Pie XII 1958 - III


LE DERNIER DISCOURS PRONONCÉ PAR S. S. PIE XII : AU NOTARIAT LATIN

(5 octobre 1958) 1






Voici le texte du dernier discours prononcé, en français, par Sa Sainteté Pie XII. Il fut adressé, le dimanche 5 octobre à 9 h. 30, aux membres du Ve Congrès international du Notariat latin. En raison du grand nombre de congressistes, l'audience se déroula dans la cour de la Villa pontificale de Castel-Gandolfo. Le Pape parla du balcon, d'où il avait l'habitude d'accueillir et de bénir les foules.

Pour cette dernière audience le Souverain Pontife dut s'imposer un effort surhumain : il était déjà affaibli, avait passé une nuit d'insomnie, mais il ne voulut pas manquer la rencontre prévue. Sa voix fut, comme d'habitude, très claire ; à la fin seulement, elle eut des inflexions qui trahissaient la fatigue, prélude des crises qui, durant l'après-midi, laissèrent prévoir à son entourage une aggravation de son état de santé.

La fin de l'audience, ajoute l'« Osservatore Romano », fut marquée par un autre fait particulier. Le Pape avait béni, de l'ample geste habituel, ses auditeurs ; il voulut, selon sa coutume, lever les bras pour les saluer encore de petits signes des mains ; mais, ne pouvant le faire, il préféra traduire sa pensée par un seul mot, le plus beau, et qui semblait annoncer Y événement tout proche : « A Dieu ! ».

Pour célébrer le dixième anniversaire de votre première rencontre vous avez décidé, Messieurs, de venir à Rome et d'y tenir le Ve Congrès de l'Union internationale du Notariat latin. Après Buenos Aires, Madrid, Paris et Rio de Janeiro, vous voici donc au centre même du monde latin, centre non point géographique mais spirituel, où vos travaux trouveront un cadre approprié et une solennité inaccoutumée. Nous vous souhaitons une cordiale bienvenue et formons des voeux pour que vos réunions contribuent efficacement à réaliser les fins générales de votre groupement et celles que vous proposez dans ce Congrès.



Les traits caractéristiques du Notariat latin.

Si la profession de notaire s'exerce de manière différente suivant les pays, on relève une distinction plus nettement marquée entre les régions de droit latin et les pays anglo-saxons. Dans ceux-ci, en effet, la fonction notariale consiste principalement à certifier l'identité du signataire des documents et, par conséquent, aucun titre d'étude spécial n'est requis pour l'exercer ; elle équivaut en somme aux fonctions du chancelier. Dans les nations de droit latin par contre, le notaire est chargé de traduire en forme légale la volonté contractuelle des parties et son intervention donne au contrat sa pleine valeur juridique et sa force exécutoire sans qu'il soit besoin d'aucune autre autorité pour le confirmer. La personnalité du notaire s'y trouve formée par une même tradition, soumise à des devoirs et des responsabilités similaires et présente des traits communs qui justifient amplement le caractère de votre Union. Vous entendez donner une impulsion soutenue à la collaboration internationale du notariat latin, intensifier les échanges culturels, faire connaître les normes théoriques et pratiques qui règlent l'exercice de la profession en chaque région et tendre ainsi à préparer leur unification. Votre premier Congrès de Buenos Aires entraîna, avec la fondation de votre Union, la constitution d'un bureau permanent d'information et la fondation d'une « Revue internationale du Notariat » en deux éditions, espagnole et française.

Préoccupés de l'efficacité du document notarié dans les rapports internationaux, vous avez consacré à son étude une partie des travaux de votre Congrès et Nous savons que des relations soigneusement préparées vous permettront d'envisager tous les aspects intéressants de cette question. Vous reprenez aussi le sujet très délicat du secret professionnel du notaire et de ses collaborateurs et vous examinez l'adaptation de votre activité aux méthodes et procédés techniques modernes, en particulier pour ce qui concerne l'identification des parties et la rédaction graphique des actes et des copies.



Ces travaux, Nous en avons la certitude, contribueront à mettre davantage en relief l'importance de votre office dans l'établissement de relations juridiques saines et solides, base nécessaire d'une vie sociale pacifique. Ils dégageront mieux certains traits de la physionomie morale du notaire et le rôle que vous êtes appelés à jouer dans la société internationale en voie de construction. Nous n'ignorons pas qu'après l'instauration du Marché Commun Européen, vos associations nationales ont réagi d'une manière positive et indiqué les directions dans lesquelles devait s'engager votre effort pour répondre aux exigences des institutions nouvelles et en favoriser l'heureuse évolution.



Compétence technique et intégrité morale.

Le prestige et l'autorité qui s'attachent à l'exercice d'une profession libérale supposent chez l'intéressé la présence de deux conditions : une compétence technique reconnue et une intégrité morale indiscutable. Ces qualités, le notaire devra les posséder surtout au moment où il devient l'intermédiaire officiel entre le particulier qui recourt à ses services et l'ordre juridique dont il se fait l'interprète. Il serait inexact de concevoir la fonction notariale comme une simple tâche de rédaction des documents qui présentent, sous une forme authentique, l'expression des déclarations des parties. Même si les découvertes modernes en fait d'enregistrement, de conservation et de reproduction de l'image et du son réduisaient un jour à une maigre portion le travail du notaire considéré comme « formateur du document », il aura toujours à intervenir et à déployer sa compétence professionnelle propre avant même la rédaction de l'acte puisqu'il doit alors procéder à l'identification des parties et à la recherche de leur volonté. Vous avez souligné combien dans la société moderne où les individus se déplacent sans cesse d'un endroit à l'autre et perdent ainsi la plupart de leurs attaches sociales autrefois si fortes, cette opération d'identification présente parfois de sérieuses difficultés. Les témoins requis par la loi peuvent n'avoir de l'intéressé qu'une connaissance superficielle et le notaire se voit alors contraint de recourir à des procédés empiriques de valeur contestable pour s'assurer de la qualité de son client.

Sûr de l'identité des parties, il procédera ensuite à la recherche de leur volonté qu'il s'agit de fixer par écrit sous une formulation juridique adéquate. Or n'arrive-t-il pas fréquemment que les parties se présentent chez le notaire sans avoir une notion claire et ferme de ce qu'elles désirent, des motifs qui les poussent, des formes que leur acte doit revêtir pour être en accord avec la loi, des conséquences qui en découleront. Le notaire s'efforcera donc de mettre en lumière tous ces éléments ; il relèvera ce qui, dans les désirs exprimés par les parties, ne coïncide pas avec les dispositions légales ou même les principes de la justice et de l'équité. Il sera ainsi le conseiller des parties et le dépositaire de leurs secrets. S'il exerce sa fonction au même endroit durant une longue période de temps, il connaîtra de nombreuses situations individuelles ou familiales et l'expérience ainsi acquise renforcera son prestige et la valeur de ses conseils. Le notaire sait en outre qu'aucun énoncé juridique ne réussit à couvrir parfaitement les données d'un cas déterminé ; que de fois n'est-il donc pas amené à suppléer à leur silence ou à leur ambiguïté ! Parfois même il dépassera franchement la lettre de la loi pour en conserver mieux l'intention. Car les lois elles-mêmes ne sont pas un absolu ; elles cèdent le pas à la conscience droite et bien formée et l'on reconnaît le véritable homme de loi, qu'il soit juge, avocat, notaire, à la compétence qu'il apporte dans l'interprétation des textes en vue du bien supérieur des individus et de la communauté.



L'heureuse influence du notaire consciencieux sur les relations sociales.

S'il remplit adéquatement sa tâche, le notaire réussira à prévenir les conflits d'intérêt ; témoignera sans obscurité de la volonté des parties, pleinement informées de leurs droits et de leurs devoirs. Si, par la faute délibérée des contractants, un litige surgit ensuite, il n'en sera que plus facile pour le juge de préciser les obligations de chacun. On peut dire même que le notaire s'efforce de rendre inutile le recours à l'autorité judiciaire : avant elle, il applique le droit en aidant ses clients à en comprendre la portée, en les invitant à y conformer leurs intentions ; mieux encore, en leur inspirant outre le respect dû au pouvoir civil, le désir sincère de la justice. Car, vous le savez par expérience et l'adage latin summum ius, summa iniuria le rappelle avec audace, quiconque s'emploie à poursuivre son dû sans ménagements, à pousser ses revendications jusqu'à l'extrême limite de la légalité a déjà, en réalité, franchi les bornes de la justice ; il a perdu cette disposition d'âme qui cherche, avant tout le reste, la concorde et la paix sociale et accepte, pour la sauvegarder, de subir quelque dommage matériel. Dans un discours récent aux huissiers et officiers judiciaires, Nous avons fait allusion à la propension au litige, illustrée avec verve par nombre d'auteurs dramatiques depuis l'antiquité, à ce besoin exagéré de recourir au juge pour trancher des différends réels ou imaginaires. La seule prétention de ne vouloir jamais rien céder de son droit, dénature le caractère de l'ordre juridique. L'accord des parties en effet, avant d'être un écrit, un texte dont une exégèse raffinée s'efforce d'exploiter les faiblesses, est d'abord union des volontés, rencontre de deux intentions en vue d'une collaboration féconde. L'établissement du contrat ou la fixation par écrit d'une volonté permet de mieux prévoir et de déterminer les charges acceptées ou d'assurer plus stablement certains effets souhaités. Il y a toujours un certain compromis, un effort pour maintenir la balance égale entre les obligations de chacun et les avantages auxquels elles ouvrent l'accès. Mais il arrive fréquemment, malgré la rectitude d'intention des parties, que l'équilibre voulu ne puisse se réaliser, que l'une d'elles supporte des charges plus lourdes ou retire moins de profit que l'autre. Si, à ce moment, malgré l'absence d'injustice formelle, chacun prétend ne considérer que son intérêt exclusif et perd le sens de l'utilité commune qui était d'abord poursuivie, le conflit devient inévitable. Il appartient donc au notaire, quand il prête son assistance à la rédaction d'un acte, de mettre en valeur la volonté profonde qui doit présider à tout contrat, c'est-à-dire celle de promouvoir un bien positif qui appartient également aux contractants et concerne aussi, dans une large mesure, la société dont ils font partie. Les multiples précautions qu'ils prendront eux-mêmes et celles que la loi leur impose n'ont d'autre but que d'assurer cette bonne volonté initiale et de la défendre envers autrui et envers elle-même, nullement de donner appui à des revendications acharnées qui vont à l'en-contre du véritable esprit de justice.



La préoccupation du bien commun.

Il est clair que la pratique notariale, sincèrement désireuse de servir la bonne harmonie des relations entre les hommes et de répondre aux situations nouvelles issues de l'évolution des structures sociales, peut contribuer notablement au progrès du droit privé. Les techniques modernes vous apporteront une aide matérielle, vous procureront de sérieux gains de temps, vous déchargeront de besognes fastidieuses. Elles ne remplaceront jamais la science véritable du droit et la conscience professionnelle attentive à faire triompher dans les relations juridiques des particuliers la préoccupation du bien commun au-delà des normes contractuelles, qui restent le moyen destiné à faciliter l'obtention d'une fin plus haute. Cette attitude même ne pourra se maintenir avec constance que si elle s'appuie sur l'amour sincère d'autrui dont l'Evangile renferme la doctrine et l'exemple vivant. Ici, plus de limites, puisque cette charité venue de Dieu va jusqu'à renoncer aux biens de ce monde, aux attachements humains et à la vie propre. Elle ne rend pas inutiles les contrats et les engagements écrits ; elle les suppose même comme une sauvegarde et un précieux adjuvant de la faiblesse humaine. Mais elle ne veut point qu'ils soient soustraits à ses appels.

Nous sommes convaincu, Messieurs, que rien ne vous aidera davantage à développer le sens de la justice parmi les hommes que l'estime et la pratique de la charité authentique, objet des enseignements du divin Maître et fruit de son oeuvre de Rédemption. Le même idéal qui inspire votre activité quotidienne au profit des particuliers dirigera les travaux que vous avez entrepris sur le plan international. Qui ne voit le prix de la contribution que vous apporterez ainsi à la consolidation de cette communauté plus large et au maintien de la paix désirée par tous les hommes de bonne volonté ? L'Eglise qui travaille de toutes ses forces au même but ne peut que s'en réjouir.

Aussi en vous renouvelant Nos souhaits de réussite, Nous implorons sur vous-mêmes et sur vos familles les faveurs du Tout-Puissant dont Notre paternelle Bénédiction apostolique vous sera le gage.


TEXTE POSTHUME SUR LE SACERDOCE (préparé pour le 19 octobre 1958)


A l'occasion Au cinquantième anniversaire de la fondation du Séminaire régional des Fouilles, le Pape Pie XII avait accepté d'en recevoir en audience professeurs et élèves.

La rencontre était prévue pour le dimanche 19 octobre. Plein d'une admirable sollicitude pour la formation et la sanctification du clergé, le Souverain Pontife avait déjà rédigé en italien l'allocution qu'il devait prononcer en cette circonstance. La voici, dans sa traduction française :

A l'exemple du divin Maître, qui se plaisait à s'isoler avec ses Apôtres pour infuser dans leurs esprits les trésors de sa sagesse et de sa bonté infinie, seorsum autem discipulis suis disserebat omnia (Mc 4,34), Nous aussi, son indigne Vicaire sur la terre, Nous sommes heureux de vous accueillir dans Notre demeure, chers fils, supérieurs, anciens élèves et élèves du Séminaire régional des Fouilles, guidés par Son Eminence le cardinal préfet de la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités, et, avec lui par les très zélés archevêques et évêques de la région des Pouilles, tous venus en Notre présence, dans le désir de couronner avec solennité et fruit la célébration de la cinquantième année de la fondation de votre Institut. Si Nous n'estimons jamais étranger à Notre charge de Pasteur universel de Nous rencontrer avec les parties distinctes du troupeau du Christ, que dire de cette rencontre avec vous, chers Séminaristes, espérance de l'Eglise, Notre espérance aussi, jeunes sarments de la vigne du Seigneur, futurs héritiers du dépôt de salut et de sainteté, appelés à être, de façon particulière, le « sel de la terre » et la « lumière du monde » (Mt 5,13-14) ? En effet après avoir veillé avec diligence aux nécessités présentes des fidèles, le Pontife Romain ne peut faire rien de plus convenable et de plus digne pour toute l'Eglise, comme tout évêque pour son diocèse, que de pourvoir avec toutes les sollicitudes à la formation complète de ceux qui devront perpétuer sur la terre, pour le salut de tous les peuples, la présence mystique du Prêtre Suprême le Christ, rendu visible en ceux qui ont jusqu'à la consommation des siècles, la promesse de s'identifier en quelque sorte avec Lui et avec le Père : Qui vos audit me audit et qui vos spernit me spernit. Qui autem me spernit, spernit eum qui misit me (Lc 10,16).

A ce motif élevé, qui vous rend chers à vos Pasteurs, s'ajoute l'autre, étroitement lié au premier : le désir naturel d'assurer la stabilité et le progrès de l'oeuvre, à laquelle ils consacrent toute leur vie. L'Eglise est, sous certains aspects, également une famille ; à son honneur, à son développement et à sa continuité, ses pasteurs se dévouent comme des pères. L'ayant reçu en héritage de leurs prédécesseurs sous la forme concrète et limitée de diocèses ou de paroisses, ceux qui l'aiment et la servent jusqu'au don et au sacrifice d'eux-mêmes, ne sauraient supporter la pensée d'une extinction possible aussi bien par manque de vocations que par l'incompétence des successeurs. Comme dans toute grande famille, celui qui est à la tête est soucieux de la continuité et du maintien du splendide héritage. Eh bien ! vous, séminaristes, vous êtes pour Nous, pour vos évêques et pour le clergé plus âgé, les futurs héritiers de la très noble famille dans laquelle vous êtes entrés et de l'imposant patrimoine de gloires et de biens spirituels, accumulé avec tant d'immolations et de sacrifices par d'innombrables générations. C'est pour cela que vous êtes l'objet d'une sollicitude affectueuse et assidue et que le Séminaire est estimé par l'évê-que et par le clergé comme la pupille de leurs yeux. Vous êtes donc particulièrement les bienvenus, chers élèves du Séminaire régional des Fouilles, auxquels Notre coeur, suivant l'exemple du divin Rédempteur, voudrait vraiment confier tout, omnia, mais Nous devrons Nous contenter de rappeler seulement quelques principes fondamentaux de formation sacerdotale, assuré d'autre part de la sage direction de vos supérieurs, qui connaissent les richesses des règles et de l'expérience, que l'Eglise s'est acquise au cours des siècles dans ce domaine si important et si délicat. Mais Nous ne le ferons pas avant d'avoir pris part à la joie de votre cinquantenaire et avant d'avoir évoqué ensemble quelque chose de ce passé.



Les merveilleux débuts de votre Séminaire et le zèle de saint Pie X.

Les célébrations jubilaires d'organismes, d'associations et d'instituts, que fréquemment l'on désire conclure en Notre présence et avec Notre bénédiction, bien que se distinguant par des caractères particuliers, expriment toutes une signification commune : affirmer la vitalité de l'organisme par la preuve des ans et confirmer l'engagement de continuer avec davantage de zèle vers les buts proposés. Certainement, c'est également là votre pensée, en ce cinquantenaire de votre Séminaire. D'autres réflexions et d'autres sentiments accompagnent ces fêtes, comme la tranquille satisfaction d'appartenir à une oeuvre excellente, la reconnaissance envers tous ceux qui en tracèrent les premiers sillons et en assurèrent la fécondité, le désir de raviver la sympathie chez ceux qui y vécurent et qui, lorsqu'ils sont émi-nents, sont pour ainsi dire appelés à rendre témoignage à cette oeuvre ; enfin, mais non un des derniers, le désir de tirer du passé des enseignements utiles et de ses origines un renouvellement dans l'esprit. Ce ne sont pas des célébrations inutiles ; elles sont au contraire très fructueuses, car pour la plupart des oeuvres qui prospèrent dans l'Eglise du Christ, le retour aux sources équivaut à un bain tonique dans l'esprit primitif qui fut inspiré par le Seigneur. Du reste quand l'Eglise, au cours de son chemin quotidien, a voulu secouer, de son manteau saint et immaculé, la poussière inévitable du siècle, qui parfois empêchait sa marche en avant, elle n'a pas trouvé de remède plus approprié que de revenir à l'esprit et aux règles de ses origines, non point pour se replier dans les limites restreintes et dans les moyens rudimentaires qui lui sont imposés par la loi présidant à tout progrès humain, mais pour retremper hommes et moyens dans cette pure et intense atmosphère de divin qui entoura sa naissance.

De façon analogue et dans de justes proportions, vous entendez revenir avec un souvenir affectueux aux premières années de fondation de votre Séminaire, où régnait l'esprit de saint Pie X, considéré à juste titre comme le fondateur des Séminaires régionaux, et spécialement du vôtre, le premier dans l'ordre chronologique parmi tous ceux qui furent érigés par lui. Désirant contribuer Nous aussi à animer et à accroître votre ferveur dans la formation des séminaristes à la mission sacerdotale Nous vous exposerons quelques pensées, en Nous laissant inspirer par la mémoire du saint Pontife.

En effet, qui pourrait mieux Nous aider de sa lumière en cette question que lui-même, Pie X, saint prêtre, constamment appliqué, durant les années qui précédèrent son élection, à former dans les Séminaires de nombreuses phalanges de prêtres selon le coeur de Dieu ; et ensuite saint Pape, dont le pontificat semble occuper le milieu même de ce que l'on pourrait appeler « le siècle d'or » des Séminaires ? Bien que de tout temps l'Eglise ait été soucieuse de la formation soignée du clergé ; et bien que l'histoire assigne justement au Concile de Trente le grand mérite de l'institution des Séminaires, dont bon nombre tirent leur origine de ses décrets et conservent encore une renommée digne d'exemple, spécialement à Rome ; leur splendide épanouissement, en nombre, en organisation et en fécondité, leur sage adaptation aux nouvelles conditions des temps ont commencé il y a environ cent ans. Il existe une grande abondance de documents et d'actes concernant la formation du clergé, dus à Nos prédécesseurs immédiats, dont chacun se distingua par des mérites particuliers. On pourrait, par exemple, voir en Pie IX celui qui, au Concile du Vatican, ajouta de nouvelles prescriptions à celles qui furent déjà sanctionnées au Concile de Trente ; en Léon XIII, le réorganisateur incomparable des études sacrées ; en saint Pie X, l'animateur ardent de la sainteté et du zèle sacerdotal ; en Benoît XV, celui qui pourvut à l'organisation définitive de cette institution, aussi bien par la promulgation du Code de droit canonique que par la création de la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités ; en Pie XI, celui qui perfectionna l'oeuvre de ses prédécesseurs, surtout en dotant les Séminaires régionaux d'Italie d'édifices imposants, dont le vôtre, celui de Molfetta. Toutefois celui-ci demeure toujours lié à l'éminente figure de saint Pie X, comme l'aîné de tous les autres fondés par lui.

La coïncidence de cette année de fondation à Lecce avec la date de l'Exhortation apostolique Haerent animo 2, dans laquelle le saint pontife exposait, comme en se peignant lui-même, l'idéal du prêtre, explique éloquemment la genèse intérieure des Séminaires régionaux et des buts qui leur sont assignés. Quelques années plus tard, encouragé par l'heureuse expérience du premier, qui était destiné aux séminaristes des Pouilles et de Lucanie, il érigea l'autre de Catanzaro, pour la Calabre et il publia la Constitution apostolique Susceptum inde3, communément indiquée comme magna charta des Séminaires régionaux. Mais en cette date jubilaire, vous vous rappelez avec affection la lettre adressée aux pères de la Compagnie de Jésus de la Province Napolitaine ; il confiait à leur soin le nouveau Séminaire ; dans cette lettre le saint pontife se disait « présent en esprit à la fête » de l'inauguration. Eh bien ! chers supérieurs et élèves, de même que l'on a un motif fondé de penser que, dans la gloire des deux, le saint « fondateur » n'a pas oublié son « premier Séminaire interdiocésain », appliquez-vous pareillement, suivant ses enseignements et ses exemples, à faire en sorte que se perpétue parmi vous la présence de son esprit bienheureux. Cela s'accomplira, si vous réalisez le voeu de son coeur magnanime, exprimé également en cette circonstance : Que votre Séminaire soit « un Séminaire modèle » 4 !

3 25 mars 1914 ; A. A. S., VI. 1914. pp. 213-218.
4 Lettre du 6 novembre 1908.

Les notes d'un Séminaire modèle.

De quelle façon un Séminaire peut-il mériter le titre de « modèle » ? C'est ce que Nous Nous proposons de vous indiquer par de brèves réflexions, comme fruit durable de votre célébration jubilaire. Le terme « modèle », dans le souhait du Fondateur des Séminaires régionaux, signifie une perfection exemplaire dans la réalisation des buts essentiels qui leur sont assignés. Dans les instituts d'éducation collégiale, comme le sont les Séminaires, où tout est minutieusement prévu et réglé — de la distribution du temps aux différents exercices de piété et d'étude — l'observation purement extérieure et comme mécanique des normes établies, spécialement si elle est subie au lieu d'être acceptée avec un sincère consentement, peut fort bien susciter l'impression d'un organisme surprenant par l'ordre et par la discipline ; mais elle n'est pas une preuve ni une garantie de la réalisation de la fin essentielle, qui consiste en la solide formation de la conscience sacerdotale et en l'orientation de toutes les facultés personnelles vers la vie de parfait ministre de Dieu.

Le principe et le fondement de la formation sacerdotale résident donc dans la conviction éclairée et courageuse de la sublime dignité du sacerdoce : une conviction jaillie dans l'esprit sous l'impulsion de la grâce divine. Ce n'est qu'ainsi que cette vérité s'impose à la volonté sous la forme d'un bien précieux et désirable au plus haut point ; c'est le trésor du champ, « la perle de grand prix », dont l'acquisition vaut tout renoncement (Mt 13,44-45). Elle change la direction de la vie, elle donne de la valeur au plus petit acte dans la journée du séminariste, elle lui fait accepter tout précepte, bénir tout renoncement, apprécier l'effort de l'étude et le poids de la discipline. Les témoignages concernant la sublime dignité du Sacerdoce, du temps des Apôtres jusqu'à nos jours, sont si abondants et si concordants que l'éducateur et l'élève peuvent y puiser sans peine. Suivant cette précieuse tradition, Nous n'avons Nous-même négligé aucune occasion d'y ramener l'attention du clergé et des séminaristes, spécialement avec l'Exhortation apostolique Menti Nostrae 5. Voulant à présent, non pas ajouter, mais développer un peu certaines de ces conceptions, Nous avons jugé bon de vous proposer ces pensées :




1. SE PRÉPARER AU SACERDOCE SIGNIFIE SE FORMER UNE ÂME SACERDOTALE.

Le caractère sacramentel de l'Ordre scelle de la part de Dieu un pacte éternel de son amour de prédilection qui exige en retour la sanctification de la créature choisie. Mais également, comme dignité et mission, le sacerdoce réclame la réciprocité personnelle de la créature, sous peine d'être jugée à l'égal des invités dépourvus de l'habit de noces et des serviteurs gaspillant les talents divins (cf. Mt 22,11-12 Mt 25,15-30). A la dignité accordée doit donc correspondre une dignité acquise, pour laquelle un seul acte de volonté et de désir, bien que des plus intenses, ne peut suffire. En réalité, on devient prêtre si l'on se forme une âme sacerdotale, en employant sans cesse toutes ses facultés et énergies spirituelles à conformer son âme au modèle du Prêtre suprême, le Christ. C'est à cette métamorphose spirituelle, dont on ne se cache ni les difficultés, ni les joies intimes, que doit tendre l'oeuvre éducatrice des Séminaires. Le terme ad quem de cette métamorphose intérieure devra concerner la personne du candidat et sa future activité.

septembre 1950 ; A. A. S., XXXXII, 1950, pp. 657 et suiv. ; cf. Documents Ponti-, pp. 394 et suiv.

Le prêtre est un élu de Dieu.

Avec humilité et sincérité, le séminariste doit s'accoutumer à nourrir une conception de sa personne bien différente et plus élevée que celle du chrétien ordinaire faisant partie de l'élite ; il sera un élu parmi le peuple, un privilégié des charismes divins, un dépositaire du pouvoir divin, en un mot un alter Christus, qui se substituera à l'homme avec toutes ses exigences et dans sa condition naturelle. Sa vie ne sera plus à lui, mais au Christ ; c'est même le Christ qui vit en lui (Ga 2,20). Il ne « s'appartient pas », de même qu'il n'appartient pas à des parents, à des amis, ni même à une patrie déterminée : la charité universelle sera son souffle. Ses pensées même, sa volonté, ses sentiments ne seront plus à lui, mais au Christ qui est sa vie. Ce dessein peut sembler trop hardi de nos jours, où la devise « vivre sa vie » est diffusée comme un axiome indiscutable, même lorsqu'elle signifie autonomie et liberté effrénée ; mais le prêtre n'est-il donc pas « le sel de la terre » et « la lumière du monde » ? (Mt 5,13-14).



Le prêtre est dans le monde sans être du monde.

La vision du monde est également différente et plus élevée dans l'âme sacerdotale. Les yeux du prêtre ne voient qu'un monde peuplé d'âmes avec leurs qualités, leurs luttes, leurs plaies et leurs nécessités. Les sens extérieurs se rencontrent pareillement avec les corps, mais en tant que tabernacles de Dieu ou destinés à l'être, et avec les biens matériels en tant que moyens pour la gloire divine. Cette vision spirituelle, tout en atténuant les séductions du monde physique, rend plus intense le sens de charité envers ceux à qui la vie est prodigue en larmes : ceux-ci sont les préférés de l'âme sacerdotale. Bien qu'il vive dans le monde, le prêtre ne se sent pas son prisonnier, ni sous les impulsions parfois violentes des passions, ni sous le poids des misères ; mais libre comme tout esprit qui se meut dans son centre naturel, il domine les événements, les contradictions, la vanité du temps et de la matière. Il est le chef de tous ceux qui entendent se rebeller contre l'esclavage du péché, en déclarant la guerre à la convoitise de la chair et des yeux et à l'orgueil de la vie (1Jn 2,16). Adversaire déclaré du « monde » (ibid. 1Jn 2,15), il n'en craint pas les vengeances, il ne succombe pas à ses chantages, ni n'espère ses récompenses. Il n'attend pas non plus de l'Eglise des récompenses terrestres pour ses fatigues, bien satisfait de l'honneur de « coopérateur de Dieu » et des réconforts ineffables que Dieu accorde à ses serviteurs.



Le prêtre est avant tout ministre du Christ.

Le séminariste acquerra une telle conception également de sa future activité, de « ministre du Christ » et de « dispensateur des mystères de Dieu » (1Co 4,1), de « collaborateur de Dieu » (ibid. 1Co 3,9). Le ministère sacré devra conditionner chacune de ses actions et oeuvres. 11 sera l'homme aux intentions saintes et droites, semblables à celles qui poussent Dieu à agir. Tout mélange d'intention personnelle qui proviendrait de la seule nature, devra être considéré comme indigne du caractère sacré et comme une évasion de son propre orbite. Si des activités déterminées lui apportent largement des satisfactions humaines, il en sera reconnaissant à Dieu, en les acceptant comme une aide, mais non une substitution, des saintes intentions. Mais sa principale action sera strictement sacerdotale, c'est-à-dire celle de médiateur des hommes en offrant à Dieu le sacrifice du Nouveau Testament, en dispensant les Sacrements et la parole divine, avec la récitation de l'office divin où il représente toute l'humanité et prie pour elle. En faisant abstraction des rares cas d'inspiration divine, le prêtre qui ne monterait pas pieusement et fréquemment à l'autel, comme le prescrivent les sacrés canons °, et n'administrerait pas, quand il le faut, les Sacrements, serait semblable à un arbre, planté par le Seigneur dans sa vigne, peut-être admirable pour beaucoup de qualités, mais tristement stérile et inutile. Le jugement devrait être encore plus négatif envers le prêtre qui, dans son estimation, ferait passer avant l'exercice du pouvoir sacramentel des activités extérieures, même très nobles, comme la science, et très utiles, telles que les oeuvres sociales et de bienfaisance, bien que, s'il est destiné par son évêque aux études scientifiques ou aux activités charitables, il peut fort bien voir dans toutes deux un apostolat précieux et nécessaire aujourd'hui. Non seulement Dieu et l'Eglise, mais aussi les fidèles laïcs, parfois les plus tièdes, aiment à voir dans le prêtre avant tout le Ministre de Dieu, entouré à tout moment du même halo qui s'irradie de l'ostensoir sacré. En effet, ce n'est pas seulement son oeuvre qui est sacrée, mais aussi sa personne. Devant une transformation et une sublimation si profondes, réclamées par l'Eglise à vos âmes, que l'humilité vous fasse encore répéter : « Quomodo fiet istud ? » (Lc 1,34) ; mais que la confiance en la toute-puissance de la grâce vous rassure.




Pie XII 1958 - III