Catéchèses Paul VI 19668

19 juin 1968 : POUR UNE FOI VIVANTE

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Chers Fils et Filles,



Comme vous le savez, à la fin de ce mois s'achève l'« année de la foi », l'année que nous avons dédiée à la mémoire du XIX° centenaire du martyre des saints Apôtres Pierre et Paul, pour honorer non seulement leur souvenir, mais aussi pour renforcer notre engagement à l'égard de l'héritage qu'ils nous ont laissé par la parole et le sang, notre foi. Ils nous resterait encore beaucoup de choses à dire sur ce sujet dont nous avons étudié quelques aspects au cours de ces audiences hebdomadaires. Nous en ajouterons encore une, en forme d'exhortation, la plus obvié qui se puisse faire : agissez en sorte que votre foi soit vivante.


Y a-t-il une foi morte ?


Cette recommandation soulève une question : que peut être une foi morte ? Oui, hélas il peut y avoir une foi morte. Il est clair que la négation de la foi, soit objectivement — quand sont niées ou délibérément altérées des vérités que nous devons garder par la foi —, soit subjectivement — quand consciemment et volontairement diminue notre adhésion à notre Credo —, éteint la foi et avec elle la lumière vitale et surnaturelle de la divine révélation dans nos âmes. Mais il est un autre aspect négatif par rapport à la vitalité de la foi, et c'est celui qui prive la foi elle-même de son développement naturel, la charité, la grâce : le péché qui enlève la grâce dans l'âme peut laisser survivre la foi mais dans l'inefficacité par rapport à la vraie communion avec Dieu, comme en léthargie.

Rappelez-vous la parole de saint Paul : la foi agit par la charité (
Ga 5,6). Les théologiens disent que la charité est le complément de la foi, c'est-à-dire sa définition dernière qui la détermine et la dirige efficacement à son terme qui est Dieu, cherché, voulu, aimé, possédé à travers l'amour. C'est ainsi que « la charité est dite être la forme de la foi dans la mesure où à travers la charité l'acte de foi s'unifie et se complète » (S. Thomas II-II 4,3). Il y a un troisième aspect négatif qui paralyse et stérilise la foi, c'est le manque de son expression morale, son affirmation dans l'action, son explicitation dans l'oeuvre. C'est l'Apôtre saint Jacques qui le rappelle comme dans une polémique sous-entendue avec la thèse de la suffisance de la foi seule pour notre salut : « la foi sans les oeuvres est morte » (Jc 2,20).


Les altérations de la foi


Il y aurait ensuite à traiter de la longue série des défauts qui peuvent offenser la foi et lui enlever cette vitalité qui doit lui être reconnue et conférée. Nous n'en ferons que la liste, mais nous inviterons nos consciences à s'examiner sur quelques points faibles, caractéristiques dans le domaine de la foi. Le premier est l'ignorance. Le baptême nous a donné la vertu de la foi, c'est-à-dire la capacité de la posséder et de la professer en référence à notre salut et avec un mérite surnaturel ; mais il est clair qu'une vertu s'atrophie si elle n'est pas exercée selon ses possibilités ; et le premier exercice est la connaissance des vérités qui forment l'objet de la foi. Cette connaissance peut avoir des phases diverses qui peuvent se classer ainsi : l'acceptation et l'annonce du message chrétien, le « kérygme », jusqu'à son développement naturel dans la catéchèse, et enfin dans l'approfondissement théologique et la contemplation. Ce qu'il importe de noter pratiquement c'est la nécessité d'une connaissance sérieuse et organique de la foi — qui manque trop souvent à beaucoup — qu'ils soient chrétiens ou non; cela est intolérable dans une société où la culture a une place prédominante et où la facilité de recevoir des informations est pour ainsi dire à la portée de tous. Il est douloureux de noter, au contraire, chez nous, le manque d'une connaissance même modeste, mais claire et cohérente : le catéchisme paroissial est généralement déserté, l'enseignement religieux dans les écoles n'atteint pas souvent ses objectifs, dont le premier est de faire pénétrer chez les élèves la conviction raisonnable que la religion est la science fondamentale de la vie ; les livres religieux sont négligés ou introuvables ; c'est pourquoi la connaissance de notre foi est imparfaite, incomplète, superficielle et exposée aux objections courantes qui trouvent une prise facile sur l'ignorance répandue. Nous répondons : ne ignorata damnetur (cf. C. Colombo, La cultura teologica del clero e del laicato. Relaz. alla Conferenza Episcop. Ital., 1967).

Un autre point est le fameux « respect humain », c'est-à-dire la réticence, la honte, la peur de professer sa propre foi. Nous ne parlons pas de la discrétion ou de la pudeur qui sont nécessaires dans une société pluraliste et profane comme la nôtre, pour des manifestations de nature religieuse. Nous parlons de la faiblesse, de la dénégation de ses propres idées religieuses par peur du ridicule, de la critique ou des réactions d'autrui. C'est le cas, triste et célèbre de saint Pierre dans la nuit de la capture de Jésus. C'est le défaut courant des enfants, des jeunes, des opportunistes, des personnes sans caractère ni courage. C’est la cause, principale peut-être, de l'abandon de la foi pour celui qui se conforme au milieu nouveau dans lequel il se trouve.

Nous devrons dire à ce sujet quelque chose sur la force du milieu dont on subit l'influence et qui impose à des masses entières de gens de penser et d'agir selon la mode, selon les courants dominants de l'opinion publique, selon des formes idéologiques dominantes qui se diffusent parfois comme des épidémies implacables. Le milieu, facteur très important pour la formation de la personnalité, s'impose lui-même comme une exigence conformiste qui la domine. Le conformisme social est une des forces qui soutiennent en certains cas, qui étouffent en d'autres le sentiment et la pratique religieuse (cf. Jacques Leclercq, Croire en Jésus Christ, Casterman 1967, pp. 105 et suivantes). Un autre point mériterait d'être expressément relevé, celui qui unit la foi à la vie, à la vie de pensée, à la vie d'action, à la vie de sentiment, à la vie spirituelle comme à la temporelle. C'est un point d'extrême importance. On en parle toujours ; justus ex fide vivit ; le chrétien, pourrions-nous traduire, vit de la foi, selon sa propre foi ; elle est un principe, une règle, une force de la vie chrétienne. Vivre avec la foi, et non de la foi, ne suffit pas ; même cette coexistence peut constituer une grave responsabilité et une accusation : le monde lui-même la lance à l'homme qui se dit chrétien et ne vit pas en chrétien. Pensons-y bien.


Le Christ source de la Foi personnelle et consciente


Arrêtons-nous ici, mais demandons-nous : comment ferons-nous pour avoir une foi vivante ? Nous pouvons dire que la confiance dans le Magistère de l'Eglise, l'amour des idées justes de la foi, la pratique religieuse méthodique et sage, l'exemple de bons et courageux chrétiens, la pratique individuelle ou collective de quelque oeuvre d'apostolat nous aideront à garder éclairée et vivante notre foi. Et nous devons garder à l'esprit deux observations : la première nous avertit que la foi doit être pour nous un fait personnel, un acte conscient, voulu, profond ; cet élément subjectif de la foi est aujourd'hui très important. Il a toujours été nécessaire parce qu'il fait partie de l'acte authentique de foi mais il était souvent remplacé par la tradition, le climat historique, les habitudes collectives ; aujourd'hui il est indispensable. Chacun doit exprimer avec grande conscience et grande énergie sa propre foi. Et la deuxième observation nous rappelle que la foi a sa source en Jésus Christ. Elle est une rencontre, pouvons-nous dire, personnelle avec lui. Lui est le maître. Lui est le sommet de la révélation. Lui est le centre où se rencontre et d'où jaillit toute la vérité religieuse nécessaire à notre salut. C'est Lui qui donne autorité à l'Eglise enseignante, en Lui notre foi trouve joie et sécurité, trouve la vie. Qu'il en soit ainsi pour vous tous avec notre Bénédiction Apostolique.




26 juin 1968 : IDENTIFICATION DES RELIQUES DE SAINT PIERRE

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Parlant le 26 juin dans la Basilique Saint-Pierre, au cours de l'audience habituelle du mercredi, Paul VI a annoncé que les restes humains du prince des Apôtres avaient été authentifiés. Les conclusions archéologiques et scientifiques connues, à ce jour, sont suffisamment formelles, pour qu'une telle affirmation puisse être formulée. Intervenant au terme de l'Année de la Foi, cette grande nouvelle est pour toute l'Eglise un « signe » susceptible d'aviver en chacun des chrétiens et sa Foi personnelle et sa fidélité au Siège de Pierre.



Chers Fils et Filles,



A la fin de l'Année de la Foi que Nous avons dédiée à la mémoire du XIX° centenaire du martyre, subi à Rome, au nom du Christ, par les saints Apôtres Pierre et Paul, Nous devons adresser notre salut à ces héros du christianisme qui peuvent être considérés, comme le disait déjà, à la fin du premier siècle, le Pape Saint Clément I, troisième successeur de St Pierre — et donc 4e évêque du siège romain — comme « les plus grandes et les plus authentiques colonnes de l'Eglise de Dieu pèlerine à Rome » (1 CO 5) et qui furent toujours honorés ensemble comme les fondements apostoliques de l'Eglise Romaine et Universelle.

Ce n'est pas le moment de faire leur panégyrique ni de disserter sur les questions historiques relatives à leur venue ou à leur martyre dans cette ville, ni de parler du développement donné par Rome et la chrétienté tout entière au culte de ces incomparables témoins du message et du fait chrétien ; il ne s'agit pas davantage d'examiner comment il se fait que leur mémoire a toujours été associée en un seul souvenir (cf. S. Ignace aux Rom. 4), encore que, selon St Ambroise, Pierre soit le fondement de l'Eglise quand Paul en est l'architecte, le constructeur (De Spiritu Sancto, II, 3, 158 ; P.L. 16, 808) ; c'est-à-dire que les fonctions qu'ils ont exercées dans la communauté chrétienne de Rome furent différentes : l'un évêque, Saint Pierre ; l'autre prédicateur de l'Evangile, Saint Paul, même si tous les deux, comme l'affirme saint Irénée, sont à l'origine de la tradition hiérarchique dans l'Eglise de Rome (Contra haereses, III, 3 ; P.G. 7, 848-849).

Au cours de cette brève rencontre, ce qui nous importe c'est d'exciter dans nos coeurs l'amour, la vénération, la fidélité envers ces apôtres qui sont à l'origine de l'Eglise Romaine à laquelle ils ont laissé l'héritage de leurs paroles, de leur autorité et de leur sang, sous des formes diverses, comme l'écrivait saint Léon le Grand : « electio pares, et labor similes, et finis fecit aequales », identiques par leur élection pour l'apostolat, semblables par l'oeuvre accomplie, égaux par leur martyre (Sermo 82, 7 ; P.L. 54-428) ; mais l'un revêtu du pouvoir du règne des cieux, l'autre de la science des choses divines ; l'un pasteur, l'autre docteur. Cette intensité de sentiments est admise et confortée en nous, par les traces historiques et locales de leur passage.

Ni les Romains, et pas davantage ceux qui viennent à Rome ne peuvent oublier ces références humaines et matérielles à la mémoire des Apôtres « per quos religionis sumpsit exordium », par qui notre vie religieuse connut son commencement (Collecte de la Messe). Rappelons-nous le premier témoignage littéraire de ce culte. Eusèbe de Césarée, le Père de l'histoire ecclésiastique, écrit : « on raconte que Paul fut décapité par lui (Néron) et Pierre crucifié à Rome; les monuments marqués au nom de Pierre et Paul en sont la confirmation ; ils sont visibles jusqu'à aujourd'hui dans les cimetières de la vieille Rome. Du reste, Gaius, un ecclésiastique qui vivait au temps de l'évêque de Rome, Zéphyrin (199-217), dans un écrit contre Proclus, chef de la secte des montanistes, parle des endroits où furent déposées les dépouilles sacrées de ces apôtres ; il s'exprime ainsi : je peux te montrer les trophées des apôtres; si tu veux aller au Vatican, ou sur la voie d'Ostie, tu trouveras les trophées des fondateurs de cette Eglise » (Hist. Eccl. II, 25 ; P.L. 20, 207-210).


Antiques souvenirs et enquêtes récentes


On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de ces trophées ; il ne fait aucun doute que, par trophées, on veuille désigner les tombes des deux apôtres martyrs ; ces tombes, avant même le témoignage de Gaius — par conséquent déjà au second siècle — étaient devenues objets de vénération. Dernièrement, l'attention des savants s'est fixée sur le trophée érigé au dessus de la tombe de Saint Pierre, appelé trophée de Gaius. Cet intérêt passionné a eu son origine dans les fouilles que le pape Pie XII ordonna d'exécuter sous l'autel central — dit « de la Confession » — dans la basilique Saint-Pierre. Ces fouilles avaient pour but de mieux identifier la tombe de l'apôtre, au dessus de laquelle est construite la basilique. Les recherches, très difficiles et délicates, furent poursuivies entre les années 1940 et 1950, aboutissant à des résultats archéologiques de très grande importance ; ils sont connus de tous et sont dus aux savants réputés et aux ouvriers qui se sont consacrés à cette recherche ardue avec un soin digne d'éloges et de reconnaissance. Dans son radiomessage de Noël 1950 (23 décembre), Pie XII s'exprime ainsi : « La question essentielle est la suivante : la tombe de Saint Pierre a-t-elle été réellement retrouvée ? A cette question, la conclusion finale des travaux et des études répond : oui. La tombe du Prince des Apôtres a été retrouvée. Une deuxième question subordonnée à la première, concerne les reliques du saint. Ont-elles été retrouvées ? » (Discorsi e Radiom. XII, 380). La réponse donnée alors par le Souverain Pontife était d'attente et de doute.

De nouvelles recherches — très patientes et très minutieuses — furent faites ensuite, qui ont abouti à des résultats que nous croyons positifs, ce jugement s'appuyant sur l'avis d'experts compétents et prudents : les reliques de Saint Pierre ont également été identifiées d'une manière que l'on peut considérer comme convaincante et nous rendons hommage à ceux qui ont réalisé cette étude très attentive, au prix d'un travail considérable.

Les recherches, les vérifications, les discussions ne sont pas terminées pour autant. Mais, en ce qui nous concerne, au stade actuel des conclusions archéologiques et scientifiques, ce Nous est un devoir de vous annoncer et d'annoncer à l'Eglise cette heureuse nouvelle : car nous devons honorer les reliques saintes, authentifiées par des preuves sérieuses ; elles furent, un temps, membres vivants du Christ, le temple de l'Esprit Saint, destinés à une résurrection glorieuse (cf. Denz.
DS 1822) ; et dans le cas présent, il nous faut être d'autant plus prompts dans notre joie que nous avons toute raison de croire que l'on a retrouvé les restes mortels — réduits mais sacro-saints — du Prince des Apôtres, de Simon fils de Jonas, du pêcheur appelé Pierre par le Christ, de celui qui fut choisi par le Christ comme fondement de l'Eglise, à qui le Seigneur a confié les clefs de son royaume, avec la mission de paître et de réunir son troupeau, l'humanité rachetée, jusqu'à son retour final et glorieux.

Fils très chers, nous invoquons le martyr, apôtre, évêque de Rome et de l'Eglise catholique, Pierre, et, avec lui, Paul, le missionnaire, l'Apôtre des Nations, celui qui a affirmé avec plus de force l'universalité du message chrétien, afin que tous deux soient nos maîtres et nos protecteurs dans le ciel, pendant notre pèlerinage terrestre.

Puisse la Bénédiction Apostolique, dont l'origine est apostolique, être pour vous la source des plus abondantes grâces du Seigneur Jésus.



3 juillet 1968 : L'UNITE ENTRE LA FOI ET LA VIE

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Dans le discours qu'il a prononcé, au cours de l'audience générale du 3 juillet, Paul VI a voulu tirer quelques enseignements de l'Année de la Foi clôturée trois jours plus tôt, en dégageant les obligations qu'entraînent, pour chacun de nous, notre adhésion au Credo.



Chers Fils et Filles,



Vous avez certainement su, ou du moins eu l'écho, de la profession de foi par laquelle nous avons conclu formellement et solennellement l'année de la foi : mais une conclusion de ce genre pourrait mieux s'appeler le début, non d'une autre année avec le même thème, mais des conséquences qu'elle voudrait produire et qui sont sans nombre et sans fin. Une profession de foi ne peut être qu'un résumé, un « symbole », comme on dit dans le langage théologique traditionnel, une formule, une « régula fidei », qui contient les principales vérités de la foi, en termes d'autorité, mais autant que possible condensés et raccourcis. Depuis la fin de l'antiquité chrétienne, c'est une synthèse des dogmes fondamentaux de l'enseignement doctrinal, que les candidats au baptême devaient apprendre à réciter par coeur ; l'usage de cette méthode didactique commença probablement à Rome, nous en avons le témoignage, au troisième siècle dans ce qu'on appelle la « tradition apostolique » d'Hippolyte, où l'on trouve une forme d'interrogatoire, encore en usage dans la liturgie du baptême (cf. Denz
DS 10) ; on croyait que ce texte remontait aux apôtres, d'où l'appellation de « symbole des apôtres » et il jouissait d'un grand crédit. Saint Ambroise nous en rappelle l'authentique tradition quand il parle de « quod Ecclesia Romana intemeratum semper custodit et servat », « ce que l'Eglise Romaine a toujours gardé et conservé » (Ep. 42,5 P.L. 16,1174). Le Concile de Nicée en 325 le reprit et l'amplifia; c'est celui que nous récitons ou chantons à la messe, avec les modifications du premier Concile de Constantinople, en 381, avec la fameuse addition du « filioque », suggérée manifestement par l'empereur Henry II, et accueillie par le Pape Benoît VIII (a. 1014), également admise ensuite par l'Eglise grecque au 2ème Concile de Lyon (1274) et au Concile de Florence (1439). (Cf. DS 125 DS 150).

Saint Augustin, commentant la formule ambrosienne (qui est d'ailleurs le symbole des apôtres), conclut : « ceci est la foi à retenir en quelques mots dans le Symbole qu'on donne aux nouveaux chrétiens » (De fide et symb. n. 25 ; P.L. 40, 196).


Etudier et approfondir


Tout ceci pour dire qu'une profession résumant les vérités de la foi exige une étude, un développement, un approfondissement ; c'est le devoir de tous les croyants ; et ceux d'entre eux qui savent passer des formules du catéchisme à un exposé plus complet et plus organique des vérités de la foi, des paroles arides au développement doctrinal, et, encore mieux des expressions verbales à quelque intelligence réelle de la vérité elle-même, éprouvent joie et étonnement à la fois ; la joie de la richesse et de la beauté des vérités religieuses, et l'étonnement devant leur profondeur et leur amplitude, que notre intelligence sait entrevoir mais non mesurer : c'est la plus grande expérience que notre pensée puisse faire. Et ceci est aussi la tâche des professeurs, des théologiens, des prédicateurs auxquels cet instant historique de l'Eglise offre une mission merveilleuse, celle de pénétrer, de purifier, d'exprimer les énoncés de la foi en termes nouveaux, beaux, originaux, vécus, compréhensibles, les trésors toujours identiques et immuables de la révélation, « dans la même doctrine, dans le même sens, dans la même pensée », comme le disait le Concile Vatican II (cf. Vincent de Lér., Commonitorium, 28, P.L. 50, 668; et Conc. Vat. I, De fide cath., IV, dans Alberigo etc. Conc. Occ. decreta, p. 785).

Un travail, par conséquent, qui, peut-on dire, recommence, c'est-à-dire fait suite à l'affirmation de la foi, que l'année qui vient de s'achever nous a donné l'heureuse occasion de proclamer. Nous devons nous remettre tous à une étude sérieuse de notre religion, et nous espérons que dans chaque pays il y aura une nouvelle floraison originale de littérature religieuse.


Vivre la parole de Dieu


Mais il y a une autre conséquence qui ressort d'une profession de foi, et c'est la cohérence de la vie avec cette même foi. Nous ne donnerons jamais assez d'importance à cette cohérence entre la vie et la foi. Il ne suffit pas de connaître la parole de Dieu, il faut la vivre. Connaître la foi, et ne pas l'appliquer dans la vie serait d'un illogisme grave et entraînerait une grande responsabilité. La foi est un principe de vie surnaturelle et en même temps, un principe de vie morale. La vie chrétienne naît de la foi, elle profite de la naissante communion qu'elle établit entre nous et Dieu, elle fait circuler sa pensée infinie et mystérieuse dans la nôtre, elle nous prépare à cette communion vitale, qui unit notre existence à peine créée avec l'être incréé et infini qui est Dieu. Mais en même temps elle introduit dans notre intelligence et dans notre action un engagement, un critère spirituel et moral, un élément qui marque notre conduite: elle nous fait chrétiens. Il faut toujours se rappeler la formule de l'Apôtre : iustus ex fide vivit, le Chrétien, pourrions-nous traduire, vit de la foi (Rm 1,17 Ga 3,11 He 10,38).

Nous traiterons maintenant de cet aspect de notre religion : comment rendre notre vie conforme à notre foi ? Comment pouvons-nous nous imaginer le type moderne du croyant ? Quelle est la vocation du fidèle aujourd'hui, quand il veut prendre au sérieux les conséquences de son propre credo ? Nous nous souvenons tous que le récent Concile a proclamé : « l'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur forme de vie », et ajoute : « dans la société terrestre elle-même cette sainteté contribue à promouvoir plus d'humanité dans les conditions de l'existence » (Lumen Gentium LG 40). Cette affirmation conciliaire concernant la vocation de tous et de chacun à la sainteté, correspond aux « formes diverses de vie et aux charges différentes » de chacun. Il est d'une importance capitale : « chacun, poursuit le Concile, doit résolument avancer, selon ses propres responsabilités, dons et ressources, sur la voie d'une foi vivante, génératrice d'espérance et de charité (ibid. LG 41). C'est pourquoi on ne devrait plus voir de chrétien qui ne remplit pas les devoirs de son élévation comme fils de Dieu, frère du Christ, et membre de l'Eglise. La médiocrité, l'infidélité, l'incohérence, l'hypocrisie devraient disparaître de l'image du croyant moderne. Une génération envahie par la sainteté, telle devrait être la caractéristique de notre temps. Non seulement nous irons à la recherche d'un saint unique et exceptionnel, mais nous devrons créer et promouvoir une sainteté du Peuple de Dieu, exactement comme, dès le début du christianisme, le voulait saint Pierre, écrivant ses paroles célèbres : « vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple ; aujourd'hui vous êtes le peuple de Dieu » (1P 2,9-10).


Est-il possible encore d'être chrétien ?


Réfléchissons bien. Est-il possible d'atteindre un pareil but ? Ne sommes-nous pas dans le monde du rêve ? Comment un homme normal, à notre époque, pourrait-il conformer sa propre vie à un idéal authentique de sainteté, dans la mesure où on peut le modeler sur les exigences honnêtes et légitimes de la vie moderne ? Comment est-ce possible, aujourd'hui, quand tout est contesté, quand on refuse de faire dériver de la tradition les règles propres à guider la génération nouvelle, quand la transformation des coutumes est si forte et évidente, quand la vie en société absorbe et domine les individus, quand tout est sécularisé et désacralisé, quand personne ne sait plus quel est l'ordre constitué et celui qui doit être constitué, quand tout est devenu problème, quand on n'accepte plus qu'aucune autorité normale suggère des solutions raisonnables dans la ligne de l'expérience historique éprouvée ?

Il ne faut pas fermer les yeux à la réalité idéologique et sociale qui nous entoure ; nous ferions même mieux de la regarder en face avec une courageuse sérénité. Nous pourrons en tirer beaucoup de conclusions favorables à nos principes en face de l'humanisme privé de la lumière de Dieu. Mais maintenant il nous faut répondre à la demande que nous nous sommes posée, et que nous ferons bien de répéter dans nos consciences : un homme peut-il, aujourd'hui, être vraiment chrétien ; un chrétien peut-il être saint (au sens biblique du terme) ; notre foi peut-elle être vraiment un principe de vie concrète et moderne ? Un peuple, une société, au moins une communauté, peuvent-ils encore s'exprimer dans des formes authentiquement chrétiennes ?


Le Christ lumière du monde et notre vie


Voici, fils très chers, une bonne occasion pour traduire en acte notre foi immédiatement. Nous répondons par l'affirmative. Rien ne doit nous effrayer, ni nous arrêter. N'est-elle pas de sainte Thérèse d'Avila cette parole : Nada te espante : que rien ne t'effraie ? Répétons-nous les paroles de saint Paul aux Romains : « Si tu confesses par la parole le Seigneur Jésus et si dans le coeur tu crois que Dieu l'a ressuscité de la mort, tu seras sauvé ». Voilà notre guide. Dans la mer perfide et agitée du monde présent, que notre route soit conduite par le guide suprême, Jésus-Christ. Lumière du monde et de notre vie. Il fait pénétrer immédiatement dans le coeur deux certitudes fondamentales sur Dieu et sur l'homme ; l'une et l'autre à poursuivre dans un don total d'amour. S'il en est ainsi, nous n'avons plus peur de rien. « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? la tribulation, ou l'angoisse, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou la persécution, ou l'épée ?... dans toutes ces choses nous sommes plus que des vainqueurs par l'oeuvre de celui qui nous a aimés », dit encore saint Paul (Rm 8,35-37).

Vous commencez à voir comment la foi peut avoir une influence déterminante et positive, sur notre psychologie d'abord, et sur notre vie pratique ensuite. Mais ce discours devient long. Nous l'arrêtons ici, espérant que vous saurez le continuer vous-mêmes dans votre conscience. Avec Notre Bénédiction Apostolique.




10 juillet 1968 : RELIGION VERTICALE ET RELIGION HORIZONTALE

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Chers Fils et Filles,



Qu'attendez-vous aujourd'hui de Notre parole ? Vous savez qu'après avoir proclamé notre foi catholique, ancienne et toujours nouvelle, parce que toujours vivante et vraie, nous en sommes à chercher le rapport qu'elle doit avoir avec notre pensée et notre conduite. C'est-à-dire que nous cherchons l'influence qu'elle doit avoir sur notre vie, les exigences qu'elle réclame, les stimulants qu'elle nous offre, le style qu'elle imprime à notre personnalité.

Etudions maintenant la question sous son aspect individuel.

Nous avons déjà rappelé la grande loi établissant que la foi est un principe de vie, soit dans le sens transcendant et mystérieux de l'insertion surnaturelle initiale de la présence et de l'action de Dieu en nous, soit dans le sens de l'inspiration morale, dérivant de vérités de foi, soit encore dans le mode de juger la variété multiple et complexe des valeurs de notre monde intérieur, ainsi que du monde extérieur (ce mode de juger étant inspiré par la foi).

Comment un homme moderne, un chrétien de notre temps, un fidèle sensible à la voix du Concile doit-il se situer en face de sa foi ? Comment se posent aujourd'hui à notre conscience les deux termes « foi et vie », étant supposé le préalable d'un désir de sincérité personnelle fondamentale, et disons-le, d'un désir de perfection ?

La réponse exigerait la solution d'une autre question primordiale : comment faire pour croire aujourd'hui ? Nous ne traitons pas, en ce moment, de la genèse de la foi, problème immense, qui, cependant, peut être considéré, pour vous, croyants, comme déjà résolu.

Limitons notre examen à une question plus simple, mais toujours grave : la foi est-elle une possession de Dieu ou une recherche de Dieu ?

Elle est d'abord une possession : le croyant est déjà possesseur de quelques vérités suprêmes, dérivées de la parole de Dieu ; il est déjà gardien de quelques révélations qui l'ont envahi et qui le dominent ; il est déjà bénéficiaire de quelques certitudes qui donnent à son esprit plénitude et force, en même temps qu'un désir de les exprimer, de les célébrer, et qui alimentent en lui une merveilleuse vie intérieure. Pour le Croyant, la foi est semblable à une lumière qui dissiperait l'obscurité et la confusion internes : il voit cette lumière, c'est-à-dire la réalité divine, entrée dans son esprit, et par la vertu de cette lumière, il perçoit sa conscience, il perçoit aussi tout ce qui l'entoure, sa place dans le monde et le monde lui-même. Tout prend un sens et se révèle à sa juste valeur. Et l'on ne peut nier que cette première vision soit magnifique, encore qu'elle découvre des hauteurs inaccessibles, des profondeurs ténébreuses, des abîmes insondables, et aussi d'humbles choses concrètes déjà connues, mais désormais perçues dans leurs vraies dimensions. Telle est la réalité de la foi, même si le sens du mystère s'accroît justement à travers la découverte initiale de la réalité dont nous vivons, et au sein de laquelle se trouve notre être, surpris.


Recherche constante de la vérité


Mais nous devons faire attention : cette possession de la foi loin d'exclure une recherche ultérieure, la réclame. Notre possession de Dieu dans cette vie n'est jamais complète : elle n'est qu'un début, une première étincelle, invitant à la conquête d'une lumière plus intense. C'est là une règle bien connue de notre formation religieuse, même pour nous, catholiques, qui avons le privilège de nous appuyer sur des formules de foi fixes et sûres. Nous ne sommes pas dispensés, pour autant, de l'effort d'une recherche toujours en progrès et d'une connaissance toujours meilleure des choses divines. Ceux qui font de la religion et de la contemplation leur aliment le savent bien. C'est une pensée sur laquelle Saint Augustin revient souvent : « amore crescente inquisitio crescat inventi », « en même temps que l'amour, grandit la recherche de celui que nous avons trouvé (Enarr. In PS 104 P.L. 37,1392) ; et encore : « invenitur ut quaeratur evidius », « nous trouvons Dieu pour le chercher avec un plus grand désir » (De Trin. XV, 1 ; P.L. 42, 1068). La foi n'est pas un aboutissement, c'est un chemin vers la vérité divine. Le croyant est un pèlerin qui marche vers Dieu, sur la bonne route.

Mais aujourd'hui nous devons tenir compte d'un double phénomène qui arrête notre vision sereine du monde religieux et spirituel, phénomènes, l'un et l'autre, très graves et répandus.

Le premier est l'athéisme qui prétend affranchir l'homme de la soi-disant aliénation religieuse. « Nier Dieu dit le Concile,... est présenté comme une exigence du progrès scientifique ou d'un nouveau type d'humanisme » (G.S.,
GS 7). Nous ne parlons pas maintenant de ce phénomène triste et impressionnant. Celui qui veut en connaître les expressions multiples peut consulter une oeuvre de valeur, dont deux volumes sont déjà publiés : « L'athéisme contemporain » (S.E.I. 967 et 1968) ; deux autres volumes sont en préparation, grâce à l'initiative de deux Salésiens compétents et qualifiés, les Pères Girardi et Miano, et de plusieurs autres savants de valeur. Qu'il suffise d'observer que l'athéisme n'est pas admissible dans la perspective de l'homme réel, complet et bon, tel que nous cherchons à le définir, même si l'athéisme prétend édifier une morale qui mérite une analyse profonde (cf. Fabro, Introd. all'ateismo moderno, Ed. Studium 1964).


Dieu principe premier et fin ultime de la religion


Disons plutôt un mot, un seul, de l'autre phénomène qui se rencontre également dans les milieux qui s'appellent religieux et chrétiens : le phénomène de la religion anthropocentrique, c'est-à-dire orientée vers l'homme comme principal sujet d'intérêt, alors que la religion doit être, par sa nature, théocentrique, c'est-à-dire orientée vers Dieu comme vers son principe et sa fin première, et ensuite vers l'homme, considéré, cherché, aimé, en fonction de son origine divine et des rapports, comme des devoirs, qui découlent. On a parlé de religion verticale et de religion horizontale ; c'est cette seconde qui prévaut, aujourd'hui, chez celui qui n'a pas la vision souveraine de l'ordre ontologique, c'est-à-dire réel et objectif, de la religion. Voulons-nous nier, pour autant l'importance que la foi catholique attribue à l'homme, la sollicitude qu'elle lui porte ? Hors de nous cette pensée ! Encore moins voulons-nous ralentir cet intérêt qui, pour nous chrétiens, est une source d'obligations permanente et primordiale : rappelons-nous bien que nous serons jugés sur l'amour effectif que nous aurons porté à notre prochain, spécialement à celui qui est dans le besoin, qui souffre et qui est déshérité (cf. Mt 25,31 ss.). Il n'y a pas de mesure dans ce domaine. Mais nous devons toujours avoir présent à l'esprit que l'amour du prochain est aussi l'amour de Dieu. Celui qui oublierait la raison pour laquelle nous devons nous dire frères des hommes, et qui est une commune paternité de Dieu, pourrait, à un moment donné, ne plus se rappeler les devoirs très graves d'une telle fraternité, et pourrait découvrir dans le prochain, non plus un frère mais un étranger, un concurrent, un ennemi. Donner, dans le domaine religieux, le primat à une tendance humanitaire fait courir le danger de transformer la théologie en sociologie et d'oublier la hiérarchie fondamentale des êtres et des valeurs : « Je suis le Seigneur ton Dieu... tu n'auras pas d'autre Dieu que moi » (cf. Ex 20,1 ss) ; cela dans l'Ancien Testament; et dans le nouveau, le Christ nous enseigne : « Aimer Dieu,... c'est le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : tu aimeras le prochain comme toi-même » (Mt 22,37-39).

Il ne faut pas oublier que la priorité donnée à l'intérêt sociologique sur le théologique proprement dit peut engendrer un autre inconvénient dangereux : celui d'adapter la doctrine de l'Eglise à des critères humains, mettant au second plan les critères intangibles de la révélation et du magistère ecclésiastique. On peut admettre que le zèle pastoral attribue une préférence pratique à la considération des besoins humains — qui apparaissent si souvent graves et urgents — et encourager cette préférence, à condition que cette considération ne comporte pas une dégradation ou une dévaluation de la prééminence et de l'authenticité de l'orthodoxie théologique.


La charité règle de la vie sociale


La foi acceptée et pratiquée n'est pas une démission devant les devoirs de la charité ni devant les nécessités urgentes d'ordre social ; elle est plutôt l'inspiratrice et la force de ces devoirs. Elle en est aussi la sauvegarde, face à la tentation de retomber dans le « temporalisme » c'est-à-dire la prédominance des intérêts temporels dont, aujourd'hui plus que jamais, on voudrait que la religion soit débarrassée. Elle est aussi la sauvegarde de la tentation plus grave encore de vouloir instaurer un nouvel ordre social, sans la charité mais avec la violence, par la substitution d'un pouvoir égoïste et oppresseur à un autre jugé imprévoyant ou injuste.

Une morale sans Dieu, un Christianisme sans Christ, un humanisme sans l'authentique conception de l'homme, ne nous conduisent pas à bon port. Que notre foi nous préserve de semblables et fatales erreurs et que, dans la recherche de la perfection personnelle et sociale, elle soit notre lumière et notre éducatrice.

C'est ce que Nous voulons souhaiter avec Notre Bénédiction.






Catéchèses Paul VI 19668