Catéchèses Paul VI 29121


AVANT-PROPOS 1972

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“ Custos, quid de nocte ” ? “ Veilleur, où en est la nuit ” ?(
Is 21,2).

L’interpellation du prophète vient à l’esprit, lorsqu’on se prend à relire les enseignements hebdomadaires de Paul VI !

Le diagnostic sur l’état de l’Eglise, sur les inquiétudes qu’il suscite, sur les espérances qui naissent, nous le trouvons porté précis et courageux.

Et l’on peut poursuivre la citation d’Isaïe : “ Le veilleur dit : "Le matin vient, et la nuit aussi". Si vous voulez interroger, interrogez, revenez ” ! (Is 21,12).

Chaque semaine, le Saint-Père apporte la réponse du Pasteur à tous ceux qui attendent de lui qu’il éclaire la route difficile que suit l’Eglise.

Il est un phénomène qui n’est pas assez connu, ni suffisamment souligné : c’est le nombre croissant des fidèles qui, le mercredi, viennent porter leur interrogation muette et recueillir les directives du Pape.

Sait-on qu’en 1960, on enregistrait à Rome 1.930.885 pèlerins ou visiteurs ? Dans ce chiffre, les non-italiens comptaient pour 814.128.

En 1972, le nombre total des pèlerins ou visiteurs avait presque doublé et s’établissait à 3.703.538 ; la participation des non-italiens était passée à 2.065.119.

Certes, le phénomène social développé par la rapidité des transports et qui se traduit par des transferts saisonniers de population ne pouvait que se trouver répercuté également à Rome.

Mais il est symptomatique de constater que tout au long de l’année, un panorama de l’Eglise tout entière, dans sa diversité, se déroule sous les yeux du témoin permanent, à l’occasion des audiences du mercredi.

Et ce n’est pas là le moins réconfortant des signes au moment même où d’aucuns tendraient à croire que le monde est moins attentif à l’écho de l’enseignement du Pape.

Puisse ce cinquième volume contribuer à prolonger et à étendre cet écho.



5 janvier 1972: L’EXIGENCE RELIGIEUSE D’AUJOURD’HUI

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Chers Fils et Filles,



Voici quelques mots que nous vous adressons comme d’habitude sur le ton d’une conversation amicale. Nous parlons surtout aux jeunes qui semblent vouloir nous proposer ce genre d’entretien. Leur attitude caractéristique des hommes de notre temps, leur franchise d’expression, leur sincérité d’esprit, mais aussi leurs doutes, leurs malaises, tout cela laisse entrevoir un besoin intime de certitude et de vérité.

Il nous semble les entendre, tes amis, à la fois audacieux et timides, soucieux de repartir à zéro, de rejeter tout protocole et de vouloir se donner “ un genre ” simple et agressif en même temps.

Rien n’est vrai, nous disent-ils ; rien ne résiste à la critique négative des hommes modernes, détachés des conventions traditionnelles de leur milieu. Tout est faux, tout manque de vérité intrinsèque ; nous vivons de traditions qui, désormais, n’ont plus aucune raison d’être. Nous voudrions tout envoyer en l’air ; nous éprouvons le vertige de la révolution, de l’anarchie, le charme de la négation, et du néant. Nous respirons la méfiance bien que nous vivions d’expérience, toujours plongés dans l’étude, le travail, le monde extérieur et dans la recherche intérieure d’une plénitude, d’une certitude provisoire et pragmatique, d’une vérité que nous n’atteignons sinon en créant d’autres pseudo-vérités. La vie est-elle donc vide ? Ne vaut-elle rien ? Comment vivre la religion et la foi? C’est ici que le problème harcelant prend une tournure décisive : il avertit le Sceptique qu’il ne lui reste qu’une seule issue et que dans la recherche d’une Conception organique et globale de la vie, le problème religieux est fondamental, surtout si, par religion, on veut parler de la religion chrétienne, catholique, de la vraie religion, celle de la Réalité objective et du Salut personnel.

Non, c’est impossible, s’exclame notre interlocuteur, je n’ai plus la foi.

Cette conclusion, quelle que soit la manière dont on l’exprime, porte aujourd’hui la grave étiquette de crise de la foi.

Crise de la foi. Pour en trouver les causes, il faudrait pénétrer dans le vaste océan de la psychologie contemporaine ; laissons aux psychologues et aux philosophes le soin de le faire. Qu’il nous suffise d’observer que les moyens de recherche des gens de notre temps (selon les règles de la pensée qui ne sont rigoureusement respectées que dans le processus scientifique et quantitatif) sont pauvres et rudimentaires ; en effet, l’homme se sent perdu face aux grands problèmes de la vérité et de la réalité ; il ne possède pas la terminologie suffisante, la logique positive, les principes d’une philosophie valable, tout élémentaire qu’elle soit. Il est dépourvu de ce “ sens commun ” authentique et enraciné dans l’éternelle sagesse humaine. La désintégration de la rationalité produite par les expériences unilatérales de la pensée philosophique (positivisme, subjectivisme, idéalisme, existentialisme, structuralisme) conduit au doute, à la critique corrosive, aux convictions partielles. Par conséquent, face aux nouveautés culturelles, aux transformations sociales, l’homme moderne devient incapable d’émettre tout jugement personnel et se laisse entraîner par les opinions courantes ; il s’accommode d’une presse superficielle et tendancieuse et préfère juger par les sens, aujourd’hui richement favorisés par les moyens audio-visuels. L’incertitude s’empare alors de lui ; tout devient un problème et il ne lui reste, en dernière solution, que le risque de penser et de vivre à sa guise.

La liberté de pensée, le libre examen, le pluralisme philosophique m et religieux viennent secourir cette victime de la mentalité moderne, lui prescrivant le pseudo-remède susceptible de renforcer ses idées propres, qui côtoient l’infaillibilité. Mais cela ne suffit, pas aux-esprits vraiment libres et honnêtes. Le grand problème de la vérité demeure, les tourmente secrètement et les pousse à de, nouvelles recherches. En ce qui concerne la foi, les solutions sont étranges : confiance aveugle, fidéisme, abandon total au sentiment religieux ; d’une part, démythisation, la foi religieuse est dépouillée de toute valeur historique, de tout sens concret, laissant l’illusion que cette soi-disant purification suffise à combler le désir d’une foi authentique et essentielle ; d’autre part, retour prudent aux règles religieuses traditionnelles, mais toujours situées dans un cadre théologique déterminé et moderne. Mais, pour pénétrer dans le royaume de la foi, il faut une clé qui n’est pas toujours disponible, il faut une “ grâce ”, la grâce de la foi, car avant même d’être vertu, la foi est une grâce, un don, un souffle mystérieux de l’Esprit Saint qui la rend acceptable et possible.

C’est ici que l’homme se sent perdu, disons plutôt qu’il se sent convaincu d’avoir subi une crise de la foi, d’avoir perdu la foi. S’il en est ainsi, dit-il, c’est qu’aujourd’hui la foi est impossible, elle appartient à un royaume de l’esprit que l’homme moderne ne peut ni ne veut atteindre.

Mais c’est ici, sur le bord de l’abîme qui sépare la connaissance naturelle du mystère de la révélation surnaturelle, c’est ici que peut-être fixé le rendez-vous avec le Dieu vivant de la foi. Nous ne vous dirons ni pourquoi ni comment. Nous vous disons seulement que c’est là que le problème religieux devient extrêmement urgent. Après la marche exténuante à travers les expériences spirituelles de notre temps, l’homme ressent la nécessité — oui, la nécessité — d’une solution positive, d’une certitude vitale, d’une Vérité vraie.

Contentons-nous pour l’instant de remarquer que tant dans l’interprétation du monde et du cosmos, exploré aujourd’hui avec acharnement, que dans la recherche d’un remède contre l’angoisse de l’homme moderne, le problème religieux se pose toujours et invite à une nouvelle rencontre.

Nous y sommes tous conviés, surtout les jeunes.

Puisse Dieu, qui est venu à nous dans l’histoire et dans là communion avec notre nature, nous trouver tous présents (sui Eum non receperunt, les siens ne l’ont point reçu
Jn 1,11) prêts à écouter en langage humain Sa Parole béatifiante de Salut (cf. st. augustin, Solil 1, 3 ; PL 32, 870 ; St. Th., Contra G., SCG 1,1, prooemium).

Avec notre Bénédiction Apostolique.





12 janvier 1972: RELIGIOSITE ET AGNOSTICISME DE L’HOMME CONTEMPORAIN

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Chers Fils et Filles,



Parce que la pensée humaine tend, non seulement à connaître les choses, mais à en découvrir les raisons, le pourquoi, les causes essentielles, nous pouvons affirmer que l’homme moderne, élève et maître dans la science, ne sera jamais totalement satisfait du résultat de son effort intellectuel.

Et, plus cette pensée s’engage dans le domaine illimité de la recherche et de la découverte, plus elle est portée à se poser deux questions, toujours plus inquiétantes. La première, théorique (philosophie, métaphysique) : qu’y a-t-il dans la profondeur de ces choses, d’une part silencieuses et passives — leur être — et de l’autre, éloquentes et agissantes, les principes et les lois qui les envahissent ?

La pensée humaine est tourmentée par le désir d’une explication qui doit être cherchée à l’intérieur des choses, tel le secret d’une devinette, mais aussi au dehors et au-dessus d’elles ; c’est le tourment suprême de l’intelligence, le tourment religieux (l’intelligence qui cherche la foi ; Saint Anselme dira : “ La foi cherche l’intelligence ”). L’autre question est d’ordre pratique (ou plutôt psychologique et moral) : le savant se demande : “ En quoi cet univers peut-il servir à ma vie, à mon coeur, à mon destin personnel ? Est-ce un immense désert ou un toit pour m’abriter ? Que valent ces richesses scientifiques pour mon esprit, mon besoin intime de vérité, d’amour, de bonheur ? Leurs étonnantes applications techniques me rendent-elles plus homme, plus heureux ? Me rendent-elles meilleur ? Si elles ne sont pas reliées au problème de mon existence personnelle, de mon immortalité inamissible, que valent-elles pour moi ?

C’est dans ces questions profondes et inexorables que prend racine le besoin religieux, la religiosité naturelle que beaucoup essaient, aujourd’hui, de contenir et d’étouffer comme dispersion de l’esprit hors de la zone claire, concrète et positive du savoir moderne. Mais l’homme, c’est l’homme : si nous ne voulons pas le réduire et le priver de ses dimensions spirituelles, nous ne devons pas le priver de ses ailes déployées pour survoler le panorama matérialiste et positiviste, nous ne devons pas l’emprisonner dans la cellule étroite et aveugle de l’athéisme qui n’explique rien, mais au contraire fait de tout le cosmos un mystère effrayant.

Nous devrions plutôt entraîner son esprit, — développé par le progrès scientifique et culturel —, à un effort transcendant, à voler dans le ciel lumineux de l’immensité religieuse.

Nous devons habituer le monde de l’étude et du travail au besoin et à la recherche de Dieu.

“ Spiritum nolite extinguere ” : n’éteignez pas l’esprit (
1Th 5,19). La religion est le souffle dont l’homme moderne a tant besoin pour vivre.

Mais, arrivé à ce point, le drame humain n’est pas achevé ; il s’ouvre à une aspiration qui pourrait être désespérée. La religiosité, c’est-à-dire l’aptitude et l’attitude de l’homme en marche vers Dieu, ne peut suffire à apaiser cette aspiration.

La religion est comme un cri lancé dans les immensités mystérieuses de l’Etre ; mais elle n’a pas l’assurance d’obtenir une réponse qui satisfasse l’amplitude de ses désirs ; mais ce peu ou ce beaucoup du monde, divin que la connaissance naturelle parvient à atteindre ne sont pas suffisants (comme l’existence de Dieu, cf. denz.-sch., DS 2755-2756). Il ne suffit pas à l’homme d’élever les bras vers Dieu, il veut l’atteindre, le rencontrer, établir avec Lui un rapport bilatéral, vraiment religieux.

Peut-il le faire ? Un tableau déconcertant se présente ici à nos yeux : celui des religions, des religions inventées par l’homme ; tentatives parfois audacieuses et nobles, parfois vaines, fantastiques, superstitieuses, et même diaboliques. D’où le problème du jugement à porter sur le fait de l’existence d’innombrables religions dans le monde, tout au long de son histoire. Que faut-il en penser ? Le Concile nous a donné beaucoup d’enseignements à ce sujet.

L’humanité est Une ; une devra être la vérité, c’est-à-dire la religion qui met les hommes en rapport avec Dieu.

Mais on ne peut nier l’existence d’innombrables religions. “ Les hommes, dit le Concile, attendent des différentes religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine qui, aujourd’hui, tout comme hier, troublent profondément le coeur de l’homme... L’Eglise Catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions... ” (Nostra aetate, NAE 1-2).

Nous savons donc quelle attitude adopter. Mais il arrive ceci : alors que, de nos jours, la culture s’intéresse aux différentes religions (voir Encyclopédies publiées à ce sujet, en Italie par exemple, celle du P. Pietro Tacchi Venturi et celle d’Alfonso di Nola), nous voyons augmenter l’agnosticisme religieux, c’est-à-dire le doute, l’indifférence et la négation du contenu objectif de toute religion, y compris la nôtre.

Dans le meilleur des cas, c’est l’aventure de Paul à Athènes qui se répète, introduction très habile à son discours devant l’Aréopage : “ Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes ; en effet, considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel avec l’inscription : au Dieu inconnu. Eh bien ! Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer ” (Ac 17,22-23).

C’est, là, un fait d’extrême importance, car on y trouve deux points fondamentaux ; le premier est comme un droit : à la religiosité subjective de l’homme doit correspondre une religion positive, objective. Le second nous dit que la réponse à une telle question n’est donnée authentiquement et pleinement que par la religion chrétienne. Voilà le pivot de l’histoire humaine, la réalité des destins. Proclamons-le encore avec le dernier Concile (Ib. NAE 2) : “ Le Christ est la voie, la vérité, la vie, dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toute chose ” (cfr. 2Co 5,18-19).

Nous sommes conscients d’énoncer quelque chose de grand. L’homme passe de l’ignorance agnostique ou athée à la reconnaissance d’une religion naturelle nécessaire : c’est, là, un processus difficile mais, par la force des choses, inévitable. Le passage d’un sens religieux, même sincère et profond, mais vague et incertain, à une vérité religieuse ferme et déterminée, est un processus bien plus difficile et il n’est possible que grâce à une grande honnêteté de pensée et de vie (cf. Jn 3,21) et à l’intervention secrète de Dieu. C’est ce que nous appelons “ conversion ” (cf. Mc 1,15), manifestation de la grâce, transformation réelle du vieil homme en homme nouveau, phénomène psychologique et moral qui n’a pas son pareil dans l’histoire de l’homme. Rappelons Nicodème, St. Paul, St. Augustin... pourquoi ne pas rappeler Papini... et sans bénéfice d’inventaire, en gardant sa liberté de jugement, pourquoi ne pas rappeler ces jeunes “ hippies ” portant sur leurs chandails, écrite en grosses lettres, l’inscription : I love Jésus, j’aime Jésus. Snobisme, dilettantisme ? Qui le sait ? Nous espérons qu’il n’en soit pas ainsi : cela indiquerait, au moins, qu’aujourd’hui, l’orientation vers une solution du problème religieux peut prendre des formes imprévisibles, imprévues et capricieuses. Il y a de l’avenir pour les jeunes. Serait-ce les jeunes à reconnaître le Christ; comme au jour des Rameaux ? Nous l’espérons ; nous savons qu’il en est parmi eux, parmi des plus sérieux, les plus courageux, d’aucuns qui savent écouter l’appel du Christ et qui sauront annoncer à leurs amis : “ Nous avons trouvé le Messie ” (Jn 1,41).

Dieu le veuille ! Avec notre Bénédiction Apostolique.





19 janvier 1972: L’EGLISE, GARDIENNE DE LA REVELATION AUTHENTIQUE

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Chers Fils et Filles,



Nous vous invitons aujourd’hui à porter votre attention sur les immenses questions que posent à votre esprit et à votre conscience l’origine de l’univers, le sens de la vie, l’inconnu du destin de l’homme ; fixez votre pensée sur le phénomène religieux qui, lui, veut y répondre en dominant l’ensemble des données scientifiques vêt des thèses philosophiques. Mettez la foi dans et avant ces interrogations aux exigences illimitées et que nous appelons ténèbres. Seule la foi peut dissiper ces ténèbres, dévoiler leur mystère et leur grande beauté ; alors l’écho des paroles de l’Evangile retentira en vous : “ La lumière luit dans les ténèbres ” (
Jn 1,5).

Tel que le soleil qui jaillit de la nuit, la lumière de la foi a éclairé le cosmos ; tout est en ordre et prêt à être encore exploré. Et l’homme, frémissant de joie, vient à se connaître lui-même ; le voici alors, voyageur privilégié, marchant, humble et souverain, conscient de ses droits et de ses capacités de maîtriser le monde, conscient aussi des devoirs et des possibilités de le transcender par le charme d’un nouveau rapport qui le domine : le dialogue avec Dieu, dialogue qui s’ouvre ainsi : “ Notre Père qui es aux Cieux... ”.

Ce n’est pas un rêve, une fantaisie ou une hallucination. Ce n’est que le premier reflet de la lumière de l’Evangile sur une âme prête à l’accueillir. Comment appeler cette lumière ? La Révélation. Comment appeler cet accueil ? La Foi.

Vérités sublimes que nous tenons de ce livre de théologie et de mystique : le catéchisme, recueil des vérités fondamentales de la religion. Mais nous voulons, aujourd’hui, vous parler d’une question extrêmement importante dans la situation idéologique actuelle de l’homme religieux ; question que les esprits pénétrés de l’idée moderne d’un monde en changement se posent: le contact avec Dieu, selon l’Evangile, serait-il une étape de l’évolution de l’esprit humain qui devrait se poursuivre ou un moment unique et définitif auquel nous devons sans cesse avoir recours ? La réponse est claire : ce moment est unique et définitif. La Révélation est fixée dans le temps, dans l’histoire, elle se situe dans un événement déterminé qui a pris fin avec la mort des Apôtres (cf. denz.-sch. DS 3421). La Révélation est un fait et, à la fois, un mystère qui n’est pas le produit de l’esprit humain, mais qui est venu de Dieu, s’est manifesté tout au long de l’histoire et a atteint son point culminant en Jésus-Christ, (cf. He 1,1 1Jn 1,2-3 Dei Verbum, DV 1). La Parole de Dieu est, ainsi, pour nous, le Verbe Incarné, le Christ historique qui vit encore dans la communauté qu’il a rassemblée par la foi et l’Esprit Saint, dans l’Eglise, Son Corps mystique.

Par ces affirmations, Fils très chers, notre doctrine se détache des erreurs qui marquent notre culture moderne et risquent de fausser notre conception chrétienne de la vie et de l’histoire. Le modernisme a été l’image caractéristique de ces erreurs et, bien que sous d’autres noms, il existe encore (cf. Décr. Lamentabili de St Pie X, 1907, Ency. Pascendi ; DENZ.-SCH. DS 3401 ss.). Nous comprenons pourquoi l’Église Catholique a donné et donne tant d’importance à la conservation de la Révélation authentique qu’elle considère comme un trésor sacré, qu’elle a le devoir de défendre sévèrement et qu’elle doit transmettre en termes non équivoques. L’orthodoxie est sa première préoccupation. Le Magistère Pastoral est sa fonction fondamentale et providentielle ; l’enseignement apostolique fixe en effet les règles de sa prédication ; et, la consigne de l’apôtre Paul : Depositum custodi est, pour Lui, un engagement tel que l’enfreindre serait le trahir. L’Eglise n’invente pas sa doctrine, elle en est le témoin, la gardienne, l’interprète ; en ce qui concerne les vérités propres du message chrétien, Elle en est la conservatrice fidèle et intransigeante. Et, à ceux qui lui demandent d’adapter Sa foi à la mentalité moderne, elle répond avec les Apôtres : non possumus, nous ne pouvons pas (Ac 4,20).

Il y a lieu de donner, maintenant, un aperçu de la manière dont cette révélation se transmet par la parole, l’étude, l’interprétation, l’application ; cette révélation engendre une tradition que l’autorité de l’Eglise accueille et vérifie sans jamais faillir. Il faut rappeler encore comment la connaissance de la foi et l’enseignement qui l’explicite, c’est-à-dire la théologie, peuvent s’exprimer de plusieurs manières. Le “ pluralisme ” théologique est légitime dans la mesure où il Se maintient dans le domaine de la foi et du magistère confié par le Christ aux apôtres et à leurs successeurs. Il faudra encore expliquer que la Parole de Dieu n’est ni aride ni stérile, mais vivante et féconde ; elle ne doit pas être seulement écoutée, mais vécue, renouvelée et incarnée dans les âmes, les communautés, les Eglises, selon les forces humaines et les charismes de l’Esprit-Saint, propres à celui qui se fait le disciple fidèle de la Parole vivante et pénétrante de Dieu.

Si Dieu le veut, Nous en reparlerons. Mais restons pour le moment fixes sur l’essentiel. Puissiez-vous y trouver la bénédiction et la joie.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





26 janvier 1972: NECESSITE DE LA RECHERCHE DE DIEU

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Chers Fils et Filles,



Tout croyant a une double responsabilité : sauvegarder la foi et la transmettre aux autres ; il se rend compte à chaque instant qu’il est de plus en plus difficile de croire et de professer la religion.

Oui, la tendance religieuse est innée chez tout homme. Mais, de nos jours, il est bien triste de constater que l’homme moderne parvient péniblement à l’alimenter et à la satisfaire concrètement. Cela nous afflige d’autant plus que le progrès semble en être la cause principale. L’homme s’est développé dans tous les domaines, celui de la conscience, de la science et de l’activité ; mais sa faculté de communiquer travée le monde religieux s’affaiblit. Le progrès a-t-il donc raison de la religion ?

D’innombrables questions de tout genre se posent ici ; nous ne pouvons certes pas y répondre ; des volumes et des volumes ne suffiraient pas. Nous voulons seulement vous inviter à observer de plus près cet accroissement bien connu de la décadence de la pratique religieuse ; vous serez ainsi portés à vous en demander les raisons. Quelles sont les causes véritables de ce phénomène ? Pour l’instant il suffit d’en déceler les causes intérieures, personnelles. Nous vous prions d’effectuer vous-mêmes ces recherches. Nous convenons de l’importance et aussi de la forte emprise du phénomène de l’irréligiosité actuelle, c’est-à-dire de l’agnosticisme répandu dans la mentalité moderne, du processus de laïcisation de l’opinion publique, tant dans les domaines culturel, politique et social, que dans les consciences et les orientations bien caractéristiques de la civilisation. Il n’est donc pas superflu de prendre conscience de l’évolution négative du problème religieux actuel.

C’est une recherche qu’il faut faire, une recherche fructueuse. Si nous nous prétendons “ adultes ”, c’est-à-dire intelligents, libres et bien engagés dans l’exercice de nos facultés, nous devons nous poser le problème religieux dans toute sa plénitude : le problème de la foi.

Mais ne faisons pas d’apologie. Contentons-nous de l’analyse. Et pour vous aider dans vos réflexions et vos recherches, nous vous posons une question : Peut-on arriver à la connaissance religieuse naturelle par la raison ou à la connaissance religieuse révélée par la foi ? Oui, mais très difficilement. Même si l’aspiration à Dieu est profondément enracinée dans l’esprit et le coeur de l’homme, il n’est pas facile de la réaliser. Nous sommes essentiellement orientés vers Lui, vers l’Absolu, la raison suprême de toute chose, vers le principe et le but de l’existence et de l’histoire ; mais nous ne parvenons pas à nous en faire une idée adéquate et encore moins à l’imaginer de manière satisfaisante. Notre religion naturelle, — en admettant toutefois que nous en possédions une, — ne sera qu’une recherche de Dieu, une tentative de nous approcher de Lui. Même ceux qui, du fait qu’ils pensent et veulent, estiment atteindre l’idée de Dieu, “ summum ” de la vérité de la pensée et de la bonté du vouloir, doivent admettre le caractère obscur de cette recherche initiale de Dieu. Dieu est notre désir le puis profond ; il est le fondement de nos recherches ; nous ne le percevons que dans le secret de son immanence. Dieu demeure un mystère : Il est, donc, le tourment et le drame de l’esprit humain.

Nous savons bien cela, peut-être par une expérience personnelle ; les mystiques et les poètes y ont consacré leurs plus belles pages ; St Jean nous le dit dans l’Evangile : “ Nul n’a jamais vu Dieu ” (
Jn 1,18). Et St Paul : “ Nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu ” (1Co 1,11).

Il ne faut, donc, pas s’étonner si le problème religieux qui, depuis toujours, présente des difficultés, demeure insoluble pour des esprits superficiels ou superstitieux. Insoluble à défaut d’une bonne recherche. C’est cette cause que nous voulons examiner maintenant. La religion, et surtout la foi, n’est pas seulement difficile en elle-même, mais par notre faute. Nous n’exerçons pas réellement nos facultés. Nous, les disciples de notre temps, nous manipulons habilement tout instrument : nous en suivons minutieusement toutes les règles pour qu’il fonctionne à la perfection. Par exemple, nous ne nous servirions jamais d’un appareil photographique sans en consulter le mode d’emploi, sans être sûrs d’obtenir une photo parfaite. Il en est ainsi pour tout instrument à notre disposition. Sous cet aspect, le progrès nous a été très utile et nous a habitués aux conquêtes merveilleuses : en effet, nous finissons par préférer ce mode de connaissance scientifique. Le progrès technologique nous attire, nous envoûte, en contraste avec la connaissance spéculative et l’expérience morale qui, elles, nous mènent à la religion. Nous avons laissé la voie de la sagesse pour celle de la science. Nous ne voulons pas dire que l’une exclut l’autre ou vice-versa ; au contraire, elles se complètent. Mais la mentalité moderne se nourrit de la certitude et de l’utilité pratique de son rationalisme notionnel et scientifique aux dépens du raisonnement philosophique et d’une recherche honnête de la vérité.

Tout cela rend plus difficile l’acceptation de la foi. Une erreur de méthode, un péché d’omission, pèsent lourd sur la mentalité moderne. C’est le laïcisme exclusiviste, le renoncement à l’emploi de ses facultés mentales, l’opacité matérialiste qui ont empêché l’homme de communiquer avec le monde religieux, avec la Réalité essentielle qu’il renferme et qu’il ne livre qu’à ceux qui la cherchent avec humanité et sagesse, c’est-à-dire aux élèves de l’Esprit, aux déceleurs du don inestimable de la foi et de la grâce.

Sans doute, pour nombre d’entre nous, l’Evangile applique-t-il son terrible jugement qui fait d’un certain usage de l’intelligence, une cécité : “ Vous aurez beau voir, vous n’apercevrez pas ” (Mt 13,14 Is 6,9 Jn 12,40, etc.).

Ici, le problème religieux devient encore plus complexe, car deux éléments impondérables a priori, viennent s’y greffer : la liberté humaine et la mystérieuse liberté divine. Nous sommes au seuil du problème insondable de la prédestination. L’homme arrive librement, à Dieu, malgré la rigueur des raisonnements théologiques. Dieu sauve l’homme librement, sans que celui-ci ait à prétendre de Lui le moindre droit. Nos mérites mêmes dérivent de sa miséricorde.

Que reste-t-il à dire ? Ce problème de la religion et de la foi est-il si difficile, insurmontable, insoluble? Inutile, superflu, nocif ? On le dit ! Mais, voyez comme il est dramatique et combien il est nécessaire à cause de la vérité et de la réalité qu’il renferme, à cause de l’issue fatale ou heureuse qu’il impose à notre destin.

Alors ? Alors, comprenons le Christ ! Sa venue, Sa parole, Son Salut. Il est la Voie… Pensez-y !

Avec notre Bénédiction Apostolique.



2 février 1972: L’OFFRANDE : HOMMAGE D’OBEISSANCE ET DE FIDELITE

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Chers Fils et Filles !



L’Eglise nous invite à célébrer aujourd’hui une double fête : la Purification de Marie et la Présentation de Jésus au Temple (
Lc 2,22 ss.), selon le rite hébraïque (cf. Lv 12,2-8 Ex 13,2). La commémoration de cet événement qui, dans la tradition chrétienne, s’est développé sous des formes et dans des périodes différentes, tant sur le plan liturgique que populaire, se prête à des considérations spirituelles variées. Le rite de la bénédiction des cierges est demeuré pour nous le trait le plus caractéristique de cette solennité. Cela est dû, sans doute, à l’importance donnée à Jérusalem à cette célébration, dès la fin du IV° siècle, ou peut-être à la procession nocturne instituée par le Pape Gélase pour remplacer les cérémonies de purification païennes que l’on célébrait au mois de février (cf. mj righetti, Manuel de St. Lit., II, 84). Aujourd’hui, ce rite est transformé. Il est devenu offrande, une offrande que vous venez déposer et à laquelle nous voulons conférer la plus haute des valeurs : le cierge devient le symbole d’une oblation sacrée, en souvenir de celle de l’enfant Jésus présenté à Dieu, ainsi qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur : “ Tout garçon premier né sera consacré au Seigneur ” (Lc 2,22). Cette oblation sacrée veut professer l’hommage d’obéissance et de fidélité à l’Apôtre Pierre, en la personne de son successeur, l’Evêque de Rome.

Si nous voulons arrêter un instant notre attention sur cet aspect de la cérémonie, nous devons comprendre l’intention et le sens d’une oblation. Une oblation qui voit dans le cierge son symbole, son langage si simple et si profond. Que représente le cierge dans la liturgie? La religion catholique sait s’emparer magnifiquement des signes matériels ; elle en fait son trésor sacramentel, artistique et, de surcroît, mystérieux et sacré. Un cierge est une lumière. Vous rappelez-vous la cérémonie du Samedi Saint, lorsque dans l’Eglise obscure et vide de la présence du Christ, les fidèles vibrent d’étonnement et de joie quand, au moment de l’allumage du cierge, le diacre crie par trois foi : Lumen Christi ! ? Ainsi, la lumière est cet instant de la vie chrétienne, de la révélation divine qui resplendit dans les ténèbres de l’univers et dans la cécité infinie de l’esprit humain. C’est une lumière qui met l’homme en rapport avec les choses, avec les autres hommes, avec le temps, avec la vie. Relisez le prologue de St Jean : “ La vie était la lumière ” (Jn 1,14). Et rappelez-vous la théologie évangélique de la lumière : la lumière, c’est le Christ ! “ Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ” (Jn 9,5). Et c’est nous qui sommes la lumière, nous-mêmes qui la recevons de Lui. “ Vous êtes la lumière du monde ” (Mt 5,14) nous dit Jésus.

Mais comment recevons-nous cette lumière et comment la faisons-nous resplendir ? Le cierge qui brûle et qui, en brûlant, se consume, nous le dit. Flambée rapide, rayon d’amour, sacrifice inévitable, c’est l’histoire de la vie chrétienne qui s’accomplit dans ce cierge, alors que lui-même, nous diffusant sa lumière, s’éteint en silencieux sacrifice. Comment la tradition chrétienne pourrait-elle trouver une expression aussi lyrique, aussi dramatique ? Qui pourrait mieux symboliser ce “ sacerdoce royal ” que le Concile a rappelé à notre foi et à notre piété, le retrouvant dans chaque chrétien régénéré par le Baptême ? Ce sacerdoce royal qui se manifeste au nouveau chrétien par le cierge sacré, aussitôt remis après son incorporation au Corps Mystique du Christ, l’Eglise, par cette même Mère et Educatrice !

Mais dans cette cérémonie, le cierge exprime l’oblation de l’offrant au Christ et à Son Eglise. Il veut être une preuve de soumission. Et, alors, le cierge, symbole d’une offrande de la vie, intègre le symbole de la lumière. Il l’unit au symbole d’un témoignage, d’un programme de vie, d’un choix qui décide de l’orientation et de l’usage de l’existence. Ce don veut dire : Oui, je reconnais la domination absolue de Dieu, sur le monde, la puissance du Christ, l’autorité de l’Eglise. C’est un acte d’humilité, de fidélité, d’obéissance qui s’accomplit dans l’offrande du cierge. Si nous voulions approfondir cette analyse, nous éprouverions peut-être la crainte d’accomplir un geste trompeur, car il serait contraire à cette conscience de l’autonomie, de la liberté, de la dignité qui domine aujourd’hui dans la psychologie moderne. Et ce sentiment d’indépendance est si enraciné en nous, disciples de la doctrine du Christ, qu’il nous est pénible de constater que l’hommage religieux requis dans l’économie ecclésiale, est non seulement conforme à la vraie liberté des fils de Dieu, mais il en est le fondement et la garantie. Nous craignons de devenir les victimes d’une théocratie anachroniste et insupportable.

Mais, à la lumière dé notre foi, il ne doit pas être bien difficile pour nous de constater que la soumission réclamée par cette loi théologique et existentielle est à la base de notre état d’hommes, de chrétiens, de catholiques, élus à la suite du Christ. Servire Deo regnare est : ce n’est pas là un proverbe ascétique ; c’est la synthèse d’une métaphysique religieuse qui met en lumière sa sagesse et sa béatitude lorsque, comme dans la maison de Dieu à laquelle nous sommes admis par la foi et la grâce, nous constatons que ce service que nous voulons rendre à Dieu et à tout ce qui conduit à Dieu, n’est ni esclavage, ni dégradation, ni perte de la liberté, mais plutôt le meilleur-usage de cette liberté ; c’est la voie qui mène à la conquête et à là jouissance des valeurs suprêmes de la vie ; c’est l’union à l’amour de ce Dieu qui est Père et qui se dit Amour ; c’est la marche à la suite du Christ, la participation à cette communion qui définît l’Eglise.

Oui, c’est un service. Ce mot acquiert, aujourd’hui, une grandeur sans pareille s’il se réfère à la conscience idéale de vie et à la réalité sociale de notre temps. Il devient une vocation. L’homme a besoin de servir une cause, une cause pour laquelle il vaille la peine de renoncer à là vie présente. Aujourd’hui, les hommes protestent, peut-être parce qu’ils ne savent pas qui et quoi servir. La légende de St Christophe devrait être racontée à notre génération. Tant de jeunes n’attendent sans doute qu’on les appelle à consacrer leur vie (cette vie qui serait vide, égoïste et vouée à la déception) à un idéal, à une Réalité qui engage toutes leurs forces et les encourage à faire don d’eux-mêmes à la Croix, porte souffrante et glorieuse de la vraie résurrection.

Notre entretien pourrait se prolonger, mais nous l’arrêterons là, certain d’avoir donné la juste interprétation à l’offrande des cierges.

Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 29121