Catéchèses Paul VI 10670

10 juin 1970 LE SOUVERAIN PONTIFE EXPRIME SA GRATITUDE A CEUX QUI SE SONT ASSOCIES A SON JUBILE

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Chers fils et filles,


Nous sentons le devoir de vous exprimer notre vif remerciement, à vous qui nous écoutez, pour que notre voix arrive à tous ceux qui ont participé spirituellement à la commémoration du cinquantième anniversaire de notre ordination sacerdotale. Comme vous le savez, nous aurions préféré que cet anniversaire fût passé sous silence et fût célébré par nous seulement, dans le silence, la prière comme un fait ignoré des autres, et gardé jalousement par nos souvenirs et notre examen personnel sur le caractère sacerdotal qui a marqué notre humble personne et a fait de nous un « dispensateur des mystères de Dieu » (cf.
1Co 4,1 2Co 6,4 1P 4,10), un ministre de l'Eglise. Mais nous nous sommes rendu compte qu'il ne pouvait pas en être ainsi : pour deux raisons.



Le prêtre homme de tous


D'abord parce que le prêtre ne s'appartient plus à lui-même ; et sa vie spirituelle est conditionnée par la communion avec les frères auxquels s'adresse son ministère ; il est à leur disposition, à leur service ; et ce qui sert à leur édification est choix obligatoire du prêtre ; et cela d'autant plus pour nous, qui, portant la charge pastorale de ce siège apostolique « spectaculum facti sumus », sommes exposés au regard de tous (1Co 4,9), avec le titre de « serviteur des serviteurs de Dieu ». Nous devions donc laisser tant de fils de l'Eglise et beaucoup de personnes étrangères à l'Eglise célébrer cet anniversaire. Et en même temps que nous disons à tous ceux qui ont voulu nous être proches en cette circonstance particulière notre reconnaissance, nous offrons au Seigneur les félicitations et les voeux qui nous ont été offerts et qui ne devaient pas être adressés à nous mais à Lui, « rendant toujours grâce pour tout à Dieu le Père, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ » (Ep 5,20). Nous-même, comme dépassé par tant de témoignages de voeux, nous devons être non seulement reconnaissant mais aussi heureux qu'ils rendent honneur au sacerdoce ; non seulement parce que nous l'avons exercé pendant cinquante ans, mais parce qu'il fut institué par le Christ pour le salut de l'Eglise et de l'humanité. Et cette joie est d'autant plus grande que nous voyons toujours plus souvent aujourd'hui, à notre grande douleur et au regret de l'Eglise fidèle, qu'est contesté, discuté, méprisé, trahi et nié ce mystérieux et admirable sacerdoce ministériel, institution divine, jaillie du coeur du Christ justement au moment où le Christ se transforma en nourriture, en sacrifice, pour être communiqué à chacun de ses disciples et pour faire de Lui-même le Rédempteur, un principe de charité et d'unité de tout le Corps mystique, ce corps mystique qu'est l'Eglise, dépassant les limites si restreintes du temps et de l'espace.

L'Eucharistie est en effet, dans les intentions du Christ, un dépassement de la solitude dans laquelle se trouve tout homme qui a une vie personnelle, qu'il soit jeune ou vieux ; elle est un dépassement de la distance que l'histoire et la géographie placent entre les générations et entre les groupes disloqués de l'humanité sur la terre. Pour réaliser un dessein si merveilleux et unique, il fallait un instrument humain, un pouvoir délégué qui renouvelât le miracle sacramentel, un service qui annonçât et répandît (comme il advint dans l'épisode évangélique, prophétique et symbolique de la multiplication des pains) la Parole faite pain de vie, chair et sang de l'Agneau pascal sauveur et libérateur; il fallait un ministère qualifié, il fallait le Sacerdoce du Christ lui-même, transmis à des hommes, sublimés par le passage de l'état de disciples à celui d'apôtres et de prêtres.

Quand la théologie, la liturgie, la spiritualité, et nous voulons ajouter la sociologie, remettront en évidence de nos jours ces vérités secrètes et lumineuses, comme il convient aux réalités divines qu'elles contiennent et aux capacités de connaissance de l'homme moderne, ce sera jour de bonheur et de grande joie dans l'Eglise et dans le monde ; et le sacerdoce divin du Christ, communiqué dans le sacerdoce ministériel sera revendiqué dans sa dignité et sa mission.

C'est pourquoi, frères et fils très chers, nous avons été heureux des marques d'honneur, simples mais sincères, rendues à l'occasion de notre Jubilé sacerdotal ; non à nous, argile fragile, mais au sacerdoce du Christ, au trésor divin, confié à nous comme à tout autre prêtre (cf. 2Co 4,7).



Témoignages de bonté


Mais il y a une autre raison que nous devons rappeler et qui justifie la commémoration de notre Jubilé sacerdotal ; c'est la bonté de qui l'a voulue et de qui a voulu y prendre part.

Nous n'ignorons pas cette bonté, votre bonté, frères et fils de la sainte Eglise ; nous la connaissons, nous en faisons l'expérience tous les jours. Elle est l'objet de notre admiration, de notre reconnaissance, de notre confiance, de notre prière. La bonté des évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses, des laïcs catholiques, de la jeunesse nombreuse, des enfants innocents, de tant de personnes qui souffrent avec patience, de tant de missionnaires, de tant de collaborateurs, de tant d'amis, de tant de fidèles, croyez-vous que nous puissions négliger cette bonté dans notre évaluation de l'Eglise d'aujourd'hui ? Croyez-vous que le Pape n'a pas d'yeux, n'a pas de coeur ? Non certainement : vous savez que cette fidélité, cette bonté, sont toujours très présentes à notre esprit.

Mais à cette occasion il est arrivé que nous avons fait l'expérience de tant de bonté. Nous en avons eu une preuve, nouvelle et sensible. Nous avons senti naître de vous, de toute l'Eglise et de tant de personnes qui sont, d'une certaine manière, très proches, comme un choeur, un grand choeur, qui ne pouvait pas ne pas nous remplir de consolation et d'émotion. Que de voix, harmonieuses, pour se réjouir avec nous du sacerdoce du Christ qui nous a été conféré et qui a été vécu par nous pendant cinquante ans ! Nous avons écouté en pleurant et en bénissant Dieu cette vague de voix autorisées et parfois graves, de voix affectueuses et parfois pieuses, de voix humaines, proches et lointaines, innombrables. Permettez-nous de donner un signe de reconnaissance de la bonté, de la courtoisie, de la piété; des souhaits de tous, mais que nous vous disions aussi quel réconfort a été surtout pour nous tout ce qui venait des personnes consacrées au Seigneur, de nos Séminaires et noviciats, des travailleurs chrétiens, de tant d'écoles et d'hôpitaux ; des voix innocentes, des voix faibles et douloureuses.

Comme l'Eglise est bonne, nous sommes-nous dit; comme est bonne la société, même profane, qui nous entoure ! Quel témoignage de vertus chrétiennes et humaines est ainsi venu jusqu'au pauvre successeur de Pierre, qui dans les circonstances présentes ne peut cacher sa peine pour tant de raisons bien connues, d'appréhension pour la foi, la charité, la paix dans l'Eglise et dans le monde.



Deux voix significatives


Nous voulons vous citer, à titre d'exemple, deux de ces voix, deux témoignages, sans en exclure aucun autre. Voici le premier : il vient d'un garçon d'un pays de l'Est européen, durant une audience générale, un enfant du peuple, timide et courageux, qui montrait à la fois simplicité et innocence ; il avait appris par coeur quelques mots en latin et dans sa propre langue pour nous dire sa fidélité et celle de son pays. Il nous obligea à nous arrêter un moment pour que nous l'écoutions. Comment ne pas le faire, même à un moment si peu propice, charmé que nous étions par tant de candeur et de bonté évangélique ?

Et celui d'un vieillard vénérable, un peu tremblant mais sûr de son message, qui, après une cérémonie à Saint Pierre, avait décidé de nous parler : « Courage, Saint Père, courage ! ». C'était Saverio Roncalli, le frère du Pape Jean XXIII, comme l'interprète de notre vénéré Prédécesseur.

Merci, merci à tous ; et à tous notre Bénédiction Apostolique.




17 juin 1970 L'EGLISE TOUT ENTIERE AU SERVICE DE L'HUMANITE

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Chers fils et filles,


Dans notre recherche des principales idées du Concile, qui reviennent dans la doctrine de ses documents et nous informent du style de l'Eglise en le pénétrant tout entier, nous en trouvons une sur laquelle nous ne pouvons pas ne pas nous arrêter ; c'est l'idée de service.

Ce n'est certes pas une idée nouvelle dans la conception religieuse, comprise comme un ordre établi par Dieu, ordre dans lequel toute créature, y compris l'homme, créature libre, est impliqué et subordonné. La crainte de Dieu, essence du sens religieux naturel, est définie comme le « début de la sagesse » (
Ps 110,10 Si 1,16) ; c'est le principe logique et ontologique de la philosophie biblique qui proclame en même temps la souveraineté absolue de Dieu créateur et la dépendance, libre mais moralement nécessaire, de l'homme. Le devoir fondamental d'adoration (latria) évolue en celui de service (diaconia). Dans le contexte religieux de la révélation, ce concept de service assume un aspect particulier dans la deuxième partie du livre d'Isaïe, où la figure mystérieuse du « serviteur de Jahvé » se prête à diverses interprétations, parmi lesquelles prévaut clairement celle du Messie rédempteur (cf. Is 42,1 ss. ; Is 49,2-6 Is 50,4-11 Is 52,13-15 Is 53).

Jésus, on le sait, bien qu'il fut Fils de Dieu, voulut assumer la nature d'esclave, en se faisant semblable à l'homme, « il s'humilia, en se faisant obéissant jusqu'à la mort sur la croix » (cf. Ph 2,6-8). Tout l'Evangile se déroule dans un esprit de soumission à la volonté du Père, et dans un esprit de service du bien d'autrui ; cet esprit éclaire toute la mission du Christ, qui dit ouvertement de lui-même que « le Fils de l'homme — c'est-à-dire Jésus, le Messie — n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre » (Mt 20,28). Et nous savons, tous, comment Jésus a fait de son exemple une loi pour ses disciples ; cela vaut la peine de citer le texte de cette grande leçon à la fois réformatrice et constitutive de l'Eglise : « Les rois des nations leur commandent, et ceux qui exercent l'autorité sur eux, se font appeler bienfaiteurs. Pour vous il n'en va pas ainsi ; au contraire, que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert... Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,25-27).



Le service raison d'être de l'autorité



Cet enseignement du Seigneur, expressément et intentionnellement assumé par le Concile, est appliqué de manière explicite et directe à l'autorité qui gouverne le Peuple de Dieu, reprenant un thème qui parcourt toute la tradition ecclésiastique et qui identifie le pouvoir au ministère (cf. congar, Pour une Eglise servante et pauvre, p. 15 et n. 2). Saint Augustin nous offre, à ce propos, les formules les plus nettes, et avec lui Saint Grégoire le Grand (cf. congar, l’Episcopat et l'Eglise universelle, p. 67 ss. ; 101-132). Ministère veut dire service, service par amour, pour l'utilité d'autrui, avec le sacrifice de soi. L'affirmation du Concile sur ce point (cf. Lumen Gentium, LG 32) est très importante ; elle est destinée à rectifier et à authentifier l'exercice de l'autorité dans l'Eglise, à lui redonner son expression pastorale originelle, à révéler le titre fondamental du pouvoir hiérarchique dans l'Eglise, l'amour, à en revendiquer, dans l'humilité et le dévouement, la dignité et la nécessité. C'est une affirmation qui, plus que toute autre, regarde la tâche qui nous est confiée dans l'Eglise universelle ; et nous prions le Christ Seigneur, de même que nous nous recommandons à la piété de nos frères et de nos fils, pour que nous puissions l'observer fidèlement et exemplairement, comme il convient à qui a, comme titre propre, celui de « serviteur des serviteurs de Dieu ». Ce thème du service comme raison d'être de l'autorité dans l'Eglise se prête à de nombreuses considérations, pour ceux qui veulent retrouver dans les pages du Nouveau Testament l'écho à la parole magistrale de Jésus ; comme pour ceux qui le cherchent dans la documentation patristique ou théologique (cf. par exemple S. thomas, II-II 88,12) ; ou bien pour ceux qui trouvent dans la longue histoire de l'Eglise le lien du pouvoir pastoral avec l'autorité temporelle, avec les relatives complications et les altérations du concept évangélique de l'office hiérarchique ; ou encore, comme cela se fait aujourd'hui, pour ceux qui cherchent les formes et le style avec lesquels l'Eglise doit exercer son autorité hiérarchique. L'idée de service reste la mesure de comparaison et de perfectionnement canonique du pouvoir conféré par le Christ à ses Apôtres et à leurs successeurs pour guider le peuple de Dieu.



Ordre hiérarchique et service ecclésial


Mais nous nous limiterons ici à quelques observations rapides et simples. Le fait que Jésus-Christ ait voulu que son Eglise soit gouvernée en esprit de service ne veut pas dire que l'Eglise ne doit pas avoir un pouvoir de gouvernement hiérarchique : les clefs confiées à Pierre signifient quelque chose, beaucoup même ; la parole de Jésus qui transfère aux apôtres son autorité divine en s'identifiant presque avec eux « qui vous écoute, m'écoute, et qui vous méprise me méprise » (Lc 10,16), nous enseigne de quel pouvoir, toujours pastoral et destiné au bien de l'Eglise, mais fort et efficace, sont revêtus ceux qui représentent le Christ, non par élection de la base, ou chargés par une communauté, mais par transmission apostolique, à travers le sacrement de l'ordre; et tout cela nous explique comment l'apôtre Paul, qui avait bien conscience d'être au service de tous : « debiter sum » (Rm 1,14), n'a pas peur de menacer les Corinthiens querelleurs de revenir parmi eux, si c'était nécessaire, « in virga » (1Co 4,21), avec un bâton pour les corriger, et également de « tradere... Satanae », c'est-à-dire d'excommunier, de remettre à Satan le malheureux incestueux.

Une autre observation : tout l'ordre ecclésial est compris exactement si on le conçoit seulement comme service. Pour comprendre exactement le rôle ministériel de la hiérarchie ecclésiastique, il est nécessaire de l'insérer dans le problème plus vaste de la fonction de service, qui regarde tous les membres de l'Eglise... Le service ecclésial est le rôle propre de tous les membres de l'Eglise » (LOHRER, La gerarchia al servizio del popolo cristiano, dans le volume : La Chiesa del Vaticano II, p. 699).

Et cela vaut pour chaque fidèle, mais encore plus pour tout le corps ecclésial ; l'Eglise toute entière est au service de l'humanité, c'est l'idée centrale de la Constitution pastorale Gaudium et spes (cf. GS 3 GS 11 GS 42 GS 89, etc.). Il est hors de doute que plus l'Eglise est remplie de cette conscience du service de salut qu'elle doit au monde, plus elle sera empressée et jalouse d'être unie, sainte, désintéressée, missionnaire, de comprendre les besoins de notre temps ; elle deviendra plus pressée d'être fidèle au double travail qui, à cette fin, lui est assigné : maintenir la foi intacte, c'est-à-dire le patrimoine de vérité et de grâce, que le Christ lui a consigné ; se rendre progressivement capable de communiquer aux hommes son message et son charisme de salut. C'est ainsi que l'idée de service, loin d'incomber à l'Eglise comme un poids opprimant et paralysant, la rend capable de se rénover dans son authentique vocation intérieure et de se répandre dans un apostolat toujours neuf, toujours intelligent, toujours généreux. C'est la force régénératrice du devoir, l'énergie expansive de l'amour.

Il resterait à expliquer comment cette idée de service peut s'accorder avec celle de liberté, dont le Concile nous a laissé également des enseignements inoubliables. Mais nous croyons que chacun peut trouver seul le lien harmonique entre ces deux idées conciliaires, à condition de les comprendre avec leur juste signification. Nous l'espérons, avec notre Bénédiction Apostolique.



24 juin 1970 PAUVRETE DE L'EGLISE VOULUE, COMPRISE ET VECUE

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Chers fils et filles,

Notre étude sur l'esprit du Concile, cet esprit, qui doit former en nous une mentalité chrétienne nouvelle et authentique et doit s'exprimer dans un nouveau style de vie ecclésiale, nous mène facilement au thème de la pauvreté.

On en a parlé beaucoup. Notre vénéré prédécesseur le pape Jean XXIII a commencé à le faire avec le radio-message aux catholiques du monde entier, un mois avant le Concile, quand il parla déjà alors des problèmes que l'Eglise a devant elle, à l'intérieur et à l'extérieur, et affirma que « l'Eglise se présente comme elle est et veut être, comme l'Eglise de tous et en particulier l'Eglise des Pauvres » (AAS 1962, 682). Ces mots eurent un immense écho. Ils étaient eux-mêmes l'écho d'une parole biblique, venue de loin, du Prophète Isaïe (cf.
Is 58,6 Is 61,1 ss.), et assumée par Jésus dans la synagogue de Nazareth : « Je suis envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres » (cf. Lc 4,18). Nous savons tous quelle importance revêt dans tout l'Evangile le thème de la pauvreté : à commencer par les Béatitudes, dans lesquelles les « Pauvres en esprit » ont la première place, non seulement dans le texte, mais dans le Royaume des cieux, pour continuer par les pages où les humbles, les petits, ceux qui souffrent, les nécessiteux sont exaltés comme les citoyens préférés de ce même royaume des cieux (Mt 18,3) et comme les représentants vivants du Christ lui-même (Mt 25,40). Ensuite, et surtout, l'exemple du Christ est la grande apologie de la pauvreté évangélique (cf. 2Co 8,9 St. augustin, Sermo 14, PL 38,115). Nous le savons et nous ferions bien de nous le rappeler, justement en hommage à cette authenticité chrétienne, que nous cherchons tous, à la suite du Concile et conformément au sens spirituel de notre temps.



Fondement de l'esprit de pauvreté


Le thème est très vaste ; et nous ne prétendons pas le développer ici ; nous le rappelons seulement pour son importance théologique: la pauvreté évangélique comporte en fait une révision de notre rapport religieux avec Dieu et avec le Christ, à cause de l'exigence primordiale que ce rapport affirme : les biens de l'esprit sont en tête dans la classification des valeurs dignes de notre existence, de notre recherche et de notre amour : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu » (Mt 6,33) ; alors que les biens temporels, la richesse, le bonheur présent, ne sont rien par rapport au Bien suprême, qui est Dieu, et à sa possession qui est notre bonheur éternel. L'humilité de l'esprit (cf. St. augustin, Enarr. in Ps. 73, PL 36, 943) et la tempérance, et souvent le détachement, soit dans la possession soit dans l'usage des biens matériels, constituent les deux caractéristiques de la pauvreté que le Maître divin nous a enseignée par sa doctrine et encore plus — comme nous le disions — par son exemple : Il s'est révélé, du point de vue social, dans la pauvreté.

Comme on le voit tout de suite, ce principe théologique sur lequel est fondée la pauvreté chrétienne, devient principe moral, marquant toute l'ascèse chrétienne : la pauvreté, vue dans l'homme, est, plus qu'une donnée de fait, le résultat volontaire d'une préférence d'amour, choisie pour le Christ et pour son royaume, avec le renoncement, qui est libération, au désir de la richesse qui comporte une série de soins temporels et de liens terrestres, en occupant beaucoup trop de place dans l'esprit. Rappelons l'épisode évangélique du jeune riche qui, placé devant l'alternative de suivre le Christ ou d'abandonner ses richesses, préfère celles-ci tandis que le Seigneur « le regarde et l'aime » (Mc 10,21), et le voit s'en aller avec tristesse.

Mais le Concile nous a appelés, plus qu'à la vertu personnelle de pauvreté, à la recherche et à la pratique d'une autre pauvreté, la pauvreté ecclésiale, celle qui doit être pratiquée par l'Eglise en tant que telle, comme collectivité réunie au nom du Christ.

Il y a dans une page du Concile un passage très beau à ce propos ; nous le citons parmi les nombreux autres que nous trouvons sur ce thème dans les documents conciliaires : « L'esprit de pauvreté et d'amour est en effet la gloire et le témoignage de l'Eglise du Christ » (Gaudium et spes, GS 38). Ce sont des mots pleins de lumière et de force, qui jaillissent d'une conscience ecclésiale en plein éveil, avide de vérité et d'authenticité, et désireuse de s'affranchir de coutumes historiques qui seraient peu conformes à son esprit évangélique et à sa mission apostolique. Un examen critique, historique et moral, s'impose pour donner à l'Eglise son visage authentique et moderne, où la génération actuelle désire reconnaître celui du Christ.

Ceux qui ont parlé à ce propos se sont particulièrement arrêtés sur cette fonction de la pauvreté ecclésiale, c'est-à-dire celle qui permet de donner une image visible, exacte de l'Eglise (cf. congar, Pour une Eglise servante et pauvre, p. 107). Ainsi a parlé d'une manière toute spéciale le Cardinal Lercaro, à la fin de la première session du Concile (6 décembre 1962), en insistant sur l'« image » que l'Eglise doit aujourd'hui montrer, aux hommes de notre temps en particulier, l'image par laquelle s'est révélé le mystère du Christ : l'aspect moral de la pauvreté, et l'aspect sociologique de sa préférence pour les pauvres.



Histoire et pauvreté de l'Eglise


Tout le monde voit quelle force réformatrice porte l'affirmation de ce principe : l'Eglise doit être pauvre ; ce n'est pas tout ; l'Eglise doit apparaître pauvre. Peut-être tout le monde ne voit pas les justifications qui peuvent être données aux divers aspects pris par l'Eglise au cours de sa vie séculaire, au contact avec des conditions particulières de la civilisation ; par exemple, quand elle apparaissait comme une grande propriétaire terrienne, alors qu'elle était engagée à rééduquer les populations au travail des champs ; ou encore quand l'Eglise apparaissait comme un pouvoir civil car, celui-ci ayant disparu, il fallait que quelqu'un l'exerce avec une autorité humaine ; ou encore quand, pour exprimer son caractère sacré et son génie spirituel, elle ornait de temples magnifiques et de parures très riches son culte ; ou pour exercer son ministère elle assurait le pain et une juste subsistance à ses ministres ; ou encore pour stimuler l'instruction et, l'assistance du Peuple, l'Eglise fondait des écoles et ouvrait des hôpitaux ; ou encore pour s'insérer dans la culture de certaines époques elle employait en maître le langage de l'art (cf. v. g. G. kurth, Les origines de la civilisation moderne).



Usage et finalité des moyens économiques nécessaires


Comme il serait facile, justement à l'honneur de la pauvreté de l'Eglise, de démontrer que les richesses fabuleuses qui lui sont de temps en temps attribuées par une certaine opinion publique, sont bien minimes, souvent insuffisantes aux besoins modestes et légitimes de la vie courante, que ce soit de tant d'ecclésiastiques et religieux que d'institutions de bienfaisance et de pastorale. Mais nous ne voulons pas maintenant faire cette apologie.

Acceptons plutôt l'affirmation que les hommes d'aujourd'hui, spécialement ceux qui regardent l'Eglise du dehors, font pour qu'elle se manifeste telle qu'elle doit être : certainement pas une puissance économique, sans être revêtue d'une apparence de bien-être, sans s'adonner à des spéculations financières, sans être insensible aux besoins des personnes, des groupes sociaux, des nations dans la misère. Nous ne voulons pas à présent explorer ce domaine immense des moeurs ecclésiales. Nous y faisons seulement allusion afin que vous sachiez que nous les avons présentes à l'esprit et que nous sommes en train d'y travailler par des réformes progressives mais sans timidité. Nous notons avec une attention particulière comment dans une période comme la nôtre, marquée toute entière par la conquête, la possession, la puissance des biens économiques, se manifeste dans l'opinion publique, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eglise, le désir, presque le besoin, de voir la pauvreté de l'Evangile et de la déceler en particulier là où l'Evangile est prêché et représenté : disons-le bien simplement, dans l'Eglise officielle, dans notre Siège Apostolique. Nous sommes conscient de cette exigence, interne et externe, de notre ministère ; et avec la grâce du Seigneur, de même que bien des choses ont été accomplies par rapport aux renoncements aux biens temporels et par rapport à la réforme du style de l'Eglise, ainsi nous continuerons, avec le respect qui est dû à de légitimes situations de fait, mais avec la confiance d'être compris et aidé par les fidèles dans notre effort d'éliminer des situations non conformes à l'esprit et au bien de l'Eglise authentique. La nécessité des « moyens » économiques et matériels, avec les conséquences qu'elle comporte de les rechercher, de les demander, de les administrer, ne doit jamais surpasser le concept des « fins » auxquelles ils doivent servir et dont ils doivent sentir le frein, la générosité dans l'utilisation, la spiritualité de la signification.

A l'école du Divin Maître nous aurons tous soin d'aimer en même temps la pauvreté et les pauvres ; la pauvreté pour en faire la norme austère de notre vie chrétienne, les pauvres pour en faire l'objet de notre intérêt tout spécial, qu'ils soient des personnes, des groupes, des nations qui ont besoin d'amour et d'aide. De cela aussi le Concile a parlé ; nous avons essayé et nous essaierons d'en écouter la voix.

Mais le discours sur l'Eglise des Pauvres devra continuer ; pour nous et pour vous tous, avec la grâce du Seigneur. Avec notre Bénédiction Apostolique.


***


Nous nous tournons maintenant avec joie vers les Délégués diocésains du Secours catholique français, qui entourent leur bien aimé et si dévoué Secrétaire général, notre et votre cher Monseigneur Jean Rodhain. Chers Fils et chères Filles, votre pèlerinage à Rome, sur la tombe du premier pape Saint Pierre et sur celle du diacre Saint Laurent, illustre à merveille votre inséparable fidélité au Saint-Siège et aux pauvres. Dans notre société, qui laisse subsister tant de détresses, vous représentez, à un titre particulier, l’oeil vigilant, le coeur affectueux, la main diligente de l’Eglise: «La charité ne passe jamais» (1Co 13,8). Dans l’amour sans frontières du Christ, vous rassemblez donateurs et bénéficiaires, et vous favorisez la rencontre et l’action solidaire de tous ceux qui veulent marcher sur les traces du bon Samaritain en vivant une charité quotidienne, généreuse et efficiente. De tout coeur Nous vous disons notre vive gratitude pour ce témoignage vrai d’amour chrétien. Et en attendant d’avoir la joie d’accueillir l’an prochain le grand rassemblement que vous êtes venus préparer ici en précurseurs, Nous vous exprimons, avec notre satisfaction, nos paternels encouragements.

Nous adressons aussi un salut spécial aux chers séminaristes de Dijon, à leur Supérieur, à leurs professeurs. Comme Nous Nous réjouissons, chers amis, de votre démarche filiale, de votre souci de prendre ici contact avec la longue histoire de l’Eglise et avec ceux qui, aujourd’hui, portent, avec Nous, la sollicitude de toutes les églises! Dans ces sentiments de communion confiante, vous chercherez à acquérir une connaissance approfondie du message du Christ dont vous serez, de façon spéciale, les hérauts, et à pénétrer dans son mystère dont vous deviendrez bientôt les dispensateurs. Un tel service requiert de vous, vous le savez, une consécration totale, mais vous vaut aussi la joie sans partage des amis du Christ. Qu’il vous guide sur le chemin où tant de saints prêtres nous ont précédés. En le lui demandant, Nous vous donnons de grand coeur, à tous, Notre affectueuse Bénédiction Apostolique.

Nous saluons avec une particulière affection les 200 adolescentes du Mouvement «Generazione nuova», actuellement en Congrès international à Rocca di Papa. Chères jeunes, vous êtes venues d’Italie, de France, de Belgique, d’Angleterre et de Portugal. Nous savons votre commune volonté de prendre au sérieux votre vie chrétienne, et de servir l’Eglise de votre mieux dans le monde nouveau qui se construit. Merci du beau témoignage que vous donnez déjà à tous .., et merci des voeux de fête que vous etes venues Nous apporter aujourd’hui. De tout coeur Nous vous bénissons, Nous bénissons tous les jeunes de votre Mouvement, vos familles, vos pays.



1° juillet 1970 INVITATION DU CONCILE A UNE ETUDE PLUS APPROFONDIE DE LA BIBLE

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Chers fils et filles,


Parlons encore du Concile ! Vous avez remarqué que depuis le Concile, on parle très souvent de la Sainte Ecriture. Les références à l'Ecriture reviennent partout dans les documents conciliaires, spécialement dans la Constitution sur la Liturgie (cf.
SC 24 SC 33 SC 35 SC 51...), sur l'Eglise (cf. LG 6 LG 15 LG 24), dans le Décret sur l'OEcuménisme (UR 21). Nous n'en finirions pas si nous voulions en faire la liste. Mais un document très important y a été consacré tout spécialement, c'est la Constitution dogmatique sur la Révélation divine, qui s'intitule Dei Verbum selon les mots qui l'introduisent. C'est un des documents les plus importants du Concile ; fondamental, même, avec Lumen Gentium sur l'Eglise et Gaudium et spes sur les rapports entre l'Eglise et le monde. Il caractérise le processus doctrinal de l'Eglise à partir du Concile de Trente ; il insiste sur les questions bibliques les plus importantes qui ont surgi ces derniers temps ; il fixe la fonction de l'Ecriture par rapport à la révélation, recueille par écrit la parole de Dieu (cf. Dei Verbum, DV 7) et précise sa relation avec la Tradition (DV 8-9), énonce son rapport avec le magistère de l'Eglise (DV 10), donc avec la norme de la foi (DV 5).

On a remarqué que dans ce document ecclésial officiel a été acceptée, pour la première fois explicitement « l'économie du salut », et avec elle l'affirmation sur le développement des dogmes (cf. D. P. dupuy o.p., La Révélation divine, 1, 15 ss.) ; de même beaucoup d'autres nouveautés disciplinaires qui modifient celles du Concile de Trente (cf. denz.-sch. DS 1853-1854) et celles du Pape Clément XI, après la controverse sur la doctrine janséniste de Quesnel (cf. denz.-sch. DS 2479-2485), et qui souhaitent la préparation de traductions et d'éditions de l'Ecriture Sainte, réalisées avec le consentement de l'autorité de l'Eglise, faites en collaboration avec les Frères séparés (nn. DV 22 et DV 25).



Vatican II et les Encycliques des Papes


Bien des questions concernant la doctrine et les études sur la Bible sont traitées dans les cinq premiers chapitres de la Constitution qui s'inscrit par conséquent dans la série des grands documents pontificaux parus au cours des cent dernières années sur cette matière si importante (par exemple les encycliques Providentissimus Deus [1893] de Léon XIII, Spiritus Paraclitus [1920] de Benoît XV, Divino afflante Spiritu [1943] de Pie XII, etc.) ; un rappel nous surfit, un simple rappel, du chapitre VI de cette Constitution conciliaire, qui nous parle de la « Sainte Ecriture dans la vie de l'Eglise» et concerne donc directement tout le Peuple chrétien.

Que dit ce chapitre ?

Il nous dit, avant tout, combien l'Eglise a vénéré les Livres de l'Ecriture « comme règle suprême de la foi » (cf. DV 21) en même temps que la Tradition. Il est possible qu'une intention apologétique ne soit pas étrangère à cette affirmation, qui défend l'Eglise catholique, histoire et littérature sacrée à la main, d'avoir moins estimé et aimé l'Ecriture que les protestants du XVI° siècle, qui la considéraient comme l'unique norme de la foi : « sola Scriptura », l'isolant de l'Eglise et de la tradition primitive, ainsi que de la tradition plus récente, sauf de permettre à tout lecteur de la Bible, pratiquement, d'y trouver le sens qui lui plaît, selon une prétendue illumination de l'Esprit Saint, aux dépens du contenu comme de l'unité de la foi. La sainte Ecriture est parole de Dieu pour l'Eglise, inspirée par Lui, donc, dans sa signification authentique propre, garantie d'inerrance divine (cf. Dei Verbum, DV 1). Rappelons, parmi les innombrables témoignages de l'estime professée par l'Eglise envers la Sainte Ecriture, celui de Saint Jérôme : « Ignoratio ... Scripturarum ignoratio Christi est » (Comm. in h., Prol. ; PL 24, 17).

Que reconnaît l'Eglise dans la Sainte Ecriture ? Elle y reconnaît l'immutabilité de sa doctrine (cf. Jn 10,35 où le Christ déclare : « L'Ecriture ne peut être abolie ») ; la validité et l'authenticité permanentes de la Parole de Dieu, qui y est contenue ; elle reconnaît en elle une inépuisable fécondité spirituelle, une valeur prophétique, qui peut atteindre avec le souffle de l'Esprit Saint n'importe quelle situation humaine, historique ou sociologique ; elle y reconnaît la source de la prédication et de la catéchèse ecclésiales, et spécialement elle y reconnaît un aliment spirituel.

Relisons au moins une page de cet enseignement lumineux : « Il faut donc que toute la prédication ecclésiastique, comme la religion chrétienne elle-même, soit nourrie et régie par la Sainte Ecriture. Dans les Saints Livres, en effet, le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au devant de ses fils et entre en conversation avec eux ; or la force et la puissance que recèle la Parole de Dieu sont si grandes qu'elles constituent, pour l'Eglise, son point d'appui et sa vigueur et, pour les enfants de l'Eglise, la force de leur foi, la nourriture de leur âme, la source pure et permanente de leur vie spirituelle. Dès lors ces mots s'appliquent parfaitement à la Sainte Ecriture : « Elle est vivante donc et efficace la parole de Dieu » (He 4,12), « qui a le pouvoir d'édifier et de donner l'héritage avec tous les sanctifiés » (Ac 20,32 1Th 2,13).

L'idée de nourriture spirituelle de l'ame se retrouve encore deux fois dans Dei Verbum, toujours en référence aux célèbres paroles de l'« Imitation du Christ » (1. IV, 11) qui réunit la nourriture de la Parole de Dieu et la nourriture eucharistique : « l'Eglise a toujours vénéré les divines Ecritures, comme elle l'a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la Sainte Liturgie, de prendre, sur l'unique table de la parole de Dieu et du Corps du Christ, le pain de vie pour l'offrir aux fidèles » (DV 21 et cf. DV 26).



Un domaine ouvert à la recherche


Donc, si nous voulons être des disciples attentifs et fidèles au Concile, nous devons tous donner une importance nouvelle et grande à la Sainte Ecriture, à son écoute surtout, maintenant que la réforme liturgique a donné tant de place et tant d'honneur à la parole de Dieu. Il ne suffit pas d'écouter, il faut méditer, c'est-à-dire assimiler. Donc la lecture de la S. Ecriture est nécessaire, et nécessaire son étude. Nous rencontrerons beaucoup de difficultés, mais pour celui qui étudie en priant (« orent ut intelligant », qu'ils prient pour comprendre, disait S. augustin, De doctr. christiana 3, 56 ; PL 34, 89), et cherche l'aide des bons exégètes guidés par l'Eglise, les difficultés deviendront un stimulant pour mieux comprendre et à la fin pour une union plus intime avec la Parole de Dieu (cf. P. martini, La Cost. Dogm. sulla Divina Riv. , pp. 417-465, L.D.C., Torino).

Voici un nouveau domaine ouvert aux chercheurs de Dieu, aux fils fidèles de l'Eglise du Concile. Nous vous exhortons à y entrer avec notre Bénédiction Apostolique.




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