Catéchèses Paul VI 26369

26 mars 1969: ENSEIGNEMENT CONCILIAIRE ET VIE INTERIEURE

26369



Chers Fils et Filles,



Après le Concile Nous cherchons dans ses enseignements les lignes directrices du renouveau de la vie chrétienne. Quelques unes de ces lignes, les principales, concernent la doctrine, d'autres, que maintenant Nous voulons reprendre sommairement au cours de ces entretiens hebdomadaires, concernent l'action, la vie pratique, la formation morale et ascétique du disciple du Christ.


Les thèmes mis en relief par le Concile


Nous Nous interrogeons pour savoir quelle est l'orientation spirituelle, c'est-à-dire éducatrice, intérieure, que Nous pouvons tirer avec le plus d'évidence des documents conciliaires. Nous pourrions observer que le Concile suppose déjà en cours l'oeuvre de l'Eglise, qui est celle de formation de ses membres à l'école du Christ (Lumen gentium,
LG 10), de vocation commune à la sainteté (ibid., nn. LG 40-41), de perfection à pratiquer de la part des évêques (Christus Dominus, CD 15) et à rechercher de la part des religieux, en donnant à la vie spirituelle la primauté qui lui revient (Perfectae caritatis, PC 5-7). Mais le Concile ne développe pas expressément son enseignement sur l'intériorité de la religion catholique. Si nous voulions relever dans leur ensemble les aspects caractéristiques du Concile par rapport à la spiritualité qu'il veut promouvoir, nous pourrions remarquer que son attention ne se tourne pas tant vers la formation religieuse personnelle et intérieure du croyant, que sur celle du corps social de l'Eglise, et ceci en suivant une triple ligne directrice : liturgique, communautaire, sociale. Chaque âme en particulier est considérée surtout dans sa participation à la liturgie qui est, pour l'Eglise, l'action sacrée par excellence, publique et officielle, et « aucune autre action de l'Eglise n'en égale l'efficacité au même titre et au même degré » (Sacrosanctum Concilium, SC 7), d'où le primat de la prière liturgique. L'âme est aussi considérée dans son insertion dans le Peuple de Dieu, dans la communauté réunie dans la même foi et la même charité, parce que — dit le Concile — « Dieu a voulu sanctifier et sauver les hommes non d'une manière isolée, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (Lumen gentium, LG 9 bossuet, Lettre IV à une demoiselle de Metz sur le mystère de l'unité de l'Eglise, LE 1962 1962 ; Oeuvres, XI, 114ss.) ; primat de l'unité salvifique (cf. saint cyprien, ep. 69,6, PL 3, 1142). L'âme est enfin considérée dans son adhésion à la mission que l'Eglise accomplit au sein de la société dans laquelle elle vit en contact avec le monde pour y être le sacrement du salut et l'annonce de l'Evangile, d'où le primat de l'action apostolique (cf. Gaudium et spes, GS 23).


Mauvaises interprétations


On parle, il est vrai, dans les documents conciliaires de la personne humaine et de la personnalité chrétienne (par ex. Gaudium et ), de la conscience individuelle (ibid., nn. GS 16 GS 19), de la liberté, etc. ; c'est-à-dire qu'on parle de l'essence de l'homme, de sa dignité et de ses droits ; mais celui qui ne considère pas la doctrine conciliaire dans son ensemble a l'impression que le grand thème de la vie intérieure, de la religion personnelle, de l'adoration, de la méditation, de la contemplation (cf. cependant Perfectae caritatis, PC 5 PC 7 ; Gaudium et spes, GS 56 GS 57 etc.) est laissé à l'étude, à la pratique de l'initiative traditionnelle et privée dans l'Eglise ; d'où la plainte que la piété personnelle à la suite du Concile soit moins forte, et que l'on puisse noter dans certains milieux et dans certaines circonstances une certaine décadence du sens religieux intérieur.

A cette décadence contribue aussi la diffusion de certaines formes d'activité pastorale, en soi légitimes, même louables, mais qui peuvent conduire, si elles sont isolées du contexte proprement religieux de la foi et de la grâce, à la prédominance de la vie religieuse et morale dans ses aspects statistiques, sociologiques, culturels, artistiques et folkloriques également, c'est-à-dire extérieurs et partiels. Et si l'attention à la vraie doctrine se ralentit, la diffusion dangereuse — pour ne pas dire davantage — dé certains courants de pensée sécularisée qui considèrent et admettent seulement un christianisme, appelé « horizontal », philanthropique et humaniste, faisant abstraction de son contenu essentiel « vertical », théologique, dogmatique et substantiellement religieux, ne contribue pas moins à cette décadence.


Ecriture Sainte et Esprit Saint dans l'enseignement conciliaire


Nous devrons donc faire deux choses : d'abord mieux étudier les enseignements du Concile ; et ensuite nous devrons les insérer dans le cadre du patrimoine doctrinal, essentiellement religieux, mystique, ascétique et moral, que le Concile n'a aucunement répudié, mais au contraire confirmé, en le développant plus largement et plus organiquement au point de recommander sa conservation et sa mise à jour. Ces enseignements conciliaires contiennent, en effet, quelques rappels sur l'importance de certains éléments religieux, qui ne peuvent assumer leur valeur authentique et agissante que dans le coeur de l'homme. Mentionnons deux de ces rappels : l'étude de la Sainte Ecriture (cf. Dei Verbum, DV 7 DV 25 DV 8 ss.) et le culte de l'Esprit Saint. Que la Sainte Ecriture doive intéresser la vie personnelle du chrétien, tous ceux qui reconnaissent l'honneur et le développement donné à la « Liturgie de la Parole » le savent (cf. Sacrosanctum Concilium, SC 33 SC 35). Une célèbre citation de saint Jérôme est rappelée à ce propos (Dei Verbum, DV 25) : « L'ignorance de l'Ecriture est en fait l'ignorance du Christ » (Comm. in Is., Prol. : PL 24, 17). Et toute la Constitution dogmatique Dei Verbum fait l'apologie de la sainte Ecriture comme règle suprême de la foi (DV 21), « à laquelle il est nécessaire que les fidèles aient largement accès » (DV 22). Or on sait que l'intelligence et l'assimilation de la Parole de Dieu exprimée dans la Sainte Ecriture exige une attitude religieuse personnelle dans le silence intérieur, dans la méditation, dans l'accueil du magistère de l'Eglise, dans l'expérience cachée de sa lumière et de sa force spirituelle, sans lequel la semence de la Parole de Dieu reste inféconde et crée chez celui qui l'écoute, sans la faire sienne, une responsabilité et non un salut.

A propos du Saint Esprit, annoncé et exalté par tout le Concile, il faudrait un long développement. Nous ne devons pas omettre de rectifier certaines opinions que quelques-uns se font sur son action charismatique comme si chacun pouvait s'attribuer d'en être favorisé pour se soustraire à l'obéissance de l'autorité hiérarchique, comme si on pouvait en appeler à une Eglise charismatique en opposition à une Eglise institutionnelle et juridique (cf. Enc. Mystici Corporis, 1943, n. 62 ss.) et comme si les charismes de l'Esprit Saint, quand ils sont authentiques (cf. 1Th 5,19-22 1Tm 1,8), n'avaient pas été accordés pour l'utilité de la communauté ecclésiale, pour l'édification du Corps mystique du Christ (1P 4,10), et ne l'avaient pas été de préférence à ceux qui ont dans l'Eglise une fonction spéciale de direction (cf. 1Co 12,28), et comme s'ils n'étaient pas soumis à l'autorité de la hiérarchie (cf. Lumen gentium, LG 7 AA 3). Alors reste, pour celui qui veut vivre avec l'Eglise et de l'Eglise, le grand mystère de son animation par la force de l'Esprit Saint, animation que le Concile a grandement magnifiée, et qui nous oblige à l'estimer à sa juste valeur là où elle est présente et agissante, dans la prière, la méditation, la considération de la présence du Christ en nous (cf. Ep 3,17), dans l'appréciation suprême de la charité, le grand et le premier charisme (1Co 12,31), dans la garde jalouse de l'état de grâce. La grâce est la communion de la vie divine en nous; pourquoi en parle-t-on si peu ? Pourquoi semble-t-on y attacher si peu d'importance ; pourquoi est-on plus tenté de se tromper soi-même sur la licéité de toutes les expériences interdites et de supprimer en soi le sens du péché que de défendre dans sa propre conscience le témoignage intérieur du Paraclet (Jn 15,26) ?

Nous vous exhortons à cette spiritualité, chers fils ; ce n'est pas une spiritualité purement subjective ; elle n'est pas fermée à la sensibilité des besoins d'autrui, elle n'est pas inhibition de la vie culturelle et extérieure à toutes ses exigences. C'est la spiritualité de l'Amour qu'est Dieu, à laquelle le Christ nous a initiés, et que l'Esprit Saint comble des sept dons de la maturité chrétienne. Nous voulons les invoquer sur vous avec Notre Bénédiction Apostolique.


Salutations:

L’«ECOLE FRANÇAISE DE ROME»

Vos prèdècesseurs partageaient dans la joie cette recherche incessante. Vous la vivez peut-être davantage dans une certaine inquiétude. Les récentes découvertes scientifiques, les progrès de la psychologie et de la sociologie bouleversent les données établies, font éclater souvent des cadres traditionnels et risqueraient même, si l’on n’y prenait pas garde, de faire méconnaître l’apport des disciplines auxquelles vous vous consacrez si généreusement. C’est à vous de vaincre ces difficultés en faisant comprendre toujours davantage combien vos recherches sont nécessaires à un monde avide de justice et de vérité. Vous le savez bien, il serait utopique de négliger les tendances nouvelles, il serait également dangereux d’oublier les valeurs que les anciens tenaient en honneur et qu’ils considéraient comme indispensables à l’épanouissement de l’homme.

L’Eglise ne peut que vous soutenir dans votre tâche. De tout temps elle a travaillé pour l’homme, «à sauvegarder l’intégralité de sa personnalité, en qui prédominent les valeurs d’intelligence, de volonté, de conscience et de fraternité, valeurs qui ont toutes leur fondement en Dieu Créateur et qui ont été guéries et élevées d’une manière admirable dans le Christ» (Gaudium et spes GS 61). Elle vous encourage donc et forme le voeu que votre travail serve à promouvoir une vraie connaissance de l’homme, et une authentique sagesse, conditions d’un humanisme plénier.



2 avril 1969: ACTUALITE DE LA PASSION DU CHRIST TOUJOURS VECUE PAR L'EGLISE

20469



Chers Fils et Filles,



Ces jours-ci sont pour vous, chers visiteurs, des jours de repos, de distraction, de fête ; vous venez à Rome durant cette semaine, et profitez, pour la plupart, des vacances scolaires ou professionnelles qui vous sont accordées à l'occasion de Pâques. Mais si vous voulez, comme le démontre votre présence à cette audience, participer quelque peu à l'état d'âme de l'Eglise durant cette semaine qui précède la célébration du plus grand événement de l'histoire et du destin de l'humanité, c'est-à-dire la résurrection du Seigneur Jésus, vous trouverez l'Eglise non en fête, mais tout entière plongée dans une méditation grave et douloureuse, celle de la Passion du Christ, de ses souffrances ineffables, de sa Croix, de sa mort. Méditation très douloureuse, car elle oblige son esprit à voir dans le Christ — le premier-né de l'humanité (cf.
Rm 8,29 Col 1,15) — les mystères les plus obscurs et les plus révoltants, et cependant très réels, ceux de la douleur, du péché, de la mort. Cette méditation ne se fait pas seulement en référence à Jésus et à l'inconcevable tragédie de la fin de sa vie terrestre, mais aussi en référence à nous, à chacun de nous, dans un rapport direct et inévitable au point de répéter et même de renouveler d'une façon mystique en nous ce drame infini jusqu'à ce que nous le saisissions — dans la mesure de nos possibilités — comme le drame par excellence, le sacrifice de l'agneau de Dieu. Il est encore le sacrifice de l'amour incomparable du Christ pour nous, et en même temps comme la source très aimée de notre destinée, c'est-à-dire de notre Rédemption.

Fils très chers, comprenez-Nous (cf. 2Co 1,2). L'Eglise, dans cette liturgie mystérieuse, est prise d'une immense peine. Elle rappelle, elle répète dans ses rites, elle revit dans ses sentiments la Passion du Christ. Elle-même en prend conscience, en souffre, en pleure. Ne troublez pas son deuil, ne détournez pas sa pensée, ne vous moquez pas de son remords, ne prenez pas son angoisse pour de la folie. Vous aussi, accompagnez de votre silence son cri de douleur ; plaignez-la ; honorez-la de votre participation à son affliction spirituelle.

A cette invitation, que chaque fidèle ressent dans son coeur en cet instant solennel et rempli d'amertume, « dies magna et amara valde », comme le chante la liturgie avec une émotion toute lyrique, Nous pouvons ajouter deux considérations.


La Croix au centre du christianisme


La première, comme il est de coutume dans nos rencontres hebdomadaires, nous ramène aux enseignements du Concile. On a très justement noté qu'à partir du Concile s'est diffusée dans l'Eglise et dans le monde une vague de sérénité et d'optimisme ; un christianisme réconfortant et positif, pourrions-Nous dire ; un christianisme ami de la vie, des hommes, des valeurs terrestres même, de notre société, de notre histoire. Nous pourrions presque voir dans le Concile une intention de rendre le christianisme acceptable et aimable, un christianisme indulgent et ouvert, dépouillé de tout rigorisme médiéval, et de toute interprétation pessimiste sur les hommes, leurs habitudes, leurs transformations et leurs exigences. Ceci est vrai. Mais prenons garde. Le Concile n'a pas oublié que la Croix se trouve au centre du christianisme. Lui aussi s'est montré rigoureusement fidèle à la parole de saint Paul : « Que ne soit pas réduite à néant la Croix du Christ » (1Co 1,17) ; lui aussi, comme l'Apôtre, s'est dit à lui-même : « Je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1Co 2,2). Nous pourrions rappeler combien les pages conciliaires sont empreintes des grandes lignes théologiques, mystiques et ascétiques destinées à associer les fidèles à la Passion du Seigneur (que l'on regarde par exemple, dans la grande constitution dogmatique sur l'Eglise Lumen gentium les nn. LG 7 LG 8 LG 11 LG 34 LG 49...) ; que cette citation suffise : « Comme c'est dans la pauvreté et la persécution que le Christ a opéré la Rédemption, l'Eglise elle aussi est donc appelée à entrer dans cette même voie pour communiquer aux hommes les fruits du salut... » (ib., LG 8).


La Passion se renouvelle dans la vie de l'Eglise


Ici se présente à notre esprit une deuxième considération qui dérive de la première, c'est-à-dire du rapport qui existe entre le Christ souffrant et son Eglise, entre la tête et le Corps mystique, entre l'Evangile de la Passion du Seigneur et l'histoire douloureuse de l'Eglise non seulement par le témoignage qu'elle lui rend par son enseignement et sa prédication ; non seulement par l'imitation que l'exemple héroïque et généreux du Christ imprime sur les chrétiens, les poussant à le suivre (cf. abelard) ; non seulement par la communication sacramentelle qui confère à chaque fidèle une assimilation mystique à la mort et à la résurrection du Seigneur (cf. Rm 6,3) ; mais d'une certaine manière elle se renouvelle, se reproduit, se répète ; et non seulement dans chacun des disciples du Christ (cf. Col 1,24) : « Je complète en ma chair, dit saint Paul, ce qui manque aux épreuves du Christ »), mais dans l'Eglise entière, considérée comme communauté, comme ensemble dés membres du Christ, comme sa vie prolongée dans l'histoire et ainsi perpétuée.

Cette Passion se perpétue et dure encore. Et dans cette période de Pâques, l'Eglise, plus qu'à tout autre moment, prend conscience de ses douleurs, les sent, les subit, les accepte humblement, cherche à les sanctifier, et à en tirer la preuve de son identité au Christ Seigneur et Maître, de son amour désireux de confondre ses propres peines avec celles du crucifié (cf. le thème revenant sans cesse dans le « Stabat Mater ») ; elle cherche enfin à transformer ses propres défaites en mérites de pénitence, de purification, de rédemption, de plus grande vertu, de plus grand courage, de plus grande espérance.


Les souffrances actuelles de l'Eglise


En est-il ainsi ? L'Eglise souffre-t-elle aujourd'hui ? Fils, Fils très chers ! Oui, aujourd'hui l'Eglise est en proie à de grandes souffrances ! mais comment ? Après le Concile ? Oui, après le Concile ! Le Seigneur la met à l'épreuve. L'Eglise souffre, vous le savez, de l'opprimant manque de liberté légitime dans tant de pays du monde. Elle souffre à cause de l'abandon de la part de tant de catholiques de la fidélité que mériterait une tradition séculaire, et que l'effort pastoral plein de compréhension et d'amour devrait obtenir. Elle souffre surtout du soulèvement inquiet, critique, indocile et démolisseur de tant de ses fils, les préférés — prêtres, enseignants, laïcs, dédiés au service et au témoignage du Christ vivant dans l'Eglise vivante —, contre sa communion intime et indispensable, contre son existence institutionnelle, contre ses normes canoniques, sa tradition, sa cohésion interne ; contre son autorité, principe irremplaçable de vérité, d'unité, de charité ; contre ses propres exigences de sainteté et de sacrifice (cf. bouyer, La décomposition du catholicisme, 1968) ; elle souffre par la défection et le scandale de certains ecclésiastiques et religieux qui crucifient aujourd'hui l'Eglise.

Fils très chers, ne Nous refusez pas votre solidarité spirituelle et votre prière. Ne vous laissez pas prendre par la peur, par le découragement, par le scepticisme, et encore moins par le mimétisme qui aujourd'hui détruit, par la suggestion des moyens de communication sociale, tant d'esprits fragiles et impressionnables, et parfois aussi des esprits forts et jeunes. Mais souffrez et aimez avec l'Eglise. Avec l'Eglise, travaillez et espérez, et que vous réconforte Notre Bénédiction Apostolique, avec Notre meilleur et plus joyeux souhait de Pâques.


Salutations:


Chers Fils et Filles de langue française

Vous êtes venus très nombreux en cette Semaine Sainte à Rome prier sur le tombeau des Saints Apôtres. De tout coeur Nous vous souhaitons la bienvenue, heureux de vous accueillir tous en cette basilique Saint Pierre. Nous aimerions pouvoir vous nommer les uns et les autres, mais le temps Nous manque malheureusement pour le faire. Aussi, d’un mot seulement, voudrions-Nous au moins dire nos sentiments paternels aux groupes importants d’universitaires et d’étudiants présents à cette audience: tous les participants à la deuxième rencontre universitaire européenne, étudiants belges et français, pèlerins de Strasbourg en particulier, et aussi Amicale des anciennes élèves des pensionnats dirigés par les Soeurs de Saint Dominique, groupe de malades de Lyon, étudiants congolais de passage à Rome.

C’est une vision vraiment catholique que vous Nous offrez ce matin. Et Nous Nous réjouissons tout particulièrement de voir fraternellement unis dans une même recherche sur les problèmes de l’Université dans la dynamique de l’unité européenne, plus d’un millier de jeunes universitaires d’Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie, Hollande, Portugal et Suisse. A tous Nous disons Notre confiance dans les générations nouvelles, Notre espérance qu’à travers les recherches actuelles se précisent de nouvelles formes de participation aux responsabilités communes. Soyez fidèles, chers fils, à votre bel idéal, et trouvez les moyens adaptés pour le vivre ensemble, par-delà les nations diverses auxquelles vous appartenez. Dépassant les querelles du passé, c’est l’avenir qu’il faut construire, un avenir de paix, un avenir fraternel, dans un climat de respect mutuel et de vraie charité. Que l’amour du Christ inspire vos recherches, que son message soit pour vous lumière et force. En ces journées riches de,-grâces que vous avez le bonheur de vivre à Rome, de grand coeur Nous formons des voeux pour votre avenir humain et chrétien dans l’Europe de demain, et à tous, mais particulièrement aux malades, et à nos jeunes frères venus du Congo, Nous donnons Notre paternelle Bénédiction Apostolique.



9 avril 1969: LA FETE DE PAQUES DANS NOTRE VIE CHRETIENNE

9469



Chers Fils et Filles,



De quoi pouvons-Nous vous parler en ces jours qui suivent la grande célébration de la résurrection de Jésus-Christ, sinon du mystère pascal. Nous ne voulons pas Nous aventurer, bien sûr, dans une discussion délicate et érudite, qui a occupé durant ces dernières décennies les savants sur le thème du « mystère chrétien », sur les relations affirmées, niées, précisées, qu'il a eues avec les mystères païens. Il suffit de Nous en remettre à la conclusion, acquise aujourd'hui par les chercheurs, les historiens, les philosophes, sur l'originalité biblique de cette parole et sur sa signification chrétienne, cultuelle et théologique, même si dans la littérature chrétienne des premiers siècles, elle fut employée avec une référence purement littéraire et analogique au langage hellénistique courant (cf. bouyer, Le mystère pascal, pp. 453 ss. ; La vie de la liturgie, pp. 115ss.).

Nous vous parlons du mystère pascal avec les mots simples et familiers qui sont ceux de Notre conversation habituelle avec les visiteurs de cette audience hebdomadaire d'abord parce qu'elle se produit au cours de l'octave de Pâques et ensuite, parce que cette parole, le « mystère pascal », est devenue d'un usage courant, parce que le Concile l'a mise à l'honneur, et la répète souvent dans ses documents, spécialement dans la constitution sur la sainte liturgie (cf. Sacrosanctum Concilium,
SC 5 SC 6 SC 61 SC 106).


Sens du mystère pascal


Que veut-on dire par mystère ? Il faut avoir présent à l'esprit le double sens scripturaire de ce mot. La première signification est celle de notre langage courant, c'est-à-dire d'une chose cachée, d'une vérité enfouie : « A vous le mystère du Royaume de Dieu a été donné » a déclaré une fois le Maître (Mc 4,11) et S. Paul parlera du « mystère qui n'avait pas été communiqué aux hommes des temps passés » (Ep 3,5 Col 1,26). Le mystère, dans ce sens, est l'objet d'une révélation qui dévoile un secret de Dieu aux « saints », c'est-à-dire à ses fidèles, à qui il a voulu « faire connaître de quelle gloire est riche ce mystère chez les païens : c'est le Christ parmi vous, l'espérance de la gloire » (Col 1,27). Et voici qu'apparaît l'autre signification du mot « mystère » dans le langage scripturaire et chrétien et c'est la signification la plus importante. Le mystère est le dessein divin en action, c'est l'économie de l'Evangile, cachée en Dieu depuis des siècles et, à un moment donné, rendue évidente et agissante dans le Christ (cf. Ep 1,9 Ep 3,9). C'est l'oeuvre nouvelle et divine qui s'accomplit, sur cette terre, dans le temps pour les croyants ; c'est la réalité prodigieuse du rapport vital rétabli, dans un ordre transcendant, l'ordre vital, entre Dieu et l'humanité, par le Christ, dans l'Amour divin vivant qu'est l'Esprit Saint.

Pourquoi cette nouveauté étonnante, pourquoi ce mystère, s'associe-t-il habituellement avec l'adjectif « pascal » ? Parce que le mystère du salut s'est réalisé à travers la mort et la résurrection du Christ, à travers la croix, et parce qu'il se perpétue à travers le sacrifice eucharistique : eucharistie, passion, résurrection sont la Pâque salutaire accomplie par Jésus : « Le Christ immolé est notre Pâque » (1Co 5,7) notre libérateur, notre sauveur. Le mystère pascal n'est autre que la rédemption : « temporalis dispensatio divinae providentiae pro salute generis humani », c'est-à-dire l'histoire du salut (cf. S. augustin, De vera Rel. VII, 13 : PL 34,128 ; cf. vagaggini, Il senso teologico della liturgia, pp. 672 ss.), qui a son foyer dans la mort et la glorification du Christ. Le secret de ce mystère est le Verbe de Dieu fait homme et, par amour de l'homme, mort et ressuscité.

Le mystère pascal a donc une valeur de synthèse : synthèse historique, parce qu'en lui se concentre tout le développement des événements humains et des destinées de l'humanité ; synthèse biblique, la clef de toute la Bible (origène) ; synthèse christologique et sotériologique, où tout l'Evangile se concentre sur l'« heure » attendue par Jésus (cf. Jn 12,23 Jn 13,1 Jn 17,1 Lc 22,15 etc.) ; synthèse religieuse parce que c'est le sacrifice du Christ par sa résurrection qui nous réconcilie avec Dieu et parce que c'est par lui que nous sommes justifiés (Rm 5,10 Rm 4,25) ; synthèse cultuelle et liturgique, parce que, dans la célébration du mystère pascal, survit dans la nouvelle réalité ce qui était symbole et prophétie dans la Pâque hébraïque (cf. duchesne, Origines, p. 248). Le drame rédempteur du Christ s'actualise, relié intimement à la célébration de la cène pascale transformée en sacrement sacrificiel, explicitement destiné à perpétuer la mémoire de Jésus, par sa décision explicite (Lc 22,19 1Co 11,24-25) et par une référence explicite à sa mort rédemptrice.


La place de la Pâque


Tirons de ces quelques réflexions trop rapides une première conclusion que la nouvelle ordonnance de la liturgie rend évidente : le primat de la Pâque dans notre calendrier cultuel et spirituel. Nous devons replacer la Pâque, ses sacrements et ses rites, plus clairement au premier plan de notre évaluation religieuse, comme ce qui est au centre du dessein divin de notre salut. Les deux principaux sacrements par lesquels nous recevons ce salut, le baptême et l'eucharistie, dérivent avec une évidence toujours plus claire du mystère pascal : « Le baptême, écrit saint Thomas, en référence à saint Paul (Rm 6,3), est le sacrement de la mort et de la passion du Christ, dans la mesure où l'homme est régénéré dans le Christ par la force de sa passion. L'Eucharistie est le sacrement de la passion du Christ dans la mesure où l'homme est intégré dans l'union au Christ souffrant. Comme le baptême est appelé le sacrement de la foi, sur laquelle se fonde la vie spirituelle, ainsi l'eucharistie s'appelle le sacrement de la charité qui est le lien de la perfection » (Col 3,14 S. thomas, III 73,3). « Jusqu'au IV° siècle, écrivait Jungmann (Trad. lit. 342), la Pâque était la fête par excellence, l'unique fête qui fût célébrée par toutes les chrétientés. Chaque dimanche était considéré comme une réplique de la fête pascale ».


Réalité du mystère pascal


Et ici apparaît une autre conclusion, plus profonde, qui nous fait pénétrer dans la réalité théologique et ontologique du mystère pascal : la célébration de ce mystère n'est pas une simple commémoraison. Pour les chrétiens croyants, purifiés de leurs fautes, et vivant dans la grâce de l'Esprit Saint, elle est une reviviscence de la mort et de la résurrection du Seigneur ; c'est une actualisation toujours nouvelle dans l'unique drame de la rédemption, c'est une réalité permanente extra temporelle, à laquelle il nous est donné de participer effectivement, encore que sacramentellement ; parce que participer au mystère pascal n'est rien d'autre que se mettre en communion réelle avec Lui, mourir avec Lui, ressusciter avec Lui. On a d'ailleurs parlé de « contemporanéité de Dieu » (Kierkegaard). C'est ce que le Concile nous a recommandé de nous rappeler, par la célébration de la sainte liturgie, « les mystères de la rédemption de manière à les rendre présents à tous les temps » (Sacrosanctum Concilium, SC 102). Et c'est ce que Nous vous recommanderons : avoir présent, avoir en honneur, conserver vivant dans votre authenticité chrétienne, le mystère de Notre salut, le mystère pascal. Avec Notre Bénédiction Apostolique.


Salutations: Militaires belges

Nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue, chers fils qui avez voulu prendre part au dix-septième pèlerinage militaire de Belgique, sous la direction de votre Aumônier principal, Monsieur le Chanoine Platteau, que Nous saluons particulièrement; et Nous rendons hommage à la fidélité avec laquelle Nos chers Fils de l’armée belge Nous rendent visite chaque année.

A la joie que vous éprouvez en vous trouvant en cette ville de Rome, où vous êtes venus raviver la conscience de votre appartenance à l’Eglise universelle, se joint certainement la joie qui est celle de tous les chrétiens en ces jours où nous commémorons la résurrection du Christ, Fils de Dieu, notre Sauveur, vainqueur de la mort et vainqueur du mal.

Vous vous dévouez à la défense de la paix et de la liberté de votre patrie, qui a si durement souffert de la guerre, et Nous sommes certain que vous avez prié pour la paix, non seulement pour la paix de votre pays, mais aussi pour celle du monde entier, encore déchiré aujourd’hui par tant de conflits meurtriers. Nous unissons Notre prière à la vôtre et Nous demandons au Seigneur de répandre dans le coeur de tous les hommes l’amour fraternel qu’il est venu nous enseigner et dont il a rappelé le grand commandement à la veille même de ,son sacrifice sur la croix. Cet amour du prochain, sans lequel nous ne saurions sincèrement servir et aimer Dieu, est l’un des fondements de la paix du monde. Apprenez à le développer en vous pour qu’il soit plus fort que la haine et qu’il l’emporte sur tout ce qui divise.

Chers fils, aimez votre patrie et servez-la. C’est votre devoir, et l’élan naturel de vos coeurs vous y porte. Mais que votre amour dépasse les frontières. Prenez conscience de la fraternité universelle qui unit tous les hommes, fils de Dieu, et soyez, chacun à votre place, les artisans de la paix, d’une vraie paix fondée sur l’ordre et la justice, et animée par la charité chrétienne.

«La paix soit avec vous», disait Jésus en revenant parmi ses disciples après sa résurrection. Tel est le souhait que Nous formulons également pour vous, pour vos familles, et pour tout le peuple belge qui Nous est si cher. Et en gage d’abondantes grâces divines, Nous vous donnons de grand coeur Notre Bénédiction Apostolique.



16 avril 1969: A L'ECOUTE DES « SIGNES DES TEMPS »

16469



Chers Fils et Filles,


Une des attitudes caractéristiques de l'Eglise d'après le Concile est celle d'une attention particulière à la réalité humaine, considérée dans son historicité c'est-à-dire dans sa référence aux faits, aux événements, aux phénomènes de notre temps. Une parole conciliaire est entrée dans nos habitudes, celle de scruter les « signes des temps ». Voilà bien une expression qui a une lointaine réminiscence évangélique : « Ne savez-vous pas distinguer, demande une fois Jésus à ses auditeurs de mauvaise foi, les signes des temps ? » (
Mt 16,4). Le Seigneur faisait alors allusion aux choses extraordinaires qu'il allait accomplir et qui devaient indiquer la venue de l'ère messianique. Mais cette expression a aujourd'hui, dans la même ligne si l'on veut, une signification nouvelle de grande importance : le Pape Jean XXIII l'utilisa en fait dans la constitution apostolique par laquelle il annonça le concile Vatican II. Après avoir observé les tristes conditions spirituelles du monde contemporain, il a voulu donner un nouvel espoir à l'Eglise, en écrivant : « Il nous plaît de mettre une totale confiance dans le divin Sauveur qui nous exhorte à reconnaître les signes des temps », qui font que « nous voyons à travers les ténèbres obscures de nombreux indices qui semblent annoncer pour l'Eglise des temps meilleurs, comme pour le genre humain » (AAS 1962, p. 6). Les signes des temps sont, dans ce sens, des présages de conditions meilleures.

L'expression est passée dans les documents conciliaires (spécialement dans la constitution pastorale Gaudium et spes, GS 4, nous l'entrevoyons dans l'admirable page du n. 10, ensuite au n. 11, de même aux nn. 42, 44, encore dans le décret sur l'activité des laïcs, au n. 14, dans la Constitution sur la liturgie, 43, etc.). Cette expression, les « signes des temps » a donc, entre temps, acquis un usage et une signification profonde, très large et fort intéressante, en somme celle de l'interprétation théologique de l'histoire contemporaine. Que l'histoire, considérée dans ses grandes lignes, ait fourni à la pensée chrétienne l'occasion, l'invitation même à y découvrir un dessein divin, voilà qui est depuis longtemps connu. Qu'est-ce que l'« histoire sacrée », sinon l'identification d'une pensée divine, d'une « économie » transcendante, dans le déroulement des événements qui nous conduisent au Christ, et qui en dérivent ? Mais cette découverte se fait a posteriori. C'est une synthèse, parfois discutable dans ses formulations, que le savant accomplit quand les événements sont déjà passés, et peuvent être considérés dans une perspective d'ensemble, et alors placés par déduction dans un cadre idéologique qui dérive d'autres sources doctrinales, sinon de l'analyse inductive des événements eux-mêmes.

A présent s'offre à l'esprit moderne l'invitation à déchiffrer dans la réalité historique, dans celle d'aujourd'hui plus spécialement, les « signes », c'est-à-dire les indications d'un sens ultérieur à celui qui a été enregistré par l'observateur passif.


Importance de la notion de « signe »


Cette présence du « signe » dans la réalité perçue par notre connaissance immédiate mériterait une longue réflexion. Dans le domaine religieux, le « signe » tient une place très importante: le royaume divin n'est pas habituellement accessible à notre connaissance par la voie directe, expérimentale, intuitive, mais par la voie des signes. Ainsi la connaissance de Dieu nous est possible à travers la vision des choses, qui assument valeur de signe (cf. Rm 1,21). Ainsi l'ordre surnaturel nous est communiqué par les sacrements, qui sont les signes sensibles d'une réalité invisible, etc. Le langage humain, lui-même, se construit par le moyen de signes phonétiques ou d'écritures conventionnelles, par quoi la pensée se transmet, et ainsi de suite. Dans tout l'univers créé nous pouvons trouver des signes d'un ordre, d'une pensée, d'une vérité, qui peuvent servir de pont métaphysique (c'est-à-dire au-delà du cadre de la réalité physique) vers le monde, ineffable mais très réel, du « Dieu ignoré » (cf. Ac 17,23 et ss. ; Rm 8,22 Lumen gentium, LG 16). Dans la perspective, que nous sommes en train de considérer, il s'agit de retrouver « dans le temps », c'est-à-dire dans le cours des événements de l'histoire, ces aspects, ces « signes » qui peuvent nous donner quelque lumière sur une providence immanente (pensée quasi habituelle aux esprits religieux) où vraiment on peut trouver des indices (c'est ce qui nous intéresse maintenant) d'un rapport quelconque avec le « royaume de Dieu », avec son action secrète, ou encore — encore mieux pour notre étude et notre devoir — avec la possibilité, avec la disponibilité, avec l'exigence d'une action apostolique.

Ces indices nous semblent proprement être les « signes des temps ».


Découvrir à la lumière de l'Evangile


De là on tire une série d'importantes et intéressantes conclusions. Le monde pour nous devient un livre. Notre vie aujourd'hui est fort accaparée par la continuelle vision du monde extérieur. Les moyens de communication ont tellement grandi, sont tellement agressifs, qu'ils nous occupent, qu'ils nous distraient, qu'ils nous éloignent de nous-mêmes, qu'ils nous vident de notre conscience personnelle. Faisons attention. Nous pouvons passer de la situation de simples observateurs à celle de critiques, de penseurs, de juges. Cette attitude de connaissance réflexe est de la plus grande importance pour l'esprit moderne, s'il veut demeurer vivant, et pas simplement le reflet des mille impressions dont il est le sujet. Et pour nous, chrétiens, cet acte réflexe est nécessaire, si nous voulons découvrir les « signes des temps », parce que, comme nous l'enseigne le Concile (Gaudium et spes, GS 4), l'interprétation des « temps », c'est-à-dire de la réalité empirique et historique, qui nous entoure et nous impressionne, doit être faite « à la lumière de l'Evangile ». La découverte des « signes des temps » est un fait de conscience chrétienne, résultat d'une confrontation de la foi avec la vie, non pas pour surajouter superficiellement et artificiellement une pieuse pensée aux éléments de notre expérience, mais plutôt pour voir ce que ces cas impliquent, par leur dynamisme interne, leur obscurité propre, et parfois par leur propre immoralité. Il faut chercher une raison de foi, une parole évangélique, qui les détermine, qui les sauve, ou bien la découverte des « signes des temps » intervient pour nous faire remarquer qu'ils vont naturellement à la rencontre de desseins supérieurs que nous savons être chrétiens et divins (comme la recherche de l'unité, de la paix, de la justice) et s'associer éventuellement à eux par une maturation de circonstances favorables, indiquant que l'heure est venue pour une progression simultanée du règne de Dieu dans le règne humain.


Discerner les écueils


Cette méthode nous semble indispensable pour remédier à certains dangers que la recherche attirante des « signes des temps » pourrait apporter avec elle. Premier danger, celui d'un prophétisme charismatique parfois dégénéré en fantaisie bigote, qui confère à des coïncidences fortuites et souvent insignifiantes des interprétations miraculeuses. L'avidité à découvrir facilement les « signes des temps » peut aisément faire oublier l'ambiguïté toujours possible des faits observés et de leur évaluation, et cela d'autant plus que nous devons reconnaître au « peuple de Dieu », c'est-à-dire à chaque croyant l'éventuelle capacité de discerner les « signes de la présence et du dessein de Dieu » (Gaudium et spes, GS 11) : le « sensus fidei » peut conférer ce don de sage vision, mais l'assistance du magistère hiérarchique sera toujours prudente et décisive, quand l'ambiguïté de l'interprétation mériterait d'être résolue, ou dans l'intérêt du bien commun, ou dans la certitude de la vérité.

Un deuxième danger serait constitué par une observation, purement extérieure, de faits dont on désire tirer l'indication de « signes des temps », et cela peut arriver quand ces faits sont recherchés et classifiés en catégories purement techniques ou sociologiques. Que la sociologie soit une science de grand mérite par elle-même ou par le but qu'elle poursuit, c'est-à-dire pour la recherche d'un sens supérieur et indicatif des faits eux-mêmes, Nous l'admettons volontiers. Mais la sociologie ne peut être un critère moral subsistant par lui-même, elle ne peut remplacer la théologie. Ce nouvel humanisme scientifique pourrait détruire l'authenticité et l'originalité de notre christianisme et de ses valeurs surnaturelles.

Un autre danger pourrait naître de la considération de ce problème uniquement selon un aspect historique. Il est vrai que l'étude qui considère l'histoire, considère le temps, et cherche à en retrouver des signes dans le domaine religieux, qui pour nous tous est centré sur l'événement fondamental de la présence historique du Christ dans le temps et dans le monde, d'où dérivent l'Evangile, l'Eglise et sa mission de salut. En fait l'élément immuable de la vérité révélée ne devrait pas être soumis à la mutabilité des temps, dans laquelle il fait son apparition comme signe, à moins qu'il ne s'y cache. Ces signes ne l'altèrent pas, mais le laissent entrevoir et le réalisent dans l'humanité en pèlerinage (cf. chenu, Les signes des temps, dans Nouvelle revue théologique, 1-1-65, pp. 29-39).

Mais tout cela ne fait que nous pousser à l'attention, à l'étude des « signes des temps », qui doivent rendre vif et moderne notre jugement chrétien comme notre apostolat au milieu du torrent des transformations du monde moderne. C'est l'ancienne et toujours vivante parole du Seigneur qui résonne à nos coeurs: « Veillez » (Lc 21,36).

Que la vigilance chrétienne soit pour nous l'art du discernement des « signes des temps ».






Catéchèses Paul VI 26369