Pie XII 1958 - ALLOCUTION AUX PROFESSEURS ET ÉLÈVES DE LATHÉNÉE PONTIFICAL «ANGELICUM»


DISCOURS A DES EMPLOYÉES DE MAISON

(îg janvier igs8) 1






Le Souverain Pontife a reçu en audience, le dimanche ig janvier, environ 15.000 travailleuses domestiques, inscrites au mouvement « Tra Noi » (Entre nous) qui, au cours des précédentes rencontres, avaient déjà reçu du Saint-Père de précieuses directives pour leur activité sociale si bienfaisante.

Le Pape leur a adressé un discours en italien, dont voici la traduction :

1 D'après le texte italien des A. A. S., 50, 1958, p. 85 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 7 février 1958.

2 Discorsi e radiomessaggi, 4, pp. 151-158 ; 165-173 ; 177-184. Cf. également Discours aux jeunes époux, t. II (Ed. St-Augustin, St-Maurice, 1947), pp. 189-219.

3 Documents Pontificaux 1956, pp. 357-362.




La bienvenue que Nous vous souhaitons paternellement, chères filles, travailleuses domestiques, entend être la confirmation de la sollicitude assidue que Nous consacrons à votre catégorie ; Nous vous en avons donné plus d'un témoignage, soit en vous accueillant en Notre présence, soit en vous exposant Notre pensée sur votre travail, comme Nous l'avons fait, voici plusieurs années, au cours de trois audiences distinctes, accordées aux nouveaux époux, où Nous illustrions amplement de quelle manière le sentiment chrétien doit animer les rapports entre patrons et domestiques2. Plus récemment encore, Nous avons de nouveau adressé la parole à un nombreux groupe de travailleuses de votre catégorie3. Si bien que la présente audience, entièrement pour vous, sera comme la reprise de ces bons entretiens, inspirés par le sentiment de paternité, propre au Vicaire du Christ, qui manifeste son amour en même temps à tous et à chacun, sans faiblesse ni partialité, respectueux des droits des uns et des autres, mais exigeant des deux parties des devoirs correspondants.

Rappel des précédentes directives et invitation à les méditer encore.

Comme il Nous semble n'avoir négligé dans Nos exposés aucun des points essentiels de la question, il Nous suffira maintenant de faire allusion à quelques applications particulières, non sans vous recommander, si possible, la connaissance ou la lecture renouvelée de Nos enseignements.

Le nom d'« Employées de maison », que vous avez choisi ces dernières années pour désigner votre catégorie, en le substituant à d'autres, dénote que quelque chose a changé autour de vous et parmi vous. La révision de vos conditions de travail a pris place dans la conscience sociale renouvelée de l'après-guerre ; mais, en même temps que l'on a cherché et que l'on cherche encore avec de bons résultats à donner une organisation plus convenable à votre catégorie, on a noté — et Nous l'avons noté Nous aussi dans les exposés cités — que celle-ci manquait de plus en plus de stabilité. C'est-à-dire que, souvent, le service domestique n'est plus embrassé comme une activité stable de la vie d'une jeune femme ou d'une jeune fille, mais comme celle d'une étape de cette vie, comme un repli ou une attente ; et même dans les cas de personnes qui entendent se consacrer de façon stable à ce genre de travail, celui-ci est bien loin d'être entendu comme créant un rapport de quasi-adoption avec la famille d'accueil, mais demeure confondu avec toute autre prestation de service, bien définie en la matière et dans le temps. Dans la mesure où cette évolution, fort prononcée dans les pays exempts de la plaie du chômage, signifie une tendance légitime à l'autonomie personnelle et économique, elle est dans un certain sens un progrès, auquel la société contemporaine doit s'adapter ; toutefois, cela fait disparaître une institution, qui, lorsqu'elle est entendue et exercée chrétiennement, ne manque pas d'avoir « sa modeste et discrète beauté », ni d'autres avantages concrets, tels que la sécurité de l'avenir, pour celles qui, dans le travail, se trouvent associées à des familles fortunées, comme des membres de celles-ci. Quel que soit l'avenir de votre catégorie, ce qui vous intéresse c'est surtout son présent qui vous compte en si grand nombre ; et c'est spécialement aux « Employées de maison » que Nous Nous adressons pour leur rappeler certains principes chrétiens, valables même lorsque la prestation de service chez autrui est provisoire ou intermittente.



La haute dignité du service domestique.

Le premier est — comme Nous l'avons exposé — que le service domestique ne le cède en dignité à aucun autre travail, qu'il soit agricole ou « de bureau » ou dans les industries, qui sont tous des services rendus à la société. Et même, à y bien réfléchir, il les dépasse en dignité, parce que, tandis que le terme de ces derniers réside ordinairement dans les « choses », celui du service domestique concerne de plus près la personne humaine ; c'est-à-dire que vous aidez plus directement le prochain dans ses besoins. Mais pour que cette dignité intrinsèque soit reconnue et honorée, il est nécessaire que les personnes que vous aidez partagent le même sentiment au sujet de la fraternité commune des enfants de Dieu. L'absence de cette conviction et de cette foi, qui créa dans le paganisme la honte de l'esclavage, est pareillement prête à en créer un nouveau dans tous les cas où un homme est contraint par les circonstances à dépendre d'un autre, même seulement pour quelques heures par jour et dans une activité limitée. Mais, en laissant de côté ces cas extrêmes, chacun peut obtenir honneur et estime dans n'importe quel genre de travail, lorsqu'il est le premier à s'honorer lui-même de la dignité de chrétien. Une employée de maison, qui professe ouvertement sa foi, qui y conforme sa vie dans les actes et dans les paroles, dans le respect des principes moraux, dans l'exercice de la charité et de l'honnêteté, dans la répugnance pour l'impureté et la frivolité, ne peut manquer d'obtenir l'estime et le respect de la famille où elle vit, même si celle-ci n'est que superficiellement religieuse, parce que la lumière chrétienne dépasse en éclat n'importe quels privilèges et ornements humains. Soyez donc fidèles et diligentes dans le service de Dieu, avant même celui des hommes, en consacrant le temps nécessaire à la prière et en vous montrant résolues dans le respect de sa sainte loi.



Le travail des Employées de maison est directement au service du chain.

En outre, le « travail de la maison » se distingue des autres, en s'élevant au-dessus de ceux-ci, parce que, comme Nous y faisions allusion, il a pour objet le prochain ; il est donc un travail éminemment « humain », semblable, dans une juste proportion, à celui de l'infirmière et de l'enseignante. Combien de fois, dans une maison où il y a des enfants, des vieillards, des malades, ne vous demande-t-on pas le service de surveillance, d'assistance et de réconfort, que vous ne pourriez accomplir sans y mettre beaucoup de votre âme. De là le second principe : les rapports entre celui qui assure le service et celui qui en profite doivent être réglés non seulement par les normes ordinaires de la justice humaine, mais aussi par un haut sens d'humanité, qui se manifeste dans un juste échange de valeurs humaines. Vous ne pourrez manquer d'aimer la famille que vous servez, si vous désirez que votre travail soit plus léger pour vous et plus agréable pour elle. Or, le zèle de l'âme, les sentiments du coeur ne peuvent être compensés seulement par l'argent, mais par l'échange d'affection et de reconnaissance, par l'estime, par la compréhension et par la communauté dans la joie. Dans une maison où règne cet esprit de charité chrétienne, on n'entendra pas les ordres orgueilleux, les durs reproches et des motifs d'offense, d'une part ; ni d'autre part les sentiments du coeur ne peuvent être compensés seulement par les murmures malveillants, les cris de révolte et les rancoeurs secrètes. Le service ne sera pas accompli sans soin et comme avec l'esprit de quelqu'un qui se sent esclave d'un destin ennemi ; mais il sera assuré joyeusement comme une aide affectueuse, que Dieu demande pour lui, et, par conséquent, méritant sa récompense ; de l'autre côté, l'ordre saura être si doux qu'il se confondra avec une prière aimable. Il est juste que cet idéal de relations humaines, qui depuis quelque temps est encouragé par le développement du sens social dans tous les domaines du travail, trouve une réalisation immédiate dans le vôtre, qui a davantage besoin de ce développement et y est plus approprié.



Les graves responsabilités des familles et de leurs employées.

Le troisième principe, résultant des précédents, est que les responsabilités de votre travail, soit pour vous qui l'assurez, soit pour ceux qui en profitent, sont par elles-mêmes importantes et graves. Cependant elles ne concernent pas proprement le travail intermittent de la remise en ordre de la maison pendant quelques heures par jour ; mais bien une oeuvre stable, avec cohabitation et vie commune permanente.

Ce que sont les responsabilités des maîtres de maison envers les personnes qui en dépendent, particulièrement envers les jeunes filles et jeunes femmes, sans expérience du monde, Nous l'avons largement expliqué dans les Discours aux Epoux, que nous avons cités4. Responsabilité dans le choix, dans la surveillance de leurs amitiés et de leurs divertissements, dans l'attitude envers elles, dans le bon exemple qui leur est dû. En revanche, vos responsabilités envers la famille qui vous accueille concernent l'honneur et le bon renom de celle-ci, la concorde entre ses membres, l'innocence et les bonnes habitudes des enfants, les rapports avec les autres domestiques. Le seul fait de vous avoir indiqué ces points vous dit combien se trouve engagée votre conscience morale et combien peut être grave le dommage causé par une conduite moins qu'irréprochable, en parlant inconsidérément à l'intérieur et hors de la maison, en manquant au devoir sacré du plus profond respect envers l'enfance, reconnu jusque par l'ancien paganisme dans la sentence maxima debetur puero reverentia 5. Cette dernière responsabilité exige que l'on ne trouble pas le développement normal de la conscience religieuse et morale des enfants par des propos et récits hardis, par un comportement inconvenant ou trop libre, avec la supposition erronée qu'ils ne comprennent pas encore le mal. Les erreurs et les négligences en tout cela sont d'une bien autre nature et gravité que celles d'une employée de bureau ou de magasin ou de n'importe quelle autre travailleuse de l'industrie. Non pas que le manque à son devoir dans n'importe quelle tâche soit privé de responsabilité morale ; toutefois les négligences et les erreurs de ces dernières peuvent presque toujours se réparer par une compensation matérielle d'argent. Mais qui pourrait réparer convenablement les dommages causés par la calomnie, le trouble semé dans la famille par des racontars rapportés sans juste motif ? Comment, surtout, pourra-t-on jamais remédier à l'orientation perverse donnée aux enfants ? De telles dettes pèseront sur la conscience de qui les a contractées, pendant toute la vie et jusque devant le tribunal de Dieu, qui, cependant, est toujours prêt à accueillir le pécheur repenti.

Paternelle conclusion.

4 Discours aux jeunes époux, t. II, pp. 214 et suiv.

5 Juven. Sat., 14, 47.




Pour conclure Notre exhortation, voici ce que doit être votre conduite positive. Estimez votre tâche comme un service rendu à Dieu dans les personnes du prochain, en veillant en premier lieu à conserver en vous-mêmes la dignité du chrétien. Aimez votre tâche et vous verrez que l'obéissance vous sera douce et le travail léger. Entretenez une délicatesse particulière de conscience dans le comportement extérieur et dans les paroles, conscientes des responsabilités qui résultent pour vous du fait que vous vivez dans les familles d'autrui.

Mais Nous ne voudrions pas vous laisser sans dire une parole à ceux auxquels vous consacrez votre travail avec une générosité chrétienne, dans les maisons privées ou dans les instituts publics, même religieux. Les enseignements sociaux donnés par les Souverains Pontifes et par Nous-même sont valables pour tous, également à propos des travailleurs et des travailleuses de la maison, et ils pèsent sur la conscience des employeurs. Ceux-ci non seulement sont tenus à assurer à leurs domestiques toutes les dispositions établies par les lois, mais ils doivent aussi, selon des critères d'équité, leur faciliter la voie vers un établissement sûr, sans exclure la formation de leur propre famille. Dans ce cas, aucun motif ne justifierait le refus du salaire familial à qui consacre toute son activité à une famille ou à un institut, à leur avantage effectif. La charge économique, qui en résulte, peut du reste être allégée, comme souvent cela se pratique louablement, en occupant également les autres membres de la famille du travailleur ou de la travailleuse.

Avec le voeu fervent que le sens chrétien de la vie et du travail soit toujours présent et actif dans votre esprit, en demandant au Dieu Tout-Puissant que sa grâce vous soutienne et vous réconforte, Nous donnons à vous toutes ici présentes, à votre Association, à toute la chère catégorie des employées de maison Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS A LA FÉDÉRATION ITALIENNE DES ASSOCIATIONS DE FAMILLES NOMBREUSES

(20 janvier 1958) 1






Les membres du Comité exécutif de la Fédération italienne des Associations de familles nombreuses ; le Conseil directeur de Y Association romaine des familles nombreuses ; le Comité des dames de Y Association avec leurs collaborateurs, ont été reçus en audience par le Souverain Pontife, qui leur a adressé l'important discours suivant :

1 D'après le texte italien des A. A. S.r L, 1958, p. 90 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 31 janvier 1958.




Parmi les visites les plus agréables à Notre coeur, Nous comptons la vôtre, chers fils et filles, dirigeants et représentants des Associations de familles nombreuses de Rome et d'Italie. Vous connaissez en effet la vive sollicitude que Nous nourrissons envers la famille ; Nous ne négligeons aucune occasion d'en illustrer la dignité dans ses aspects multiples, d'affirmer et de défendre ses droits, d'insister sur ses devoirs, en un mot d'en faire un point fondamental de Notre enseignement paternel. En raison de cette sollicitude envers la famille, Nous consentons volontiers, lorsque les occupations de Notre charge ne s'y opposent pas, à Nous entretenir, ne fût-ce que quelques instants, avec les membres de familles qui viennent dans Notre demeure, et même, lorsque c'est le cas, à Nous laisser photographier au milieu d'eux, pour perpétuer en quelque sorte le souvenir de Notre joie et de la leur. Le Pape au milieu d'une famille ! N'est-ce donc pas là une place qui lui revient vraiment ? N'est-il pas Lui-même, en un sens hautement spirituel, le Père de la famille humaine, régénérée dans le Christ et dans l'Eglise ? Et n'est-ce pas par son intermédiaire de Vicaire du Christ sur la terre, que se réalise l'admirable dessein de la Sagesse créatrice, qui a ordonné toute paternité humaine à préparer la famille des élus du ciel, où l'amour de Dieu, Unique dans la Trinité, l'enfermera dans un seul et éternel embrassement, en se donnant Lui-même en un héritage de béatitude ?

Cependant vous ne représentez pas seulement la famille, mais vous êtes et représentez les familles nombreuses, c'est-à-dire celles qui sont bénies davantage par Dieu, qui sont chéries et estimées par l'Eglise comme ses plus précieux trésors. De celles-ci, en effet, elle reçoit plus manifestement un triple témoignage, qui confirme aux yeux du monde la vérité de sa doctrine et la justesse de son application, et qui se révèle aussi, en vertu de l'exemple, d'un grand avantage pour toutes les autres familles et pour la société civile elle-même. Car là où on en rencontre fréquemment, les familles nombreuses attestent la santé physique et morale du peuple chrétien — la vive foi en Dieu — la sainteté féconde et heureuse du mariage catholique.

Nous désirons vous dire quelques brèves paroles sur chacun de ces témoignages.



La santé physique et morale du peuple chrétien a) Le contrôle rationnel des naissances.

I. — Il convient de ranger parmi les aberrations les plus nuisibles de la société moderne paganisante l'opinion de certains qui osent qualifier la fécondité des mariages de « maladie sociale », dont les nations qui en sont atteintes devraient s'efforcer de guérir par tous les moyens. D'où la propagande de ce qu'on appelle le « contrôle rationnel des naissances », soutenu par des personnes et des organisations, parfois insignes à d'autres titres, mais en cela malheureusement condamnables. Mais s'il est douloureux de relever la diffusion de telles doctrines et pratiques, même dans les milieux traditionnellement sains, il est toutefois réconfortant de noter dans votre pays les symptômes et les faits d'une saine réaction, dans le domaine aussi bien juridique que médical. Comme on le sait, la Constitution actuelle de la République italienne, pour ne citer que cette source, accorde, à l'article 31, une « considération particulière aux familles nombreuses », et quant à la doctrine la plus courante des médecins italiens, elle prend parti de plus en plus contre les pratiques qui limitent les naissances. Il ne faut pas estimer pour autant que le



péril a cessé ni que sont détruits les préjugés tendant à asservir le mariage et ses sages normes aux coupables égoïsmes individuels et sociaux. On doit réprouver particulièrement la presse qui revient de temps en temps sur la question avec l'intention manifeste de jeter la confusion dans l'esprit du bon peuple et de l'induire en erreur par des documentations tendancieuses, par des enquêtes discutables et même par des déclarations faussées de tel ou tel ecclésiastique. Du côté catholique, il faut faire effort pour répandre la conviction, basée sur la vérité, que la santé physique et morale de la famille et de la société ne se protège qu'en obéissant généreusement aux lois de la nature, c'est-à-dire du Créateur, et, avant tout, en nourrissant pour elles un intime respect sacré. Tout dans cette matière dépend de l'intention. On pourra multiplier les lois et augmenter les sanctions, démontrer par des preuves irréfutables la sottise des théories limitatives et les maux qui résultent de leur application ; mais si fait défaut la sincère volonté de laisser le Créateur accomplir librement son oeuvre, l'égoïsme humain saura toujours trouver de nouveaux sophismes et expédients pour faire taire, si c'est possible, la conscience et perpétuer les abus. Or, le témoignage des parents de familles nombreuses prend toute sa valeur dans le fait que non seulement ils rejettent sans ambages et pratiquement tout compromis intentionnel entre la loi de Dieu et l'égoïsme de l'homme, mais aussi qu'ils sont prompts à accepter avec joie et reconnaissance les dons inestimables de Dieu, que sont les enfants, aussi nombreux qu'il lui plaît. Tout en libérant les époux de cauchemars et remords intolérables, cette disposition d'esprit assure, de l'avis de médecins autorisés, les prémisses psychiques les plus favorables pour un sain développement des fruits propres au mariage, en évitant à l'origine même des nouvelles vies ces troubles et angoisses, qui se transforment en tares physiques et psychiques, chez la mère comme chez l'enfant. En effet, en dehors de cas exceptionnels sur lesquels Nous avons eu l'occasion d'autres fois de parler, la loi de la nature est essentiellement harmonie et elle ne crée donc pas de désaccords ni de contradictions, si ce n'est dans la mesure où son cours est troublé par des circonstances pour la plupart anormales ou par l'opposition de la volonté humaine. Il n'y a pas d'eugénisme qui sache faire mieux que la nature et il n'est bon que lorsqu'il en respecte les lois, après les avoir profondément pénétrées, bien que dans certains cas de sujets tarés on conseille de dissuader ceux-ci de contracter mariage 2. Toujours et partout, du reste, le bon sens populaire a vu dans les familles nombreuses le signe, la preuve et la source de santé physique, tandis que l'histoire ne se trompe pas quand elle indique l'altération des lois du mariage et de la procréation comme la première cause de la décadence des peuples.

Les familles nombreuses, loin d'être la « maladie sociale », sont la garantie de la santé physique et morale d'un peuple. Dans les foyers où il y a toujours un berceau d'où s'élèvent des vagissements, les vertus fleurissent spontanément, tandis que le vice s'éloigne, comme chassé par l'enfance, qui s'y renouvelle ainsi qu'un souffle frais et vivifiant de printemps.

Que les pusillanimes et les égoïstes prennent donc exemple sur vous ; que la patrie vous conserve gratitude et prédilection pour tant de sacrifices assumés en élevant et éduquant ses citoyens ; quant à l'Eglise, elle vous est reconnaissante de pouvoir, grâce à vous et avec vous, présenter à l'action sanctifiante de l'Esprit divin des foules d'âmes de plus en plus saines et nombreuses.



Témoignage de foi en Dieu et de confiance en la Providence.

2 Cf. Encycl. Casti Connubi, 31. 12. 1930, A. A. S., 22, 1930, p. 565.




IL — Dans le monde civil moderne, la famille nombreuse vaut en général, non sans raison, comme témoignage de la foi chrétienne vécue, parce que l'égoïsme, dont Nous venons de parler comme principal obstacle à l'expansion du noyau familial, ne peut être efficacement vaincu qu'en recourant aux principes éthiques et religieux. Récemment encore, on a vu que la fameuse « politique démographique » n'obtient pas de résultats notables, soit parce que presque toujours l'égoïsme individuel prévaut sur l'égoïsme collectif, dont elle est souvent l'expression, soit parce que les intentions et les méthodes de cette politique avilissent la dignité de la famille et de la personne en les comparant presque à des espèces inférieures. Seule la lumière divine et éternelle du christianisme illumine et vivifie la famille de telle sorte que, soit à l'origine, soit dans le développement, la famille nombreuse est souvent prise comme synonyme de famille chrétienne. Le respect des lois divines lui a donné l'exubérance de la vie ; la foi en Dieu fournit aux parents la force nécessaire pour affronter les sacrifices et les renoncements qu'exige l'éducation des enfants ; l'esprit chrétien de l'amour veille sur l'ordre et sur la tranquillité, en même temps qu'il prodigue pour ainsi dire en les dégageant de la nature les intimes joies familiales, communes aux parents, aux enfants, entre frères.

Extérieurement aussi, une famille nombreuse bien ordonnée est comme un sanctuaire visible : le sacrement du baptême n'est pas pour elle un événement exceptionnel, mais renouvelle plusieurs fois la joie et la grâce du Seigneur. La série des joyeux pèlerinages aux fonts baptismaux n'est pas encore terminée que commence, resplendissante d'une égale candeur, celle des confirmations et des premières communions. A peine le plus petit des enfants a-t-il déposé son petit vêtement blanc parmi les plus chers souvenirs de sa vie qu'apparaît déjà le premier voile nuptial, qui réunit au pied de l'autel parents, enfants et nouveaux parents. Comme des printemps renouvelés, d'autres mariages, d'autres baptêmes, d'autres premières communions se succéderont, perpétuant pour ainsi dire dans la maison les visites de Dieu et de sa grâce.

Mais Dieu visite aussi les familles nombreuses avec les gestes de sa Providence, à laquelle les parents, spécialement ceux qui sont pauvres, rendent un témoignage évident, du fait qu'ils mettent en elle toute leur confiance, au cas où les possibilités humaines ne suffiraient pas. Confiance bien fondée et nullement vaine ! La Providence — pour Nous exprimer avec des concepts et des paroles humaines — n'est pas proprement l'ensemble d'actes exceptionnels de la clémence divine ; mais le résultat ordinaire de l'harmonieuse action de la sagesse du Créateur, de sa bonté et de sa toute-puissance infinies. Dieu ne refuse pas les moyens de vivre à celui qu'il appelle à la vie. Le divin Maître a explicitement enseigné que « la vie vaut plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement (Mt 6,25). Si des épisodes particuliers, petits et grands, semblent parfois prouver le contraire, c'est un signe que quelque empêchement a été opposé par l'homme à l'exécution de l'ordre divin, ou bien, dans des cas exceptionnels, que prévalent des desseins supérieurs de bonté ; mais la Providence est une réalité, elle est exigée par le Dieu créateur. Sans aucun doute, ce n'est pas du défaut d'harmonie ou de l'inertie de la Providence, mais du désordre de l'homme — en particulier de l'égoïsme et de l'avarice — qu'a surgi et demeure encore sans solution le fameux problème du surpeuplement de la terre, qui, pour une part existe réellement, mais qui est, d'autre part, déraisonnablement redouté comme une catastrophe imminente de la société moderne. Avec le progrès de la technique, avec la facilité des transports, avec les nouvelles sources d'énergie, dont on a tout juste commencé à recueillir les fruits, la terre peut promettre à tous ceux qu'elle accueillera la prospérité, pendant longtemps encore.



a) Le problème du surpeuplement de la terre.

Quant au futur, qui peut prévoir quelles autres ressources nouvelles et ignorées renferme notre planète, et quelles surprises, en dehors d'elle, réservent peut-être les admirables réalisations de la science, qui viennent à peine de commencer ? Et qui peut assurer pour l'avenir un rythme de procréation naturelle égal à celui d'à présent ? L'intervention d'une loi modératrice intrinsèque du rythme d'expansion est-elle donc impossible ? La Providence s'est réservée l'avenir du monde. En attendant, c'est un fait singulier de constater que, tandis que la science convertit en réalités utiles ce qui était autrefois estimé comme le fruit d'imaginations enflammées, la crainte de certains transforme les espérances fondées de prospérité en spectres de catastrophes. Le surpeuplement n'est donc pas une raison valable pour diffuser les méthodes illicites du contrôle des naissances, mais plutôt le prétexte pour légitimer l'avarice et l'égoïsme, soit des nations qui redoutent l'expansion des autres comme un danger pour leur propre hégémonie politique et un risque d'abaissement de leur niveau de vie, soit des individus — surtout des mieux pourvus en moyens de fortune — qui préfèrent la plus large jouissance des biens de la terre à l'honneur et au mérite de susciter de nouvelles vies. On en arrive ainsi à violer les lois certaines du Créateur sous prétexte de corriger les erreurs imaginaires de la Providence. Il serait bien plus raisonnable et utile que la société moderne s'appliquât plus résolument et universellement à corriger sa propre conduite, en supprimant les causes de la faim dans les « régions sous-développées » ou surpeuplées, par une utilisation plus diligente dans des buts de paix des découvertes modernes, par une politique plus ouverte de collaboration et d'échange, par une économie plus prévoyante et moins nationaliste : surtout en réagissant contre les suggestions de l'égoïsme par la charité et de l'avarice par l'application plus concrète de la justice. Dieu ne demandera pas compte aux hommes du destin général de l'humanité, qui est de sa compétence ; mais des actes individuels voulus par eux conformément ou en opposition aux préceptes de la conscience.

Quant à vous, parents et enfants de familles nombreuses, continuez à donner avec une ferme sérénité votre témoignage de confiance en la Providence divine, certains qu'elle ne manquera pas de la récompenser par le témoignage de son assistance quotidienne et, au besoin, par des interventions extraordinaires, dont beaucoup d'entre vous ont une heureuse expérience.



La sainteté féconde et heureuse du mariage catholique.

III. — Et maintenant, quelques considérations sur le troisième témoignage, afin de raffermir les inquiets et d'accroître chez vous le courage. Les familles nombreuses sont les corbeilles les plus splendides du jardin de l'Eglise, dans lesquelles, comme sur un terrain favorable, fleurit la joie et mûrit la sainteté. Tout noyau familial, même le plus restreint, est dans les intentions de Dieu une oasis de sérénité spirituelle. Mais il existe de profondes différences : là où le nombre des enfants ne dépasse guère celui de l'enfant unique, cette sérénité intime, qui a une valeur de vie, comporte alors en elle quelque chose de mélancolique et de pâle ; elle est de plus brève durée, peut-être plus incertaine, souvent troublée par des craintes et des remords secrets. En revanche, la sérénité d'esprit est différente chez les parents entourés d'une vigoureuse floraison de jeunes vies. La joie, fruit de la bénédiction surabondante de Dieu, se manifeste de mille manières, par une permanence stable et sûre. Sur le front de ces pères et mères, bien que lourd de pensées, il n'y a pas trace de cette ombre intérieure, révélatrice d'inquiétudes de conscience ou de la crainte d'un retour irréparable à la solitude. Leur jeunesse ne semble jamais passer, tant que dure dans la maison le parfum des berceaux, tant que les parois domestiques retentissent des voix argentines des enfants et des petits-enfants. Les fatigues multipliées, les sacrifices redoublés, les renoncements à des divertissements coûteux sont largement compensés, même ici-bas, par l'abondance inépuisable d'affections et de douces espérances, qui assaillent leurs coeurs, sans toutefois les opprimer ni les lasser. Et les espérances deviennent bientôt des réalités, au moment où la plus grande des filles commence à apporter son aide à la mère pour s'occuper du dernier-né ; le jour où le fils aîné rentre rayonnant, pour la première fois, avec son premier gain. Ce jour-là sera particulièrement béni par les parents, qui voient désormais conjuré le spectre d'une vieillesse misérable et assurée la récompense de leurs sacrifices. De leur côté, les nombreux enfants ignorent l'ennui de la solitude et le malaise d'être contraints à vivre au milieu des plus grands. Il est vrai que leur nombreuse compagnie peut se transformer parfois en une vivacité fastidieuse et leurs disputes en tempêtes passagères ; mais, quand celles-ci sont superficielles et de brève durée, elles concourent efficacement à la formation du caractère. Les enfants des familles nombreuses s'éduquent pour ainsi dire eux-mêmes à la vigilance et à la responsabilité de leurs actes, au respect et à l'aide mutuels, à la largeur d'esprit et à la générosité. La famille est pour eux le petit monde où ils s'exercent, avant d'affronter le monde extérieur, plus ardu et plus astreignant.

Tous ces biens et toutes ces valeurs prennent davantage de consistance, d'intensité et de fécondité lorsque la famille nombreuse prend comme base et comme règle l'esprit surnaturel de l'Evangile, qui élève tout au-dessus de l'humain et l'éternisé. Dans ces cas, aux dons ordinaires de providence, de joie, de paix, Dieu ajoute souvent, comme l'expérience le démontre, les appels de prédilection, c'est-à-dire les vocations au sacerdoce, à la perfection religieuse et à la sainteté même. Plus d'une fois et à juste titre, on a tenu à mettre en relief la prérogative des familles nombreuses d'être des berceaux de saints ; on cite, entre autres, celle de saint Louis, roi de France, composée de dix enfants ; de sainte Catherine de Sienne, de vingt-cinq ; de saint Robert Bellarmin, de douze ; de saint Pie X, de dix. Toute vocation est un secret de la Providence ; mais, pour ce qui est des parents, on peut conclure de ces faits que le nombre des enfants n'empêche pas leur excellente et parfaite éducation ; que le nombre en cette matière ne tourne pas au désavantage de la qualité, par rapport aux valeurs aussi bien physiques que spirituelles.

a) Appel particulier aux Associations italiennes.

Une parole, enfin, pour vous, dirigeants et représentants des Associations de familles nombreuses à Rome et en Italie. Ayez soin d'imprimer un dynamisme toujours plus vigilant et efficace à l'action que vous vous proposez d'accomplir à l'avantage de la dignité des familles nombreuses et de leur protection économique. Pour le premier but, conformez-vous aux préceptes de l'Eglise ; pour le second, il faut secouer de sa léthargie la partie de la société qui n'est pas encore sensible aux devoirs sociaux. La Providence est une réalité divine, mais elle aime à se servir de la collaboration humaine. D'ordinaire, elle s'ébranle et accourt lorsqu'elle est appelée et pour ainsi dire conduite par la main de l'homme ; elle se plaît à se cacher derrière l'action humaine. S'il est juste de reconnaître à la législation italienne l'honneur des positions les plus avancées sur le terrain de la protection des familles, particulièrement des familles nombreuses, il ne faut pas se cacher qu'il en existe encore un grand nombre, qui se débattent, sans que ce soit de leur faute, au milieu de difficultés et de privations. Eh bien ! votre action doit se proposer d'étendre à celles-ci la protection des lois et, dans les cas urgents, celle de la charité. Tout résultat positif obtenu dans ce domaine est comme une pierre solide posée dans l'édifice de la patrie et de l'Eglise ; c'est le mieux que l'on puisse faire comme catholiques et comme citoyens.

En invoquant la protection divine sur vos familles et sur celles de toute l'Italie et en les plaçant encore une fois sous l'égide céleste de la Sainte Famille de Jésus, de Marie et de Joseph, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1958 - ALLOCUTION AUX PROFESSEURS ET ÉLÈVES DE LATHÉNÉE PONTIFICAL «ANGELICUM»