Catéchèses Paul VI 23117

23 novembre 1977: SEIGNEUR, SANS TOI, OÙ IRONS-NOUS ?

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O Vous tous, présents à cette audience qui se place au seuil de cette période liturgique que nous avons l’habitude de considérer comme particulièrement importante dans le discours du temps, et que nous appelons « l’Avent », pourquoi êtes-vous venus ? Quel motif vous a poussé à venir à cette rencontre ? Une simple curiosité touristique (« allons voir également cette figure singulière qu’est le Pape ») ? ou une simple raison de dévotion catholique (« il est toujours beau d’assister à une Audience générale du Pape ») ? ; ou une impulsion spirituelle qui soit presque la conclusion d’un processus intérieur d’inquiétude personnelle, et semble faire siennes les paroles du pécheur Saint Pierre après le discours du Christ pré-annonçant le pain eucharistique, un discours qui avait déconcerté les auditeurs de Capharnaüm encore émerveillés par le miracle de la multiplication des pains, accompli la veille, mais incapables de supposer qu’il était le signe prémonitoire d’un miracle plus étonnant, plus insolite, celui de l’Eucharistie ; ce jour-là, voyant la foule incrédule se disperser, Pierre, comme éperonné par les paroles du Christ : « Voulez-vous partir, vous aussi ? », répondant au nom de tous ses collègues, s’exclama : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous croyons, nous, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (
Jn 6,67-69).

Oui, à qui irions-nous ? Vous, tout au moins quelques-uns d’entre vous (et nous supposons que ce sont les jeunes, d’âge ou d’esprit) vous êtes ici précisément avec cet esprit ; ce sont ceux-là qui viennent chez le Pape dans l’espoir d’entendre de lui quelque parole secrète et prodigieuse qui réponde à une de leurs intimes « demandes de vie » ; une demande qui se débat entre désillusions et incertitudes, et plus encore entre tensions et besoin anxieux de certitudes nouvelles, par faim intérieure de vérités qui interprètent véritablement le monde bouleversé qui les entoure, et qui leur enseigne une voie sûre, digne d’être parcourue par leur vitalité insatisfaite mais frémissante.

Il existe, pensons-nous, une aspiration — inquiète jusqu’à la souffrance chez beaucoup — vers une solution vitale, le besoin d’un choix, le besoin d’une vie qui ne se perde pas dans les sables d’un désert de problèmes non résolus, ou qui ne s’enfonce pas dans le marais trompeur des fausses et indignes promesses. Dans tant d’âmes généreuses, mais aux yeux bandés, il existe le besoin urgent de trouver une formule de vie qui assure un emploi plein et valeureux aux énergies dont elles débordent, mais qui sont déçues par les flatteries de la vie ordinaire ou par l’attrait de programmes illusoires, ou seulement médiocrement capables de donner un sens plein et noble à ce que nous concède la propre existence.

Après les bouleversements des guerres récentes, après un mode de vie sans idéal ou soutenue par des objectifs de médiocre valeur ou aveuglée par des conceptions politico-sociales incomplètes et peut-être inhumaines et défaitistes, renonçant aux idéaux de l’esprit de la vérité supérieure, une crise se précise dans la génération des hommes nouveaux et libres qui cherchent anxieusement une vocation qui vaille vraiment la peine d’être vécue avec un héroïsme muet mais non fallacieux.

Il y a probablement parmi vous, jeunes, hommes et femmes qui nous écoutez, des personnes, des personnes vivantes qui souffrent dans leur recherche de ce modèle de vie non pas étrange mais caché. Vous attendez peut-être de nous la formule de la vraie vie, celle qui possède en soi le trésor des valeurs qui justifient le risque, le don d’un choix qui ne souffre aucune comparaison ?

Eh bien, à vous qui êtes avides de cette réponse suprême, la réponse concernant l’engagement authentique, sage, vraiment humain de la vie, nous dirons deux choses : d’abord notre ignorance au sujet de celles qui forment la richesse, la force, l’attrait du monde extérieur. Nous sommes des étrangers, nous sommes des pauvres en esprit. Ne nous demandez pas, ne demandez pas à l’Eglise ce que nous ne pouvons vous donner. Nous ne connaissons plus le bonheur de la terre (cf. Jn 16,20).

Mais si vous nous demandez le secret de la vie véritable, celle qui est fondée sur la vérité, sur l’amour, sur la concomitance de la grâce divine ; celle des hommes forts, austères, et joyeux, celle des hommes qui vivent la vie, même modeste et pauvre, de la société moderne, mais soutenue par des idées vraies, par une communion transcendante qui rend l’esprit heureux même dans l’adversité, celle, en bref, de la vocation du baptême, pleine de chant intérieur et qui ne s’éteint pas avec la mort, la vie bonne et simple et honnête et sereine, la vie chrétienne, en somme, celle-là, oui, nous pouvons vous l’enseigner et vous aider à la vivre. Le voulez-vous ?

Avec notre bénédiction apostolique.





30 novembre 1977: L’AVENT DU CHRIST

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L’Avent est commencé. Qu’est-ce que l’Avent ? L’Avent est cette période de temps qui, dans la prière officielle de l’Eglise, précède et prépare la célébration de Noël. La prière de l’Eglise suit le cours du temps qui, pour nous, se déroule non seulement selon le cycle cosmico-saisonnier des périodes thermo-agraires, mais aussi dans le souvenir renouvelé de la vie temporelle du Christ et de l’oeuvre qu’il a accomplie, et qui est la Rédemption, le mystère de Dieu dans l’histoire. L’Eglise fixe un tel événement dans le rythme solaire du temps, pour le constituer comme point central dans la succession de l’histoire même, c’est-à-dire dans le temps qui passe : « Notre Mère la sainte Eglise estime qu’il lui appartient de célébrer l’oeuvre salvifique de son divin Epoux par une commémoration sacrée, à jours fixes, tout au long de l’année... » (Sacrosanctum Concilium,
SC 102) ; de telle sorte que la première observance de la vie religieuse consiste à percevoir la relation qui existe entre le temps qui passe et cette présence du Christ qui domine les vicissitudes de notre vie en transit dans le temps, l’inexorable succession des causes et des événements dans laquelle notre existence actuelle naît, s’affirme et meurt.

Aussi, la première pensée qui vient du fond de notre conscience doit-elle être cette forme et cette mesure d’existence dans laquelle nous nous trouvons, afin comme le dit Saint Paul dans son célèbre discours d’Athènes « de chercher Dieu pour l’atteindre, si possible, comme à tâtons et le trouver; aussi bien n’est-il pas bien loin de chacun de nous. C’est en lui, en effet, que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,27-28). Le sens naturel, fondamental, primordial de Dieu doit s’ouvrir, au milieu des mille expériences de la vie profane, dans quelqu’éclair d’illumination qui soulève en notre esprit le problème fondamental de Dieu. Dieu frappe à notre porte (Ap 3,20). Alors l’Eglise, par sa sage et maternelle pédagogie, nous parle du Christ et, les jours que nous appelons jours du Seigneur, c’est-à-dire les dimanches, nous racontent l’histoire de sa venue et transfigurent le récit en célébration parce que — et nous devrons y revenir — cette célébration liturgique est un moment de présence : nous dans le Christ et le Christ en nous. Le Christ qui vient, voilà la présentation de son arrivée historique et figurative ; ceci est l’Avent que nous devons célébrer en premier lieu. Ce n’est pas de l’imagination, mais du souvenir, de l’histoire. Une histoire rétrospective par rapport à notre actualité contemporaine ; une histoire qui a commencé il y a 1977 années (si l’on s’en tient au calcul initial de Cyrille d’Alexandrie que le moine Denis, dit le Petit, composa à Rome entre le V° et VI° siècle après le Christ, compilant la collection des Conciles).

Ce besoin de recourir aux documents antiques pour avoir des renseignements chronologiques sur l’Avent du Christ nous apprend qu’il s’agit d’un fait déterminé, d’un fait historique, comme nous le disons, qui ramène à la réalité du temps, ou mieux, au mystère du temps choisi par Dieu pour la venue de son divin Fils sur la scène du monde (cf. He 1,2) ; et nous rappelle notre devoir de connaître l’« histoire sainte » ou pour mieux dire l’Ecriture Sacrée, la Bible (cf. Dei Verbum, DV 9-10). C’est le livre de la Révélation qui constitue, avec la Tradition, (ibid. DV 8) la source historico-divine de notre foi. Elle a le regard fixé sur le passé, d’où se projette dans les siècles cette Parole de Dieu dont notre religion tire certitude et richesse.

Pour bien célébrer l’Avent, nous devons avoir le plus grand respect pour cette sage attitude : regarder en arrière, regarder l’histoire, l’« histoire sainte » à travers laquelle à jailli la lumière sur le monde. Relisons Vito Fornari : « Jésus vint au monde comme vient à nous une personne dont nous avons déjà entendu le bruit des pas. Le bruit de la venue fut d’abord léger, comme il est normal quand il vient de loin, puis il s’est fait plus sonore et tout proche ; mais, commencé depuis l’origine, puis continué sans arrêt et en dernier ressort tellement clair que toute chose paraissait une voix d’annonciation, et que le monde semblait, ne plus être autre chose, tout entier qu’une préparation de la venue du Christ » (Vita di Gesù Cristo, 4. 1, vol. 1P 31).

Faisons tous le projet de compléter notre culture profane, d’enrichir notre formation religieuse en recherchant dans les Ecritures, sous l’éclairage du Magistère de l’Eglise la Vérité qui sauve.

C’est là un projet qui peut le mieux nous conduire dans cette nouvelle année liturgique et renforcer nos pas pour le chemin suivant.

Avec notre bénédiction apostolique.

***

Nous sommes heureux de saluer aussi le groupe de spécialistes réunis ces jours-ci au Centre d’Etudes Saint-Louis de Frante pour un Colloque sur François Mauriac. Comment ne pas se réjouir de voir l’audience du grand romancier catholique se maintenir vivante et conserver sa force d’attraction? Nous souhaitons un plein succès à vos réunions, et Nous vous encourageons à mettre en relief les racines de ce christianisme vécu qui a inspiré François Mauriac et qui peut toujours éclairer les démarches de notre temps. De grand coeur, Nous bénissons vos travaux et vos personnes.




7 décembre 1977: LE CHRIST EST VENU. LE CHRIST VIENDRA

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Chers Fils et Filles,



Noël est proche. Si nous essayons de le comprendre comme point de contact du Dieu éternel avec le flux ininterrompu du temps qui s’écoule, nous parvenons plus facilement à considérer cet événement dans le passé, que l’Evangile fixe dans l’histoire, et dans l’avenir, dont l’Evangile se fait prophétie. Noël nous oblige à penser au Christ qui est venu, et au Christ qui viendra. Sur la bande de l’histoire se trouve enregistrée l’apparition du Verbe de Dieu qui s’est fait homme. Nous, nous ne finirons jamais de considérer cet événement : dans sa lente et séculaire préparation, dans sa brève apparition, dans ses conséquences qui nous touchent encore et font de notre existence temporelle une expérience, une épreuve, en comparaison de cette présence momentanée du Christ durant les brèves années de sa vie sur la terre, notre modèle, notre type d’humanité notre maître, notre sauveur et fondateur de la société du salut, de la communion existentielle avec Lui que nous appelons l’Eglise. Cet Avent, constaté dans des événements prodigieux en eux-mêmes mais presque inaperçus sur la scène du temps, fut cependant d’une importance telle qu’il constitue le point central de l’histoire du monde : « … mysteria clamoris, quae in silentio Dei operat a sunt » ; ce furent, écrivait déjà, au début du deuxième siècle, Ignace, le célèbre Evêque d’Antioche, martyrisé à Rome, ce furent des mystères retentissants, mais accomplis dans le silence de Dieu (Ad Ephes, 19). Le Noël temporel du Christ fut l’épilogue de l’ancien Testament, mais il fut, en même temps, l’inauguration du nouveau Testament, celui dans lequel se déroule aujourd’hui notre présente existence. C’est ainsi que Noël nous fait célébrer deux venues du Christ, celle de Bethléem, passée mais fulgurante dans les siècles qui lui ont succédé jusqu’à nous, et jusqu’à la fin du monde ; et l’autre, celle future, lorsque le Christ reviendra. Ce sera, sous une forme que nous ne pouvons même pas imaginer, qu’il viendra, dans toute sa gloire, pour juger l’humanité entière, « les vivants et les morts », c’est-à-dire ceux qui sont vivants de la vie du Christ et ceux qui, par leur culpabilité, s’en sont privés.

Noël n’a pas seulement le regard tourné vers le passé, vers la naissance de Jésus dans la chèche. Noël a le regard projeté également vers l’avenir, vers la nouvelle et future venue glorieuse du Christ (cf.
2Th 1). Cette prévision est pleine de mystère, mais pleine également d’ineffable réalité : « En effet, comme il est écrit, dit Saint Paul, nous annonçons ce que l’oeil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Mais Dieu nous l’a révélé par l’Esprit... ». Et nous, nous ne devons pas oublier ce futur, eschatologique comme on le définit, avènement qui conclura pour l’éternité le royaume de Dieu et fixera notre sort pour toujours. Il est suspendu au-dessus de nous, presque comme une sanction prophétique, à la fin du temps, de l’accueil que nous aurons fait au premier Noël dans le temps qui nous est accordé. Le sens de la vie présente s’éclaire à la lumière de la vie future. Les valeurs morales de notre existence s’imposent à nous au moment de l’extrême confrontation avec l’Avènement du Juge, qui pour nous fut un frère, un maître, un modèle et même le pain de vie dans le temps présent, et qui nous a enseigné le sens de la charité fraternelle comme titre pour être admis à nous associer, pour toujours et pleinement, à la vie divine.

Que notre Noël ne soit donc pas un événement mondain et profane, mais un moment de convergence du Noël évoqué par l’Evangile avec celui auquel on croit et qu’on espère pour l’éternité : une fête de Noël, pieuse et bonne et bénéfique, celle de celui qui est chrétien.

Avec notre bénédiction apostolique.





14 décembre 1977: LE NOËL DU PRÉSENT

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Chers Fils et Filles,


Comme il se doit, la fête prochaine de Noël mobilise notre attention. Quelle est la signification religieuse essentielle de cette fête ? Nous l’avons déjà considérée sous deux aspects: le premier est l’aspect commémoratif, historique : nous — c’est-à-dire l’Eglise — nous entendons célébrer la naissance de Jésus-Christ, advenue il y a 1977 ans à Bethléem. Noël est un souvenir d’une extraordinaire importance, il nous porte à évoquer l’histoire du monde et de l’humanité antérieure au fait commémoré que nous avons coutume d’admirer, après les siècles de l’attente et de la prophétie, dans la scène merveilleuse de la crèche au milieu de la nuit enchanteresse ; une scène dont nous ne finirons jamais de méditer, dans toutes ses circonstances, la relation avec l’histoire religieuse qui l’a entourée et qui l’a précédée ; l’extrême humilité de la scène évangélique et le chant ineffable des anges qui l’a exaltée avec une incomparable, une céleste solennité, rendent l’événement séduisant pour toute l’histoire du monde et pour chaque être humain qui a été gratifié de l’heureuse fortune d’avoir un Frère divin. Ceci est l’aspect que l’on considère le plus et, avec le souvenir ébloui de la contemplation de cet événement, il entraîne aussi l’imagination à l’exalter devant la familiarité pastorale dont la scène est inépuisablement féconde.

L’Eglise, qui naît de l’Avènement du Christ dans le monde, y a découvert un second aspect : l’aspect prophétique ; elle sait et croit que dans l’humilité de la crèche, Noël est un premier moment de la présence du Christ dans l’humanité, prélude et promesse de son autre et triomphale venue au terme de la présente vie historique des hommes sur la terre. De cet Avènement futur nous ne savons rien, sinon qu’il se réalisera dans la gloire et dans la puissance pour un jugement final de l’histoire du monde; voilà une pensée qui devrait pénétrer vos consciences et les entraîner à plus de vigilance et de sollicitude dans l’accomplissement de l’Evangile que le Christ nous a laissé, non seulement comme souvenir, mais aussi comme commandement responsable. L’Avent — comme l’avons déjà dit, a le regard fixé sur le passé, sur le Noël que nous commémorons, mais également sur l’avenir qui contient le secret d’une future venue du Christ, celle qui décidera de notre destin éternel.

Mais ce double rapport que nous avons avec le Christ en inclut un autre, et Noël nous invite à y penser : c’est le Noël du présent. Oui, le Christ nous a quittés: sa présence sensible et personnelle ne nous est plus accordée (elle le fut, dans d’exceptionnelles visions : souvenons-nous de Paul
Ac 9,7 etc. — et de quelques saints, pour de brefs épisodes intérieurs). Mais nous-mêmes, avons-nous le souvenir d’une présence du Christ dans notre vie, une présence qui est son « avènement » continu parmi nous ? Rappelons brièvement le nom sous lequel le désigna le Prophète Isaïe d’abord, puis l’Ange à Joseph dans un songe : il l’appela « Emmanuel », ce qui veut dire « Dieu parmi nous » (Is 7,14 Mt 1,23). Ce nom ne comporte-t-il pas une présence permanente dans le monde, parmi les hommes ? et Jésus lui-même n’a-t-il pas dit, au moment de prendre congé de ses disciples, avant que son Ascension le fit disparaître dans les cieux : « Voici, je suis avec vous chaque jour jusqu’à la fin des temps » ? (Mt 28,20). Puis, et tout spécialement, le Seigneur n’a-t-il pas institue le sacrement de l’Eucharistie dans lequel il se trouve réellement vivant et vrai ? Cet adorable sacrement, n’est-ce pas une présence permanente du Christ parmi nous ? Non pas, évidemment sous son apparence sensible, mais dans sa réalité sacramentelle ? Pour notre bonheur et pour notre réconfort, nous savons tous et nous croyons que c’est, non pas seulement à Bethléem, mais en tout lieu du monde où l’Eucharistie est célébrée que la véritable et réelle présence du Christ lui-même est offerte à chacun de nous, orphelins de sa présence sensible ; et offerte comme aliment sacrificatoire pour notre pèlerinage actuel vers la vie éternelle. N’est-ce pas là un Noël permanent ?

Nous devons raviver, et précisément en célébrant la grande fête de Noël, notre foi en la mystérieuse et joyeuse présence eucharistique parmi nous. D’ailleurs, combien de moyens nombreux et divers, mystiques ceux-ci, sont à notre disposition pour rendre de manière habituelle et vraie la présence vivifiante, et dès maintenant sanctifiante, du Christ parmi nous ! : son Evangile, son Eglise, ses Pauvres... Chaque jour peut être un Noël pour nous !

Avec notre bénédiction apostolique.





21 décembre 1977: NOËL, PRODIGE DE LA MATERNITÉ DE MARIE

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Chers Fils et Filles,



Nous voici à Noël. Avec les voeux qu’une pieuse et aimable coutume fait abonder, pleins de cordialité, sur les lèvres et dans le coeur de tous ceux qui ont conscience du caractère très spécial de cette fête, source pour ainsi dire première de sentiments nobles et élevés dans la conversation sociale, accueillez, Fils et Filles bien-aimés, notre voeu particulier. Ce voeu, conforme à notre mission religieuse, est que vous puisiez à leur source authentique et originelle les raisons des joyeuses manifestations de la fête de Noël, c’est-à-dire, donc dans le fait, dans le mystère que Noël commémore et ravive : l’Incarnation du Verbe de Dieu. Le Fils éternel de Dieu, consubstantiel au Père, créateur de l’Univers, s’est fait Homme ; il est devenu un homme parmi nous, il s’est placé, en suprême humilité mais en effective réalité au centre de l’humanité au point de rencontre des prophètes avec l’histoire du monde, afin de donner aux hommes un Evangile, une foi et un salut qu’ils ne pouvaient conquérir d’eux-mêmes, marquant ainsi le centre du temps et des événements, le point focal, le sens du cosmos. Nous devons prêter la plus grande attention à ce dessein divin qui se greffe sur le déroulement du devenir terrestre et humain. Et, à la fin des temps, du vêtement d’humilité, de pauvreté et de douleur, dont il fut historiquement revêtu durant les jours de sa présence sur la terre, rayonnera, comme un soleil qui s’allume, une fulgurante majesté.

Oui, soyons empressés et avides de connaître, d’approcher, de toucher cette divine présence qui s’appela Jésus (cf.
Mt 1,20-23 He 1,1-4 1Jn 1,1-4). Nous voici alors conduits au lieu, à la scène de la naissance de Jésus, à la crèche de Noël que mille et mille artistes et saints et dévots ont tenté de représenter. Mêlés à l’humble escorte évangélique, nous suivons les pas hâtifs des bienheureux bergers réveillés par les anges ; et nous avons la joie de trouver, comme le dit textuellement l’Evangile de Saint Luc « Marie et Joseph, et le nouveau-né couché dans la crèche » (Lc 2,16). A ce point, il nous faut faire une pause et contempler. Contempler quoi ? le prodige de la maternité de Marie : la voilà la source !

Il importe de recueillir sur-le-champ cette révélation. La révélation du Dieu qui s’est fait homme; le mystère de l’Incarnation : dans notre esprit résonne aussitôt l’écho de ce verset fatidique de notre Credo : « Jésus- Christ, pour nous hommes, et pour notre salut, est descendu des deux, s’est incarné par l’opération du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie et s’est fait homme ». Pour arriver à Jésus il faut d’abord saluer Marie. Nous devons accueillir avec allégresse et avec vénération ce Mystère de l’Incarnation.

Le Concile a dit : « Ce divin mystère de salut se révèle pour nous et se continue dans l’Eglise que le Seigneur a établie comme son Corps et dans laquelle les croyants, attachés au Christ chef et unis dans une même communion avec tous ses saints, se doivent de vénérer « en tout premier lieu la mémoire de la glorieuse Marie toujours vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ » (Lumen Gentium, LG 52). Marie est la « janua caeli », la porte du ciel ; elle est l’« alma Redemptoris socia » (AAS 1974, p. 127).

On a tenté parfois d’accuser l’Eglise d’avoir attribué une trop grande importance à la mission de Marie et à son culte, sans souci de l’irrévérence, par là démontrée à l’égard du mystère de l’Incarnation et de l’abandon ainsi admis de l’économie historique et théologique de ce mystère fondamental. Le culte que l’Eglise rend à Marie ne porte en rien préjudice à la totalité et à l’exclusivité de l’adoration qui est due uniquement à Dieu et au Christ en tant que Fils consubstantiel avec le Père : un tel culte nous guide plutôt vers cette adoration et nous en garantit l’accès parce qu’il remonte la voie que le Christ a parcourue en descendant pour se faire homme.

Nous avons déjà exposé quelques considérations dans notre Exhortation Apostolique Marialis cultus (AAS 1974, p. 113 et suiv.) ; et nous voudrions que votre dévotion envers la Vierge Marie et votre souci de commémorer dignement Noël, vous suggèrent des pensées et des sentiments qui disposent précisément vos âmes à célébrer le mystère de Noël avec, au coeur, la joie de Marie.

Avec notre bénédiction Apostolique. (Cf. le chapitre L’Eglise et la Vierge Marie dans Méditation sur l’Eglise, du R.P. Henri de Lubac, p. 241 et suiv.).





28 décembre 1977: IL FAUT REPENSER NOËL

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Chers Fils et Filles,



Noël est une fête qui demeure. Nous le disons en nous référant à l’influence que cette fête liturgique doit exercer sur nos âmes, n’y laissant pas uniquement distinct du temps qui s’écoule, comme cela se passe pour les événements qui s’insèrent dans notre vie et que des circonstances particulières ont rendus mémorables, gravant leur souvenir dans notre esprit. Noël, comme source toujours vive de pensées et de stimulants pédagogiques, moraux et religieux, reste et doit rester comme un jour sans couchant qui répand sa lumière également sur le temps qui suit sa propre date chronologique.

Il faut repenser Noël. Comme l’ont fait les bergers qui, convoqués par l’Ange pour constater que Jésus était né, furent les premiers témoins de l’événement. Ils allèrent donc à Bethléem, trouvèrent Jésus avec Marie et Joseph et, au retour, « ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant ; et tous ceux qui les entendirent furent émerveillés de ce que leur racontaient les bergers » (
Lc 2,18). Et nous pouvons dire que c’est ainsi que l’Evangile a commencé à se faire connaître, à se répandre discrètement et secrètement, et à contribuer à la formation de cette conscience populaire messianique qui fera accueil à la prédication de Jean-Baptiste, le Précurseur, puis à celle du Christ lui-même.

Mais il est une autre circonstance qui nous conseille de méditer le fait de Noël évoqué par la fête liturgique afin d’y découvrir le sens, la signification transcendante qui s’y cache et qu’il manifeste. Noël a un contenu secret que seul peut découvrir celui qui le cherche. Pensons à la Vierge elle-même, à l’extase de son âme d’une extraordinaire limpidité, consciente déjà du mystère de sa divine maternité (cf. Lc 1,28 et ss.), et toute absorbée dans la méditation de ce qui s’accomplissait en elle et autour d’elle. C’est encore l’Evangile de Saint Luc qui nous dit, pour conclure son récit des événements de la nuit de Noël : « Quant à Marie elle conservait avec soin tout ces événements et les méditait en son coeur » (Lc 2,19). Cette attitude de recueillement, de réflexion, de méditation de la Vierge nous est rapportée également dans un autre passage de l’Evangile qui est en quelque sorte une conclusion du récit évangélique au sujet des douze premières années de la vie de l’Enfant Jésus : « Et sa mère gardait fidèlement tous ces souvenirs en souvenirs en sou coeur » (Lc 2,51). Et ainsi nous est proposé, le premier exemple de vie contemplative dans l’histoire évangélique : l’exemple est merveilleux et riche d’enseignements. La présence du Christ dans le monde est certes une lumière qui l’éclairé, avec le diaphragme du mystère : un mystère qui exige de chacun de nous une attention, une exploration. La révélation n’est pas seulement un fait sensible et extérieur ; c’est une révélation enrobée dans la parabole (Cf. Mt 13,13). Voit celui qui veut voir ; voit celui qui regarde ; voit celui qui veut pénétrer le sens, les fins de la révélation. Celle-ci est sans limites dans son contenu divin et elle justifie ainsi l’effort contemplatif des fidèles auquel le divin Maître dira : « Quant à vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient ; heureuses vos oreilles parce qu’elles entendent » (Mt 13,16).

C’est pourquoi, si nous voulons que Noël ait une influence positive et efficace, nous ne devons pas le ranger parmi les moments passés de notre vie spirituelle, mais il doit rester ! Avant tout comme événement déterminant de notre conscience religieuse : Le Verbe de Dieu s’est fait homme ! Ceci est un fait qui doit soutenir comme un authentique pivot notre manière de penser et de vivre. D’ailleurs, le fait d’être chrétien, ce n’est pas quelque chose de secondaire, de discutable, d’inconstant; il ne s’agit pas d’une idéologie subjective et adaptable à des courants facultatifs de l’esprit historique ou de la mentalité ambiante. C’est la vérité heureusement contraignante, transfigurante et vivifiante. « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32). La crèche, oui, nous force à nous agenouiller devant le mystère de l’Incarnation, mystère d’humilité infinie, mais mystère de gloire infinie pour le Christ et de salut pour nous (cf. Ph 2,1-11).

Et puis comme école : l’exemple de la crèche n’épuise pas ses enseignements en une leçon passagère de merveille idyllique et de poésie pastorale : la crèche est un miroir de la vie conçue selon l’Evangile, une vie dans laquelle ne sont pas éteintes les énergies de l’action, ni les valeurs de l’activité humaine, mais plutôt, énergies et valeurs, engagées dans un effort total de l’humble amour.

Tâchons donc de repenser Noël comme un point de départ, une ligne qui veut être la trajectoire pour la démarche d’une vie chrétienne authentique.

Avec notre bénédiction apostolique.






Audiences 1978

10 Eglise et documents, vol. XI – Libreria editrice Vaticana





PRÉFACE


« Que l’Eglise écoute les paroles que, pour elle, avec tant d’amour, j’ai prononcées ». Cette phrase, écrite par Paul VI dans son testament, exprime bien le désir intime de l’âme si grande du Pontife disparu. Durant ses quinze ans de ministère comme Pasteur suprême de l’Eglise universelle, par son enseignement, il a éclairé d’une lumière brillante et radieuse le chemin du Peuple et a orienté l’humanité dans sa marche d’espérance. Par ses paroles et ses écrits, Paul VI a été le grand maître des temps nouveaux. En réalité, le testament complet du Pape Montini se trouve dans l’ensemble de ses écrits : catéchèse, homélies, discours, messages, encycliques, et exhortations apostoliques. C’est là le même héritage que Paul VI a laissé à l’Eglise : un ensemble de doctrine et d’orientations pastorales d’une actualité permanente.

L’édition de langue française de « l’Osservatore Romano » révèle cet héritage, au long des années, aux personnes de la francophonie. Le volume que nous présentons aujourd’hui est le onzième. Il correspond à l’année 1978, depuis le 1er janvier jusqu’au 6 août, date à laquelle le Pape Paul VI rendit son âme au Seigneur. C’était, ce 6 août, un dimanche, fête de la Transfiguration du Seigneur et, pour la récitation de l’Angélus à midi, à Castel Gandolfo, où il se trouvait, Paul VI avait préparé un texte bref qu’il ne put prononcer. Ce fut la dernière allocution écrite par le Pape Montini.

Avec elle se clôt la deuxième partie de ce volume où se trouvent les messages, homélies et discours pontificaux qui méritent une attention spéciale dans l’ensemble des écrits du Saint Père du fait de leur contenu doctrinal ou des célébrations et circonstances au cours desquelles ils jurent prononcés.

La première partie rassemble tous les discours prononcés par Paul VI le mercredi au cours de sa rencontre hebdomadaire avec les pèlerins. Se référant à ces discours, le Pape Jean Paul Ier, dans sa première audience, affirme : « Durant le Synode 1977, beaucoup d’Evêques dirent : les discours du mercredi que prononce le Pape Paul sont une authentique catéchèse adaptée au monde moderne ». En effet, dans ces dialogues hebdomadaires, avec le Peuple de Dieu, Paul VI a fait un condensé, sous forme systématique, de la doctrine chrétienne, de ses orientations de Père et Maître.

A travers eux, la voix du très aimé Pontife défunt continuera à résonner dans l’Eglise et dans le monde, unie à celle de ses successeurs. L’enseignement de Paul VI ne peut tomber dans l’oubli. Il sera encore aliment et lumière pour tous les chrétiens et hommes de bonne volonté. L’Eglise l’écoutera toujours, comme il l’a demandé dans son testament. C’est précisément par ce document évangélique et impressionnant que le Pape écrivit de sa main et intitula « Notes pour mon testament » que se termine ce volume et, avec lui, la série de cette oeuvre : « Enseignement de Paul VI ».


Cité du Vatican, août 1978




4 janvier 1978: NE CRAIGNEZ PAS : UN SAUVEUR VOUS EST NÉ

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Chers Fils et Filles,



« Il faut repenser Noël » disions-nous à nos visiteurs au cours de la précédente audience générale et nous le répétons encore en cette deuxième rencontre après Noël, convaincu, comme nous le sommes, que, de ce fait évangélique, — et il vaut mieux dire ce « mystère » évangélique — découle une manière de penser et de vivre qui qualifie notre fidélité au Noël lui-même, comme une joyeuse nouveauté, c’est-à-dire notre christianisme. Et ce prolongement de notre réflexion sur cet événement peut se faire sur deux voies, diversement orientées, mais substantiellement égales, parce qu’elles partent l’une et l’autre de ce Jésus dont nous célébrons la naissance, c’est-à-dire la venue en ce monde. L’une de ces voies est guidée, pourrait-on dire, par l’aspect narratif et moral de la célébration de la Nativité et elle nous conduit à la crèche de Bethléem. L’autre, au contraire, fixe notre attention sur l’aspect doctrinal et théologique de la célébration elle-même. Elle nous met à l’école de l’analyse du mystère de l’Incarnation auquel l’Eglise Catholique a principalement appliqué sa contemplation spéculative avec ses premiers Conciles, célébrés en Orient. La première voie est caractérisée par la liturgie de notre Noël illuminé par son foyer central, c’est-à-dire la naissance de Jésus dans le monde, en temps et lieu comme il est raconté dans l’Evangile ; la seconde voie est celle qui trouve une expression caractéristique dans l’Epiphanie, c’est-à-dire dans le « mystère » — disions-nous — de l’Incarnation, du Verbe de Dieu, donc, qui s’est fait homme.

Nous nous tiendrons cette fois sur la première voie, celle du récit que nous connaissons tous parfaitement et qui a pour nous ce point de départ : l’annonce du Noël de Jésus, telle que nous la décrit l’Evangile de Saint Luc et qui est exprimée dans les paroles inoubliables que l’Ange adresse aux bergers, les premiers représentants de l’humanité à être informés et, ainsi, à participer aux premiers effets de la venue du Christ dans le monde. Nous les rappelons une fois de plus ces paroles qui sont comme une annonce prophétique du christianisme. Paroles de l’Ange : « Ne craignez point ; voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui, dans la cité de David, un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur » (
Lc 2,10-11).

Faisons une pause. Ce message venu du ciel, nous devons le recueillir sur de mystérieuse lèvres évangéliques. C’est un message de joie. D’abord, en raison de sa source : il nous vient du ciel ; il vient de l’horizon mystérieux, et infini du « royaume des cieux ». C’est une économie nouvelle, un régime nouveau qui s’inaugure sur la face de la terre ; un rapport surnaturel a commencé entre ciel et monde ; un rapport — second élément à inscrire à la première page de l’histoire humaine — un rapport de joie. Le christianisme — quel qu’en soit le développement spirituel et historique — qui réalisera ce rapport, est un fait substantiellement réjouissant; et de plus il est destiné à l’universel, ad omni populo.

Frères et Fils ! donnons immédiatement toute son importance à cette arrivée du Christ dans le monde. Il s’agit d’un fait transcendantal qui devient la clé normative et interprétative de tout le monde religieux qui en a découlé. La vocation chrétienne est une vocation à une joie essentielle pour qui l’accueille. Le christianisme est fortune, il est plénitude, il est bonheur. Nous pouvons en dire plus : il est une béatitude qui ne se dément jamais ; le chrétien est élu à un bonheur qui n’a pas d’autre source plus authentique. L’Evangile est la « Bonne Nouvelle », il est un royaume dans lequel la joie ne peut manquer. Un chrétien, invinciblement triste, n’est pas authentiquement chrétien.

Nous sommes appelés à vivre et à témoigner ce climat d’une vie nouvelle, alimenté par une joie transcendante. Les douleurs et souffrances de toutes espèces de notre existence personnelle ne peuvent l’étouffer, mais, bien au contraire, lui susciter simultanément une expression victorieuse.

De cette vocation à la félicité supérieure, spirituelle et indéfectible, nous avons parlé plusieurs fois déjà et, notamment, de manière solennelle dans notre Exhortation Apostolique Gaudete in Domino publiée durant l’Année Sainte (9 mai 1975). Nous voudrions vous inviter tous à considérer attentivement ces paroles qui ont également leur source intarissable — il nous plaît de le relever dans le Noël que nous venons de célébrer.

Et nous voudrions qu’à cette même source vienne puiser remède et réconfort l’actuelle tristesse des temps, que les difficultés de toutes espèces qui convergent sur la vie vécue de nos jours font renaître avec de bien pénibles résultats : ou bien en ployant vers un pessimisme défiant la sotte sagesse du monde, résignée à un incurable désespoir intérieur; ou bien suggérant à la psychologie moderne le recours à de fallacieux remèdes, comme le sont l’hédonisme ou l’égoïsme qu’on propose souvent à la jeunesse moderne qui en accueille l’illusoire et toujours amère expérience... remède et réconfort spécialement pour cette nouvelle génération de jeunes dont nous saluons l’approche à la crèche de Noël, chantant avec un aspect poétique nouveau l’antique et toujours neuf salut au Sauveur du monde.

Ainsi soit-il. Avec notre bénédiction apostolique.






Catéchèses Paul VI 23117