Pie XII 1958 - DISCOURS À L'INSTITUT NATIONAL ESPAGNOL DE PRÉVOYANCE


RADIOMESSAGE AU CONGRÈS MARIAL INTERNATIONAL À LOURDES

(tj septembre 1958)1






Le mercredi 17 septembre, à l'occasion du dixième Congrès mariai international, qui s'achevait à Lourdes, le Souverain Pontife a adressé le radiomessage suivant, en français, à l'immense foule des pèlerins, massés sur l'esplanade du Rosaire :

Vénérables Frères et bien-aimés fils, pèlerins de Lourdes, qui avez pris part en la cité de Marie au grand Congrès mariai international, puissent ces ondes mystérieuses et invisibles qui vous portent avec Notre voix le témoignage de Notre affection et de Notre intérêt, rebondir sur le massif rocheux de Massabielle et revenir à Nous, messagères de l'enthousiasme et de la dévotion, qui vibrent dans vos prières et vos chants en l'honneur de la Reine du ciel et de la terre, qu'en ce moment vous acclamez, lui redisant une fois de plus Ave Maria !



Ave Maria !

C'est le salut de l'ange, qu'à travers les siècles l'humanité entière offre sans cesse, comme une fleur, à l'autel de sa Souveraine ; c'est l'invocation, aussi simple que profonde, qui depuis cent ans résonne sans interruption sur ces rives bénies du Gave, invocation sereine et légère dans le murmure de l'âme fervente, douloureuse et suppliante sur les lèvres brûlantes du malade et de l'infirme, résolue comme une profession de foi dans les accents virils de l'homme, solennelle et grandiose dans la clameur de la multitude, mais toujours pénétrée d'amour pour l'Immaculée et d'une profonde affection filiale qui trouverait difficilement une expression plus parfaite. Et Nous-même évoquons d'ici, non sans émotion, cette heure bienheureuse, où il Nous fut donné, à Nous aussi, d'élever les yeux vers la Dame blanche des Pyrénées et de lui murmurer Ave Maria !

Pendant toute l'année, Nous avons suivi de Rome, que tant de liens unirent à Lourdes dès que ce nom commença à résonner dans le monde, l'actuel centenaire : par Notre parole quand il était opportun, par la pensée à tout moment, et par la concession de grâces très spéciales, en manifestant de toutes les manières possibles Notre paternelle affection. Nous avons été le témoin, en la Ville éternelle, de la joie et de la consolation spirituelle de tant de Nos fils, dont les yeux rayonnants semblaient garder encore le reflet céleste de la Grotte miraculeuse qu'ils venaient de visiter.

Mais, de toutes les manifestations du centenaire, le Congrès mariai international, préparé de longue date par des théologiens réputés, est sans conteste la plus solennelle. Un nombre imposant de princes de l'Eglise, d'archevêques et d'évêques entourent Notre légat, et c'est à dessein que Nous avons choisi pour Nous représenter Notre Vénérable Frère le Cardinal doyen du Sacré Collège, pour lequel Nous nourrissons une si profonde estime et une vive affection ; Nous sommes heureux qu'il préside en Notre nom ces grandioses cérémonies. De grand coeur aussi, Nous saluons, avec l'Evêque de Tarbes et Lourdes et son coadjuteur, toutes les hautes personnalités religieuses et civiles présentes au Congrès. Nous tenons également à exprimer Notre gratitude aux Autorités françaises pour l'accueil plein d'honneur et de courtoisie réservé à Notre eminent légat, non moins que pour toutes les facilités accordées cette année aux milliers de pèlerins venus des régions les plus lointaines. N'est-ce pas d'ailleurs une des gloires de la France, terre privilégiée de Marie, de posséder sur son sol un tel sanctuaire de renommée mondiale ?

leçons de Lourdes.

N'en doutez pas, bien-aimés congressistes ! C'est Marie qui, en une heure critique de l'humanité, voulut rappeler à ses fils égarés le vrai sens de la vie, en montrant sa transcendance fondamentale et son union à l'autre vie, qui seule nous donnera le véritable et parfait bonheur. C'est elle qui daigna leur enseigner, avec la tendresse et la pédagogie d'une mère, les deux grands moyens essentiels de parvenir à un but si élevé : la



prière assidue et confiante, et l'indispensable mortification chrétienne qui la soutient. Sa prudence surnaturelle leur indiqua la route sûre : celle qui passe par les représentants de son Fils sur la terre, celle qui passe par l'Eglise. C'est elle qui, anxieuse du bien de tous, lança le grand appel aux multitudes, pour qu'elles accourent boire à ces eaux miraculeuses, qui guérissent les âmes aussi bien que les corps. C'est elle qui, avec une indicible douceur, voulut en quelque sorte demeurer parmi nous pour y être notre secours perpétuel et notre sûr refuge, fortifiant notre foi par de nouvelles et innombrables merveilles, soutenant notre espérance par sa miséricorde inépuisable et magnanime, et attisant la flamme de notre charité par sa beauté céleste, sa bonté sans limites et ses faveurs sans nombre.



Marie prépare la restauration du règne de Jésus-Christ.

Et parce qu'il en est aujourd'hui comme au siècle passé ; parce que nous sommes sûrs que jamais ne nous feront défaut sa sollicitude et son assistance ; parce que de cette Grotte bénie — ô Mère généreuse — ne peuvent cesser de descendre sur la terre les torrents de vos grâces maternelles, pas plus que l'eau ne peut cesser de répandre chaleur et lumière, Nous voulons proclamer bien haut, à la fin du Congrès qui couronne en quelque sorte cet incomparable centenaire, Notre certitude que la restauration du Règne du Christ par Marie ne pourra manquer de se réaliser, car il est impossible qu'une telle semence, jetée avec tant d'abondance, ne produise pas les fruits les plus vigoureux.

Nous savons très bien comment les puissances de l'enfer s'efforcent de toutes manières de ravager l'héritage de Marie, dépouillant la jeunesse de son innocence et de sa pudeur, attentant à la sainteté et à l'unité du mariage, excitant l'une contre l'autre les classes sociales, comme si tous les hommes n'étaient pas frères, opprimant l'Eglise partout où elles réussissent à s'introduire et propageant le plus radical des matéria-lismes. Mais Nous savons aussi quelle soif de lumière et de vérité palpite au fond des coeurs, quel sincère désir de trouver Dieu anime les âmes, de ceux mêmes qui ne peuvent rien en manifester sans risquer leurs biens et leurs personnes ; Nous savons la puissance des forces spirituelles qui pointent de toutes parts, comme l'annonce d'un splendide printemps.

Vous-mêmes, n'avez-vous pas vu les hommes accourir cette année aux pieds de la Vierge avec la paix et la sérénité de qui vivrait dans un monde sans problèmes, et non sous la menace d'une catastrophe sans précédent ? Ne les avez-vous pas vus se tendre la main, souriants et fraternels, comme s'ils n'appartenaient pas à des peuples qui se regardaient hier, pleins de haine, de tranchée à tranchée ? Ne les avez-vous pas contemplés assiégeant les confessionnaux, s'agenouillant en files interminables pour recevoir la Manne descendue du ciel, priant sans fatigue les bras en croix devant la Grotte, ou chantant, quand vient la nuit, les louanges de Marie en lumineux cortège ? Ne les avez-vous pas vus partir tous, croyants, pleins de ferveur ou pécheurs régénérés, privilégiés de la grâce de Marie ou malades s'en retournant avec leur mal, ne les avez-vous pas vus rentrer tous à leurs foyers le front rayonnant de la lumière de Dieu, animés du plus fervent désir de vivre une vie meilleure, une vie nouvelle sous le manteau d'azur de celle, dont ils n'oublieront jamais le sourire ?

A Lourdes, a-t-on dit, s'est ouverte une fenêtre qui regarde le ciel. Ajoutons que si par cette fenêtre il nous est donné de jouir d'avance de la gloire céleste, par elle aussi descend continuellement un torrent de lumière et de grâces ravivant la confiance dans les destinées d'une humanité, anxieuse de développement et de progrès sans doute, mais bien plus encore de sérénité et de paix.

Frères et fils bien-aimés ! Implorez pour le monde, en cette heure solennelle, tous les dons qui vous paraissent nécessaires et opportuns, chacun selon les besoins qu'il connaît ; mais demandez surtout que cessent haines et discordes, que les voix insolentes de la convoitise et de l'orgueil soient réduites au silence et que brille enfin sur la terre le soleil joyeux et bienfaisant de paix tant désirée : la paix du Christ, qui surpasse tout sentiment, dans le coeur des hommes, dans leurs relations sociales et internationales, conséquence naturelle de l'application intégrale de l'Evangile ! Appelez de vos prières le Règne du Christ, auquel votre Mère très aimante vous invite par son exemple et pour lequel son intercession maternelle vous procure sans cesse tous les moyens nécessaires : n'y possède-t-elle pas, en effet, une place privilégiée à cause de la fonction que la Providence a voulu lui assigner dans la vie de l'Eglise et de chacun de ses membres ?

Prière finale, à Marie.

Voilà pourquoi, ô très douce Mère et très puissante avocate, vous avez voulu poser votre pied délicat sur ce roc pyrénéen, et faire de cette vallée ignorée un immense sanctuaire dont les nuées du ciel forment la voûte ; un sanctuaire où votre Fils très aimant soit continuellement honoré dans le Sacrement de son amour, reçu avec ferveur en des milliers de poitrines, qui peut-être savourent encore les douceurs de la réconciliation, et constamment invoqué par les lèvres tremblantes de qui vient lui confier une douleur, à laquelle rien au monde ne peut plus porter remède !

Que ce soit votre oeuvre, ô Souveraine des anges et Reine de la paix ! Ne laissez pas de tels triomphes confinés dans les étroites limites de votre sanctuaire, mais comme un torrent irrésistible se déverse par les vallées ouvertes, atteint les cimes et les dépasse pour finalement tout remplir et tout monder de l'allégresse et de la fécondité de ses eaux vives, qu'ils se répandent à travers toute la terre, purifiant les âmes, guérissant les blessures, aplanissant les difficultés, vivifiant toutes choses, de sorte que, par votre puissante intercession et votre constant secours, se réalise enfin le Règne du Christ : Regnum veritatis et vitae, regnum sanctitatis et gratiae, regnum iustitiae, amoris et pacis !

Et qu'à Notre fervente prière s'unisse celle de la petite fleur que vous-même avez daigné cueillir dans la plus humble prairie pour la faire épanouir au jardin du ciel, sainte Marie Bernarde Soubirous, dont les vertus, si aimables et silencieuses, si profondes et peu apparentes, pourraient tant apprendre à notre siècle confus et agité.

Que sur cette Cité de Marie, où un jour Nous eûmes le bonheur ineffable d'être présent, Nous aussi ; sur les pèlerins innombrables de ce moment et de toute l'année ; sur les Autorités de tous ordres qui ont contribué si efficacement à la splendeur du Congrès ; sur les congressistes en général, et plus spécialement sur ceux qui ont prêté à la grande assemblée leur collaboration directe ; sur Nos frères dans l'Episcopat et très particulièrement sur Notre bien-aimé Cardinal légat, descende la Bénédiction du Vicaire de Jésus-Christ, qui veut être le gage des meilleures grâces du ciel !




LETTRE POUR LE CINQUANTENAIRE DU « PÈLERINAGE DU ROSAIRE À LOURDES » (18 septembre 1958)

1 D'après le texte français de la Documentation Catholique, LV, col. 150g.

A l'occasion du cinquantenaire du « pèlerinage du Rosaire à Lourdes », le Saint-Père a adressé au T. R. P. Browne, maître général des Dominicains, le message suivant, daté dt^ 18 septembre, qui a été lu le 7 octobre, lors de la cérémonie d'ouverture de ce pèlerinage :

La joie très douce dont est rempli Notre coeur en raison des multiples marques de piété que donne, en réponse à Nos encouragements, le peuple chrétien, dans le monde entier, et particulièrement auprès de la Grotte de Massabielle, dans la solennelle célébration du pieux centenaire des apparitions de Marie immaculée, cette joie s'est accrue dernièrement d'un nouveau motif de consolation. C'est l'annonce que très prochainement va être révolu le cinquantenaire de l'institution providentielle, par les religieux français de l'Ordre dominicain, de l'oeuvre pieuse communément appelée « pèlerinage du Rosaire à Lourdes ».

Ils sont bien connus de Nous, les bienfaits spirituels qui ont relevé de cette entreprise pour le profit des intérêts catholiques ainsi que les vifs labeurs qu'ont accomplis, non sans se donner du mal, vos religieux Dominicains, pour la créer et la faire progresser. Effort louable, assurément, et louable dessein de tendre à obtenir que la nation française, au sein de laquelle la Vierge Marie, il y a un siècle, a établi d'une manière si éclatante, le siège de sa bienveillance et de sa miséricorde, lui soit attachée par des liens de piété toujours plus étroits et se conforme d'une manière exemplaire à ses désirs et à ses recommandations. D'où leur zèle religieusement empressé pour

propager de plus en plus le Rosaire de Marie comme a paru le recommander d'une manière pressante la Très Sainte Vierge, elle-même qui, à la Grotte de Lourdes, enseigna par son exemple cette formule d'une prière à l'innocente sainte Bernadette, enfant ; d'où également cette très belle manifestation de piété mariale qui, chaque année, se renouvelle à Lourdes, lorsque de nombreux milliers de pèlerins de toute la France, clergé en tête, se réunissent en ce lieu sous l'étendard du Rosaire pour supplier d'une seule bouche, d'un seul cceur, leur Mère du ciel : spectacle vraiment admirable qui tant pour le nombre de fidèles que pour la ferveur de leur foi, est à bon droit rangé parmi les grands rassemblements de ce genre.

A tant de soucis et d'efforts d'apostolat n'a point manqué, comme on pouvait s'y attendre, une abondante effusion de la grâce divine, sous l'impression et à l'aide de laquelle se sont produits des résultats si heureux qu'une salutaire entreprise, qui n'a été jusqu'ici qu'une plante délicate, a progressé jusqu'à devenir un arbre couvert de feuilles qui, aujourd'hui, riche en fruits déjà donnés, fait pressentir qu'il en donnera de plus abondants dans l'avenir.

C'est ce qu'attestent non seulement les heureux accroissements obtenus de nos jours, mais encore l'assentiment des Pontifes sacrés, et principalement Notre paternelle bienveillance, qui plus d'une fois s'est manifestée à vous et à vos religieux Dominicains.

Qu'elle soit donc vigoureuse, qu'elle grandisse, qu'elle s'épanouisse chaque jour davantage, cette oeuvre développée en France, que vos religieux continuent, comme ils le font, à unir leurs soins empressés en vue de la promouvoir.

Qu'elle parvienne à stimuler de plus en plus le zèle ardent des fidèles de France envers la Reine des Pyrénées ; qu'elle parvienne à tourner leurs yeux, leur esprit, leur coeur vers la Grotte de Massabielle : si bien que ceux qui se trouvent, par un singulier bienfait de Marie, plus proches d'une telle source de grâces célestes, en attirent à eux avec plus d'abondance une très salutaire effusion.

Tout en recommandant par d'instantes prières Nos voeux à la Mère de Dieu, de très bon coeur Nous accordons dans le Seigneur à vous, cher Fils, à vos religieux et à tous ceux qui coopèrent à cette entreprise, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AU XIIe CONGRÈS INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE (21 septembre 1958)

1

Le XIIe Congrès international de philosophie s'est tenu à Venise et à Padoue, du 12 au 18 septembre, sous la présidence du professeur Baitaglia, de l'Université de Bologne.

A l'issue de leurs travaux, les congressistes furent reçus en audience par le Souverain Pontife, qui prononça en français l'allocution suivante :

A l'issue du XIIe Congrès international de philosophie, vous avez voulu, Messieurs, venir à Rome pour Nous témoigner votre déférence et votre attachement. Nous vous en remercions très sincèrement et vous disons Notre joie de vous accueillir. Les travaux de votre Congrès ont été certainement pour vous l'occasion d'échanger des vues intéressantes et fécondes au sujet de quelques problèmes actuels de métaphysique, de morale et méthodologie. Problèmes actuels, disons-Nous, mais aussi problèmes de toujours, malgré les conceptions différentes que l'on s'en forme ; devant eux, les hommes sensés d'hier, d'aujourd'hui et de demain prennent ou prendront des attitudes fondamentalement identiques, même si les termes dans lesquels ils les traduisent ne se ressemblent guère. Car en réalité, il s'agit toujours de la découverte que l'esprit humain fait de lui-même, de ses relations avec le monde et avec Dieu.

Tel est en effet le rôle de la philosophie, qu'on l'envisage d'un point de vue objectif, comme une soience à construire suivant une méthode précise et exigeante, ou d'un point de vue subjectif, comme une recherche personnelle avide de combler les aspirations intellectuelles et morales de l'être humain. Le centre d'intérêt de vos études se déplace sans cesse de l'un de ces pôles à l'autre, des plus intimes replis du sujet pensant à l'objet qu'il tente d'enserrer dans un système aussi complet que possible. Mais quelles que soient les préférences de votre pensée, elle est soumise, sous peine de perdre sa cohérence et sa valeur, à la règle de la vérité. Nomen... sapientis, écrivait saint Thomas, illi soli reservatur, cuius consideratio circa finem universi versatur 2, c'est-à-dire, explique-t-il, de la vérité. La philosophie est amour de la sagesse 3, et par là science de la vérité, surtout de la vérité première, origine de toutes les autres, parce qu'elle appartient au premier principe de l'être de tous les êtres.

2 Contra Gentes, lib. I, chap. i.
3 Cf. S. Augustin. De Ordine, lib. I. chap. II, n. 32 ; Migne, P. L., t. 32, col. 993-


Philosophie et technique : un problème actuel.

Cette causalité créatrice, présente à toutes les activités de l'esprit créé, suscite en lui la liberté ; elle l'engage dans un univers qui n'est pas tout fait, mais invite sans cesse à l'effort, à la collaboration généreuse, afin d'achever non seulement ses structures matérielles, mais surtout l'établissement de la communauté humaine dans l'amour. Les trois thèmes, que vous avez choisis pour votre Congrès, envisagent ces divers aspects : l'homme et la nature, liberté et valeur, logique, langage et communication. Sur chacun de ces thèmes, vous avez apporté des contributions d'ordre spéculatif ou historique, qui éclairent leur signification présente. Nous n'avons pas l'intention de prolonger vos débats par une intervention de caractère technique, mais uniquement de vous communiquer les réflexions que Nous inspirent Nos responsabilités de Pasteur d'âmes, et la profonde angoisse que suscite en Nous le désarroi de tant de contemporains. Par l'autorité de vos travaux, par le rayonnement de votre enseignement et de vos écrits, vous pouvez exercer, et vous exercez en réalité, une influence constante sur les idées et sur les tendances intellectuelles, littéraires, artistiques, sociales, et même politiques. Singulière confrontation que celle de l'âge technique et de la philosophie ! Jadis les penseurs se résignaient à n'être compris de leur temps, qu'après une longue attente. Aujourd'hui, le roman, le théâtre, le cinéma véhiculent les idées, les diffusent dans le grand public, qui n'est point d'habitude préparé à les recevoir, et en fera parfois l'usage le plus détestable. Les problèmes de l'existence humaine, traînés en quelque sorte sous les feux de la rampe, émeuvent non plus un cercle étroit d'initiés, mais des masses immenses, qui s'ébranlent sous leur choc, comme les flots d'un océan agité dans ses eaux profondes. Comment douter que la destinée de l'humanité n'en subisse le contrecoup ?


La notion exacte de vérité, âme de la vraie philosophie.

Puisque la tâche première du philosophe est de chercher la vérité et de la dire, Nous voyons peser sur vous l'obligation de vous employer sincèrement à ce travail. La vérité, pour l'esprit humain, n'est point une simple équivalence entre deux contenus de pensée, mais une adaequatio rei et intellectus selon la définition classique 4. L'esprit, en effet, quand il s'ouvre à l'univers qui l'entoure, prétend envelopper de ses prises tout le réel. Tout le concerne, l'intéresse, l'interpelle. Cette tendance spontanée à l'universalité se manifestait naïvement dans les premiers systèmes cosmologiques des philosophes présocratiques, qui tranchaient de manière radicale le problème de la structure du monde. Le scepticisme des sophistes, s'il les mit à l'épreuve, préparera l'élaboration des grands systèmes de Platon et d'Aristote, qui, dans une perspective vraiment universelle et scientifique, tentent de résoudre, chacun selon son tempérament, l'antinomie de l'un et du multiple.

4 S. Thomas, De Verit., Quaest. disput., l q., a. i, in c.

Il appartenait toutefois au christianisme de préparer les voies à une solution d'ensemble par la Révélation d'un Dieu Père, créant l'homme par son Fils et l'appelant, en lui, à participer à son existence. Les historiens de la philosophie médiévale ont mis en évidence ce fait singulièrement significatif : la vérité surnaturelle de la foi chrétienne a permis à la raison humaine de prendre une pleine conscience de son autonomie, de la certitude absolue de ses premiers principes, de la liberté fondamentale de ses décisions et de ses actes. Mais d'abord elle lui avait donné la conscience d'une vocation transcendante ; elle l'invitait à reconnaître la réalité concrète de sa destinée et l'appel à participer à la vie trinitaire dans la lumière de la foi d'abord, puis dans la contemplation face à face. La philosophie des scolastiques est restée servante de la théologie, mais elle n'en a pas moins conquis, dans ce service même, une plénitude et une dignité qui n'ont pas été dépassées.

La crise religieuse de la Renaissance et la décadence de la scolastique allaient entraîner le rejet de la tradition par les penseurs, que séduisait le nouvel idéal de la science expérimentale. Le point d'appui de la raison se déplace alors du Dieu vivant, connu et aimé dans la foi chrétienne, au Dieu abstrait, démontré par la raison, mais déjà étranger à son oeuvre. D'aucuns lui refuseront toute personnalité distincte, ou ne verront plus en lui qu'un ordonnateur suprême, avant de l'ignorer complètement ou même de le combattre comme un mythe nuisible.


La grandeur de la philosophie est de servir la Révélation.

Actuellement on constate dans une vaste partie du monde les conséquences inévitables de ces aberrations ; l'humanité recueille les fruits amers d'un rationalisme, qu'elle a cultivé pendant plusieurs siècles et qui continue à l'empoisonner. Or, le Dieu vivant, le seul réel, celui qui a fait l'homme à son image et à sa ressemblance, ne cesse point de gouverner le monde d'aujourd'hui ; il ne cesse point d'inviter le philosophe à le reconnaître et à revenir à lui. Commentant la définition de la philosophie comme amour de la sagesse, saint Augustin affirme : Si sapientia Deus est... verus philosophus est amator Dei5. La réflexion, qui manifeste l'esprit à lui-même et le rend présent au monde, s'achève dans le déploiement de la liberté, qui cherche à combler les distances, à surmonter les oppositions et qui tend vers l'unité. Quand l'homme accepte de philosopher, il ne peut, sous peine d'insincérité, s'arrêter à mi-chemin et refuser de tirer les conclusions. La reconnaissance intellectuelle de Dieu, présent dans sa motion créatrice, s'épanouit dans un amour prompt à accepter les initiatives divines, dans la docilité à écouter sa parole et à rechercher les marques de son authenticité. L'amour du Dieu vivant, du Dieu de Jésus-Christ, loin d'isoler l'homme ou de le détourner de ses tâches temporelles, l'y engage au contraire et bien davantage, et fonde sa liberté plus solidement que les valeurs mesurées à l'échelle humaine. On ne lui demande pas de renoncer aux méthodes propres de sa recherche, de s'en évader, de sacrifier ses exigences rationnelles, mais plutôt de tenir compte de tout le réel, de la destinée humaine, telle qu'elle se présente concrètement dans toutes ses dimensions individuelle et sociale, temporelle et éternelle, pétrie par la souffrance, esclave du péché et de la mort. La détresse de l'humanité, déchirée par la guerre, la persécution et le mensonge, la clameur de millions d'êtres opprimés ou simplement abandonnés à leur destin misérable, n'est-ce pas là aussi un aspect de la réalité, la voix implacable des faits, que le philosophe doit écouter et comprendre et à laquelle il doit répondre ? Pourra-t-il encore refuser obstinément le message de salut et d'amour, qui vient du Seigneur ? L'esprit, qui se détourne de la lumière, qui se ferme à toute Révélation surnaturelle et croit pouvoir interpréter l'existence en termes purement humains, se livre sans défense au mal qui le ronge, condamnant à la ruine les valeurs mêmes qu'il voulait sauvegarder.

5 De Civitate Dei, lib. 8, chap. i ; Migne, P. L„ t. 41, col. 124-125.


Le Verbe Incarné, vie et lumière des hommes.

Sans doute l'acceptation de la foi chrétienne ne résout-elle pas tous les problèmes spéculatifs, mais elle oblige le philosophe à sortir de son isolement ; elle le situe dans un univers plus vaste ; elle lui fournit des points de repère solides, dans l'ordre de la connaissance et dans celui de l'action. Au lieu d'entraver sa recherche, elle la suscite et la stimule ; elle lui découvre la vraie splendeur de l'homme, celle qu'il reçoit de l'Incarnation du Fils de Dieu, qui le sauve et l'associe à la gloire de son oeuvre rédemptrice.

L'Eglise attend de vos travaux, Messieurs, qu'ils contribuent à rendre les hommes meilleurs, en faisant éclater la gangue de rationalisme et d'orgueil latent, qui paralyse encore de larges secteurs de la pensée philosophique contemporaine et l'empêche de connaître la vérité. La parole de saint Jean reste actuelle : « Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme venant dans ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas reconnu» (Jn 1,9-10). Les tentatives les plus géniales pour fonder une communauté humaine fraternelle resteront vaines aussi longtemps que l'homme ne se soumettra pas avec une docilité filiale à la Providence du Père, qui le crée et l'adopte en son Fils.

S'il accepte le don de Dieu, l'Esprit-Saint, comme guide de sa pensée, le philosophe confessera, avec le Docteur Angélique 1

Inter omnia studia hominum, sapientiae studium est perfectius, sublimius, et utilius et iucundius 6 ; comme lui, appuyé sur la force divine, qui vient en aide à sa faiblesse, il se décidera à rendre témoignage à la vérité, parce qu'il aura trouvé en elle une anticipation de la vraie béatitude, un gage de l'amitié divine, de l'immortalité et de la joie indéfectible.

Nous souhaitons de tout cceur, Messieurs, que vous méritiez ce prix de vos labeurs et, priant le Seigneur qu'il vous comble de ses faveurs, Nous vous accordons pour vous-mêmes, pour vos familles, vos collaborateurs et tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU XVIIe CONGRÈS INTERNATIONAL D'APICULTURE (22 septembre 1958)

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Recevant en audience les membres du dix-septième Congrès international des Apiculteurs, qui s'était tenu en septembre à Bologne et à Rome, le Souverain Pontife prononça Vallocution suivante, en français :

Comme tant d'autres, vous avez voulu, chers fils, venir à Rome pour y tenir votre Congrès international. Vous avez exprimé le désir de Nous mettre en quelque sorte au courant de vos activités et d'entendre de Nous quelques mots paternels. Nous vous accueillons avec plaisir et vous félicitons de vos travaux. Nous avons admiré la variété des informations de caractère théorique et des indications pratiques que vous donnez aux apiculteurs, et dont ceux-ci retireront sans aucun doute grand profit.


Le monde étonnant des abeilles.

Le monde des abeilles, en effet, est l'un des plus étonnants qui soient pour l'esprit humain, comme l'atteste l'intérêt qu'on lui porte depuis les époques les plus reculées. Le centre de ce monde, c'est la ruche, et les abeilles sont les protagonistes de la vie extraordinaire qui frémit en elle. Il s'agit d'une des espèces animales les plus riches, les mieux organisées et qu'on trouve dans toutes les régions, sous tous les climats. Elles possèdent une grande facilité d'adaptation, de sûrs moyens de défense, des organes des sens très fins, et sont étonnamment prolifiques. La vie des abeilles se déroule sous forme de société permanente ; les individus sont groupés en catégories, et chacun possède une forme adaptée à la tâche particulière qui lui incombe au profit de la communauté. L'attention des savants et des profanes se porte d'emblée vers la reine. Plus grande que les autres et vivant plus longtemps, elle a comme fonction de pondre les oeufs, de quinze cents à trois mille par jour, pendant cent quarante jours environ. Comme elle est dépourvue de moyens de défense, ce sont les autres qui la protègent, et quand elle craint que d'autres reines ne deviennent ses rivales, elle fuit avec un essaim d'ouvrières et devient fondatrice d'une nouvelle ruche.

Autour de la reine, on trouve les faux bourdons, physiquement plus démunis, qui ont une part active dans la fécondation et sont nécessaires pour la continuation de la vie dans la ruche. Mais les ouvrières, toujours très nombreuses, se montrent les plus laborieuses et les plus utiles. Elles se répartissent les charges, afin que tout le travail se fasse bien et en temps opportun. Nées depuis peu, elles remplissent déjà l'office de nourrices ; à peine commencent-elles à sécréter la cire qu'elles se font constructrices ; finalement, au moment de leurs premiers vols de fleur en fleur, elles deviennent suceuses. Toutes cependant se préoccupent de leur défense individuelle et de celle de la colonie entière, sans qu'aucun poste demeure inoccupé, grâce à la relève incessante de toutes les ouvrières.

Il n'est pas possible, et de toute manière, pour vous, il n'est pas nécessaire de raconter les merveilles du monde des abeilles, monde extraordinaire, dont le mystère reste encore incomplètement dévoilé ; monde sympathique, dirions-Nous même, à cause des services variés, qu'il rend aux hommes.

Qu'il suffise, pour rappeler l'une des raisons de notre éton-nement, d'évoquer la manière dont les abeilles se comprennent, se consultent, s'interrogent. Certes, on savait depuis longtemps qu'elles parlaient en quelque sorte au moyen de différentes danses ; mais récemment on a appris qu'elles communiquaient entre elles par un organe minuscule, la glande Nasonof, qui leur servirait à émettre des effluves de nature vraisemblablement corpusculaire et parfumée, rayonnante et ondulatoire ; ces effluves ne seraient captés que par les abeilles de la colonie, à laquelle appartient l'émettrice. Plus récemment encore, on aurait découvert que les abeilles correspondent aussi au moyen des ultrasons ; on peut en effet observer certains mouvements rapides et périodiques des ailes, sans qu'on perçoive pour autant aucun son. Les ultrasons aideraient les ouvrières dispersées à rejoindre l'essaim, et attireraient d'autres individus à travailler sur une fleur. Certains pensent que le sens extraordinaire de l'orientation, que possèdent les abeilles, pourrait être utilisé même pour porter des messages.


Les abeilles au service de l'homme.

Et cela Nous amène à Nous arrêter sur un autre aspect du monde des abeilles : les avantages que l'homme retire de leur activité. Leur cire — la principale cire animale — est l'oeuvre de ces ouvrières infatigables. Si l'on songe que les cierges destinés à l'usage liturgique doivent être faits, en tout ou en majeure partie, avec cette cire 2, l'on admettra aisément que les abeilles aident en quelque sorte les hommes à accomplir leur devoir suprême, celui de la religion.

Mais leur produit le plus caractéristique c'est le miel, obtenu par transformation du nectar des fleurs dans le jabot, grâce à la sécrétion d'une substance spéciale. Personne n'ignore les précieuses qualités nutritives du miel, mais il n'en reste pas moins qu'elles devraient être mieux connues et mises davantage à profit, grâce à la multiplication et à la rationalisation des centres d'apiculture. Les sucres contenus dans le miel semblent exceptionnellement importants, si l'on pense que le dextrose, absorbé par l'organisme sans lui imposer aucun travail de transformation, est d'un apport essentiel pour le coeur et va directement aux muscles, tandis que le lévulose, transporté au foie, y constitue une réserve indispensable à la santé. Ajoutons encore que le miel est riche en vitamines et en hormones, et que même le venin des abeilles pourra peut-être un jour servir en médecine.

2 Cf. Decreta authentica Congregationis Sacrorum Rituum, n. 4147, 14 décembre 1904.


Plus encore que leur production de cire et de miel, leur activité de pollinisation leur mérite une place de premier plan dans l'économie agricole. Les travaux de votre Congrès ont souligné en effet la possibilité d'augmenter dans de notables proportions le rendement des cultures fourragères et de certaines cultures industrielles, grâce à la multiplication des colonies d'abeilles. La négligence de certains producteurs de semences et de fruits envers ce facteur capital de pollinisation leur vaut des récoltes qui s'élèvent à peine au tiers ou au quart de ce qu'ils pourraient obtenir en recourant au service des abeilles.

Tels sont, brièvement esquissés, les avantages principaux que procurent à l'homme ces précieux hyménoptères.

Nous espérons avec vous qu'une meilleure organisation de la formation technique agricole donnera désormais aux jeunes gens les connaissances nécessaires et le goût requis pour s'adonner avec bonheur à ce passionnant et fructueux élevage. Bien loin de faire évanouir la poésie virgilienne de l'apiculture, la science moderne en révèle au contraire chaque jour davantage et les merveilleux mystères et les ressources nouvelles. Connaître les maladies des abeilles et leurs ennemis constitue une première condition trop souvent ignorée d'une entreprise apicole. Mais la prospérité de ce petit monde dépend encore de nombreux facteurs positifs, susceptibles de transformer la production du miel en industrie saine et sûre. L'étude théorique et pratique de ces facteurs extérieurs à la ruche ou propres à la race des abeilles, à la vitalité de la reine, à la constitution de l'essaim, apporte à l'apiculteur le moyen tant désiré d'élever la production et de la rendre suffisamment constante.


Du travail instinctif de l'abeille à l'intelligence créatrice de Dieu.

En vous remerciant de Nous avoir donné l'occasion d'en parler, Nous voudrions vous dire, avant de vous congédier, quelques mots de paternelle exhortation, certain que vous en ferez l'objet de vos méditations. Les réflexions, dont Nous vous faisons part, Nous sont suggérées par la ruche, cité des abeilles, et par le miel, fruit de leur industrieux labeur.

La ruche se présente comme l'habitat de milliers d'insectes actifs et pleins de vie, comme une cité industrielle au travail assidu et ordonné ; l'on dirait même un Etat monarchique, où la reine toutefois apparaît non comme une souveraine et une directrice, mais comme la mère féconde de toute la colonie. Si l'on s'enquiert sur l'origine, la fonction et le but de la ruche, le naturaliste répond que les cellules faites de cire sont construites pour contenir le miel destiné à la nourriture des larves. Le mathématicien ajoute aussitôt que l'abeille construit la cellule en forme hexagonale, de sorte que les prismes aient la plus grande contenance pour une surface minimum des parois ; il note également que les trois plans, qui en forment les arêtes, se rencontrent sous l'angle juste. Donc, en conclurait-il, l'abeille a résolu, et depuis longtemps, un problème de mathématique transcendentale très ancien et très difficile, qui resta jusqu'à une époque récente l'objet d'étude de beaucoup de savants.

Les observations du naturaliste et les déductions du mathématicien fournissent un point de départ aux réflexions du philosophe, qui voit en cela l'oeuvre d'une intelligence capable de prévoir un but et de fixer avec précision les moyens requis pour l'atteindre. Quelle sera cette intelligence ? Le philosophe exclut sans hésiter qu'on puisse l'attribuer aux abeilles. Celles-ci agissent, et très bien, mais elles ne comprennent rien ; incapables de progresser, elles obéissent depuis des millénaires à l'instinct, qui détermine rigoureusement leur comportement individuel, même s'il permet à l'espèce certaines adaptations.

Qu'en conclure sinon que l'intelligence qui dirige l'organisation de la ruche et la vie des abeilles est celle de Dieu, qui a créé la terre et les cieux, qui a fait germer les herbes et les fleurs, qui a doté d'instinct les animaux. Nous vous invitons, chers fils, à voir le Seigneur à l'oeuvre dans la ruche, devant laquelle vous demeurez émerveillés. Adorez-le donc et louez-le pour ce reflet de sa divine sagesse ; louez-le pour la cire qui se consume sur les autels, symbole des âmes qui veulent brûler et se consumer pour lui ; louez-le pour le miel, qui est doux, mais moins que ses paroles, dont le Psalmiste chante qu'elles sont «plus douces que le miel» ! (Ps 118,103).


Les délicatesses de Dieu.

Les paroles du Seigneur, qui expriment ses jugements et ses volontés, « remplissent de douceur plus que tout rayon de miel », dit-il encore (Ps 18,11). Sera-ce bien vrai ? Ou plutôt le Seigneur ne donne-t-il pas seulement douleur et tristesse ? « Ce qui nous rendrait joyeux, Dieu nous le refuse », entend-on dire parfois d'un ton triste et désabusé. En fait, qui regarde de loin et s'arrête aux apparences, est tenté de croire que les interventions de Dieu dans le monde apportent la tristesse, parce qu'elles enlèvent de la vie toute la poésie et lui ôtent, pour ainsi dire, toute chaleur.

Il n'en est pas ainsi, chers fils. Demandez-le à ceux qui ne se sont jamais éloignés de Dieu, ou à ceux qui se sont rapprochés de lui avec une foi vive et un coeur humble. Demandez-leur s'il n'est pas vrai qu'après les difficultés du début, après l'incertitude des premiers pas, le chemin devient toujours plus aisé. Demandez s'il n'est pas vrai que souvent la Croix — la Croix qui éduque, qui sauve, qui transforme — réussit à enivrer les âmes. L'auteur du Stabat ne chantait-il pas : Fac me Cruce inebriari ?

Mais pourquoi dire : « Demandez » ? Faites-en plutôt l'essai, chers fils, et «voyez combien le Seigneur est doux». (Ps 33,9). Sachez, au début, supporter sans révolte, sans imprécations, l'amertume des rébellions instinctives, de l'indifférence, de l'incompréhension, de même celle des calomnies et de la persécution. Vous verrez ensuite quelle sérénité, quelle paix et quelle joie vous rempliront ! Puissent les hommes, quand ils ont connu Dieu ou qu'ils l'ont reconnu, faire de sa volonté le critère de leur propre vie ! Personne ne dira que l'on arrive sur terre à goûter la joie du ciel. La goûter, non, sans doute ; mais en avoir un avant-goût, certes !

Une terre était promise aux hommes après un long voyage de fatigues et d'efforts : terram fluentem lacte et melle (Ex 13,5), et sur leur chemin, chaque jour descendait un don de Dieu : la manne blanche, à la saveur de fleur de farine et de miel (Ex 16,31). Chers fils, qui étudiez le monde mystérieux et merveilleux des abeilles, goûtez et voyez, autant qu'il est possible ici-bas, la douceur de Dieu. Un jour, vous goûterez et vous verrez au ciel que l'océan de sa lumière et de son éternel amour est encore infiniment plus doux que le miel.

En gage des faveurs divines que Nous implorons ardemment sur vous, Nous vous accordons à vous-mêmes et à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.



Pie XII 1958 - DISCOURS À L'INSTITUT NATIONAL ESPAGNOL DE PRÉVOYANCE