Catéchèses Paul VI 30775

30 juillet 1975: LA PRIÈRE : UN BESOIN ET UN DEVOIR

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Chers Fils et Filles,



Nous allons encore considérer la formule fondamentale et synthétique de l’Année Sainte : le renouvellement. Elle nous oblige — et en même temps nous habilite — à faire sur nous-mêmes une enquête qui devra s’étendre ensuite au domaine social actuel : que faut-il renouveler ? Saint Paul nous répond : « renouvelez-vous au plus intime de votre esprit » (
Ep 4,23). C’est-à-dire, renouvelez votre conception de la vie, votre conception du monde (Weltanschauung, comme disent si bien les Allemands), votre manière de penser, d’évaluer le monde, les choses, la vie. En d’autres mots, il faut que nous nous habituions — de nouveau, le cas échéant — à penser et à agir chrétiennement. Notre statut vital découle de notre baptême, du fait que nous sommes chrétiens, et que, par la foi, la grâce, notre appartenance à l’Eglise, nous sommes insérés en Jésus-Christ ; nous devons déduire notre règle de vie de ce fait capital. Le Christianisme, au fond, est tout entier en ceci : être d’authentiques chrétiens. Et, comme nous le savons parfaitement, l’authenticité s’exprime dans l’orientation de notre vie vers Dieu, par le Christ, dans l’Esprit Saint qui nous est venu de Dieu Lui-même précisément lorsque nous sommes entrés dans le cadre de son dessin de salut. Une autre parole fondamentale peut exprimer et synthétiser cette nouvelle et nécessaire forme de vie : l’amour, cet amour que nous appelons charité, agapè, c’est-à-dire un amour animé par Dieu Lui-même qui est Amour ; un amour qui est répandu en nous pour nous rendre capables d’aimer de manière surnaturelle, avec une énergie et selon des fins surnaturelles. La charité est la nouveauté ; elle est la vérité ; elle agrémente et facilite la vie chrétienne.

Frères et Fils bien-aimés, vous, les « pèlerins d’amour » vers ce Dieu qui, avec ce Jubilé, reprend dans l’échelle des valeurs spirituelles auxquelles doit tendre notre vie chrétienne, la place qui lui revient, la première, la plus élevée, la plus recherchée, celle qui donne l’autorité suprême, nous aimons à penser que vous aussi vous êtes en mesure d’observer en vous-mêmes cette expérience spirituelle primordiale : la nécessité le besoin, le réconfort de la prière. L’expression religieuse, la prière, l’oraison, comme langage humain et surhumain orienté vers le mystère de Dieu, naissent précisément de l’Amour de Dieu, et précisément quand celui-ci, célébrant L’Année Sainte, a embrasé nos coeurs (cf. Rm 5,5 2Co 4,6 Ep 5,19 etc.). Avec son habituelle simplicité et sa magistrale sécurité, Saint Thomas nous en avertit, lorsqu’il nous rappelle que « la cause de la prière est le désir de la charité dont procède la prière » (St th. II-II 183,1 II-II 183,14).

Il y aurait ici cent choses à dire ; mais il suffit d’une, très connue et des plus fermes pour nous qui avons confirmé ou repris notre contact vital avec Dieu : l’importance de la prière personnelle, pour donner un sens, pour donner de l’équilibre, pour donner de la vigueur à notre existence. Nous disons cela en pensant à une tendance assez répandue dans la vie moderne : nombreux sont malheureusement ceux qui ne prient plus, qui en fait ne prient pas. Il n’en fut pas toujours ainsi. Même les personnes plongées dans la vie profane disposaient d’au moins un instant chaque jour, d’au moins un peu de jour, d’au moins un peu de temps les jours de fête, les dimanches, pour une pensée, pour un acte conscient, un moment intérieur d’oraison. Tout enfant était habitué, à juste titre, à considérer comme un devoir d’adresser, au début et à la fin de chaque journée, une prière, un salut, une invocation au Dieu vivant, au Père céleste. Aujourd’hui les lèvres de l’homme semblent scellées par une prédominante inconscience de l’ordre religieux, et par la conscience illusoire que la réalité, toute la réalité, est celle de l’ordre sensible, celle de l’expérience temporelle et matérielle : le contact professionnel, utilitaire, scientifique avec les choses du monde profane, avec les occupations expérimentales et avec les relations sociales marque, pour tant de gens absorbés par le travail et par l’étude, les confins de l’intérêt humain ; des doctrines écrasantes et despotiques comme sont celles du matérialisme l’ont pratiquement emporté sur la vision de l’être total, ramenant le savoir au niveau des corps et des lois physiques et quantitatives, et considérant le déterminisme inéluctable de la matière, comme moteur primordial du devenir de la nature et de l’histoire. Si de cette manière Dieu est refusé comme Principe transcendant de l’Univers et que, par conséquent toute intervention libre et sage de sa part dans le monde de notre expérience est exclue, comment l’homme pourrait-il adresser une parole à ce Dieu-inconnu, tenter un dialogue avec lui, invoquer son amoureuse Providence ? Le néant, proclamé au faîte de l’univers, se reflète aussitôt dans la conscience rendue incapable de prier et tendue immédiatement vers le renforcement en soi d’une « autosuffisance » mystificatrice : l’homme se suffirait à lui-même, sans recourir à la reconnaissance ou à l’invocation d’une Source supérieure de l’être et du devenir.

La difficulté, avec la pensée privée de certitudes spirituelles, d’aller au-delà du cercle du monde matérialiste est devenue mentalité théorique et pratique de l’athéisme moderne, une mentalité à laquelle notre antique philosophie, c’est-à-dire notre religion traditionnelle est bien capable, encore aujourd’hui, de donner une réponse plausible ; et comme pour l’avaliser, nous voyons des foules de jeunes s’avancer pour dénoncer d’eux-mêmes le vide produit dans l’esprit moderne par la négation de Dieu. Cette jeunesse s’avance, triste et tourmentée par son besoin d’une religion authentique qui permette encore d’entreprendre un dialogue avec Dieu, de le prier, de le savoir proche, accessible, prévoyant et plein d’amour.

Si bien que cette Année Sainte ouvrira, espérons-nous, sa porte, sa lumière et son coeur pour accueillir les fils de la nouvelle génération en quête d’une aide libératrice et inspiratrice, à la recherche d’une parole nouvelle, d’une poésie neuve qui reconnaisse la difficulté inhérente à la vraie prière (cf. Rm 8,26) et qui fasse proprement sienne la merveilleuse supplication des Apôtres qui, comme le rappelle l’Evangile, demandèrent au Maître et Seigneur Jésus : « Apprends-nous à prier ! » (Lc 11,1).

Puisse être ceci une reconquête de l’Année Sainte : le besoin, le devoir, la joie de la prière chrétienne !

Avec notre Bénédiction Apostolique !

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Nous voulons dire un mot du coeur aux Responsables du Secrétariat International des Enseignants Secondaires Catholiques.

Chers Fils, Nous vous félicitons et Nous vous encourageons de toutes nos forces à être des "professeurs chrétiens à cent pour cent r! A travers les disciplines des Lettres, de l'Histoirre et des Sciences, mais aussi par l'humble et fervent témoignage de votre expérience de Dieu, aidez patiemment les Jeunes qui vous sont confiés, à commencer l'exigeante et harmonieuse synthèse entre leurs connaissances humaines et les données de la Foi! Les Jeunes draujourdrhui ont tant besoin de Dieu! Avec notre Bénédiction Apostolique!

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Chers Fils drAfrique et du Moyen Orient,

Votre présence nous est très réconfortante! Vous contribuez singulièrement à donner à l'Année Sainte son visage druniversalité. Vous représentez également une grande espérance pour l'Eglise! Soyez bien fidèles à puiser dans sa doctrine et ses sacrements la force de construire, avec vos Evêques et vos prêtres, des communautés chrétiennes solides, engagées, rayonnantes! Avec Notre Bénédiction Apostolique.




6 août 1975: LA LITURGIE, SOURCE DE RENOUVELLEMENT DE LA VIE CHRÉTIENNE

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Chers Fils et Filles,



Nous avons toujours dans l’esprit l’idée centrale, le but principal de cette Année Sainte que, nombreux comme vous l’êtes au coeur de sa célébration à Rome, cette ville sacrée de la foi, de l’histoire, du destin de la civilisation chrétienne, vous êtes en train de vivre ; votre présence ici constitue, nous l’espérons, un des moments les plus importants, les plus conscients de votre existence dans le temps et elle imprime ainsi, dans la démarche spirituelle de l’Eglise pèlerine le long des siècles, un plus vif désir de renouvellement perpétuel. Le Peuple de Dieu, ainsi que s’exprime le Concile, c’est-à-dire notre Eglise de Dieu, doit sortir renouvelée de cet événement religieux, moral, collectif qu’est l’Année Sainte. Celle-ci, de fait, ne saurait épuiser son action au cours de la brève période qui la limite; elle doit au contraire animer l’Eglise même d’une tension nouvelle de spiritualité, de moralité, de charité, de ferveur religieuse et humaine qui réveille sa conscience, renforce ses intentions, révèle son génie vital, soude étroitement son unité et surtout lui obtienne de Dieu une infusion nouvelle de l’Esprit qui puisse rajeunir cette Eglise millénaire, la rendre plus vigoureuse, la renouveler, comme l’on a dit, et, même dans le tourbillon des vicissitudes complexes et adverses de notre époque, la rendre heureuse ; oui, heureuse d’avoir comme un avant-goût de la vie immortelle et divinisée que l’espérance lui promet et lui garantit : « spes autem non confundit, notre espérance ne saurait être confondue » (
Rm 5,5).

Or, ce renouvellement que nous espérons exige de nombreuses choses dont l’Eglise peut et doit se prévaloir. Quelle est la première ? La première par dignité, la première dans la compréhension que l’Eglise vivante a du dessein divin du salut du monde, la première, donc que le Concile a indiquée et recommandée pour le renouvellement de la vie chrétienne dans le monde est, vous le savez, la Sainte Liturgie. C’est à la Sainte Liturgie que fut consacrée la première constitution du Concile ; et c’est cette législation qui conféra son aspect rénovateur au Concile lui-même qui, à la différence des autres Conciles, ne fut pas directement dogmatique, mais doctrinal et pastoral.

C’est ainsi que, dans l’économie générale de la vie humaine et chrétienne, la priorité a été reconnue à la prière, partant du principe que le contact spirituel avec Dieu doit obligatoirement être conscient et personnel, comme nous avons eu nous-même déjà l’occasion de l’affirmer; mais ce premier acte de notre religion, nous devons l’intégrer (cf. L. de grandmaison, La religion personnelle) dans le cadre complet et effectif de son expression la plus autorisée, et, par institution divine, ce cadre est social, communautaire, ecclésial, c’est-à-dire sacerdotal et liturgique. La Liturgie est la forme officielle de notre religion. En vertu de nos aspirations à ranimer la vivacité et l’authenticité de la religion dans la vie individuelle, mais surtout dans la vie du Peuple de Dieu, nous devons, à notre époque, honorer et promouvoir la Liturgie dans la vie ecclésiale et collective. « La Liturgie, comme le dit le Concile (Sacr. Conc. SC 9) ne remplit pas toute l’activité de l’Eglise... », « ... néanmoins elle est le sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (ibid., SC 10).

On a parlé beaucoup de liturgie avant et après le Concile et maintenant, forts comme nous le sommes de l’apologie que le Concile lui-même en a faite, nous espérons que l’on continuera à en parler, et mieux encore, à en faire la norme et la pratique habituelle de notre vie religieuse. Quant à nous, il nous suffira de confirmer ici le programme liturgique que l’Eglise s’est fixé, comme pour rendre stable et féconde l’idée et par conséquent la pratique de la Liturgie : c’est là le secret d’une vitalité nouvelle de la tradition ecclésiastique, c’est là la face de sa beauté, l’expression de son unité intime et universelle, comme également de son interprétation multiforme et pentécostale de chaque langue, de chaque peuple ; et surtout que ce soit là l’affirmation de deux principes fondamentaux : Rappelons-les : dans la liturgie il y a la célébration du Sacerdoce du Christ (cf. Conc. SC 17) ; Il est présent parmi nous, principalement dans le sacrifice eucharistique, dans la Messe, pour refléter et accomplir partout où nous sommes le drame divin et humain de notre rédemption, ce drame suprême de l’amour qui s’immole et qui sauve, celui que nous avons l’habitude d’appeler : « Le mystère pascal » ; la liturgie jaillit des profondeurs de la vérité religieuse, de la révélation de l’actif dessein divin de bonté, de miséricorde, de communication, d’amour du Père pour l’humanité, par le Verbe fait chair comme nous et pour nous, dans l’Esprit d’amour qui descend parmi nous pour nous faire remonter dans l’apothéose d’une nouvelle plénitude de vie glorieuse et éternelle (cf. Ep 1,3 et ss.).

Nous n’en dirons pas plus. Mais nous devons tous avoir la conviction ferme et heureuse que la « lex orandi » a dans la « lex credendi » sa lumière et son miroir; sa parole entendue, dont elle est la parole exprimée (cf. M. zundel, Le poème de la Sainte Liturgie, un essai antérieur au Concile, mais qui n’a rien perdu de son actualité). Parlons plutôt de l’autre principe fondamental de la réforme liturgique: le Peuple doit être composé de fidèles qui savent, qui participent, qui dans une certaine mesure concélèbrent avec le prêtre, parce que celui-ci, alter Christus, est l’interprète de Dieu auprès du Peuple et l’interprète du Peuple auprès de Dieu. La liturgie est une communion d’âmes, de prières, de voix, d’agapè, c’est-à-dire de charité. Il ne suffit pas d’assister passivement à sa célébration, il faut participer. Le Peuple doit considérer la célébration liturgique comme une école où l’on écoute et apprend ; comme une action sacrée, guidée par le prêtre à laquelle lui-même, multitude de coeurs vifs et fidèles, concourt, en répondant, offrant, priant et chantant. Oh ! si le Concile, si l’Année Sainte auront pu favoriser le dessein de faire participer et chanter liturgiquement le Peuple de Dieu, ils auront accompli une oeuvre religieuse et communautaire d’immense valeur : Qui chante, participe ; qui participe ne connaît pas l’ennui, mais la joie ; celui qui trouve sa joie dans la prière se conserve et, plutôt, progresse comme chrétien ; et celui qui est chrétien se sauve !

Que personne n’imagine que cette ivresse est illusoire, qu’elle provoque aliénation ou frustration au point de vue réalisme pragmatique et social de notre existence humaine concrète ; non, elle est une infusion de sagesse et d’énergie qui transforme les fidèles en citoyens ardents, généreux et actifs dans le champ des réalités terrestres, tandis qu’elle leur ouvre la voie et le guide vers la citoyenneté céleste.

La Liturgie, souvenons-nous en : elle est une expression de foi, un chant de louange, elle est sensible à l’expérience terrestre, elle conduit notre pèlerinage vers la célébration de l’apocalypse éternelle.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Chers Fils, venus de l'île d'Haïti,

Comme notre joie est grande de vous voir tout près de Nous! Merci de vous être joints aux foules de 1rAnnée Sainte! Et croyez bien que les problèmes humains et religieux des sept diocèses haïtiens que vous représentez, ont leur place dans notre pensée et notre prière. De votre coté, avec la lucidité, l'énergie et la persévérance que donne 1rEsprit Saint, aidez davantage encore vos Evêques et vos prêtres à évangéliser tous les milieux de vie de votre cher pays! Oh oui, travaillez pour la paix et la justice, mais toujours dans la charité! Pour soutenir vos efforts, Nous vous bénissons et nous bénissons toutes les communautés chrétiennes drHaïti.




13 août 1975: LE SENS DU DEVOIR DANS LA VIE CHRÉTIENNE

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Chers Fils et Filles,



Lorsque nous pensons à préciser en quoi consiste ce renouvellement qui a été comme objectif religieux et moral à l’Année Sainte, nous nous rendons compte aussitôt qu’il y a lieu d’amplifier la définition de ce terme et de répondre à cette élémentaire demande : en quoi consiste le renouvellement que l’Eglise nous recommande aujourd’hui ? Nous vous rappelons que nous avons déjà examiné d’autres fois la question. Nous avons parlé de « conversion », de metanoia, comme le dit l’Evangile (
Mc 1,15), de réforme des esprits (Ep 4,13 Col 3,10) et des moeurs (Col 3,12-15) ; et tout cela met en lumière la pluralité des significations que le terme peut assumer dans notre langage et éclaire mieux encore notre manière d’agir. Nous tenons aussi à relever une signification qui peut sembler en contradiction avec le sens littéral du mot « renouvellement » lorsque nous concrétisons son contenu essentiel dans cette autre expression: par renouvellement l’on peut aussi entendre un retour aux principes qui doivent présider à notre vie ; ceci pourrait faire penser qu’on veuille faire marche arrière, retourner aux nonnes antiques et dépassées de la conduite humaine, aux habitudes originelles de nos moeurs. En fait, parlant du renouvellement de la vie religieuse, le Concile affirme que ceci comporte « un retour continuel aux sources de toute vie chrétienne et à l’inspiration originelle des Instituts » ; il en est ainsi, et ceci vaut également pour toute forme essentielle de la vie (cf. Décret Perfectae Caritatis, PC 2) ; mais le Décret poursuit : « et comporte, d’autre part, la correspondance de ceux-ci aux conditions nouvelles d’existence ». Le renouvellement consiste donc en deux points bien définis : l’un, essentiel, que nous pourrions définir une reprise de possession de notre propre identité ; ceci qui doit nécessairement consister en une confrontation du présent avec le passé trouve sa raison d’être dans notre fidélité aux principes constituant notre personnalité à nous qui adhérons au Christ et à son Evangile ; on pourrait le définir aussi, pour simplifier l’idée : renouvellement intérieur.

L’autre point du programme concerne plutôt un renouvellement extérieur, contingent, et se désigne par un terme devenu commun : l’aggiornamento ; ceci tend de préférence à confronter notre personnalité elle-même avec la manière actuelle et prochaine la plus propre à adapter le style de notre vie chrétienne aux exigences raisonnables qu’imposent l’époque et nos relations sociales.

Nous pourrions exprimer de manière paradoxale ce groupe d’idées : il s’agit de recommencer à zéro. Repartir de zéro dans notre manière d’être religieux, d’être fidèles, d’être catholiques ? Mais cette hypothèse ne justifierait-elle pas l’amère contestation, devenue à la mode aujourd’hui même dans certains milieux ecclésiaux, contre toute manière traditionnelle de pratiquer notre foi ? n’ouvre-t-elle pas une brèche dans les défenses contre les innovations arbitraires de tout genre ? Certainement pas, surtout si cette manière de penser visait, comme certains le pensent malheureusement, à rendre plus légère, moins ascétique la profession de foi chrétienne et l’adhésion à l’Evangile du Christ.

Il est vrai que le Christ a rendu neuf, facile, heureux et même joyeux le sentier qu’il a tracé ; il faudra qu’un jour ou l’autre nous expliquions de nouveau comment et pourquoi. Mais nous ne pouvons jamais oublier que le Christ est exigeant et que, comme il le dit lui-même : « Etroite est la porte et resserrée la route qui mène à la vie » (Mt 7,14). Aux prétendus justes de ce temps, dans le grand discours-programme prononcé sur la montagne, Il fit entendre ces mots : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas au royaume des deux ». Jésus avait inauguré sa prédication messianique par un geste d’humilité inattendue, infinie, demandant à Jean-Baptiste le Précurseur de le baptiser, Lui comme tout autre pénitent qui accourait au Jourdain, alors que sur Lui, l’Agneau innocent, ne pesait aucun péché propre, mais bien ceux des autres, ceux de toute l’humanité, Jésus s’impose à lui-même : « Il nous convient d’accomplir toute justice ! » (Mt 3,15). Tout aussi significatives et synthétiques sont les paroles qu’à la veille de sa passion le Christ prononça, comme pour mettre en évidence la place du sacrifice dans la conception commune de la vie de ses disciples ; « Celui qui chérit sa propre existence, le perdra et celui qui la sacrifie en ce monde, la sauvera pour la vie éternelle » (Jn 12,25).

La vie chrétienne est un drame. On ne peut bannir la Croix qu’elle entraîne avec elle. C’est sur ce point-là qu’aujourd’hui notre réflexion au sujet de l’Année Sainte en cours de célébration voudrait se fixer. Le renouvellement chrétien auquel nous conduit l’Année Sainte nous impose ce vigoureux élément de notre christianisme. Un christianisme authentique, vécu, prévalant sur tout autre intérêt, voilà ce que doit comporter le plan de notre vie. Nous voudrions que ceci reste gravé dans les âmes de tous ceux qui célèbrent l’Année Sainte ; il ne s’agit pas seulement de participer à certaines pratiques momentanées ; il s’agit de se forger, en fonction de ces pratiques elles-mêmes, une forte conception permanente de notre existence.

Disons-le en peu de mots. Premièrement : il faut reconnaître à Dieu, et par conséquent à la religion, sa place prédominante (Mt 6,33) ; au Christ sa fonction de « lumière du monde » ; « celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jn 8,12). Cette première affirmation nous impose une révision de notre manière de penser en général ; et ce n’est pas peu de chose. Deuxièmement: il faut restaurer en nous le sens du devoir, c’est-à-dire le concept de l’obligation morale, du bien et du mal, de l’honnêteté et du péché ; nous avons jusqu’à présent laissé prévaloir en nous le sentiment de nos droits et souvent le notre liberté indiscriminée au point que nous oublions facilement les autres bases morales, comme celle du bien commun et avec celle-ci — bien qu’on en parle tellement et que l’on tente de changer l’allure de la société — la charité et la justice à l’égard du prochain, l’ordre civil, l’aide au progrès de nos frères moins favorisés économiquement et physiquement ; et il arrive que la coexistence devienne une lutte dans laquelle l’égoïsme individuel ou collectif l’emporte sur les droits d’autrui et sur l’amour que nous devons aux hommes qui, parce qu’hommes, sont nos frères comme dit l’Evangile. Et troisièmement, renversant l’authentique conception de l’amour qui se donne à autrui, en une conception de l’amour qui réserve à soi-même tout intérêt et tout soin, il se trouve des êtres humains qui, du plaisir et parfois, par conséquent, de la passion et du vice, se font un titre les autorisant à en jouir en dehors de son honnête finalité, jusque sur le plan de l’expérience physique qui parfois va loin au-delà de toute limite de la dignité personnelle et de la santé physique (pensez à certaine littérature, à certains spectacles, à certain hédonisme jouisseur). Dans ce domaine également que la permissivité aujourd’hui à la mode prive de toute raisonnable et rigoureuse limite morale, il importe que nous en revenions aux avertissements de l’Apôtre : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si, l’Esprit aidant, vous donnez la mort aux oeuvres du corps, vous vivrez » (Rm 8,13).

Que l’Année Sainte soit donc pour nous une école de formation et de rééducation qui nous rende, nous qui sommes chrétiens « saints et immaculés » (Ep 1,4).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Comment ne pas souligner le pèlerinage national drEgypte? Depuis plusieurs semaines déjà, des groupes de chrétiens de ce cher pays se succèdent à Rome en l'honneur de l'Année Sainte; Nous en sommes très heureux. Mais aujourdrhui crest l'ensemble de la Hiérarchie catholique, de tous les rites, qui a organisé cette démarche. Et à côté de nos Frères et Fils catholiques, Nous saluons la présence de nos Frères séparés. Quel merveilleux témoignage droecuménisme que ce pèlerinage commun à la tombe des Apôtres Pierre et Paul, ces colonnes de l'Eglise, qui ont tant de prix pour tous! Nous avons tous besoin de revenir aux sources, de fortifier notre foi, de resserrer notre unité; voilà ce dont Nous-même essayons drêtre l'instrument, avec la charge que le Seigneur Nous a donnée en succédant à Pierre. Quel gage de paix et drespérance quand les croyants savent manifester leur estime réciproque, unir leurs prières et leurs efforts ! Avec vous tous, Nous implorons du Très-Haut cette paix, dans la justice soucieuse de tous les droits et dans un amour inépuisable; dès maintenant construisons-la, pas à pas, avec l'Esprit de Dieu et la bonne volonté des hommes.

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Nous saluons également, avec des voeux cordiaux, les pèlerins du Liban. Que le Seigneur vous bénisse tous, avec ceux qui vous sont chers, en cette région du Moyen Orient, vers laquelle se tournent sans cesse notre pensée et notre prière.

Assalaamu Alaikum!

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Vous permettez que Nous fassions une mention spéciale du pèlerinage national du Cameroun. Les quinze diocèses de ce pays y sont représentés, avec plusieurs Evêques et de hautes personnalités. Crest un témoignage de la vitalité de IrEglise chez vous, chers Fils. Vos âmes spontanément religieuses ont accueilli la lumière du Christ et vous êtes devenus participants de sa vie divine, de sa passion et de sa gloire, membres de son grand Corps mystique qurest 1rEglise répandue par tout l'univers! Forts de son Esprit, ayez, vous aussi, soif de la justice et construisez, avec tous vos compatriotes, un monde imprégné par l'amour fraternel.

Avec notre Bénédiction Apostolique.




20 août 1975: RENCONTRE RÉNOVATRICE AVEC LE CHRIST MAÎTRE

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Chers Fils et Filles,



Nous soulignons une fois de plus que l’Année Sainte, à la célébration digne et efficace de laquelle nous tous, nous consacrons nos efforts, se présente comme un renouvellement. Renouvellement de quoi ? renouvellement de notre vie chrétienne, de notre foi, de nos moeurs, de notre comportement face au monde dans lequel nous vivons, un monde si changé et si changeant, si ondoyant et si convaincant. Il s’agit de maintenir et de renforcer tout ce qu’impliqué cette appellation de chrétien qui trop souvent n’est qu’une étiquette purement conventionnelle ou ethnique, fixée par habitude et tradition sur notre être, sans nous engager logiquement et effectivement à la justifier fidèlement. Si nous sommes chrétiens de nom, il faut aussi que nous le soyons de fait. La spiritualité inquiète et réformatrice de notre temps en a l’intuition quand elle affirme les exigences d’une authenticité éprouvée. Il s’agit alors à juste titre d’une double opération qui doit garantir notre authenticité : confronter et récupérer.

Confronter qui ? et avec quoi ? c’est clair : nous confronter nous-mêmes avec Celui qui est le modèle par excellence, l’homme vrai, le pasteur de notre vie; avec Celui qui a dit de lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie » (
Jn 14,7) et auquel nous accordons notre foi, implicitement ou explicitement, par le fait même que nous portons son nom : nous sommes chrétiens. Le Christ, en effet, a donné de lui-même cette merveilleuse et attachante définition et nous pouvons aussi la trouver condensée en une autre qu’il a également donnée de lui-même, et dont nous tiendrons compte pour donner à notre renouvellement jubilaire une forme définitive. Jésus a dit, de fait, presque sur un ton de polémique : « Vous n’avez qu’un seul maître : le Christ » (Mt 23,8 Mt 28,10). Puis, il y a tant et tant de citations des Ecritures que nous pourrions rappeler pour appuyer et confirmer cette qualification de maître de vie que Jésus attribue, non seulement à sa mission, mais à sa Personne ; Il est le Verbe, Il est la divine Parole de Dieu. Rappelons par exemple la voix mystérieuse qui descendit de la nuée lumineuse apparue la nuit de la Transfiguration et qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur; écoutez-le » (Mt 17,5). Pouvons-nous affirmer que nous sommes vraiment des disciples du divin Maître ? En conscience, sommes-nous certains d’être attentifs, de donner du poids à ses enseignements ? (cf. Mt 13,13-17). La confrontation de ce que nous sommes, de ce que nous pensons, de ce que nous faisons avec ce qu’enseigne l’Evangile (cf. Mt 11,29 « discite a me... ») et ce qui en résulte autoritairement (« qui vos audit, me audit ». .. Lc 10,16) nous oblige à récupérer ces principes spéculatifs et pratiques qui, vécus avec humble fidélité, nous permettent de porter avec dignité le glorieux titre de chrétien (Ac 11,26 1P 4,16) et qui, par contre, s’ils ne trouvent aucune correspondance réelle dans notre vie vécue se retournent contre nous pour nous accuser et, plaise à Dieu qu’il n’en soit pas ainsi, pour nous condamner (cf. Mt 25,26 et ss.). Il faut que nous rendions sincèrement ce titre de chrétien le plus cohérent possible avec la Parole du Christ dont il dérive : voilà le renouvellement que nous cherchons. Aussi l’écoute de notre Maître est-elle la condition et la conséquence du renouvellement que souhaite l’Année Sainte.

Il n’est malheureusement que trop facile de remarquer comment notre qualité et notre conscience de chrétien se sont diluées dans une manière de vivre qui nous en fait oublier la valeur théologique et ontologique, c’est-à-dire l’appartenance a cet état de foi et de grâce qui est vraiment la Vie de notre vie (cf. Rm 1,17 Ga 3,11). Combien nombreux sont les chrétiens chez qui dominent un état d’esprit et des moeurs que le monde leur a fait adopter au détriment d’une conception de l’existence conforme à l’enseignement de notre Maître Jésus.

Que l’homme ait besoin d’être guidé par un enseignement qui se prévale du nom d’un personnage insigne, digne ou non de la confiance de ses disciples, l’histoire est là pour nous l’enseigner, l’histoire contemporaine non moins que l’histoire ancienne : en général l’homme ne se suffit pas à lui-même ; il a besoin d’un maître, d’un chef, d’un leader ; il en a besoin pour penser, pour agir ; s il ne l’a pas, il se le crée, démontrant souvent une soumission servile, un enthousiasme purement de mode, un intérêt dégradant, facilement volubile... Et Celui qui, donnant une garantie divine à sa Parole, a dit : « Qui me suit, ne marche pas dans les ténèbres » (Jn 8,12), le Maître, le Chef de l’humanité, on l’abandonne aujourd’hui si aisément.

Il ne faut pas qu’il en soit ainsi de nous qui, parcourant les voies de la sincérité et du courage, sommes arrivés avec ce Jubilé à une rencontre nouvelle et rénovatrice avec le Christ. Voici notre nouveau programme :

Nous ne serons pas sourds, indifférents ou excédés en écoutant la Parole du Maître divin. Nous aurons toujours présentes sa figure grave et douce, sa parole pleine et profonde. Nous écouterons, nous étudierons, nous invoquerons ce que l’Esprit Saint peut nous enseigner sur la vérité totale du Christ pour guider notre démarche de chrétiens fidèles (cf. Jn 16,13) ;

D’un coeur avide et docile, nous ferons trésor de l’enseignement du Christ (Lc 11,28) et de ceux que l’Esprit Saint a établis Episcopes avec la charge de paître l’Eglise de Dieu » (Ac 20,28) ;

Nous nous méfierons de certaines théories nouvelles, à la mode aujourd’hui non sans présenter des dangers spirituels et doctrinaux, et nous écouterons, au fond de nos âmes, l’appel évangélique, fidèles à la chaire du magistère et à la communion ecclésiale : « Le Maître est ici ; Il t’appelle ! » (Jn 11,28). Le Maître, Frères et Fidèles, le Maître Jésus !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Nous saluons aussi avec joie les nombreux pèlerins français qui Nous entourent ce soir, ceux venus de Strasbourg et les membres du pèlerinage diocésain du Puy-en-Velay, qui sont accompagnés de leur évêque, le cher Monseigneur Dozolme.

Nous vous souhaitons, chers Fils et chères Filles, de profiter pleinement de la grâce de cette Année Sainte, afin que votre pèlerinage à Rome, près du tombeau des Apôtres, ne vous laisse pas seulement drheureux souvenirs, mais afin quril contribue aussi au renouvellement et à l'approfondissement de votre vie chrétienne. De grand coeur, Nous vous bénissons, ainsi que vos familles et tous ceux qui vous sont chers et qui nront pu vous accompagner jusqurici.





Catéchèses Paul VI 30775