Catéchèses Paul VI 61168

6 novembre 1968 : LES MALHEURS ET LES SOUFFRANCES DE TOUS SONT LES MALHEURS ET LES SOUFFRANCES DE L'EGLISE

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Ce sont les inondations du Nord de l'Italie avec leur cortège de deuils et de destructions qui fournissent au Saint-Père le thème de son discours.

Chers Fils et Filles,



La catastrophe qui a touché ces jours-ci une partie fertile, laborieuse et florissante du Piémont, attire Notre attention et Nous oblige, à Notre place, à exprimer Nos sentiments de profonde et paternelle commisération, sachant bien Nous trouver en parfaite harmonie avec la douleur des populations affligées par un tel désastre, avec votre compassion et celle de tous ceux qui ressentent dans leur coeur la gravité de cette dévastation survenue à l'improviste. Encore une fois. Nous sommes tous associés à une souffrance commune qui, même limitée, s'étend à toute la nation italienne et voit s'émouvoir la sensibilité du public par delà toute frontière géographique.

A dire vrai, le caractère universel de Notre mission Nous procure souvent le devoir de partager la peine dans les calamités dont souffrent des localités et des populations lointaines ; la distance n'existe pas pour Nous ; et Nous sentons avec une intensité toujours très forte le déroulement de tragédies lointaines comme de celles qui sont proches. Pour toutes Nous voudrions que Notre coeur soit en mesure de les accueillir et de les consoler avec les moyens pour les secourir, du moins par un signe, sinon par l'efficacité de Notre charité. Le monde est toujours rempli de catastrophes et de tribulations ; et Nous expérimentons qu'une des caractéristiques de Notre ministère pontifical est celle de la communion avec toutes les douleurs de l'humanité. Mais il est naturel et c'est un devoir, lorsque la souffrance est plus grave et plus proche, que Notre pitié soit plus émue et plus vive.


Union avec ceux qui souffrent et ceux qui apportent les secours


C'est pourquoi Nous voulons publiquement manifester Notre affliction pour le désastre d'aujourd'hui, par le réconfort de tous, par le désir de tous les secours possibles, par l'exhortation à souffrir, à travailler, à espérer comme il le faut. Notre salut affectueux et Notre Bénédiction vont aux populations éprouvées du Piémont ; l'expression de Nos vives condoléances chrétiennes va aux familles frappées par la perte d'êtres chers ; le secours spirituel de Nos prières va aux victimes touchées par la mort ; l'expression de Notre reconnaissance et de Notre encouragement va aux autorités, soucieuses immédiatement d'apporter l'aide et le remède dans des catastrophes aussi imprévues et aussi bouleversantes ; elle va aussi aux volontaires, hommes et associations, qui se prodiguent avec une rapidité généreuse et audacieuse pour dispenser les services réclamés par une triste situation ; elle va aux jeunes spécialement qui, encore en cette occasion, ont offert généreusement leur action vigoureuse et ordonnée ; à Notre cher clergé piémontais va l'éloge et l'encouragement pour cette charité pratique et ce ministère spirituel déployés dans cette pénible circonstance. Notre coopération, modeste mais cordiale, par l'intermédiaire de l'OEuvre pontificale d'assistance et Notre faible contribution personnelle (peut-être plus symbolique que réelle quand on songe à la proportion des besoins) envoyée aux évêques des diocèses particulièrement atteints, dira la sincérité de Nos sentiments et de Notre présence paternelle.


De la solidarité humaine à la charité


La référence à cet événement douloureux se rattache à un enseignement fondamental de notre éducation chrétienne qui a reçu plusieurs appellations, comme celui cher aux anciens, de pitié, de commisération, de clémence (cf. Seneca, De clementia, II) ou celui plus commun, plus habituel, de compassion, de condoléance, ou comme celui, tant usé aujourd'hui, de solidarité, qui sont tous résumés dans le terme immensément large et significatif, de charité.

Ce n'est pas en vain que nous partons de cette conjoncture actuelle, pour réfléchir d'une manière générale sur le progrès de l'idée de solidarité dans le monde moderne. On se rappellera peut-être le discrédit jeté sur le mot et l'idée de la compassion (Mitleid), répandue par les idéologies dominantes au début de la seconde guerre mondiale ; au contraire, nous pouvons nous réjouir tous, pomme d'un vrai progrès de l'humanité, en remarquant qu'aujourd'hui le monde est devenu très sensible à la solidarité, même si elle est souvent diversement interprétée et appliquée. La solidarité, qui unit les hommes entre eux, constitue le ciment qui lie les sociétés modernes, qu'elles soient particulières, nationales ou internationales. Et ce qui frappe très favorablement est l'observation que, même avant de se rendre compte de l'identité de la nature humaine, la solidarité se fonde ordinairement sur un malheur considéré comme commun, en réalité ou en puissance. Elle se base sur un besoin commun, sur une condition commune de danger, d'intérêts, de souffrances. La douleur unit plus que le plaisir. Plus personne aujourd'hui n'est honteux de nourrir des sentiments de compassion pour celui qui est dans la douleur, dans l'indigence, dans l'incapacité de subvenir à ses besoins pour vivre ou survivre ; même les grands idéaux qui agissent dans le monde se glorifient d'être mus par le respect et la justice envers le malade, l'affamé, le pauvre, le sous-développé, l'homme enfin privé de ce qui est nécessaire pour vivre et pour jouir de la plénitude des droits, que l'égalité de nature et la communauté de destins devraient assurer à tout être humain et à tout groupe familial ou social, légitimement constitué.

Cette disposition générale de l'esprit moderne et de l'opinion publique est louable et riche de promesses. Elle laisse bien augurer de l'avenir de l'humanité et nous devons, comme chrétiens, la faire nôtre et la favoriser. On pourrait faire une étude sur l'influence que le christianisme a exercée et exerce encore, dans le progrès des sentiments et des habitudes de la solidarité humaine. Mais laissons cette étude aux enquêtes des savants. Du reste, il importe plus pour nous que la solidarité humaine s'élargisse, se développe, se fortifie, plutôt que de rechercher les mérites spécifiques de notre religion à ce sujet. Il nous suffira d'observer sommairement que la conception universelle de la nature et du destin de l'homme, d'où naît la conception de la solidarité la plus étendue, est une conception typiquement chrétienne ; et celui qui le fait comprendre, le renforce de motifs supérieurs et indestructibles, l'applique avec une fécondité et une efficacité que seule la charité peut engendrer, c'est le christianisme. Le christianisme dans son expression première et authentique, c'est-à-dire le catholicisme.


L'enseignement du Concile


Qui sait accueillir les idées et les informations du récent Concile n'a pas de peine à noter la répétition de l'idée de communion entre les hommes, soit qu'on parle du lien communautaire qui unit les fidèles, soit qu'on l'étende dans de plus larges applications à la réalité et à l'espérance oecuménique, soit enfin que l'on considère le rapport dynamique entre l'Eglise et le monde. On se rappelle le début de la grande Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps, magnifique prélude d'un concert que l'histoire présente et future fera résonner au nom du service, de la collaboration, de la fraternité et de la paix : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur coeur ».

Nous devons approfondir cette leçon de l'Eglise dans nos âmes, spécialement lorsque les conditions de l'humanité sont le besoin et la souffrance ; et nous devons donner au monde le témoignage de la charité propre à l'Eglise, c'est-à-dire de la présence continue et agissante du Christ sur la terre, avec notre plus sincère solidarité, dans les sentiments, en partageant la souffrance et l'attente du prochain, dans le service, en offrant adhésion, travail et dons aux initiatives de bienfaisance existantes, qu'elles soient proches ou lointaines par l'esprit, réconfortant avec gentillesse les faibles et les besogneux et invoquant l'intervention mystérieuse, mais réelle et souverainement efficace, de cette Providence qui transforme même nos maux à notre avantage et ouvre la voie à des secours et à des réconforts, imprévus et plus élevés.

Faisons nôtre aussi cette expérience en montrant comment notre foi sait agir à travers la charité (
Ga 5,6). Avec Notre Bénédiction Apostolique.




13 novembre 1968 : DEVANT LES NOUVELLES EXPRESSIONS DE L'ATHEISME NOTRE FOI DOIT SE FORTIFIER DANS UNE RECHERCHE PERMANENTE

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Chers Fils et Filles,



Permettez-Nous de vous faire une demande: savez-vous où vous vous trouvez ? Vous êtes dans un monde très particulier, non seulement par le cadre extérieur, qui vous accueille et vous entoure, non seulement par la rencontre qui se fait avec Notre humble personne ; mais surtout par la singularité du fait qu'il vous est donné de considérer non seulement la possibilité mais aussi la réalité du véritable, du vivant, du salutaire, en un sens, de l'unique rapport avec Dieu. Ici la religion, que nous professons et que nous retenons comme valable, a son expression centrale, sociale et authentique. Ici notre foi a son affirmation la plus pleine et la plus massive. Ici Dieu est connu, ici Dieu est présent. Parce qu'ici se trouve l'Eglise dans son coeur, ici est le Christ dans son pouvoir actif de salut. Nous ne disons pas que cette présence est exclusive, ni qu'elle soit parfaite par la force des hommes ou des choses ; Nous disons que, ici, les raisons historiques, institutionnelles, concrètes, humaines, et également mystiques, propres à l'Eglise, atteignent leur plénitude, leur intensité maximale ; pour celui qui y croit, elles provoquent l'émotion de l'émerveillement et de la joie ; pour qui n'y croit pas, ces raisons prennent l'aspect d'un phénomène étrange, étonnant, difficilement définissable et facilement critiquable, mais toujours impressionnant.


Formes modernes de l'athéisme


Fixons un moment l'attention sur une seule observation : ici Dieu est chez lui. Les paroles de la Genèse reviennent à la mémoire : « Que ce lieu est terrible, il n'est autre que la maison de Dieu et la porte du ciel » (
Gn 29,17), c'est-à-dire que tout ici parle de ce Dieu dont on dit, dehors, dans le monde profane, spécialement dans un certain secteur excentrique et agité de la pensée moderne, qu'il est mort. Aucune contradiction n'est plus violente, ni plus sacrilège que celle qui jaillit entre ces deux termes : Dieu et la mort, s'ils sont considérés dans leur signification objective, l'Etre et le néant, la vie et sa négation, l'absolu et l'absurde, le nécessaire et l'inconsistant, la vérité et sa réduction à rien, le bonheur et le désespoir. Mais nous savons que ce « slogan » malheureux s'applique, dans le langage de la culture, à son contenu subjectif, c'est-à-dire à la pensée de l'homme, qui ne sait plus donner un sens, une valeur au nom ineffable de Dieu. Dieu serait mort dans la mentalité de l'homme. Ce n'est pas le soleil qui s'est éteint, c'est l'oeil de l'homme qui s'est obscurci.

L'indifférence religieuse est à la mode. La sécularisation est admise par beaucoup, comme un processus de pensée, qui trouve en lui-même et dans la connaissance des choses une autonomie qui le dispense de faire référence à un principe supérieur et transcendant, appelé Dieu. La métaphysique, dit-on, est finie. L'athéisme fait appel à la science pour s'affirmer comme une libération, comme une conquête. La connaissance de Dieu, soutient-on, est impossible, de plus elle est inutile, même nocive (cf. Marlé, Etudes, Nov. 1968). L'homme moderne ne semble plus capable de penser à Dieu, et croit pouvoir mieux organiser sa vie et celle de la communauté humaine en oubliant, en taisant, en niant le nom de Dieu, et on démontre qu'il est mort dans la pensée, la phycologie, les besoins de l'homme. Il faut lire ce que le Concile nous enseigne sur cette absence de la pensée de Dieu, de la foi en Dieu chez l'homme moderne, ce sont des pages sérieuses, denses et douloureuses (Gaudium et spes, GS 19 GS 20). L'athéisme contemporain, écrit un théologien connu, se présente comme une interprétation, une explication finale, qui est, selon les cas, triomphale, désespérée ou sereine, soit qu'elle tende pratiquement vers le collectivisme ou l'anarchie, soit qu'elle mette l'absolu dans l'homme ou la nature, ou encore qu'elle refuse tout absolu... soit qu'elle s'arroge la fonction de révéler le sens profond des problèmes (cf. De Lubac, Athéisme et sens de l'homme, 30, 31).


L'Eglise témoigne d'un Dieu vivant


Nous vous disons ces choses parce qu'elles sont dans l'air que nous respirons tous et afin que vous puissiez remarquer le paradoxe que vous rencontrez là où l'Eglise, à n'importe quel niveau d'authenticité, et ici d'une manière plus caractéristique et représentative, témoigne et n'hésite pas à affirmer, hier comme aujourd'hui, que pour elle Dieu n'est pas mort, continue d'affirmer, sans crainte et dans la joie, la proclamation, avec Pierre, du Christ, Fils du Dieu vivant, et à célébrer avec une bienheureuse certitude la gloire de Dieu.

Il en est qui trouvent étrange cette voix toujours vivante, et qui vont jusqu'à présager qu'elle ne durera pas, ou qu'elle s'alignera sur l'équivoque théologie de l'incrédulité moderne, du « post-christianisme », d'un certain nihilisme philosophique contemporain. Par la grâce du Seigneur, qui protège son Eglise à travers les siècles, ce n'est pas cette funeste prophétie qui nous effraye, même si elle se répandait dans une certaine partie de l'humanité, infidèle à sa vocation de vérité et de vie.

Ce qui Nous donne à penser, c'est la difficulté croissante de communiquer aux hommes notre message religieux. Sous certains aspects, de grande importance et de grande diffusion dans la psychologie moderne, l'homme d'aujourd'hui est moins disponible à l'idée et à la vie religieuse qu'hier! Ce n'est pas la réalité divine qui a diminué, c'est la mentalité humaine qui, aujourd'hui, est moins apte à en accueillir le rayonnement et la voix. L'homme moderne a, plus que celui du passé, le besoin et la capacité d'entrer en contact avec le mystère de Dieu, mais il a moins que dans le passé la facilité de rencontrer et d'admettre ce mystère nécessaire et inéluctable, car il a élargi le domaine d'étude et d'observation de son intelligence, il a étendu extrêmement son expérience sensible ; il est donc tenté de se sentir satisfait de ce qu'il connaît scientifiquement et sensiblement, même si cette propriété, plus étendue, de la pensée et de la sensibilité, en ce moment décisive pour la conscience humaine, augmente, par les exigences intrinsèques de sa réalité et les limites toujours plus lointaines de ses frontières, le désir d'une connaissance suprême, inutilement calmée par les tranquillisants affinés du scepticisme philosophique, moral ou littéraire.


Rechercher Dieu en permanence


Mais, Nous demanderez-vous, le choc est-il irréductible entre l'enseignement religieux de l'Eglise et le monde incroyant contemporain, entre l'invitation éternelle et invaincue qu'elle offre de Dieu et le doute et la négation religieuse de notre époque ? Entre la croyance rationnelle ou révélée en Dieu et l'athéisme, qu'il soit théorique ou pratique, de notre temps ? Dans les doctrines, oui ; la contradiction existe ou plus exactement des contraires sont en présence; cette opposition est le fond sur lequel se joue aujourd'hui le drame spirituel, et donc aussi historique et politique, de notre temps. Les doctrines sont inconciliables, par elles-mêmes ; les idéologies, comme on dit, sont radicalement différentes. Mais la vérité, quand elle est complète et comprise, est unique; c'est-à-dire, la discussion — le dialogue — est possible ; l'évolution des idées fausses et incomplètes est dans la logique interne des idées elles-mêmes et répond à l'exigence profonde des hommes qui la professent.

Mais ici, fils très chers, fils de la lumière, c'est ainsi que nous voulons vous appeler, fils du jour, et non de la nuit et des ténèbres, comme dit saint Paul (1Th 5,5), une vérité élémentaire et fondamentale est à rappeler : Dieu est caché (cf. Is 45,15). De nombreux signes, de nombreuses voies, de nombreux aiguillons nous parlent et nous conduisent au seuil de son ineffable réalité, mais il est vrai que, dans cette vie présente, nous le voyons dans un miroir, dans le mystère : « per speculum in aenigmate » (1Co 13,12) ; la connaissance rationnelle que nous pouvons avoir de Dieu est acquise par voie de démonstration, ce qui comporte une discipline simple, mais rigoureuse, de la pensée, et on ne rejoint Dieu que par la négation des limites et la sublimation des notions des perfections créées que nous pouvons Lui appliquer ; la voie de la foi est plus plénière, plus sûre, plus vivante, mais encore privée de la vision directe et béatifiante que nous espérons avoir un jour dans Son infinie vérité. Le silence de Dieu, a-t-on pu dire d'une caractéristique de la littérature contemporaine (cf. Moeller) ; Il ne se fait pas entendre à notre oreille, mais se fait écouter et chercher par d'autres moyens.

Et alors un nouveau devoir nous appelle, celui de jouir de la connaissance que nous avons déjà de Dieu, et un second, celui de Le chercher, de Le chercher avec passion, où, comment et quand Il veut se laisser rencontrer. Et c'est le sens profond de notre vie présente, une veille vigilante pour guetter et attendre la lumière. Qu'à cela vous dispose notre Bénédiction Apostolique.




20 novembre 1968 : DEVOIR DE LA RECHERCHE PERMANENTE DE DIEU

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Chers Fils et Filles,



Ecoutez cette simple et étonnante parole: nous devons chercher Dieu ! Pourquoi le chercher ? Oh ! Comme il serait long de bien répondre à cette question! Nous devrions tout d'abord réfléchir sur ce fait fondamental que la vie est une recherche : tous les hommes cherchent quelque chose. L'amour, qui caractérise et remplit la vie de l'homme, est une recherche. Lai vie est définie et mesurée d'après ce qu'elle recherche. Aujourd'hui plus que jamais, l'homme est à la recherche de choses nouvelles, d'une nouvelle plénitude. L'anxiété, qui est une des particularités de l'activité de notre temps, n'est qu'une recherche prenante, ardente, toujours plus intéressante, plus féconde, et, en même temps plus problématique, plus difficile et souvent plus décevante. Chercher, chercher, c'est le programme de la culture, de la science, du travail, de la politique. Plus on trouve et plus on cherche. Plus on trouve, plus on désire et on espère trouver. C'est le signe qu'il manque toujours quelque chose à l'homme, qu'il veut et doit toujours chercher. Rien ne lui suffit. S'il avait tout, il chercherait encore, parce que l'homme est ainsi fait : il doit grandir, il doit conquérir, il doit continuellement étendre ses connaissances. Même si la sagesse le persuade de se contenter de peu dans la possession de quelques biens, de rechercher et de désirer la possession de biens supérieurs, ceux de l'esprit par exemple.



Nécessité d'une recherche permanente


Mais parlons maintenant de la recherche de Dieu ! La première raison en est tout à fait évidente. Parce qu'il est caché. « Dieu n'est pas une invention, mais une découverte » (Zundel, Recherche du Dieu inconnu, 7). Saint Paul dans son célèbre discours à l'aréopage d'Athènes, tire son argumentation du « Dieu inconnu » (
Ac 17,23). Ne pourrions-nous pas, nous disciples du Christ et de l'Eglise éducatrice, prétendre connaître déjà — et combien ! — le nom, le mystère, la réalité du Dieu vivant ? Oui et non : ceci est important. Nous devons être satisfaits de la science immense, éclairante, béatifiante que notre doctrine religieuse nous offre sur l'ineffable nom de Dieu ; mais nous devons toujours nous rappeler que ce que nous ignorons de Dieu est beaucoup plus vaste que ce que nous savons de Lui. Par notre esprit seulement, nous pouvons nous unir à Dieu comme à un Etre inconnu, et « tandis que nous arrivons à savoir ce que Dieu n'est pas — nous enseigne saint Thomas —, ce qu'il est dans son essence personnelle nous reste entièrement inconnu » (Contra Gentes, SCG 3,49) ; et de plus, un concile oecuménique (celui du Latran IV - cf. Denz. Sch. DS 806 - olim 432) nous rappelle « qu'entre le Créateur et la créature on ne peut pas établir de ressemblance sans remarquer que la dissemblance est encore plus grande ». Dieu doit toujours être cherché ; Dieu est toujours à découvrir : sans fin il est à chercher, parce que sans fin il est à aimer, « sine fine quaerendus, quia sine fine amandus » ; et même « amore crescente inquisitio crescat inventi », à mesure que l'amour croît, la recherche de celui qu'on a trouvé augmente aussi, dit toujours saint Augustin (Enarr. in Ps. 104,3 PL. 37,1392).


Obstacles et objections


Mais, nous, hommes de ce temps, nous nous insurgeons ; à quoi sert de chercher Dieu, un Dieu aussi caché ? Le peu que l'on en sait ou que l'on croit en savoir ne suffit-il pas ? Ne vaut-il pas mieux appliquer notre esprit à l'étude des choses plus proportionnées à notre faculté de connaître : la science, la psychologie, donc le monde et l'homme ? C'est la grande objection de la mentalité contemporaine, tout entière tendue vers des connaissances rationnelles et expérimentales, et qui croit qu'elles suffiront à la recherche insatiable de l'esprit humain. Elle croit même devoir fixer une fois pour toutes cette limite à la pensée et à l'expérience humaine moderne ; ce qui peut être admis comme critère méthodique appliqué à une utilisation déterminée de l'esprit humain dans la mesure où il ne ferme pas l'horizon à une recherche plus vaste, plus profonde et plus nécessaire. Le Concile nous l'enseigne plusieurs fois (cf. GS 36 GS 59 GS 19 AA 7 etc.).

Mais ce critère, qui fixe le domaine propre de la raison naturelle, s'affirme dans notre culture, en théorie et en pratique, avec des prétentions excessives, parce qu'il érige en dogmes négatifs ses prérogatives légitimes ; et il bloque facilement le progrès de la recherche, et fait de ce qu'on appelle la sécularisation, un sécularisme, de l'activité laïque, un laïcisme, de la science critique et positive une démythisation systématique et un néo-positivisme avec des tendances purement phénoménologiques (cf. le structuralisme), de l'étude profane une désacralisation agressive. C'est-à-dire qu'il tend à réduire le domaine de la culture aux limites des possibilités utiles et pratiques, à enlever de tout le champ du savoir et de l'action humaine la pensée de Dieu, à fermer les yeux sur le mystère de sa réalité propre qui ne peut être supprimée, à affaiblir l'effort « religieux », à empêcher le processus ascendant de l'esprit et à étouffer les aspirations innées et profondes de l'homme par des réponses inadéquates, limitant son horizon aux choses externes et sensibles, au niveau valable, mais fermé et insuffisant, des biens temporels, lui donnant l'illusion d'un bonheur précaire et insuffisant.

On oublie que l'homme, dans tout son être spirituel, c'est-à-dire dans ses possibilités suprêmes de connaissance et d'amour, est lié à Dieu, est fait pour Lui. Toute conquête de l'esprit humain fait croître en lui l'inquiétude, éveille le désir d'aller au-delà, d'arriver à l'océan de l'être et de la vie, à la pleine vérité, qui seule donne la béatitude. Enlever Dieu au terme de la recherche vers laquelle l'homme tend de par sa nature signifie la mortification de l'homme même. Ce qu'on appelle la « mort de Dieu » se résout dans la mort de l'homme.


Un témoignage


Nous ne sommes pas seuls à affirmer une si triste vérité. Voici un témoignage qui fut laissé par un écrivain d'avant-garde très cultivé, exemple très malheureux de la culture moderne (Klaus Mann, fils de Thomas). Il écrivait : « Il n'y a pas d'espérance. Nous, intellectuels, traîtres ou victimes, nous ferions bien de reconnaître que notre situation est absolument désespérée. Pourquoi nous faire des illusions ? Nous sommes perdus ! nous sommes vaincus ! La voix qui prononça ces paroles — poursuit ce témoignage —, une voix un peu voilée mais pure, harmonieuse et étonnamment suggestive — était celle d'un étudiant en philosophie et lettres, que j'avais rencontré par hasard dans la vieille cité universitaire d'Upsal. Ce qu'il avait à dire était intéressant, et était d'ailleurs caractéristique : j'ai entendu des déclarations analogues d'intellectuels dans tous les coins d'Europe... Et il ajouta avec une voix qui n'était plus du tout sûre : nous devrions nous laisser aller au désespoir absolu » ... (Le Pont. 1949, 1463-1464).


Notre devoir


Fils très chers, pour nous, il n'en est pas ainsi. La recherche n'est ni arrêtée par les conceptions matérialistes ou agnostiques de la mentalité contemporaine, ni déçue de son insatisfaction permanente. Pour nous, elle est toujours un devoir qui porte ses fruits. La raison, soutenue par la foi, et la foi par la grâce, marchent sans trêve vers le Dieu invisible (cf. S. Augustin, De videndo Deo, Ep. 147, PL. 33, 596 ss.) ; et ce cheminement a pour pôle, de diverses manières, le but central de notre vocation humaine et chrétienne (cf. S. Benoit : si vere Deum quaerit... Reg. RB 58). Dans notre itinéraire continu et pénible vers la Vérité, qu'est la Vie, la recherche a un dynamisme propre qui la restaure et la rafraîchit, à travers la découverte amorcée : « On cherche Dieu, dit encore saint Augustin, pour le trouver plus suavement, et on le trouve pour le chercher encore plus avidement : quaeritur ut inveniatur dulcius, et invenitur ut quaeratur avidius (De Trin. 15, 2 ; PL 42, 1058).

Mais comment faire, Nous demanderez-vous ? Mon propos deviendrait encore plus difficile et plus long ! On pourra peut-être y revenir, un autre jour. A cette heure, que vous suffise un avertissement, qui Nous fit une impression à la fois grave et agréable, quand Nous l'avons lue, il y a déjà bien des années, sur une photographie d'une rue très animée d'une grande ville néerlandaise ; une grande bande, suspendue au-dessus du trafic fébrile de la rue, d'une maison à l'autre, portait, en grands caractères, ces paroles : pensez à Dieu. Qu'il est étrange mais combien sage, ce rappel au milieu du mouvement affairé et profane de la vie moderne. Pensons à Dieu. Il est toujours proche. Nous en avons toujours besoin. La rencontre, troublante et heureuse, est toujours possible: oui, pensons à Dieu. Avec Notre Bénédiction Apostolique.



27 novembre 1968 : CONNAISSANCE DE DIEU ET RAISON

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Chers Fils et Filles,



Comment fait-on pour connaître Dieu ? C'est la grande question qui tourmente l'esprit moderne. C'est une question aussi ancienne que l'histoire de l'homme ; mais aujourd'hui elle tourmente l'homme parce que le progrès de la connaissance humaine a rendu plus exigeant le besoin de donner à cette question une réponse satisfaisante par rapport aux habitudes de notre mentalité, c'est-à-dire de notre raison critique et scientifique et par rapport au rôle que joue, dans notre connaissance, l'expérience sensible. Maintenant se vérifie le fait que notre processus de connaissance semble rencontrer, et en pratique rencontre, plus de difficultés à atteindre Dieu qu'il n'en rencontrait par le passé, quand la connaissance de Dieu était admise et présupposée normalement dans toute forme de pensée; alors qu'aujourd'hui la connaissance de Dieu n'est pas un principe indiscutable, mais une conclusion finale de la pensée elle-même; arriver à cette conclusion est chose difficile. On dirait que nous sommes devenus plus intelligents et plus instruits, et, en même temps moins religieux, c'est-à-dire moins capables d'arriver à Dieu.


L'attitude athée


Devrons-nous renoncer à cette conquête ? L'athéisme contemporain répond : nous devons renoncer. Cette réponse qui semble si simple, produit un tel vide dans la pensée et la vie de l'homme qu'elle suscite des problèmes nombreux et graves au point de troubler la confiance dans la pensée elle-même comme dans le sens positif de la vie. Ceux qui croient pouvoir fonder un humanisme sur l'athéisme deviennent en réalité les prophètes d'un nihilisme qui rend tout gratuit, instable, irrationnel et qui supplée ces carences par des notions empiriques ou insuffisantes, par des systèmes arbitraires et violents, et ensuite par des conclusions pessimistes, révolutionnaires et désespérés. Et le grand absent, Dieu, devient le cauchemar de celui qui demande à son esprit la vérité. Nous en trouvons le témoignage dans la littérature : « Dieu m'a tourmenté pendant toute la vie » dit, par exemple, un personnage d'un célèbre romancier russe (cf. Dostoïevski).


La raison nous mène à Dieu


Vous savez que l'Eglise, elle, ne renonce pas à la conquête de Dieu. Elle ne nie pas à l'esprit humain la capacité d'arriver à la connaissance de Dieu par la raison aussi, même si ce n'est pas sans efforts et sans ombres. L'Eglise reste ferme, même si elle doit rester seule (cf. Newman) à revendiquer pour la raison cette suprême possibilité. Il faut lui rendre honneur pour cela, du moins pour cette défense de la raison, alors que si souvent on accuse l'Eglise d'obscurantisme et de fidéisme. La foi nous donne certainement de Dieu une connaissance bien plus entière et bien plus facile par elle-même, mais la foi même, affirme notre doctrine, ne peut faire abstraction de l'usage normal et vigoureux de la raison. Le Concile Vatican I a canonisé sous cet aspect la raison naturelle (cf. Denzinger-Sch.
DS 3015 ss.).

Oh ! Quel domaine illimité d'études ! (cf. L'oeuvre encore valable de Garrigou-Lagrange : Dieu, Beauchesne, 1919). Ce n'est certainement pas ici que nous le pénétrerons ! Il nous suffit de faire quelques remarques modestes, mais peut-être non superflues. La première est celle-ci. Quand nous nous posons la question de la connaissance rationnelle de Dieu, nous oublions facilement que cette question a un double aspect; nous pouvons demander à notre raison de nous dire si Dieu existe ; et à cette demande, notre raison, dans la mesure où elle reste fidèle à ses lois, répond : oui. Dieu existe; et elle nous en donne la certitude ; mais si nous demandons à notre raison de nous dire qui Il est, elle devient très timide et modeste, et nous laisse insatisfaits. En niant ce que Dieu n'est pas et ce qu'il ne peut être, en cherchant à sublimer quelques notions propres à l'Etre, elle nous élève, mais dans une région où elle trouve plus le mystère que la science, plus le désir que la possession. Qui se laisse entraîner sur les ailes de la spéculation théologique et de la contestation mystique vers ce mystère, se rend compte qu'il se rapproche d'une plénitude spirituelle qui surpasse les conditions présentes de notre vie temporelle et qui touche à l'immortalité (cf. Sg 15,3) : « Te connaître est racine d'immortalité » ; et Jésus nous dira : « cela est la vie éternelle, Te connaître Toi seul vrai Dieu et celui que Tu nous as envoyé Jésus » (Jn 17,3). Il n'y a pas de plus grande invitation offerte à la méditation humaine que celle-là (cf. Lessius : De perfectionibus moribusque divinis, Lethielleux 1912).


Usage et limites de la raison


Mais la question demeure : comment faire pour avancer dans les sentiers aussi inaccessibles ? Et voici une autre observation, élémentaire mais capitale : il suffit de bien user de la raison « secundum perfectum usum rationis », disait saint Thomas (II-II 45,2). C'est-à-dire, il suffit de bien raisonner. Et cela, tous, même ceux qui n'ont pas fait d'études, peuvent le faire ; et même souvent les simples, les enfants, les petites gens, les coeurs purs spécialement, ont une logique naturelle plus saine et plus concluante que ceux qui dans le développement de la raison en ont violé ou oublié certaines exigences. Aujourd'hui, c'est ce qui arrive à beaucoup de penseurs qui, contestant à la pensée certaines de ses lois, certains de ses principes premiers et évidents, ne lui permettent plus de dépasser les limites entre lesquelles Dieu ne peut être rejoint. Une connaissance amoindrie de la vérité ne peut comprendre la suprême Vérité qui est Dieu. Il serait logique ici de faire allusion aux fameuses cinq voies, toujours valables si elles sont bien comprises, que la théologie scholastique indiquait comme celles qui peuvent porter la raison à une connaissance certaine, même si elle est obscure, de Dieu. Mais l'homme d'aujourd'hui ne veut pas en entendre parler, même si, parfois sans s'en rendre compte, il les utilise d'une certaine manière, surtout la cinquième qui révèle l'existence de la nécessité (cf. Galilée, Dial. I journée) d'un ordre, d'une finalité, d'une intelligence dans les choses (cf. Danusso) ; voies qui conduisent, au-delà de l'expérience scientifique à reconnaître en elles une Présence pensante et créatrice, plus profondément intérieure. Ces voies, l'homme quelquefois les parcourt à rebours pour arriver à la découverte de ce qui manque aux choses, la privation d'une propre raison d'être, d'une propre cause suffisante (cf. Sartre).

Il y a aujourd'hui beaucoup de gens, même bien pensants, surtout des jeunes, qui craignent que l'idée de Dieu ne vienne à s'obscurcir et à se dissoudre sous la pression de la nouvelle mentalité née du contact scientifique avec le monde, par le sentiment de force et de liberté que l'homme semble éprouver lorsqu'il ne se sent plus assujetti à des principes absolus et transcendants (cf. J. M. Aubert, Recherche scientifique et foi chrétienne). Mais cette crise peut se résoudre moyennant une purification continue de l'idée même de Dieu et de son culte, quand on met en relief ce qu'elle doit être vraiment, une idée toujours en progrès, toujours nécessaire, toujours féconde, toujours vivante (cf. Guardini, le Dieu vivant) ; ou bien aussi quand on veut soumettre à de nouvelles analyses les procédés de notre pensée (cf. B. Varisco, Dall'Uomo a Dio, Cedam, Padova, 1939 ; De Lubac, Sur les chemins de Dieu, Aubier, 1956). Elle peut encore se résoudre d'une autre manière, en portant logiquement le monde matérialiste et athée à ses conséquences fatales, qui appellent finalement Dieu pour ne pas tomber dans des conceptions monstrueuses et catastrophiques de pseudoabsolus et de formes de vie inhumaine. Ce cri douloureux et étonné devra un jour s'élever vers Dieu du monde moderne, devenu maître des choses et lourdement esclave d'elles ; ce sera un jour grandiose, de guérison et de poésie, quand Dieu apparaîtra tel qu'il est pour nous « principe de l'existence, raison de la pensée, loi de l'amour » (saint Augustin, contra Faustum, 20, 7 ; PL. 42, 372) ; l'éternel nouveau, le verbe silencieux, la présence invisible, l'abîme joyeux, le principe total, l'Etre vivant.

Courage, fils très chers ; ce n'est pas impossible, ce n'est pas difficile ; avec un peu d'effort, en hommes véritables, en humbles chrétiens, en pensant à Dieu nous le cherchons, en l'aimant nous le trouvons. Courage, avec notre Bénédiction Apostolique.


Salutations:


Chers Fils et Filles,

La visite que fait en ce moment à Rome votre Secrétariat Général de l’A.C.I. française s’inscrit dans une tradition de fidélité à l’Eglise qui vous conduit vers le successeur de Pierre et ses collaborateurs, à la fois pour vous «ressourcer», - comme l’on dit parfois chez vous - et pour apporter au centre de l’Eglise l’écho de ce qui se vit dans les Milieux Indépendants de votre Pays.

Ce dialogue entre les apôtres laïcs, leurs aumôniers et la Hiérarchie Catholique est vital pour l’Eglise où est à l’oeuvre l’Esprit- Saint, donné à tous dans des vocations différentes pour faire grandir le Corps du Christ dans «la cohésion et l’unité» (Ep 4,16).

Votre fidélité à l’Eglise est pour vous la source d’une générosité et d’une audace apostolique toujours renouvelées, alimentées par l’appel du Concile et par les innombrables appels qui montent de votre milieu lui-même, de toutes les personnes qui le composent. Toutes vous sont confiées en effet pour que vous les aimiez de l’amour que leur portent le Christ et l’Eglise, et pour que vous leur apportiez l’espérance à laquelle beaucoup aspirent en cette époque de «remise en question».

Parmi elles, beaucoup de riches, de responsables, de notables, de qui le Christ veut faire d’authentiques serviteurs du bien commun.

Parmi elles aussi beaucoup de pauvres, de «blessés de la vie» que risque de faire oublier le mythe de la réussite selon le monde.

Parmi elles enfin beaucoup de «pauvres dans la foi» à qui le Christ peut apporter sa richesse et sa joie, si parmi eux vivent d’authentiques témoins de l’Evangile. C’est à tous et à toutes que l’Eglise vous envoie.

Confiant ces intentions à la Vierge de Lourdes, auprès de qui vous tiendrez l’an prochain votre Congrès National, Nous vous accordons de tout coeur, chers Fils et Filles, à vous, à vos familles, à votre mouvement tout entier, Notre paternelle Bénédiction Apostolique.





Catéchèses Paul VI 61168