Catéchèses Paul VI 9272

9 février 1972: L’ANNONCE DE L’EVANGILE A L’HOMME CONTEMPORAIN

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Chers visiteurs,



Vous êtes ici réunis, aujourd’hui, dans ce lieu qui s’honore d’abriter le tombeau de l’Apôtre Pierre, ce foyer de l’Eglise Catholique ! Vous êtes venus rendre visite au successeur indigne mais légitime du bienheureux apôtre ! N’avez-vous donc pas, vous aussi, l’impression d’avoir, en ce moment, une vision complète du monde ? Ne décelez-vous pas un lien particulier, entre cette société, à la fois séduisante et inquiétante dans son histoire et ses drames, et la religion catholique ? Combien d’hommes tournent-ils leur regard dans cette direction, les yeux rivés vers ce phare de la foi ? Comment réagissons-nous devant cette convergence dans la foi, l’espérance et la charité, essence même de notre religion, qui nous fait goûter le chant de nos frères en communion de prière et de vie avec nous ? L’unité coïncide avec l’universalité : n’est-ce pas là un prodige qui tient du mystère ? Cette vision ne ressemble-t-elle pas à un ostensoir où le Christ est l’unique centre de lumière et de vie, entouré de l’humanité qui prend sa forme et sa splendeur au reflet de la lumière divine ? Contemplez et goûtez, si l’Esprit-Saint vous en donne la grâce, cette expression si heureuse : c’est l’image du monde, mise au point par l’objectif du coeur. Mais à tous ceux qui l’observent, cette merveilleuse vision semble imparfaite et incomplète. Elle présente des vides immenses ; une obscurité profonde cache de vastes zones du monde, non seulement du monde géographique mais humain, c’est-à-dire spirituel et social ; et pas toujours très loin de nous ! La foi catholique ne recouvre pas la terre ; les statistiques n’indiquent que quelques plages lumineuses qui permettent de voir les terres ouvertes à l’action missionnaire pour l’annonce de l’Evangile. Par ailleurs, de vastes territoires demeurent fermés à l’entrée de la Parole de Dieu. C’est comme si la voix que St Paul, le missionnaire par excellence, entendit en rêve et qui s’élevait de toutes parts : “ Venez à notre secours ! ” (
Ac 16,9) ; et il semble que St Paul lui-même veuille nous rappeler avec une mystérieuse amertume es abîmes qui jalonnent le territoire du Salut “ La foi n’est pas donnée à tous ” (2Th 3,2).

C’est cet aspect que nous voulons vous présenter, même en cet instant d’union et de joie : la mentalité moderne a tendance à se désintéresser de tout de qui a trait à la foi catholique, à la religion, à la vie chrétienne. La vérité de l’Evangile est méconnue et l’Eglise rencontre maints obstacles dans son enseignement de la Parole de Dieu.

Il est facile de comprendre ce phénomène complexe. Pour ce faire, il faudrait en effectuer une analyse bien détaillée. Mais nous n’en ferons rien. Nous voulons simplement que vous y réfléchissiez en signe de participation à notre douloureuse sollicitude apostolique. Pourquoi cette négligence religieuse, cette insensibilité spirituelle, cette aversion aux observances de la vie ecclésiale ? Par quels moyens, quelle sagesse, quel amour, pouvons-nous faire accepter et aimer le nom du Christ ? C’est tout le problème de la Constitution Gaudium et Spes.

Il serait sage et digne de votre fidélité de vous poser cette question : quelles sont les raisons de l’indifférence et de l’hostilité religieuse ? Chacun de vous pourrait y répondre de plusieurs manières. Nous-même qui y réfléchissons sans cesse et qui, au cours de cette audience, avons essayé de vous en donner une explication, Nous ressentons le besoin d’une autre explication, bien plus profonde. Les livres à ce sujet ne manquent pas.

Mais alors, pourquoi en parlons-nous encore ? Tout d’abord pour stimuler notre attention C’est une vague d’irréligiosité qui nous menace tous. Nous dirons avec Jésus : “ Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ” (Mt 26,41). Là vie religieuse ne peut plus être vécue comme autrefois, selon des habitudes acquises. Le bon sens ne lui surfit plus ; elle doit se maintenir et s’affermir par la conviction et l’instruction (du moins par la catéchèse, si honorée dans la chrétienté primitive), par la conscience, la cohérence, le courage et le sacrifice.

Aujourd’hui, pour être chrétiens, il faut le Vouloir ! La grâce ne nous manque pas, donc nous pouvons être chrétiens avec joie. Cependant, pour que cette expérience soit positive, il faut pénétrer la pédagogie de la grâce.

Nous vous parlons de cela, car il nous semble que l’objection générale que l’on fait à la vie chrétienne concerne surtout son utilité : à quoi sert la religion ? A quoi sert de croire, de prier, d’aller à l’Eglise, etc. ? N’est-ce pas, là, un acte superflu, mythique, dépassé, ennuyeux ? Le monde moderne est persuadé de l’inutilité de la foi ; la culture moderne semble remplacer merveilleusement cette intégration spirituelle que nous trouvions auparavant dans la foi. L’éducation moderne est anthropocentrique tandis que la religion est théocentrique : c’est une aliénation. Cette mentalité, fondée sur l’intérêt subjectif et personnel, est si répandue dans le monde, qu’il y a lieu de se demander si la foi ne pourrait pas profiter de cette attitude égocentrique pour être accueillie par l’esprit, de l’homme qui ne s’intéresse qu’à sa propre personne. La foi, peut-elle être dans l’intérêt de l’homme ? Nous entrevoyons l’ambiguïté de la réponse dans la définition équivoque de ce qu’est notre intérêt. Quelle supercherie serait alors la foi, quelle déformation ne subirait-elle pas si la religion n’était, accueillie que “ par intérêt ” temporel, économique, égoïste ! Mais, ne serait-il pas conforme à la psychologie d’aujourd’hui et à la pédagogie de toujours, que de présenter aux hommes l’utilité suprême de la foi ? (Le premier livre écrit par St Augustin, après son ordination sacerdotale, n’était-il pas intitulé De utilitate credendi ?) (PL 42). N’est-ce pas, par, le jeu que l’on éduque un enfant ? N’est-ce pas dans cette perspective personnelle, subjective et très utile, que le Seigneur nous a présenté son Royaume, en disant : “ Que servira-t-il à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie ? ” (Mt 16,26).

Le Salut n’exprime-t-il pas, aujourd’hui, la synthèse de toute la religion ? La théologie moderne, ne tourne-t-elle pas autour du même intérêt, l’intérêt suprême de l’homme, son salut et le salut du monde ?

Une question se pose ici et sa réponse veut tout dire. Est-il permis, est-il juste de considérer la religion sous l’angle de l’utilité humaine ? Oui ! grâce à cette heureuse révélation : Dieu est béatitude ; Dieu est notre béatitude. Il nous aime, Il s’intéresse à nous jusqu’à devenir, par le Christ, notre frère, notre Sauveur : “ Il a tant aimé le monde, qu’il a donné Son Fils Unique ” (Jn 3,16).

Nous n’entrons dans le monde de l’amour, que si nous pénétrons celui de la foi. Et l’amour a eu une grande place dans la prédication chrétienne. Mais, peut-être, n’avons-nous pas toujours compris nous-mêmes, ou fait comprendre aux autres, la grandeur de l’amour de Dieu pour nous, amour qui pénètre nos désirs et nos souffrances pour nous rendre conscients de la nécessité et du bonheur d’être chrétiens, de vrais hommes, des hommes sauvés ! (cf. Os 11,1 ss. ; Jr 31,3 Mt 11,28). Cette réflexion ne s’arrête pas ici. Elle continue dans la vie. Avec notre Bénédiction Apostolique.





16 février 1972: LE DEVOIR DE LA PÉNITENCE

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Chers Fils et Filles,



Les Cendres : pour nous, catholiques, ce mot renferme une grande richesse d’éléments doctrinaux plus ou moins connus de tous. Le rite de l’imposition des cendres est un rite de pénitence qui, dans la liturgie actuelle, nous conduit à un double considération. Tout d’abord, la fragilité extrêmement éphémère de l’existence humaine qui doit nous amener à une prise de conscience de la hiérarchie des vraies valeurs de la vie afin qu’elles deviennent le but de tous nos efforts vers le bien. Avant que la mort ne réduise en poussière notre existence, nous devons conquérir ces titres, ni vains ni désuets, c’est-à-dire nos mérites devant Dieu qui, seuls, peuvent garantir le bonheur éternel et nous tirer de l’erreur d’une recherche anxieuse du péché, de ces biens à la fois offerts et dévorés par le temps. C’est une méditation réaliste et sévère sur le nihilisme de la vie temporelle auquel la mort nous condamne tous. C’est une secousse psychologique et morale très efficace dont nous devrions faire humblement et sincèrement l’expérience. Envoûtés comme nous sommes par l’activisme et l’hédonisme de la vie moderne, il est utile que nous sachions apprécier l’appel austère que l’Eglise nous adresse pour nous tirer d’une torpeur funeste et éveiller en nous le véritable sens de l’existence vouée inexorablement à la mort et à une destinée inconnue.

L’autre considération, sur laquelle nous nous arrêterons davantage et qui mérite une longue méditation, est celle de la pénitence. Pénitence veut dire expiation, renouveau. Expiation de la faute qui a troublé nos rapports avec Dieu, qui a rompu le lien unissant notre vie et notre destin à la source de la vraie Vie qui est Dieu. Cette rupture se nomme péché, le plus grand malheur qui puisse frapper l’homme puisqu’il engendre sa mort éternelle, encore à venir, mais certaine. L’homme ne pourrait, à lui seul, combattre tant de maux. L’homme, de lui-même, sait se perdre, mais non se sauver. La pénitence se réfère au péché et le péché à notre séparation du Dieu Vivant. C’est, là, un thème très grave auquel nous devons réfléchir profondément, surtout pendant le prochain Carême qui est justement dirigé vers la recherche d’une réparation de nos fautes et cette recherche conduit à la chance extraordinaire et sublime du Salut voulu, pour nous, par le Christ : elle nous conduit au mystère pascal. Le mystère pascal, rédemption accomplie par le Christ, c’est la vie pour nous. Oui, le Christ nous sauve. Il est la seule cause du mérite de notre justification. Si nous arrivons jusqu’à Lui, nous atteignons le Salut. N’oublions pas cette doctrine fondamentale : Seul le Christ nous sauve. St Paul l’explique clairement dans sa lettre aux Romains et aux Galates : “ Le Christ est nécessaire, le Christ est suffisant ”. Mais ceci dit, une question se pose : Comment arriver jusqu’au Christ ? La foi suffit-elle ? Oui, elle suffit d’elle-même à l’efficacité de sa miséricorde agissante ; mais à son tour, la foi implique certaines conditions qui dépendent de notre libre volonté, de notre coopération sous l’influence de la grâce. Le Christ est la cause ; la foi est la première condition qui en entraîne une autre que nous appelons pénitence.

Que nous enseigne à ce propos la première prédication de l’Evangile ? “ Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche ” (
Mt 3,2). C’est une exhortation que le Christ répète et que St Marc traduit ainsi : “ Les temps sont accomplis et le royaume de Dieu est tout proche; repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ” (Mc 1,15). Ceci indique l’importance de l’action préparatoire de la pénitence, sa nécessité sur le plan logique et pratique du Salut, dans lequel la liberté humaine et une collaboration de notre part ne peuvent faire défaut, si nous voulons que l’action salvifique du Seigneur s’accomplisse en nous. Et cela, non après être justifiés mais comme résultat logique de la grâce vivant dans l’âme. Nous avons toujours besoin de nous exercer à la pénitence et ce, pour une autre raison, plus profonde, bien connue des âmes pénitentes : c’est la solidarité dans l’Economie du Salut. Certains peuvent expier pour d’autres, de façon moindre, mais semblable à celle de Jésus qui, pour nous, s’est immolé sur la Croix. Comme dit St Paul dans sa lettre aux Colossiens : “ Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ ” (Col 1,24).

Nous voici donc emportés dans le grand dessein du Salut ! L’Eglise nous invite et nous pousse à la pratique salutaire de la pénitence ; elle y consacre 40 jours au terme desquels, après une marche exténuante et joyeuse, nous arrivons à Pâques.

Autrefois, le jeûne, l’abstinence des amusements futiles et quelques autres exercices d’ascèse marquaient profondément, même au dehors, cette période de la pénitence chrétienne.

Aujourd’hui, cette discipline canonique est changée et adoucie. Mais le besoin et le devoir de faire pénitence n’ont pas été abolis ; l’humilité, la conscience du péché, la prière, l’écoute de la Parole de Dieu, la charité et toute bonne action peuvent leur donner une expression accessible à tous. Ne laissons pats passer ce “ temps propice ”. Ce temps commence par la tristesse des cendres, se poursuit sur le sentier étroit de la pénitence et s’achève dans la célébration de la résurrection pascale.





1° mars 1972: LA PÉNITENCE INTÉRIEURE

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Chers Fils et Filles,



En ce temps de Carême, la liturgie nous invite à la Pénitence : pensée contraire à nos habitudes et à notre mentalité. Enclins comme nous sommes à repousser tout ce qui est souffrance, douleur, ennui, nous dirigeons tous nos efforts vers la recherche de nos aises : confort, santé, chance, distractions... Notre but ? L’élimination de tout effort, de toute fatigue. Notre idéal ? Un bon repas, un bon lit, argent, spectacles... en un mot, la jouissance de la vie. Telle est la philosophie commune à nos contemporains, l’existence dont ils rêvent. Rationnels et partisans du moindre effort, nous sommes attirés par la facilité et la perfection. Alors pourquoi parler de pénitence ? Est-il besoin d’attrister l’esprit par une pareille pensée ? D’où vient ce rappel si désagréable ? N’est-il pas une offense à notre conception moderne de l’homme ?

Cette apologie du “ confort ” ; ce mode de vie idéal, pourrait se prolonger et s’enrichir d’excellents raisonnements et de meilleures expériences ; mais elle s’arrête aussitôt devant une objection tout aussi valable : voulons-nous vraiment faire sombrer notre vie dans la médiocrité, l’oisiveté, la paresse ? Voulons-nous abandonner patience et effort ? Où sont-ils ce courage, cet héroïsme qui dépeignent l’homme sous son véritable aspect, le meilleur ? La lutte contre la paresse. Et la lâcheté s’est-elle donc éteinte ? Comment munir notre esprit contre les souffrances, les malheurs dont la vie ne nous épargne pas ? Comment donner à l’amour sa valeur la plus haute, qui est don de soi, sacrifice ? Et le sacrifice n’est-il pas cette attitude contre nature inscrite dans le grand livre de la pénitence ?

Et encore: un chrétien peut-il échapper à la loi de la pénitence ? Le Christ le dit fermement : “ Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous ” (
Lc 13,5). C’est-à-dire : n’est-ce pas notre état d’hommes déchus qui implique la nécessité et le devoir de faire pénitence ? Nous sommas atteints d’une maladie atavique, conséquence du péché originel, qui demeure même après le Baptême. Nous avons besoin d’assistance morale, de réparation, d’expiation... de pénitence. Et si à cette malformation psycho-morale se sont ajoutées d’autres insuffisances, c’est-à-dire les péchés personnels actuels, comme les appellent les moralistes, cette obligation de nous réconcilier avec Dieu, avec notre conscience et avec nos frères (car qu’on le veuille ou non c’est sur eux que se reflètent nos fautes) devient plus grave et plus urgente ; le précepte de la pénitence s’impose donc inexorablement.

Mais qu’est la pénitence ? C’est une domination sur nous-mêmes, une réaction contraire à notre nature. C’est une thérapie douloureuse appliquée par celui qui veut être admis ou réadmis dans le royaume du Salut, le Royaume des Cieux (cf. Mt 1,15 Mt 3,2 Mt 4,17). En quoi consiste-t-elle ? Notre entretien se prolongerait trop, si nous énoncions toutes les différentes manières de pratiquer la pénitence. Qu’il nous suffise de savoir que notre déchéance perpétuelle a besoin d’être soignée et prévenue tout au long de la vie. C’est une proposition qui ne doit jamais nous abandonner (St. Th., III 74,8).

Mais fixons maintenant notre attention sur l’aspect intérieur de la pénitence, sur sa forme obligatoire et accessible à tous, celle que la Bible appelle metanoia, c’est-à-dire conversion, repentir, renouveau intérieur. Changeons notre manière de penser, c’est cela qui est important : changer nos idées, notre manière ne nous juger nous-mêmes, acquérir une conscience droite.

Même pour nous, croyants, chrétiens, cette pénitence intérieure est indispensable car elle est une mise en place logique et morale sur la voie de la vérité conduisant à l’ordre, au bien, à l’amour, à Dieu qui est notre vie. Et nous, qui avons le bonheur de connaître cette conception de la vie, destinée par vocation et par le Baptême, à la communion avec Dieu, le Père Céleste, par le Christ, dans l’Esprit-Saint, nous devons ressentir sans cesse cette anxiété de corriger généreusement et avec amour notre conduite, tel le pilote qui manoeuvre le gouvernail pour empêcher son bateau d’aller à la dérive.

En ce temps liturgique, qui nous exhortera la metanoia, à la pénitence intérieure, au renouveau moral, soyons sincères avec nous-mêmes et demandons-nous : Qu’y a-t-il à changer dans notre conduite personnelle ? Encore une fois la maxime de Pascal revient à notre esprit : “ Toute notre dignité consiste dans la pensée... Apprenons à bien penser ; c’est le principe de la morale ” (Pensées, 347). Penser bien ! C’est la meilleure metanoia, la meilleure conversion, la meilleure pénitence ! La pénitence la meilleure pour entrer dans le plan du Salut, pour bien célébrer le mystère pascal, pour donner à notre christianisme sa véritable et heureuse expression, sur le plan personnel et social !

Penser bien ! Frères et Fils très chers ! Sachez que c’est de là qu’il faut partir ! Et ce n’est pas facile ! Non seulement pour l’effort mental que cela demande et qui a fait le drame des philosophes et des chercheurs de vérité (rappelons ici les grands convertis) mais aussi pour l’effort moral que le “ bien penser ” requiert. Corriger sa propre manière de penser exige humilité et courage. Savoir dire à soi-même : “ Je me suis trompé ” implique une grande force d’âme. Le renoncement à certaines idées fixes qui définissent notre personnalité (je pense comme cela ! je suis libre de penser ce que je veux ! j’appartiens à cette idéologie et personne ne m’obligera à changer !) demande vraiment un bouleversement d’esprit, possible seulement à celui qui sacrifie ce qu’il a de plus propre, son opinion, ses convictions, à la vérité. Mais pour celui qui donne libre cours aux instincts passionnels et aux intérêts illicites, comme il est dur et coûteux, mais aussi combien méritoire, de se placer sur la voie de l’honnêteté, de la vertu, de la religion. Pardonner une offense, par exemple, surmonter une antipathie capricieuse, une rivalité, une occasion d’user de la violence, etc. ce sont là des exercices de pénitence qui nous conduiront sur la voie de l’amour chrétien.

Du reste, changement, démolition, renouveau, ne sont-ils pas dans le caractère de notre ère révolutionnaire ? Mais il faut voir ce qu’il faut changer, comment changer et pourquoi il faut tout changer.

Nous, Chrétiens, écoutons l’exhortation de Saint Paul que l’Eglise a faite sienne : “ Renouvelez-vous par une transformation spirituelle de votre jugement ” (Ep 4,24 Rm 12,2).

Avec notre Bénédiction Apostolique.





8 mars 1972: LE PECHE : MOT QUE NOTRE TEMPS REFUSE DE PRONONCER

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Chers Fils et Filles,



Si nous voulons pénétrer le sens général de la doctrine chrétienne et appliquer celle-ci à notre Salut, nous ne pouvons ignorer un chapitre essentiel de l’histoire du rapport objectif et existentiel entre l’homme et Dieu; et ce chapitre ample et redoutable a pour titre : le péché.

Si nous voulons comprendre quelque peu la mission du Christ et l’Economie du Salut qu’il a instituée, si nous voulons y participer, nous ne pouvons ôter de notre esprit ce fait tragique, conséquence de la tare initiale du genre humain, le péché originel, qui se répercute dans l’immense trame de nos misères et de nos inévitables responsabilités, nos péchés personnels.

Si nous ne percevons pas l’antithèse du Salut qui est justement le péché, nous ne pouvons entrer dans le sanctuaire de la liturgie surtout lorsque celle-ci commémore non seulement la passion, la mort et la résurrection de notre Seigneur, mais aussi l’accomplissement du mystère de la rédemption dans lequel toute l’humanité trouve son intérêt.

Le péché est le côté négatif de cette doctrine, de cette intervention salvifique qui nous fait acclamer le Christ comme le libérateur suprême et nous rend conscients de notre sort, d’abord triste mais aussitôt bienheureux si nous vivons le mystère pascal.

Le péché est aujourd’hui un mot que l’on tait volontairement, que notre temps refuse de considérer et même de prononcer, une parole dépassée, inconvenante et de mauvais goût. Pourquoi ? Parce que la notion de péché implique deux autres réalités que l’homme moderne refuse de considérer : une Réalité transcendante absolue, vivante, omniprésente, mystérieuse mais indéniable qui est Dieu ; Dieu créateur qui nous définit Ses créatures. Que nous le voulions ou non, “ c’est en Dieu que nous avons la vie, le mouvement et l’être ”, dit St Paul dans son discours devant l’Aréopage d’Athènes (
Ac 17,28). Nous devons tout à Dieu : l’être, la vie, la liberté, la conscience et par conséquent l’obéissance, condition de notre dignité et de notre bien-être. Dieu Amour veillant sur nous, immanent, nous invitant au dialogue filial de sa communion et de son Règne surnaturel. Il y a une seconde réalité subjective et relative à notre personne, une réalité métaphysique et morale. Il s’agit de la relation irrévocable de nos actions au Dieu présent, qui sait tout, et interroge notre libre arbitre. Chacune de nos actions libres et conscientes possède cette valeur de choix conforme ou non à la Loi, c’est-à-dire à l’Amour de Dieu et c’est en Lui que, pour ainsi dire s’inscrit, s’enregistre notre oui ou notre non. Ce “ non ” c’est le péché, un suicide.

Car le péché n’est pas seulement un défaut personnel, mais une offense interpersonnelle qui de notre personne arrive jusqu’à Dieu ; ce n’est pas exclusivement un manquement à une légalité humaine, une faute à l’égard de la société ou envers notre logique morale intérieure. C’est une rupture mortelle du lien vital et objectif qui nous unit à la source unique et suprême de la vie qui est Dieu. Première et fatale conséquence : nous qui, en vertu du don de la liberté, car nous sommes à l’image de Dieu, sommes capables de perpétrer cette offense, de briser ce lien, nous ne serons jamais plus à même de le réparer. Nous savons nous perdre, mais non nous sauver. Réfléchissons jusqu’où arrive notre responsabilité. L’acte devient un état, un état de mort. Ceci est terrible. Le péché porte en lui une malédiction qui serait une condamnation irréparable si Dieu par sa bonté et sa miséricorde ne venait à notre secours. Cela est merveilleux. C’est la rédemption, la libération suprême. “ O Dieu, toi qui sais révéler ta puissance par le pardon et la miséricorde... ” (Collecte du X° Dim. après la Pentecôte).

L’idolâtrie de l’humanisme contemporain, qui nie ou néglige notre rapport avec Dieu, nie ou néglige l’existence du péché. Il en résulte une morale déboussolée: folle d’optimisme, elle tend à rendre tout permis, envers ce qui plaît ; folle de pessimisme, elle ôte à la vie son sens profond, résultat de la distinction transcendante du bien et du mal et l’avilit dans une vision finale d’angoisse et de vain désespoir.

Le christianisme qui, au contraire, aiguise la sensibilité au péché, écoutant la leçon incomparable du Divin Maître (cf. Le discours sur la montagne), en profite pour initier l’homme au sens de la perfection, le consoler par le don de l’énergie spirituelle, la grâce, qui le rend capable de tendre à la perfection et de l’atteindre. Mais, par dessus tout, la grâce met en mouvement l’inépuisable pardon de Dieu, la rémission des péchés qui ressuscite l’âme en la faisant participer à la vie et à l’amour dans le Royaume de Dieu. Reprenons une conscience droite du péché, sans crainte et sans faiblesse, une conscience forte et chrétienne. Alors la conscience du bien croîtra en opposition à celle du mal. Jaillissant de notre jugement moral, le sens de la responsabilité croîtra et s’étendra à nos devoirs personnels, sociaux et religieux. C’est ainsi que grandira notre besoin du Christ, consolateur de nos misères, rédempteur et victime de nos maux, vainqueur du péché et de la mort, Celui qui a fait de ses souffrances et de sa croix, le prix de notre rachat et de notre salut...

Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Nous sommes très heureux de saluer ici le groupe international des Frères des Ecoles chrétiennes du Centre Lassallien et celui des Frères du Sacré-Coeur. Vous avez quitté momentanément votre tâche d’enseignants et d’éducateurs, chers Fils, pour une période de renouvellement spirituel dans la prière et l’étude. Nous vous disons notre joie de vous voir réunis en ce centre visible de l’Eglise pour ce temps fort de votre vie, et Nous vous encourageons de tout coeur dans votre recherche d’une vie toujours plus authentiquement évangélique, car elle est le gage de votre véritable efficacité. Tant de jeunes attendent la lumière du Christ! Ils sont si nombreux à courir le risque de se trouver, selon la parole de l’Evangile, camme un troupeau qui n’a pas de berger! Votre vocation est, plus que jamais, essentielle, aussi est-ce de grand coeur que Nous vous bénissons.



15 mars 1972: POUR UNE RESTAURATION DE LA CONSCIENCE MORALE

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Chers Fils et Filles,



La Fête de Pâques est proche : Sommes-nous prêts à la célébrer comme il se doit ? Tout fidèle et, disons même, tout homme qui connaît tant soit peu le sens de cette fête, sait qu’elle est au centre de notre religion, puisqu’elle commémore et rend actuel pour toujours le mystère du Christ, c’est-à-dire la Rédemption, mystère qui touche de très près l’Eglise, le monde et toute l’humanité pour laquelle, Lui, le Seigneur est mort et ressuscité. Si nous voulons vivre le Salut accompli par le Christ, si nous voulons que notre vie soit en communion avec la vie infinie de Dieu, alors, pour chacun de nous, le rapport du mystère du Christ avec l’humanité devient un rapport personnel. La Fête de Pâques est donc pour chaque fidèle l’événement personnel par excellence. C’est la réconciliation, la réunion de notre âme avec la plénitude de l’Etre divin, qui s’accomplit au-delà des limites de notre nature, c’est-à-dire d’une manière surnaturelle. Elle marque le commencement de la vie éternelle dont nous espérons jouir pleinement dans l’éternité. Pâques est la fête de la vie, la fête pour notre vie.

La célébration de Pâques est un fait qui nous concerne tous personnellement. Notre personnalité est appelée à s’épanouir en toute sincérité devant cette rencontre avec le Christ Qui veut célébrer réellement en chacun de nous Son “ passage ” de la mort à la vie, Sa résurrection et notre résurrection.

Sommes-nous disposés à expérimenter en nous-mêmes ce prodige ?

Cette question est très importante : elle touche profondément notre conscience. Pourquoi la conscience ? Parce que devant cet acte religieux suprême, la conscience s’éveille et revêt l’aspect propre à notre réalité humaine authentique, elle devient la conscience morale. Il est utile de rappeler ici le grand enseignement relatif à la conscience humaine ; mais précisons tout de suite que conscience veut dire connaissance de soi. C’est un acte-réflexe (cf. S. Th.,
I 79,13) ? c’est une simple réflexion sur une circonstance quelconque de notre vie, un acte de mémoire, une constatation de notre état de santé ou encore une exploration psychique de nos sentiments, de nos intentions. Mais, nous, nous appelons conscience le jugement souvent spontané que chacun de nous émet sur sa propre manière d’agir, en fonction du bien (bonne conscience) et du mal (mauvaise conscience). Ce jugement se réfère de lui-même à l’ordre ; il doit occuper la première place dans notre conduite, dans l’usage de notre liberté, l’accomplissement de notre devoir, l’orientation et l’état de notre vie surtout en fonction de Dieu. Dans ce jugement, l’intelligence et la volonté s’engagent simultanément à définir tout l’homme en le comparant avec sa forme idéale, avec son image parfaite : la ressemblance avec Dieu. Et cette comparaison devient facilement négative, elle accuse une difformité, devient gênante et parfois intolérable : c’est le remords.

Vous souvenez-vous de la description du processus psychologique et moral de la conscience dans la parabole de l’enfant prodigue ? Le Divin Maître dit au sujet du protagoniste de cette histoire symbolique : “ in se reversus ”, rentré en lui-même (Lc 15,17). Voilà le réveil de la conscience, le commencement du Salut. Rentré en lui-même, ce qui veut dire que tout en vivant intensément ses jeunes années, ses passions, ses joies, cet enfant malheureux était “ hors de lui-même ”. Sa conscience était encore endormie. Mais faisons attention : aujourd’hui le mot conscience est à la mode ; c’est un terme élégant et très humain d’ailleurs, que l’on applique à tout ce qui nous vient à l’esprit ; on en abuse même, en lui attribuant des significations qui renient sa plus haute valeur.

Parlons, par exemple, des expédients à la mode, pour assoupir ou altérer cette “ conscience droite ” (Purg. 3, 8) qui devrait être le guide de toute personne honnête. Quelle propagande ne fait-on pas aujourd’hui pour diffuser non pas la conscience mais l’inconscience, c’est-à-dire des théories unilatérales sur le libre arbitre ou sur la soi-disant revendication de l’autonomie de l’homme moderne, pour justifier tout refus des lois de la morale. Très souvent, on attribue à la conscience une valeur purement psychologique dont la psychanalyse et ses méthodes thérapeutiques font grand usage, poussant leurs subtiles recherches jusque dans les profondeurs bio-physiologiques des instincts.

Mais quelque intéressantes et utiles que puissent être ces recherches, elles ne peuvent supprimer dans le coeur de l’homme la tendance naturelle à agir selon la loi éternelle de la morale. La violation ou la répression de cette loi, entraîne dans la conscience une réaction particulière que nous appelons remords. Le remords est la revanche de la conscience morale ; ainsi que l’expérience et la littérature nous l’enseignent, il peut aboutir soit à des expressions de l’esprit négatives, c’est-à-dire à l’angoisse ou au désespoir (souvenez-vous de la fin tragique de Judas, Mt 27,3 Mt 27,5), soit à des expressions positives (pensez aux larmes réparatrices de Pierre, Mt 26,75).

Pour bien célébrer la fête de Pâques, nous devons faire revivre notre conscience morale et cela ne peut se faire sans la metanoia, la pénitence, tant dans son bouleversement psycho-moral, que dans son miracle sacramentel, la confession, qui est la dénonciation de la triste vérité de notre conscience troublée par le péché et apaisée par le repentir. Et ensuite, c’est la lumière divine qui resplendit de nouveau en nous par la grâce vivifiante du Christ.

Pâques est une aventure extraordinaire, à la fois catastrophe et victoire, duel entre la mort et la vie, libre choix entre la damnation et le Salut.

Dans la nuit du Samedi Saint, nous chantons : A quoi servirait notre naissance si nous n’avions pas la chance de renaître ?

Par conséquent, avant de célébrer la fête de Pâques par la communion sacramentelle avec le Christ vivant et ressuscité, célébrons-la par la pénitence sacramentelle avec le Christ mort et ressuscité pour notre rédemption (Rm 4,25).

Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Nous sommes heureux de saluer ici les Frères de Saint-Gabriel, Supérieurs provinciaux et responsables de l’animation spirituelle. Chers amis, votre Institut n’a pas hésité à donner une certaine priorité aux besoins missionnaires de l’Eglise et aux exigences du développement du Tiers-Monde: votre groupe manifeste ce matin cette universalité. Nous vous félicitons de cette préoccupation que vous partagez avec Nous, certain que de jeunes vocations comprendront cet appel. Nous savons les qualités de compétence, de dévouement aux humbles, de sens apostolique qui ont toujours marqué vos oeuvres d’éducation. Aujourd’hui, vous cherchez à juste titre à approfondir votre réflexion théologique pastorale et spirituelle, tout en veillant à former des communautés qui permettent à vos frères de vivre vraiment dans l’intimité du Christ auquel ils se sont consacrés, de se soutenir les uns les autres, et de donner un témoignage de foi, de simplicité évangélique et de disponibilité dans l’amour, où le monde puisse reconnaître la Bonne Nouvelle de notre Seigneur. De grand coeur, Nou vous encourageons et vous souhaitons un Congrès fécond.

Et maintenant, Nous nous tournons avec plaisir vers la très nombreuse délégation de l’Institut Saint-Dominique de Rome. Chères Filles, Nous avons entendu parler de votre maison: elle regroupe, Via Cassia, des élèves de nationalités très diverses, venues puiser dans la culture française une formation solide et ouverte, s’enrichir l’esprit et le coeur grâce au témoignage des religieuses dominicaines et de professeurs compétents, et faire ensemble l’apprentissage d’une vaste fraternité. Puissiez-vous, en même temps, y faire l’expérience de l’Eglise, de cette famille aux dimensions mêmes du monde, dont vous trouvez ce matin ici un signe tangible! Cette Eglise vous a enfantées à la vie de Dieu, elle vous nourrit de ses sacrements et de l’Evangile, elle vous entoure comme une Mère. Mais elle attend que chacun d’entre vous acquière cette personnalité forte, profondément enracinée dans l’amitié de Dieu, à la curiosité éveillée, au jugement droit, au dynamisme créateur, capable de persévérance dans l’effort, apte à servir avec tous les talents que vous aurez eu la chance de recevoir, soucieuse de partager et de contribuer à bâtir demain, ou plutôt aujourd’hui, un monde plus juste, plus fraternel, où l’amour de Dieu ait sa place: sans Lui, comment serait-il vraiment humain? La prière et la pénitence sont les thèmes de votre Carême: priez aussi pour Nous et à toutes les intentions qui nous sont confiées. Et Nous, de tout coeur, Nous vous donnons, comme aux religieuses, aux professeurs et aux aumôniers de votre Institut, notre paternelle Bénédiction Apostolique.




Catéchèses Paul VI 9272