Catéchèses Paul VI 10103

10 octobre 1973: L’HOMME A BESOIN DE LA PRIERE

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Chers Fils et Filles,



Nous sommes convaincu que le monde moderne a besoin d’apprendre à nouveau à prier. C’est-à-dire à s’exprimer soi-même devant Dieu : deux mystères qui se rencontrent : la conscience de l’homme et l’Etre infini et ineffable. Commencement et Fin de toute chose. Que notre dialogue habituel soit cela, chacun le sait, même si on est souvent mal informé ; la prière est l’activité caractéristique de l’homme religieux, du croyant, de celui qui cherche et sent qu’il est en communion avec le Dieu de l’univers et qui a trouvé dans le Christ la voie de l’expression et de la communication entre les microbes que nous sommes, nous, et ce ciel infini qui est la patrie de Dieu. Nous ferons bien de reprendre la réflexion sur cette activité qui a une part si grande dans notre personnalité chrétienne, et de saisir l’occasion du grand effort de la réforme liturgique, décidée par le Concile, pour valoriser en nous les raisons de la prière et pour adapter notre langage spirituel aux formes rituelles, théologiques, communautaires que l’Eglise nous offre aujourd’hui.

En ce moment, toutefois, notre perspective est différente ; nous aurons à revenir, non pas une fois, mais souvent sur la prière du chrétien qui vit de sa foi ; mais, comme nous l’avons dit, en ce moment, nous pensons à l’homme moderne, c’est-à-dire à celui qui est produit par l’expérience de la vie contemporaine et qui estime qu’il peut se suffire à lui-même, sans avoir besoin de recourir à Dieu, à sa Providence, à sa Présence au-dessus et en dedans de nous, à sa Justice, source pour nous de crainte et de responsabilité, à sa Paternité qui, dès qu’on la considère, nous fait déborder d’amour et de joie. Sans avoir besoin donc du rapport religieux et seul avec soi-même, avec la société et la nature qui l’environne. L’idée de Dieu est pratiquement éteinte en ceux qui tirent leur propre éducation du sécularisme contemporain, synthèse de toutes les opinions négatrices de la Réalité transcendante et de la Vérité qui, sous des formes données, sont en nous vivantes et immanentes. L’homme-type que devrait être et qu’est le disciple de l’athéisme, officiel pourrait-on dire, de notre époque, affirme qu’il n’a pas besoin de Dieu ; lui suffit largement la science avec toutes ses conquêtes pratiques ; la science, capable de connaître et d’expliquer toute chose, et de satisfaire ses besoins spéculatifs, pratiques, sociaux et économiques.

Dans un discours aussi bref et aussi simple que celui-ci, nous ne pouvons évidemment pas résoudre les problèmes immenses qui dérivent de cette déification de la science ; nous dirons seulement que nous aussi, et même le tout premier, nous rendons à la science les honneurs qui lui sont dus, lui assurant aussi la promotion, l’appui dont elle pourrait encore avoir besoin. Vive la science ! Vive l’étude qui la développe et l’exalte ! Mais nous croyons qu’il est permis d’affirmer qu’à elle seule, elle ne suffit pas ; et nous ajouterons encore plus : la science, elle aussi, réclame cette communication supérieure à laquelle nous avons donné maintenant le nom de prière.

Nous pourrions faire recours à l’expérience de la plus jeune des générations, celle d’aujourd’hui : la science, suffit-elle avec son incalculable richesse d’applications techniques ? La science, à l’état pur d’analyse, de recherche, d’expériences, de découvertes, ne fait qu’élargir le champ de nos connaissances; des connaissances qui n’expliquent pas sa profonde raison d’être et qui révèlent toujours plus grave et plus pressant, le visage du mystère, qui force implacablement à s’interroger sur le « pourquoi » premier et absolu de ce que nous connaissons ; et il naît alors un tourment aveuglant chez celui qui entrave le processus logique de la pensée, l’envolée vers le Principe créateur, vers la Sagesse révélée et cachée, presque comme un Sacrement, dans les choses étudiées. Il faut observer un fait capital à propos de la pensée scientifique moderne : elle n’a pas, pratiquement servi à la contemplation, c’est-à-dire à la découverte, découlant de son étude spécifique, des notes qui irradient des choses connues, à savoir : l’ordre, la complexité, la loi, la grandeur, la beauté... tous reflets mis en évidence par l’observation scientifique, reflets d’une Pensée génératrice, illimitée et immanente ; mais il est une préoccupation qui a immédiatement pris le dessus, celle d’utiliser pour des fins pratiques, c’est-à-dire pour des applications techniques, les vérités arrachées aux choses. L’utilitarisme a ainsi dominé la science, l’a rendue opaque, et, pour quelques-uns, dangereuse ; sans laisser d’espace à l’esprit humain, sinon celui, légitime mais insuffisant, des supputations au sujet de son emploi au profit de la vie temporelle de l’homme, qui a eu l’usufruit et la jouissance de toutes les découvertes scientifiques, rendues disponibles par des instruments techniques géniaux mais qui n’a pas vu son bonheur s’accroître ni la mystérieuse soif de vie de son coeur s’étancher.

Il faut rendre ses ailes à la science ; celle-ci doit encore soutenir l’itinéraire spirituel de l’homme ; elle doit l’inviter à la poésie et à la plénitude de la prière. « Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce l’oeuvre de ses mains » (
Ps 18,2).

Ceci est dans l’ordre naturel.

Une autre expérience, bien différente, nous conduit à des conclusions analogues ; et c’est celle du caractère ambigu du progrès humain : l’homme devient-il réellement meilleur et plus civilisé en avançant dans l’histoire par l’usage de ses seules forces ? Est-il vraiment capable d’instaurer un humanisme dans lequel les valeurs suprêmes de la personne humaine soient, pour tous, garanties et permanentes ? Et n’y a-t-il pas le risque, si la progressive affirmation de telles valeurs n’est pas soutenue par une tutelle divine, que ces valeurs puissent, en certaines circonstances historiques, se contredire elles-mêmes ? La liberté, la justice, la paix peuvent-elles résister à l’épreuve du temps et aux conflits d’intérêts opposés ? Le droit pourra-t-il se substituer à la force et l’aménagement de la civilisation pourra-t-il vraiment se traduire en un bien commun? Il circule, et principalement en ces jours frénétiques et douloureux, un vent de scepticisme au sujet de la capacité des hommes à être et à demeurer frères. La capacité de l’homme de construire pas ses seuls moyens une civilisation authentique et universelle apparaît dans une pénible contestation. Les principes ne sont ni solides ni valables pour tous ; et alors le règne de la force semble de nouveau nécessaire, et nécessaire paraît la guerre. Et si cependant quelques principes étaient et demeuraient indiscutables, pouvons-nous dire que l’homme, tout au moins en général, aurait la vertu de les appliquer de manière désintéressée et avec sagesse ? N’est-il pas nécessaire alors d’avoir une aide supérieure, une grâce divine en supplément ? Et ne faut-il pas, en conséquence, une imploration qui nous voie, humbles ou puissants, recueillis en prière ?

C’est cela que nous croyons et nous souhaitons que l’humanité, toute ensemble, devienne capable de répéter avec le Christ la prière qu’il nous a lui-même enseignée : « Notre Père qui êtes au ciel ! ».

Que Dieu le veuille ! Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Nous saluons avec une grande joie un groupe de pélerins canadiens, La communauté catholique de votre pays, chers amis, se prépare, comme chaque année, à célébrer la journée mondiale de coopération missionnaire. Beaucoup de jeunes chrétientés, de par le monde, vous sont reconnaissantes de l’aide inestimable que leur ont apportée les missionnaires canadiens, prêtres, religieux et laïcs, pour leur faire connaître la Bonne Nouvelle du Salut, les faire bénéficier de la libération de l’Evangile; elles vous remercient aussi des biens matériels que tous vos fidèles ont généreusement partagés avec elles, au service de la foi.

Nous qui avons recu la charge de l’Eglise universelle, Nous vous encourageons : Avec vos Pasteurs, poursuivez hardiment cette oeuvre missionnaire. Regardez tous ces frères qui ccmptent sur vous. Rejoignez l’amour du Sauveur qui veut que tous aient la Vie en abondance. Vous-mêmes, vous recevrez de ce don une vitalité nouvelle. Avec Saint Paul, Nous vous disons: «Qui sème abondamment moissonnera abondamment» (2Co 9,6). Que le Seigneur vous comble de cette joie et vous bénisse!

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Nous adressons maintenant un mot aux congressistes de Grottaferrata.

Nous nous réjouissons avec vous, chers amis, du renouveau de vie spirituelle qui se manifeste aujourd’hui dans l’Eglise, sous différentes formes et en divers milieux. Certaines notes communes apparaissent dans ce renouveau: le goût d’une prière profonde, personnelle et communautaire, un retour à la contemplation et un accent mis sur la louange de Dieu, le désir de se livrer totalement au Christ, une grande disponibilité aux appels de l’Esprit Saint, une fréquentation plus assidue de I’Ecriture, un large dévouement fraternel, la volonté d’apporter un concours aux services de l’Eglise. En tout cela, nous pouvons reconnaître l’oeuvre mystérieuse et discrète de l’Esprit, qui est l’âme de l’Eglise.

La vie spirituelle consiste avant tout dans l’exercice des vertus de foi, d’espérance et de charité. Elle trouve dans la profession de foi son fondement. Celle-ci a été confiée aux pasteurs de l’Eglise pour qu’ils la maintiennent intacte et l’aident à s’épanouir dans toutes les activités de la communauté chrétienne. La vie spirituelle de fidèles relève donc de la responsabilité pastorale active de chaque évêque dans son propre diocèse. Il est particulièrement opportun de le rappeler en présence de ces ferments de renouveau qui suscitent tant d’espoirs.

Par ailleurs, même dans les meilleures expériences de renouveau, l’ivraie peut se mêler au bon grain. Aussi une oeuvre de discernement est-elle indispensable: elle revient à ceux qui ont la charge de l’Eglise: «il leur appartient spécialement, non pas d’éteindre l’Esprit, mais de tout éprouver et de retenir ce qui est bon (cfr. 1Th 5,12 et 1Th 19-21)» (Lumen Gentium LG 12). Ainsi progresse le bien commun de l’Eglise auquel sont ordonnés les dons de l’Esprit (Cfr. 1Co 12,7).




17 octobre 1973: LE DEVOIR DE RECONCILIATION

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Chers Fils et Filles,



Comme nous l’avons maintes fois répété, nous nous préparons à l’Année Sainte ; et nous répéterons aussi deux mots qui figurent à son programme: renouvellement et réconciliation. Le premier de ces mots : renouvellement, nous fera voir tout l’effort, l’oeuvre, le fruit spirituel, moral et social que, subjectivement, chaque fidèle et l’Eglise tout entière entendent produire pendant l’Année Sainte ; dans le second mot, réconciliation, semble, au contraire, se refléter une situation objective ou, mieux, relative à des rapports qui dépassent les limites personnelles ou collectives de notre climat intérieur, et qui se réfèrent au climat extérieur dans lequel nous vivons et qui nous entoure. De toutes manières, les mots sont très clairs et chacun peut les comprendre : nous devons nous renouveler au-dedans de nous-mêmes et nous devons faire la paix au dehors. Au-dedans et au dehors. Cette division, toutefois, est simpliste ; et puis, elle doit être intégrée dans la réalité.

Aujourd’hui examinons le sens que nous entendons donner au deuxième mot d’ordre du programme : la réconciliation. Que veut-il dire ? A qui et à quoi ce mot se réfère-t-il ?

Notons immédiatement que le concept suppose une rupture à laquelle nous devons porter remède ; il suppose un désordre, un contraste, une inimitié, une séparation, une solitude, une interruption dans l’harmonie d’un dessein qui réclame une intégrité, une perfection qui corrige et dépasse notre isolement égoïste et instaure en nous et autour de nous une circulation de l’amour. Avons-nous conscience de ce besoin de réconciliation ? Ceci est un point important. Il représente une grande nouveauté dans la conscience humaine ; premièrement de l’homme vis-à-vis de soi-même ; ne serait-il pas plus homme, vraiment homme, celui qui, ayant conscience de soi-même, se rendrait compte, en même temps, de son propre égoïsme tyrannique, de sa propre existence bornée, de son propre isolement, de sa propre insuffisance ? ; deuxièmement, dans la conscience sociale : les besoins des autres sont inscrits dans notre être même ; il n’est personne qui puisse se suffire à soi-même ; comment chacun pense-t-il s’intégrer dans les relations avec autrui? Dans la lutte ou dans l’ordre ? ; et troisièmement spécialement, dans la conscience religieuse qui marque la conscience la plus haute de notre position dans le monde de l’Etre et dans le destin relatif qui nous est réservé. Réfléchissons bien, et rendons-nous compte que sur ce triple front, du solipsisme, fait social, du fait religieux, nous avons besoin d’une réconciliation. De nous-mêmes, nous ne sommes pas entourés d’un ordre parfait ; de toute part nous vient l’aiguillon d’une déficience, d’un reproche, d’un remords, d’un danger. Une analyse psychologique nous porterait trop loin. Limitons-nous en ce moment à considérer brièvement les trois aspects (les trois fronts, avons-nous dit) que notre conscience nous présente comme ayant besoin de réconciliation.


La loi de l’amour


Le premier front est celui de notre inquiétude intérieure qui vient de ce que nous nous sentons vivre et cependant faiblir, ne pas nous suffire ; pleins d’énergie et de déficiences ; tourmentés par notre inlassable égoïsme ; conscients en même temps de notre droit de vivre et de notre pauvreté subjective. Où et comment trouver la pacification ? L’intégration, l’équilibre, la plénitude de notre personnalité ? La réponse est immédiate : notre paix intérieure, c’est l’amour. La question, alors, se déplace : quel amour ? Pour l’instant, nous ne répondrons pas à cette question ; nous dirons seulement que pour être heureux, il faut apprendre « l’art d’aimer » ; art que la nature elle-même nous apprend, si on l’écoute bien et si on l’interprète selon la grande et suprême loi de l’amour que le Christ nous a enseignée : « aime Dieu, aime ton prochain » avec les applications austères qu’une telle loi comporte. Si nous apprenions vraiment à aimer comme il se doit, ne seraient-elles pas transformées dans la paix et dans le bonheur, notre vie personnelle et, par conséquent, la vie collective ?

Il faudra que l’Année Sainte ajoute encore ce point capital à son programme : l’amour, restaurer l’amour, le vrai, le pur, le fort, le chrétien.


La douloureuse réalité de la guerre


Et de la réconciliation sociale, que dirons-nous ? Oh ! quel chapitre immense qui remplirait mille pages ! Nous dirons seulement que la réconciliation, c’est-à-dire la paix, devient une nécessité chaque jour plus pressante, inéluctable. Après l’ultime guerre mondiale, n’avons-nous pas tous espéré que, finalement, la paix était acquise une fois pour toutes ? Le monde n’a-t-il pas fait des efforts vraiment grandioses pour insérer constitutionnellement la paix dans les progrès de la civilisation ? Pour rendre les peuples sûrs pour eux-mêmes, fraternels pour les autres ? Mais l’atroce, la terrifiante expérience de ces années nous rappelle à une triste réalité : la guerre est encore, est toujours possible ! La production et le commerce des armements nous indiquent, au contraire, qu’elle est plus facile et plus désastreuse qu’auparavant. Nous vivons de nouveau, aujourd’hui, une douloureuse — et pas unique — tragédie de guerre. Nous sommes humiliés, nous avons peur. Serait-ce possible que la guerre soit un mal incurable de l’humanité ? Ici, il faudra que nous observions encore la disproportion congénitale dans l’humanité, entre sa capacité idéalisatrice et son aptitude morale à rester cohérente et fidèle à son programme de progrès civil ; et on est alors tenté de dire : il est impossible au monde de demeurer pacifique. Nous répondons : non ! Le Christ, notre paix (
Ep 2,14) rend possible l’impossible (cf. Lc 18,27). Si nous suivons son Evangile, l’accord entre la justice et la paix peut se réaliser ; certainement pas se cristalliser dans l’immobilité d’une histoire qui est au contraire en perpétuel développement; mais il peut être ! Il peut se régénérer ! Et c’est cela que nous mettons à l’étude de l’Année Sainte ; la réconciliation, à tous les niveaux, dans la vie familiale, communautaire, nationale, ecclésiale, oecuménique. Et sociale également. Pourquoi ne saurait-on concevoir une coexistence sociale où, certes, les intérêts sont différents et opposés, mais qui soit fondée sur une coopération juste et organique, et, par conséquent, sur la paix humaine et chrétienne de ceux qui y participent ? Est-ce un rêve ? Est-ce une utopie ? Voici notre originalité : nous croyons que cette eschatologie politique, cette parousie morale est un devoir chrétien quel que soit, dans les contingences historiques, le degré de son effective application ; l’amour, la justice, la paix sont des idéaux vifs et bons, pleins d’énergie sociale que nous ne devons pas emprunter à la haine et à la lutte pour tendre à cette concrète pacification qui réalise dans la sagesse et dans la bonté la parole du Christ : « vous tous, vous êtes frères » (Mt 23,8).


La première tâche de l’Année Sainte


Voici une autre tâche immense pour l’Année Sainte.

Et celle-ci donnera sans aucun doute sa préférence à la troisième pacification, la pacification religieuse qui, en fait, se trouve à la première place : nous entendons par là le rétablissement pour chacun de nous, pour l’Eglise entière et, Dieu le veuille ! pour le monde, du rapport de vérité et de grâce avec le Père Céleste. C’est la première des tâches de l’Année Sainte, une tâche à quoi elle ne peut manquer; rétablir la paix entre nous et Dieu, dans l’expérience médiate et vécue de la parole incomparable et si chère à Saint Paul : la réconciliation. Mais cela demande une leçon toute à soi ; aussi nous contenterons-nous de la confier à votre mémoire, dès maintenant et pour l’Année Sainte qui vient. Réconciliation avec Dieu (cf. 2Co 5,20).

Avec notre Bénédiction Apostolique.





24 octobre 1973: DE LA TREVE A LA PAIX

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Chers Fils et Filles,



Ceux qui suivent les entretiens que nous avons chaque semaine avec les visiteurs des Audiences générales savent que depuis quelque temps nous nous habituons à penser les grands événements de la vie moderne dans la perspective de la prochaine Année Sainte, c’est-à-dire en cherchant leur solution à travers la double synthèse thématique qui a été établie pour un événement d’une telle importance générale. Nous avons parlé et nous parlerons encore de réconciliation, un peu comme si nous cherchions à comprendre le sens de ce « mot-programme » et à savoir à qui et à quoi il se réfère. Réconciliation avec notre conscience personnelle, disions-nous ; réconciliation avec nos frères qui nous entourent et réconciliation des hommes entre eux ; et maintenant, avant de donner une pensée à la réconciliation la plus importante et la plus difficile, celle de notre vie avec Dieu, disons que nous avons été surpris, comme par un coup de tonnerre, par la nouvelle qui s’est emparée, ces jours-ci, de toutes les voies de l’information publique : la trêve, peut-être même la paix au Moyen-Orient ! Comme tout le monde ; nous en sommes heureux et comme bouleversés, bien que ces sentiments soient accompagnés d’anxiété, de crainte à cause des ombres qui troublent encore un résultat si impatiemment attendu ! Toutefois, nous ne pouvons détourner notre attention de cette espérance comme quelqu’un qui aurait toujours entretenu en lui cette attention et la sentirait maintenant élargie et liée à d’autres intérêts très vifs et multiples : il s’agit de la paix ; de la paix qui englobe un groupe de peuples, avec Israël au centre, le cordon des pays arabes tout autour et qui a des répercussions évidentes et formidables sur les plus grandes Puissances du monde.


Dialogue raisonnable et pacifique


Nous observons cette dramatique scène d’histoire vivante, d’un oeil attentif, d’une âme tendue, d’un coeur tremblant. L’engin de la guerre latente avait explosé et il avait révélé de quels instruments meurtriers il était doté ; on a vu, comme jamais encore, comment la science, la technique, l’industrie, l’économie, l’organisation militaire, la politique se sont, avec une logique de fer, silencieusement, employées au cours de ces dernières années pour rendre aux armes une puissance aveugle et décisive dans les controverses qui pourraient s’élever dans les relations humaines alors que celles-ci se resserraient noblement dans le dialogue raisonnable et pacifique des institutions internationales modernes. L’engin a explosé, et tout de suite de manière terrible ; mais grâce à Dieu — et louons ceux qui en ont le mérite — à présent il est contenu, arrêté. Espérons qu’il le soit définitivement et que, durant la pause, il ne se reconstitue pas avec une puissance égale ou peut-être même plus violente ; espérons que ce soit fini pour toujours.


Pour que la concorde soit durable


Nous voudrions que nos voeux soient une prophétie; une prophétie de paix, de paix authentique. En vertu de notre mission humaine et supra-humaine, nous sentons vibrer dans notre coeur l’espérance du monde ; l’espérance des sages, des bons, des humbles. L’espérance des jeunes et des générations futures. Les avatars des épisodes belliqueux qui ont encore une fois ensanglanté la terre, même en ce moment, ne doivent pas nous décourager ; il faut qu’ils accroissent notre conviction que l’humanité doit se revêtir d’un ordre libre et unitaire, que la civilisation doit être positive, c’est-à-dire morale et universelle, que la concorde doit être oecuménique et durable. Nous affirmons que, normalement, la paix ne doit pas être recherchée avec la violence de la révolution, ni maintenue avec le poids de la répression ; la paix ne doit pas être une simple trêve, un équilibre — comme un bras de fer — de forces opposées, une pure et contingente combinaison matérialiste d’intérêts temporels ni une ambitieuse compétition de prestige. La paix doit être une création dynamique et continue de principes humains fondamentaux, un fruit des droits de l’homme professés et défendus avec une radicale honnêteté, un résultat prodigieux de ce devoir suprême qui s’appelle l’amour ; l’amour pour l’homme, quel qu’il soit, parce qu’il est un frère ; et il est un frère parce qu’il est, comme tous les hommes, fils de Dieu Père universel.


Le temps de la réconciliation


Et nous voici alors, très chers auditeurs, ramenés par la logique même de la présente expérience historique à notre thème de la réconciliation. Il ne faut pas que cela puisse déplaire à qui que ce soit si nous affirmons que ce thème doit inspirer la nouvelle histoire du monde ; à quoi serviraient les progrès de l’humanité si elle n’était pas réconciliée avec elle-même et en elle-même ? Et comment pourrait résister une telle réconciliation, une telle paix, si on ne pouvait la définir comme une concorde entre frères ? Une fraternité vraie, pensée, solidaire ? Et nous ajoutons : une telle fraternité entre des êtres humains si divers et poussés par les malsaines tentations centrifuges de l’égoïsme, peut-elle maintenir et célébrer cette fraternité sans la polariser et la lier à la transcendante et très heureuse paternité de Dieu ? Et comment pourrons-nous être éduqués à reconnaître comme réelle une telle paternité et à nous ouvrir à un colloque plein de confiance avec elle, si le Christ, notre Maître ne nous enseigne pas : « Vous prierez comme ceci , Notre Père qui êtes aux cieux... » (
Mt 6,9).

En cette heure, défilent en notre esprit les images douloureuses des conflits humains ; il y en a encore de nombreux dans le monde ; et pour tous, pour chacun, notre voeu est celui de la réconciliation entre les hommes qui sont, de toutes les manières, des frères ; nous souhaitons que chacun soit persuadé qu’elle est possible ; nous invitons chacun à une collaboration confiante, commune afin que cette réconciliation se réalise : elle est l’espérance victorieuse de la paix pour tous.

Que Dieu le veuille, avec notre Bénédiction Apostolique.





31 octobre 1973: LA RECONCILIATION AVEC DIEU PREMIERE FIN DE L’ANNEE SAINTE

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Chers Fils et Filles,



L’événement spirituel, annoncé à l’Eglise et au monde, et qui est appelé Année Sainte, assume des dimensions énormes et imposantes. Nous devons le définir, mais une simple référence au calendrier n’aurait aucun sens ; la signification que doit revêtir un tel moment historique et religieux devient profonde et complexe, non seulement à cause de l’idée de pénitence et d’indulgence qu’il hérite d’une tradition désormais séculaire, mais aussi par le fait que dans cette prochaine Année Sainte va se refléter sous une forme vitale ce que le Concile Vatican II a énoncé sous une forme doctrinale ; et c’est ainsi qu’un binôme polyvalent, renouvellement et réconciliation, tente de rendre accessible à la réflexion et à l’action l’immense trésor des enseignements conciliaires. Nous craignons de nous répéter, mais il faut le faire si nous voulons stimuler la découverte des thèmes toujours neufs et très féconds qui dérivent du programme proposé.

On a à peine fait allusion à la réconciliation, par exemple : réconciliation avec notre conscience, avec notre prochain ; nous n’avons pas encore considéré l’aspect principal de ce chapitre fondamental : la réconciliation avec Dieu. L’Année Sainte tend en tout premier lieu à réconcilier les hommes avec Dieu, nous, les croyants, d’abord, et ensuite le plus grand nombre possible d’hommes que l’on peut amener à cette rencontre salvatrice et sanctificatrice.

Il sera salutaire pour nous d’avoir toujours dans l’esprit ce texte synthétique et incisif de Saint Paul : « Si quelqu’un est dans le Christ (c’est-à-dire s’il est un vrai chrétien), il y est en tant que créature nouvelle. Tout ce qui était ancien est passé ; tout est devenu nouveau. Et tout cela est l’oeuvre de Dieu, qui, après nous avoir réconciliés avec lui-même par le Christ, nous a concilié le ministère de la réconciliation. Dieu s’est réconcilié avec le monde par le Christ, puisqu’il ne lui impute plus ses fautes et qu’il nous confie les paroles de réconciliation. Nous sommes donc (nous les apôtres), les ambassadeurs du Christ, et Dieu vous exhorte par notre bouche. Nous vous en supplions donc, au nom du Christ, réconciliez-vous avec Dieu » (
2Co 5,17-20).

Ce n’est pas la seule fois que l’Apôtre nous parle ainsi (cf. Rm 5,10) ; dans son discours, toute la conception de notre vie morale est sous-entendue ; il s’y trouve exprimée toute la synthèse doctrinale de la rédemption et du salut.

Et c’est ainsi que notre existence humaine naît, vit, se déroule et s’éteint dans un rapport existentiel et moral avec Dieu. Nous trouvons ici toute la science de la vie ; ici encore, la philosophie de la vérité, et la théologie de nos destinées. Nous sommes les créatures de Dieu ; ontologiquement, nous dépendons de Lui ; et, bon gré mal gré, nous sommes responsables devant Lui. Nous sommes faits ainsi. Intelligence, volonté, liberté, coeur, amour et douleur, temps et travail, relations humaines et sociales, la vie en un mot, a des orientations diversement déterminées et des finalités tout aussi diversement définies, par rapport à Dieu. L’homme ne peut se concevoir de manière adéquate sans cette référence essentielle à Dieu. Aussi mystérieux et transcendant, et donc ineffable, que soit Dieu, Il est le principe éternel de l’univers. Il plane au-dessus de nous, Il nous connaît, nous observe, pénètre en nous, nous conserve continuellement ; Il est le Père de notre vie. Nous pouvons l’ignorer, l’oublier, le méconnaître, le nier ou le renier : Il est. Il est vivant et Il est vrai. « C’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être », comme l’affirmait Saint Paul à l’Aréopage d’Athènes (Ac 17,28).

Il est certain que cette « Weltanschauung », cette conception du monde, est aujourd’hui vigoureusement combattue : on ne veut pas admettre l’existence de Dieu, on aime mieux violenter sa propre raison avec l’aphorisme absurde de la « mort de Dieu », plutôt qu’exercer sa propre intelligence à la recherche et à l’expérience de la lumière divine. L’athéisme semble triompher. La religion n’a plus aucune raison d’être ? Le péché n’existe pas ?

Oh ! nous sommes saturés de ces idéologies. Nous, nous sommes bien convaincus, par la grâce même de Dieu, que Dieu existe, comme le soleil existe ; et que tout vient de Lui, et que tout va vers Lui. Et vous, qui nous écoutez, fils qui savez et croyez, vous en êtes assurément convaincus tout autant que nous.

Et l’on peut comprendre alors comme est urgente, moderne, stratégique la venue de cette Année Sainte qui doit renforcer, à l’intérieur de nous et en dehors, notre conviction de l’existence souveraine de Dieu, et de l’économie de Dieu, c’est-à-dire du dessein — qui est un dessein d’Amour infini — établi par Lui, afin de faire de nous des disciples attentifs, des serviteurs fidèles, mais surtout des fils heureux. Nous nous rendons tous compte, qui d’une manière, qui d’une autre, que notre correspondance à ce dessein, à ce plan de relations naturelles et surnaturelles, a été et continue à être imparfait. Peut-être a-t-elle été hostile et parjure. Nous sentons que nous sommes pécheurs. Ici, une autre page, immense, dramatique celle-ci, douloureuse et humiliante, celle de notre péché, s’ouvre devant nous. Nous avons rompu les rapports justes et vitaux qui nous soutenaient en Dieu. Nous n’avons jamais répondu de tout notre être, de tout notre amour et dans la juste mesure à l’Amour que Dieu nous offre. Nous nous montrons ingrats, nous restons débiteurs ! Et même nous serions perdus si le Christ n’était pas venu pour nous sauver. Et alors ? Alors voilà la pressante nécessité de nous réconcilier avec Dieu : « reconciliamini Deo ! ».

Et voici le surprenant bienfait! La réconciliation est possible ! C’est cela, la nouvelle que l’Année Sainte fait retentir dans le monde et dans les consciences : la réconciliation est possible ! Et puisse une telle annonce pénétrer jusqu’au plus profond de nos coeurs ! Avec notre Bénédiction Apostolique.





7 novembre 1973: ANNEE SAINTE : RENOUVELLEMENT DE LA CONSCIENCE PERSONNELLE

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Chers Fils et Filles,



Les thèmes que le programme pour l’Année Sainte propose afin que celle-ci soit une authentique réalisation chrétienne : renouvellement et pacification, comportent un certain nombre de problèmes moraux et spirituels concernant la préparation des actes et de l’activité que leur observance sincère et efficace semble exiger. Il faudrait que la marque distinctive de cette prochaine Année Sainte soit le caractère sérieux de sa célébration, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif ; caractère sérieux d’autant plus indispensable que plus superficiel est à présent le déroulement habituel de la commune expérience de notre vie conditionnée par cette tendance-ci ; tout est facile, tout est passager, tout est extérieur. Psychologie de cinéma ! Nous, au contraire, nous cherchons à parvenir à des moments forts, constants, intérieurs de notre esprit. Il y a une expression extrêmement commune qui traduit parfaitement cette aspiration programmatique, et c’est : « nous, nous voulons arriver au coeur ».

Et le Coeur, qu’est-ce que c’est ? La question se pose en vue du discours religieux et moral, qui s’étend au discours psychologique et idéal. Que signifie ce terme d’emploi si courant ?

Nous sommes tenté de faire nôtre la définition de Saint Augustin qui fait coïncider le sens du mot « coeur » avec l’Ego « ... cor meum, ubi ego sunt quicumque sum » (Confess, X, 3 ; P.L. 32, 781). Et nous trouvons une grande satisfaction à choisir cette signification d’une extraordinaire densité, qui englobe la personnalité sentimentale, intellectuelle et surtout opérative de l’homme ; une signification que nous trouvons dans la Bible et qui fait abstraction du sens purement physiologique de cet organe, pour désigner ce qu’il y a de vif, de génétique, d’opérant, de moral, de responsable, de spirituel chez l’homme. Le coeur est la cellule intérieure de la psychologie humaine ; il est la source des instincts, des pensées et, surtout, des actions de l’homme. De ce qui est bon et de ce qui est mauvais, rappelons-nous les paroles du Maître, de Jésus : « C’est du coeur que proviennent pensées mauvaises, meurtres, adultères, fornications, vols, faux témoignages, blasphèmes : c’est tout cela qui souille l’homme » (
Mt 15,19-20). Quelle triste introspection ! Et ce qui la rend vraiment grave, c’est la parole biblique qui nous avertit comment l’oeil de Dieu voit en transparence dans notre coeur, ce refuge secret de notre réalité morale ; les Saintes Ecritures nous disent : « L’homme regarde aux apparences, le Seigneur regarde au coeur » (1R 16-17) ; « Il lit dans nos intentions » (Jr 17,10). Nous pourrions encore rappeler d’innombrables citations pressantes concernant la pénétration au plus secret de notre coeur du regard scrutateur de Dieu ; mais maintenant nous devons observer comment, dans cette intériorité mise à nu, le jugement de Dieu se prononce envers nous. Le Christ n’accorde pas la moindre indulgence à l’hypocrisie, à la fausse vertu, à la justice purement formelle et trompeuse. L’Evangile déborde d’expressions d’intolérance au sujet de la pseudo-observance de la religion, disjointe de la vérité du bien et de la pureté de l’amour. Nous devrions relire le chapitre XXIII de Saint Matthieu pour éprouver la force des invectives du Christ contre les astucieuses fictions de deux groupes sociaux de cette époque : les pharisiens et les scribes, devenus des symboles pour tous les temps ; également, pour trembler au sujet de l’exigence fondamentale du vrai rapport avec Dieu : la sincérité du coeur, exprimée par la cohérence de la pensée, de la parole et des actes. Et c’est pourquoi il faut que nous nous remettions à étudier cette parole, devenue d’usage courant : la metanoia, qui veut dire: la conversion intérieure, la transformation du coeur dont nous vous avons déjà parlé d’autres fois. Et nous ne pouvons taire notre douloureuse stupeur devant l’indulgence, et disons même devant la publicité et la propagande, aujourd’hui étalée d’ignoble manière, pour ce qui trouble et contamine les esprits : la pornographie, les spectacles immoraux, les exhibitions licencieuses, etc. Où est donc l’« écologie » humaine ? Pour célébrer convenablement l’Année Sainte, il faut un travail au niveau le plus profond et le plus jaloux de notre psychologie morale. Nous devons être courageux dans l’intention de porter le renouvellement et la pacification profondément, au centre de notre conscience personnelle.

Une double circonstance actuelle constitue un stimulant. La première est l’importance que l’on accorde aujourd’hui à la psychanalyse, à cette vivisection du processus inconscient de notre manière d’agir, c’est-à-dire de notre tempérament, de nos moeurs, de notre personnalité particulière (cf. L. ancona, La psicoanalisi). Nous avons grande estime pour ce courant — désormais célèbre — d’études anthropologiques, bien que pour notre part nous ne les trouvons pas toujours d’accord entre elles, ni confirmées par des expériences satisfaisantes et bénéfiques, ni pénétrées de cette science du coeur que nous puisons à l’école de la spiritualité catholique. Et pour l’instant cela nous suffit pour observer combien est raisonnable et actuelle l’analyse de notre âme sous l’aspect de la théologie, de l’éthique et de l’ascétique chrétiennes que l’Année Sainte nous invite à repenser et à approfondir. Un nouvel intérêt pour la pédagogie intérieure de la foi vécue semble réclamer notre attention et engager l’art didactique de nos maîtres d’écoles autant que de nos maîtres à penser.

Un autre des motifs est la suprématie assumée aujourd’hui par la conscience personnelle de front à la norme extérieure qui presse à tout moment sur notre conduite. Ici, il faudrait vraiment faire l’apologie de la conscience, sans, la séparer toutefois, comme nous l’avons déjà dit, de l’apologie de la direction dont la conscience a besoin et qui vient de la loi et de l’autorité, objectivement justifiées dans l’exercice de leurs fonctions et qui ne diminuent en rien la personnalité de l’homme conscient, mais l’intègrent, au contraire.

Et cette allusion aux prérogatives, aujourd’hui reconnues ou attribuées à la conscience, peut également nous rappeler combien est providentiel l’exercice en profondeur que l’Année Sainte nous propose, précisément pour l’exploration résolue et systématique de notre coeur, c’est-à-dire de notre conscience, dans le but de renouveler et de réconcilier l’homme nouveau que nous sommes en train de chercher, avec nous-mêmes, avec le monde qui nous entoure, avec le royaume de Dieu auquel nous sommes appelés (voir l’« antique mais classique Combattimento spirituale de Scupoli).

Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 10103