Catéchèses Paul VI 9104

9 octobre 1974: IL FAUT AGIR : « UNE ÉGLISE VOLONTAIREMENT INERTE NE SERAIT PAS UNE ÉGLISE FIDÈLE »

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Chers Fils et Filles,



Il est superflu de le dire : en ce lieu nous ferons abstraction de ce qui se discute ces jours-ci au Synode Episcopal; et nous référant à un ordre d’idées différent, mais non dissemblable, nous répétons notre question : aujourd’hui de quoi l’Eglise a-t-elle le plus besoin ? De quelqu’écho fait à nos entretiens sur la nécessité fondamentale de la foi, et de certaines réactions vives et spontanées de la mentalité moderne, nous vient une réponse qui semble prévaloir sur toute autre ; c’est un choeur de voix qui répondent : d’action ! l’Eglise a besoin d’action, soit que l’on comprenne ceci dans le sens subjectif d’activité intérieure, de pensée, de réflexion, d’intériorité, de prière, de contemplation ; soit plutôt qu’on l’interprète dans le sens d’activité extérieure, d’action catholique, de bonnes oeuvres, d’intérêt pour le bien du prochain, d’intervention dans les questions relatives au bien-être social, etc.

C’est parfait ! Acceptons la formule ; faisons-en notre programme. Voici le moment d’agir, de réaliser. Une Eglise volontairement inerte ne serait pas une Eglise fidèle. Elle ne serait pas une Eglise vivante. Elle ne pourrait ni affronter ni franchir les difficultés ; l’oisiveté, en soi, est du temps perdu. C’est dans le temps utilisé pour de bonnes oeuvres que se mûrit notre salut; et sous cet aspect, ce que nous sommes, notre être, ce grand et premier don de l’existence, constitue notre responsabilité, le capital des talents que avons reçu, que nous devons faire fructifier et dont nous avons à rendre compte (
Mt 25,15 et ss.) ; et d’autre part, ce que nous faisons, notre activité, peut et doit constituer notre fortune, notre salut (cf. Mt 16,27 Rm 2,6 2Co 11,15 etc.), pourvu, bien entendu, que « la grâce de Dieu opère en nous, par pure bienveillance, le ‘vouloir’ et le ‘faire’ » (Ph 2,13) : le mystère de l’action divine entrelacée dans l’action humaine — surnaturelle, principalement — n’est jamais absente de notre « faire » ; mais en ce moment, ceci déborde nos considérations.

Il est hors de doute, par contre, que l’action que nous considérons maintenant et que nous voulons faire nôtre n’est pas une action quelconque, une activité n’ayant d’autre fin qu’elle-même, ou bien qualifiée par des objectifs et des modalités non conformes aux lois de la morale. Nous parlons de l’activité morale, de l’action bonne, conforme à la droite raison et à la loi éternelle de Dieu (cf. St. TH ., I-II 21,1). Et à ce propos, deux observations semblent opportunes si l’on se réfère à l’activité à laquelle aspirent certains courants théorico-pratiques de la pensée contemporaine.

La première observation concerne la tendance à affranchir (si possible) l’activité humaine de n’importe quelle loi externe, et ceci par soumission à une conception absolue et acéphale de la liberté personnelle à laquelle aucune règle (sauf celle indispensable pour que l’ordre public puisse survivre), ne pourrait être proposée, autre que celles suggérées par la conscience, exonérée elle aussi des impératifs du devoir et de la loi suprême d’un Bien objectif et transcendant. Cette tendance semble actuellement de mode. C’est celle qui étend la licéité de l’action à une permissivité indéterminée, dégagée des normes extérieures de l’autorité qualifiée de répressive, et tournée vers des options que l’intérêt, la passion, le plaisir entraînent vers une instinctive et capricieuse facilité, et vers une déformation progressive de la personnalité humaine, soit que celle-ci s’exalte dans l’infatuation du super-homme, soit qu’elle ne craigne pas de s’avilir en descendant aux niveaux les plus bas de la violence ou de l’infâme délinquance, ou encore de la dégradation animale et irresponsable. Cette tendance ne conduit pas l’action à s’exprimer de façon vraiment humaine, et encore moins, véritablement chrétienne.

L’autre courant dominant dans le domaine de l’action, courant sur lequel également nous attirons votre attention critique, est celui qui prétend exonérer l’activité de l’homme des motivations dites verticales (nous pouvons dire simplement : religieuses), pour y substituer, comme suffisantes et exclusives, les motivations horizontales, c’est-à-dire humaines, sociologiques, expérimentales. En d’autres mots : si la synthèse de la loi qui doit inspirer, orienter, obliger, satisfaire l’activité humaine est pour nous, disciples du Christ, celle qui proclame la primauté de l’amour de Dieu, digne de totale et suprême dilection et qui, comme reflet et conséquence impose un amour du prochain d’une intensité égale à celle de l’amour que chacun porte à soi-même (cf. Mt 22,37), la mentalité irréligieuse moderne voudrait décrocher de l’amour de Dieu (comme si cette ardente aspiration vers l’infini et invisible Bien, vif et suprême, était mythique et superflue), voudrait en décrocher, disons-nous, l’amour du prochain, comme si celui-ci était le seul vraiment réel et suffisait à alimenter la plus généreuse et authentique activité humaine. Cette mentalité-là est également de mode. On va même jusqu’à l’appliquer à l’interprétation du mystère du Christ, « l’homme pour les autres », tandis que la foi dans la théologie sur la vérité intégrale de Nôtre-Seigneur reste réticente et bien souvent rendue vaine. Puissions-nous dans cette spiritualité, admirer l’exaltation due au Christ qui nous a enseigné la charité envers le prochain ; pour l’Evangile, le prochain est l’humanité tout entière, celle principalement qui a le plus besoin d’aide (cf. la parabole du Samaritain) ; puissions-nous ainsi obéir docilement à la leçon évangélique qui, dans certains cas, fait passer l’exercice de l’amour du prochain avant l’exercice du culte divin (cf. Mt 5,24 1Jn 3,17 1Jn 4,20 Jc 2,14 et ss.). Mais si, dans certaines situations, l’oeuvre de charité envers le prochain doit précéder et l’emporter sur les actes religieux, cela ne signifie pas que l’excellence de la charité envers Dieu perde sa primauté et son caractère d’obligation. L’amour des hommes doit tirer sa profonde raison d’être, son aliment, de l’amour de Dieu, de la conscience religieuse : comment pourrions-nous, dans tous les cas, considérer les hommes comme des frères si une commune paternité divine ne nous y obligeait ? ; si une mystique transparence du Christ, reconnue dans l’homme malade, faible, dégradé et peut-être même ennemi, n’emplissait pas notre esprit d’une paradoxale sollicitude d’amour gratuit ? Et serait-ce par hasard notre sentiment religieux qui débiliterait et freinerait notre anxieux besoin d’amour, de service, de progrès social, de sacrifice pour l’humanité, alors qu’une fois de plus, l’Apôtre Paul confie à nos âmes cette magnifique formule qui est tout un programme : « Dans le Christ Jésus... seule compte la foi qui agit par la charité » (Ga 5,6) ? Foi et amour: un binôme à retenir pour la plus grande efficacité de la vie chrétienne. Avec notre Bénédiction Apostolique.





16 octobre 1974: LES BESOINS PRIORITAIRES DE L’ÉGLISE

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Chers Fils et Filles,



Si nous insistons encore sur la question que nous nous sommes déjà posée maintes fois au sujet des besoins primordiaux de l’Eglise, nous en arrivons à une réponse tellement évidente qu’elle semble presqu’une tautologie, exactement comme si nous disions qu’un être vivant a besoin, avant tout, de vivre. Eh bien, ne craignons pas d’appliquer cette question paradoxale à l’Eglise, afin de découvrir le principe essentiel qui lui confère sa raison primordiale, d’exister, Sa profonde et indispensable animation ; voici que nous découvrons une réponse qui nous donne la clé de cette réalité. Cette « clé » est un mystère : l’Eglise est animée par cette action du Saint-Esprit que nous appelons grâce, c’est-à-dire don ; dans l’information habituelle que nous en avons il nous manque l’essentiel, c’est-à-dire l’analyse de la sainteté qui, elle, jaillit précisément du souffle vital de la grâce. A ce propos, nous aurions à faire ici une première recommandation : la connaissance de la vie des Saints ; ceux-ci, s’ils ont dans le passé offert un terrain choisi à la culture et à la dévotion populaires, pourraient nous offrir aujourd’hui, à nous qui sommes entraînés aux études historiques et à la critique psychologique, un ensemble d’expériences humaines incomparables ; ils pourraient être des exemples dynamiques pour un authentique perfectionnement moral et spirituel. Rappelez-vous : si isti et istae, cur non ego ?

Mais ce que nous nous empressons maintenant d’affirmer, c’est la nécessité de la grâce, de cette intervention divine dépassant l’ordre naturel ; elle est nécessaire soit à notre salut personnel soit à l’accomplissement du plan de la Rédemption en faveur de toute l’Eglise et de l’humanité tout entière, que la miséricorde de Dieu appelle au salut (
1Tm 2,4). Référons-nous au grand chapitre de la doctrine sur la grâce et sur la justification, dont il a été si longtemps discuté au Concile de Trente (cf. denz.-sch. DS 1520-1583), et dont la théologie moderne continue à discuter comme d’un thème du plus grand intérêt. La nécessité de la grâce suppose un besoin incoercible de la part de l’homme ; celui de voir le prodige de la Pentecôte se renouveler dans l’histoire de l’Eglise et du monde, dans la double forme sous laquelle le don de l’Esprit est accordé aux hommes ; d’abord pour les sanctifier (ceci est la forme primaire et indispensable qui fait de l’homme l’objet de l’amour de Dieu, gratum faciens, comme le disent les théologiens) ; et, ensuite pour les enrichir des prérogatives spéciales que nous appelons charismes (gratis data), accordés pour le bien de notre prochain, et spécialement celui de la communauté des fidèles (cf. St. TH ., I-II 111,4). On en parle beaucoup aujourd’hui ; et, compte tenu de la complexité du problème et du caractère délicat d’un tel thème, nous ne pouvons que souhaiter qu’une nouvelle abondance, non seulement de grâces, mais aussi de charismes, soit encore aujourd’hui accordée à l’Eglise de Dieu (cf. la récente étude du Cardinal L.-J. suenens : Une nouvelle Pentecôte ? ).

Pour le moment, nous nous contenterons de rappeler les conditions principales nécessaires pour que l’homme reçoive le don de Dieu par excellence, c’est-à-dire, précisément, l’Esprit Saint, qui, nous le savons, « souffle où Il veut » (Jn 3,8), mais ne refuse pas l’aspiration de celui qui l’attend, l’appelle et l’accueille (encore que cette aspiration provienne elle-même de son inspiration intime). Ces conditions, que sont-elles ? Nous allons rendre plus simple une réponse difficile en disant que la capacité de recevoir ce dulcis hospes animae, exige la foi, exige l’humilité et le repentir, exige normalement un acte sacramentel ; et dans la pratique de notre vie religieuse, elle réclame le silence, le recueillement, l’écoute, et par-dessus tout, l’invocation, la prière, comme le firent les Apôtres avec Marie, dans le Cénacle. Savoir attendre, savoir appeler : Viens, ô Esprit Créateur... Viens, ô Esprit Saint ! (cf. Les plus beaux textes sur le Saint-Esprit, Mme Arsène-Henry d’Ormesson, La Colombe, 1957).

Si l’Eglise se montre capable d’entrer dans une phase de semblable prédisposition à la nouvelle et éternelle venue de l’Esprit Saint, Lui, le « flambeau des coeurs », ne tardera pas à se donner, pour la joie, la lumière, la force, la vertu apostolique et la charité unifiante, dont l’Eglise a besoin aujourd’hui.

Ainsi soit-il, avec notre Bénédiction Apostolique,





23 octobre 1974: LA PRIÈRE ET LES TEMPS MODERNES

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Chers Fils et Filles,



Parmi les nécessités vitales de notre « saison » spirituelle il y a, nous semble-t-il, la prière ; non seulement comme un devoir, pour tous et depuis toujours, mais comme un besoin aujourd’hui, pour une catégorie de personnes bien représentative de notre époque ; c’est comme un recours instinctif au souffle qui manque à celui qui va se noyer, ou s’étouffer. C’est le cas de ceux qui sont arrivés au fond de l’expérience de la prétendue « mort de Dieu », celle d’un vide religieux absolu qui semblait résulter de la logique du progrès scientifique, de la perfection sociale rêvée et, surtout, de cette ambition d’un nouvel humanisme de se suffire à lui-même.

L’on a constaté que cette expérience idéalisée conduit à la fin — une fin plutôt proche et mûrie en partie dans la présente génération — à la « mort de l’homme », c’est-à-dire à un homme sans personnalité, réduit à un simple numéro dans la multitude amorphe des êtres humains ; ceux-ci sont réduits eux-mêmes à l’état de phénomènes insignifiants en soi et valables seulement, en dehors de leur existence originale, sur le plan numérique et sur celui de l’état-civil, sur le plan économique et politique, sur le plan, le plus agréable mais tout aussi fallacieux, de la consommation et de la jouissance. Une forte impression de fatalisme caractérise cette psychologie éteinte ; un sentiment aigu de solitude personnelle, d’insurmontable incapacité à communiquer y fait suite. Nous connaissons tous certaines manifestations actuelles — hier encore inconcevables — d’une jeunesse réunie presque par hasard comme un essaim d’oiseaux à la dérive, attirés seulement par un terrain désolé où ils sont tombés dans une attitude d’aboulique tristesse ; ils attestent le vide pénible de leur existence et murmurent toutefois quelque chose, comme un gémissement existentiel de leur volonté innée de vivre : une prière. Oui, une prière consciente seulement de la dévaluation de toute expérience moderne magnifiée, une sorte de « De profundis » ; à cet atroce tourment intérieur correspond vaguement une plaintive orientation objective : le « Dieu inconnu » des Athéniens de Saint Paul (cf.
Ac 17,23) ou le Jésus « Superstar », avec d’idylliques réminiscences infantiles et évangéliques ; quoi qu’il en soit une prière, la prière d’une jeunesse agonisante, ou renaissante, envahie d’un besoin inné, angoissé de Vie transcendante, réanimée, divine. Est-ce du décadentisme, de l’esthétisme ? C’est difficile à dire, mais il faut cependant reconnaître que cette douloureuse confession d’humanité humiliée rencontre facilement, au long des voies du sentiment, parfois de celles de l’intuition artistique, un mystérieux pèlerin, accablé sous une croix, qui répète son paradoxal mais cependant fascinant appel : « Venez à moi ! Je vous consolerai » (Mt 11,28) : si à ce moment, par un hasard qui ne saurait être qu’un secret d’affectueuse Providence, s’élevait dans l’air le chant plaintif d’un rythme psalmodique, grégorien — « Dieu, mon Dieu, depuis l’aube je veille en t’attendant ; mon âme a soif de Toi ; oh ! comme ma chair aspire à toi sur cette terre déserte, désolée, sans eau ! » (Ps 62,2-3) — le cercle spirituel serait peut-être complété ; la prière se remplirait du charme de la foi, cette foi d’une vie chrétienne nouvelle et sincère. Les voies du Seigneur sont nombreuses ; même celle des expériences psycho-esthetico-mystiques — sans renier les plus élevées et les plus logiques de la pensée et de l’amour — en est peut-être une, elle offre peut-être aujourd’hui le sentier qui convient au pèlerin moderne désaxé.

Mais nous, nous les croyants, nous avons une autre voie ouverte devant nous, la voie maîtresse de la prière ecclésiale, tant personnelle que communautaire et liturgique ; si nous savons sagement nous y engager, le but ne peut être que le nouveau printemps spirituel, moral et social tant souhaité par nous tout au long de ces années post-conciliaires ; tous ceux qui se fient à l’itinéraire de l’Année Sainte peuvent certainement l’expérimenter dans une plénitude de force et de joie intérieure.

A nos lèvres remonte l’invocation évangélique : « Seigneur, apprends-nous à prier » (Lc 11,1). Un dialogue avec le Seigneur se noue aussitôt : « Oui, il faut prier toujours sans jamais se lasser » (Lc 18,1), répond-Il. Et quand nous objectons : « Nous ne savons pas prier comme il faut », l’Apôtre répond aussitôt, certainement au nom du Seigneur : « l’Esprit, lui, intercède en notre faveur avec des gémissements ineffables... » (Rm 8,26) ; il semble alors que Jésus reprend le discours et nous dit : « C’est ainsi que vous devez prier : Notre Père qui êtes aux cieux... » (Mt 6,9).

La grande leçon sur la prière — comme respiration de l’âme, exigence de vie, espérance jamais confondue (cf. Rm 5,5), colloque dans la coexistence surnaturelle, expérience incomparable de l’humanité — commence ainsi et continue sans fin (cf. H. brémond, Introduction à la philosophie de la prière, Bloud et Gay, 1928). Qu’il nous suffise ici de relever l’objection classique, et habituelle aujourd’hui, que la prière est inutile pour nous, hommes modernes ; grâce aux progrès scientifiques, nous avons une connaissance du cosmos et de la vie humaine qui rend inutile, dit-on, le recours à Dieu, parce qu’il intervient dans la trame des causalités dont nous possédons nous-mêmes la maîtrise ou connaissons le caractère fatal. Il ne sera pas difficile de répondre, tout au moins à notre usage personnel, que notre science, non seulement ne juge pas superflue l’influence de l’action divine dans le jeu des causes naturelles, mais la reconnaît et dans une certaine mesure — là où la liberté de Dieu et la nôtre spécialement agissent — la postule, l’invoque, la prie avec une croissante intelligence des choses divines et humaines (cf. R. P. teilhard de chardin, Le milieu divin, Ed. du Seuil, 1957).

Nous dirons plutôt, en conclusion de cette réflexion sur la nécessité et les modalités de la prière de nos jours, que l’Episcopat français a publié, à l’occasion de son Assemblée plénière de 1973, un livre de modeste apparence, mais riche de contenu, qu’il serait bon que nous connaissions nous aussi et que nous méditions ; il est intitulé Une Eglise qui célèbre et qui prie (Centurion 1974).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Et à préesent, Nous saluons chaleureusement les trois cents Directeurs diocésains de Pèlerinages, présents à cette réunion de famille. Chers Fils, Nous savons que vous passez en ce moment des journées fraternelles et laborieuses à la Villa Emmaüs, pour aider prochainement les chrétiens de vos diocèses à vivre en profondeur les pèlerinages romains de l’Année Sainte. Nous vous félicitons pour cette fervente mcollaboratioa à notre ministère d’Evêque de Rome et de Pasteur universel.

Rayonnez sans cesse votre joie de prêtres et de pasteurs. En appelant et en guidant les fidèles sur les chemins du Jubilé romain, vous faites un vrai travail d’Eglise!

Ne craignez pas de payer de vos persoanes. Nul ne donne ce qu’il n’a pas. C’est dans votre amour de l’Eglise, éclairé, renouvelé et inconditionnel, que les pèlerins de tout âge et de toute condition trouvero’nt une part importante de l’impulsion nécessaire à leur propre conversion au Seigneur et à la réconciliation avec leurs frères.

Enfin, que l’espérance surabonde dans vos coeurs! La Pastorale des Pèlerinages, soucieuse d’authentique adaptation, sera toujours un moyen d’évangélisation, Et quels que soient les succès réconfortants et les échecs passagers, tout est grâce. Le Christ, en effet a racheté l’humanité et peut toujours conduire à leur plénitude, les efforts et les démarches des hommes que vous avez mission de servir.

Nous confions au Seigneur vos responsabilités et vos projets et Nous vous bénissons de tout coeur.




30 octobre 1974: EVANGÉLISATION DU MONDE, VOCATION DE CHAQUE CHRÉTIEN

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Chers Fils et Filles,



Pour nous qui, dans ces entretiens familiers mais substantiels, cherchons à mettre en lumière les besoins essentiels et vitaux de l’Eglise en cette époque troublée et décisive, une des grandes idées émergeant du Synode Episcopal récemment conclu, est celle qui va au coeur même du thème synodal, l’Evangélisation dans le monde contemporain, et qui répond à la question: en somme, de quoi a-t-elle besoin cette évangélisation qui nous est présentée comme la mission essentielle, primordiale de l’Eglise, comme sa raison d’être, dans le sens d’instrument de l’économie surnaturelle, divine, de l’épiphanie religieuse en ce monde et dans le monde futur ; un instrument donc, de la gloire même de Dieu et du salut véritable et définitif de l’humanité ? De quoi a-t-elle besoin ? Qu’y a-t-il qui puisse la servir, l’enrichir ? Que lui manque-t-il ?

Il est clair que ces questions, élémentaires et presque banales, ne tendent pas à déterminer la cause première de l’évangélisation ; cette cause est, comme nous le savons, le Saint-Esprit, procédant du Père, source première de la Vérité, du Verbe incarné en Jésus-Christ qui, avec le Père, envoie justement le Paraclet aux Apôtres (
Jn 16,7) et à l’Eglise (Ac 2,4) ; quant à nous, il est non moins clair que nous acceptons le mystère de l’Evangélisation, c’est-à-dire du système choisi par Dieu pour répandre Son message de vérité et de grâce parmi les hommes ; mais ce message n’a rien d’automatique, de purement charismatique et autonome ; après une première annonce évangélique il ne saurait se suffire à lui-même comme le pourrait un enseignement doctrinal ou pratique qui, doué d’un caractère d’évidence intrinsèque et irréfutable, serait, précisément par la vertu de cette évidence, empirique ou scientifique, accessible à l’intelligence naturelle de celui qui l’étudié, la comprend et la communique, capable de se propager de lui-même. Il s’agit, en réalité, d’un système basé sur le témoignage personnel de celui qui annonce le message. Il est donc fondé, d’une part, sur un magistère qui rend témoignage en vertu de l’Esprit Saint, et s’étend à une communauté de disciples et de fidèles, animée par le même Esprit ; il est fondé d’autre part sur la foi, c’est-à-dire sur l’acceptation par l’intelligence, soutenue par la libre volonté, de ce message de grâce, de pensée illuminante et de grâce agissante ; un message de vie. En d’autres mots, nous admettons que la diffusion de l’Evangile a besoin, pratiquement et historiquement, de l’oeuvre d’évangélisation, c’est-à-dire d’une intervention humaine; plus précisément d’une cause coopérante (cf. Col 3,9), ministérielle et humaine, hiérarchique au sens propre, et communautaire : donc, solidaire et efficace. L’évangélisation a besoin d’un sacerdoce commun et d’un sacerdoce sacramentel, comme le Concile nous l’a lumineusement enseigné (Lumen Gentium, LG 10 LG 11 LG 28).

Et c’est ainsi que nous vient la réponse à la question que nous nous sommes posée : l’évangélisation a besoin des hommes. C’est une réponse tellement simple qu’elle risque d’attirer une réplique déçue : « mais nous le savions ! ». Attention ! Si cela se savait, pourquoi les hommes ont-ils fait défaut ? Ou, tout au moins, pourquoi étaient-ils trop peu nombreux ? Puis, aujourd’hui que la réflexion sur le sacerdoce commun nous a fait comprendre que chaque chrétien, que chaque baptisé porte en lui la vocation missionnaire, qu’il est appelé à l’apostolat, à l’honneur et à la responsabilité de diffuser l’Evangile, comment se fait-il que l’évangélisation ne se fait, aujourd’hui encore, qu’au prix de tant de fatigues et de peines ? Si nous savions que l’économie de l’Evangile se fonde sur le concours libre et décidé, mais moralement obligatoire, de tout chrétien, nous devions savoir également que la carence d’hommes faisant de l’apostolat leur programme d’existence ne pouvait pas trouver une solution en accusant simplement l’indolence et l’infidélité de tant de disciples du Christ peu soucieux du Christ ou même le désertant.

Si nous méditons cet aspect de la vie chrétienne, marquée de l’obligation d’une profession militante de la foi, pouvons-nous nous laisser aller au découragement devant toutes ces difficultés que rencontrent les Eglises locales et l’ensemble de l’Eglise Catholique dans leur effort d’évangélisation ? Difficultés intérieures dans les communautés de ceux qui se disent catholiques ; difficultés extérieures dans la masse environnante de trop nombreuses personnes qui, souvent, ne sont pas simplement passives, mais hostiles à la vie religieuse et à la charité sociale. Et que doit-il en résulter ?

Ici, se présentent deux questions qui nécessitent un examen approfondi et des conclusions plus positives que celles qui y sont généralement données. Voici la première : aujourd’hui peut-on encore trouver admissibles le prosélytisme, l’apostolat, l’effort missionnaire ? La liberté de conscience et le pluralisme des opinions n’annulent-ils pas désormais toute préoccupation apologétique de notre foi ? La réponse est non! Ils ne l’annulent pas, mais plutôt ils imposent à l’évangélisation d’être menée dans le respect des consciences et des opinions d’autrui, et de faire preuve également d’une connaissance plus développée des motifs et des moyens de persuasion : l’évangélisation sera, sur le plan pédagogique, plus pleine d’égards et plus attrayante, mais sans le moindre renoncement.

Quant à la deuxième des questions : comment peut-il se faire qu’aujourd’hui l’évangélisation manque à peu près partout, selon les statistiques de ceux qui en font leur propre mission ? Voilà le problème des vocations, commun à tout laïc catholique qui veut être un authentique fidèle et le problème spécifique de ceux qui écartent en eux-mêmes et en dehors l’invitation héroïque et joyeuse à consacrer leur propre existence à la société du Christ et, plus exactement, à la vie religieuse et à la vie sacerdotale.

Un problème ouvert ! Ouvert à cause du petit nombre de ceux qui lui donnent la même réponse que Saint Paul, foudroyé sur le chemin de Damas : « Seigneur, que veux-tu que je fasse » ? (Ac 9,6) ; un problème ouvert à cause de l’ampleur et de la complexité du monde contemporain qui, plus il s’éloigne du Christ, et plus il fait l’expérience — comme un troupeau sans pasteur (Mt 9,36) — de sa cruelle absence.

Le problème est ouvert à la génération des anciens, qui, proches déjà du crépuscule entendent parfois l’invitation, étrange, mais jamais trop tardive, des grandes choses de l’esprit et de la charité ; ouvert spécialement aux générations nouvelles, pas entièrement insensibles aux mirages du monde extérieur, de la fortune et des sens, mais qui sensibilisées par de plus mystérieuses illuminations du monde intérieur de la vérité et du sacrifice, s’apprêtent à répondre : « Me voici, puisque tu m’as appelé » (1R 3,6).

Un problème ouvert, avons-nous dit : en attendant nous concluons par une évidente, et maintenant très nette affirmation : l’évangélisation, le royaume de Dieu, l’Eglise, ont besoin d’âmes, hommes et femmes, qui en fassent la formule, le programme et la joie de leur propre vie.

Nous prions, et nous vous bénissons tous.

***

Aux quatre-vingt-dix Pères blancs, qui ont maintenant A achevé leur Chapitre général et sont venus Nous saluer avant de regagner leurs divers champs d’apostolat, Nous tenons à dire notre estime, à leur apporter nos encouragements et à les assurer de notre Soutien dans la prière. Notre estime, parce qu’ils donnent un témoignage admirable d’esprit de service et d’abnégation dans les tâches qui leur sont confiées, en particulier en ce qui concerne le développement et la formation du clergé africain. Nos encouragements, pour qu’ils ne se laissent pas rebuter par les difficultés extérieures, et poursuivent leur collaboration désintéressée au progrès spirituel et temporel des populations auprès desquelles ils ont été envoyés. Notre prière enfin, pour que ces messagers de la Bonne Nouvelle ne se sentent jamais seuls, mais soutenus par la charité de toute l’Eglise. A tous une particulière Bénédiction Apostolique, et nos voeux de mandat très fécond à leur nouveau Supérieur général, le Père Jean-Marie Vasseur.




6 novembre 1974: L’EGLISE A BESOIN D’ÊTRE AIMÉE

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Chers Fils et Filles,



Une fois de plus nous nous posons la question : l’Eglise, de quoi a-t-elle besoin aujourd’hui ? Et nous répondons cette fois : elle a besoin d’être aimée.

Le discours se situe sur divers plans. Le premier est celui des gens qui prennent position contre l’Eglise, a priori, par parti-pris, par instinctive répulsion, pour ainsi dire ; déjà ils sont légions et il émane d’eux des ondes d’aversion, de négation, d’athéisme, d’anticléricalisme, ou, comme on le dit aujourd’hui, de sécularisme. Ce n’est certainement pas de l’amour mais de l’antipathie, et même de la haine, comme si l’Eglise était un virus, un danger pour l’humanité ! La pathologie de ce comportement va du type voltairien Monsieur Homais (de Gustave Flaubert) au fanatique anonyme, dont Jésus lui-même nous parle et auquel il attribue la conviction de rendre hommage à Dieu en envoyant à la mort les disciples du Christ (
Jn 16,2).

Cette hostilité à l’égard des disciples du Christ, c’est-à-dire envers l’Eglise, a une histoire qui remonte très loin et se déroule parallèlement à l’histoire profane ; c’est l’histoire des persécutions ; c’est le destin réservé au Fils de Dieu devenu concitoyen de l’humanité, et depuis lors, celle-ci s’étant dressé contre Lui, le destin en a fait une cible de contradictions : signum eut contradicetur (Lc 2,34) ; un destin qui s’étend du Chef aux membres, c’est-à-dire aux fidèles qui composent le Corps mystique du Christ (cf. Col 1,24). Faut-il en conséquence désespérer que cette phalange d’ennemis de l’Eglise donne jamais quelque signe de résipiscence, de justice et d’amour ? Le besoin, nous allions dire le droit, d’être reconnu pour ce que l’on est, pour ce que l’on fait pour la gloire de Dieu et pour le bien de l’humanité, se sera-t-il jamais satisfait ? Non, nous ne devons pas désespérer, si nous pensons au cas — un premier exemple parmi tant d’autres — de Saint Paul dont la conversion nous enseigne combien peut être puissante et heureuse l’action de la grâce, au point de l’inciter à écrire de lui-même : « Moi, je suis le dernier des Apôtres, parce que j’ai été le persécuteur de l’Eglise de Dieu » (1Co 15,9 1Tm 1,15 Ga 1,13 Ac 26,9-20). C’est lui encore qui nous fournit un autre témoignage à son propre sujet : « j’ai été crucifié avec le Christ. Ce n’est donc plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 3,19-20). Paul nous livre aussi une apologie autobiographique dont il n’existe aucune autre semblable (cf. 2Co 11,22-12,10).

Mais il faudrait qu’à présent le discours s’intéresse à une bien différente phalange d’interlocuteurs, à ces chrétiens, à ces catholiques plutôt, qui semblent oublieux du besoin que l’Eglise pèlerine, éprouve, spécialement aujourd’hui, d’être aimée d’une filiale fidélité ; et c’est ainsi qu’ils ne se soucient plus de leur propre privilège, de ce qui est leur devoir par éducation, par amitié, par vocation : démontrer à l’Eglise, d’une manière bien différente qu’ils ne le font actuellement, leur amour, un très puissant amour auquel ils devraient pourtant aspirer. Ce sont ces frères qui ont laissé inoccupée la place qui leur a été assignée dans la maison du Seigneur. Ce sont des frères et des fils qui ont transformé le témoignage positif que le Peuple de Dieu attendait d’eux, en arrogantes fonctions de juges et de critiques de l’Eglise de Dieu toujours sainte et qui, parfois, usurpant une faculté de libre examen de sa doctrine et de sa vie, ont tranquillement fait alliance avec les rangs adversaires de leurs propres rangs ; puis, avec amertume et non plus avec amour, ils se sont éloignés, affirmant peut-être qu’ils veulent demeurer dans la communion ecclésiale, non plus pour en partager les joies et les peines, mais bien pour la réformer, ou plutôt pour en désagréger à leur manière la cohésion.

Oh ! Combien nous souhaitons de les retrouver, de les avoir de nouveau près de nous, ces Frères et ces Fils, et de pouvoir aimer ensemble cette Eglise, notre Eglise qui seule nous introduit dans la plénitude du Christ. Atténuée ou brisée l’unité catholique dans l’Eglise, comment pourrions-nous recomposer l’unité oecuménique de l’Eglise ? Privés de la solidarité et de la collaboration de ces Frères et Fils exercés à la culture et à la discussion du monde contemporain, comment pourrions-nous communiquer facilement aux hommes de notre temps un convainquant message de paix et de Salut ?

Il faut que nous accroissions tous notre amour envers l’Eglise, afin qu’elle soit digne d’être aimée par ceux qui ne la connaissent pas, ou en connaissent seulement les défauts humains et non les efforts de fidélité à l’Evangile, les souffrances, les besoins, et qui, surtout, sont incapables d’entrevoir dans sa figure terrestre le mystère divin qu’elle contient ; une Eglise qui, réfléchissant la beauté du Christ, attira l’amour du Christ lui-même : « Il a aimé l’Eglise et donné sa vie pour elle » (Ep 5,25-26).

Aimée ainsi, l’Eglise a mérité un titre, un titre d’amour, celui d’Epouse du Christ (cf. 2Co 11,1-3 Ep 5,21-22 Ap 19 Ap 21).

Oui, l’Eglise, aimée du Christ, doit l’être aussi de nous-mêmes. Et qu’elle le soit, avec notre Bénédiction Apostolique.






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