Pie XII 1957 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU PREMIER CONGRÈS DE L'ASSOCIATION CATHOLIQUE DES CHEFS D'ENTREPRISE DE L'ARGENTINE


DISCOURS A UN GROUPE DE MÉDECINS ET DASSISTANTES SOCIALES DES ÉTATS-UNIS

(5 août 1957) 1






Recevant en audience un groupe de médecins et d'assistantes sociales des Etats-Unis d'Amérique, qui venaient de participer à un congrès tenu à Londres par la Société internationale pour le bien-être des infirmes, le Pape prononça un discours en anglais, dont voici la traduction :

Durant votre bref séjour à Rome, au retour du VIIe Congrès mondial sur la Réhabilitation à Londres, vous avez désiré recevoir Notre Bénédiction pour vous et pour votre travail. Laissez-Nous donner à celui-ci un titre plus précis et plus approprié : votre apostolat de charité, un véritable apostolat méritant l'admiration de tous les hommes, et qui, Nous en sommes certain, est le plus agréable à Celui, que saint Pierre évoque comme ayant passé en faisant le bien (Act. x, 38).

L'homme est né dans la société comme un membre vital, pour apporter sa contribution, chacun selon ses forces, au progrès du bien commun. Quelques-uns, et leur nombre n'est pas petit, sont lourdement handicapés par diverses inaptitudes physiques, qui les ont atteints le plus souvent sans qu'ils en soient aucunement responsables ; et leur champ d'activité possible est rigoureusement restreint. Mais ce serait, de la part de la société, une erreur grave, ainsi qu'un manque regrettable à la charité chrétienne, de simplement défalquer leur contribution. Il appartient au contraire à la communauté de manifester un intérêt spécial au développement de leurs capacités limitées, en les mettant en mesure de pouvoir gagner leur vie avec dignité et avec une confiance libre, et partager les joies d'une existence humaine normale.

Votre société internationale est une fédération de plus de trente organisations nationales volontaires, consacrées à la réhabilitation de ces citoyens inaptes. Le service que vous rendez est un de ceux qui émeuvent le coeur humain ; et tout en priant que Dieu puisse continuer à bénir et à faire prospérer votre oeuvre, Nous saisissons cette occasion une fois de plus pour exprimer l'ardente affection de Notre coeur paternel pour ceux que vous servez. Ayez bon courage ; conservez votre résolution de jouer votre rôle en faisant de ce monde un lieu plus approprié pour être habité par les créatures de Dieu ; et en même temps levez les yeux vers le ciel, en sachant bien que le Dieu de tout amour et de toute miséricorde connaît votre condition et qu'il mesurera ses demandes à vos forces limitées ; la courageuse allégresse avec laquelle vous acceptez cette restriction et employez vos forces, aura sa récompense, lorsque vous Le posséderez avec une joie ineffable pour toujours.

C'est avec plaisir que Nous avons passé ces quelques moments avec vous, messieurs et mesdames ; et avec une affection reconnaissante, Nous vous donnons, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers et à tous ceux que votre fédération assiste, Notre Bénédiction apostolique.

MESSAGE

AU Ille CONGRÈS DE L'UNION MONDIALE DES ENSEIGNANTS CATHOLIQUES
(5 août 1957) 1






Le Souverain Pontife a bien voulu adresser ses encouragements en même temps que quelques directives aux participants au IIIe Congrès international des enseignants catholiques, qui se tint à Vienne en septembre.

Voici la traduction du message rédigé en allemand :

Vous vous apprêtez, chers fils et chères filles de l'Union mondiale des enseignants catholiques, à célébrer à Vienne, sur l'invitation des enseignants catholiques d'Autriche, votre troisième congrès mondial. C'est parmi les éducateurs catholiques d'Autriche, en effet, que l'idée d'une organisation internationale des enseignants catholiques a pris naissance, et c'est à Vienne, au congrès eucharistique de 1912, que fut fondée l'Union mondiale des pédagogues catholiques. Les tempêtes et les coups du destin qui s'abattirent par la suite sur l'Autriche vous ont également frappés. Après 1945, cependant, l'idée qui avait engendré cette association mondiale ne fit que revivre avec une force accrue. L'Année Sainte 1950 vit ensuite la création de votre Union, qui établit son siège au centre même de l'Eglise, tout près de Notre personne.

Nous Nous réjouissons de la vigueur juvénile et de la croissance de cette Union. A ses origines, elle comprenait dix associations d'enseignants. Mais aujourd'hui, quarante associations d'enseignants réparties à travers le monde entier lui sont





déjà affiliées. L'Union est forte de l'adhésion de 320.000 membres, tous unis dans la pensée et dans la volonté que Notre prédécesseur immédiat de vénérée mémoire, Pie XI, a établies dans son encyclique Divini illius Magistri comme idéal de l'éducation catholique. Nous notons aussi avec satisfaction le fait que l'UNESCO vous ait accordé le statut consultatif, ce qui témoigne du crédit dont jouit votre Fédération.

Les enseignants catholiques d'Autriche, chargés de préparer cette année votre congrès mondial, Nous ont prié de lui accorder Notre bénédiction. Nous accédons volontiers à ce désir ; mais Nous estimons devoir à l'importance de votre profession et de votre Union mondiale de vous adresser d'abord quelques paroles pour guider vos activités.



Nécessité accrue de l'école catholique.

Les cent et quelques dernières années sont remplies de la lutte de l'Eglise pour l'éducation catholique de sa jeunesse et pour les écoles qui la dispensent. Là où la constitution et les lois ont laissé aux catholiques le soin de créer leurs écoles en s'appuyant sur leurs propres ressources spirituelles et financières, les fidèles ont partout consenti à cet effet des sacrifices que l'on peut qualifier d'héroïques. Entre temps, l'humanité est entrée dans l'ère de la technique. Si cette dernière est en train d'amener des changements dans la structure psychique de l'homme, elle ne saurait pourtant toucher à l'idéal catholique de l'éducation. Des pédagogues ont fait remarquer à juste titre que, face à ces changements qui entraînent — sur le plan de la vie sensorielle — un abandon excessif aux perceptions des sens, accompagné d'une atrophie de la pensée discursive, d'un besoin d'activité exagéré, d'une tendance à se conformer à l'ensemble sans résistance et sans esprit de responsabilité : face à de telles modifications, donc, l'éducation morale et religieuse revêt désormais une importance encore plus grande que la transmission du savoir et la formation professionnelle ; c'est justement l'homme de notre époque dominée par la technique qui a besoin de cette éducation intégrale et unificatrice — éducation fondée sur la Vérité absolue et plaçant Dieu au centre de l'existence — telle que seules la foi chrétienne, l'Eglise catholique peuvent la donner. Aussi apportons-nous aux temps nouveaux notre idéal ancien en ce qui concerne l'école.

Rayonnement du maître chrétien.

Mais l'Eglise catholique apporte aussi aux temps nouveaux l'idéal de l'éducateur catholique. Le maître est l'âme de l'école. Voilà pourquoi l'Eglise tient à la personnalité et à la formation du maître autant qu'à l'école catholique même. Car le maître authentiquement catholique constitue l'élément essentiel de l'école catholique. Que l'activité professionnelle des maîtres et maîtresses catholiques appartienne ou non à l'apostolat des laïcs au sens propre, soyez persuadés, chers fils et filles, que le maître chrétien, qui par sa formation et son dévouement est à la hauteur de sa tâche, et, profondément convaincu de sa foi catholique, en donne l'exemple à la jeunesse qui lui est confiée, comme une chose allant de soi et devenue en lui une seconde nature, exerce au service du Christ et de son Eglise une activité semblable au meilleur apostolat des laïcs. Ceci est vrai des maîtres catholiques enseignant dans des écoles catholiques, mais presque davantage encore de ceux qui enseignent dans desécoles non catholiques.



Les lourdes tâches de l'Amérique latine, de l'Asie et de l'Afrique.

Votre congrès mondial a choisi pour thème « Les tâches de l'enseignant catholique dans la vie internationale ». Vous aurez de nombreuses questions à traiter au cours de débats sérieux. Nous voudrions Nous borner à mentionner ici quelques-unes des grandes questions et tâches de l'heure présente qui concernent l'éducation et l'école catholique.

Dans toute l'Amérique latine, face aux périls mortels qui menacent là-bas l'Eglise catholique, les exigences suivantes s'imposent à nous : important renforcement numérique et formation professionnelle valable du personnel enseignant catholique ; encouragement et perfectionnement aussi bien de l'esprit catholique que des résultats effectifs, en ce qui concerne les établissements d'enseignement secondaire catholiques destinés à éveiller des vocations sacerdotales et à former, pour les autres professions, de jeunes catholiques convaincus.

Pour ce qui est de l'éducation et de l'école catholiques en Asie, les premières assises asiatiques de l'Apostolat laïque en Asie, et de même, pour l'Afrique, la première rencontre des dirigeants de l'Apostolat laïque à Kisubi (Ouganda) ont mis en évidence des lignes directrices et des tâches très importantes > c'est, là encore, la formation professionnelle d'enseignants catholiques qui puissent servir de modèles ; écoles de filles et éducation des femmes ; position de l'enseignant catholique face à l'autorité ecclésiastique ; spécialement en Afrique, position de l'enseignant face à l'autorité publique indigène ainsi qu'attitude du maître catholique par rapport aux associations neutres fondées par l'Etat et exclusivement admises par lui. C'est à Kisubi que fut énoncé le principe sain et pleinement conforme à la doctrine de suppléance, selon lequel l'Etat doit laisser faire la famille et l'école missionnaire catholique, tant qu'elles n'ont pas besoin de sa protection et du complément qu'il peut leur apporter ; l'école, pour sa part, aura soin de former de bons citoyens.



L'enseignement catholique et les peuples extra-européens.

Dans Notre message de Noël du 24 décembre 1955, où Nous traitions de la sauvegarde de la paix mondiale, Nous avons été amené à parler des relations de l'Europe avec les jeunes pays extra-européens. Que ces derniers, disions-Nous, n'oublient point combien ils doivent à l'Europe, mais que l'Europe continue généreusement à placer à la disposition de ces pays les valeurs authentiques dont elle est richement pourvue2. Ce que Nous disions alors, vous pouvez l'adapter, en le modifiant quelque peu, au domaine de l'école et de l'éducation. Mais il va de soi, estimons-Nous, que ces peuples jeunes, peut-être encore sous-développés, reprennent de manière organique les valeurs culturelles qui leur sont transmises, comme un organisme vivant assimile et transforme par ses propres moyens ce qui lui est offert : dans la mesure et sous la forme qui correspondent aux conditions propres à chaque peuple jeune, et toujours de telle sorte que l'évolution spirituelle et l'évolution morale aillent du même pas que l'évolution technique, économique et intellectuelle. La personnalité intégrale, tendant vers Dieu, tel est le but de toute oeuvre culturelle constructive. Là réside aussi la tâche de tous ceux qui sont capables d'avoir quelque influence sur l'évolution psychique, donc de l'enseignant et de l'enseignante catholique.

Que votre action soit un reflet de l'unité universelle de l'Eglise et serve au rapprochement des peuples.

En liaison avec le thème de votre congrès, Nous aimerions attirer votre attention sur une idée très simple, mais très instructive : à côté de l'influence délétère qu'ils n'exercent, hélas ! que trop souvent, la radio, le cinéma et la télévision ont certes ceci de bon qu'ils rapprochent les uns des autres les hommes de toute la terre ; ils leur apprennent non seulement à mieux se connaître réciproquement, mais aussi à partager les mêmes sentiments et les mêmes émotions. L'enseignant catholique est celui qui sait donner aux sentiments leur haute portée morale. Il donnera en conséquence à entendre à ses élèves que ces hommes lointains sentent, eux aussi, comme nous, qu'ils ont accompli de grandes choses et qu'ils peuvent nous servir de modèles sous bien des rapports ; mais surtout, que Dieu est aussi leur Créateur et leur Père à eux, qu'ils sont l'objet de l'amour et de la Rédemption du Christ et qu'ils sont apelés à faire partie de Son Eglise. C'est ainsi que les jeunes, tout en étant fiers, à juste titre, de l'histoire et des exploits de leur propre peuple et tout en aimant leur patrie, voueront pareillement à tous les autres peuples respect et bienveillance. Quelle force immense gît en une telle éducation pour lutter contre tout nationalisme exacerbé qui ignore ce respect et cette bienveillance et est inconciliable avec la pensée chrétienne ! Là encore l'action de votre école s'avère un reflet précieux de l'unité universelle de l'Eglise catholique.

Vous terminerez votre congrès mondial par un pèlerinage à Notre-Dame de Mariazell. En une fervente prière, recommandez à la Vierge très pure et très puissante vos décisions, vos tâches, vos soucis et vos espérances. Puisse le Christ Jésus, Fils de Dieu et de Marie, par sa grâce, faire tout fructifier et atteindre son total accomplissement !

En gage de quoi Nous vous accordons de tout coeur, chers fils et chères filles qui vous réunissez à Vienne, de même qu'a toute votre Union, Notre Bénédiction apostolique.






LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AUX CONVERSATIONS CATHOLIQUES DE SAINT-SÉBASTIEN



(5 août 1957) 1





Les Conversations catholiques internationales de Saint-Sébastien ont tenu leur XIIe session du 2 au 7 septembre 1957. A cette occasion, Son Exc. Mgr Dell'Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat, écrivant au nom du Saint-Père, a fait parvenir à Son Exc. Mgr Font Andreu, évêque de Saint-Sébastien, la lettre suivante traduite de l'espagnol :

J'ai l'honneur de m'adresser à Votre Excellence pour lui dire que j'ai accompli l'agréable devoir d'informer le Souverain Pontife de la 12e réunion des Conversations catholiques internationales qui vont se tenir prochainement en cette ville de Saint-Sébastien pour étudier le thème : « Crise du langage et langage de l'Eglise. »

Sa Sainteté a été heureuse de voir les intentions dans lesquelles a été organisée cette nouvelle réunion avec le désir de traiter d'un problème qui présente des difficultés spéciales, dans le monde actuel, pour le rapprochement et la compréhension entre les divers courants de pensée lorsqu'il s'agit d'hommes de bonne volonté.



La crise du langage.

1 D'après la traduction française de la Documentation Catholique, LV, col. 141.




La confusion du langage se rencontre malheureusement aujourd'hui dans de nombreux domaines. Mais cette confusion, en général, ne provient pas des paroles elles-mêmes, elle provient des différentes significations qu'on leur donne selon l'idéologie qui les inspire. Tant de systèmes philosophiques, de régimes politiques, de milieux sociaux, d'idées religieuses, ont exposé leur doctrine en employant des termes déjà en usage, mais en les comprenant d'une manière distincte, que cela a rendu presque impossible la discussion et la compréhension commune.

Ce problème de la crise du langage intéresse aussi l'Eglise qui doit donner son enseignement à une société si souvent remplie de préjugés doctrinaux et ignorante des vérités catholiques. Cela explique que ses paroles employées faussement par d'autres idéologies, soient interprétées d'une façon erronée, ce qui occasionne une incompréhension mutuelle au détriment de la vérité.

Sa Sainteté a déjà exposé dans l'Encyclique Humani Generis 2 la doctrine que l'on doit soutenir à ce sujet.



Le langage de l'Eglise.

L'Eglise admet certainement que son langage philosophique et théologique soit susceptible de perfectionnement. Le Saint-Père dit, en effet : « Il n'est personne qui ne voie que les expressions employées, soit dans les cours, soit par le Magistère de l'Eglise, pour exprimer ces notions, peuvent être améliorées et perfectionnées ; on sait d'ailleurs que l'Eglise n'a pas constamment employé les mêmes termes3. » De même, il est clair que « l'Eglise ne peut se lier à un quelconque système philosophique éphémère » 4. Néanmoins, il ne faut pas oublier que « le mépris de la doctrine communément enseignée et des termes dans lesquels elle est exprimée non seulement conduit au relativisme dogmatique, mais le contient déjà en fait »5.

2 Cf. Documents pontificaux 1950, pp. 300-330.

3 Encycl. Humani Generis ; cf. Documents Pontificaux 1950, p. 309.
* Ibid., p. 309.

5 Ibid., pp. 309-310.




Mais, comme dit encore le Souverain Pontife, « les expressions qui, durant plusieurs siècles, furent établies du consentement commun des Docteurs catholiques pour arriver à quelque intelligence du dogme, ne reposent assurément pas sur un fondement si fragile. Elles reposent, en effet, sur des principes et des notions déduites de la véritable connaissance des choses



créées ; dans la déduction de ces connaissances, la vérité révélée a éclairé comme une étoile l'esprit humain, par le moyen de l'Eglise. C'est pourquoi il n'y a pas à s'étonner si certaines de ces notions non seulement ont été employées dans les Conciles oecuméniques, mais en ont reçu une telle sanction qu'il n'est pas permis de s'en éloigner » 6.

On conclut de là qu'« il est extrêmement imprudent de négliger ou de rejeter, ou de priver de leur valeur tant de notions importantes que des hommes d'un génie et d'une sainteté non communs, sous la vigilance du Magistère et avec l'illumination et la conduite du Saint-Esprit, ont conçues, exprimées et précisées dans un travail plusieurs fois séculaire pour formuler toujours plus exactement les vérités de la foi, et de leur substituer des notions et des expressions flottantes et vagues d'une philosophie nouvelle » 1.

Ce que l'on a affirmé du langage philosophique et théologique employé pour exprimer les vérités de la foi, il faut l'appliquer également, toutes proportions gardées, au langage dont se servent l'Eglise, la théologie et la philosophie chrétienne pour exprimer les vérités théoriques ou pratiques qui ont un lien étroit avec les premières.

Le Souverain Pontife prie le Seigneur d'éclairer tous ceux qui assistent aux Conversations catholiques pour que, guidés par leur esprit de docilité à l'Eglise et d'amour de la vérité, ils puissent traiter de ces problèmes avec la prudence et la délicatesse voulues, afin que leurs travaux soient véritablement fructueux. C'est dans cet espoir que, de tout coeur, il accorde à tous la Bénédiction apostolique.





















Ibid., p. 310. Ibid., p. 310.


DISCOURS POUR LA CANONISATION DE SAINTE MARGUERITE DE HONGRIE

(11 août 1957) 1






Par les Lettres décrêtales « Maxima inter munera » du ig novembre 1943 2, le Souverain Pontife procéda à la canonisation de la bienheureuse Marguerite de Hongrie, fille du roi Béla IV, religieuse de l'Ordre de Saint-Dominique. A cette occasion, les fidèles hongrois avaient organisé un pèlerinage national à Rome, que devait présider l'archevêque de Esztergom, Son Em. le cardinal Sérédi. Malheureusement la dernière guerre ne permit pas la réalisation de ce projet.

Le Souverain Pontife, de son côté, avait préparé une allocution, pour exalter les vertus de la sainte canonisée. Répondant aux multiples sollicitations des organisateurs du pèlerinage et des catholiques hongrois, Sa Sainteté a fait publier le texte de ce discours, le 11 août 1957. Voici la traduction du document italien :

Comment Notre coeur n'exulterait-il pas d'une joie intime et très vive, en vous voyant réunis aujourd'hui autour de Nous, chers fils et filles de la noble nation hongroise, dont la présence ravive et évoque dans notre esprit les plus doux et les plus chers souvenirs ? Souvenirs ineffaçables de ces grandes assises eucharistiques, où il Nous fut donné de représenter comme Légat Notre prédécesseur Pie XI de glorieuse mémoire. Nous revoyons le fervent enthousiasme de piété et de foi, qui jaillissait de vos âmes et des immenses cortèges de votre peuple venu de toutes les parties du royaume.

1 D'après le texte italien de Discorsi e radiomessaggi, 19, traduction française de TOsserDafore Romano, du 23 août 1957.

2 A. A. S., 1944, vol. XXXVI, pp. 33 et suiv.




En Nous référant et en faisant pour ainsi dire écho au voeu exprimé par la nation hongroise, en ces journées inoubliables — journées qui semblent dater d'hier, malgré le tragique abîme qui



nous en sépare — Nous manifestions alors un souhait : que « la bienheureuse Marguerite, fille de souche royale, compagne souriante et soeur de la sainte pauvreté, violette d'humilité dans l'oubli de soi, âme eucharistique privilégiée et d'une profondeur limpide, lampe ardente devant le saint tabernacle, dont la douce flamme scintille, vive encore aujourd'hui même après sept siècles écoulés, pût bientôt parvenir, elle aussi, à la splendeur de la gloire des saints, comme brillante étoile dans le ciel de Hongrie ». Tout esprit est aveugle, lorsqu'il s'agit de pénétrer les secrets desseins du Dieu, qui régit son Eglise : comment aurions-Nous pu alors supposer que la divine Providence se serait servie de Notre ministère pour répondre à votre désir et satisfaire ce voeu d'incruster cette nouvelle pierre précieuse dans le diadème déjà si étincelant et riche du Royaume de Marie ?



L'admirable histoire de la nation magyare.

C'est une admirable histoire que celle de votre patrie ; histoire où s'entremêlent luttes et épreuves, qui illustrent sa sainte mission au service de Dieu, de l'Eglise et de la Chrétienté ; histoire où s'alternent des renouvellements et des recommencements héroïques ; histoires dont les fastes resplendissent de ces phares lumineux que sont les saints de la dynastie des Arpàd, parmi lesquels brille avec éclat Etienne, figure géante de souverain, de législateur, de pacificateur, de promoteur de la foi et de l'Eglise, véritable homo apostolicus, dont la sainte main droite reste parmi vous le symbole vénéré des grandes actions accomplies par lui et un sûr palladium dans les périls extrêmes.

Autour d'Etienne apparaissaient, comme une couronne, son fils saint Emeric, lis virginal éclos aux pieds de la Vierge Immaculée ; sainte Elisabeth d'Ecosse, sa petite-fille, dont la vertu angélique infusa dans le coeur de son époux et de sa nouvelle patrie la douce pureté de l'Evangile ; saint Ladislas, idéal du chevalier du moyen âge, intrépide et bon, non moins qu'aimé et admiré par ses sujets ; les deux petites-filles de Béla III, la bienheureuse Agnès de Prague, que sainte Claire appelait « la moitié de moi-même » et Elisabeth de Thuringe, la « chère et douce sainte » ; enfin ses arrière-petites filles, les trois soeurs, la bienheureuse Cunégonde ou Kinga de Pologne, la bienheureuse Jolenta de Kalisz, en Pologne, et cette Marguerite, que nous contemplons aujourd'hui dans la plénitude de son triomphe. La génération qui suivit devait voir resplendir l'autre sainte Elisabeth, rose de grâce et ange de paix du Portugal.

Quelle nombreuse compagnie et quelle variété d'âmes généreuses et saintes ! Ne semble-t-il donc pas que Dieu, dans cette famille où la sainteté est apparue si brillante et multiple, descendue dans un même sang comme dans autant de rayons d'un même arc-en-ciel, ait voulu faire scintiller, comme pour les révéler à nos yeux, les admirables degrés de la sainteté, dont l'unique soleil est la sainteté du Christ ?

Sainteté du chef dans la constitution politique et sociale de la patrie chrétienne ; sainteté du guerrier sans faiblesse et sans haine ; sainteté de l'épouse, de la mère, de la veuve ; sainteté dans la vie familiale et dans la vie au cloître ; sainteté fleurie dans les parterres du sol natal et fructifiant dans les jardins lointains pour le salut, la pacification et la prospérité d'autres nations.



L'éminente sainteté de Marguerite.

De toutes ces figures héroïques de saints et de saintes, celle de Marguerite, la plus cachée et isolée du monde, est peut-être la plus surprenante ; elle ne serait pas loin d'apparaître à certains comme la plus déconcertante. Chez les autres saints et saintes, il n'est pas difficile de découvrir des modèles qui répondent à toutes les conditions de la vie : Marguerite, au contraire, semblerait à première vue inimitable par qui que ce soit

3 En commentant un passage de S. Bernard. Cf. S. Alphonse de Liguori, OEuvres ascétiques, vol. I, p. 87 et Appendice n. 51, pp. 453-455.




La vie et la piété de Marguerite ont eu des aspects que l'on rencontre rarement chez d'autres saints. Mais tout saint est singulier, écrivait déjà dans la « Pratique d'aimer Jésus-Christ » 3 le grand évêque et docteur saint Alphonse de Liguori, qui connaissait les multiples voies de la sainteté, par lesquelles le Saint-Esprit avec ses ineffables inspirations guide les âmes vers le sommet en dehors des coutumes et des usages civils du monde, en les conduisant dans la solitude de l'esprit pour parler à leur coeur un langage de mortification et de pauvreté si humiliant qu'il semble étranger à toute vertu. Dans cette solitude, sous l'influence de la grâce, les singularités, qui surprennent et stupéfient celui qui les remarque et pour ainsi dire s'en offense et les méprise, n'échappent pas à l'influence de la charité du

Christ, dont elles s'inspirent et à laquelle elles tendent, parce que c'est dans la charité du Christ, qui anime les saints et tout ce qu'ils font pour se vaincre eux-mêmes, que consiste la vraie sainteté. La mortification, la piété et la dévotion des saints ont mille genres et formes que ne peuvent comprendre le monde et souvent même pas celui qui, dans une vie pieuse et mortifiée, suit la voie commune des vertus.

Le mépris des grandeurs humaines et des commodités matérielles n'est-il pas chez Marguerite, fille de roi, une grande leçon pour des âmes moins élevées que la sienne ? Et qui oserait affirmer que le monde n'avait pas besoin alors, qu'il n'a pas besoin encore aujourd'hui d'une telle leçon, qui le fasse rougir et avoir honte du culte immodéré de la chair, de la soif des plaisirs, de l'immodestie dans l'habillement, de la recherche de l'estime et des louanges ?

Il est vrai que même dans la condition la plus humble, c'est un devoir de prendre soin de sa propre vie, de sa santé, de la dignité de son propre corps, et d'une certaine bienséance qui évite toute aversion ; et il est vrai que tout cela, dès sa première enfance, par un esprit extraordinaire, cette vierge de sang royal en fit l'objet de son ardeur à se mortifier et à s'humilier. Marguerite est par conséquent plutôt une leçon offerte par Dieu à notre méditation qu'un exemple à suivre et à imiter.

Il est hors de doute que la Sainte n'aurait pu se livrer spontanément à de tels excès de mortification et de pénitence sans outrepasser les limites communes de la prudence et de la modération ; et ses supérieurs n'auraient pu ni osé conseiller spontanément ou approuver une méthode si différente de l'ordinaire, de se sacrifier pour Dieu dans la piété et dans la dévotion ; mais devant l'élan de la charité divine qui veut donner un grand coup à la délicatesse mondaine, la prudence et la sagesse communes ne doivent-elles donc pas s'incliner ?

' Cf. Ben. XIV, De Sero. Dei Béatifie, et Beat. Canoniz, lib. III, c. XXIX, n. 9.




« La sainte Eglise de Dieu — répéterons-Nous avec l'auteur de la Vie de saint Charles Borromée — ornée d'une admirable variété de vertus, en ce siècle si relâché, avait peut-être besoin d'un tel exemple de sobriété et de mortification du corps, et beaucoup de nous avions la nécessité de ce stimulant contre une si grande mollesse, qui rend incapable de contempler les choses célestes » 3.

Son humilité et sa charité.

Mais il semble que, plus que les pénitences et les macérations extraordinaires, l'humilité et la charité de Marguerite dans l'accomplissement des devoirs quotidiens touchèrent profondément l'esprit des témoins de sa vie.

Dès son enfance, elle n'aspira à rien autant qu'à se conformer exactement aux règles et aux usages des religieuses du monastère en ce qui lui était permis, évitant toute dispense et aimant les humiliations ; mais elle savait mettre tant de grâce en suppliant la supérieure et les autres religieuses que beaucoup de choses lui furent concédées. Or, qui ne voit que cette constance jusqu'à la mort et cette fidélité à la règle démontrent le sérieux et la sainteté de ses désirs de jeune fille ? Toujours la première à se rendre aux obédiences et aux charges assignées par la Prieure, ne voulant point jouir de privilèges d'exemption, elle était la plus empressée et assidue, lorsque venait sa semaine de service, aux travaux matériels, humbles et grossiers, à la cuisine, au nettoyage de la maison, à la vaisselle, qu'on lui voyait faire avec des mains souvent crevassées et saignantes, durant les rigueurs de l'hiver. Par ce travail, elle n'entendait pas seulement satisfaire son avidité de mortification, mais elle cherchait à ce que rien ne pût rappeler son illustre naissance, même dans ce monastère fondé par son père. Aussi souffrait-elle, parfois jusqu'à en pleurer, lorsque quelqu'un semblait indiquer de quelque façon qu'elle était fille de roi. Pensant au Fils de Dieu, qui naquit pauvre, vécut pauvre et voulut être appelé Fils de l'homme, Marguerite aurait désiré être née pauvre fille du peuple et être traitée comme telle au milieu de ses soeurs de haute noblesse. Une si grande humilité, elle l'avait apprise de Jésus-Christ, humble de coeur ; elle avait aussi appris de Lui cette douceur qui dans l'abaissement ne se séparait jamais de la gentillesse, de la bénignité et de la charité, qu'elle prodiguait autour d'elle ; il arrivait donc, passionnée comme elle l'était de tout détachement et de la pauvreté, que, recevant quelque don de parents, elle le portait aussitôt à la Prieure ou à la Provinciale, pour l'usage de la communauté ou pour le soulagement de pauvres honteux ; tandis que les riches étoffes et les joyaux allaient orner des églises nécessiteuses. Il semblait qu'elle avait hérité de sa sainte tante Elisabeth un amour si vif pour les pauvres ; leur vue la poussait toujours à une tendre compassion et à courir auprès de la Prieure pour lui demander quelque vêtement ou de toute façon un peu d'aide pour subvenir à leurs besoins ; puis, à ses soeurs qui ne possédaient rien, elle demandait l'aumône de leur prière. Généreuse envers les pauvres hors du monastère, sa charité triomphait et excellait à l'intérieur des murs du cloître, parce qu'il est dans l'ordre de la charité même et d'une vertu solide et sans illusions, de prodiguer les soins charitables avant tout à l'intérieur de la communauté. Oh ! tout ce qu'elle pouvait éprouver dans son esprit pour ses soeurs ! S'il survenait quelque différend ou désaccord entre deux religieuses, vous l'auriez vue s'empresser comme conseillère de paix ; si certaine lui montrait un visage moins souriant que d'ordinaire, elle se hâtait d'implorer son pardon, craignant de l'avoir peut-être offensée inconsciemment ; les malheurs des autres l'affligeaient jusqu'aux larmes, comme s'ils eussent été les siens mêmes. Mais à l'égard des malades sa sollicitude et son assistance étaient plus que maternelles et ne connaissaient aucune limite ; les infirmités qui provoquaient davantage un dégoût naturel ne diminuaient pas, mais accroissaient son empressement et son attention vigilante ; cependant, comprenant la répugnance de ses autres soeurs, elle savait les éloigner avec discrétion et délicatesse, pour se charger à elle seule de tous les services et de tous les soins nécessaires ; pour cela Dieu lui donnait des forces que l'on pourrait estimer miraculeuses et qui, de toute façon, semblent bien supérieures à celles de son sexe, surtout si l'on considère l'état d'épuisement physique qu'auraient dû lui causer ses macérations continues. Il n'y eut jamais d'odeur fétide insupportable qui la retînt de conduire au bain les malades, de les ramener et de les remettre au lit, d'accomplir pour elles tous les services non seulement d'une infirmière assidue, mais aussi de la plus humble servante. Si jamais, de jour ou de nuit, il lui arrivait d'entendre l'une d'elles se lamenter ou gémir, elle accourait aussitôt auprès d'elle, lui demandait avec tendresse ce qu'elle désirait, et, sans attendre, la voilà qui, pieds nus, descendait à la cuisine et préparait et apportait ce qui pouvait procurer un peu de soulagement ou de plaisir à celle qui en avait besoin.

Mais si sa charité s'étendait si généreusement au prochain et embrassait ses soeurs, celle-ci s'élevait comme une flamme d'intense et fervent amour vers le ciel et vers Jésus, centre de toutes ses aspirations. Aux diverses propositions des plus nobles mariages que lui avait faites son père, elle avait toujours opposé le refus le plus énergique, résolue qu'elle était à être irrévocablement toute à Dieu. Ces veillées et ces prières, que, par d'émouvantes supplications au nom de Jésus, elle obtenait de pouvoir prolonger devant le saint Tabernacle et dans son propre secret ; ces larmes et ce long jeûne de trois jours en souvenir et méditation de la Passion du Rédempteur ; ce vif désir tant de fois exprimé de participer aux souffrances des martyrs pour donner à Dieu la plus forte et sincère attestation de son amour, voilà la véritable source de toutes les vertus que nous admirons en elle, vertus non moins délicatement humaines que hautement surnaturelles.

Et voici encore l'origine secrète de ces austérités extraordinaires, qui, si surprenantes qu'elles soient pour notre esprit, au point de déconcerter à première vue notre pensée, proviennent cependant de la pierre de touche qu'est l'inspiration divine, ineffable dans ses conseils : l'origine se trouve dans cette harmonie de la grâce, dont la volonté humaine ne pourrait jamais concevoir le mystère, qui cache les admirables effets de la sainteté et élève l'esprit par des ascensions de plus en plus hautes et divines. Nous nous étonnons aussi devant les grandes macérations de Marguerite, mais nous reconnaissons également qu'aux yeux de Dieu, qui a tout créé et soutient tout, des vers de la terre jusqu'au soleil et au concert des astres du firmament, rien n'est vil, quand cela devient un moyen de sanctification de l'âme et d'élévation à ce monde de l'esprit, qui dépasse toute la nature et nous conduit à Dieu dans le chemin vers la vie de l'immortalité bienheureuse.



La mort d'une sainte.

Le Seigneur ne tarda pas à appeler à la récompense éternelle la très religieuse fille du roi de Hongrie, en l'enlevant au milieu des tempêtes qui avaient troublé ce royaume et ajouté à ses peines corporelles l'affliction de voir la discorde et la guerre entre son père et le fils aîné de celui-ci pour la désignation du successeur au trône ; conflit dont les effets se firent sentir jusque dans le monastère où elle vivait et en interrompirent la paix intime.

En effet, ses forces et sa vigueur allaient en diminuant ; elle sentait en elle, à vingt-huit ans, que s'approchait le crépuscule de son existence. En 1269, alors qu'elle se trouvait à l'infirmerie devant le cadavre de Soeur Beata, en présence de deux autres religieuses, Marguerite avait dit : « Je serai la première qui mourra après elle ». C'était la voix de l'appel de Dieu, qui devant sa soeur défunte parlait à Marguerite, par l'entremise du dépérissement extrême de son corps, dépérissement qui, cependant, n'affaiblissait pas chez elle cette ferveur spirituelle, dont elle avait été animée jusqu'alors.

Le jour de l'Epiphanie, l'année suivante, elle fut atteinte d'une fièvre si forte que, voyant s'approcher la mort, elle exprima le désir d'être ensevelie au pied de l'autel de la Sainte Croix, tant elle était avide de se conformer à Jésus-Christ jusqu'à la mort, ou bien en ce lieu de l'église, où elle faisait ses longues prières privées ; en ajoutant comme encouragement afin que son désir fût satisfait : « Ne craignez pas de mauvaise odeur ; une mauvaise odeur ne sortira point de mon corps ». Elle languissait sur son petit lit, absorbée dans l'amour de Dieu, comme une rose dont la corolle se fane aux chauds rayons du soleil divin. La mort ne la troublait point : comment aurait-elle pu la craindre alors qu'elle l'avait tant de fois défiée par ses longs jeûnes et ses veillées extraordinaires, par ses cilices et ses flagellations ; et, maintenant que les fouets étaient devenus inutiles pour elle, elle remit à la Prieure, avant de mourir, la clef de la cassette où ils étaient enfermés. Mourir était pour elle se dissoudre pour être avec le Christ son époux ; aussi, pour mieux se purifier, elle se confessa deux fois au Prieur Provincial des Dominicains et demanda et reçut le Saint-Viatique et l'Extrême-Onction, avec des sentiments de piété et de dévotion les plus vives, proche comme elle l'était du grand voyage vers le ciel, en abandonnant tout reste de la poussière humaine ici-bas contractée.

Elle expira le soir du 18 janvier avec cette paix et cette sérénité, qui rendent précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses saints. Elève-toi là-haut, ô vierge royale, qui aspiras dès l'enfance à la cour du ciel. Que descende à ta rencontre le saint Patriarche Dominique avec une phalange d'anges et qu'il t'accompagne au trône du Roi de gloire pour recevoir cette couronne de lis et de roses, avec laquelle dans le choeur des vierges tu suivras les triomphes de la Reine du Ciel.

Entre temps, ici-bas, Dieu faisait revivre la beauté des traits sur le visage de Marguerite. Tout d'abord ce fait ne fut pas remarqué par les religieuses ; elle ne s'en aperçurent que trois jours plus tard quand l'archevêque d'Esztergom, admirant la splendeur du visage de la défunte, leur dit de ne pas pleurer sa mort, mais de s'en réjouir parce qu'elle semblait déjà démontrer le début de sa résurrection.

Tous ceux qui approchèrent le corps inanimé ne constatèrent aucune odeur désagréable ; plusieurs perçurent un parfum suave de roses ; et ceux qui, quelques mois plus tard, vinrent recouvrir d'une dalle de marbre son sépulcre sentirent également ce parfum qui s'en dégageait.

Ce parfum de roses, qu'aucune main pieuse n'avait déposé sur le corps et sur la tombe de Marguerite, n'était autre que le parfum de sa sainteté ; parfum de sainteté qui, au travers de près de sept siècles, arrive jusqu'à nous, en partant de ce grand siècle médiéval qui vit naître votre Ordre célèbre, chers fils et filles du glorieux Patriarche Dominique, siècle qui fut fameux par vos Saints et sublimes Docteurs et Maîtres, et qui devait vous donner encore l'héroïque vierge Catherine de Sienne. Marguerite, sans être enlevée à sa noble patrie, la Hongrie, est donc également à vous et à votre Institut religieux, dont les aspirations apostoliques s'adressèrent parmi les pays de toute l'Europe, avec une ardente ferveur de zèle, également à la terre que baignent le Danube et la Theiss.

Elle est à vous parce qu'elle appartient à votre Ordre, au sein duquel se déroula toute sa vie de l'enfance à la mort bienheureuse ; elle est à vous par sa dévotion tendrement filiale envers Marie ; elle est des vôtres par sa profession religieuse, à laquelle elle manifestait, jusque dans les conjonctures les plus délicates, un attachement inébranlable ; des vôtres en particulier par son esprit, cette vierge qui, de la retraite de son monastère, fut au cours de sa brève vie une prédication continuelle. Et, pour un monde frivole avide de plaisirs, orgueilleux, hostile à toute mortification, quelle prédication serait plus éloquente, opportune et nécessaire que l'exemple de cette vie crucifiée et de prière, vie d'humilité et de pauvreté, d'abnégation et de charité ? Que du haut du ciel, dans sa gloire immortelle, elle ne cesse d'offrir à Dieu son ardente et puissante prière, afin qu'elle attire les grâces les plus précieuses sur sa patrie bien-aimée, sur son saint Ordre, qui est aussi le vôtre, sur le monde entier qui a plus que jamais besoin d'élever son regard au-dessus de ce qui passe et en trouble la concorde et la paix, pour trouver et obtenir de Dieu le remède à ses maux.

En formulant ce souhait, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.




Pie XII 1957 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU PREMIER CONGRÈS DE L'ASSOCIATION CATHOLIQUE DES CHEFS D'ENTREPRISE DE L'ARGENTINE