Pie XII 1958 - RADIOMESSAGE AU LXXVIIP « KATHOLIKENTAG » ALLEMAND


I QUELQUES ASPECTS MÉDICO-BIOLOGIQUES DE LA GÉNÉTIQUE DU SANG

Nous avons eu déjà l'occasion de parler du mécanisme de l'hérédité dans Notre allocution du 8 septembre 1953 au premier Symposium international de génétique médicale 2, et d'énoncer alors les importants principes, qui s'appliquaient aux données scientifiques de la génétique dans leur interférence avec les questions morales et religieuses. Toutefois, pour éclairer Nos développements ultérieurs, Nous devons mentionner encore quelques acquisitions récentes, dont vous avez bien voulu Nous informer.



La découverte du facteur « Rhésus ».

On sait assez généralement à l'heure actuelle que les globules rouges du sang possèdent des caractères propres et que l'humanité se divise en quatre groupes sanguins : (A - B - O -AB). Si l'on appelle « antigène » la capacité de provoquer dans un organisme la formation de substances dites « anticorps »,



susceptibles de s'unir à l'antigène et de déterminer d'abord l'agglutination, puis la destruction des globules rouges, on peut expliquer l'existence des quatre groupes de la manière suivante : les groupes A et B possèdent chacun un antigène propre, mais non l'anticorps qui y répond, tandis qu'ils possèdent l'anticorps de l'antigène qu'ils n'ont pas ; le groupe AB possède les deux antigènes, mais aucun anticorps du système ; le groupe O ne possède aucun antigène, mais bien les deux anticorps. Pendant ces dernières décades, la découverte d'autres systèmes a introduit une complexité considérable dans la détermination exacte des types de sang humain. Mais ce 'qui Nous intéresse davantage, c'est la découverte du facteur « Rhésus », qui permit d'éclaircir la pathogénèse de la maladie hémolytique du nouveau-né, restée jusqu'alors d'origine inconnue. Une mère possédant le « Rh négatif » produira des anticorps pour les globules « Rh positifs », et si l'enfant qu'elle porte en elle est « Rh positif », elle lui causera du dommage. Puisque les groupes sanguins s'héritent suivant le mécanisme de l'hérédité conforme pour l'essentiel aux lois de Mendel, il est évident que pour avoir un fils « Rh positif », la mère devra avoir un époux « Rh positif » ; si celui-ci est le fils de parents, dont l'un est « Rh positif », et l'autre « Rh négatif », il aura une probabilité de 50% d'avoir des fils « Rh positifs » ; mais si les parents sont tous deux « Rh positifs », tous ses fils le seront aussi. Quand une femme « Rh négatif » épouse un homme « Rh positif », elle se trouve dans ce qu'on appelle la « situation Rh » et en danger potentiel d'avoir des enfants malades.

A côté de l'hérédité morbide, on peut également considérer celle, dont les résultats sont positifs. Mais comme la médecine s'occupe principalement des conséquences nuisibles, on comprend que l'on ait pu croire et affirmer la prédominance de celles-ci. En réalité les exemples ne manquent pas de familles richement douées, où se transmettent d'une génération à l'autre de remarquables qualités physiques et psychiques.



Le mal hématologique méditerranéen.

Qu'il Nous soit permis de signaler encore un cas particulier, à cause de l'importance qu'il revêt dans les régions méditerranéennes. Il s'agit de deux maladies, qui se présentent sous deux aspects cliniques profondément différents, mais qui sont caractérisées par des altérations semblables du système sanguin. La première frappe certaines zones de la population italienne, toute la population grecque et toutes les zones du bassin méditerranéen, où la colonisation phénicienne a laissé des traces. Un enfant naît, apparemment normal, mais le médecin distingue déjà en lui les stigmates du mal, qui le conduira à la mort plus ou moins rapidement, et d'habitude avant la dixième année. Son développement sera notablement ralenti, son teint pâle ; l'abdomen toujours plus proéminent dénote un grossissement énorme de la rate, qui l'occupe souvent presque en entier. La thérapeutique la plus attentive ne pourra que prolonger une vie de malaises et de souffrances ; malgré de nombreuses transfusions de sang, qui représentent pour les familles une charge très coûteuse, l'issue fatale sera inévitable.

Au moment où Cooley et Lée réussissaient à diagnostiquer exactement cette maladie chez des descendants d'Italiens immigrés en Amérique, Rietti, Greppi et Micheli en Italie, décrivaient une maladie apparemment toute différente. Chez des adultes conduisant une vie relativement normale, se présentaient des symptômes, que l'on interpréta comme une diminution de la durée de vie des globules rouges. Ceux-ci portaient aussi des altérations morphologiques, de caractère congénital, affectant leur forme et leur structure intime, ainsi que l'hémoglobine qu'ils contiennent. Ces formes cliniques de la maladie sont aujourd'hui considérées comme des variétés d'un groupe qu'on appelle « désordre hématologique méditerranéen ». Des chercheurs américains, italiens et grecs ont démontré que les altérations de la maladie grave et mortelle des enfants, telle que Cooley l'avait décrite, ressemblaient à celles de la maladie de Rietti, Greppi et Micheli et des formes qui s'en rapprochent. On en vint alors à la conclusion que les enfants malades avaient été engendrés par deux porteurs du mal hématologique méditerranéen. Ce qu'il faut souligner ici, c'est que des individus, qui se croient parfaitement sains, peuvent par leur union provoquer la tragédie familiale que l'on devine.

II

PROBLÈMES DE LA GÉNÉTIQUE DU SANG



Les situations douloureuses que Nous avons décrites et d'autres analogues que l'on rencontre dans le domaine de la génétique du sang, méritaient un effort particulier pour résoudre des problèmes d'ordre physique et moral, particulièrement graves. Nous en exposerons quelques-uns, d'après les informations que vous Nous avez fournies, ainsi que les remèdes qu'on a tenté d'y apporter, en considérant les implications morales qu'ils comportent. D'une manière générale, il faut souligner d'abord la nécessité de fournir au public les informations indispensables sur le sang et son hérédité, afin de permettre aux individus et aux familles de se mettre en garde contre de terribles accidents. Dans ce but, on peut organiser, à la manière du « Dight Institute » américain, des services d'information et de consultation, que les fiancés et les époux interrogeraient en toute confiance sur les questions de l'hérédité, afin de mieux assurer le bonheur et la sécurité de leur union.



La consultation génétique.

3 Sheldon C. Reed, Counseling in Médical Cenetics. < Ibid., 3, p. 12.




Ces services ne donneraient pas seulement des informations, mais aideraient les intéressés à appliquer les remèdes efficaces. Dans un ouvrage qui, Nous assure-t-on, fait autorité en la matière3, Nous avons pu lire que la formation principale de la consultation est de faire comprendre aux intéressés les problèmes de génétique, qui se présentent dans leurs familles4. Dans presque tous les foyers, sembie-t-il, on rencontre des situations difficiles, concernant l'hérédité d'un ou de plusieurs de leurs membres. Il peut arriver même que le mari et la femme s'accusent réciproquement d'une anomalie, qui s'est manifestée chez leur enfant. Souvent le spécialiste consulté peut intervenir avec succès pour atténuer la difficulté. Avertis du danger et de sa portée, les parents prendront alors une décision qui sera « eugénique » ou « dysgénique » à l'égard du caractère héréditaire considéré. S'ils décident de ne plus avoir d'enfants, leur décision est « eugénique », c'est-à-dire qu'ils ne propageront plus le gène défectueux, en engendrant soit des enfants malades, soit des porteurs normaux. Si, comme il arrive d'habitude, les probabilités d'engendrer un enfant porteur de ce défaut sont moindres qu'ils ne le craignaient, il se peut qu'ils décident d'accepter d'autres enfants. Cette décision est « dysgénique », parce qu'ils propageront le gène défectueux au lieu d'arrêter sa diffusion. En définitive, l'effet de la consultation génétique est d'encourager les parents à avoir plus d'enfants qu'ils n'en auraient eu sans elle, puisque les probabilités d'avoir un cas malheureux sont inférieures à ce qu'ils pensaient. Si la consultation peut sembler « dysgénique » à l'égard du gène anormal, il faut considérer que les personnes, suffisamment préoccupées de l'avenir pour demander conseil, ont une haute conception de leurs devoirs de parents ; au point de vue moral, il serait souhaitable que ces cas se multiplient.

On demande fréquemment au « Dight Institute », s'il existe des relations entre la consultation et les devoirs religieux du consultant5. En réalité la consultation génétique fait abstraction des principes religieux. Elle ne répond pas aux parents qui demandent s'ils doivent avoir encore des enfants, et leur abandonne la responsabilité de la décision. L'Institut Dight n'est donc pas une clinique destinée à réprimer la fécondité ; on n'y fournit pas d'informations sur la manière de « planifier » les familles, car cette question ne rentre pas dans ses objectifs.

Une âme saine dans un corps sain.

L'ouvrage, auquel Nous empruntons ces indications, souligne avec force et netteté l'importance du travail qui reste à accomplir en ce domaine : « La mort, dit-il, est le prix de l'ignorance de la génétique des groupes sanguins ». Heureusement, le médecin dispose actuellement de connaissances suffisantes pour aider les hommes à réaliser plus sûrement le désir — si intime et si puissant chez bon nombre d'entre eux — d'avoir une famille heureuse d'enfants bien portants ! Si le couple est stérile, le médecin tentera de lui assurer la fécondité ; il le mettra en garde contre des dangers qu'il ne soupçonne pas ; il l'aidera à engendrer des enfants normaux et bien constitués.

5 Ibid., pp. 15-16

Mieux avertis des problèmes posés par la génétique et de la gravité de certaines maladies héréditaires, les hommes d'aujourd'hui ont, plus que par le passé, le devoir de tenir compte de ces acquisitions pour éviter eux-mêmes et éviter à d'autres de nombreuses difficultés physiques et morales. Ils doivent être attentifs à tout ce qui pourrait causer à leur (descendance des dommages durables et l'entraîner dans une suite interminable de misères. Rappelons à ce propos que la communauté de sang entre les personnes, soit dans les familles, soit dans les collectivités, impose certains devoirs. Bien que les éléments formels de toute communauté humaine soient d'ordre psychologique et moral, la descendance en forme la base matérielle qu'il faut respecter et ne point endommager.

Ce que Nous disons de l'hérédité, pourrait s'appliquer en un sens large aux communautés que constituent les races humaines. Mais le danger vient davantage ici d'une insistance exagérée sur le sens et la valeur du facteur racial. On ne sait que trop, hélas ! à quels excès peuvent conduire l'orgueil de la race et les haines raciales ; l'Eglise s'y est toujours opposée avec énergie, qu'il s'agisse de tentatives de génocide, ou des pratiques inspirées par ce qu'on appelle le « colour-bar ». Elle désapprouve aussi toute expérience de génétique, qui ferait bon marché de la nature spirituelle de l'homme et le traiterait à l'égal de n'importe quel représentant d'une espèce animale.

Nous vous souhaitons, Messieurs, de poursuivre avec succès des travaux si utiles à la communauté humaine. Aux enseignements pratiques de ce Congrès s'ajoutera une conscience plus vive de l'aide efficace, que vous apportez à tant de malades. Vous puiserez dans cette conviction plus d'ardeur à vous acquitter des tâches quotidiennes et la certitude d'avoir mérité l'estime et la reconnaissance de ceux qui vous devront d'avoir conservé la vie et la santé.

En gage des faveurs divines, que Nous appelons sur vous, Nous vous accordons à vous-mêmes, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.

ALLOCUTION AU VIIe CONGRÈS INTERNATIONAL D'ARCHÉOLOGIE CLASSIQUE
(7 septembre 1958) 1






Recevant en audience, le dimanche 7 septembre, les quelque cinq cents participants au 7e Congrès international d'Archéologie classique, le Saint-Père prononça en français Y allocution suivante :

Nous sommes heureux, Messieurs, de pouvoir saluer dans Notre maison un groupe de savants si éminents. Il y a près de vingt ans qu'a eu lieu le dernier Congrès international d'archéologie classique, et depuis lors le monde a été secoué par des événements tels que rarement l'histoire de l'humanité en a enregistré d'aussi démesurés et tragiques dans un si court laps de temps. La ville même, où s'est tenu le VIe et dernier de vos congrès internationaux, Berlin, reste le signe de bouleversements, qui ne sont pas encore parvenus à leur terme.

Nous avons pris attentivement connaissance du programme de votre Congrès, et Nous sommes frappé de la vaste étendue du domaine qu'il embrasse : domaine englobant tout l'Imperium Romanum et pénétrant en des territoires plus éloignés, jusqu'à l'Inde, aussi loin que l'on trouve quelque trace des cultures des anciens Grecs et Romains et de la période hellénistique. La richesse des thèmes que vous allez traiter Nous impressionne également. Quant aux questions de méthode et de technique, elles prouvent qu'on dispose aujourd'hui de moyens d'investigation incomparablement plus favorables à l'archéologie qu'aux XVIIIe et XIXe siècles. Le sujet des conférences et des discussions éclaire à son tour la tendance de l'archéologie classique actuelle à s'intégrer dans le temps qu'elle étudie, à replacer surtout les oeuvres d'art dans leur contexte historique, et spécialement dans l'ambiance spirituelle où elles sont nées. « L'art antique a-t-on dit, est ainsi vu dans son historicité. »



Les Papes et l'archéologie.

La remarque faite, il y a trois ans, au début de Notre message au Xe Congrès international des Sciences historiques 2 vaut également pour les membres de votre Congrès : Nous' n'avons nullement l'impression de rencontrer des inconnus ou des étrangers. Votre science même a fait de vous tous, depuis longtemps, des familiers de Rome. L'archéologie classique vous met cependant en rapport plus intime encore avec la Papauté. Si on laisse de côté l'âge de la Renaissance et de l'humanisme, au cours duquel les papes auraient plutôt montré trop d'intérêt à faire revivre l'antiquité, il est à noter que les premières grandes moissons récoltées par l'archéologie classique des temps modernes ont été mises en sûreté et valorisées sous la protection et avec l'aide active des papes. Nous pourrions énumérer ici tous Nos prédécesseurs de 1730 à 1870. Si d'une part le premier printemps de l'archéologie classique fleurit autour de Jean Joachim Winckelmann, la Papauté présente par ailleurs en Pie VI l'authentique fondateur du musée Pio-Clementino. A côté de ce musée, riche en monuments d'art et de culture classiques, les autres collections antiques de la Rome des papes tiennent dignement leur place, et en premier lieu, le musée du Capitole, qui doit tant à Benoît XIV. Ce pontife erudit, qui sauva en outre le Colisée, faisait vivre quatre Académies, dont 1'« Accademia délia Storia e délie Antichità Romane ». Nous devions cette mention spéciale au pape Lambertini, au moment où l'on célèbre le deuxième centenaire de sa mort.



Les raisons d'être de l'archéologie.

2 Le 7 septembre 1955 ; cf. Documents Pontificaux 1955, p. 286.




L'objet spécifique de l'archéologie est le témoignage monumental : créations de l'art, productions de l'industrie, inscriptions des époques ou ides cultures en question, mais non le domaine littéraire. Si donc les découvertes archéologiques restent la première source pour l'histoire de l'art antique, et



même, pour la préhistoire, la source unique, leur tâche pour l'époque historique, sera toujours de confirmer, rectifier, compléter les sources littéraires, à mesure que celles-ci se multiplient. Il est bon d'attirer sur ce point l'attention des profanes en la matière. Si de fait aucune fouille ne peut remplacer la magnifique et vivante description que fait de la culture Cretoise et mycénienne la poésie d'Homère, cette poésie ne se peut comprendre à fond, si on ne l'éclairé par les recherches archéologiques. On trouve d'autres exemples très semblables, aux premiers siècles du christianisme, pour lesquels les sources littéraires dominent. Qu'on pense aux images toujours vivantes, que nous transmettent les Actes des Apôtres et les lettres de saint Paul, qui datent des débuts de l'histoire de l'Eglise. La connaissance de ces origines resterait bien obscure, si on voulait la fonder uniquement sur les découvertes de l'archéologie, qui pourtant gardent une valeur irremplaçable en ce qu'elles confirment les sources littéraires. Celles-ci nous avaient déjà fait connaître les papes du IIIe siècle. Et cependant ce fut un événement, lorsque Jean-Baptiste De Rossi, il y a quelque cent ans, mit à jour dans les catacombes de Calixte, la crypte — aujourd'hui bien connue — des Papes avec les inscriptions originales en langue grecque de Pontien, Fabien, Antère, Lucius et Eutychien. Les sources littéraires attestent suffisamment que Pierre était le chef de la communauté chrétienne de Rome et qu'il donna le témoignage du sang. L'impression n'en fut pas moins très profonde partout, quand les fouilles effectuées sous l'autel de la Confession de saint Pierre firent toucher du doigt la vérité de cette assertion.



Les relations entre l'Antiquité et le Christianisme.

Ce que Nous avons remarqué de l'appui donné par la Papauté à l'archéologie classique, Nous donne l'occasion de revenir sur les relations entre l'antiquité et la chrétienté, l'antiquité et l'Eglise, et de Nous y arrêter au moins un instant.

C'est un fait, constatons-le tout d'abord, que le christianisme a vécu sa première jeunesse et s'est développé au sein de la culture hellénistique-romaine. Celle-ci avait créé dans l'Empire une civilisation uniforme, qui fut pour l'Eglise un avantage inappréciable, lorsqu'elle commença à s'étendre et à s'implanter. L'histoire de l'Eglise devra toujours, en traitant de cette première période si décisive, donner à ce fait son juste relief.

Dans l'histoire de la chrétienté occidentale, l'antiquité fut et demeure, une grande force éducatrice. Bien qu'elle se sépare consciemment de la Renaissance et de l'humanisme, la restauration religieuse, qui couvre la seconde moitié du XVIe et le XVIIe siècles — la période du « baroque » — a gardé le meilleur de la culture antique. Et voici que l'Eglise, universelle déjà dans son essence même, le devient aussi dans sa réalité géographique. Elle compte depuis longtemps de nombreux centres hors d'Europe. Elle peut s'adonner à sa mission en tout temps et en tout lieu. Le contact avec l'antiquité gréco-romaine n'en est pas perdu cependant. Nous en trouvons un témoignage chez la jeunesse étudiante catholique d'Afrique centrale, du Congo Belge par exemple, qui, formée à l'humanisme dans les écoles catholiques, montre une compréhension surprenante du monde antique et de ses classiques, surtout de ceux qui, comme Cicé-ron, traite largement des idées. La culture qui prévaut actuellement, sous des traits communs, en Europe et en Amérique, semble à la jeunesse africaine plus décousue et contradictoire que la culture antique. On pourrait multiplier les exemples.

Tout ceci prouve qu'il ne suffit pas d'envisager les relations entre l'antiquité et le christianisme d'un point de vue purement historique, mais qu'il faut considérer leur réalité permanente. Ainsi même les maîtres de la pensée et les écrivains des premiers temps de l'Eglise désignaient-ils l'antiquité classique comme une «praeparatio evangelica», «naidaYWfbç scç Xpcavov».

L'Eglise sait que la doctrine chrétienne, à commencer par la croyance en un seul Dieu personnel et en Jésus-Christ, Dieu fait homme, est complètement exempte de toute infiltration païenne. Au plus profond de la culture hellénistique romaine se trouvaient cependant certains éléments, qui méritaient d'être considérés comme une préparation du christianisme. Cette culture, dont l'extraordinaire richesse ressort avec éclat, lorsqu'on la compare avec d'autres, a produit en grand nombre des valeurs, qui sont devenues le bien universel de l'humanité, et cela, pour une large part, grâce à l'intervention et aux efforts de l'Eglise. Relevons entre autres la perfection de l'art classique, l'élaboration du Droit, et surtout les progrès philosophiques des Grecs, en particulier de Socrate, Platon, Aristote et des écoles qui en dépendent. Les vérités sublimes de la foi chrétienne purent se rattacher en quelque sorte à plusieurs de leurs idées et de leurs concepts philosophiques ; qu'on songe, par exemple, à la philosophie du Logos et au prologue de l'Evangile de saint Jean. Les mythes antiques, destinés à satisfaire un sentiment religieux plus ou moins vague, se trouvèrent infiniment dépassées par la Révélation de l'Ancien et du Nouveau Testament et par la Rédemption de Jésus-Christ. Ici, plus de constructions imaginaires, si nobles soient-elles, mais la réalité, l'histoire au sens strict du mot. « Dans l'Incarnation de notre Sauveur » — acoTrjp — dit saint Paul, « sont apparus la bonté — iprjaroTïjÇ — de Dieu et son amour pour les hommes » — ydav&pamia —. Benignitas et humanitas apparuit Salvatoris nostri Dei (Tt 3,4). Il est caractéristique que la traduction latine rend (pcAav&pconca par humanitas : ce terme était pour le Romain d'alors l'expression de ce qu'il y avait de plus noble dans sa volonté et ses aspirations. Uhumanitas a trouvé son accomplissement dans le Christ.

Quatre cents ans après le Christ, Augustin, l'un des plus grands esprits de l'humanité, sut mieux qu'aucun autre mettre la culture antique au service des plus sublimes appels de la foi et de la perfection chrétiennes. Ce fut un élément spécifique de sa grandeur.

Nous souhaitons à votre Congrès, Messieurs, de recueillir le plein succès qu'il mérite et à vous tous, de vous enrichir mutuellement par l'échange de vos découvertes. Nous appelons sur vous à cet effet l'abondance des bénédictions de Dieu.

ALLOCUTION AUX MEMBRES DU IIIe CONGRÈS INTERNATIONAL DES OFFICIERS JUDICIAIRES
(8 septembre 1958) 1






Le 3e Congrès international des officiers judiciaires s'est tenu à Rome au début de septembre. Ses membres furent reçus en audience par le Souverain Pontife, qui prononça en français l'allocution suivante :

Nous vous souhaitons une paternelle et affectueuse bienvenue, Messieurs, qui participez au Congrès international des officiers judiciaires. Ce Congrès, organe suprême de votre union, rassemble un nombre important de délégués provenant de diverses nations, afin d'aborder et de discuter dans un climat de franchise sereine et respectueuse une série de questions concernant votre profession. Vous voulez étudier et approfondir la législation propre à chaque corporation, mais aussi examiner les idées, les projets et les résultats des initiatives, qui visent à assurer l'élévation et l'indépendance de la profession d'officier judiciaire, sans négliger, bien entendu, la défense des droits déjà acquis et des prérogatives actuelles.

Votre aimable courtoisie Nous a permis de prendre personnellement connaissance de votre programme ; Nous savons que le Congrès doit envisager les moyens pratiques d'apporter une aide morale à ceux de vos membres, qui en certains pays se trouvent dans des conditions moins favorables, et qu'il doit surtout chercher comment défendre de façon efficace tous les actes judiciaires et extra-judiciaires, qui constituent une garantie fondamentale pour les matières à juger et forment l'objet principal et la raison d'être des activités et des fonctions de l'officier judiciaire.

Vers un ordre juridique international.

Dans ce but, le Congrès a organisé des réunions, des rencontres et des conférences destinées à coordonner les diverses législations et à créer un ordre juridique international, qui, tout en sauvegardant les exigences particulières de chaque nation, adapterait néanmoins les législations des divers pays au niveau de la nation la plus favorisée : il Nous semble désormais communément admis dans la doctrine et dans les codes que l'officier judiciaire n'est pas seulement un officier public, mais qu'en assurant les actes qui lui sont demandés par la loi et par les règlements, il remplit vraiment et proprement, avec le juge et le chancelier, des fonctions de juridiction.

Dans la procédure civile, on confie à l'officier judiciaire nombre d'actes en relation avec le jugement, pour le préparer, l'accompagner ou l'exécuter. Tel, par exemple, l'acte initial qui introduit toute procédure au civil, à savoir la notification de la demande de jugement. Viennent ensuite divers autres actes, comme la notification de l'acte de déposition de documents, la notification des ordonnances et des décrets émis par le juge au cours du jugement, les citations des témoins, la notification des sentences et des charges qui s'ensuivent. Dans la phase executive, l'officier judiciaire accomplit des actes de grande importance, et parfois d'une extrême délicatesse. C'est à lui, par exemple, qu'il appartient de percevoir du débiteur des sommes dues pour la solution totale ou partielle de ses dettes ; de suspendre l'exécution ou d'exécuter la saisie et les actes qui s'y rattachent ; de pouvoir accomplir des actes concrets dans le domaine des mesures de cautionnement hors cause ou en cours de cause, comme les séquestres conservatoires et judiciaires.

Dans la procédure pénale, c'est à l'officier judiciaire que reviennent d'autres fonctions délicates, telles que la notification de la constitution de la partie civile, la notification de l'acte de comparution et de renvoi à jugement ; de même, la citation en jugement des témoins, des experts et des parties.

Dans les fonctions de l'officier judiciaire rentrent enfin de nombreux actes extra-judiciaires en matière de sociétés commerciales, de faillites, etc.



Les délicates fonctions de l'officier judiciaire.

Vous savez, Messieurs, que par l'effet des faiblesses et des limites de la nature humaine, la vie sociale a toujours présenté et présente encore un spectacle de luttes, de différends et de controverses, qui sont dus à une certaine tendance au litige, qu'on rencontre parfois dans les relations entre les sujets des normes juridiques. Parce que ces différends, en tant qu'ils rentrent dans la sphère de la garantie du droit, doivent être résolus dans l'intérêt de l'Etat, il est du ressort de ce dernier de protéger la paix sociale en exerçant ses pouvoirs, entre autres, en garantissant la sécurité et la solidité des rapports privés et publics. Ainsi s'expliquent l'origine et le développement de l'activité juridictionnelle, si complexe, destinée d'une part à vérifier l'existence du délit public ou secret, et d'autre part, à condamner le délit lui-même ou à reconnaître le droit des diverses personnes physiques ou morales.

Mais il n'échappe à personne, et à vous moins qu'à d'autres, que tout effort destiné à faire valoir dans ses effets un droit propre se heurte très souvent à un obstacle sérieux, Nous voulons dire l'énorme quantité des matières contentieuses, auxquelles s'ajoutent des procédures délicates, longues, complexes et coûteuses, au civil et au pénal.

Si donc le présent Congrès international réussit à poser les prémisses d'une action plus efficace et mieux coordonnée pour vous assurer sur le plan moral, juridique et économique, des conditions de vie plus conformes à vos exigences actuelles, il fera certainement une oeuvre utile et rencontrera l'approbation de tous ceux qui ont à coeur de voir les officiers judiciaires s'adonner tranquillement à l'exercice de leurs délicates fonctions.

Mais cela ne servirait guère, et serait peut-être même vain, si l'on ne vous recommandait en même temps de considérer avec attention la manière dont l'officier judiciaire doit agir pour contribuer réellement au but visé par l'activité juridictionnelle. Votre action, Messieurs, doit être diligente ; elle doit être précise. Que de fois en effet ne suffit-il pas d'un léger retard pour imprimer au jugement un cours différent de celui que requérait la justice ? Que de fois une simple méprise n'a-t-elle pas créé quelque préjudice à l'action judiciaire elle-même ? Aussi une vigilance extrême vous est-elle nécessaire dans la recherche et dans la citation des témoins, ainsi qu'une grande sollicitude à consigner les divers documents. De même, dans la phase d'exécution, c'est-à-dire quand on passe à la défense concrète des droits reconnus par le jugement, vous devez absolument éviter, d'abord tout acte qui soit ou puisse paraître inspiré ou provoqué par la corruption, la partialité ou l'arbitraire — c'est bien évident — mais encore tout usage moins correct des pouvoirs discrétionnaires, qui, en particulier à ce moment, vous sont attribués par la loi et par la coutume. C'est précisément dans l'exercice de ces pouvoirs, par exemple en hâtant ou en retardant une saisie, que l'on peut pécher, et gravement, contre la justice ; non contre la justice humaine, la plupart du temps, mais contre la justice divine.

L'obéissance à César découle toujours et reste inséparable de l'obéissance à Dieu.

Aussi voudrions-Nous, en guise de conclusion, vous proposer quelques réflexions qui vous aideront à vous acquitter mieux encore de vos fonctions délicates d'officiers judiciaires. Vous êtes des croyants, et du moins vous reconnaissez l'existence d'un Dieu, Juge suprême des hommes, maître absolu du monde. Vous savez, peut-être par expérience personnelle, qu'un homme peut se trouver, pour ainsi dire, en règle avec les lois humaines et subir cependant les reproches d'une autre loi qui l'inquiète et le tourmente. Seuls des gens superficiels croiront sérieusement qu'on puisse se soustraire à l'empire de cette loi, non écrite, mais innée, dont les auteurs païens eux-mêmes ont maintes fois reconnu l'existence. On soutient donc, avec une légèreté et une superficialité étonnantes, que le législateur humain peut proposer des normes contraires à la loi divine, que le pouvoir humain peut exiger l'exécution de ces normes, que le juge humain peut, en vertu de celles-ci, édicter des sentences contraires à celles que Dieu a portées. D'aucuns en appellent même à la parole de Jésus, lequel enseigna sans doute qu'il faut rendre à César ce qui appartient à César, mais voulut aussi que l'obéissance à César découlât toujours et restât inséparable de l'obéissance à Dieu.

En des temps, où l'on affirme l'égalité des citoyens devant la loi, on souhaite rencontrer chez ceux, à qui est délégué l'exercice du pouvoir judiciaire, une conscience vive des valeurs absolues, qui dépassent le naturalisme du droit humain, du droit relatif, du droit provisoire.



Soyez de ceux-là, Messieurs. Reconnaissez les droits inaliénables de Dieu sur les hommes et sur le monde. C'est ainsi seulement que vous pourrez jouer un rôle déterminant dans la recherche et la mise en oeuvre de la volonté concrète de la loi, toutes les fois que celle-ci s'apprête à dirimer un conflit entre les droits et les intérêts qui en découlent pour les parties en cause. C'est ainsi seulement que vous serez des officiers judiciaires dignes de la mission qui vous est confiée.

Nous prions le Dieu tout-puissant de vous aider dans l'accomplissement de votre tâche importante, et en gage de ses faveurs, Nous vous accordons pour vous-mêmes et pour tous ceux qui vous sont chers Notre Bénédiction apostolique.

LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT À LA XXXIe SEMAINE SOCIALE D'ITALIE
(8 septembre 1958) 1




La XXXIe Semaine sociale des catholiques italiens s'est tenue à Bari, du 21 au 28 septembre, sous la Présidence de S. Em. le cardinal Siri, archevêque de Gênes.

A cette occasion, le Souverain Pontife faisait parvenir ses directives aux participants, par une Lettre de Son Exc. Mgr Dell'Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat. Voici la traduction de ce document rédigé en italien :

Cette année l'honneur d'accueillir du 21 au 28 septembre prochain la XXXIe Semaine Sociale des catholiques italiens revient à la noble ville de Bari.

Le Souverain Pontife a toujours regardé avec une espérance confiante ces rencontres, tendant louablement à traduire dans les organisations sociales de la vie actuelle la sagesse et l'esprit de l'Evangile. Répétant donc un geste habituel, mais non moins cordial et paternel pour cela, il me charge d'exprimer à Votre Eminence Révérendissime et à tous les Semainiers Sa vive satisfaction et Ses souhaits pour le plein succès de la Semaine.

1 D'après le texte italien de VOsservatore Romano, éd. quot., du 21 septembre 1958 ; traduction française de VOsservatore Romano, éd. hebd., du 3 octobre 1958. Les sous-titres sont ceux de la Documentation Catholique, t. LVI, col. 71-80.




Le problème qui est abordé sous le titre « Les classes sociales et l'évolution sociale », ne date pas seulement d'aujourd'hui ; mais s'il réapparaît constamment à toutes les époques historiques, il est devenu, ces dernières années, infiniment plus complexe que par le passé. Partout où la société humaine s'affirme, elle présente tout naturellement une pluralité multiforme de classes, de catégories professionnelles, de groupes sociaux, pluralité due au fait que les besoins humains sont nombreux dans



la vie sociale, et que, par conséquent, des fonctions multiples sont indispensables pour pouvoir les satisfaire. Il s'ensuit que presque toujours, entre les différents groupes, dans l'immense panorama humain, subsistent des différences de nature économique, sociale, politique et culturelle.

Or, si cela retient naturellement l'attention des spécialistes et des interprètes des phénomènes sociaux, l'Eglise ne peut manquer de s'y intéresser de près, parce que précisément le problème des classes, lié à celui de la paix et de l'ordre social, a ses répercussions également en ce qui concerne l'annonce et l'expansion du Royaume de Dieu dans le monde. Bien que n'ayant pas de finalités directement terrestres, l'Eglise aborde toutefois dans son chemin les problèmes et les soucis d'ici-bas. Elle voit qu'il y a une étroite relation entre le bien de l'âme et le bien physique et économique ; elle ne peut donc se désintéresser de tous les moyens qui, comme une meilleure organisation des classes sociales, sont aptes à rendre plus humaine la vie de chaque homme destiné au salut.

Il y a eu malheureusement des personnes qui ont voulu formuler des jugements inconsidérés sur l'attitude de l'Eglise envers les classes sociales ces derniers temps, en altérant les faits et dénaturant les intentions. C'est ainsi que, tandis que d'une part on lui reprochait de prendre parti pour les classes privilégiées et dominantes, il y a eu, d'autre part, des gens qui l'ont trouvée trop liée aux classes ouvrières et l'ont accusée de basse démagogie, d'alliance avec les fauteurs d'agitation et de révolution.

En réalité l'Eglise, dans ses interventions concernant le problème des classes, ne s'est jamais écartée ni départie de l'attitude qui est requise par les exigences de son mandat divin.



La multiplicité des classes répond aux desseins du Créateur.

Avant tout l'Eglise doit conserver bien ferme le principe de droit naturel, selon lequel soit la multiplicité des classes, soit les différences qui en dérivent répondent pleinement aux desseins du Créateur. « Chez un peuple digne de ce nom — enseigne le Souverain Pontifie régnant — toutes les inégalités qui dérivent non du libre caprice, mais de la nature même des choses, inégalités de culture, de richesses, de position sociale — sans préjudice, bien entendu, de la justice et de la charité mutuelle — ne sont nullement un obstacle à l'existence et à la prédominance d'un authentique esprit de communauté et de fraternité » 2. Au contraire ces inégalités constituent un bien au point de vue de la société, parce que, comme l'observait justement Léon XIII, « la vie sociale réclame dans son organisation des aptitudes variées et des fonctions diverses ; et ce qui porte précisément les hommes à se partager ces fonctions, c'est surtout la différence de leurs conditions respectives » 3. De telle sorte que la société postule à la fois l'unité et la distinction. Pour cette raison, les inégalités apparaissent comme une condition de la vie sociale, qui ne pourrait s'organiser dans ses différentes fonctions, si elles n'impliquaient une différence d'organes ; elles sont donc la garantie d'un ordre non pas statique, mais dynamique ; elles ne mortifient pas l'homme, mais reconnaissent sa dignité, le respectent et le stimulent à une élévation progressive vers le perfectionnement de sa personnalité. Mais il est évident que cela ne s'applique qu'aux différences « réellement établies et sanctionnées par la volonté du Créateur ou par des normes surnaturelles » 4 ; et non point, par contre, à celles qui sont le fruit de privilèges, de favoritisme, de protectionnisme, d'exploitation inhumaine du prochain, qui lèsent toute forme de justice et que l'Eglise sait devoir attribuer radicalement au déséquilibre inné de l'homme, atteint par le péché originel. Et c'est précisément en raison de cette connaissance intégrale de l'homme que, comme l'Eglise repousse l'idéal chimérique d'une société sans classes, elle ignore pareillement aussi l'optimisme insensé de ceux qui déifient la liberté et voudraient confier l'équilibre entre les classes au libre jeu des intérêts particuliers.



L'Eglise n'est inféodée à aucune classe, mais elle a une prédilection pour les pauvres.

2 Radie-message de Noël 1944.

3 Encyclique Rerum Novarum.

4 Radiomessage de Noël 1942.




Une autre attitude de l'Eglise envers les classes sociales est son indépendance et son impartialité absolues. De même qu'elle n'est pas prisonnière des conceptions de l'homme, ni liée à telle ou telle forme de gouvernement, à tel ou tel régime économique, elle n'est pas davantage inféodée à quelque classe que ce soit. Son message de salut est destiné à tous, sans préjugés de caste ; aussi l'Eglise, comme l'affirmait Pie XII dans le radiomessage du 14 septembre 1952, aux catholiques autrichiens, « sait qu'elle a des devoirs envers toutes les catégories et toutes les classes de la société ». En dehors et au-dessus des intérêts particuliers, elle peut ainsi faire entendre librement sa voix à tous ; dans les différends, elle ne sera pas au-delà ou en deçà des barrières qui divisent les camps opposés, mais entre eux pour apaiser les dissensions et pour promouvoir la concorde et la paix dans la justice. « L'Eglise — toujours selon l'enseignement du Souverain Pontifie régnant — a toujours été pour ceux qui cherchent la justice et pour ceux qui ont besoin d'aide, mais elle n'a jamais été contraire, par principe, à aucun groupe, à aucun milieu, à aucune classe sociale, elle a par contre, toujours favorisé le bien commun de tous les membres du peuple et de l'Etat » 5.

Mais si l'Eglise est un juge impartial quand elle doit fixer les droits et les devoirs des diverses classes en conflit, en tant que mère, elle ne peut cacher ses prédilections envers ceux de ses fils qui ont un plus grand besoin de défense et d'aide. Aussi prodigue-t-elle à ceux-ci ses sollicitudes les plus affectueuses, fidèle en cela aux enseignements et aux exemples de son divin Fondateur, qui a voulu naître pauvre et évangéliser de préférence les pauvres, les faibles et les opprimés. Dans son expérience millénaire, elle sait bien que, souvent, la misère abrutit et perd les âmes ; aussi, quand les circonstances le réclament, elle ne cessera pas d'élever sa voix pour une plus grande justice et d'exiger de tous un sérieux effort pour créer des conditions sociales plus justes, plus humaines, plus dignes d'enfants de Dieu.



L'oeuvre de conciliation sociale de l'Eglise.

5 Radiomessage au 73e Congrès des catholiques allemands, 4 septembre 1949 ; cf. Documents Poîitificaux 1949, p. 346.




Personne n'ignore combien une telle attitude de l'Eglise, inflexible dans les principes, mais en même temps réaliste, com-préhensive et modérée, maternellement empressée envers les nécessiteux, a contribué à la coexistence pacifique des classes sociales au cours des siècles. Cela devait se manifester de façon particulière en notre époque, qui a assisté à l'aggravation des conflits entre les classes dans des proportions inquiétantes et encore jamais vues. En réalité, après les profondes transformations qu'a connues l'économie au cours du siècle dernier en vertu du progrès des sciences et de la technique et simultanément de par l'apparition du prolétariat, la société s'est trouvée, spécialement en ce siècle — presque partout, bien que dans des phases et à des degrés divers — comme divisée en deux grands blocs opposés, que Léon XIII décrivait ainsi : d'une part « des prolétaires qui pour la plupart se trouvent indignement réduits à des conditions très misérables » et d'autre part « un tout petit nombre de personnes excessivement riches qui ont imposé à la multitude infinie des prolétaires un joug à peine moins que servile » 6. Il y en a même eu qui ont été jusqu'à présenter la société comme dominée par deux seules forces opposées — la classe ouvrière et la classe capitaliste — destinées à être perpétuellement en conflit, et l'histoire comme le processus de cette lutte irréconciliable de classes. L'Eglise comprit parfaitement la gravité de la situation ; et les nombreuses interventions de son magistère — surtout depuis l'encyclique Rerum Novarum jusqu'aux lumineux enseignements du Souverain Pontife régnant — constituent un monument impérissable de sagesse édifié pour l'élévation des humbles. Et non seulement cela, mais elles ont posé d'autre part la base théorique de ce processus de détente vers lequel les rapports entre les classes sociales semblent désormais orientés dans de nombreux pays.



L'amélioration actuelle des rapports entre classes et le travail qui reste à faire.

6 Encyclique Rerum Novarum.




En vérité, il y a divers indices de cette nouvelle situation ; et celui qui veut la confronter avec celle d'un passé récent ne peut manquer de trouver légitimes les expressions adressées par Sa Sainteté aux catholiques allemands dans le Radiomes-sage déjà cité de 1949, et qui pourraient s'appliquer également ailleurs : « La terrible catastrophe qui s'est abattue sur vous a eu cela de bon que, dans de vastes milieux, libérés des préjugés et de l'égoïsme de groupe, les conflits de classes ont été écartés et que les hommes se sont rapprochés les uns des autres. La misère commune a été une rude, mais salutaire maîtresse. Ce à quoi ont notablement contribué les innovations substantielles entreprises en faveur des classes ouvrières durant ces dernières décades dans les pays les plus évolués. Il suffit de penser au plus grand pourcentage du revenu national dévolu au travail ; à la diffusion de l'instruction ; au nombre toujours croissant des travailleurs spécialisés ; à l'instauration de systèmes d'assurance et de sécurité sociales ; à la protection plus efficace des intérêts des classes ouvrières au moyen de leurs organisations respectives. On doit ajouter, en outre, la reconnaissance des droits politiques à tous les citoyens, si bien que les travailleurs sont aujourd'hui activement présents dans la vie politique. Enfin il convient de rappeler la nouvelle position de l'Etat contemporain, qui est entré profondément dans la vie économique par la législation sociale et la réalisation d'une politique visant à promouvoir à un rythme égal le développement économique et le progrès social. De la sorte les distances se sont atténuées entre les classes, qui ne se réduisent plus à un dualisme de blocs opposés, fondé exclusivement sur le rapport capital et travail ; une variété de groupes sans cesse plus grande, au contraire, et surtout une ouverture et des échanges vitaux croissants se précisent entre ces mêmes groupes. Ce phénomène était également constaté par le Saint-Père dans le radiomessage aux catholiques autrichiens déjà cité : « Si les signes des temps ne trompent pas, d'autres problèmes dominent dans la deuxième époque des luttes sociales, où nous semblons déjà entrés. Nous nommerons deux de ces problèmes : le dépassement de la lutte des classes et la défense de la personne et de la famille... ».

Mais il n'est pas douteux qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à la formation de communautés humaines vraiment ouvertes dans le fond et dans la forme. Car il existe encore plus d'un déséquilibre et plus d'une coupure de nature diverse, même en Italie, entre une zone et une autre, entre un secteur et son voisin ; entre autres, il suffit de fixer l'attention sur les inégalités existant entre le secteur agricole et le secteur industriel, comme cela a été mis en relief l'an dernier à la Semaine Sociale de Cagliari. En outre, ce qui est peut-être plus grave, les problèmes de fond tendent à se déplacer, mais ils demeurent dans leur substance, comme par exemple le problème des rapports des divers groupes entre eux et sur le plan national, et les égoïsmes qui ne sont pas éteints ni assoupis, réapparaissent sous d'autres formes et dans d'autres proportions et souvent avec non moins d'ampleur et de violence.



Les principes fondamentaux d'une saine réorganisation des classes dans l'enseignement de Pie XII.

De tels problèmes, comme chacun le voit, demandent avec urgence une réponse. Or, après tant de systèmes successifs et de doctrines et après les essais désastreux tendant à substituer au code des lois divines un code terrestre, chacun devrait avoir conscience de l'importance de la doctrine sociale de l'Eglise pour que la structure de la nouvelle société repose sur la roche et non sur le sable. Sur cette question, le magistère de la parole, que le Souverain Pontife régnant exerce inlassablement dans ses innombrables contacts avec les diverses catégories de personnes, offre aux participants à la Semaine Sociale un trésor de sagesse inestimable. En saisissant précisément les sujets qui reviennent avec le plus d'insistance sur les lèvres du Père commun dans ces rencontres, il sera facile de relever également les principes fondamentaux d'une saine réorganisation des classes, dont les travaux de la présente Semaine ne pourront en «aucune façon faire abstraction.

Parmi ceux-ci, se trouvent aux premières places dans la pensée de Sa Sainteté : la dignité personnelle de l'homme, la solidarité active entre les classes, l'harmonie des intérêts, des groupes avec le bien commun, la gradation des réformes, la réalisation de la justice complétée par la charité.



La dignité de l'homme.

Avant tout la dignité personnelle de l'homme, qui doit toujours être considéré et traité comme fondement, fin et sujet de toute société. C'est ainsi, en effet, que sont tracés de façon lapidaire, dans le message de Noël 1944, la nature et le but de toute société : « L'origine et le but essentiel de la vie sociale veulent être la conservation, le développement et le perfectionnement de la personne humaine, en l'aidant à réaliser justement les normes et les valeurs de la religion et de la culture, indiquées par le Créateur à chaque homme et à toute l'humanité, soit dans son ensemble, soit dans ses ramifications naturelles. »

Dans le cadre de cet enseignement lumineux, le bien de la personne humaine représente donc l'élément constant de la finalité de toute forme de vie sociale. Il serait donc vain de s'illusionner sur les bienfaits d'un ordre social artificiel en opposition avec cette fin ; tôt ou tard ces bienfaits se révéleront inconsistants et trompeurs, parce que c'est seulement avec l'homme et pour l'homme, et non sans l'homme ou contre l'homme, que s'institue et se consolide tout ordre social.



La solidarité entre les classes.

1 Radiomessage au 73e Congrès des catholiques allemands, 4 septembre 1949 ; cf. Documents Pontificaux 1949, p. 346.

8 Radiomessage aux catholiques autrichiens, 14 septembre 1952 ; cf. Documents Pontificaux 1952, p. 469.




Connexe à ce principe, il y a l'autre de la solidarité active entre les diverses classes, qui s'exprime dans la réalisation de ses propres intérêts en contribuant simultanément à la réalisation des intérêts d'autrui. « L'Eglise — selon le Saint-Père — ne laisse pas d'intervenir activement pour que l'opposition apparente entre capital et travail se résolve en une unité supérieure, en une coopération des deux parties, indiquée par la nature suivant les entreprises et les secteurs économiques, dans la coordination des professions 1. » Seuls un égarement de la raison rendue incapable de voir les effets destructeurs de la haine et une conception erronée de l'homme et de l'histoire ont pu faire croire à la nécessité de la lutte des classes pour mettre fin aux injustices sociales et présenter cette lutte comme le processus naturel de la société vers le sommet de son évolution définitive. Ce qui est vrai en revanche, comme l'enseigne Sa Sainteté, c'est que « la lutte des classes ne saurait jamais être un objectif de la doctrine sociale catholique » s, parce que les diverses parties de l'organisme social sont faites non pas pour se combattre réciproquement, mais pour se compléter. Par conséquent, l'Eglise enseigne qu'au-delà de la diversité de fonctions et de la divergence d'intérêts propres à chaque classe, il existe une communauté supérieure d'intérêts et une solidarité entre tous ceux qui travaillent dans une même profession ; elle voit entre eux « une plus haute unité... c'est-à-dire leur entente et leur solidarité dans la tâche qui leur incombe de pourvoir ensemble au bien commun et aux besoins de toute la communauté » 9. Pie XII exprime également avec énergie la volonté de l'Eglise sur ce point : « Que cette solidarité s'étende à toutes les branches de la production, qu'elle devienne le fondement d'un meilleur ordre économique 10 » ; et tandis que d'une part il voit dans cette plus haute unité « le fondement du futur ordre social » 11, il souhaite d'autre part « que ne soit pas trop éloigné le jour où puissent cesser de fonctionner ces organisations d'autodéfense, rendues nécessaires par les faiblesses du système économique actuel et surtout par le manque d'esprit chrétien » 12.



Que les intérêts du groupe concordent avec les exigences du bien commun.

9 Discours du 11 mars 1945.

10 Loc. cit.

11 Discours' du 24 janvier 1956.

12 Radiomessage au 73e Congrès des catholiques' allemands, 4 septembre 1949 ; cf. Documents Pontificaux 1949, p. 346.




Mais la pure reconnaissance de la solidarité naturelle entre les classes n'est pas suffisante ; il faut en outre que les intérêts du groupe concordent avec les exigences du bien commun. Il est superflu de souligner l'importance de ce point fondamental de la doctrine sociale de l'Eglise. Il n'est que trop nécessaire en effet que les diverses catégories surmontent la tentation constante de subordonner le bien commun au bien particulier ou de se livrer à un calcul continu sur les avantages qu'elles peuvent espérer de la communauté comme compensation de leurs propres sacrifices pour la communauté. Se renfermer ainsi en soi, dans ses propres intérêts, dans ses propres avantages, constitue une des plus grandes sources de désordre dans la nation. Aussi le Souverain Pontife ne se lasse-t-il pas de mettre en évidence le devoir de chaque catégorie professionnelle de coopérer au bien commun de la collectivité nationale. Cette conception est exprimée par Sa Sainteté même dans le discours du 7 mai 1949 aux membres de l'Union internationale des Associations des Patrons catholiques : « Chefs d'entreprise et ouvriers ne sont pas antagonistes inconciliables. Ils sont coopé-rateurs dans une oeuvre commune. Ils mangent, pour ainsi dire, à la même table, puisqu'ils vivent, en fin de compte, du bénéfice net et global de l'économie nationale. Chacun touche son revenu, et sous cet aspect leurs relations mutuelles ne mettent aucunement les uns au service des autres. » Ceci établi, il est évident qu'aucune catégorie ne pourra jamais avoir la prétention d'être un état dans l'Etat ou, pis encore, contre l'Etat mais chacune devra agir en harmonie avec ce dernier et en même temps elle se souciera de l'aider et de le seconder dans ses interventions désormais multiples, quand elles sont considérées nécessaires au bon ordre de la communauté nationale.



Evolution et non révolution.

Ensuite, en ce qui concerne le processus de transformation des classes, celui-ci doit s'accomplir selon le principe d'une évolution graduelle et non de la révolution. L'Eglise toutefois ne peut pas pour cela être accusée d'irrésolution ou d'hostilité aux formes sociales en progrès. A chaque époque de l'histoire, elle s'est efforcée d'influencer les structures sociales de la vie publique avec l'esprit de l'Evangile ; mais les transformations qu'elle a encouragées se sont toujours réalisées quand les temps étaient mûrs et lentement. A la hâte irréfléchie de la violence révolutionnaire, toujours accompagnée de ruines, de haine et de désordres, elle a préféré l'utilité des progrès graduels et des attentes opportunes ; de la sorte elle a sauvegardé la solidité de ses conquêtes pacifiques. C'est pour cela que le Souverain Pontife, dans l'allocution du 13 juin 1943, recommandait aux ouvriers : « Ce n'est pas dans la révolution, mais dans une évolution harmonieuse que résident le salut et la justice. L'oeuvre de la violence a toujours consisté à abattre, jamais à construire ; à exaspérer les passions, jamais à les calmer ; à accumuler les haines et les ruines, jamais à unir fraternellement les adversaires. Elle a jeté hommes et partis dans la dure nécessité de reconstruire lentement, après les épreuves douloureuses, sur les ruines amoncelées par la discorde » ; et encore : « Seule une évolution progressive et prudente, courageuse et conforme à la nature, éclairée et guidée par les saintes lois chrétiennes de la justice et de l'équité, peut conduire à la réalisation des désirs et des besoins légitimes de l'ouvrier ».



La charité.

Enfin la réalisation de la justice sociale entre les classes doit être vivifiée par la charité. C'est en cela que résident la note caractéristique du message social chrétien et le secret de sa force. En effet, la charité est l'intégration et la perfection nécessaires de la justice pour régler toutes les relations sociales. Comme l'enseignait Pie XI dans l'encyclique Quadragesimo Anno, si la justice peut supprimer les causes des conflits sociaux, en réalité elle n'est pas suffisante pour unir les coeurs. Elle commande de donner à chacun ce qui lui appartient, mais non de lui donner également ce qui est à soi, ni de se comporter avec le prochain comme avec soi-même. Mais lorsque la charité intervient, un climat nouveau se crée, comme le Souverain Pontife l'enseigne magistralement dans le message de Noël 1942, quand il parle du lien intime entre l'amour et le droit : « (Non pas) l'amour ou le droit, mais une synthèse féconde : l'amour et le droit. Dans l'un et dans l'autre, double irradiation d'un même esprit de Dieu, résident le programme et le sceau de la dignité de l'esprit humain ; l'un et l'autre s'intègrent mutuellement, coopèrent, s'animent, se soutiennent, se donnent la main dans la voie de la concorde et de la pacification : le droit fraye la route à l'amour, l'amour tempère le droit et le rehausse. » Mais la charité est une vertu divine ; elle est une force qui est diffusée en nous par le Saint-Esprit pour nous faire participer à l'Amour Eternel, au moyen du ministère de l'Eglise. C'est alors — si ce qu'affirme l'encyclique Rerum Novarum est vrai, c'est-à-dire que le salut de la société, en définitive, doit être principalement le fruit d'une grande effusion de charité — qu'apparaît ici dans toute sa splendeur et dans toute son importance la fonction irremplaçable que l'Eglise, aujourd'hui comme hier, est appelée à exercer dans la cité terrestre.

A la lumière de ces principes, le travail de la prochaine Semaine Sociale ne manquera certainement pas de contribuer efficacement à trouver la bonne voie pour la coexistence pacifique et le sain progrès des classes sociales. Puisse ainsi l'idée chrétienne, grâce à ces très nobles efforts, se diffuser toujours davantage et donner à la société civile ce supplément d'âme, sans lequel le progrès s'accomplirait à rebours, mais avec lequel il est permis d'espérer en l'avènement d'un monde meilleur.

Ce sont là les voeux qui jaillissent du coeur du Souverain Pontife et, afin qu'ils puissent devenir des réalités consolantes, il envoie à tous les participants à la Semaine et, particulièrement, à Votre Eminence Révérendissime le réconfort de la Bénédiction apostolique.




Pie XII 1958 - RADIOMESSAGE AU LXXVIIP « KATHOLIKENTAG » ALLEMAND