hui à contempler, dans les chefs-d'oeuvre de l'art classique, certaines figures féminines de valeur esthétique indiscutable, où le vêtement, inspiré de la pudicité chrétienne, est un digne ornement de la personne, avec la beauté de laquelle il se fond comme en un unique triomphe d'admirable dignité.




III

SUGGESTIONS PARTICULIÈRES AUX PROMOTEURS ET AUX MEMBRES DE L'UNION



Et maintenant, quelques suggestions particulières pour vous, chers fils et filles, en tant que promoteurs et membres de 1'« Union latine de haute couture ». Il Nous semble que le terme même de « latine », par lequel vous avez tenu à désigner votre association, exprime non seulement une sphère géographique, mais surtout l'orientation idéale de votre action. En effet, ce terme de « latin », si riche en significations élevées, semble exprimer, entre autres, la vive sensibilité et le respect pour les valeurs de la civilisation et, en même temps, le sens de la « mesure », de l'équilibre et du réalisme, toutes qualités nécessaires aux membres de votre Union. Nous avons noté avec satisfaction que ces caractères ont inspiré les buts de vos statuts, que vous avez courtoisement soumis à Notre connaissance, et qui sont le résultat d'une vision complète du problème complexe de la mode, mais spécialement de votre ferme conviction de ses responsabilités morales. Votre programme est donc aussi ample que le problème lui-même, concernant tous les secteurs déterminant la mode : le milieu féminin, directement, avec l'intention de le guider dans la formation du goût et dans le choix de l'habillement ; les maisons « créatrices de la mode » et l'industrie textile afin que, dans une entente mutuelle, elles adaptent leur production aux sains principes professés par l'Union. Et comme votre Union se compose d'organismes, qui ne sont pas simplement des spectateurs, mais agissent et dirions-Nous presque sont des pionniers dans le domaine de la mode, son programme s'occupe aussi, opportunément, de l'aspect économique, rendu à présent plus ardu par les transformations prévues de la production et de l'unification des marchés européens.



Former un goût sain chez le public.

Une des conditions indispensables pour atteindre les buts de votre Union est la formation d'un goût sain chez le public. Entreprise ardue, en vérité, et parfois intentionnellement combattue, elle exige de vous beaucoup d'intelligence, beaucoup de tact et beaucoup de patience. Affrontez-la, malgré tout, avec hardiesse, avec l'assurance de trouver de bons alliés tout d'abord dans les excellentes familles chrétiennes, que votre patrie compte encore en grand nombre. Il est clair que, dans ce but, vous devez vous appliquer principalement à conquérir à votre cause ceux qui, par la presse et d'autres moyens d'information, dirigent l'opinion publique. Dans la mode, plus que dans toute autre activité, le peuple veut être guidé. Non point qu'il soit dépourvu d'esprit critique en fait d'esthétique et d'honnêteté, mais parfois trop docile et parfois paresseux pour employer cette faculté, il accueille d'emblée ce qui s'offre à lui, quitte à se rendre compte plus tard de la médiocrité ou de l'inconvenance de certains modèles. Il faut donc que votre action soit opportune. En outre, parmi ceux qui guident à présent avec le plus d'efficacité le goût du public, une place prépondérante est occupée par les personnes célèbres, spécialement celles du monde du théâtre et du cinéma. Comme leur responsabilité est grave, votre action sera féconde si vous réussissez à en gagner au moins quelques-unes à la bonne cause.



Réagir contre l'esprit dit moderne, indifférent à l'aspect moral de la mode.

Une caractéristique propre à votre Union semble être l'étude sérieuse des problèmes esthétiques et moraux de la mode dans des rencontres périodiques, comme le présent congrès, à tendance de plus en plus internationale, persuadés comme vous l'êtes que la mode de l'avenir aura un caractère unitaire dans chacun des continents. Appliquez-vous donc à apporter dans ces assemblées la contribution chrétienne de votre intelligence et de votre expérience, avec une sagesse convaincante telle que personne ne puisse soupçonner chez vous ni préjugés partiaux ni faiblesse de compromis. La solide cohérence avec vos principes sera mise à l'épreuve par l'esprit dit moderne, qui ne supporte point de frein, et par l'indifférence même de beaucoup à l'égard du côté moral de la mode. Les sophismes les plus insidieux, qui sont d'habitude répétés pour justifier l'impudicité, semblent être les mêmes partout. Un de ceux-ci s'appuie sur l'ancien dicton ab assuetis non fit passio, afin de présenter comme dépassée la saine rébellion des honnêtes gens contre les modes trop hardies. Est-il donc nécessaire de démontrer combien l'antique dicton est déplacé dans une telle question. Nous avons déjà fait allusion, en parlant des limites absolues à sauvegarder dans le relativisme de la mode, au manque de fondement d'une autre opinion également fausse, selon laquelle la modestie ne s'accorde plus avec l'époque contemporaine, désormais affranchie de scrupules inutiles et nuisibles. Certes, il existe, des degrés différents de moralité publique selon les temps, les caractères et les conditions de civilisation de chaque peuple ; mais cet état de fait n'invalide pas l'obligation de tendre à l'idéal de la perfection, ni n'est un motif suffisant pour renoncer aux hauteurs morales atteintes, qui se manifestent précisément dans la plus grande sensibilité qu'ont les consciences à l'égard du mal et de ses pièges.

Que votre Union s'engage donc avec ardeur dans cette lutte, qui vise à assurer aux moeurs publiques de votre patrie un niveau de moralité toujours plus élevé, digne de ses traditions chrétiennes. Ce n'est pas par hasard que Nous qualifions de « lutte » votre oeuvre visant à moraliser la mode, comme est une lutte aussi toute autre entreprise qui entend restituer à l'esprit la domination sur la matière. Considérée chacune en particulier, elles sont les épisodes distincts et significatif! de l'âpre et perpétuel combat, que doit soutenir ici-bas quiconque est appelé à la liberté par l'Esprit de Dieu ; un combat dont l'apôtre des Gentils décrit avec une exactitude inspirée le front et les troupes opposées : « Les désirs de la chair vont à l'en-contre de l'esprit, et ceux de l'esprit à l'encontre de la chair. Ils se font opposition l'un à l'autre, pour vous empêcher de faire ce que vous avez résolu » (Ga 5,17). Enumérant ensuite les oeuvres de la chair, en une sorte de triste inventaire de l'héritage de la faute originelle, il mentionne aussi l'impureté, à laquelle il oppose, comme fruit de l'Esprit, la modestie. Engagez-vous généreusement et avec confiance, sans jamais vous laisser arrêter par la timidité, qui fit dire aux troupes peu nombreuses mais héroïques du grand Judas Machabée : « Comment pourrons-nous si peu nombreux combattre contre une multitude aussi grande ? » (1M 3,17). Que la réponse de ce grand soldat de Dieu et de la patrie vous encourage : « Vaincre une bataille ne dépend pas du nombre des soldats ; car c'est du ciel que vient la force» (ibid., 19).

C'est avec cette certitude basée sur le ciel que Nous prenons congé de vous, chers fils et filles ; et Nous élevons Nos prières suppliantes au Tout-Puissant, afin qu'il daigne prodiguer son assistance à votre Union et ses grâces à chacun de vous, à vos familles et, en particulier, aux humbles travailleurs et travailleuses de la mode. En gage des faveurs célestes, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.






DISCOURS AUX DÉLÉGUÉS DE LA F. A. O.



(g novembre igsj)1





Les participants à la IXe Conférence de la « Food and Agriculture Organisation » (F.A.O.), tenue à Rome, ont été reçus par le Souverain Pontife qui, en cette circonstance, leur a adressé le discours suivant en français :

Nous avons aujourd'hui le plaisir de vous recevoir, Messieurs, à l'occasion de la IXe conférence de la F.A.O., qui se tient maintenant à Rome. Vous avez à considérer plusieurs questions concernant le fonctionnement de cette organisation, ainsi que les difficultés actuelles de l'agriculture et le programme d'action que vous vous proposez pour y remédier.

En examinant la situation présente, vous avez constaté un fait inquiétant et qui requiert une solution urgente : le phénomène d'appauvrissement de l'agriculture dans l'économie mondiale. Vous remarquez que, dans les échanges intérieurs, comme sur le plan international, le marché manifeste partout une tendance défavorable aux intérêts des agriculteurs. Tandis que les prix des produits manufacturés continuent à s'élever, ceux des produits agricoles diminuent progressivement depuis 1952. Ainsi le pouvoir d'achat de l'agriculteur se resserre peu à peu, sa situation devient plus précaire et, conséquence malheureuse, le dépeuplement des campagnes s'accentue, en Europe surtout, provoquant une nouvelle série de problèmes sociaux et religieux. Cet état de choses Nous préoccupe vivement, Nous aussi, parce qu'il menace une population nombreuse, courageuse et méritante, dont les qualités de stabilité et de fidélité aux meilleures traditions sont plus que jamais nécessaires pour équilibrer une société en évolution rapide.

Il est certain que les données de la question sont très complexes et les remèdes d'application difficile. Mais vous rendrez un service eminent aux agriculteurs, si vous réussissez à contrarier la marche de ce phénomène de détérioration et à amorcer un mouvement de redressement.

Nous souhaitons de tout coeur que votre organisation unisse toujours davantage les nations participantes dans un effort généreux, libre de préoccupations d'ordre divers, qui viendraient en contrarier l'action et même parfois la rendre inefficace. Trop d'hommes souffrent encore de la faim, pour que l'on puisse retarder, pour des motifs d'intérêt particulier, le travail qui vise à les secourir.

En gage de l'appui du Très-Haut, que Nous invoquons sur votre présente Conférence et sur vos activités ultérieures, Nous vous accordons bien volontiers, pour vous-mêmes et tous les vôtres, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE A LASSEMBLÉE DES CARDINAUX ET ARCHEVÊQUES DE FRANCE

(g novembre igs7)1




Touché du témoignage de gratitude et de filial attachement que VAssemblée des cardinaux et archevêques de France lui avait adressé au début de sa session d'octobre, le Saint-Père a envoyé la lettre autographe suivante à Son Em. le cardinal Liénart, président de VAssemblée :

Les membres de la récente Assemblée des cardinaux et archevêques de France, réunis sous votre présidence, viennent de Nous exprimer, avec un accent filial auquel Nous fûmes très sensible, leur vive gratitude pour Notre Lettre encyclique sur le centenaire des apparitions de Lourdes et leur adhésion empressée aux directives que Nous y formulions. Nous leur savons gré, ainsi qu'à vous-même, de ce geste collectif, et, par votre entremise, c'est à tous vos collègues de l'épiscopat français que Nous voudrions faire parvenir Nos remerciements.

i D'après le texte français de la Documentation Catholique, LIV, col. 1545.




Nous étions Nous-même heureux de vous adresser cette Lettre, qui souligne la constante bienveillance des Pontifes romains envers ce sanctuaire mariai, comme aussi il Nous fut très agréable d'accueillir, il y a peu de semaines, le pèlerinage national des « jeunes séminaristes » conduit par le regretté Mgr Duperray, pèlerinage si fervent et riche d'espoir pour votre chère patrie. Toujours, en effet, Nous saisissons de grand coeur les occasions qui s'offrent à Nous d'assurer Nos fils de France et leurs pasteurs de Notre affection paternelle et de Notre estime. Au surplus, la visite que les évêques français accomplissent cette année ad limina apostolorum Nous vaut le plaisir de les recevoir et de Nous entretenir avec eux. Nous connaissons leur attachement unanime et filial au Siège de Pierre, et



ils savent bien en retour avec quelle sollicitude Nous suivons leurs travaux apostoliques et faisons Nôtres leurs préoccupations de pasteurs devant l'ampleur des tâches à accomplir. A tous, comme aussi à leurs prêtres, aux religieux et religieuses, aux membres de l'Action catholique et à tous les apôtres laïcs de leurs diocèses, Nous tenons à redire ici Nos encouragements à poursuivre avec un surnaturel optimisme l'oeuvre déjà si féconde qu'ils ont entreprise au service de l'Eglise de Jésus-Christ.

Pour mieux correspondre aux grâces du prochain jubilé, vos collègues et vous-même désirez d'ailleurs susciter parmi vos fidèles — selon Notre propre exhortation — un nouvel et double élan de vie intérieure et de régénération sociale. Nous espérons beaucoup de cette année mariale. Avec la grâce de Dieu, elle sera une année de prière et d'action, d'approfondissement spirituel et de conquête apostolique, d'affermissement doctrinal et de généreuse ouverture aux besoins de ce temps. Ces objectifs exigent sans doute de tous des efforts proportionnés : mais ces efforts ne s'inscrivent-ils pas spontanément dans les meilleures traditions du catholicisme en France ? Ne prennent-ils pas leur appui naturel sur les progrès substantiels déjà réalisés depuis quelques décades dans votre pays ? La force des institutions chrétiennes — vos écoles notamment, maintenues au prix de tant de sacrifices — la multiplicité des initiatives en tous domaines, la persévérance des recherches dans des secteurs plus difficiles et d'autant plus chers au coeur des apôtres, la spontanéité aussi à servir toutes les grandes causes de l'Eglise et à répondre à des appels comme celui que Nous lancions naguère dans l'Encyclique Fidei donum : autant de signes d'une vitalité pleine de promesses qui ne cesse de Nous réjouir, encore même que Nous devions parfois en contrôler les élans et en refréner les ardeurs ! Aussi bien, pensant aux foules de pèlerins qui franchiront bientôt les frontières de votre patrie pour converger vers Lourdes, la parole de l'Evangile Nous vient à l'esprit : « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les deux » (Mt 5,16).

Que nul ne s'arrête donc aux difficultés du chemin. Unis entre eux par les liens de la charité, serrés autour de leurs pasteurs, que les catholiques de France s'avancent avec confiance sur la route déjà longue et glorieuse tracée par leurs devanciers, jalonnée par tant de saints. Dans un monde où contrastent étrangement l'espoir de progrès insoupçonnés et l'angoisse des pires régressions, la tâche des chrétiens est immense et elle réclame l'ardente collaboration de tous. D'un coeur paternel Nous y convions Nos fils.

Invoquant à nouveau la maternelle protection de la Vierge Immaculée sur votre chère patrie, Nous vous accordons très paternellement, ainsi qu'à vos collègues dans l'épiscopat, aux prêtres de France et à tous vos fidèles, Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES ÉCOLES PRIVÉES EUROPÉENNES

(10 novembre 1957) 1






Le Saint-Père a daigné recevoir en audience, le 10 novembre, les participants au premier Congrès international des écoles privées européennes, auxquels, parlant en français, il s'est adressé en ces termes :

Nous saluons avec plaisir votre première assemblée, Messieurs, qui êtes venus discuter à Rome les problèmes communs aux écoles privées européennes. Initiative heureuse, dont l'idée naquit lors d'une excursion à Vienne de quelques élèves italiens. L'accueil sympathique qu'ils y trouvèrent mit en évidence une similitude d'intentions et de préoccupations, toute naturelle entre ceux qui donnent à l'école privée ou qui en reçoivent le meilleur de leurs ressources humaines, spirituelles et intellectuelles.

La rencontre actuelle a pour but de souligner quelques aspects caractéristiques de l'école privée et de la mission qu'elle se propose dans une société aux prises avec des transformations rapides et profondes, qui la portent à dépasser les frontières nationales pour établir une communauté européenne culturelle, économique, sociale et même politique.



Position de l'Etat à l'égard de l'enseignement privé.

On peut l'affirmer sans crainte : le statut qu'un pays réserve à l'école privée — Nous prenons ce terme au sens où vous l'entendez vous-mêmes, c'est-à-dire l'école qui n'est pas gérée par l'Etat — reflète assez exactement le niveau de vie spirituelle et culturelle de ce pays. Un Etat qui s'attribue exclusivement la tâche de l'éducation et interdit aux particuliers ou aux groupes indépendants d'assumer en ce domaine aucune responsabilité propre, manifeste une prétention incompatible avec les exigences fondamentales de la personne humaine. Aussi l'idée de la liberté scolaire est-elle admise par tous les régimes politiques, qui reconnaissent les droits de l'individu et de la famille. Dans la pratique, cependant, tous les degrés de liberté sont possibles. Tantôt l'Etat se désintéresse plus ou moins des efforts de l'initiative privée, ne les soutient pas financièrement, se réserve le droit d'accorder tous les titres académiques ; tantôt, par contre, il reconnaît sous certaines conditions la valeur de l'enseignement privé et lui accorde des subsides ; mais plus encore que la concession d'un appui matériel ou la reconnaissance légale des diplômes, importe la position de principe des gouvernements à l'égard de l'enseignement privé. Souvent, en effet, la liberté admise en théorie reste, en fait, limitée, et même combattue ; elle est tout au plus tolérée, lorsque l'Etat s'estime détenteur, en matière d'enseignement, d'un véritable monopole.



Mission de l'école et limites de l'intervention de l'Etat dans ce secteur.

Or, une analyse sérieuse des fondements historiques et philosophiques de l'éducation démontre clairement que la mission de l'école lui vient non de l'Etat seul, mais de la famille d'abord, puis de la communauté sociale à laquelle elle appartient. La formation de la personnalité humaine relève, en effet, avant tout de la famille, et comme, dans une large mesure, l'école tend au même but, elle ne fait que prolonger son action et recevoir d'elle l'autorité nécessaire à cette fin. La primauté du milieu familial dans l'éducation se manifeste d'ailleurs par l'impuissance fréquente du cadre scolaire à remédier seul aux carences familiales graves. D'autre part, dans la mesure où l'école communique un savoir, un ensemble de connaissances ordonnées à l'activité extérieure des individus, et surtout à l'exercice de leur profession, elle dépend aussi de la communauté, de ses traditions, de ses besoins, de son niveau de culture, de l'orientation de ses tendances. Les exigences de la communauté seront interprétées, au niveau de l'école, par des individus, des groupes organisés, des institutions culturelles ou religieuses, qui se proposent précisément, comme fin propre,



la formation des jeunes gens à leurs tâches futures. L'Etat, le pouvoir politique comme tel, n'interviendra que pour exercer un rôle de suppléance, pour assurer à l'action des particuliers l'extension et l'intensité requises. Loin donc de considérer l'école privée comme entièrement subordonnée au pouvoir politique, il faut lui reconnaître une réelle indépendance dans sa fonction propre et le droit de s'inspirer des principes familiaux, qui commandent la croissance et le développement des personnes humaines, sans oublier assurément les nécessités posées par le milieu social.

L'organisme administratif des Etats modernes s'est en effet amplifié démesurément, en absorbant des secteurs toujours plus étendus de la vie publique, celui de l'école en particulier. Autant cette intervention reste légitime, lorsque l'action des individus est impuissante à satisfaire aux besoins de l'ensemble, autant elle s'avère nuisible, lorsqu'elle supplante délibérément l'initiative privée compétente. Vous avez donc raison de souligner la priorité de l'école privée, sur celle dont la gestion dépend des pouvoirs publics, et les services éminents qu'elle a rendus partout où on lui a laissé une liberté d'action suffisante.



Nécessité de sauvegarder le rôle que doit jouer l'école privée dans la formation des jeunes générations.

Vous vous proposiez dans ce congrès de constituer un centre européen pour la défense des biens spirituels de l'école privée : cet objectif requiert aujourd'hui une attention soutenue et une intervention ferme de la part de tous ceux qui croient à sa fonction irremplaçable. Dans la plupart des nations modernes, elle doit encore malheureusement livrer une lutte serrée pour maintenir les droits acquis et assurer sa subsistance sur le plan économique. Mais, parce qu'elle n'est pas assujettie aux servitudes qui pèsent sur tous les organismes d'Etat, elle dispose d'une plus grande facilité d'adaptation aux conditions nouvelles de la vie internationale. Aussi avez-vous raison d'espérer que l'entente entre les écoles privées facilitera la formation des jeunes générations, avides de se libérer des étroitesses d'un nationalisme souvent exagéré et dépassé par les faits, et de faire face aux responsabilités accrues qu'elles devront assumer dans une Europe aux structures plus vastes. Dans les discussions où les responsables des écoles privées confrontent leurs points de vue, il est normal que les problèmes d'organisation et de méthodes occupent une large part, s'ils veulent rester parfaitement à la hauteur des progrès actuels de la pédagogie ; mais il importe qu'on respecte avant tout l'esprit de l'école libre, sa conception de l'homme et de l'éducation, l'idéal désintéressé de ceux qui s'y consacrent ; parfois, cédant à une émulation mal comprise, les dirigeants de l'école privée ont suivi, dans leurs méthodes et la composition de leurs programmes, l'exemple d'un système d'enseignement, obéissant à d'autres préoccupations, et moins soucieux de sauvegarder les vraies valeurs de la personne. Vous aurez à coeur, Nous n'en doutons pas, d'éviter cet écueil, plus dangereux pour vous que les attaques venues de l'extérieur.

Ceux qui joueront demain un rôle de premier plan dans la vie publique sortiront, Nous en sommes convaincu, des écoles qui honorent davantage l'idéal de liberté et d'initiative personnelle, et n'hésitent pas à mettre au coeur de leur enseignement de solides convictions morales et religieuses, celles surtout de la foi chrétienne qui, à travers les siècles, n'a cessé de modérer l'âme des peuples de l'Occident.

La société européenne, qui s'élabore maintenant, ne trouvera son équilibre intérieur et ne pourra tenir sa place parmi les autres puissances mondiales, que si elle dispose d'une élite imprégnée des meilleures traditions humaines et chrétiennes, et convaincue surtout de la primauté du spirituel sur les formes les plus élaborées de l'organisation technique. Il vous appartient, Messieurs, de travailler à la préparation et à l'épanouissement de cette élite, et de donner ainsi aux peuples d'Occident les forces vives qui les aideront à réaliser un destin commun dans la paix et la collaboration fraternelle.

En gage des faveurs divines et de succès pour les efforts que vous continuerez à déployer pour une si noble cause, Nous vous accordons à vous-mêmes et à tous ceux qui se dépensent dans la vérité et la justice au service de l'enseignement privé, Notre Bénédiction apostolique.

Pie XII 1957 - I CERTAINS ASPECTS GÉNÉRAUX DE LA MODE