Pie XII 1957 - ALLOCUTION A UN GROUPE D'AVOCATS PARISIENS (23 avril 1957)

ALLOCUTION A UN GROUPE D'AVOCATS PARISIENS (23 avril 1957)


1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 289.


Le mardi 23 avril, le Souverain Pontife a reçu en audience un groupe d'avocats du barreau de Paris, venus à Rome en un voyage organisé par l'Association touristique judiciaire. Il leur a adressé en français l'allocution suivante :

L'illustre barreau de Paris auquel vous appartenez, Messieurs, a toujours compté des hommes d'une culture et d'un talent hors de pair ; aussi est-ce pour Nous un plaisir vraiment particulier de saluer des visiteurs aussi distingués et de leur dire toute l'estime que Nous avons pour leur profession. L'Ordre des avocats, déclarait le Chancelier d'Aguesseau, est « aussi ancien que la Magistrature, aussi noble que la Vertu, aussi nécessaire que la Justice » 2.

2 OEuvres de M. le chancelier d'Aguesseau (Paris, Libraires associés, 1759), t. 1, p. 3 -Discours pour l'ouverture des audiences du Parlement, premier discours : L'indépendance de l'avocat (prononcé EN 1693).




Collaborateurs attitrés des tribunaux, vous faites jaillir la vérité de la diversité des témoignages et des documents. Lorsque vous prêtez au demandeur ou à l'inculpé l'assistance de votre compétence technique et de votre talent oratoire, l'effort de la clarification que vous poursuivez doit mettre en lumière ce que le procès a d'unique dans sa réalité précise et humaine. Tandis que la loi détermine séparément les divers éléments de la justice, votre rôle est d'en faire prévaloir une interprétation synthétique et nuancée, qui tienne compte de toutes les circonstances matérielles et psychologiques. La difficulté même de la tâche requiert pour s'en acquitter dignement des qualités peu communes et une préparation des plus attentives.



La profession d'avocat embrasse largement la condition humaine.

Une longue étude du droit, devenue aujourd'hui si complexe, sanctionnée par une série d'examens sérieux, permet d'aborder l'épreuve salutaire des stages. Celle-ci révélera les aptitudes réelles du candidat à la profession d'avocat, en manifestant son habileté à passer des connaissances théoriques à leur application dans l'art de la plaidoirie. C'est un grand art en effet, fait de rigueur et de finesse, de logique et d'éloquence, qui ne doit négliger aucun détail, mettre en valeur les nuances les plus subtiles, parler à l'intelligence et au coeur, élargir le débat ou le maintenir sur un point précis. Tout cela suppose une grande maîtrise de la langue et de l'élocution, une culture générale vaste et profonde, une capacité considérable de travail et d'improvisation. Depuis l'antiquité, votre carrière n'a cessé d'ouvrir la voie aux charges les plus élevées de l'Etat, car tandis qu'elle embrasse le plus largement la condition humaine, enracinée dans l'histoire, définie par le droit, en proie au jeu des passions, elle révèle et développe les dons supérieurs qui font les gouvernants.

Mais, sans quitter une profession bien digne d'occuper toute la vie d'un homme, combien d'avocats célèbres n'ont-ils pas exercé sur leur époque une influence rayonnante ? Plus d'un même a vu sa gloire consacrée par l'élection à l'Académie française. C'est précisément l'éloquence de l'avocat Olivier Patru qui, dès 1640, fut à l'origine de ces fameux discours de réception à l'Académie française, délices des lettrés et souvent documents d'histoire. Il Nous plaît de noter que dans la société actuelle, si fortement contrainte à la spécialisation technique et aux disciplines scientifiques, vous illustrez la valeur irremplaçable de l'humanisme classique, qui souligne les valeurs spirituelles et fait prévaloir le sens de l'homme sur le culte de la puissance.



Il n'y faut pas que du talent, mais de solides qualités morales.

C'est pourquoi le talent n'est pas une qualité suffisante dans une profession, qui touche de si près à l'exercice de la justice. Indépendance et désintéressement constituent des vertus essentielles et particulièrement méritoires chez un avocat. La morale professionnelle lui demande, comme à tous les hommes, de ne servir que la vérité, mais ce devoir est particulièrement onéreux, quand il s'agit de défendre un accusé, de faire mitiger pour le coupable la rigueur des lois. Depuis longtemps les libertés de la défense ont été nettement déterminées. Un homme d'honneur doit cependant toujours lutter contre la tentation de dépasser les limites permises, et le cas de saint André Avellin, voulant, dit-on, quitter le monde pour réparer un léger mensonge commis au cours d'une plaidoirie, montre assez la situation délicate où se trouve parfois un caractère foncièrement droit en face des problèmes de sa profession.

Un saint Yves, par contre, est vénéré et invoqué comme patron par votre Ordre pour avoir défendu courageusement les pauvres et les opprimés. C'est là que se manifeste la grandeur d'un office, où la justice et la miséricorde s'embrassent dans un même amour de Dieu et du prochain. Nous souhaitons que le Seigneur vous accorde la grâce de goûter, dans une mission si honorable et si utile aux hommes, les joies les plus profondes de l'esprit et du coeur. Vous continuerez ainsi la noble tradition de vos prédécesseurs, défenseurs du droit et de l'humanité. A cette intention et pour toutes celles que vous portez actuellement en vous, Nous vous accordons de grand coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN PÈLERINAGE MILITAIRE BELGE

(23 avril 1957) 1




Recevant en audience 250 militaires de Belgique, venus en pèlerinage à Rome, le Saint-Père leur adressa en français Vallocution suivante :

Nous accueillons avec plaisir et saluons de tout coeur le groupe des officiers, sous-officiers et soldats du pèlerinage militaire belge.

A l'approche des fêtes de Pâques, vous avez ressenti, chers fils, l'attrait qu'exerce sur tous les vrais chrétiens la ville, qui conserve avec les glorieuses mémoires des Apôtres Pierre et Paul le souvenir de tant de martyrs et de saints illustres et qui reste, par-dessus tout, le lieu privilégié, où le Seigneur a voulu que résident ceux qu'il charge de gouverner l'Eglise universelle en son nom.

En ces jours bénis, la présence plus sensible du Ressuscité fait vibrer d'une vive espérance les âmes des fidèles, de tous ceux qui croient en Lui, sans l'avoir vu, mais non toutefois sans avoir éprouvé bien souvent, au cours de leur vie, le réconfort de sa lumière et de sa grâce. Nous formons des voeux fervents pour que, durant votre séjour à Rome, se ravivent vos sentiments de foi et d'attachement indéfectible au Christ, dont vous célébrez la victoire sur le péché et sur la mort, votre affection filiale envers l'Eglise et votre charité pour tous ceux qui se réjouissent avec vous d'en être les enfants. Que le Seigneur vous aide à servir votre pays avec loyauté, ardeur et générosité et à rester dignes de vos traditions militaires et des gloires de votre armée. Nous appelons sa bénédiction et ses grâces sur vous-mêmes, sur les membres de vos familles et sur tous ceux qui vous sont chers.


DISCOURS A DES RELIGIEUSES HOSPITALIÈRES



(24 avril 1957) 1





Le Pape a reçu le 24 avril dans la Basilique Saint-Pierre, 2000 religieuses hospitalières, venues à Rome pour le Ier Congrès national des supérieures et soeurs hospitalières d'Italie, et leur a adressé en italien un important discours, dont voici la traduction :

Nous vous souhaitons paternellement la bienvenue, chères filles, religieuses et supérieures des hôpitaux, des cliniques et des maisons de cure. Vous êtes venues à Rome pour votre premier Congrès national, dans le but d'étudier le thème « Vie et apostolat religieux, technique, organisation et profession de l'assistance sanitaire des malades » ; il Nous a donc parU que Nousne pouvions rester étranger à ces assises, Nous qui voyons avec une joie profonde agir, avec prudence et hardiesse, tott le mmnde des religieuses, attentives à examiner les moyens et les méthodes qui serviront le mieux au renouvellement de leur vie et de leur action apostolique.

Ce thème indique combien vous êtes persuadées que l'Eglise, immuable dans ses principes et dans ses institutions essentielles, n'est pas immobile pour autant, mais qu'elle vit, croît et s'adapte aux temps nouveaux et aux circonstances changées, pour être en toute époque une âme du monde. Nous sommes reconnaissant à tous ceux qui ont préparé votre réponse généreuse, empressée et confiante aux désirs du Saint-Siège, en affrontant les problèmes nombreux et complexes qui vous concernent. Et Nous demandons au Seigneur qu'il veuille bien les éclairer et les soutenir dans l'entreprise ardue qu'ils ont assumée.





Le rôle irremplaçable des religieuses et la légitime adaptation des méthodes d'apostolat.

Il n'est pas nécessaire de réaffirmer Notre conviction sur le caractère irremplaçable de la présence des religieuses dans de multiples domaines de l'apostolat catholique ; surtout dans celui de l'éducation et de l'école, ainsi que dans celui de la charité. L'oeuvre missionnaire de l'Eglise est elle-même, depuis longtemps déjà, inconcevable sans la participation des Soeurs ; mais même dans plus d'une région où la hiérarchie sacrée est constituée, leur travail est indispensable pour la bonne organisation de l'assistance spirituelle. Sans leur collaboration, l'Eglise aurait sans doute dû renoncer à de nombreux progrès ; de nombreuses positions, péniblement conquises, auraient peut-être dû être abandonnées. Par l'oeuvre de vos mains maternelles, chères filles, l'Eglise soutient les vieillards vacillants ; par les battements de votre coeur, l'Eglise réchauffe les âmes des petits orphelins ; par la ferveur de votre déXcchs0 vouement, h'Eglise aSsiste les malades.

uperqubTcharscalex100Mais, comme vous êtes une phalange de femmes cons`crées à Dieu, offertes à l'Eglise en esprit d'holocauste pdrmanent, il est toujours opportun, il est pabfois même nécessaire que, de temps en temps, on f!sse le bIlan de votre travail et que l'on considère, en cette occasimn, c%rtaines méthodes, de vie et d'action, dans le but de voir si elles sont encore utileS et efficaces, comme dans le passé.

Vous voici donc à un congrès, où alternent prière assidue, étude intense et discussions animées et sereines ; vous pouvez bien imaginer combien il Nous trouve consentant et confiant ; il Nous semble, en effet, nécessaire que vous vous rendiez compte de ce que vous devez être, de ce que vous devez faire, afin que la si délicate question de l'assistanb% des malades soit complètement et sagement examinée et rLf0ésolue. D'éminents orateurs et conférenciers exposeront, avec la clarté qui leur vient de longues écchs0 tudes et de l'expérience quotidienne, les critères qui doivent inspirer et déterminer les rapports entre la vie religieuse et l'assistance des malades ; Nous Nous limiterons donc à vous proposer quelques brèves pensées, pour contribuer en quelque sorte à la bonne réussite de votre rencontre.


I SOYEZ AVANT TOUT DE VRAIES RELIGIEUSES

La vocation à la virginité l'emporte sur l'état du mariage.

C'est une vérité de foi, encore récemment énoncée par Nous dans l'Encyclique Sacra Virginitas du 25 mars 1954 2, que la virginité est supérieure à l'état matrimonial, parce que l'âme vierge noue des liens d'amour absolu et indissoluble directement avec Dieu, voire avec le Dieu incarné, Jésus-Christ. En effet, tout ce qu'elle a reçu en don de Dieu pour être épouse et mère, elle le Lui offre en holocauste sur l'autel d'un renoncement complet et éternel. Pour arriver au coeur de Dieu, l'aimer et en être aimée, l'âme ne passe pas à travers d'autres coeurs, elle ne s'arrête pas à traiter avec d'autres créatures ; rien ne s'interpose entre elle et Jésus, aucun obstacle, aucun diaphragme.

En revanche, dans le mariage, tout en étant un vrai sacrement, une des sept sources de grâce instituées par le Christ lui-même ; tout en comportant l'offrande réciproque de l'un à l'autre époux ; tout en arrivant à une vraie fusion de vies et de destins ; il y a, à l'égard de Dieu, quelque chose qui est retenu, qui n'est pas du tout donné ou n'est pas donné complètement ; seules les âmes vierges offrent ce qui pour d'autres créatures aimantes est un but inaccessible ; pour elles le premier gradin de leur montée est également le dernier : et le terme de l'ascension est à la fois un sommet et un abîme de profondeur.

Appelées par Dieu, en vertu d'un ineffable dessein d'amour, à cet état de prédilection, vous devez être de fait, sans égard à n'importe quel sacrifice, ce que vous êtes de droit.

2 Cf. Documents Pontificaux 1954, pp. 79 et suiv.




Vous devez être de vraies épouses du Seigneur : des âmes unies indissolublement, intimement et uniquement à Lui ; des âmes sans tache, détachées du monde des sens, du monde de l'argent, du monde des vanités. Et Nous reconnaissons volontiers qu'un très grand nombre de Soeurs répondent pleinement à l'idéal de leur vocation ou, tout au moins, s'en approchent grandement. Oh ! si elles étaient toutes ainsi, toutes les religieuses qu'il y a dans le monde ! Si parmi elles, il n'y avait jamais — Nous ne dirons pas de trahisons — mais même pas les moindres indices d'infidélité, les moindres signes d'indifférence, de froideur et d'incompréhension ! Dieu seul sait quelle vitalité nouvelle et quelle fécondité trouverait l'Eglise. Et ce sont surtout les malades confiés à vos soins, qui s'en rendraient compte et qui verraient toujours vraiment en vous Jésus-Christ.



Prière, vie commune, pauvreté.

Afin qu'une telle vie religieuse ne soit pas mise en danger ou gâtée par votre oeuvre d'assistance des malades, vous devez réagir contre tout ce qui s'oppose à l'esprit de consécration absolue et permanente à Dieu. Faire attention par exemple à cette action désordonnée et inquiète, qui ne laisse pas de temps ni de calme pour Jésus ; pour l'écouter, pour lui demander quelles sont ses volontés, ses désirs, ses préférences ; pour lui rendre compte de ce que vous avez fait. Faire attention, en outre, à ce qui pourrait vous arracher trop longtemps ou trop souvent à la vie commune : si celle-ci comporte quelques renoncements, elle est aussi une protection efficace pour votre vie intérieure et un grand exercice de charité. Faire attention à l'observation de l'esprit de pauvreté, pas seulement individuel, mais également collectif. Sans aucun doute, Nous savons bien les exigences économiques de vos cliniques, qui entendent et doivent être au niveau de ce qu'on exige pour un hôpital moderne, et il n'est pas toujours facile dans de telles conditions de demeurer fidèles en tout à l'idéal de la pauvreté. Malgré cela, Nous croyons pouvoir attirer votre vigilance sur le danger de tentations faciles, dont ne sont pas toujours exemptes les religieuses qui assistent les malades : Nous faisons allusion à certaines cliniques, où il semble que les critères finissent par n'être guère différents de ceux de certaines entreprises commerciales.




II

LASSISTANCE ASSIDUE DES MALADES DOIT DÉRIVER CHEZ VOUS DE L'ESPRIT RELIGIEUX INTENSÉMENT VÉCU



La prédilection de l'Eglise pour les malades.

Depuis que l'homme a pu être malade, ceux qui se souciaient de l'assister, de le soigner, comme les temps et les moyens le permettaient, n'ont jamais manqué. Mais les vrais édifices spécifiques construits dans le but d'accueillir et d'assister les malades ont fait leur apparition plus tard et — il ne faut pas l'oublier — seulement par effet de l'universelle charité, laissée en héritage à l'Eglise par son divin Fondateur, comme Nous avons eu l'occasion de le montrer en une autre circonstance 3. Aujourd'hui, ceux qui étaient restés pendant longtemps indifférents et absents s'intéressent à ce problème — comme à plus d'un autre. Que leurs efforts soient bénis et qu'ils soient tous les bienvenus, ceux qui veulent apporter leur oeuvre dans la grande cause de la souffrance humaine. Mais personne ne doit penser que l'Eglise puisse abandonner son rôle maternel de consolatrice des malades et de ceux qui souffrent ; en effet, personne ne pourrait la remplacer complètement dans sa mission auprès du malade, car celui-ci n'a pas seulement un corps, mais aussi une âme, qui a souvent encore plus besoin d'être soignée. Et Nous estimons que les premiers à en être convaincus sont les bons médecins, qui savent bien apprécier le bienfait que sont la présence et l'oeuvre des Soeurs infirmières catholiques.



La préparation morale et professionnelle de la religieuse infirmière.

D'où Notre volonté que l'on ne s'arrête pas sur le chemin où l'on s'est engagé afin de préparer une foule d'âmes toujours plus nombreuses et plus empressées pour les tâches qui les attendent auprès des malades. C'est pour cela, chères filles, que vous avez renoncé à la famille, celle que vous aviez et celle que vous auriez pu avoir ; c'est pour cela que vous ne devez rien négliger de tout ce qui peut vous rendre plus capables de diriger des lieux de cure et spécialement de secourir les malades. Il ne suffirait pas pour cette oeuvre d'être des religieuses, ni même des religieuses parfaites ; il est nécessaire de posséder également les connaissances techniques indispensables relatives aux nouvelles méthodes de cure, aux nouveaux instruments qui doivent être employés, aux nouveaux remèdes qui doivent être administrés. Etant des religieuses, vous devez, comme les autres infirmières et encore plus, surveiller votre tempérament et former votre caractère. Il vout faut, par exemple, de la tendresse maternelle devant les mille souffrances, qui vous demandent réconfort et



S Cf. Discorsi e radiomessaggi, 14, pp. 155-156.

aide ; il vous faut une douce fermeté devant des excès ou des demandes indiscrètes des malades ; il vous faut un rythme dynamique de vie et, en même temps, un calme constant qui vous fasse dominer les événements. Vous avez besoin d'une présence d'esprit, qui vous évite d'être prises au dépourvu, même dans les cas les plus imprévus et les plus soudains ; il vous faut une patience sereine, joyeuse, un don de prévoir et de pourvoir, qui n'oublie rien et ne néglige rien. Si Nous vous avons recommandé de ne rien accepter qui puisse nuire à l'authentique esprit religieux, Nous devons aussi vous faire observer que certains horaires et usages pourraient parfois rendre moins efficient et moins facile votre rôle auprès des malades. Les supérieures doivent se montrer, également en cela, sages et vigilantes. Vous devez être des religieuses et, en même temps, assister les malades : il faut vous appliquer à avoir présentes à l'esprit ces deux exigences et à y satisfaire.

III

POUR CELA IL NOUS SEMBLE DES PLUS UTILE DE VOIR EN TOUT MALADE JÉSUS

Quand arrive dans vos cliniques, dans vos hôpitaux, un hôte, auquel il semble que, pour quelque juste motif, soient dus des égards particuliers, vous savez ce qui se passe d'habitude : tout de suite, les médecins, les infirmiers, tous accourent, s'offrent, se prodiguent, afin qu'il ne lui manque rien, qu'il n'ait à se plaindre de rien. Qu'arriverait-il alors si, un jour, à l'improviste, c'était Jésus qui venait demander l'hospitalité ? Quelle émulation y aurait-il alors pour se trouver près de Lui, quel empressement à n'importe quel sacrifice pour être choisies vous-mêmes pour lui tenir compagnie, le réconforter, le soigner ? Alors toute délicatesse vous semblerait insuffisante, toute attention trop petite, tout horaire opportun.

Or, il est certain que tout homme malade est l'image de Jésus. Domine, quando te vidimus infirmum ? lui demanderont un jour les élus et venimus ad te ? Et le Seigneur répondra : quamdiu fecistis uni ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis (Mt 25, 39, 40).

Si vous aviez cette vive foi ; si au-delà des visages humains — visages contractés par le spasme, ou pâlis par l'épuisement de l'organisme, visages enflammés par la fièvre, visages tourmentés par la crainte de l'aggravation du mal, visages immobiles et résignés — si au-delà de tous les visages, vous saviez reconnaître Jésus dans toutes les salles, gisant sur tous les lits, immobile dans la solennité mystérieuse des salles d'opération ; vous ne sentiriez plus la transition de la chapelle à la salle et il ne subsisterait plus de crainte que l'observance religieuse nuise à l'assistance ou que celle-ci porte préjudice à celle-là. Vous continueriez à l'aimer pareillement, de toute façon qu'il se cache et partout. Il n'y aurait aucune interruption de colloque avec Lui ; aucune distraction, aucun oubli de ce qu'il est, de ce qu'il veut.

Alors, il sera facile pour vous de passer les nuits sans sommeil devant les malades graves, dont la vue désormais s'obcur-cit et dans le coeur desquels meurent toutes les espérances humaines ; alors vous saurez sourire devant l'indifférence et même devant l'insulte ; alors vous saurez toujours trouver de nouvelles forces fraîches, comme si le malade d'aujourd'hui était le premier que vous approchiez ; alors vous saurez être minutieuses et précises, comme s'il était le dernier malade, auquel vous deviez assurer vos soins avant d'être rappelées par Dieu.

Chères filles !

C'est là tout ce que Nous avons cru devoir vous dire à l'ouverture de votre congrès, que Nous bénissons avec toute l'effusion de Notre esprit, reconnaissant pour tout ce que vous avez fait jusqu'à présent et plein de confiance pour tout ce que vous ferez dans l'avenir.

L'Eglise, le Pape comptent sur vous : sur votre dévouement complet, sur votre capacité, sur votre esprit d'amour.


DISCOURS A DES ÉTUDIANTS D AFRIQUE (24 avril 1957)


1





Des groupes d'étudiants de l'Afrique Orientale Française, de Madagascar et des Antilles, venus en pèlerinage à Rome, furent reçus en audience par le Saint-Père qui leur adressa en français le message suivant :

Nous saluons le pèlerinage d'étudiants et d'étudiantes d'Afrique, de Madagascar et des Antilles, venant de presque toutes les villes universitaires de France. Nous sommes heureux, chers fils et chères filles, de vous accueillir à l'occasion de votre premier pèlerinage romain. Nul autre moment de l'année n'aurait pu mieux s'y prêter que celui de Pâques où la joie du Ressuscité s'unit en vous à celle de fouler ce sol qui vous est cher parce que tant de monuments de tous les âges vous remémorent les souffrances et les triomphes du christianisme. Ici vous recevrez la grâce de devenir des chrétiens plus fervents, plus conscients de la gravité des responsabilités que vous aurez à assumer comme tels dans vos pays respectifs. Préparez-vous donc sérieusement et courageusement, par la prière, la réflexion, les échanges de vues fraternels et ouverts, à vos tâches futures, professionnelles, sociales et politiques. Puisez dans la doctrine de l'Eglise les lumières qui vous sont nécessaires et suivez filialement les directives de vos Evêques qui sont chargés de vous guider. Que le Seigneur vous assiste et fasse de vous des apôtres généreux dont l'Eglise puisse être fière.


DISCOURS A LA XI\2e\0 ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE « PAX ROMANA » (25 avril 1957)


1





Le jeudi 25 avril, le Souverain Pontife recevant en audience les membres de la XIe Assemblée plénière du mouvement international « Pax Romana », leur adressa en français le discours suivant :

Rassemblés du monde entier au centre de la chrétienté pour célébrer la XIe Assemblée plénière du Mouvement international des intellectuels catholiques, vous avez tenu, chers fils, à saluer d'abord le Père commun et à obtenir pour vos travaux ses encouragements et sa bénédiction. Bien volontiers et de grand coeur Nous accueillons votre demande, et c'est un bonheur pour Nous que de vous recevoir ici au temps des joies rayonnantes de Pâques. Les nombreuses délégations, qui représentent 64 organisations affiliées à Pax Romana dans sa branche aînée, magnifique élite mondiale de toutes les professions, sont accompagnées du Comité directeur de la section des étudiants, la plus jeune et la plus ancienne à la fois, puisqu'elle a donné naissance, en 1947, au mouvement qui fête aujourd'hui si brillamment son Xe anniversaire. A tous, Nous adressons la bienvenue la plus cordiale.

Pour résumer en quelque sorte et couronner les divers thèmes abordés dans les assemblées précédentes, votre réflexion se portera cette année sur un sujet très vaste et très actuel : la situation et le rôle des intellectuels catholiques dans la communauté mondiale en formation. Bien que d'éminents orateurs doivent illustrer au cours de vos réunions les principaux aspects du problème, vous avez sollicité de Notre part, en guise d'introduction, quelques paroles sur le même thème. C'est pourquoi, en réponse à ce filial désir, Nous Nous proposons de jeter avec vous un regard sur la communauté mondiale en formation pour rappeler ce qu'elle doit être aux yeux de la raison et de la foi, et dégager plus clairement l'attitude qui convient de votre part.



Les angoisses du monde actuel.

Depuis quelques années surtout, les hommes et les peuples assistent, non sans étonnement ni angoisse, à l'évolution accélérée des structures internationales ; si les merveilleux progrès des relations humaines en de nombreux domaines, matériel, intellectuel et social, les réjouissent, ils ne peuvent s'empêcher parfois de craindre que l'unification, vers laquelle le monde marche à grands pas, ne s'effectue dans la violence et que les groupes les plus puissants ne prétendent imposer à l'humanité entière leur hégémonie et leur conception de l'univers. L'inquiétude est d'autant plus grande que, d'un conflit mondial, les armes modernes feraient un désastre épouvantable. Certains se demandent donc si l'évolution précipitée du monde ne conduit pas toute la famille humaine vers la catastrophe ou la tyrannie. Et ceux qui, comme vous, perçoivent par la foi l'immense et éternelle tragédie du salut des âmes, ressentent un plus profond besoin de lumière et de certitude.

Comment le Vicaire de Jésus-Christ pourrait-il ne pas entendre cet appel et apporter une fois de plus à l'anxiété du monde le réconfort de la vérité catholique ?



« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. »

Quand il s'agit de définir le rôle que certains hommes sont invités à jouer dans la communauté mondiale en formation, il est nécessaire de rappeler d'abord le but le plus élevé, celui auquel tous les autres demeurent subordonnés. Pour un chrétien, la volonté du Christ est la raison dernière de ses choix et de ses décisions. Or, le Sauveur s'est fait homme et a donné sa vie « pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés » ; il a voulu « être élevé de terre » sur la croix pour « attirer tous les hommes à Lui », les réunir sous sa conduite en « un seul troupeau et un seul bercail », « afin que Dieu soit tout en tous » (Jean xi, 52 ; xii, 32 ; x, 16 ; I Cor. xv, 28).

Un chrétien ne peut donc rester indifférent devant l'évolution du monde : s'il voit s'ébaucher, sous la pression des évé-



nements, une communauté internationale de plus en plus étroite, il sait que cette unification, voulue par le Créateur, doit aboutir à l'union des esprits et des coeurs dans une même foi et un même amour. Non seulement il peut, mais il doit travailler à l'avènement de cette communauté encore en formation, car l'exemple et l'ordre du divin Maître constituent pour lui une lumière et une force incomparables ; tous les hommes sont ses frères, non seulement en vertu de l'unité d'origine et de la participation à une même nature, mais encore d'une façon plus pressante par leur commune vocation à la vie surnaturelle. Appuyé sur une telle certitude, le chrétien mesure à quel point Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ; car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous » (I Tim. n, 4-6).



La responsabilité des intellectuels catholiques.

La vérité révélée, dont il est question dans cette affirmation de l'Ecriture, a été confiée au magistère infaillible de l'Eglise, mais elle forme le patrimoine de la communauté catholique, qui s'en nourrit et en vit. Elle fournit à chaque fidèle un cadre de pensée, une norme selon laquelle il juge les hommes et interprète les événements. Ce point de vue catholique, il vous appartient, chers fils, d'en pénétrer toujours davantage la grandeur et la beauté, d'en apprécier et d'en mettre en valeur la cohérence et la profondeur. Qu'il soit vraiment la lumière de votre intelligence, le ressort de votre action, le réconfort de vos âmes. Mais vous n'êtes pas des chercheurs isolés, des penseurs autonomes ; vous êtes des intellectuels catholiques, c'est-à-dire chargés d'une responsabilité sociale universelle en ce qui concerne le rayonnement de la vérité chrétienne et son application concrète dans tous les secteurs d'activité. Par l'autorité que vous confèrent votre culture et la compétence acquise dans votre profession, vous constituez pour votre entourage une question et une réponse. Vous êtes par la grâce de votre vocation chrétienne une lumière, qui attire et qu'on ne peut rejeter sans se condamner implicitement, si du moins il s'agit de la véritable lumière du Christ. Cette réserve, que l'imperfection humaine justifie toujours à quelque titre, mesure cependant toute la responsablité des intellectuels catholiques dans le désarroi d'une société, où les questions essentielles sont le plus souvent laissées de côté, soit dans les affaires courantes, soit dans les décisions de portée universelle qui engagent l'orientation politique, sociale, culturelle des pays ou des continents.

La participation des catholiques aux institutions non chrétiennes.

Est-ce à dire qu'on ne peut collaborer au service de la communauté mondiale dans des institutions, où Dieu n'est pas reconnu expressément comme l'auteur et le législateur de l'univers ? Il importe ici de distinguer les niveaux de coopération. Sans oublier, en effet, que son but ultime est de contribuer au salut éternel de ses frères, le chrétien se souviendra que l'avènement du règne de Dieu dans les coeurs et dans les institutions sociales requiert le plus souvent un minimum d'épanouissement humain, simple requête de la raison, à laquelle tout homme se soumet normalement, même s'il n'a pas la grâce de la foi.

Le chrétien sera donc prêt à travailler au soulagement de toutes les misères matérielles, au développement universel d'un enseignement de base, en un mot à toutes les entreprises visant directement l'amélioration du sort des pauvres et des déshérités, certain en cela de remplir un devoir de charité collective, de préparer l'accession d'un plus grand nombre d'hommes à une vie personnelle digne de ce nom, de favoriser ainsi leur entrée spontanée dans le grand concert d'efforts, qui les achemine vers un état meilleur, qui leur permet de regarder en haut, d'accueillir la lumière et d'adhérer à la seule vérité qui les fera vraiment libres (Jean vin, 32).

Ceux, toutefois, qui jouissent d'une certaine notoriété et peuvent par là influer sur l'esprit public, se sentent chargés d'une tâche beaucoup plus considérable, car la vérité ne tolère, de soi, ni mélange, ni impureté, et leur participation à des entreprises incertaines pourrait sembler cautionner un système politique ou social inadmissible. Là encore, cependant, il existe un vaste domaine, sur lequel les esprits affranchis de préjugés et de passions peuvent se mettre d'accord et s'entraider en faveur d'un bien commun réel et valable, car la saine raison suffit à établir les bases du droit des gens, à reconnaître le caractère inviolable de la personne, la dignité de la famille, les prérogatives et les limites de l'autorité publique.

C'est pourquoi la coopération des catholiques est souhaitable dans toutes les institutions qui respectent, en théorie et en pratique, les données des lois naturelles. Ils chercheront, en effet, à les maintenir dans leur droite ligne et à jouer par leur présence active un rôle bienfaisant, que le divin Maître compare à celui du sel et du ferment. Ils trouveront dans les organismes, qui se proposent un but humanitaire universel des âmes généreuses et des esprits supérieurs, qui sont susceptibles de s'élever au-dessus des préoccupations matérielles, de comprendre qu'une destinée vraiment collective de l'humanité suppose la valeur absolue de chacune des personnes, qui la constituent/et l'établissement en dehors du temps de la véritable société, dont la communauté terrestre ne peut être que le reflet et l'ébauche.

Une communauté réelle impose des sacrifices mutuels.

Soulignons aussi une composante essentielle de l'esprit en formation, celle d'une plus grande abnégation. Des chrétiens ne s'étonneront pas de Nous entendre prononcer ce mot. C'est d'ailleurs un fait d'expérience et une nécessité logique : une communauté réelle impose des sacrifices mutuels. Vous vous rappellerez comment le Fils de Dieu fait homme enseigna aux hommes les conditions de l'unité, lui qui « n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude » (Mt 20,28). C'est par là, en effet, qu'il a voulu illustrer lui-même la nécessité et la fécondité du sacrifice pour susciter une forme de vie supérieure, à laquelle les hommes sont invités par vocation surnaturelle : former l'unité des fils de Dieu.

Est-il besoin d'évoquer pour finir la victoire et la joie de Pâques ? Oui, vraiment, vous avez, chers fils, une belle mission à remplir : au milieu d'un monde inquiet, portez l'espérance et la paix d'un dévouement fraternel à l'échelle de l'univers ; soyez le sel, sans lequel tout risque de dégénérer et de se corrompre ; soyez le ferment, qui soulève la masse compacte et qui fera d'une pâte amorphe le pain de la communauté humaine ; que chacun, grâce à vous, comprenne qu'« il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir », plus de noblesse à servir qu'à se laisser servir, plus de joie à donner sa vie pour ses frères qu'à la réserver pour soi seul.

C'est le voeu que Nous formons pour vous tous et la faveur que Nous implorons du Sauveur ressuscité pour chacune de vos associations et pour l'ensemble de votre mouvement. En gage de quoi Nous vous accordons dans l'effusion de Notre coeur paternel la plus ample et plus affectueuse Bénédiction apostolique.




Pie XII 1957 - ALLOCUTION A UN GROUPE D'AVOCATS PARISIENS (23 avril 1957)