Catéchèses Paul VI 7100

7 octobre 1970 MORALE, CONSCIENCE ET MAGISTÈRE

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Chers fils et filles,

Une des questions fondamentales concernant toute la vie humaine, spécialement de nos jours, regarde les principes de l'action, les critères de l'ordre moral, les règles de l'agir ; la question est si fondamentale que, dans les discussions théoriques, beaucoup se demandent : existe-t-il un ordre, une règle, une loi, qui s'impose, qui prédétermine, qui oblige l'homme à agir d'une certaine manière ? L'homme n'est-il pas libre ? La question devient si pressante et simpliste qu'elle paraît équivalente à cette autre : l'indifférence morale, c'est-à-dire l'anarchie ne serait-elle pas, à la fin, sa propre « loi ? ». Cette question et d'autres semblables sont posées non seulement par les penseurs en proie à la critique corrosive et qui après avoir renié les raisons absolues de la pensée et de l'être, ont réussi à détruire les bases de toute obligation morale et à abolir ce qu'on appelle la « répression », permettant à leurs disciples de tout faire et de ne rien faire, de vivre dans la pleine spontanéité des instincts ; ces questions, elles sont posées aussi instinctivement par une grande part de la génération nouvelle, qui lui donne pratiquement des solutions et des applications immédiates par des comportements habituels de contestation, de rébellion, de révolution, avec une seule tendance : changer, sans se rendre compte clairement ni du comment ni du pourquoi. Pour ensuite : jouir.



L'appel du Concile


Quand saint Paul, alors Saul, fut frappé à la porte de Damas par la lumière soudaine de Jésus céleste, il posa deux questions : « Qui es-tu Seigneur ? » et « que veux-tu que je fasse » (
Ac 9,3-5). Nous appelons cette scène prodigieuse la conversion de saint Paul, choisi de cette manière pour convertir le monde au christianisme. Notez bien les deux points de l'interrogation : la connaissance du Christ, la nouvelle ligne d'action. Une fois connu le Christ, un besoin impératif, un commandement d'agir, en dérive immédiatement et logiquement. Le chrétien est un homme qui agit en conformité avec son être, qui a son style, son dessein de vie, et, en plus, s'il est vraiment fidèle à sa vocation chrétienne, la force, la grâce pour traduire cette vocation dans la vie.

Le Concile, — car nous nous référons encore à ce grand enseignement que l'Eglise a providentiellement exposé à nos contemporains — nous appelle à cette restauration de l'agir humain : l'ordre moral chrétien (cf. Inter Mirifica, IM 6 ; Gaudium et Spes, GS 87, etc.).

La formule est simple, mais la réalité à laquelle elle se réfère est très complexe. Elle implique un grand nombre d'éléments qui font partie d'une structure de vérités : sur Dieu, sur l'homme, sur la révélation et l'histoire du salut ; et, plus particulièrement sur l'existence d'une obligation morale, d'une responsabilité, d'un devoir, qui engage toute la vie, sur la loi et l'autorité qui l'interprète et la promulgue, sur la liberté, sur la conscience, sur la loi naturelle, sur la grâce, sur le péché, sur la vertu, sur le mérite, sur la sanction, etc. S'il en est ainsi, la première impression est décourageante : elle est trop compliquée cette conception de la morale chrétienne ! C'est tout un système : et aujourd'hui on est facilement opposé au système. Dans le domaine pratique spécialement, on désire des idées simples, des formules claires, des paroles accessibles. Ce système par contre, conduit à des codes volumineux, remplis d'interdictions et d'obligations, il débouche sur la casuistique et le juridisme. L'homme moderne veut une morale moderne.



Simplifier la morale ?


C'est une affirmation très répandue et très importante. Il faut la méditer, parce qu'il est vrai qu'aujourd'hui nous avons besoin de réfléchir sur les problèmes moraux, de renforcer notre conscience morale ; nous devons remonter aux principes pour avoir des convictions sûres et agissantes ; nous devons voir comment les progrès des sciences modernes, surtout la psychologie, la médecine et la sociologie, entrent dans le cadre de la connaissance de l'homme, l'anthropologie, dont dérive la science de l'agir, c'est-à-dire la morale ; nous devons voir si tant de formes de l'agir, tant de coutumes, sont aujourd'hui raisonnables ou non ; nous devons voir comment appliquer les principes moraux permanents aux besoins nouveaux et aux aspirations contingentes de notre temps. Le Concile désire que soient perfectionnées les études de la théologie morale (Optatam totius, OT 16) et nous devons aussi réfléchir parce que dans ce domaine de la morale, qu'il soit théorique ou pratique, règne une tendance générale : simplifier. On pourrait étudier les divers aspects de cette simplification qui souvent se résolvent en mutilation de l'ordre moral, en contradiction avec l'adage antique et sage : bonum ex integra causa, le bien résulte de la totalité de ses composantes. Une simplification fort à la mode est, par exemple, celle qui regarde la loi morale, positive d'abord puis naturelle. Certains contestent jusqu'à l'existence d'une loi naturelle, stable et objective. Le domaine des choses permises triomphe progressivement. Nous devrions examiner si le développement de ce qui est licite est justifié par une ouverture raisonnable à l'esprit moderne : ce qui est, si ce n'est pas contradictoire à des normes intangibles ; si cela produit de bons effets : « vous les connaîtrez à leurs fruits » nous enseigne Jésus (Mt 7,20) ; si cela ne supprime pas la notion du bien et du mal, et si cela n'enlève pas à la personnalité humaine la force de la maîtrise de soi, du respect des autres, de la mesure due à la coexistence sociale ; et puis si n'est pas oublié un critère fondamental du progrès, qui ne consiste pas toujours dans l'abolition de normes d'actions mais plutôt dans la découverte de nouvelles normes dont découlent du fait de leur observance un vrai progrès, une perfection humaine, telles les normes qui favorisent la justice sociale, ou celles qui empêchent certaines dégénérescences morales, comme la guerre, la polygamie, la violation de la parole donnée ou des traités, etc. La licéité peut dégénérer en licence.


Morale de situation


Une autre simplification est celle qui soutient que la règle de l'agir doit naître seulement de la situation. Vous en avez entendu parler. Les circonstances, c'est-à-dire la situation, sont certainement un élément qui pose des conditions à l'acte humain, mais cela ne peut faire abstraction des normes morales supérieures et objectives, la situation dit seulement si et comment elles sont applicables dans le cas concret. Limiter le jugement directif de l'agir à la situation peut signifier la justification de l'opportunisme, de l'incohérence, de la lâcheté ; adieu la force de caractère, adieu l'héroïsme, adieu, enfin, la vraie loi morale. L'existence de l'homme ne peut oublier son essence (cf. Instruction du S. Office du 2 février 1956, AAS pp. 144-145; Allocution de Pie XII, 18 avril 1952, Discorsi, XIV, pp. 69 ss.). Sans oublier que la conscience, à laquelle la morale de la situation se réfère, la conscience toute seule, sans être illuminée par des principes transcendants et guidée par un magistère compétent, ne peut être l'arbitre infaillible de la moralité de l'action ; c'est un oeil qui a besoin de lumière.

Nous pourrions continuer. Mais nous préférons conclure par une réponse consolante au désir, légitime d'ailleurs, de trouver en une synthèse simplificatrice et complète toute la loi morale ; c'est la réponse donnée par le Christ lui-même à celui qui lui demandait quel était le premier précepte et le plus important de toute la loi divine, cette loi qui avait été exprimée dans une mosaïque et développée dans tout le formalisme légaliste de ce temps. Nous la connaissons, cette réponse, qui reprend en un double commandement « toute la loi et les prophètes » ; le premier est vertical, comme nous dirions aujourd'hui, et source du second, horizontal : « aime Dieu, aime ton prochain » (Mt 22,36). Voilà la synthèse, avec toutes ses implications, voilà l'Evangile ; voilà la vie : « Fais cela et tu vivras » (Lc 10,28), conclurons-nous avec Jésus. Avec notre Bénédiction Apostolique.

***


Nous voulons maintenant adresser un mot particulier aux représentants élus des provinces de la Compagnie de Jésus réunis autour de leur Général, le cher et venereux Père Pedro Arrupe, en Congrégation des procureurs.

Chers Fils, c’est pour Nous une joie de vous recevoir et de vous dire, avec Notre confiance, tout ce que Nous attendons de vous en tette heure de la vie de l’Eglise. Notre conviction profonde est en effet qu’un renouveau de la vie religieuse au lendemain du Concile portera de multiples fruits de grâces et de sainteté, sous l’influx de l’Esprit-Saint. Nul doute que, dans tette nouvelle floraison que Nous appelons de tous nos voeux, la Compagnie de Jésus n’ait une place de choix.

Pour vous aussi, c’est l’heure du discernement spirituel. Selon le conseil, plus actuel que jamais, de l’apôtre Paul: «N’éteignez pas l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Eprouvez tout. Retenez ce qui est bon. Gardez-vous de toute espèce de mal» (1Th 5,19-22). Depuis votre Chapitre général, certaines voix discordantes se sont fait entendre, qui ont trop accaparé l’attention, au détriment de l’oeuvre apostolique admirable fidèlement accomplie par tant de Jésuites qui, pour ne point faire parler d’eux, n’en remplissent pas moins avec amour et générosité, ardeur et dévouement, leur vocation apostolique: être, dans le monde d’aujourd’hui, les témoins de l’Evangile, les porteurs de la Bonne Nouvelle, des hérauts de Dieu, des collaborateurs avisés dans l’édification de l’Eglise, vivant au milieu des hommes et leur révélant «la fraternité dans la filiation divine», tant il est vrai que «la foi est l’ossature de l’amour» (R. P. YVES RAGUIN, Chemins de la contemplation, Paris, Desclée de Brouwer, 1970, Col. «Christus» n. 29, pp. 135 et 156).

Dans une étroite unité d’intention à travers la variété des situations et des engagements apostoliques, que resplendisse toujours aux yeux des hommes et devant 1’Eglise le témoignage de votre foi profonde au Christ vivant. Comme saint Ignace sut hier trouver avec audace le chemin des intelligences et des coeurs de ses contemporains pour les conduire vers le Seigneur, il vous appartient aujourd’hui, dans la fidélité profonde à ses intuitions spirituelles, de répondre aux appels qui vous parviennent du successeur de Pierre et de ses frères dans l’épiscopat, pour planter l’Eglise au coeur du monde, au sein des cultures, dans le tourbillon des villes, le fracas des usines et le bouillonnement des universités, «comme un signe dressé au milieu des nations» (Cfr. Is 11,12).

Sur tous ces chemins de l’apostolat, chers fils, Notre pensée vous accompagne, et Notre prière, avec une large Bénédiction Apostolique.



14 octobre 1970 PLACE DES MISSIONS DANS LA VIE DE L'EGLISE

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Chers fils et filles,

La journée missionnaire qui sera célébrée dimanche prochain, 18 octobre, ramène notre pensée à ce grand thème des missions catholiques.

On parle beaucoup des missions, un peu partout ; elles semblent un thème traité à fond, réservé désormais à la propagande dans les discours, conventionnel. Nous ne sommes pas de cet avis. Le fait missionnaire nous apparaît toujours aussi profondément inséré dans la doctrine qu'il suppose et qu'il actualise ; si complexe par les formes dans lesquelles il se manifeste, si dramatique dans l'activité qu'il crée et réclame, si grand par les vertus chrétiennes et humaines dont il s'alimente, si vaste par les dimensions géographiques et ethniques qu'il assume, si moderne par les problèmes humains dans lesquels il s'insère, si évangélique par la présence du Christ dont il nous donne la vision mystérieuse et concrète, si nôtre, par la responsabilité dont il revêt chacun de nous (cf. Lumen Gentium,
LG 17) comme l'Eglise entière (ib. LG 1 LG 5) ; si bien que le fait missionnaire nous semble un thème d'étude inépuisable et de développement constant. Pour cela et pour d'autres raisons encore nous vous en disons quelques mots.



Le Christ source de la Mission


Nous nous limiterons à vous proposer deux questions : la première : que savez-vous des Missions catholiques ? Cette question se décompose en plusieurs autres qui ne sont ni superflues, ni indiscrètes, mais visent à honorer votre conscience et votre formation ecclésiale. Par exemple : avez-vous jamais lu et médité le décret conciliaire sur l'activité missionnaire, appelé Ad Gentes ? C'est un document important qui reprend la doctrine et l'expérience du passé et qui ouvre de grandes visions sur un des caractères essentiels de l'Eglise. « Durant le Concile, écrit un célèbre missionnaire qui participa à la rédaction du Décret, l'Eglise s'est découverte missionnaire, dans une expérience vécue, comme jamais encore auparavant » (P. Schutte).

Ceci fait remonter de la connaissance empirique, épisodique, géographique et sociologique des Missions, (connaissance dont nous avons tous quelque élément, ne fut-ce que par les images et les événements que tant de belles revues missionnaires présentent constamment à notre regard et à notre intérêt), à une connaissance d'ensemble, à la vision panoramique de l'histoire de l'Eglise comme de sa nature, où l'activité missionnaire nous apparaît comme une raison d'être, un but de l'Eglise elle-même : « c'est — dit le Concile — le devoir le plus haut et le plus sacré de l'Eglise » (Ad Gentes, AGD 29).

Pourquoi cela ? La recherche franchit maintenant le seuil du mystère et essaie de retrouver l'origine des Missions dans le dessein de Dieu (1Co 2,7 Ep 3,9 Rm 16,25), actualisé par le Christ pour le salut de l'humanité : le Christ, Fils de Dieu, a été envoyé par le Père « porter la bonne nouvelle » (Lc 4,18). Le Christ est le premier et vrai missionnaire, le messager et le médiateur du rapport surnaturel nouveau des hommes avec le Père. Il « est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). Il vint comme un homme, visible, sur notre terre et dans notre histoire. Et après lui, à partir de lui, une autre « mission » divine a suivi, invisible en elle-même, intérieure, dans le coeur des hommes, celle de l'Esprit Saint qui avait déjà « parlé par les Prophètes », et qui devait animer tout le Corps Mystique du Christ. Le mystère de la Sainte Trinité, qui nous est révélé par ces missions divines, est donc à la source de l'économie missionnaire de notre salut. C'est l'Esprit Saint qui suscite l'apostolat, autre mission, institution extérieure, ministérielle, reliée à la désignation des Apôtres et à la Pentecôte ; mission destinée à être le canal, dans le temps et dans le monde, de la foi et de la grâce, et à servir d'instrument d'édification de l'Eglise (Jn 20,21 Ga 4,4 Ga 4,6 cf. congar, Esquisse du mystère de l'Eglise, Cerf 1953, p. 129 et suivantes ; et le volume Ecclesia Spiritu Sancto edocto, « Mélanges théol., hommage à Mgr Philips », Duculot, Gembloux, Belgique 1970).

Vous voyez quelle origine ont les missions, origine divine, évangélique, apostolique, théologique (cf. Ad Gentes, AGD 2 AGD 3), qui rayonne dans le monde avec deux grandes idées, l'universalité de la révélation, de la rédemption, de l'Eglise, avec raison appelée catholique, c'est-à-dire universelle (Mc 16,15 Mt 28,19) ; et la nécessité du salut à travers le Christ (Mc 16,16 Jn 3,18 Ac 16,30-31). Les missions sont l'épiphanie de la foi et de la charité, opérée par le ministère de l'Eglise. Ministère extrêmement lié à son authenticité originelle et autorisée ; mais aussi ministère libre, dans son choix et dans son déroulement apostolique.



Un libre choix


Ce dernier aspect, celui de son libre choix, celui de la dépendance de la collaboration humaine, nous intéresse directement. Il regarde l'histoire humaine de l'évangélisation, explique ses audaces et ses lenteurs, regarde son efficience et sa faiblesse, décrit ses aventures, ses entreprises et ses souffrances, et présente ses protagonistes ; ce sont les missionnaires, les héros de l'Evangile, les prédicateurs, les martyrs, les saints de l'expansion de l'économie du salut, les témoins de l'Eglise comme sacrement du salut, les travailleurs de la première implantation de l'Eglise et de son premier développement, les hérauts des civilisations chrétiennes, les prophètes des suprêmes destinées humaines.

Nous croyons qu'une des raisons pour lesquelles notre peuple sent et aime la cause des missions, est justement celle-là : il devine que là se trouve l'Evangile naissant parmi les hommes, là est le Christ vivant, là est l'Eglise dans son attitude la plus authentique et la plus généreuse. On pourrait croire que les missions plaisent aux peuples d'antique tradition chrétienne à cause de leurs aspects exotiques, de leurs histoires aventureuses, de leurs paysages inconnus, en un mot à cause de leurs aspects extérieurs qui impressionnent l'imagination, la curiosité, le sentiment. Mais cette image attrayante n'arrête pas le regard, mais immédiatement l'introduit dans l'intelligence de la réalité missionnaire : une réalité sublime par l'annonce chrétienne qui y transparaît et par le sacrifice humain qu'elle manifeste.

Les connaissez-vous, les missions, demandions-nous ? Peut-être (n'est-ce pas ?) méritent-elles d'être plus connues ! Ne serait-ce que parce qu'elles représentent un des efforts les plus grands, les plus persévérants, les plus intéressants, les plus libres et les plus gratuits pour faire, d'hommes dispersés, divisés, et venant de civilisations temporelles, une humanité plus vraie, plus fraternelle, chrétienne, et tendue vers des espérances qui dépassent le temps. Il faut mieux connaître les missions !


Notre devoir missionnaire


Nous avons une autre question à vous poser, très chers fils et frères : que faites-vous pour les missions catholiques ? Pour cette entreprise grandiose et pacifique de l'offrande du Christ au monde qui ne le connaît pas encore ? Pour cet effort héroïque de l'Eglise porteuse sur toute la terre de la foi et de la paix ? Ne sommes-nous pas tous coresponsables de la diffusion de l'Evangile parmi tous les hommes ? Ne voyons-nous pas qui sont ces missionnaires, hommes et femmes, nos frères et nos soeurs, qui donnent sans partage leur vie par pur amour du Christ et des peuples lointains et inconnus ? Sommes-nous indifférents en face de ces exemples paradoxaux ? Resterons-nous des spectateurs amusés et égoïstes devant ce spectacle de réalisme surhumain et d'importance capitale, lorsque tant de personnes soutiennent d'autres causes, peut-être bonnes et intéressantes, mais qui ne méritent certainement pas une telle ardeur humaine et chrétienne ?

Voilà la réponse : essayons de nous sentir solidaires de la cause des missions ; c'est la cause de l'Evangile, c'est la cause d'un salut facile et sûr pour des hommes innombrables, c'est la cause de la promotion des droits de l'homme et de la vraie civilisation, temporelle et morale, c'est la cause de notre conscience chrétienne elle-même ; voilà ce que nous devons faire en premier lieu : les missionnaires ne doivent pas se sentir seuls et abandonnés de leurs frères installés dans une possession normale de la vie religieuse et civile.

Cela d'abord. Le reste vient tout seul : prière, imitation, offrandes.

Avec ces sentiments dans le coeur, de ce point central de l'Eglise terrestre, la tombe de l'Apôtre Pierre, nous envoyons notre pensée fraternelle à tous les valeureux missionnaires, à tous les catéchistes, à toutes les communautés de l'Eglise naissante, une salutation affectueuse.

Pour vous et pour eux, notre Bénédiction Apostolique.



21 octobre 1970 CONDAMNATION MORALE DE TOUTES LES FORMES DE VIOLENCE QUI TROUBLENT LE MONDE

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Chers fils et filles,

Fidèle au devoir qui Nous vient du Concile, Nous cherchons à rappeler quelques principes fondamentaux proclamés par les enseignements conciliaires sur l'agir humain, assuré que Nous sommes de relier notre parole, d'une part à la doctrine du Christ, d'autre part aux problèmes et aux besoins du monde présent. C'est notre devoir de promouvoir la formation d'une mentalité et de comportements qui correspondent davantage au vrai progrès moral de l'homme et de la société, même si notre voix s'exprime dans ces rencontres hebdomadaires de manière occasionnelle et populaire, très simple et nullement exhaustive. Mais Nous vous confions que l'exercice de cet humble ministère Nous fait prendre conscience de notre responsabilité apostolique. Nous Nous sentons en effet sollicité à porter un jugement, non certes en raison d'une compétence directe et spécifique que Nous ne prétendons pas avoir dans les problèmes propres à ce monde, mais en raison de la référence qu'a toute question humaine avec la conception globale de la vie et de ses fins suprêmes ; également en raison du regard critique qui de toute part, même des horizons profanes, se fixe sur Nous pour voir si Nous avons vraiment fonction universelle de magistère doctrinal et moral. Avec surprise pour beaucoup, Nous revient, étrangement revendiquée, la parole de Saint Paul : « L'homme spirituel juge de tout » (
1Co 2,15), parole qui résonne avec la force propre au moyen-âge dans la sentence célèbre et contestée de Boniface VIII, affirmant qu'« au regard du péché », c'est-à-dire sous l'aspect moral transcendant, par rapport à Dieu, « toute chose humaine est sujette à la puissance des clés de Pierre » (cf denz.-schonm., DS 873-874). Récemment encore, par exemple, à l'occasion d'un crime commis dans une île païenne du Pacifique, un journal local demandait : « Qu'en dit le Pape ? ».

Cette introduction vous laisse comprendre combien il est pour Nous un devoir douloureux d'appeler la réflexion des hommes de bonne volonté sur certains faits qui surviennent aujourd'hui sur la scène du monde, faits qui frappent la sensibilité de tous par eux-mêmes, par leur singularité, leur gravité et leur répétition, qui va au-delà du simple épisode et semble le signe d'une soudaine décadence morale.



Continuelles offenses à la dignité de la personne humaine


Quels faits ? Les tortures par exemple. On en parle comme d'une épidémie répandue dans de nombreuses parties du monde ; on en désigne le centre, peut-être pas toujours sans quelque intention politique, dans un grand pays, tendu dans un effort de progrès économique et social, et jusqu'à présent considéré et respecté par tous comme un pays libre et sage. Eh bien ! les tortures, c'est-à-dire les méthodes policières cruelles et inhumaines pour extorquer des aveux des lèvres de prisonniers, sont à condamner absolument. Elles ne sont pas admissibles aujourd'hui, pas même dans le but d'exercer la justice et de défendre l'ordre public. Elles ne sont pas tolérables, même quand elles sont pratiquées par des organes subalternes, sans mandat ni permission des autorités supérieures, sur qui peut retomber la responsabilité de tels abus et de telles violences déshonorantes. Il faut les dénoncer et les abolir. Elles sont une offense, non seulement à l'intégrité physique, mais encore à la dignité de a personne humaine. Elles dégradent le sens et la majesté de la justice. Elles inspirent des sentiments implacables et contagieux de haine et de vengeance. Là où cela a été possible, Nous les avons déplorées et Nous avons cherché à dissuader de recourir à des méthodes si barbares. Les autorités de l'Eglise et l'opinion publique des catholiques ont élevé leur voix contre de tels abus iniques de pouvoir.

Ces affirmations catégoriques ont valeur de principe, car en ce qui concerne la réalité de certains faits, Nous n'avons pas qualité pour Nous prononcer, particulièrement après des démentis et rectifications souvent donnés par des organes qualifiés et des enquêtes particulières. De même, ces affirmations n'entendent pas justifier des violations privées ou collectives de l'ordre public, qui peuvent avoir fourni un prétexte à de tels excès de la part des défenseurs de l'ordre.

Ici se présente une autre catégorie de méfaits, que le sens chrétien de la vie sociale ne peut admettre comme licites. Nous voulons dire : la violence et le terrorisme employés comme moyens normaux pour renverser l'ordre établi, quand celui-ci ne revêt pas lui-même la forme ouverte, violente et injuste d'une oppression insupportable et irréformable par d'autres moyens. Cette mentalité et ces méthodes sont, elles aussi, à déplorer. Elles causent des dommages injustes, provoquent des sentiments et suscitent des méthodes qui mettent en danger la vie de la communauté, elles aboutissent logiquement à la diminution ou à la perte de la liberté et de l'entente sociale. La théologie de la révolution, comme on l'appelle, n'est pas conforme à l'esprit de l'Evangile. Vouloir trouver dans le Christ, réformateur et rénovateur de la conscience humaine, un destructeur radical des institutions temporelles et juridiques, n'est pas une interprétation exacte des textes bibliques, ni de l'histoire de l'Eglise et des saints. L'esprit du Concile met le chrétien en face du monde dans une tout autre position.



Les voies de la justice et du droit


Que dirons-Nous des répressions meurtrières, non seulement contre les formations armées et rebelles, mais contre des populations innocentes et désarmées ? Que dirons-Nous de certaines oppressions et intimidations qui pèsent sur. des pays entiers ? Tous voient comment la guerre continue à travers le monde. Le jugement devient d'autant plus difficile et réservé que la complexité des faits et de leurs composantes échappent à une exacte connaissance. Mais ici encore : on ne peut taire la condamnation, au moins de principe. Nous ne sommes pas pour la guerre, même si elle peut malheureusement encore aujourd'hui s'imposer parfois comme une suprême nécessité de défense. Nous sommes pour la paix. Nous sommes pour l'amour. Nous continuons à espérer que le monde d'aujourd'hui sera libéré de tout conflit destructeur et meurtrier. Nous souhaitons toujours et toujours plus que les aspirations à la justice, au droit, au progrès, trouvent leur voie pacifique, humaine et chrétienne, dans des institutions internationales existantes ou à créer à cet effet.

Mais la série n'est pas finie de ce que Nous avons à déplorer: les détournements d'avions, les séquestrations de personnes, les vols à main armée, le commerce clandestin de la drogue, et tant d'autres faits criminels qui remplissent la chronique de nos jours : tous ces faits réclameraient notre dénonciation et notre condamnation morale. Au moins, c'est pour Nous un réconfort de constater que l'opinion publique déplore unanimement de tels agissements. Puisse être aussi unanime la recherche logique des causes de semblables aberrations ! Et Nous sommes soutenu par l'amour que Nous portons à l'homme délinquant : Nous gardons au coeur l'inébranlable confiance de retrouver la face humaine de tout visage qui porte le reflet de celui de Dieu. Nous avons foi en effet dans la bonté et la miséricorde de Dieu et dans la rédemption du Christ.

A vous tous, notre Bénédiction Apostolique.

***


Nous sommes heureux de saluer particulièrement aujourd’hui la présence d’un groupe de fonctionnaires du Ministère des Finances du Danemark, venus à Rome pour un échange culturel avec leurs collègues italiens. Nous vous adressons, chers Messieurs, nos meilleurs voeux, pour vous-mêmes, pour vos familles, pour votre pays.

Nous invoquons sur tous la Bénédiction du Seigneur.



28 octobre 1970 L'EGLISE DANS UN MONDE QUI CHANGE

28100

Chers fils et filles,


Nous vous proposons une réflexion dont chacun peut trouver le motif en lui-même, dans sa conscience, dans son expérience. Cette réflexion concerne le grand phénomène, que nous pouvons appeler universel, des changements auxquels nous assistons et auxquels nous participons dans le monde qui nous entoure. Tout change, tout évolue sous nos yeux, dans le domaine social, culturel, pratique, économique ; dans tous les domaines, pouvons-nous dire. La vie courante est toute prise par ces changements que nous observons dans les instruments matériels à la maison et au travail, dans les habitudes de la famille et de l'école, dans les rapports avec le monde, dans les nouvelles qui aujourd'hui appartiennent à tous et proviennent de toutes parts, dans les voyages, dans les coutumes, dans les modes de penser, dans les affaires et dans la culture, même dans la vie religieuse ; tout se meut, tout change, tout évolue, tout court vers un avenir sans lequel nous rêvons déjà de vivre. Le Concile aussi nous l'a rappelé (cf. Gaudium et spes,
GS 5 ss.).



Précarité des choses et des hommes


Ceci est un fait d'ordre général qui suscite en nous bien des pensées dont chacune peut devenir une mentalité, une philosophie ou une pratique, de grand intérêt et fondée sur des données de fait indiscutables et par conséquent riche d'une sagesse respectable. Par exemple : n'est-il pas vrai que si tout change, tout périt, tout passe, tout meurt, notre temps nous donne une vision à la fois magnifique et désolante de la précarité des choses et des hommes ; donc après tant de fierté légitime pour les conquêtes du progrès, notre temps ne nous offre-t-il pas une leçon angoissante quant à la vanité de la vie ? Connaissez-vous ce livre de la Bible qui s'appelle « Ecclésiaste ». C'est un des livres sapientiaux attribué à Salomon, mais qui, en fait, lui est postérieur. Ce livre, qui, sans arriver à un pessimisme absolu, considère les choses du monde avec un regard sincèrement impitoyable, et voit en toutes une caducité décevante, qu'il commente par les célèbres paroles : « vanité des vanités, et tout est vanité. Quel intérêt a l'homme à toute la peine qu'il prend sous le soleil ? » (Qo 1,2-3). Et avez-vous jamais observé combien la réflexion sur le temps et sur l'histoire, a pénétré la pensée moderne, présentant une variété de systèmes philosophiques et scientifiques qui intéressent et tourmentent notre culture ? Ainsi, par exemple, l'évolution, l'historicisme, le relativisme, et ainsi de suite (cf. J. moureaux, Le mystère du temps). L'importance conférée pratiquement à cette valeur primordiale et fuyante qu'est le temps, met en relief pour l'homme d'aujourd'hui l'actualité, la mode, la nouveauté, le culte de la vitesse... On vit dans le temps ; et le temps engendre et dévore chacun de ses fils. Le temps est de l'argent, dit-on. Le temps conditionne toute chose. Il est le maître de tout.

Du moins il semble qu'il en soit ainsi. D'où une conclusion excessive, transférée au domaine humain et religieux : donc l'homme aussi change ? Donc les vérités religieuses, les dogmes changent ? Donc rien n'existe de permanent ? Et qui croit à la stabilité vit dans l'illusion ? La tradition est vieillesse ? et ce qu'on appelle le progressisme, c'est de la jeunesse ? donc une loi qui nous serait transmise du passé, même si elle était rationnelle et « naturelle », pourrait être abrogée et déclarée déchue ? et une foi qui nous présenterait des dogmes formulés dans le temps et dans le langage d'anciennes cultures, des dogmes auxquels on devrait adhérer comme à des vérités indiscutables, une telle roi serait intolérable de nos jours ? Et des structures ecclésiastiques qui comptent des siècles, pourraient être remplacées par d’autres d'invention nouvelle et géniale ?



Le temps ne peut tout abolir

Vous voyez combien de questions surgissent. Et vous voyez certainement aussi comment elles se répercutent dans les discussions post-conciliaires, faisant souvent appel à un mot, le fameux « aggiornamento », non comme à un critère de renouveau cohérent et constructif, mais comme à un pic destructif, qui détient abusivement la force de la liberté « avec laquelle le Christ nous a libérés » (Ga 5,1).

Nous ne voulons pas répondre maintenant à toutes ces questions agressives. Nous osons les présenter à votre réflexion simplement pour la stimuler à chercher une réponse adéquate, ne serait-ce que pour éviter les conséquences catastrophiques qui dériveraient de l'acceptation qu'aucune norme et aucune doctrine n'a de raison de rester dans le temps, et que tout changement, aussi radical soit-il, peut très bien être adopté comme règle de progrès, de contestation ou de révolution. Ce sont des questions extrêmement complexes mais non insolubles.

Nous sentons tous, nous croyants en particulier, que quelque chose demeure dans le passage du temps, et que ce quelque chose doit rester si nous ne voulons pas que la civilisation ne se transforme en chaos, et que le christianisme ne perde toute raison d'être dans la vie moderne.

Que deux observations suffisent maintenant. La première : par exemple, d'où le progrès humain et social tire-t-il la force d'attirer à lui la conviction des hommes, de ses promoteurs et de ses auteurs en particulier, si ce n'est d'un appel et d'une exigence de justice, de perfection humaine idéale, innée et supérieure à la légalité même, exigence que nous voyons inscrite dans l'être même de l'homme comme un « droit naturel », qu'il faut traduire dans une expression juridique, coercitive pour toute la communauté ? Deuxième observation : Pouvons-nous faire abstraction du Christ du passé, du Christ historique, du Christ maître, si nous voulons professer un christianisme authentique ? Le christianisme est ancré dans l'Evangile, où on lit, parmi les autres paroles du Christ : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ! » (Mt 24,35). Et encore, comme traçant au-dessus des siècles un arc qui s'appelle tradition, la voix impérative et prophétique de Jésus résonne : « Faites ceci en mémoire de moi ». «... Vous vous souviendrez ainsi, ajoute saint Paul, de la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il ne revienne » (1Co 11,25-26). Et qu'est-elle cette institution par laquelle le Christ invite à l'attendre jusqu'à la fin des siècles à venir, sinon l’Eglise catholique, pèlerine dans le temps mais victorieuse du temps ?

Ce sont de grandes questions auxquelles il faut réfléchir, pour retrouver la stabilité et le progrès, de nos jours. Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Nous sommes très heureux de saluer le «groupe de liaison oecuménique des femmes de l’Eglise catholique et du Conseil oecuménique des Eglises», venu à Rome pour une troisième session de travail près du Conseil des Laïcs. Les Pères du Concile Vatican II avaient voulu, vous le savez, adresser un message particulier aux femmes, conscients de l’influence et du rayonnement que celles-ci étaient appelées à assumer chaque jour davantage, non seulement au foyer, aux côtés de l’époux et des enfants, mais dans la cité et dans 1’Eglise: «les femmes imprégnées de l’esprit de l’Evangile peuvent tant pour aider l’humanité à ne pas déchoir». Ces paroles sont aujourd’hui plus actuelles que jamais. Aussi vous souhaitons- Nous une fructueuse collaboration pour de féconds travaux. Que de situations à étudier ensemble, où vous êtes engagées en femmes et où il vous appartient de porter votre témoignage spécifique de femmes chrétiennes! Que de domaines à explorer, dans la vie familiale et sociale, où les relations personnelles devraient être transformés par l’amour! Que d’expériences de vos divers mouvements chrétiens à mettre en commun, de réflexions à poursuivre à la lumière de la foi, et peut-être aussi d’initiatives nouvelles à entreprendre dans la charité du Christ, pour que hommes et femmes de ce temps, nos frères et nos soeurs, puissent mieux répondre à leur vocation d’enfants de Dieu!

A ces intentions, sur tous et sur toutes, Nous invoquons de grand coeur la Bénédiction du Seigneur.




Catéchèses Paul VI 7100