Catéchèses Paul VI 23671

23 juin 1971 VIVRE SELON L’ESPRIT DANS L’EGLISE

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Chers Fils et Filles,



Après Vatican II, nous avons constaté chez un grand nombre d’hommes et surtout parmi les jeunes, le ferme désir d’orienter leur vie selon des principes fortement spiritualistes, c’est-à-dire leur volonté de vivre en chrétiens, en chrétiens authentiques.


Recherche d’authenticité


Cette volonté, cette inspiration nous conduisent à constater que la nouvelle génération dévoile les défauts, les incohérences, les hypocrisies, les désordres, les injustices de la société. Ces prises de position sont ce que l’on appelle aujourd’hui la contestation. Ce phénomène renferme une exigence morale, parfois juste et humaine, pas toujours méprisable. C’est là que la conscience entre en jeu mais, hélas, tous n’y font pas appel. Limitons-nous à ne considérer que l’aspect positif de ceux qui veulent donner à leur vie une orientation sincèrement chrétienne. Cet appel à la conscience ennoblit leur conduite qui mérite d’être encouragée. C’est ainsi que l’on voit renaître un peu la sympathie pour les héros classiques qui ont préféré sacrifier leur vie plutôt que de trahir leur conscience. Et cette fière attitude est d’autant plus appréciée qu’elle reflète et réalise parfois jusqu’au paradoxe, la présence agissante de l’homme en lui-même, c’est-à-dire l’affirmation intérieure de sa liberté : la conscience prépare l’homme à son autodétermination, à l’usage de sa liberté ; ce comportement louable enseigne à l’homme à être homme.


Dieu, règle suprême


Mais la critique, la conscience et la liberté ont besoin d’une lumière intérieure, celle de la raison qui, par un processus parfois instantané, parfois lent et pénible, introduit dans le développement moral un autre facteur indispensable, l’obligation, le devoir, la nécessité d’établir un rapport avec une exigence, un impératif, une loi, un ordre extérieur ou intérieur qui révèle à son tour un principe supérieur et absolu, notre bien, le Bien infini, transcendant, c’est-à-dire Dieu. L’action humaine acquiert ainsi toute sa valeur morale, elle devient pleinement responsable, bonne ou mauvaise selon le bien vers lequel nous sommes essentiellement mais librement orientés.

Aujourd’hui, les hommes ne poussent pas volontiers leur réflexion jusque-là. Ils ne veulent pas entendre parler de sainteté ni de péché ; ils refusent de voir leurs actions mesurées à la règle suprême du bien et du mal : Dieu. Ils préfèrent et s’efforcent de restreindre leur responsabilité à l’horizon personnel et social, au niveau de l’homme.


Dans l’Eglise


Certains, à la recherche de l’authenticité de la vie chrétienne n’agissent pas ainsi. Souvent ils en appellent à d’autres considérations, vraies, mais à condition d’être intégrées dans la pleine réalité chrétienne. Il faut vivre selon l’Esprit, disent-ils. Nous en avons déjà parlé mais il est bon d’approfondir l’examen de ces paroles de St. Paul : « Nous devons vivre selon l’Esprit » (cf.
Ga 5,25). Ce principe, en effet, peut les conduire à des conclusions inexactes : une est inadmissible, celle qui prétend les affranchir du Magistère ecclésiastique, soit dans l’interprétation de l’Ecriture Sainte — c’est ce qu’on appelle le « libre examen » — soit dans le refus d’obéir au gouvernement pastoral de l’Eglise et de se conformer à la communion vécue dans la société ecclésiale.


La loi nouvelle


Nous admettons donc que notre vie chrétienne doit être modelée et inspirée par cette chose nouvelle qu’est la grâce, action du Saint-Esprit dans nos âmes, unies à la vie du Christ. Tel est l’aspect essentiel de la « loi nouvelle », celle de l’Evangile, qui passe dans l’Eglise. Ecoutez ces paroles de St. Thomas, elles nous surprennent sur les lèvres du Grand Docteur : « La loi nouvelle consiste principalement dans la grâce du Saint-Esprit, elle est écrite dans le coeur des fidèles... La loi évangélique... est la grâce même du Saint-Esprit » (ST. thomas, I-II 106,1-2).

Nouveauté, liberté, spiritualité, définissent l’authenticité de la vie chrétienne. Vivre dans la grâce de Dieu, voilà notre premier devoir et nous pouvons l’accomplir en observant le précepte du Christ : « Aimer Dieu et son prochain » (Mt 22,37). Réfléchissez bien : vivre ne veut pas dire seulement être mais aussi agir ; notre manière de vivre devrait sourdre de la présence mystérieuse et agissante de Dieu en nous (Jn 14,23), une présence que le chrétien authentique et fidèle écoute et interroge pour tirer, des paroles méditées de la révélation divine, une réponse éclairante et réconfortante (cf. Dei Verbum, DV 7).


Richesse intérieure


Cette richesse intérieure, cette force ne sont pas seulement des dons réservés aux âmes contemplatives privilégiées d’une rencontre avec la Parole du Seigneur mais ils sont accessibles à tout chrétien en recherche d’authenticité.

Devrions-nous peut-être nous ranger parmi ces charismatiques modernes qui prétendent puiser leurs inspirations d’une de leurs expériences religieuses intimes ? Nous répondons : Prudence ! C’est ici que s’ouvre l’un des chapitres les plus difficiles de la vie spirituelle, celui du « discernement des Esprits ». Dans ce domaine, l’équivoque est très facile et l’illusion ne l’est pas moins. Tant de maîtres en ont parlé (cf. st. ignace, scaramelli, card. bona, etc., D. Th. C. IV, 1375, 1415). Nous pouvons nous contenter de relire le chapitre 54 du 3ème livre de l’Imitation de Jésus-Christ et apprendre ainsi humblement à distinguer en nous le langage de la grâce. Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

C'est avec joie que Nous accueillons ici ce matin un groupe de professeurs et d’élèves de la Faculté de théologie orthodoxe de Salonique. Chers amis, soyez les bienvenus! A travers vous, ce sont nos frères de la vénérable Eglise qui est en Grèce que Nous saluons, avec estime et bienveillance. Et comment ne pas évoquer tout spécialement la chère communauté chrétienne de Thessalonique, que fonda l’apôtre Paul et à qui il dédia deux de ses plus chaleureuses épîtres, avant de venir ici, à Rome, apporter la Bonne Nouvelle de Jésus et donner, comme Pierre, le suprême témoignage de son amour et de sa foi? Avec lui, Nous formons ce voeu: «Que le Dieu de la paix vous sanctifie lui-même tout entiers» (1Th 5,23). Vous êtes professeurs et étudiants en théologie, c’est-à-dire les uns et les autres des chercheurs: Nous vous encourageons à scruter la parole de Dieu et la Tradition vivante de l’Eglise, pour y discerner le dessein d’amour de notre Dieu, en Jésus-Christ notre Sauveur, et répondre aujourd’hui, avec tous vos frères, aux appels de l’Esprit Saint. Avec vous, Nous prions de tout coeur le Seigneur d’aplanir les obstacles qui se dressent encore sur la route de la pleine unité. Et Nous implorons sur vous tous, comme sur ceux qui vous sont chers, sa féconde Bénédiction.


30 juin 1971: LE PAPE EST POUR TOUS

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Chers Fils et Filles,



Cette audience est la première célébrée dans cette nouvelle salle.

Nous inaugurons ainsi ce beau et grand local que nous avons voulu faire construire pour deux raisons : pour libérer la basilique Saint-Pierre de l’affluence devenue habituelle d’une foule hétérogène et remuante qui assiste à nos audiences générales et pour offrir à nos visiteurs une salle plus accueillante et plus adaptée.

Cette inauguration, comme vous le voyez, n’a pas un caractère officiel ni solennel, mais ordinaire et familier. Nous ouvrons simplement la salle qui sera destinée spécialement, à l’avenir, aux audiences nombreuses, à la visite des pèlerins, des fidèles et des touristes qui veulent nous rencontrer. Et nous sommes heureux de vous y présenter, à vous tous, notre premier et cordial salut.

A la fin de l’audience, nous bénirons le nouvel édifice et vous aussi qui êtes les premiers à en expérimenter l’accueil. Mais l’aspect particulier de cette salle, grande et moderne, nous oblige à en faire le sujet de nos paroles qui ne perdront pas cependant leur but religieux habituel.


La nouvelle salle d’audience


Nous devons en effet exprimer notre satisfaction à l’architecte Pier-Luigi Nervi, auteur de cette construction. Nous-même, en prévoyant les dimensions proportionnées au but, nous l’avons encouragé, au début, à « oser », sachant bien qu’il avait le talent et la capacité pour une telle entreprise. Le voisinage de la basilique Saint-Pierre exigeait, non pas une velléité d’émulation, mais qu’il s’engagerait à tenter une oeuvre qui ne soit ni mesquine ni banale, qui tiendrait compte de son emplacement privilégié et de sa destination idéale. Ce n’est pas l’amour de la puissance et du faste qui ont inspiré le plan du nouvel édifice ; vous voyez qu’ici rien ne dénonce un orgueil du monument ou la vanité de son ornementation ; mais l’exigence des choses et encore plus des idées qui se réalisent ici demande des pensées hautes et inspirées de qui se tient à cette place et des conceptions non moins grandes et hardies en celui qui devait en exprimer les dimensions.


L’humble personne du Pape au service d’un plan immense


Nous sommes de petites créatures et d’humbles chrétiens et nous ne devons jamais abandonner la conscience de cela, mais nous sommes au service d’un plan immense et même infini, d’une pensée divine dont nous sommes les ministres pour son expression dans le temps et dans les choses : les destins transcendants de l’humanité, l’unité de la foi dans le monde, l’extension universelle de la charité, l’humilité victorieuse de l’Evangile et de la Croix, la gloire de Dieu et la paix du Christ... nous obligent à sentir, comme dit saint Paul « quels trésors de gloire renferme l’héritage de Jésus-Christ parmi les saints et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous les croyants » (cf.
Ep 1,18-19) ; vérités qui doivent fermenter dans nos esprits et leur donner l’audace propre à l’art chrétien de s’exprimer dans des signes grands et majestueux. Nous espérons donc que quelque stimulant à de telles pensées élevées et mystérieuses sera donné aux visiteurs de cette salle, bien qu’elle ne prétende pas être exactement consacrée au culte de Dieu et à la prière des fidèles.


Les dépenses du Saint-Siège


Cette justification des proportions et de la dignité de la nouvelle salle ne nous fait pas oublier la charge de la dépense qui, au cours de quelques années, a pesé sur les conditions déjà difficiles du Saint-Siège. Nous avons cherché à ne pas en faire souffrir ni ceux qui servent notre Institution ni les personnes et les oeuvres consacrées à la préservation, à la propagation de la foi et au développement que nous cherchons à aider dans chaque région de la terre et spécialement dans le Tiers-Monde. Mais cette dépense, même si elle n’a pas été somptuaire, a dépassé ce qui était prévu et rend plus aigu dans notre âme le sens des besoins humains, voisins ou lointains, qui sollicitent notre concours ; en sorte que nous chercherons à multiplier — et ce ne sera pas sans sacrifice — nos modestes mais, utiles contributions pour les pauvres et pour ceux qui souffrent. Parmi les premiers sont un groupe de mal logés de cette ville pour lesquels, avec l’accord et l’aide de la Commune de Rome ; nous espérons commencer sous peu la construction d’un petit mais digne quartier avec le produit de la vente d’un immeuble que le Saint-Siège possède dans le centre de Rome ; de même, en outre, nous avons l’intention d’instituer un nouvel organisme du Siège Apostolique pour faciliter une meilleure coordination et une plus large et plus intense promotion de l’activité charitable de l’Eglise dans le monde.


L’accueil des plus humbles


Mais ce qui domine en nous en cette occasion, c’est de vous faire remarquer, à vous qui entrez les premiers dans cette salle de nos grandes audiences, le but que nous disions et qui vous concerne, vous et tous ceux que nous aurons l’avantage de recevoir après vous dans cette même salle, le but d’un bon accueil bien ordonné et vénérable. Nous devons dire en outre que c’est vraiment un sens de justice par rapport à la dignité des catégories les plus humbles de nos visiteurs, accueillis jusqu’à présent d’une manière qui n’était pas suffisamment convenable, qui nous a poussé à préparer ce lieu de réunion. Nous nous apercevons que ce devoir de réception occasionnelle et momentanée devient toujours plus important pour nous. Jamais, croyons-nous, le Pape n’a reçu tant de gens qui désirent le voir, l’entendre, recevoir sa bénédiction. C’est un phénomène dû en grande partie à la facilité des transports modernes, à l’habitude devenue plus grande de voyager ; au développement des pèlerinages et du tourisme. Cela, on le comprend, nous donne un surcroît de travail, mais qui est compensé par l’immense plaisir que les visites comme la vôtre nous procurent et par la conscience que c’est une correspondance à notre ministère. Le Pape est « le serviteur des serviteurs de Dieu » ; le Pape est pour tous. « Je me dois » à tous (Rm 1,14). Nous ne désirons rien d’autre que de communiquer à tous notre témoignage de foi et de charité. Nous pouvons faire nôtres et les appliquer au service auquel est destinée cette salle les paroles que saint Paul écrivait aux Romains : « J’ai un vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel pour vous affermir, ou plutôt éprouver le réconfort parmi vous de votre foi commune à vous et à moi » (Rm 1,11-12).

Voici alors qu’affleuré, à notre grande joie et dans une nouvelle espérance, le mystère d’unité et de charité, constitutif de la Sainte Eglise catholique et distinctif de notre ministère apostolique.


Pour le Synode des évêques


Nous devons ajouter ici une autre considération pour expliquer d’une manière plus exacte la fonction du nouvel édifice. C’est celle qui concerne son usage, spécialement dans les locaux annexes de la salle où nous sommes réunis, pour des réunions importantes, désormais toujours plus nombreuses et fréquentes, organisées par les dicastères de la Curie Romaine, pour les rencontres de caractère religieux et culturel qui sont une exigence de la vitalité croissante de l’Eglise et que nous avons l’intention d’encourager et de promouvoir, et pour les sessions du Synode des évêques qui, à partir de maintenant, y seront célébrées.

Ne faut-il pas exprimer, cordialement et spirituellement, notre remerciement à tous ceux qui ont contribué à l’achèvement de cette oeuvre introduite désormais dans la mission du Pontife romain, à l’architecte, à ses fils et à ses collaborateurs, aux constructeurs, à la maîtrise et à vous, chers ouvriers ; aux Chevaliers de Colomb qui ont donné une grande partie du terrain sur lequel s’élève la salle ; à nos bureaux administratifs et techniques, aux services du Gouverneur de la Cité du Vatican, à ceux qui les dirigent avec autorité et compétence et à ceux qui leur apportent un fidèle service ? Oui, nous disons merci à tous, au nom du Christ.

Et au nom du Christ nous vous saluons, vous, chers pèlerins et visiteurs, et à tous, en souhaitant que cette rencontre, symbolisée par la salle que nous ouvrons pour vous, soit un encouragement spirituel à mieux connaître et à mieux apprécier l’Eglise et son mystère transcendant.

Que notre Bénédiction Apostolique soit propitiatrice de toutes les faveurs divines.





7 juillet 1971: LA FORCE D’ENGAGEMENT DU CHRETIEN SE FONDE DANS L’ABSOLU

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Chers Fils et Filles,



Le Concile a longuement insisté sur les principes fondamentaux que l’homme doit appliquer dans la conduite de sa vie. Parmi ces principes, il en est un qui, bien qu’à l’ordre du jour, n’en perd pas moins de son originalité au sein du christianisme : c’est l’action, c’est l’activité, c’est l’agir, c’est-à-dire l’usage moral de la volonté.

La volonté d’un homme ne relève pas de son être mais de son agir. C’est là l’un des points les plus évidents, où la pédagogie du Concile s’adapte à l’attitude générale de l’homme moderne qui place toutes ses forces dans le développement de sa personne, dans la connaissance des choses qui l’entourent, pour en devenir le maître, pour aller toujours de l’avant.

Notre époque est caractérisée par l’action. Tout en défendant la liberté et en écartant toute notion du devoir, elle tend à ne se mesurer que par l’emploi des forces humaines et des énergies naturelles, par conséquent d’après les résultats dérivant de l’activité, scientifique et utilitaire.


Effort et fidélité


D’une autre manière et dans d’autres buts, l’enseignement de l’Evangile, conscient des méthodes modernes, pousse l’homme à l’action. Nous pouvons dire que l’action est la clef de la lecture évangélique. L’action est le développement de la conscience et de la volonté humaine, c’est par elle que l’homme s’accomplit totalement et qu’il atteint son bonheur (cf. st. thomas,
I 89,1 I-II 3,2). Souvenez-vous des paraboles de l’Evangile ; celle des vignerons : « Pourquoi restez-vous ici, tout le jour sans travailler ? » (Mt 20,6) demanda le propriétaire à la recherche de main-d’oeuvre pour sa vigne ; celle des talents, ou encore les célèbres paroles du Seigneur : « Ce n’est pas en disant....mais en faisant... qu’on entrera dans le Royaume des Cieux » (Mt 7,21 cf. Lc 11,28). L’Evangile est un traité sur le développement de l’homme et tout comme l’annonce du Royaume de Dieu, sa trame est tissée de devoirs à accomplir par la voie la plus étroite, la plus ardue (cf. Mt 7,14), sans rebrousser chemin devant les obstacles (cf. Lc 9,62), mais en donnant, s’il le faut, sa propre vie (Jn 12,25). Suivre et appliquer l’Evangile n’est pas chose facile: effort et fidélité sont nécessaires.

Nous pourrions parler ici de ces systèmes qui nous dictent de renoncer à l’effort personnel pour atteindre le Salut et veulent nous convaincre que, sans, discipline morale. systématique, c’est à la foi et à la grâce que nous devons d’être sauvés, comme si la foi et la grâce, dons de Dieu, véritables causes du Salut, ne requièrent pas une collaboration libre et responsable de notre part, soit au moment où Dieu agit en nous comme Sauveur, soit après que son action surnaturelle ait renouvelé la force de notre volonté.

Ni le quiétisme, ni le piétisme, ni la simple habitude passive et traditionnelle de certains préceptes religieux ne sont la morale chrétienne.

Nous pourrions rappeler également les systèmes qui prétendent aboutir à l’efficience active et morale, tel le pragmatisme utilitaire ou le stoïcisme qui, sous une austérité apparemment insensible, cache cette conviction de se suffire à soi-même, sans l’humilité de la pénitence et de la prière et sans avoir recours à l’unique source de perfection et de Salut qui jaillit de la vertu rédemptrice du Christ et de la bonté infinie de Dieu.

Ce ne sont pas des problèmes dépassés car ils survivent dans les questions théologiques et morales posées par notre collaboration au plan divin de la Révélation et des rapports qui en dérivent, surtout en ce qui concerne l’existence et l’usage de notre liberté.


Doute et désengagement


Mais aujourd’hui, ce que nous appelons activisme chrétien, se présente différemment. Ne sommes-nous pas envahis par une grande paresse spirituelle qui, dans ses replis les plus intimes, affaiblit le désir de fonder la vie chrétienne sur l’action, de la consacrer à un idéal qui puise sa force d’engagement dans l’absolu ? Pourquoi ? Le doute nous étouffe ; un doute systématique et négatif, non celui d’une vraie recherche, mais celui du désengagement et de la destruction ; celui de la réduction des certitudes de la foi et de l’obéissance aux institutions ecclésiales, celui de la sécularisation de toute la pensée, de toute l’attitude pratique et sociale, et non seulement dans le domaine de la raison et de l’ordre naturel.

On constate la survivance de formules nominalistes qui n’osent pas dévoiler leurs principes. On ne veut plus lutter pour sa propre foi ou pour ses propres idées. C’est la crédibilité de la doctrine et de la discipline de l’Eglise qui est mise en question. On cache trop souvent cette carence de pensée et de volonté sous des termes équivoques : pluralisme, libération, autonomie des consciences, moralité permissive, transformation continue du monde contemporain, découverte de nouveaux systèmes, etc.


Des attitudes tortueuses


Frères et Fils très Chers ! Ce n’est pas par ces attitudes tortueuses que nous serons à même de renouveler notre vie morale et religieuse. Ce n’est pas ainsi que nous appliquerons et interpréterons les enseignements du Concile.

Nous nous adressons donc aux fidèles qui aspirent à réaliser leur vie chrétienne d’une manière nouvelle, positive et constructive. Nous les invitons à unir à leur foi l’effort humble et énergique qui, à son tour, implore la foi, comme un don de Dieu, comme son premier don : voici alors la foi qui s’élève, chercher la foi qui vient de l’Esprit-Saint, de son témoignage intérieur ; voici qu’elles se rencontrent et font jaillir cette étincelle de lumière et de joie, là même où l’Eglise ajoute son témoignage et confirme : Oui, c’est la Vérité Révélée, la Vérité à laquelle nous pouvons consacrer notre vie, sans crainte d’une déception finale.

Nous les invitons en même temps à la contemplation et à l’action, selon l’enseignement de l’histoire du catholicisme.

Nous les exhortons avec les paroles de St. Paul à la Communauté de Corinthe, déjà tourmentée dès son origine : « Mes frères bien-aimés, montrez-vous fermes, inébranlables, toujours en progrès dans l’oeuvre du Seigneur, sachant que votre labeur n’est pas vain dans le Seigneur » (1Co 15,58).

Avec notre Bénédiction Apostolique.





14 juillet 1971: LA SAINTETE ETAT NORMAL DU CHRETIEN

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Chers Fils et Filles,



Nous vous invitons aujourd’hui encore à réfléchir sur l’un des aspects les plus caractéristiques de la vie chrétienne que le Concile Vatican II nous a rappelé avec insistance : la Sainteté. Vivre en état de sainteté représente pour la plupart un but inaccessible, une attitude morale et religieuse parfaite que l’on réserve à ceux qui réalisent pleinement l’idéal des disciples du Christ, les héros, les martyrs, les ascètes, ou encore l’homme-modèle, différent de ses semblables, qui s’efforce, avec succès, d’imiter le Maître Divin, acquérant ainsi une personnalité humaine supérieure, enrichie par l’abondance de charismes et par la communion mystique avec la vie même du Christ. Cet homme, le Saint, peut alors dire à bon droit : « Pour moi, la vie c’est le Christ » (
Ph 1,21). Nous avons fait de l’hagiographie le paradigme de la sainteté.

Le Concile modifie cette conception inexacte de la sainteté et appelle aux origines du christianisme, alors que tous les fidèles étaient appelés « saints » (1P 1,15). Il nous rappelle le Baptême et les autres sacrements, sources théologiques de la Sainteté qui répandent en nous la présence surnaturelle et agissante de Dieu, la grâce, qui nous fait saints, fils de Dieu, participants de sa nature ineffable et transcendante (2P 1,4). La Sainteté est donc un don, elle est à la portée de tous les chrétiens ; nous pouvons même dire qu’elle représente l’état normal d’une vie humaine élevée au surnaturel ; c’est la nouveauté offerte par le Christ à l’humanité qu’il a lui-même rachetée dans la foi et dans la grâce (cf. Rm 6,4).


La sainteté, un engagement


La Sainteté n’est pas seulement un don mais un devoir et devient pour les chrétiens une obligation, un engagement. « Cette sanctification qu’ils ont reçue, il leur faut donc avec la grâce de Dieu, la conserver et l’achever par leur vie » (Lumen Gentium, LG 40).

La Sainteté ne nous permet pas d’être passifs, elle nous appelle à un effort moral continu (cf. denz.-schôn. DS 2351 [1327] ss.) ; elle jaillit en nous comme une imploration ardente puisque Dieu a fait des hommes Ses Fils : « Soyez parfaits, enseigne Jésus, comme votre Père Céleste est parfait » (Mt 5,48). « Comme ce qui sied à des Saints », ajoute St. Paul (Ep 5,3).

Comment expliquer alors, de nos jours cette tendance à interpréter le Concile comme une « Libération » de ces devoirs auxquels la tradition chrétienne conférait gravité et contrainte ? Comment est-il possible de considérer les lois de l’Eglise comme de simples lois juridiques que l’on peut modifier à loisir ? Comment osons-nous déclarer « tabous » certaines exigences et règles morales que l’éducation chrétienne avait introduites dans notre mode de vie ?

Nous traversons une époque où règne ce laxisme moral, pas du tout conforme à la juste interprétation du vrai sens chrétien de l’homme.


« Faire comme tout le monde »


Les instincts et le « tout est permis » ont pris la place de l’honnêteté et du devoir. Pansexualisme dégradant, hédonisme, culte de la violence et de la rébellion, fréquence des vols et de l’extorsion, concussion et encore diffusion de la drogue, avec toutes les conséquences néfastes qu’elle entraîne, au risque de dégrader la moralité des jeunes et de faire oublier aux adultes les terribles expériences des dernières guerres.

Le sens moral est-il perdu à jamais ? Non ! Par ces manifestations déconcertantes, les hommes veulent sans doute réagir contre les fausses conditions imposées par la société, contre les hypocrisies d’un soi-disant ordre moral, contre le vide des enseignements matérialistes et agnostiques. Cherchons, dans ces multiples réactions à découvrir le besoin intime d’une sincérité humaine plus authentique fondée sur de justes principes. Nous, chrétiens, catholiques, avons le devoir d’arrêter cette course au conformisme idéologique et pratique voulu par la société moderne ; nous devons faire disparaître la formule qui dit que pour être à la page, il faut agir comme tout le monde, non seulement dans les choses secondaires mais aussi dans le domaine des exigences voulues par la foi et l’Eglise.


Vers la perfection jamais parfaite


Le Concile nous invite à multiplier nos contacts avec le monde contemporain mais il ne nous autorise pas pour autant à interpréter l’Evangile comme un christianisme facile, sans dogmes, autorité et sacrifice. « Si votre justice (c’est-à-dire votre perfection morale) ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens (les bien-pensants) vous n’entrerez certainement pas dans le Royaume des Cieux » (Mt 5,20).

Le Christ n’amoindrit pas la valeur de la loi morale mais il l’enrichit. Il la soustrait au formalisme et en fait une loi plus personnelle, liée à la conscience : relisons le discours de la montagne et nous verrons alors comment la vie chrétienne devient plus profonde, plus religieuse et trouve dans l’amour suprême de Dieu et du Prochain la clef de toute l’éthique chrétienne. Le Christ nous exhorte à aller toujours de l’avant.

Le destin que la vie chrétienne nous offre n’est ni anachronique ni impossible. Dans cette existence si tendue, elle nous pousse vers la perfection ; une perfection jamais « parfaite » et, par conséquent, humble, soutenue par la prière et l’espérance et toujours liée à la grâce.

Et, l’Eglise, avec sa doctrine, ses sacrements, son autorité, nous indique le droit chemin, celui du Christ qui est la Voie, la Vérité, la Vie.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





21 juillet 1971: VIVRE L’ELAN COMMUNAUTAIRE DU CONCILE

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Chers Fils et Filles,



Au cours de cette rencontre hebdomadaire, nous ferons écho brièvement et simplement au Concile. Ce dernier nous enrichit de deux façons : d’une part par ses enseignements qui confirment la doctrine traditionnelle de l’Eglise ; d’autre part par ses avertissements. Il nous instruit, non seulement sur ce que nous devons croire ou penser, mais aussi sur ce que nous devons faire. Et sur ce dernier point le Concile nous instruit d’autant plus, qu’il est avant tout une éducation à la foi et une éducation à la charité.

II nous propose des règles de vie, fait l’éloge de certaines vertus, nous apprend à juger et à bien faire, afin de pouvoir discerner dans la vie de chaque chrétien et de la société ecclésiale ce que l’on appelle « l’après-Concile », ou fruits de ce grand événement, célébré il y a quelques années, et qui doit souligner les progrès faits dans le domaine historique, théologique et moral de l’Eglise.

Mais sommes-nous en mesure de déterminer certaines idées fondamentales et les vertus que nous propose le Concile et qui doivent apparaître dans notre vie ? La question est assez simple. Sans aucune prétention scientifique, essayons maintenant de porter notre attention sur une de ces idées-force qui dérivent de notre conception du Concile. Quel est le point central de Vatican II ? Son idée fondamentale? C’est bien sûr l’Eglise. Au Concile, elle s’est examinée. Et beaucoup l’ont remarqué avec sagacité. Quelle définition en résulte-t-il ? A quoi a-t-elle abouti après vingt siècles d’histoire et après d’innombrables expériences ?



L’Eglise est une Communion


Les réponses son très nombreuses et les aspects multiples dans la réalité complexe et mystérieuse de l’Eglise : on dirait que le Concile a peiné pour réunir en une seule expression le sens de ce terme qui pourtant est habituel : « l’Eglise » : signe et moyen de l’union de l’humanité avec Dieu et avec le Christ, peuple de Dieu, corps mystique du Christ, Royaume naissant du Christ et de Dieu, bercail du Christ, champ de Dieu, construction de Dieu, famille de Dieu, temple de Dieu, ville de Dieu (Lumen Gentium,
LG 1-7 Unitatis Redintegratio, UR 2). Mais pour notre façon de penser spirituelle et sociologique, il semble que la définition plus accessible et plus profonde, même si elle est incomplète, serait celle-ci : l’Eglise est une communion (Lumen Gentium, LG 4 Gaudium et Spes, GS 32; J. hamer, L’Eglise est une communion, 1962). Elle est aussi une société liée par ses propres obligations et qui dérive, comme un être vivant, de deux principes : le premier, visible, les fidèles ; le second, invisible, le Saint-Esprit, âme du corps, dont le Christ est la tête, la tête du corps mystique qui est justement l’Eglise (Ep 4,15-16 Col 1,18).

C’est l’assemblée, un rassemblement d’hommes à la fois réel et mystique. C’est la communion des Saints.

Vous trouverez l’expression de cette doctrine, dans deux documents solennels, l’encyclique « Mystici Corporis » du 29 juin 1943 et, plus important encore, la constitution dogmatique « Lumen Gentium » du 21 novembre 1964. Telles sont les bases de l’ecclésiologie moderne, qui interprète ainsi les apôtres et la Tradition. Laissons les savants parler de ce vaste sujet ; il existe toute une littérature, toute une théologie que les catholiques ne peuvent ignorer.


Avec le Christ, avec les frères


La communion suppose une double relation : la première avec le Christ, et, par lui, avec Dieu ; la seconde, avec les chrétiens devenus frères par cette communion. L’Eglise est une communauté de foi, d’espérance et d’amour à laquelle on appartient dans l’Esprit-Saint et le respect au magistère établi par le Christ.

La conséquence est immédiate : pour appartenir à l’Eglise, il faut être lié au Christ. Faire abstraction de cette relation compromet les rapports sociaux, caractéristiques de l’Eglise, destinés à faire son unité dans sa mission salvatrice. Voilà l’exigence de l’oecuménisme : l’unité dé l’Eglise est fondée sur une authentique « communion des saints » (cf. Unitatis Redintegratio, UR 2 UR 3, etc.). On pourrait étudier le rapport entre la communion ecclésiale et la collégialité épiscopale, qui en est une manifestation privilégiée.

La communion est un devoir fondamental pour tous les fidèles du Christ, elle n’est pas uniquement extérieure et disciplinaire. Le Concile nous l’a rappelé : « Le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas de sanctification et de salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (Lumen Gentium, LG 9).


Recherches et refus


Rien n’est plus opposé à cette vision universelle du salut agissant en chacun et en tous que l’individualisme, l’égoïsme, la division, l’opposition ; rien n’est plus conforme au dernier désir du Christ « qu’ils soient tous un » (Jn 17,22-23). Nous nous demandons si cette recherche de l’unité marque les mouvements spirituels, qui se réclament du Concile. Oui, dans beaucoup de cas : la réforme liturgique, le mouvement oecuménique, l’intérêt porté par les groupes catholiques aux pays du Tiers-Monde. Cette réforme liturgique, qui permet à tous lés peuples de s’exprimer dans leur propre langue, ne tend pas à éparpiller les fidèles, mais à les réunir, dans la même prière, avec au centre l’Eucharistie, sacrement et sacrifice, dont la réalité est le « corps mystique dans son unité » (St. Thomas, III 73,3 ; cf. II-II 39,1).

Le véritable esprit communautaire parcourt-il toute l’Eglise ? N’y a-t-il pas une certaine tendance à former de petits groupes exclusifs ? A quoi tend la trop grande importance donnée aux charismes, oubliant qu’ils doivent être au service de la communauté (cf. 1Co 12,7), et en les opposant aux institutions authentiques de l’Eglise ? Où veut arriver ce pluralisme arbitraire ? Où est la fraternité dans cette critique continuelle du respect dû à l’Eglise et à ses guides ? Où est la charité chrétienne, dans l’exaltation de l’égoïsme des classes et la lutte économique ? Il faut réfléchir à l’élan communautaire donné par le Concile à l’Eglise. Vivons-le : aimons-nous, pardonnons les torts subis, ouvrons-nous aux autres, dans notre entourage.

Aimons vraiment, dans l’Eglise universelle aux formes si diverses. Demandons au Seigneur cette grâce. Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Nous nous tournons maintenant avec plaisir vers le groupe des jeunes de la paroisse Saint-Georges-de-Mons, au diocèse de Clermont, accompagnés de leur Curé. Ce pèlerinage romain, chers amis, récompense votre fidèle engagement dont Nous vous félicitons. Chacun d’entre vous a su trouver, en la paroisse, dans son milieu scolaire, étudiant, ouvrier, le service qui contribue au développement humain et spirituel de son entourage: que ce soit dans le cadre de l’action catholique, de la catéchèse, sans oublier le soulagement effectif et concret des misères du Tiers-Monde, par les micro-réalisations. Continuez à employer généreusement vos jeunes forses au rayonnement de votre foi et de votre amour, avec l’aide de vos prêtres. Aimez l’Eglise: en elle, ne trouvez-vous pas somme une chaine immense de témoins du Seigneur Jésus, depuis Saint Pierre jusqu’à nos jours? Et Nous, de tout coeur, Nous vous bénissons.




Catéchèses Paul VI 23671