Catéchèses Paul VI 12674

12 juin 1974: LA JEUNESSE ÉTERNELLE DE L’ÉGLISE

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Chers Fils et Filles,



Pendant que nous illumine encore et nous réjouit la fête de Pentecôte qui commémore l’animation de l’Eglise par l’opération de l’Esprit Saint, un aspect essentiel et vital de cet événement se présente à nous : celui de sa permanence. La Pentecôte n’est pas un fait lointain et désormais passé à l’histoire ; c’est un fait qui reste, c’est une histoire éternelle. L’Eglise continue à vivre en vertu de cette prodigieuse diffusion de la grâce divine, de cette charité répandue dans nos coeurs (cf.
Rm 5,5) ; l’humanité qui compose l’Eglise, est vivifiée par l’Esprit que le Christ, monté dans la gloire du Père envoie comme Chef à son corps resté sur la terre et dans le temps (cf. Jn 16,7) : « Si je m’en vais, dit-il la nuit mémorable de la dernière Cène, je vous enverrai le Paraclet, l’Esprit de Vérité qui demeurera à jamais avec vous » (Jn 14,16-17). C’est le grand mystère du Christ, le mystère central du christianisme vivant, vrai, à méditer et à garder jalousement. Saint Augustin est, lui aussi, un Maître pour nous : « Seule l’Eglise Catholique, écrit-il et répète-il, est le Corps du Christ qui en est le Chef et le Sauveur (Ep 5,23). En dehors de ce Corps, il n’en est aucun autre vivifié par l’Esprit ; ...ne participe pas à la charité divine, celui qui est hostile à l’unité. Ne possèdent par l’Esprit ceux qui sont hors de l’Eglise... Que celui qui veut posséder l’Esprit Saint prenne garde à ne pas rester hors de l’Eglise » (Epist. 185, C. XI, 50 ; PL 33, 815 ; cf. Tract. in Io. 27,6 PI 35,1618) : « il n’est rien qu’un chrétien doive craindre autant que d’être séparé du Corps du Christ ; en effet, séparé du Corps du Christ, il n’en est plus membre ; n’en étant plus membre, il n’est pas alimenté de Son Esprit ».

Ceci nous conduirait à réfléchir sur la nécessité d’être dûment insérés dans les structures institutionnelles qui donnent à l’Eglise une consistance de corps, et qui sont, ici, proclamées comme condition pour jouir de l’animation de l’Esprit Saint, qui est le propre du corps même de l’Eglise, le corps mystique du Christ.

Mais nous laissons maintenant, disions-nous, courir notre esprit vers un autre effet propre de la Pentecôte, de cette mystérieuse et merveilleuse animation surnaturelle, produite par la diffusion de l’Esprit Saint dans le corps visible, social, humain des disciples du Christ : et c’est ceci : la jeunesse éternelle de l’Eglise. L’Esprit Saint « la rajeunit par la force de l’Evangile et la rénove perpétuellement... » (Lumen Gentium, LG 4). Comme dans une fontaine le jet d’eau reste toujours abondant, vif et frais, aussi longtemps qu’un puissant courant le nourrit, même si l’eau elle-même tombe et se répand sur le sol, ainsi l’humanité qui compose l’Eglise, subissant le sort du temps, est ensevelie dans la mort temporelle, mais cela ne fait pas que, après tant de siècles, le témoignage de l’Eglise dans l’histoire se suspende ou s’interrompe ; Jésus l’a prophétisé, Il l’a promis : « Je suis avec vous tous chaque jour, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Il l’avait également fait comprendre à Simon quand il lui imposa un nom d’immortalité : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et la puissance des enfers ne prévaudra pas sur elle » (Mt 16,18). ,

On peut objecter, comme tant de gens d’aujourd’hui, que l’Eglise est sans doute permanente ; qu’elle dure depuis vingt siècles ; mais que c’est justement à cause de sa durée qu’elle est devenue ancienne, qu’elle est vieille. La pérennité n’est pas de la jeunesse. Et les hommes d’aujourd’hui aiment plutôt ce qui est moderne, mouvant, éphémère. Ils respectent l’histoire, si vous voulez ; ils admirent l’archéologie ; mais ils choisissent l’actualité. Or, l’Eglise sera peut-être vénérable pour son ancienneté, pour une certaine immobilité dans la course du temps ; mais, disent-ils, elle n’est pas animée par ce souffle moderne qui est toujours nouveau ; elle n’est pas jeune.

L’objection ne manque pas de poids ; elle mériterait un long traité aux pages nombreuses, cosmiques, théologiques, philosophiques, historiques, anthropologiques, phénoménologiques, etc. pour y répondre. Par ailleurs l’équation pérennité-jeunesse suffit en soi aux esprits ouverts à la vérité. Parce qu’il en est proprement ainsi et « cela est, à nos yeux, une chose merveilleuse » (Mt 21,42) : l’Eglise est jeune. Et plus étonnant encore est le fait que les fibres de sa jeunesse proviennent de son inaltérable persistance dans le temps. Le temps ne fait pas vieillir l’Eglise ; il la fait croître, il la provoque à la vie, à la plénitude. Soyons plus précis : la partie humaine de l’Eglise peut subir, et, de fait, subit les lois inexorables de l’histoire et du temps : sa manifestation humaine peut déchoir, peut vieillir, peut mourir; et meurent, en effet, tant de membres de l’Eglise ; des nations entières ont réussi à suffoquer sa vie temporelle, à supprimer sa présence historique ; et puis, c’est évident, meurent comme tous les mortels (et peut-être pour des motifs plus faciles et plus agressifs) tous ceux qui composent humainement l’Eglise ; mais elle, l’Eglise elle n’a pas seulement en elle-même un invincible principe surnaturel, ultra-historique, d’immortalité: elle possède tout autant d’incalculables énergies de renouvellement.

De quoi a-t-on parlé en cette période du Concile, sinon d’« aggiornamento », ce qui veut dire de « rajeunissement » ? Et l’Année Sainte que nous propose-t-elle, sinon un programme de renouvellement ? Tant et si bien qu’aujourd’hui l’Eglise est obligée de mettre en garde un grand nombre de ses fils pour qu’ils ne glissent pas dans l’équivoque, c’est-à-dire pour qu’ils ne pensent pas que le renouvellement est le fait d’adhérer à la mode du monde, lequel ne sait plus que faire pour échapper à la loi de la mort qui assaille et consume chacune de ses valeurs purement temporelles, sinon accélérer son mouvement, un mouvement souvent orienté vers la fuite des choses qui la qualifient ; et voici la révolution comme programme inépuisable de la vie politique et sociale ; voici la « mode » en toute chose à quoi il n’est plus permis de vivre que « l’espace d’un matin »... Certes, quand elle parle de renouvellement, quand elle pourvoit à son rajeunissement, l’Eglise ne saurait se contenter de s’aligner sur les vertigineux changements du monde extérieur au milieu duquel toutefois se déroule son existence historique et temporelle ; elle pourra certes accueillir et choisir tant de formes humaines de vie moderne ; elle pourra marcher du même pas que les moeurs sociales quand celles-ci n’offensent pas les critères de vie qu’elle doit puiser pour elle-même dans l’Evangile et dans sa tradition inviolable et toujours féconde.

Mais il n’est pas moins certain que l’Eglise, fidèle à son inspiration religieuse intérieure, comprend l’homme, c’est évident, et même l’homme moderne, et qu’elle est, peut-être aujourd’hui plus que jamais, en mesure d’être proche de lui, de l’écouter, de le réconforter et de lui confier ce message de vérité qui seul possède le secret, pour tout temps, pour tout peuple, pour toute existence humaine, le secret de la Vie (cf. Gaudium et Spes). C’est cela, la jeunesse de l’Eglise. A vous, aux jeunes spécialement, afin que vous ayez confiance en l’Eglise !

Avec notre Bénédiction Apostolique.





19 juin 1974: LA JOIE D’ÊTRE CHRÉTIEN

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Chers Fils et Filles,



La vie chrétienne, est-elle joyeuse, ou bien triste ? Question élémentaire mais fondamentale. Et, pour nous qui avons l’habitude de classer le mérites des choses selon une évaluation subjective, c’est-à-dire au point de vue de leur utilité, la question peut être considérée comme décisive. C’est-à-dire : le fait d’être chrétiens, nous rend-il heureux, ou bien nous impose-t-il des limites, des devoirs, des charges qui rendent la vie triste et malheureuse, ou moins heureuse, moins remplie, que l’existence qui ne se dit pas chrétienne ?

Cette question revêt ici une importance prépondérante, principalement à ce moment caractéristique de la vie qu’est la jeunesse, le moment de la conscience qui s’éveille, et s’éveille à l’expérience sensible des choses et des conditions dans lesquelles se déroule l’existence humaine, plutôt qu’à un jugement pondéré sur les choses et les conditions elles-mêmes.

La vie s’offre pour qu’on en jouisse tout de suite; la félicité attire comme un droit souverain ; et il semble que cette félicité est faite du plaisir, de la jouissance des expériences instinctives, faciles, égoïstes. Voilà le genre habituel du développement juvénile qui porte à la découverte de soi et à celle du monde extérieur et entraîne à la recherche urgente des voies les plus rapides et les plus directes vers la félicité libre, sensible, passionnelle. Tentation ou solution ? Souvenons-nous de l’histoire symbolique du fils prodigue dont la célèbre figure est esquissée dans l’Evangile en quelques traits, peu nombreux mais sûrs (
Lc 15,11 et ss.).

A ce point, nous pourrions nous pencher sur certaine pédagogie moderne qui tente de justifier ce style instinctif de vie comme étant le plus logique et, en réalité, le plus heureux : abolir les devoirs, les freins, les limites et accorder droit de liberté, d’expansion, de jouissance aux instincts et aux intérêts subjectifs serait la formule libératrice de l’homme moderne, la revanche des innombrables tabous de l’éducation traditionnelle et puritaine de temps désormais dépassés ; pourvu que soient sauves les règles de l’hygiène (et malheureusement même pas toujours celles-ci !) et celles d’un certain comportement social, toutes les autres structures éthiques et spirituelles ne servent à rien, sinon à rendre la vie malheureuse. Voilà que remonte au zénith, triomphant, le naturalisme innocent des temps passés, avec ses expressions épicuriennes ou avec ses apologies de la primauté de la vie hédoniste, physique et païenne. Et c’est ici que se trouverait le bonheur ?

Il est évident que la conception chrétienne de la vie s’oppose nettement, fondamentalement, à une telle sorte de bonheur. Pour l’instant nous résumerons le tout en quelques mots : le point d’appui de la vie chrétienne, c’est la Croix ; scandale et folie sont à considérer comme la croix du monde non chrétien, mais pour nous,— et Saint Paul, nous l’enseigne dès la première confrontation de son message avec le monde environnant — le Christ Crucifié est puissance de Dieu, est sagesse de Dieu (cf. 1Co 1,23 et ss.).

Mais revenons-en à la question, non sans quelqu’anxiété : la vie chrétienne, est-elle triste ou joyeuse ? La réponse est lumineuse, elle est une promesse de bonheur : de par sa nature même, la vie chrétienne est joyeuse ; elle est heureuse de par son génie original qui va au-delà de la conception habituelle de l’existence humaine ; elle est bienheureuse, parce que c’est ainsi que la proclame le message évangélique des béatitudes, parce que c’est ainsi que la présente — et l’assure dès maintenant — la promesse du Christ : « Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et qu’ainsi votre joie soit parfaite » (Jn 15,11).

Ce point est extrêmement important. Il est vraiment nécessaire que nous forgions en nous-mêmes la conception dominante que la vie chrétienne est heureuse. Nous parlons de la vie chrétienne authentique ; et nous disons heureuse, dans le sens le plus élevé, intangible et inépuisable, qui nous est donné par la charité, c’est-à-dire par l’action de l’Esprit Saint dans notre âme.

Rappelons-nous bien ceci : celui qui vit dans la grâce de Dieu possède du fait même une source de bonheur, qu’aucune catastrophe extérieure et même aucune dépression intérieure ne sauraient épuiser et éteindre. La vocation chrétienne est une invitation à la béatitude. Il n’est pas de condition d’esprit qui puisse nous rendre intimement heureux autant que la paix de la conscience. Disons mieux : autant que la grâce, c’est-à-dire la charité. La joie est un don de la charité, comme la paix. Elle ne se distingue pas de la charité, mais elle en émane (cf. Ga 5,22 St. TH ., II-II 28,1 et II-II 4,0). Rappelons-nous toujours que : « le royaume de Dieu n’est ni le boire ni le manger; il est justice, paix et joie dans le Saint-Esprit » (Rm 14,17).

Nous avons été amené à l’étude de ce thème, la joie propre de la vie chrétienne, par la projection liturgique et théologique de la Pentecôte, célébrée désormais depuis plusieurs semaines mais encore et toujours opérante dans la pensée et dans le comportement de celui qui veut être fidèle à la réalité de la spiritualité chrétienne. Tant et si bien que nous voulons, nous aussi, vous exhorter, Fils et Frères dans l’Eglise Catholique, à vivre dans la sérénité et dans la joie, nous servant des célèbres paroles de l’Apôtre : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je le répète : réjouissez-vous » (Ph 4,4 Ph 3,1 Ph 2,18 2Co 6,10 1Jn 1,4, etc.).

Et que votre joie pure et allègre soit, elle aussi, un témoignage de l’authenticité de la vie chrétienne : elle est heureuse.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





26 juin 1974: NÉCESSITÉ ET DIGNITÉ DE LA SOUFFRANCE

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Chers Fils et Filles,



La Pentecôte a offert quelques sujets aux discours hebdomadaires de nos audiences générales du mercredi ; elle pourrait nous en offrir beaucoup d’autres mais il nous suffira de nous attacher encore un moment au sujet que nous considérons maintenant comme conclusif ; un sujet qui devrait répondre à une difficulté qui contrecarre l’affirmation optimiste à propos des conditions de la vie humaine quand celle-ci est sujette à l’action du Saint-Esprit qui — nous le savons — a été envoyé sous une forme éclatante et à foison pour animer de Soi, c’est-à-dire de sa grâce, de ses dons, de ses charismes, le premier noyau de disciples fidèles du Seigneur, après son Ascension, et donner à ce noyau l’être et le souffle du Corps mystique du Christ lui-même, son Eglise naissante. Tout plein de vitalité, tout puissant, tout heureux, tout uni, tout saint, voilà comment nous apparaît ce groupe privilégié. Il s’agissait d’un ensemble d’environ 120 personnes (cf.
Ac 1,15), de composition homogène, avec la Vierge et les pieuses suivantes du Seigneur, en constante union de prières alternées avec quelques discours de Pierre et des Apôtres ; et tout d’un coup, au moment où s’accomplissaient les jours de Pentecôte, le groupe se fait exubérant, à cause de l’irruption véhémente de l’Esprit accompagnée de vent, de fracas, du tremblement des maisons et de langues de feu voltigeant au dessus de chacun des présents. Accoure aussitôt une foule cosmopolite, de nations diverses ; et tous comprennent les discours en diverses langues que se mettent à improviser ces Gens qui s’étaient emplis de la vive et mystérieuse présence. Jamais fête religieuse, jamais cérémonie spirituelle ne fut aussi enivrante, aussi exaltante que celle du Cénacle. Pierre parle, et avec lui, les Apôtres ; le discours entraîne ; tout de suite, près de trois mille personnes se convertissent, se font baptiser. Et c’est ainsi que, triomphalement, l’Eglise inaugure sa vie, son histoire.

Voici donc l’expression nouvelle de la religion, hissée à une communion de Dieu avec l’homme, à une habitation de Dieu, Un et Trin, dans l’âme du disciple du Christ (cf. Jn 14,17 Jn 14,23) ; une intimité sans égale, d’où jaillira le vie mystique du chrétien devenu temple, sanctuaire de Dieu (cf. 1Co 3,16-17 2Co 6,16 Ph 4,7 etc.), avec les « sept dons » célèbres, avec en abondance les « fruits de l’Esprit » dont la liste est très longue (cf. Ga 5,22 St. TH ., I-II 68,0 cf. ste thérèse, Le château intérieur ; etc.). Ceci, pour la vie intérieure du chrétien ; puis encore, il y a toute l’épiphanie des charismes, c’est-à-dire des forces que l’Esprit Saint suscite chez les membres du corps ecclésial pour l’exercice de fonctions et de ministères particuliers en faveur de la collectivité (1Co 12,4-11 St. TH ., I-II 111,0).

L’Eglise se montre vivante, active, puissante, savante, incomparable (Ap 12,1). Rappelez-vous Etienne, le premier diacre, irrésistible (Ac 6,5 Ac 8,18). Rappelez-vous la promesse du Christ à Pierre : les ennemis de l’Eglise « ne prévaudront pas » ; en un certain sens, elle est invincible (Mt 16,18) ; et la promesse aux Apôtres : « Je serai avec vous jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20) ; l’Eglise, elle est immortelle.

Mais dans cette vision, il nous faut en intégrer aussitôt une autre, non moins attestée par la parole du Seigneur, par son exemple, par l’économie du salut ; et c’est la vision de la douleur, de la persécution et de la mort qui rend dramatique la biographie de tout disciple du Christ, de même que l’histoire entière du salut qui se déroule dans le temps. La croix domine cette autre vision. La venue de l’Esprit n’enlève pas la croix de la réalité humaine. Elle n’est pas un talisman qui immunise la vie humaine contre la souffrance, contre les disgrâces ; elle n’est pas un remède préventif, physiquement thérapeutique qui nous assure contre les maux de notre présente existence. Au contraire, il semble que la grâce ait de secrètes sympathies pour la souffrance humaine : pourquoi ? Le Seigneur nous l’a enseigné dans de si nombreux et graves discours qui ne laissent aucune place au doute. A son égard, avant tout : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ainsi pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24,26). Que resterait-il de l’Evangile mort de Jésus ? Et l’Eglise, la continuation vivante du Christ, pourrait-on la concevoir sans la participation au drame de Sa souffrance ? « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et gémirez, tandis que le monde se réjouira » (Jn 16,20). Il l’avait déjà dit plusieurs fois avec tant d’autres expressions : « Qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi » (Mt 10,38 Mt 16,24). Et les Apôtres, ne seraient-ils pas de la même école ? Les paroles de Saint Paul sont célèbres : « Je me réjouis à cette heure des souffrances que j’endure pour vous, car ce qui manque aux souffrances du Christ je l’achève dans ma chair au bénéfice de son corps qui est l’Eglise » (Col 1,24). Nous n’en finirions plus si nous voulions faire une anthologie des enseignements de l’Ecriture sur la nécessité (Ac 9,16), la dignité (Ac 5,41), la normalité, pourrions-nous dire, de la souffrance chez le disciple du Christ (cf. 1Co 4,12 2Co 4,8 2Tm 3,12 1P 2,21 1P 5,9 ; etc.).

Et cette documentation facile trouve dans l’histoire de l’Eglise sa répétition, sa douloureuse vérification. Et même sous nos yeux. Qui ne connaît les conditions dans lesquelles se trouvent l’Eglise, les personnes qui encore y adhèrent, dans quantité de pays du monde ? Nous n’en dirons pas plus pour ne pas aggraver l’oppressante situation de tant de nos frères et fils catholiques dont la foi fournit à elle seule un motif d’inculpation. Et que dire aussi du phénomène des catholiques, en train maintenant d’affliger l’Eglise de Dieu, presque comme s’ils voulaient s’appliquer à eux-mêmes la prophétique et amère parole du Seigneur : « Chacun a pour ennemi les gens de sa maison » (Mt 10,36) ?

Notre problème se fait plus difficile : pourquoi ? Nous nous posons la question, toujours en nous référant au fait de la Pentecôte qui domine, nous l’avons dit, toute la vie de l’Eglise. Comment sont-elles possibles ces contrariétés, ces oppositions, ces souffrances ?

Répondre à une telle interrogation voudrait dire que nous sommes capables de pénétrer dans les secrets de la Providence, c’est-à-dire de l’économie de la rédemption. Qu’il nous suffise pour le moment de dire en manière de consolation à ceux qui expérimentent l’ineffable fortune de la grâce et celle, non moins mystérieuse, de la souffrance, que les deux expériences non seulement peuvent coïncider mais qu’elles sont parfaitement compatibles, c’est-à-dire qu’elles peuvent être coordonnées dans un dessein de bonté et de salut dont un jour, espérons-le, le Seigneur nous révélera la sagesse et l’harmonie en vertu d’un double principe : celui de la simultanéité : c’est-à-dire que le chrétien peut avoir, en même temps, deux expériences diverses, opposées, qui deviennent complémentaires : la douleur et la joie. Deux coeurs : l’un naturel, l’autre surnaturel. Souvenez-vous par exemple de la merveilleuse expression de Saint Paul : « Je déborde de joie, même au milieu de toutes nos tribulations » (2Co 2,4 cf. 2Th 1,4 Ac 5,41). Il y aurait beaucoup à dire au sujet de ce complexe phénomène psychologique et spirituel (cf. simone weil, La pesanteur et la grâce, edith stein, Scientia Crucis, etc.).

L’autre principe, avons-nous dit, est celui de la succession ; c’est-à-dire celui qui admet la souffrance — même chez les Saints, et tout spécialement chez les Saints — durant cette vie, à laquelle succède l’autre vie, dans la félicité. Comme le disait Saint François « Si grande est la joie qui m’attend, que je chéris chaque peine ».

Pour conclure invoquons le Saint-Esprit comme Consolator optime !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Et maintenant, Nous avons la joie très douce de saluer les Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, venues Nous rendre visite au tours de leur présente Assemblée générale. Nous adressons nos voeux à Mère Lucie Rogé, récemment élue à la charge de Supérieure générale. Nous assurons les Soeurs qui l’entourent et toutes les Filles de la Charité disséminées à travers le monde, de notre profonde estime et de notre particulière affection.

La fidélité à l’esprit voulu par Monsieur Vincent, telle doit être votre fierté, votre force. Demeurez soucieuses de votre identità profondément religieuse qui est la consécration radicale à l’amour de Dieu, avec la disponibilité qu’elle apporte. Ne laissez jamais planer l’ombre d’un doute sur le bien-fondé et la signification de vos promesses annuellement renouvelées.

Un tel idéal ne peut se réaliser que moyennant une intimité profonde avec le Christ, pour communier à ses sentiments envers le Père et à son amour pour les hommes. Alors vous serez en mesure d’aimer les pauvres et de secourir toutes les formes de pauvreté actuelles avec le coeur de Dieu. Car c’est bien la un signe éminent de la venue du Royaume. Vincent de Paul et Louise de Marillac consumèrent leur vie à ce travail hautement évangélique. Chères Filles, l’Eglise d’aujourd’hui compte sur votre fidélité radicale au charisme de vos saints fondateurs, qui est don de l’Esprit Saint.

C’est pour vous aider à le vivre très concrètement que Nous vous benissons de grand coeur.




3 juillet 1974: SAVOIR RÉPUDIER LE MAL ET ADHÉRER AU BIEN

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Chers Fils et Filles,



Un des thèmes de la pensée chrétienne qui revient souvent de nos jours est celui des rapports entre l’Eglise et le monde. Nous aussi, nous en avons parlé bien des fois. Et cela s’explique : d’un côté l’Eglise affirme et approfondit la conscience de soi ; de l’autre, le monde, c’est-à-dire la vie des hommes évolue de plus en plus, se transforme, s’organise, et tend à rejoindre une conception autonome, autarcique, hostile à tout lien religieux, se sécularise dans un sens radical et profane. Que se passe-t-il ? Il se passe que l’Eglise ne trouve plus dans le monde la considération qui lui revient en vertu de son essence et de sa mission. D’où risque de dériver un état de conflit, idéologique et pratique, qui pourrait trouver une sorte de trêve, un « alibi » dans le principe de la liberté religieuse.

Mais il y a tant de difficulté à définir le cadre dans lequel peut s’exercer la liberté religieuse, du fait, tout spécialement, que ce cadre, s’inscrit dans celui du monde.

Limitons-nous, pour l’instant, à considérer ce problème sous l’aspect idéologique qui présente à l’homme religieux une situation extrêmement complexe. Faisons nôtre le cas du chrétien qui ressent logiquement et profondément les exigences de sa foi et se rend compte en même temps à quel point s’opposent à de telles exigences la mentalité, les moeurs, la philosophie théorique et pratique du monde où le chrétien doit cependant vivre.

Dans une telle situation, le chrétien que doit-il faire ? s’éloigner ? s’adapter ? renoncer à ses propres richesses idéales et morales et se plonger dans le monde par une abdication permissive sans tenir compte d’aucune cohérence avec ses propres principes religieux et moraux ni de la dégradation spéculative et pratique dans laquelle se déroule l’existence profane et mondaine ? Nous touchons ici un des problèmes les plus complexes et les plus graves de l’histoire du christianisme et spécialement de la vie moderne.

Nous voulons croire qu’il n’est aucun chrétien conscient qui veuille trahir son engagement baptismal, qu’il n’est aucun fidèle qui veuille être infidèle à la Croix du Christ, d’où dérive notre authentique salut. Il n’est personne qui voudra, espérons-nous, abandonner, c’est-à-dire comme le dit Saint Paul « enlever son efficacité à la Croix du Christ » (
1Co 1,17). Et alors, répétons-le, que devons-nous faire ?

Nous avons certainement entendu parler de la sévérité des Saints à propos des maux du monde ; et, à présent encore, la lecture de livres d’ascétisme concernant le jugement négatif global de la corruption terrestre, est restée très familière ; mais il n’est pas moins certain que nous vivons actuellement dans un climat spirituel différent, invités comme nous le sommes, spécialement par le récent Concile, à une vision optimiste du monde moderne, de ses valeurs, de ses conquêtes. Nous pouvons tourner avec amour, avec sympathie, nos regards vers l’humanité qui étudie, qui travaille, souffre, progresse ; mieux encore, nous sommes invités nous-mêmes à favoriser le développement civil de notre époque, comme citoyens qui désirent s’associer à l’effort commun pour un bien-être général plus authentique, plus diffusé. La constitution désormais célèbre Gaudium et Spes nous pousse à cette nouvelle (si l’on peut dire) attitude spirituelle. Mais à deux conditions que nous allons maintenant rappeler, en simplifiant toutefois.

La première condition est celle de maintenir une ligne de démarcation entre la vie chrétienne et la vie profane. Entre le spirituel et le temporel, il ne peut y avoir cette communion, ou plutôt cette confusion d’intérêts et de moeurs que l’ancienne conception unitaire de la chrétienté rendait plus facile et, en somme, habituelle. Et plus le chrétien sera capable de se maintenir libre et pauvre par rapport au royaume de la terre, plus authentique sera sa qualification religieuse personnelle, et plus efficace encore sera son action pour donner ou rendre à certains aspects de la vie naturelle et sociale leur valeur spirituelle et morale.

La seconde condition de cette vision optimiste est le perfectionnement critique du jugement moral chrétien. Qu’il nous suffise maintenant de tirer quelques citations des Ecritures. On ne peut vivre à l’aveuglette, guidés par une soumission, parfois servile, à l’opinion dominante, non éprouvée par une réflexion critique et responsable : « Si un aveugle sert de guide à un aveugle, dit le Seigneur, ils finiront tous deux dans le fossé » (Mt 15,14). Et Saint Paul nous avertit, spécialement en ce qui concerne les charismes : « N’éteignez point l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Eprouvez tout et ne retenez que ce qui est bon. Abstenez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5,19-22). « Recherchez ce qui fait plaisir au Seigneur » (Ep 5,10). « Ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits viennent de Dieu » (1Jn 4,1). Et d’autres (cf. Ga 6,4).

De telle sorte que si nous vivons aujourd’hui dans un climat de liberté publique et de responsabilité personnelle, nous avons un devoir accru d’exercer notre propre jugement critique moral avec une vigilante constance. Les tentations ou les occasions de péché, comme les appellent les maîtres de la science morale, sont aujourd’hui aussi agressives que diffuses ; il faut savoir s’en défendre par sa propre vertu (cf. denz.-sch. DS 2161 DS 2163 ; St. alphonse, Théologie Morale VI, 454). Il faut savoir s’immuniser également de soi-même, continuellement ; autrement, comme nous en a averti Saint Paul dès son époque, « nous devrions sortir du monde » (1Co 5,10).

Et, exercés dans cette autodiscipline, nous pourrons vivre dans notre monde en sachant « répudier le mal et adhérer au bien » (Rm 12,9), tirant de cette position dialectique, d’un côté, notre fidélité au Christ Crucifié, et, de l’autre, notre admirable et généreuse aptitude à vivre en sage plénitude l’heure moderne.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous saluons cordialement les participants de la première session de formation «d’Assistants et Animateurs des Pèlerinages de l’Année Sainte», accompagnés des conférenciers qui ont bien voulu partager avec eux leur savoir qualifié et plus encore leur enthousiasme pour l’Eglise de Rome, centre de l’unité. Nous félicitons les organisateurs de cette présente session, qui sera suivie de deux autres. Et Nous félicitons tout autant les laïcs, les religieux et religieuses, les prêtres qui ont décidé de se mettre généreusement au service des pèlerins de l’Année Sainte.

Comme Pasteur, Nous vous stimulons à imprégner votre service, d’un grand esprit évangélique. Riches de connaissances historiques, archéologiques, liturgiques, et habitués à vivre à Rome, vous ferez de votre mieux pour comprendre tels qu’ils sont les fidèles très divers que vous accueillerez. Vous saurez adapter votre pédagogie pour ne jamais décevoir oeux qui attendent davantage et ne point surcharger ceux dont la réceptivité est plus limitée. Cela exigera que vous viviez toujours la béatitude de la douceur et de la patience!

Ces rencontres nombreuses feront de vous les confidents émerveillés de bien des joies, mais aussi peut-être de souffrances et d’étonnements sur l’histoire passée ou présente de l’Eglise du Christ. Vous accepterez cette croix pour la fécondité de l’Année Sainte. Avec l’humilité et la sagesse que donne l’Esprit-Saint, vous ouvrirez vos frères à la compréhension des personnes et des situations historiques, mais aussi au nécessaire approfondissement de leurs propres responsabilités aujourd’hui.

Vous leur donnerez la paix du coeur!Si le temps Nous était donné, Nous aimerions poursuivre avec vous cette méditation des béatitudes évangéliques: elles éclairent si bien le service d’Eglise que bientôt vous assumerez. Vous saurez la prolonger personnellement ou tous ensemble, et toujours en écoutant l’Esprit-Saint.

Guides de l’Année Sainte, vous êtes appelés à beaucoup donner, à laisser transparaître le secret de votre vie: un attachement éclairé, passionné et toujours humble à l’Eglise du Christ! Mais vous recevrez aussi au centuple: Nous voulons dire une connaissance nouvelle et un amour nouveau du Seigneur et de son Peuple!

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Chers jeunes du Groupe musical de Notre-Dame de Bruges, Nous vous adressons notre cordial salut! Vous aviez exprimé le très vif désir de Nous faire entendre quelques morceaux de votre répertoire, afin d’exprimer votre attachement juvénile à l’Eglise du Christ et à son premier Responsable. Nous vous remercions de cette attention sympathique et respectueuse. Elle contribuera au joyeux climat de cette rencontre de famille!

D’un mot. Nous vous encourageons à poursuivre une formation musicale qui vous fera singulièrement dépasser ce que certains appellent «la mélomanie contemporaine». La musique, comme tous les arts, a ses techniques et ses lois. L’apprentissage laborieux d’un instrument préserve des sortilèges d’une musique instinctive, qui ne correspondrait pas à une profondeur intérieure et ne conduirait pas à une véritable communication.

Et parce que vous êtes disciples du Christ, Nous vous encourageons très vivement à oeuvrer aujourd’hui et demain pour une musique qui aide la conversation de l’homme avec Dieu.

De tout coeur, Nous bénissons vos personnes, vos chers parents, vos dévoués professeurs et votre Institution Notre-Dame de Bruges.





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