Catéchèses Paul VI 27101

27 octobre 1971: EGLISE MISSIONNAIRE

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Chers Fils et Filles,



Notre coeur est encore tout ému par la cérémonie célébrée dimanche dernier dans cette basilique, à l’occasion de la Journée missionnaire. Ceux qui parmi vous y ont assisté comprennent certainement et partagent notre sentiment. Mais ceux qui n’ont pas eu la joie d’y participer peuvent facilement ressentir la même émotion en pensant au sens profond de cette cérémonie. Car, encore plus que le rite lui-même, c’est sa signification qui mérite l’attention et la réflexion de tous ceux qui, comme vous, ont pour l’Eglise un regard d’amour, pour cette Eglise que nous ne pouvons comprendre que par l’amour, c’est-à-dire par « l’intelligence d’amour » (DANTE, Purg., 24, 51).

Cette Messe ne pouvait avoir d’ailleurs qu’un sens missionnaire de par les notes caractéristiques qu’y ont apportées les participants. Nous avons admiré particulièrement les costumes fastueux des pèlerins des îles Samoa venus rendre la visite que nous leur avions faite l’an dernier. Toute la famille de l’Eglise Catholique du monde y était représentée par les évêques du Synode. Il y avait des fidèles de toute race, de toute couleur, provenant de tous pays, un échantillonnage de l’humanité vivant sur notre globe. Nous pensions au chant de l’Apocalypse, « Tu rachèteras pour Dieu des hommes de toute race, langue, peuple et nation » et au récit de la Pentecôte lorsque tous, « remplis de l’Esprit-Saint », annonçaient dans leur propre langue les « merveilles de Dieu» (
Ac 2,11) ; avec la stupeur des païens d’autrefois, nous avons vu la grâce du Saint-Esprit se répandre sur toutes les nations (Ac 10,45). Nous nous demandions si la prophétie s’était accomplie : « Leur voix a retenti par toute la terre, la voix des Apôtres et des Missionnaires, et leurs paroles sont arrivées jusqu’aux extrémités du monde ? » (Ps 18,5 Rm 10,18).


Belle et pacifique


L’Eglise, dans sa diversité humaine, et sociale illimitée était là, extraordinairement belle et pacifique...

Oui, pacifique, car une autre caractéristique plus profonde et encore plus belle et éloquente resplendissait : l’unité. Des personnes si différentes et si unies, des hommes qui ne se connaissent même pas et se sentent frères; des gens fiers et jaloux de leur propre culture qui abandonnent à une communion totale ce qu’ils ont de plus personnel, leur pensée, leur coeur, dans une seule foi, une seule charité, convaincus d’être un seul corps avec un seul esprit qui les anime, dans la joie d’une solidarité ouverte à tous, dans l’espérance d’exprimer, avec une immense variété de langage, la même voix, la même prière, le même cantique au Dieu Unique, Père de tous les hommes (Ep 4,3-6). L’unité catholique, phénomène sans pareil, est la plus haute aspiration de l’humanité, mais elle n’est pas encore tout à fait réalisée dans les affaires temporelles ; ici, au contraire, nous avons l’unité vraie et réelle au spirituel, au plan visible et organique ; un Seul Peuple, le Peuple de Dieu, un Seul Corps, le Corps Mystique du Christ, l’Eglise, l’Eglise Une et Catholique.


Me voici, envoie-moi


Est-ce là l’Eglise ? Mais comment ? Comment ce prodige se réalise-t-il? Il s’est révélé à nous dans ses aspects humains, devenus signes et sacrements de l’élément divin, la grâce christifiante qui appelle et transforme les hommes et les femmes de ce monde dont nous connaissons la grandeur et la misère, la force et la faiblesse, l’héroïsme et la lâcheté, hommes et femmes de ce monde cultivé et corrompu. Pendant la cérémonie, plus de 400 fidèles sont sortis des rangs pour se diriger vers Nous, Serviteur des Serviteurs de Dieu ; ils sont montés à l’Autel exprimant par cet acte silencieux la parole prophétique : « Me voici, envoie-moi » (Is 6,8) ; je veux être « mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu » (Rm 1,1 Ga 1,15 Ac 13,2). C’est la réponse au double appel du Christ: appel extérieur quand l’Eglise invite et implore ; appel intérieur quand le Christ parle avec douceur et gravité au coeur des plus fidèles. Ces hommes et ces femmes sont venus pour que nous les reconnaissions missionnaires. Que leur donnerons-nous sinon le Crucifix qui, dans la main tremblante et courageuse qui le reçoit, laisse entrevoir l’imitation, le dévouement, l’amour, la victoire du missionnaire prêt à partir ? Le sacrifice du Christ, celui qui sauve le monde, continue.


Le charisme du sacrifice


Mais le charisme du sacrifice existe-t-il encore de nos jours ? Oui ! Dans toute sa plénitude et sa grandeur ! Notre époque, qui a connu les guerres, le sait bien ; mais, elle le refuse en construisant son idéal de vie sur l’égoïsme et les plaisirs. Notre époque connaît le charisme du sacrifice, mais elle l’honore chez les autres et l’éloigné de soi. Chacun de nous le repousse ; non, pas chacun de nous à vrai dire; certains l’acceptent même dans son expression la plus authentique, volontaire.

L’honneur se transforme alors en gloire; heureusement cette gloire alimente encore les vertus fondamentales de notre existence. L’exemple d’un Schweitzer n’a-t-il pas tout dit à notre génération ? Nous nous unissons bien volontiers pour rendre l’hommage d’admiration que mérite un tel homme. Mais, sans vouloir faire de comparaison, qu’on nous permette de rendre le même hommage aux très nombreux missionnaires qui ont offert et qui offrent leur vie par un sacrifice humble et illimité, sans attendre éloges et récompenses, pour soulager les souffrances physiques et morales de leurs pauvres frères (car, ils sont frères dans le Christ) dans les terres de mission, encore au seuil de la culture moderne.

Quel trésor de sacrifice possède, maintenant plus que jamais, cette Eglise de Dieu, Eglise communautaire et hiérarchique, institutionnelle et active, que la Providence nous permet d’appeler nôtre !

Notre apologie de l’Eglise veut aider ceux qui doutent de son authenticité, se soustraient à sa communion vécue, ont honte de militer dans ses rangs. L’Eglise missionnaire nous juge avec sa foi apostolique, son amour, son dévouement total dans le Christ au service et à la libération de nos frères. Elle ne nous enseigne ni la critique stérile, ni la contestation amère, ni les velléités rhétoriques, ni un spiritualisme éphémère. L’Eglise est une école de réalisme évangélique ; elle nous invite à suivre le Christ dans la joie.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***


Nous saluons tout particulièrement les Dames de Charité de Saint Vincent de Paul, réunies ici pour une rencontre internationale avec quelques prêtres lazaristes et des Filles de la Charité, autour du Révérend Père James W. Richardson, pour bien situer leur action caritative dans la ligne du Concile Vatican II et mieux répondre aux besoins d’aujourd’hui. Chères Filles, vous avez la générosité de prendre chaque jour en charge quelques-unes des immenses détresses du monde. Certes beaucoup de celles-ci tiennent à des situations qui dépassent votre compétence et vos possibilités: c’est une affaire de rapports de justice à établir, de cette justice qui préoccupe tant le Synode des évêques en ce moment- même. C’est le Concile qui nous l’enseigne: «Il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice, de peur que l’on n’offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice. Que disparaissent la cause des maux et pas seulement leurs effets et que l’aide apportée se organise de telle sorte que les bénéficiaires se libèrent peu à peu de leur dépendance à l’égard d’autrui et deviennent capables de se suffire» (Décret sur l’apostolat des laïcs, AA 8).

Mais la charité, telle que le Christ l’a vécue et exigée de tous ses disciples, et telle que votre génial fondateur l’a mise en oeuvre, n’a rien perdu de sa nécessité, bien au contraire. Sans elle, les hommes sont toujours tentés de se replier avec satisfaction sur leur bonheur égoïste, ou avec désespoir sur leur misère. Quelle que soit l’organisation de la justice sociale - que Nous encourageons de toutes nos forces - il y a toujours des personnes qui, en fait, manquent de nourriture, de vêtements, de remède, de travail, de considération, d’amour, qui souffrent de la maladie, de la solitude, de la prison. Il faut donc sans relâche les rechercher, les découvrir, les réconforter, les mettre en relation avec ceux qui peuvent efficacement les aider, et les soulager aussi par un secours adapté, qui respecte leur dignité et leur permette de devenir, dans leur milieu, des semeurs de joie et d’amour. Votre intuition, votre délicatesse, votre tendresse féminines vous prédisposent merveilleusement à cette attention et à ce partage. Et votre foi - Saint Vincent de Paul y insistait beaucoup - votre foi vous fait rencontrer l’autre comme un membre de son Corps mystique, comme un frère, comme une soeur en Jésus-Christ. Puisse cet échange romain au niveau international aiguillonner votre zèle, et stimuler votre générosité à la mesure même de l’amour de l’Eglise pour tous les hommes, à commencer par ceux qui sont les plus démunis. En témoignage de notre paternel encouragement, Nous vous donnons de grand coeur, ainsi qu’a tous les membres de l’Association internationale des Charites de Saint Vincent de Paul si largement répandues a travers le monde, Notre Bénédiction Apostolique.




3 novembre 1971: L’EGLISE UNE COMMUNAUTE QUI PRIE

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Chers Fils et Filles,



Nous parlerons encore du visage de l’Eglise, de l’Eglise telle qu’elle apparaît à nos yeux, pour la connaître et voir ce qu’elle fait dans sa réalité humaine.

Vous savez la raison de cette observation intuitive, de ce regard immédiat : c’est le désir de voir son visage rayonnant, sa beauté naturelle, c’est le besoin de réconforter tant d’esprits bons et intelligents, angoissés par la découverte continue et intarissable des défauts, des difformités, des scandales que la critique moderne, intérieure et extérieure, attribue à tous les aspects de l’Eglise. Il en résulte une antipathie à l’égard de cette ancienne institution que beaucoup, hélas ! veulent abandonner ou traiter d’inutile, de dépassée, d’infidèle et pire encore, de squelette desséché. D’autres encore, et ils sont tout aussi nombreux, se proposent, dans un élan de générosité peut-être, mais aussi de présomption, de la ranimer et de la réformer dans son dessein constitutif et traditionnel. Ils lui attribuent une forme nouvelle et imaginaire qui oscille entre un spiritualisme charismatique raffiné — dont on ne sait pas exactement en quoi il consiste — et un conformisme humaniste aux réalités présentes et voilées, propres à la société temporelle.


Un peuple en prière


Cette vision réaliste de l’Eglise ne dit rien de nouveau aujourd’hui ; au contraire elle se limite à une observation si évidente et empirique qu’elle semble banale. Qu’est-ce que l’Eglise ? C’est une communauté qui prie ; c’est un peuple en prière, un peuple de Dieu ! C’est, là, le signe de sa philosophie, de sa théologie. C’est l’homme qui a besoin de Dieu (
2Co 3,5) et qui doit tout à Dieu. Son attitude caractéristique et fondamentale est donc cultuelle. L’Eglise est avant tout une société religieuse. Ce qui lui tient à coeur, c’est la prière. L’Eglise se propose d’atteindre un but primordial: mettre les hommes en communication, en communion avec Dieu (Lumen Gentium, LG 1). L’Eglise unit les hommes qui lui sont fidèles pour les rendre fidèles à Dieu. Par la Parole, la charité, et les sacrements, elle actualise dans l’histoire, le Christ de l’Evangile, unique médiateur entre Dieu et les hommes. Sa mission première est religieuse. Que de fermes et solides structures ne sont-elles pas nécessaires à cette mission collective, intérieure et extérieure ! L’Eglise prétend, — et à bon droit, — d’offrir à l’humanité la solution définitive au problème religieux qui, nous le savons, a énormément intéressé et tourmenté les hommes. Face à l’indifférence croissante et à la négation acharnée, caractéristique de notre siècle, l’Eglise estime que la religion a non seulement une raison d’être — et aujourd’hui plus que jamais — mais que la formule religieuse qu’elle offre est le « fondement et le couronnement » de la vie humaine, du savoir et de l’agir de l’homme ; c’est la lumière, le soutien, le but, la béatitude de notre existence sur la terre, c’est la première et dernière parole, l’alpha et l’oméga du monde. De par sa conception générale et suprême, humaine et cosmique de la religion catholique, c’est-à-dire de par sa foi, l’Eglise est organisée, elle existe, aime, travaille et souffre tout en dialoguant avec Dieu et les hommes, en priant.


La réforme liturgique


Que cela plaise ou non, tel est le visage de l’Eglise: le grand choeur ordonné et exaltant de l’humanité qui adore le Père « en esprit et en vérité » (Jn 4,23). C’est un visage splendide, rayonnant de spiritualité et de sociabilité, de moralité, de bonté charitable, de mystère et de clarté qu’aucune autre institution terrestre ne peut offrir ou prétendre offrir aux hommes de notre temps. Et cette lumière se lève du visage de l’Eglise, tel le reflet de l’image de Dieu (Ps 4,7). Telle est l’Eglise en prière, magnifiquement exaltée par le Concile et, nous ne pouvons l’oublier, du fait même de la réforme liturgique. Par l’intention qui l’a provoquée, intention pastorale de raviver la prière dans le peuple de Dieu, prière pure et de participation, intérieure et personnelle et en même temps publique et communautaire, cette réforme liturgique mérite une grande considération même face aux conditions spirituelles du monde moderne. Il ne s’agit pas d’un simple fait rituel, de sacristie ou d’érudition archaïque et purement liturgique ; c’est une affirmation religieuse, pleine de foi et de vie ; c’est une école apologétique pour tous ceux qui cherchent la vérité vivifiante; c’est un défi spirituel lancé au monde athée, païen, sécularisé.


Maintenir allumée la flamme de la prière


A l’occasion de la récente publication du nouveau Bréviaire, nous avons reçu, parmi tant d’autres, une lettre confidentielle mais très expressive, dans laquelle il est dit combien il serait utile d’exhorter les fidèles « dans les moments de tension générale des âmes, pour rappeler l’excellence de la lecture, de l’exposition, de la méditation de la Parole de Dieu, convaincus qu’une telle exhortation serait accueillie salutairement par chaque âme comme un sceau au nouveau livre sacré et un digne rappel en même temps de l’opportunité d’une prière, résultat de siècles et de siècles de travail et dans laquelle les Pères, les Docteurs, les théologiens et les Saints de l’Eglise font sentir leur voix éternelle... ». Cela est vrai et c’est aussi ce que nous faisons avec ces paroles familières, surtout pour le Clergé et pour les religieux, auxquels appartiennent, de façon particulière, l’honneur et l’obligation de maintenir allumée la flamme de la prière au sein de l’Eglise et pour ses fils ardents qui savent que tout renouveau, dans l’Eglise (toute sa vitalité, son dépassement des difficultés et des crises, sa capacité de servir pour délivrer et sauver les frères proches et lointains), est alimenté par la prière ; par la prière intime et personnelle (Mt 6,4) et aussi par celle communautaire, sacerdotale et publique que nous appelons liturgie.

Nous voulons croire que vous en êtes tous persuadés et qu’avec vous, ceux qui recevront l’écho de ces paroles, le seront également ; nous mettons donc aussitôt en pratique la confiance commune dans l’oraison en vous demandant de prier pour l’heureuse conclusion du Synode Episcopal, afin que le ministère sacerdotal dans l’Eglise reçoive grâce et joie, force et sainteté, et afin que la justice et la paix dans le monde — thèmes auxquels le synode s’est consacré avec amour et sagesse — reçoivent lumière et réconfort.

Priez donc. Prions. C’est ainsi que nous devons être l’Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





10 novembre 1971: L’EGLISE : UN PEUPLE LIBRE ET RESPONSABLE

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Chers Fils et Filles,



Après la clôture des travaux du Synode des Evêques, nous reprenons notre observation des aspects les plus marquants de l’Eglise. Nous entendons parler constamment de cette Eglise et nous nous posons toujours cette même question : qu’est-ce donc que l’Eglise, ce phénomène historique, humain et religieux ? Le Synode pourrait satisfaire notre curiosité en nous fournissant quelques informations supplémentaires et définitives sur les problèmes qu’il a traités. Mais laissons travailler les personnes compétentes chargées de classer les documents officiels approuvés et sur lesquels les Pères du Synode ont avancé des propositions dont il faut tenir compte. Ce n’est d’ailleurs pas le moment d’assouvir cette curiosité, d’autant plus que ce lieu n’est pas des plus indiqués.

Nous vous invitons à réfléchir quelques instants sur la définition empirique de l’Eglise. Qu’est-ce que l’Eglise ? Considérons les éléments visibles sans prétendre donner une réponse adéquate. L’Eglise est une société, une société religieuse. Cette observation immédiate mais fondamentale suffit à nous rappeler que nous ne pouvons prétendre appartenir à l’Eglise, professer sa religion, en un mot, être de vrais chrétiens, avoir notre religion, notre manière personnelle d’être d’authentiques chrétiens sans être en même temps les membres de cette société appelée « Eglise ». Le Christianisme est un fait social. Il n’est pas seulement une idéologie que chacun peut suivre à sa guise ou conserver au plus profond de sa conscience. La religion professée par l’Eglise constitue une communauté, une communion de pensée et de tradition. Elle engendre un peuple, le Peuple de Dieu.


Un fait social


Ceux qui veulent une Eglise exclusivement spirituelle, invisible, aux aspects indéchiffrables n’ont qu’une vision partielle de la réalité du christianisme. L’Eglise n’est pas seulement une âme, mais aussi un corps. Et même les chrétiens qui se sont séparés de l’Eglise afin d’en créer une autre, uniquement spirituelle qui ne soit pas soumise à des impératifs sociaux ou liée à des normes juridiques, se sont rendus compte qu’ils ont abandonné un des principes essentiels de la religion fondée par le Christ et ils veulent s’attribuer quand même le titre « d’Eglise ». La logique de l’Incarnation veut que l’Eglise soit une société visible, déterminée, réalisée dans un organisme humain promoteur d’unité. St. Augustin écrivait aux habitants de Madaure, personnes religieuses mais insensées : « Vous pouvez certainement constater que beaucoup ont été bannis de la société chrétienne qui se développe de par le monde grâce au Siège Apostolique et à la succession des évêques » (Ep. 232, PL 33, 1028). St. Thomas nous rappelle que « le Christ, en tant que Dieu et homme a accompli l’oeuvre de Salut ; homme, il a souffert pour notre rédemption ; Dieu, il nous a sauvés par sa passion » (Contra Gentiles
SCG 4,74). Dieu, religion, Christ, Eglise et Salut, voilà des mots essentiellement placés en ligne descendante, ligne que nous pouvons parcourir dans l’autre sens. Si nous voulons le Salut, c’est-à-dire réaliser notre vraie destinée, nous devons trouver dans l’Eglise le ministère qui nous donne le Christ, médiateur de cette religion qui nous conduit à Dieu, Principe ineffable et vivant.

Mais ici, l’aspect personnel de l’Eglise prévaut sur l’aspect social. C’est ce qui distingue la société ecclésiale de la société civile. Nous appartenons à la société civile par naissance, indépendamment de notre volonté, tandis que nous appartenons à la société ecclésiale par le baptême qui exige la foi : chez l’enfant, un acte de foi professé pour lui par les parents, les parrains et la communauté est chez le chrétien adulte, un acte de foi libre et volontaire.

Nous naissons hommes et nous devenons chrétiens. L’Eglise est donc une société, mais c’est une société libre. Ce mot semble une répétition, un terme à la mode. Mais la foi n’est vraie que si elle est libre. Le terme « liberté », appliqué à la religion, n’a pas le sens que nous lui conférons dans la vie. Dans la religion, la liberté est ce qui rend la vie de l’Eglise non seulement digne d’être comptée parmi les droits de l’homme les plus sacrés, mais extrêmement importante pour toute personne et pour la collectivité humaine au sein de laquelle se déroule l’exercice de cette liberté dont dépend le destin suprême de l’homme.


Liberté et responsabilité


L’Eglise se présente comme la société où l’homme peut exercer pleinement sa liberté car la foi, c’est-à-dire notre rapport avec Dieu, ne subit aucune contrainte, aucune entrave. Nous pourrions faire ici l’historique de l’obéissance et de la violation de cette loi fondamentale. Mais nous préférons nous arrêter sur un autre problème qui est partie intégrante de la liberté religieuse et qui a son importance puisqu’il nous aide à trouver la définition que nous cherchions. Il s’agit de la responsabilité. Liberté et responsabilité caractérisent profondément les membres de cette société unique que nous appelons l’Eglise. Nulle part nous ne trouvons une responsabilité comportant de telles exigences psychologiques et morales, une responsabilité qui fait se déclencher cet acte spirituel, essentiellement humain que nous appelons conscience. C’est une chose connue et vécue dans la culture chrétienne. L’enfant devine sa conscience, l’homme la vit. C’est là la source du drame de tous les temps. Tandis qu’aujourd’hui on a tendance à éteindre la conscience religieuse et à endormir la conscience morale en effaçant mais sans pouvoir l’annuler la notion de péché, c’est-à-dire la notion de responsabilité totale devant Dieu, devant la société et devant la personnalité propre, et de rendre ainsi la liberté irresponsable devant ses instances suprêmes, l’Eglise s’appuie sur ce sens de responsabilité qui jaillit de sa foi et la rend capable d’agir dans l’amour, la fermeté, le dynamisme de l’emploi de tout talent dont peut être riche la vie de l’homme. L’Eglise est donc une société religieuse, tout à fait libre et responsable.

Essayons d’appliquer à nous-mêmes cette définition, car chacun de nous est membre de l’Eglise. Il s’agit d’une initiation pédagogique, mais elle nous fait comprendre que nous sommes l’Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





17 novembre 1971: L’EGLISE : UN APPEL, UN ENGAGEMENT

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Chers Fils et Filles,



Notre attention est encore tournée vers l’Eglise, source intarissable de curiosités. Qu’est-ce que l’Eglise ? Nous nous consacrerons spécialement aujourd’hui à la signification étymologique du terme. Dans le langage biblique — et depuis l’Ancien Testament il en a toujours été ainsi — Eglise veut dire « rassemblement à caractère religieux ». Le Christ a fait sienne cette parole et lui a attribué son sens propre : « Mon Eglise » (
Mt 16,18). Etymologiquement, Eglise veut dire convocation, appel. L’origine de ce mot nous aide à mieux saisir sa valeur expressive. L’Eglise est une vocation. Ce sens intime et originel du nom et de l’être de l’Eglise nous dît beaucoup de choses utiles, non seulement pour une théologie exacte mais aussi pour une compréhension spirituelle, féconde et correcte de l’Eglise.


Appel, appel de Dieu


L’Eglise implique un appel, mais attention, c’est un appel divin. Cette observation offre, au premier abord, la règle de l’orthodoxie que nous ne devrons jamais oublier : la voix qui appelle à ce rassemblement n’est pas une voix humaine, c’est une voix transcendante qui monte des profondeurs divines pour nous dire que l’Eglise est un mystère que seule la révélation nous rend accessible; un mystère dans le double sens du terme qui signifie vérité cachée et réalité surnaturelle (cf. Col 2,2 Col 1,26 Rm 16,25) ; c’est le mystère du dessein divin relatif au nouveau rapport que Dieu a voulu établir avec les hommes par l’intermédiaire du Christ, pour le Salut de toute l’humanité (cf. Ep 1,3-14). La vie et l’histoire de l’Eglise sont liées à cette première interprétation de son nom, c’est-à-dire de son origine et de sa réalité. Elle n’est pas une fondation humaine, mais le fruit d’une initiative divine.

Et, ici, nous profitons de cette doctrine fondamentale pour y trouver une première consolation : l’orthodoxie de l’Eglise, autrement dit sa fidélité à l’appel dont elle est le ministre et à la vérité de cet appel qui est exigeante et béatifiante. Exigeante, car elle n’admet ni arbitraire, ni équivoque, ni incertitude; béatifiante parce qu’elle ouvre la porte du Royaume de Dieu, de la découverte de la Vérité et de l’Amour, de la conversation avec Dieu, de la chance de la vraie Vie.


« Viens et suis-moi »


Nous disions que l’Eglise naît d’une vocation, une vocation divine. La Parole que Dieu nous adresse, le Verbe de Dieu qui est venu nous parler (cf. He 1,2). Nous devons par conséquent, écouter (cf. He 2,1-14). La première génération chrétienne, celle du Nouveau Testament, a eu la vive conscience de cet appel, à commencer par les Apôtres. Le groupe des Apôtres s’est formé après que Jésus eût demandé à chacun d’eux de le suivre : « Viens et suis-moi » (cf. Mt 4,19-22 Mt 9,9 Jn 21,19). Les Apôtres ne se sont pas rassemblés d’eux-mêmes ; ils ont été choisis par le Christ qui leur a dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis » (Jn 15,16-19 Lc 6,13). C’est sur cette idée de vocation que St. Pierre et St. Paul fonderont la constitution de l’Eglise primitive (cf. Rm 8,30 Ga 1,6 1Th 2,12 etc.; et Saint Pierre pareillement (cfr. 1P 1,15 1P 2,9 1P 5,10 2P 1,3). Ainsi la vocation marque la trajectoire de la Parole invitante de Dieu qui frappe le monde et blesse les consciences. Ceux qui reçoivent cette Parole sont appelés à s’unir aux autres, tout aussi fidèles, et ensemble, ils forment une communauté, l’Eglise, la société des « appelés de Jésus-Christ » (Rm 1,6). Celui qui est appelé ne demeure pas seul, livré à lui-même, autonome, mais il est inséré ipso facto dans un Corps, le Corps Mystique du Christ, l’Eglise (cf. Col 2,19 Col 3,15 Ep 4,16).

Cette assemblée, formée d’êtres humains répondant à un dessein organique et surnaturel, constitue un aspect de l’Eglise qui nous fait découvrir que les hommes qui ont la chance d’y appartenir, y trouvent leur propre destin, leur raison d’être, une invitation qui leur confère une valeur pour une mission et les rend conscients d’un devoir et d’une espérance, conscience souvent absente chez ceux qui n’ont pas reçu l’appel mystérieux.


« Personne ne nous a appelés »


En effet, l’homme, par lui-même, n’a pas une connaissance claire de sa propre raison de vivre. Plus il réfléchit, plus les doutes l’assaillent et il devient la victime de la tentation aristocratique du scepticisme (à quoi bon vivre ?) ou de la tentation empirique du pragmatisme (agir pour agir, mais pourquoi ?) ou encore de la tentation plus grave de l’hédonisme (jouir de la vie : carpe diem !). C’est, là, une angoisse qui croît avec la culture et la civilisation : le sens du non-sens, de l’inutilité de la vie. C’est la raison du pessimisme qui se dégage de la littérature ; voilà pourquoi l’homme semble voué au désespoir : « Personne ne nous a appelés ». Rappelons la parabole évangélique des désoeuvrés, engagés à travailler dans la Vigne du « père de famille » (Mt 20).


Quelque chose à faire


L’Eglise, au contraire, est le fruit de l’engagement à un travail adéquat et exaltant qui donne un but et du mérite à la vie, le « Royaume des Cieux ». Par cela même, l’Eglise est la Mère des vocations, disons le bureau de placement pour les hommes à la recherche d’une raison de vivre, d’aimer, de travailler, de souffrir, de mourir. Rien, ni personne n’est désoeuvré ou inutile dans l’Eglise : le néant, la fatigue vaine, le désespoir et la crainte n’existent pas. Et bien souvent, grâce à la vocation chrétienne les existences les plus malheureuses — les petits, les pauvres, les souffrants — deviennent les plus dignes et les plus précieuses. L’Eglise offre à chacun de nous « quelque chose à faire », ce quelque chose qui confère sens, valeur, dignité et espoir à la vie humaine. Chacun est appelé, chacun est mis en valeur pour la vie présente si celle-ci l’est pour la vie future. Quelle richesse d’idéaux et d’énergie est ainsi répandue dans le monde !

Nous qui essayons de voir l’aspect positif de l’Eglise, son visage éclairé par le soleil divin, nous devons donc lui accorder une grande importance puisqu’elle représente l’appel, l’invitation authentique au Royaume de Dieu; c’est Elle, l’Eglise, qui nous transmet la Parole de Dieu, qui la protège, l’enseigne et l’interprète avec une jalouse objectivité ; c’est Elle qui incite à écouter et à approfondir cette Parole qui, pour nous tous, doit être l’écho de la vocation à suivre le Christ et qui, pour certains, devient un charisme, ce don de l’Esprit qui réclame en réponse le don de celui qui écoute. C’est l’Eglise qui commande cette vocation intime et qui décide si elle peut en tirer un ministère ou une oblation pour l’édification communautaire.


La voix mystérieuse du Christ


On en parle beaucoup aujourd’hui et on constate une diminution soit des vocations communes à une intégrité consciente et agissante de vie chrétienne, soit des vocations sacerdotales ou religieuses. Oui, l’oreille de l’homme moderne est assourdie par le fracas du progrès ou extasiée devant la loquacité magique de notre culture ; elle ne sent ni n’écoute la voix mystérieuse du Christ. Et si cette oreille profane perçoit l’écho de l’Evangile, elle veut souvent l’interpréter à sa guise; elle s’y écoute elle-même plus qu’elle n’écoute l’appel authentique de l’Esprit. Et alors, que de richesses sont ainsi gaspillées et combien de destinées humaines, même dans le domaine religieux, ne parviennent pas à maturation !

Parmi les événements les plus graves de l’histoire, nous ne pouvons oublier celui que le Christ en larmes a prévu sous la muraille de Jérusalem, cette Jérusalem qui est demeurée sourde à son appel prophétique et aveugle à sa venue messianique : « Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais, hélas ! il est demeuré caché à tes yeux... » (Lc 19,42).

Mais l’Eglise, l’humanité appelée par le Christ, est toujours là et continue de poursuivre sa mission. Au nom du Christ, Elle appelle et invite : Viens !

C’est cette voix que nous devons entendre, c’est le but qu’elle nous indique que nous devons comprendre.

Avec notre Bénédiction Apostolique.


***


Nous sommes heureux de saluer la présence, en cette audience générale, de nos chers fils de l’association nationale de la presse catholique de province en France. C’est avec joie que Nous aurions aimé Nous entretenir plus longuement avec vous, si les exigences de notre calendrier, vous le comprenez aisément en cette fin de Synode des évêques, ne Nous avaient imposé la brièveté de cette rencontre.

Groupés autour de votre dévoué Président Albert Garriquez, vous représentez en vos personnes tout l’éventail de «cette presse qui pénètre jusqu’au fond des campagnes», comme aimait à vous le dire Notre vénéré prédécesseur Jean XXIII, qui vous connaissait depuis le temps de sa Nonciature parisienne. Soyez-en assurés: Nous apprécions Nous aussi à sa juste portée l’effort important et difficile que vous faites de semaine en semaine pour apporter à vos lecteurs, avec l’information qu’ils attendent sur leur vie quotidienne, leurs problèmes locaux et l’activité régionale, resitués dans l’information plu; large sur l’actualité du monde, l’éclairage de la foi. Vous formez ainsi en informant, vous contribuez à alimenter une opinion publique chrétienne dûment alertée sur les grands problèmes de la vie de l’Eglise et du monde, à travers les faits concrets saisis au plan de la région.

A l’intérieur de la communauté humaine, comme aussi de la communauté chrétienne, vous jouez un rôle de relais irremplaçable, en faisant communiquer entre eux les hommes et les idées, les faits et les questions qu’ils posent. En exprimant le visage de l’Eglise et du monde, vous contribuez à les façonner aussi, par l’éclairage objectif que vous projetez sur leur vie quotidienne. Vous formez ainsi des lecteurs plus catholiques, parce que plus avertis et plus soucieux de tout ce qui concerne leur prochain, et en même temps capables de juger l’événement, en hommes et en chrétiens. Ce travail exigeant que vous accomplissez avec vos collaborateurs aussi dévouées que compétents appelle de notre part l’expression publique de notre reconnaissance. Nous vous l’apportons volontiers aujourd’hui, heureux de cette circonstance qui Nous permet d’affirmer hautement toute l’importance que Nous attachons à votre apostolat, car t’en est un. Cette présence chrétienne dans le monde de l’information est un devoir pour les catholiques: c’est votre honneur et votre tâche de l’assurer. Que toujours, sur toutes les nouvelles que vous publiez, vous portiez le regard du Christ, réjoui ou attristé, toujours attentif aux personnes et soucieux de les aider à découvrir les appels de Dieu à travers la trame de la vie du monde, et les faits qui la marquent de semaine en semaine, qu’ils soient profanes ou religieux.

Un tel regard objectif et bienveillant vous permet de discerner les valeurs humaines et évangéliques, au sein même de l’actualité foisonnante. Et si votre hebdomadaire se lit avec intérêt, parce qu’il est bien fait, agréablement présenté, et qu’il apporte les informations dont votre lecteur a besoin pour s’orienter dans le flot des nouvelles, c’est cette approche positive qui se trouve partagée et multipliée par la diffusion du journal, dans les familles et les paroisses de toute la région. Qui n’en voit l’importance considérable pour l’Eglise?

Chers Fils, Nous aimerions poursuivre avec vous cette trop brève conversation. Ces quelques pensées vous diront du moins tout l’intérêt avec lequel Nous suivons votre travail, toute l’importance que Nous y attachons, et tous les voeux que Nous formons pour sa fécondité au coeur de l’Eglise et du monde. Avec Notre large Bénédiction Apostolique en ce vingt-cinquième anniversaire: ad multos annos!




Catéchèses Paul VI 27101