Bernard sur Cant. 15

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1. L'esprit de sagesse est plein de bonté (
Sg 1,6), et n'a pas coutume de se rendre difficile à ceux qui l'invoquent, puisque souvent, avant même qu'on l'appelle, il dit: Me voici. Ecoutez maintenant ce qu'à votre prière, il daigne vous faire connaître par mon organe sur le sujet que nous avons 'remis hier, à dessein, et recevez le fruit de vos oraisons. Je vais vous apprendre quel nom est justement comparé à l'huile, et pourquoi il lui est comparé. Vous pouvez remarquer plusieurs noms donnés à l'Époux dans l'Ecriture, je les réduirai tous à deux seulement. Vous n'en trouverez aucun, je le pense, qui n'exprime, ou la grâce de la bonté, ou la puissance de la majesté. C'est ce que le Saint-Esprit déclare par la bouche de celui qui est son plus ordinaire organe: «J'ai ouï ces deux choses . Dieu a une souveraine puissance, et une souveraine miséricorde (Ps 62,12).» C'est donc de sa majesté que nous lisons: «Son nom est saint et terrible (Ps 111,9);» et de la Bonté: «Il n'y a point d'autre nom sous le Ciel qui ait été donné aux hommes pour les sauver (Ac 4,12).» Mais les exemples rendront encore cela plus chair. «Voici, dit le Prophète, le nom qu'ils lui donneront; le Seigneur, notre justice (Jr 23,6).» C'est là un nom de puissance. Et ailleurs: «Et il sera nommé Emmanuel (Is 7,14).» Il insinue aussi lui-même, en parlant de soi, le nom qui marque sa bonté. «Vous m'appelez, dit-il, Maître et Seigneur (Jn 11,13).» Le premier est un nom de grâce, et le second de majesté. Car ce n'est pas une moindre faveur de communiquer la science à l'âme, que de donner l'a nourriture au corps. Le Prophète dit encore: «On le nommera Admirable, Conseiller, Dieu, Fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix (Is 9,6).» Le premier, le troisième et le quatrième de ces noms marquent la majesté, et les autres la bonté. Quel est donc celui d'entre eux, qui est comme de l'huile répandue? Il est certain qu'il se fait une espèce d'écoulement du nom de sa majesté et de la puissance, dans celui de la bonté et de la grâce, et que ce dernier se répand abondamment par Jésus-Christ notre sauveur. Le nom de Dieu, par exemple, ne passe et ne se confond-il pas en cet autre, Dieu avec nous, c'est-à-dire en celui d'Emmanuel? Ainsi en est-il de celui d'Admirable, qui se fond en celui de Conseiller; de ceux de Dieu, et de Fort, en ceux de Père du siècle à venir et de Prince de la pais. Celui de, le Seigneur qui était notre justice, en celui de Seigneur de miséricorde et de bonté. Je ne dis rien de nouveau, puisqu'autrefois Abrama aussi été changé en Abraham, Saraï en Sara, pour figurer et célébrer dès lors le mystère de cette salutaire effusion.

2. Où est maintenant cette vois de tonnerre, qui se faisait si souvent entendre aux anciens, et qui les remplissait d'épouvante; «Je suis le Seigneur, je suis le Seigneur (Ex 20,2)?» Au lieu de cela on m'apprend une prière qui, commençant par le nom si doux de père, me donne la confiance que les demandes qui suivent seront exaucées. Ceux qui étaient esclaves sont appelés amis (Jn 15,14), et la résurrection n'est pas seulement annoncée aux disciples, mais aussi aux frères (Mt 28,10). Mais cette effusion de noms ne s'est faite que lorsque la plénitude des temps est arrivée, alors que Dieu accomplit ce qu'il avait promis par le prophète Joël, et fit une effusion de son esprit sur toute chair (Jl 2,28). Nous lisons que quelque chose de pareil s'est passé autrefois parmi les Hébreux. Je crois que vous me prévenez, et savez déjà ce que je veux dire. Car quelle fut la première réponse qui fut faite à Moïse lorsqu'il demanda qui lui parlait? «Je suis celui qui est, et celui qui est m'a envoyé vers vous (Ex 3,14).» Je ne sais si Moïse lui-même l'aurait entendu s'il n'y eût point eu de transfusion de ce nom; mais il s'en est fait une, et on l'a entendu, il ne s'en est pas seulement fait une transfusion, mais une effusion. Car l'infusion en était déjà faite. Les cieux le possédaient déjà. Il était déjà connu des anges, niais il s'est répandu au dehors, et ce nom qui était tellement infus dans les anges, qu'il leur était même devenu propre, s'est répandu dans les hommes, en sorte que dés lors on aurait entendu non sans raison ce cri de joie monter de la terre: «Votre nom est une huile répandue,» si l'opiniâtreté détestable d'un peuple ingrat ne s'y fût opposée. Car il dit: «Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob (Ex 3,6).»

3. Accourez, nations, le salut est en vos mains. Un nom est répandu; et quiconque l'invoquera sera sauvé. Le Dieu des anges s'appelle aussi le Dieu des hommes. Il a répandu de l'huile sur Jacob, et elle est tombée sur Israël. Dites à vos frères, «Donnez-nous de votre huile.» S'ils ne veulent pas, priez le Seigneur de cette huile de vous en envoyer aussi. Dites-lui: Délivrez-nous de l'opprobre où nous sommes tombés. Ne permettez point, je vous prie, qu'une langue mauvaise insulte votre bien-aimée, qu'il vous a plu d'appeler des extrémités de la terre, avec d'autant plus de bonté qu'elle en était moins digne. Est-il raisonnable qu'un méchant serviteur chasse ceux qu'un si bon père de famille a conviés? «Je suis, dit-il, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob (Ex 3,6).» Quoi, est-ce là tout? Répandez, répandez, ouvrez encore votre main, et comblez toutes sortes d'animaux de votre bénédiction, qu'ils viennent d'Orient et d'Occident, et s'asseyent dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac, et Jacob (Mt 8,11). Que les tribus, oui, que les tribus du Seigneur viennent, qu'elles viennent, je le répète, et qu'elles donnent occasion à Israël de célébrer le nom du Seigneur (Ps 122,4). Qu'elles viennent et se reposent; qu'elles fassent des banquets magnifiques, et soient ravies de joie; et qu'on n'entende de toutes parts qu'une voix d'allégresse et de louange, comme de personnes qui sont au milieu d'un grand festin, et qu'elles disent:«Votre nom est une huile répandue.» Je suis sûr d'une chose; c'est que si nous avons pour célestes portiers Philippe et André, nous ne souffrirons pas de refus. Qui que ce soit de vous qui; demande de l'huile; qui que ce soit qui veuille voir Jésus, Philippe dira aussitôt à André, et André et Philippe ensemble le diront à Jésus. Mais que dira Jésus? Sans doute ce qu'il a déjà dit:» Si le grain de froment, tombant en terre, ne meurt, il demeure seul. Mais s'il meurt il apporte beaucoup de fruits (Jn 12,24).» Que ce grain meure donc, et qu'il en naisse une moisson de gentils. Il faut que Jésus souffre et qu'il ressuscite, et qu'on prêche en son nom la pénitence et la rémission. des péchés, non-seulement dans la Judée, mais dans toutes les nations, afin que, à ce seul nom qui est Christ, des millions de fidèles soient appelés chrétiens, et disent: «Votre nom est une huile répandue.»

4. Car je reconnais le nom que j'ai lu dans Isaïe: «Il appellera, dit-il, ses serviteurs d'un autre nom, et celui qui est béni sur la terre dans ce nom, sera béni dans le Seigneur. Ainsi soit-il (Is 65,15).» O nom béni! ô huile répandue partout! Mais jusqu'où se répand-elle? Elle se répand du ciel dans la Judée, de la Judée par toute la terre, et de toute la terre l'Église crie: «Votre nom est une huile répandue.» Oui, c'est bien répandue qu'il faut dire, puisqu'elle couvre non seulement le ciel et la terre, mais pénètre même jusqu'aux enfers; «En sorte qu'au nom adorable de Jésus, tout fléchit le genou, les puissances du ciel, de la terre, et des enfers, et toute langue le célèbre, et dit (Ph 2,10):» votre nom est une huile répandue. Voilà Christ, voilà Jésus. Il s'est fait une effusion sur les hommes, sur les hommes, dis-je, qui comme des bêtes s'étaient souillés et corrompus dans leur fumier. C'est ainsi que Dieu sauve les hommes et les bêtes, comme dit le Prophète, et multiplie les effets de sa miséricorde. Que ce nom est cher et qu'il est vil en même temps! Il est vil, mais il est salutaire. S'il n'était point vil, on ne le répandrait pas sur moi. S'il n'était point salutaire, il ne me gagnerait pas. Je participe à ce nom, et je participe à l'hérédité céleste. Je suis chrétien, et frère de Jésus-Christ. Si je suis ce que je dis là, je suis par conséquent héritier de Dieu, et cohéritier de Jésus-Christ. Mais pourquoi s'étonner que le nom de l'Époux soit répandu, puisque l'Époux même l'est aussi? Car il s'est anéanti lui-même en prenant la figure d'un esclave (Rm 8,17), et de plus il dit: «Je suis répandu comme de l'eau (Ps 22,12).» La plénitude de la divinité s'est répandue en habitant corporellement sur la terre, afin que nous tous qui portons un corps de mort, nous participassions à cette plénitude, et qu'étant remplis d'une odeur de vie, nous pussions dire: Votre nom est une huile répandue. Je viens de dire quel est ce nom répandu, de quelle façon et pourquoi il a été répandu.

5. Mais pourquoi est-ce une huile? C'est ce que je n'ai pas encore expliqué. J'avais commencé à le faire dans le discours précédent, mais il s'est présenté tout à coup une autre chose, qu'il m'a semblé à propos de dire auparavant, encore ai-je différé à en parler plus longtemps que je ne pensais. Je n'en vois point d'autre cause que celle-ci c'est que la Sagesse qui est la femme forte, a mis la main à la quenouille, et ses doigts ont tourné le fuseau (Pr 31,19). Car de peu de lainé ou de lin elle sait faire beaucoup de fil et de toile, et ainsi donner deux vêtements à ses domestiques. Il y a sans doute de la ressemblance entre l'huile et le nom de l'Époux, et ce n'est pas sans raison que le Saint-Esprit a comparé l'une à l'autre. Je ne sais si vous en savez de meilleure raison que moi, mais pour moi je crois que c'est parce que l'huile a trois qualités, elle éclaire, elle nourrit, et elle oint. Elle entretient le feu; elle nourrit la chair; elle apaise la douleur. C'est une lumière, une nourriture et un remède. Voyons si on ne peut pas en dire autant du nom de l'Époux. Il éclaire lorsqu'on le publie; il nourrit quand on le rumine, il oint et adoucit les maux, lorsqu'on l'invoque. Examinons chacune de ces qualités en particulier.

6. D'où pensez-vous qu'une si grande et si soudaine lumière de la foi ait éclaté dans le monde, sinon de la prédication du nom de Jésus? N'est-ce pas parla lumière de ce nom sacré que Dieu nous a appelés à la jouissance de ses lumières admirables, et quand nous en avons été éclairés, quand nous avons vu la lumière par cette autre lumière, saint Paul a pu nous dire: «Vous avez été ténèbres autrefois, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur (Ep 5,8)». Enfin c'est ce nom que le même apôtre reçut ordre de porter devant les rois, les nations et les enfants d'Israël (Ac 9,15), et il le portait comme un flambeau dont il éclairait son pays, en criant partout: «La nuit a précédé, mais le jour est enfin venu; dépouillons-nous donc des oeuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière, et vivons dans l'honnêteté et la bienséance, comme marchant en plein jour (Rm 13,12).» Il montrait à tout le monde la lampe dans le chandelier, annonçant Jésus en tous lieux, et Jésus crucifié. Combien cette lumière a-t-elle été resplendissante, et combien a-t-elle ébloui les yeux de ceux qui la regardaient, lorsque, sortant comme un éclair de la bouche de Pierre, elle affermit les jambes et les pieds d'un boiteux, et rendit la vue à plusieurs aveugles spirituels? Ne fit-il pas la lumière, lorsqu'il dit: «Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, levez-vous et marchez (Ac 3,6)?» Mais le nom de Jésus n'est pas seulement une lumière, c'est encore une nourriture. Ne vous sentez-vous pas fortifiés, toutes les fois que vous vous le rappelez? Qu'y a-t-il qui nourrisse autant l'esprit de celui qui y pense? Qu'est-ce qui davantage répare les forces épuisées; rend les vertus plus mâles; fomente les bonnes et louables habitudes; et entretient les inclinations chastes et honnêtes? Toute nourriture de l'âme est sèche, si elle n'est arrosée de cette huile; elle est insipide si elle n'est assaisonnée de ce sel. Un livre n'a point de goût pour moi, si je n'y trouve (a) le nom de Jésus. Une conférence, un entretien ne me plait pas si l'on n'y parle point de Jésus. Jésus est du miel à la bouche, une mélodie aux oreilles, un chant d'allégresse au coeur. Mais il est encore un remède. Êtes-vous triste? Que Jésus vienne dans votre coeur, passe de là à votre bouche; ce nom admirable n'est pas sitôt prononcé, qu'il se produit une lumière resplendissante qui chasse les ennuis et ramène le calme et la sérénité. Quelqu'un tombe-t-il dans un crime? court-il à la mort dans son désespoir? Qu'il invoque ce nom de Vie, il commence aussitôt à respirer et à revivre. Devant ce nom salutaire, qui a jamais persisté dans son endurcissement, dans sa paresse, dans son animosité, ou dans sa langueur? Qui n'a pas vu la source de ses larmes desséchée, couler de nouveau avec plus d'abondance et de douceur, dès qu'il a invoqué Jésus? Saisi de frayeur et palpitant de crainte au milieu des périls, qui n'a point senti ses appréhensions s'évanouir, et la confiance lui revenir dès l'instant qu'il a invoqué ce nom plein de force et de générosité? Quel est l'homme, dont l'esprit flottant et irrésolu n'a pas été fixé aussitôt par l'invocation de ce nom, qui porte la clarté et la lumière dans l'âme? Enfin, quel est celui, qui, se sentant découragé par l'adversité, et prêt à succomber, n'a pas repris une nouvelle vigueur au seul son de ce nom secourable? ce sont là les langueurs et les maladies de l'âme, et il en est le remède. On peut justifier ce que je dis par ces paroles: «Invoquez-moi, dit-il, au jour de votre affliction , et je vous délivrerai , et vous m'honorerez (Ps 47,15).» Il n'y a rien qui soit plus propre à arrêter l'impétuosité de la colère, à abaisser l'enflure de l'orgueil, à guérir les plaies de l'envie, à retenir les débordements de l'impureté, à éteindre le feu de la convoitise, à apaiser la soif de l'avarice et à bannir tous les désirs honteux et déréglés, car lorsque je nomme Jésus, non-seulement je me représente un homme doux et humble de coeur, bon, sobre, chaste, miséricordieux, orné enfin de toutes sortes de vertus, et je me le représente encore comme Dieu tout-puissant, qui me guérit par son exemple, et me fortifie par son secours. Voilà ce que me dit le nom de Jésus. Ainsi, en tant qu'homme, il me donne un exemple à imiter, et, en tant que tout-puissant, il est pour moi un secours qui m'assiste: je me sers de ses exemples comme d'herbes médicinales, et du secours comme d'un instrument pour les préparer; et je fais une sorte de composé, tel qu'aucun médecin n'en peut faire de semblable.

a Saint Augustin rapporte la même chose de lui-même dans ses confessions, livre 3, chapitre 4, au sujet de la lecture d'un livre de Hortensius. Il n'y avait qu'une chose dans tout ce beau langage qui me faisait peine c'est que le nom de Jésus-Christ ne s'y trouvait point; or tout écrit où ce nom fait défaut; quelque bien écrit, soigné et véridique qu'il sait, ne saurait me ravir tout entier.


7. O mon âme, vous avez un antidote excellent caché dans le vase du nom de Jésus, un antidote salutaire, un remède efficace et souverain contre toutes vos maladies. Ayez-le toujours dans votre sein, ayez le toujours sous la main, afin que toutes vos affections et toutes vos actions soient dirigées vers Jésus. Vous y êtes même invitée par ces paroles: «Mettez-moi, dit-il, comme un cachet sur votre coeur; comme un cachet sur votre bras (Ct 8,6).» Mais nous expliquerons ce passage ailleurs. Maintenant vous avez un remède pour votre bras et pour votre coeur. Vous avez, dis-je, dans le nom de Jésus, de quoi vous corriger de vos mauvaises actions, ou perfectionner celles qui sont défectueuses; de même que vous avez de quoi préserver vos affections de la corruption, ou de quoi les guérir si elles se corrompent.

8. La Judée a eu aussi quelques Jésus, mais c'est en vain qu'elle se vante de leurs noms, puisqu'ils n'ont aucune vertu. Car ils n'éclairent point, ils ne nourrissent point, ils ne guérissent point. Voilà pourquoi jusqu'à cette heure, la Synagogue a toujours été dans les ténèbres, languissant de faim et tombant de faiblesse. Et elle ne sera point guérie ni rassasiée jusqu'à ce qu'elle sache que mon Jésus est le dominateur souverain de Jacob et de toute la terre, qu'elle se convertisse enfin, qu'elle souffre une faim pareille à celle des chiens affamés, et qu'elle tourne à l'entour de la ville. Ces Jésus ont été envoyés comme Elisée envoya son bâton devant lui pour ressusciter un mort (2R 4,29). Ils n'ont pu expliquer leurs noms, qui étaient vides et privés de vertu. Le bâton fut mis sur le mort, et le mort n'avait ni voix ni sentiment, parce que ce n'était qu'un bâton. Celui qui l'avait envoyé, est descendu lui-même, et aussitôt il a sauvé son peuple et l'a purifié de ses péchés, témoignant qu'il était véritablement ce qu'on disait de lui: «Qui est celui-ci qui même remet les péchés (Lc 7,29).» C'est sans doute celui qui dit: Je suis le salut du peuple. Voilà la voix, voilà le sentiment qui est revenu, et il est visible qu'il ne porte pas comme les autres un nom vain et stérile. On sent la vie répandue dans l'âme, et l'on ne tait point un si grand bienfait. Le sentiment est au dedans, et la voix au dehors. Je suis touché de componction, et j'en rends des actions de grâces, et ces actions de grâces sont une marque de la vie que j'ai recouvrée. «Car un mort ne rend pas plus grâces que celui qui n'est point (Si 17,26).» Voilà la vie, voilà le sentiment. Je suis parfaitement ressuscité; ma résurrection est entière. Quand le corps est-il mort, n'est-ce pas lorsqu'il est privé de sentiment et de vie 2 Le péché qui est la mort de l'âme ne m'avait laissé ni le sentiment de la componction, ni la voix de l'action de grâces, et j'étais mort. Celui qui remet les péchés vient, me rend l'un et l'autre et dit à mon âme: «Je suis votre salut (Ps 35,3).» Quelle merveille que la mort cède la place à la vie qui descend du ciel? La foi intérieure justifie, et la confession extérieure sauve (Rm 10,10). L'enfant bâille, il bâille même sept fois (2R 4,35), et dit: Sept fois le jour j'ai chanté vos louanges, Seigneur (Ps 119,164). Considérez ce nombre de sept. C'est un nombre sacré, il n'est pas sans mystère. Mais il vaut mieux que nous réservions ceci pour un autre discours, afin que nous nous approchions avec grand faim, non avec dégoût, de ces mets si excellents auxquels nous invite l'Époux de l'Église, notre Seigneur Jésus-Christ, qui étant Dieu est élevé au dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



SERMON XVI. La Contrition du coeur. Il y a trois espèces de confessions véritables.

16 1. Que veut donc dire ce nombre sept? Car je ne crois pas qu'il y en. ait d'assez simples parmi nous pour s'imaginer que ces sept fois que l'enfant a bâillé ne signifient rien, et que ce nombre est fortuit. Je ne crois pas même que ce fut sans mystère que le prophète Élisée se coucha sur l'enfant mort, se rapetissa à la mesure de son corps, mit la bouche sur sa bouche, les yeux sur ses yeux, et les mains sur ses mains (2R 4,34). Le Saint-Esprit a voulu que toutes choses arrivassent de cette sorte, et qu'on les écrivît aussi de même, pour l'instruction sans doute de ces esprits que la société malheureuse de leurs corps tout pleins de corruption a séduits, et que la folle sagesse du monde a rendus insensés. Car le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette demeure de terre et de boue abat l'esprit qui veut s'élever par la sublimité de ses pensées (Sg 6,15). Que personne ne s'étonne donc et ne se fâche si je recherche avec curiosité à découvrir ces choses, qui sont comme les trésors du Saint Esprit. C'est en cela que consiste la véritable vie, et mon esprit n'en a point d'autre que de semblables mystères. Quant à ceux qui me préviennent déjà par leur vivacité, et qui dans toute sorte de discours demandent la fin, avant presque d'avoir ouï le commencement, qu'ils sachent que je me dois aussi aux plus lents, . et même que je me dois encore plus à eux qu'aux autres. D'ailleurs j'ai beaucoup moins à coeur d'expliquer les paroles que je propose que de toucher les murs. Il faut que je puise l'eau, et que je la donne à boire, ce qui ne se fait pas en parcourant les choses à la hâte, mais en les traitant avec exactitude et en y revenant souvent. Il est vrai que je ne pensais pas moi-même que l'examen de ces mystères nous dût retenir si longtemps. Je croyais, je le confessé, qu'un seul sermon suffirait pour cela, que nous passerions aisément cette forêt sombre et ombreuse d'allégories, et qu'en un jour nous pourrions arriver aux plaines agréables des sens moraux. Mais il en a été autrement. Nous avons déjà marché deux jours, et il reste encore du chemin à faire. L'oeil, de loin, parcourait en un moment le faite des rameaux, et les sommets des montagnes, mais il ne voyait pas la vaste profondeur des vallées, et l'épaisseur des buissons et des taillis. Pouvais-je prévoir, par exemple, que, en parlant de la vocation des Gentils, et de l'exclusion des Juifs, le miracle d'Élisée viendrait se présenter tout-à-coup à ma pensée? Mais puisqu'il en est arrivé ainsi, arrêtons-nous-y un peu. Nous reprendrons ensuite le sujet que nous avons quitté. Aussi bien celui-ci n'est pas moins que l'autre la nourriture des âmes. Ne voyons-nous pas qu'il arrive souvent aux chiens et aux chasseurs de laisser la bête qu'ils poursuivaient, pour courir après une autre qui s'offre inopinément.

2. C'est une chose quine me donne pas peu de confiance, de voir que ce grand prophète, puissant en oeuvres et en paroles, descendu des cieux comme d'une haute montagne, ait daigné me visiter, moi qui ne suis que cendre et poussière; a eu compassion de moi lorsque j'étais mort, s'est couché sur moi, s'est rapetissé, s'est proportionné à ma petitesse, a éclairé mes yeux par la lumière des siens, a délié ma bouche muette par un baiser de sa propre bouche, et fortifié, par son attouchement, mes mains faibles et débiles. Je pense à ces mamelles, et je suis comblé d'une douceur ineffable, mon coeur est rempli de joie, mon âme en reçoit une nouvelle vigueur, et tout ce qu'il y a de plus intérieur en moi, en rend à Dieu des actions de grâces infinies. Il a fait une fois ces choses par tout l'univers, et chacun sent qu'il les fait encore tous les jours au dedans de soi. Chacun sent qu'il donne à son coeur la lumière de l'intelligence, à sa bouche des paroles d'édification, et à ses mains des oeuvres de justice. C'est lui qui nous donne la grâce d'avoir de bonnes pensées, de les expliquer utilement, et de les exécuter avec fidélité. C'est là ce lien à trois cordons difficile à rompre et dont il se sert pour tirer les âmes de la prison du diable et pour les attirer après soi dans le royaume des Cieux; il consiste en trois choses. à avoir des sentiments purs, des discours utiles, et des sentiments et une vie conformes à nos discours. Il a touché mes yeux avec les siens, en ornant le front de l'homme intérieur des deux clairs flambeaux de la foi et de l'intelligence. Il a uni sa bouche à la mienne, et imprimé ce signe de paix sur un mort. Nous étions, en effet, pécheurs et morts à la justice, et il nous a réconciliés avec Dieu. Il a appliqué sa bouche sur ma bouche, en soufflant de nouveau sur mon visage, l'esprit de vie, mais d'une vie plus sainte qu'il n'avait fait d'abord. Car la première fois il créa en moi une âme vivante, mais la seconde, il y a formé un esprit vivifiant. Il a mis ses mains sur les miennes, en me donnant l'exemple des bonnes oeuvres, et le modèle de l'obéissance; ou du moins il a employé ses mains à des choses fortes, afin de dresser mes mains au combat, et mes doigts à la guerre.

3. Et l'enfant, dit-il, bâilla sept fois. Il suffisait pour l'éclat du miracle qu'il eût bâillé une seule fois. Mais cette multiplicité, et ce nombre remarquable nous avertissent d'un mystère. Si vous considérez ce grand corps de tout le genre humain qui était mort, vous trouverez que l'Église, dès qu'elle a reçu la vie du Prophète qui s'est couché sur elle, a bâillé sept fois , car elle a coutume de chanter les louanges de Dieu sept fois le jour. Et si vous vous considérez vous même, vous reconnaîtrez que vous vivez de la vie spirituelle, et que vous accomplissez ce nombre mystérieux, si vous soumettez les cinq organes de la sensualité, aux deux propriétés de la charité, et si, selon l'Apôtre, vous faites servir vos membres à la justice, en ne les employant qu'à des usages saints, tandis que, auparavant, vous les avez fait servir à l'iniquité; ou bien si, usant de vos cinq sens pour le salut du prochain, vous ajoutez, pour achever le nombre de sept, ces deux choses, louer Dieu de sa miséricorde et de sa justice.

4. J'ai encore sept autres bâillements, qui sont sept expériences, sans lesquelles l'on ne petit pas être assuré qu'on ait recouvré la vie. Quatre regardent le mouvement de la componction, et les trois autres concernent le son extérieur de la confession. Si vous vivez, si vous avez de la voix, si vous avez du sentiment, vous reconnaîtrez en vous ce que je . viens de vous dire. Or sachez que vous avez recouvré le sentiment, si vous sentez votre conscience vivement touchée de quatre sortes de componctions, je veux dire d'une double pudeur, et d'une double crainte. Car là triple confession dont nous parlerons ensuite, et qui achève le nombre sept, est un 'témoignage assuré d'une véritable résurrection. Le saint prophète Jérémie n'observe-t-il pas aussi ce nombre dans ses lamentations. Et vous aussi, dans celles que vous ferez pour vous-même, gardez cette forme qu'il vous a prescrite, pensez que Dieu est votre créateur, votre bienfaiteur, votre Père, votre Seigneur. Vous êtes criminel à l'égard de toutes ces qualités, pleurez donc en pensant à chacune d'elles. Que votre crainte réponde à la première et à la dernière, et la pudeur aux deux du milieu. On ne craint point un père, parce qu'il suffit d'être père pour n'être point craint; car il est de la bonté d'un père d'avoir toujours pitié de ses. enfants, et de leur pardonner; et lorsqu'il frappe il se sert de la verge, non du bâton, et il guérit lui-même les plaies qu'il a faites. Voici la voix d'un père, «je frapperai et je guérirai après avoir frappé (Dt 32,39).» Vous n'avez donc rien à craindre de ce père, puisque s'il frappe quelquefois c'est pour corriger, jamais pour se venger. Mais lorsque je pense que j'ai offensé ce Père céleste, bien que je n'aie rien à craindre, j'ai néanmoins sujet d'être touché de honte. Il m'a engendré volontairement par la parole de la vérité, non par le plaisir d'une volupté, comme celui qui m'a engendré selon la chair. De plus, il n'a pas épargné son Fils unique pour moi qui suis de cette sorte. C'est ainsi qu'il m'a traité véritable ment avec toute la tendresse d'un père, mais je n'ai pas agi envers lui avec l'affection et la reconnaissance d'un fils. De quel front donc un si mauvais fils peut-il lever les yeux sur un si bon Père? J'ai honte d'avoir fait des choses si peu dignes de mon origine; j'ai honte d'être dégénéré d'un tel Père. Mes yeux, versez des ruisseaux de larmes. Que mon visage soit couvert de honte et de confusion, qu'il soit rempli d'obscurité et de ténèbres; que ma vie s'éteigne, et que je passe le reste de mes jours dans les gémissements et dans les larmes. O honte, hélas! quel fruit ai-je tiré des choses dont maintenant je rougis? Si j'ai semé dans la chair (Ga 6,8), je ne recueillerai de la chair que la corruption, et si c'est dans le monde, le monde passe avec ses convoitises. (1Jn 2,13). Comment est-il possible que j'aie été si malheureux et si insensé que de n'avoir point rougi de préférer à l'amour et à l'honneur que je devais à ce Père éternel, des biens caducs et vains, qui ne sont rien, et qui se terminent à la mort? Je suis honteux et confus en entendant ces paroles: «Si je suis Père, où est l'honneur qu'on me doit. (Ml 1,6).»

5. Mais quand il ne serait point Père? ne m'a-t-il pas comblé de bienfaits? Sans parler d'un nombre infini d'autres faveurs, il produit tous les jours contre moi, pour témoins de mon ingratitude, la nourriture de ce misérable corps, l'usage du temps, et par dessus tout, le sang de son cher fils, dont la voix s'élève de la terre pour me confondre. J'ai honte de cette extrême ingratitude, et pour comble de confusion, je suis encore convaincu d'avoir rendu le mal pour le bien, et la haine pour l'amour. Je n'ai rien à craindre, il est vrai, d'un bienfaiteur, non plus que d'un père. Car il est véritablement libéral, il donne avec abondance, et ne reproche jamais ce qu'il a donné. Il ne reproche point ses dons, parce que ce sont vraiment des dons, et qu'il ne vend pas ses faveurs, mais les donne. Et d'ailleurs ils sont sans repentir. Mais plus j'ai des sentiments favorables de ses largesses, plus je suis obligé d'en avoir de vils et méprisables de mon indignité. O mon âme, rougis de honte, et sois accablée de douleur. Car s'il ne convient pas à sa bonté et à sa magnificence de redemander, ou de reprocher ce qu'il a donné, il convient encore moins à la bienséance et à l'honneur d'être ingrat et oublieux de tant de bienfaits. Hélas! que rendrai-je au moins maintenant du Seigneur pour tant de grâces que j'ai reçues de lui?

6. Mais si je ne suis point touché de honte, que je sois au moins saisi de crainte; et qu'elle vienne au secours de la honte. Mettons un peu de côté les noms tendres de bienfaiteur et de père; et tournons-nous vers d'autres plus austères. Car si nous lisons qu'il est le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (2Co 1,3); nous lisons aussi, qu'il est le Seigneur et le Dieu des vengeances (Ps 94,1); qu'il est un juge juste et puissant (Ps 8,12); terrible dans la conduite qu'il tient sur les enfants des hommes (Ps 66,5); un Dieu jaloux. C'est pour vous qu'il est père et bienfaiteur, c'est pour lui qu'il est Seigneur et Créateur. (Ex 20,5). Car c'est pour lui qu'il a fait toutes choses, selon que l'Écriture sainte nous le témoigna. Croyez-vous donc que celui qui défend et conserve avec tant de soin ce qui est à vous, ne sera point jaloux de ce qui est à lui? Croyez-vous qu'il ne recherchera pas l'honneur du commandement et de la souveraineté? L'impie a irrité Dieu contre lui, parce qu'il a dit en son coeur: «Il ne recherchera pas (Ps 9,1).» Car, qu'est-ce que dire en son coeur, ail ne recherchera pas,» sinon ne pas appréhender qu'il recherche? Mais il recherchera jusqu au dernier denier; il fera une recherche très-exacte, et punira rigoureusement les hommes vains et superbes. Il demandera le service à celui qu'il a racheté; l'honneur et la gloire à celui qu'il a créé.

7. II dissimulera et pardonnera comme Père et comme bienfaiteur, je le veux bien, mais non pas comme créateur et comme seigneur. Et celui qui épargnera un fils, n'épargnera pas un mauvais serviteur, l'Oeuvre de ses mains. Considérez combien c'est une chose terrible et pleine d'horreur d'avoir méprisé votre créateur, et le créateur de tout le monde; d'avoir offensé le Seigneur de majesté. La Majesté doit être redoutée; un Seigneur doit être craint, mais principalement une telle majesté, un tel seigneur. Car si les lois des hommes, condamnent au dernier supplice celui qui se trouve coupable de lèse-majesté envers un homme, quelle sera la fin de ceux qui méprisent la toute puissance d'un Dieu? S'il touche les montagnes, elles sont embrasées (Ps 144,5); et une vile poussière, qu'un léger souffle peut disperser en un moment, sans espérances d'être jamais recueillie, ose irriter une majesté si redoutable. Celui qu'il faut craindre, oui, je le répète, celui qu'il faut craindre, c'est celui qui, après avoir tué le corps, a le pouvoir de l'envoyer dans les flammes éternelles (Lc 12,5). Je redoute l'enfer, je redoute le visage de mon juge que redoutent les anges même. Je tremble à la seule pensée de la colère du Tout-Puissant, de la fureur qui éclatera sur son visage, du bruit épouvantable que fera le monde en s'écroulant, de l'embrasement de l'univers, d'une tempête si terrible, de la voix de l'archange, et de sa parole pleine d'horreur et d'effroi. Je tremble en songeant aux dents du dragon infernal, aux cachots affreux de l'enfer, aux lions rugissants tout prêts à dévorer leur proie. Je redoute ce ver qui ronge, ce feu qui brûle sans cesse, cette fumée, cette vapeur, ce souffre, ces tourbillons de flammes, ces ténèbres extérieures. Qui mettra une fontaine dans ma tète, et une source de larmes dans mes yeux, afin que, par mes pleurs, je prévienne ces pleurs éternels, ces grincements de dents, ces liens, ces entraves d'airain, ces chaînes pesantes, qui serrent, qui brûlent, et qui ne consument point? O ma mère, pourquoi. m'avez-vous engendré pour être un fils de douleur, un fils d'amertume, d'indignation et de gémissements éternels? Pourquoi m'avez-vous recueilli sur vos genoux? Pourquoi m'avez-vous allaité de vos mamelles? puisque je ne suis né que pour brûler et pour servir d'aliment à un feu qui ne s'éteindra jamais?

8. Celui qui est pénétré de ces mouvements a sans doute recouvré le sentiment, et cette double crainte, accompagnée de cette double pudeur, lui a déjà causé quatre bâillements. Il ajoutera les trois autres qui restent par la voix de la confession; et alors on ne dira plus de lui qu'il n'a ni voix ni sentiment; pourvu néanmoins que cette confession procède d'un coeur humble, simple et fidèle. Confessez humble3, ment, purement et fidèlement, tout ce qui vous donne des remords de conscience, et vous avez accompli ce nombre mystérieux. Il y en a qui se glorifient lorsqu'ils ont mal fait, et qui mettent leur joie en des choses détestables, c'est d'eux que le Prophète parle, quand il dit «Ils ont publié leurs crimes comme Sodome (Is 3,9).» Mais ne parlons point de ces personnes ici, ce sont des profanes; or qu'avons-nous affaire de ceux du dehors?

9. Il nous est arrivé quelquefois d'entendre des hommes même qui ont pris l'habit de la religion, et qui professent la vie monastique, se vanter avec une extrême impudence de leurs fautes passées, comme de s'être battus en duel, ou d'avoir surmonté leur adversaire dans quelque dispute fameuse, et autres choses semblables que la vanité du monde estime et prise beaucoup, mais qui sont très-nuisibles, très-pernicieuses, et très-dangereuses pour le salut de l'âme. Ces discours témoignent qu'on a encore l'esprit du monde; et l'humble habit que portent ces personnes n'est pas une preuve du renouvellement de leur vie, mais un manteau dont ils couvrent leurs anciens dérèglements. Quelques-uns racontent ces choses comme par un sentiment de douleur et de regret, mais comme ils y recherchent intérieurement de la gloire, ils n'effacent pas leurs crimes, ils se trompent seulement eux-mêmes. Car on ne se moque point de Dieu (Ga 6,7). Ils n'ont pas dépouillé le vieil homme, mais ils le couvrent de nouveau. Cette confession ne découvre, ne chasse pas le vieux levain, mais l'enracine davantage, selon ces paroles: «La corruption s'est invétérée dans mes os, pendant que je crie tout le long du jour (Ps 31,3). n J'ai honte de rapporter l'effronterie de quelques uns, qui est telle, qu'ils ne rougissent point de se vanter, et de se réjouir des choses dont ils devraient pleurer: par exemple, que même depuis qu'ils ont reçu le saint habit de la religion, ils ont surpris quelqu'un de leurs frères par adresse, et l'ont trompé dans une telle rencontre, ou qu'ils ont bien relancé une personne qui leur disait. des injures, c'est-à-dire, qu'ils ont rendu fièrement le mal pour le mal, et injure pour injure.

10. Mais il y a une confession qui est d'autant plus dangereuse, qu'elle cache sa vanité d'une manière plus subtile, lorsque nous n'appréhendons point de découvrir des fautes honteuses, non parce que nous sommes humbles, mais afin qu'on croie que nous te sommes. On cherche la louange dans l'humilité, ce n'est pas la vertu, mais le renversement de l'humilité. Celui qui est vraiment humble; veut être estimé vil et abject, non pas humble. Il se réjouit de ce qu'il est méprisé et n'est superbe qu'en ce seul point qu'il méprise les louanges. Quelle chose plus étrange et plus indigne que de faire servir à l'orgueil la confession qui est la gardienne de l'humanité, et de vouloir paraître meilleur par cela même qui nous fait paraître pires? 0 prodige d'orgueil, de ne pouvoir être estimé saint, qu'en paraissant criminel! Mais cette confession qui n'a que l'apparence non la vertu de l'humilité, bien loin de mériter le pardon de nos fautes, attire la colère de Dieu sur nous (1S 15,30). Que servit à SSaül de confesser son péché quand il en fut repris par Samuel? Sans doute cette confession était criminelle, puisqu'elle n'effaça point son crime, car comment le Maître de l'humilité, et celui qui a une inclination naturelle à donner sa grâce aux humbles, pourrait-il rejeter une humble confession? Certainement, il était impossible qu'il ne se fût laissé fléchir, si ce roi eût eu dans le coeur l'humilité qu'il témoignait par ses paroles. Voilà pourquoi j'ai dit que la confession doit être humble.

11. Il faut aussi qu'elle soit simple. Elle ne doit point excuser l'intention, si elle est coupable, sous prétexte qu'elle n'est pas connue des hommes, ni amoindrir une faute qui est considérable, ni la rejeter sur les conseils d'autrui; puisqu'on ne contraint personne malgré soi. La première de ces confessions n'est pas une confession, mais une défense, elle n'apaise pas la colère de Dieu, elle l'allume davantage. La seconde est une marque d'ingratitude; car plus on croit qu'une faute est légère plus on diminue la gloire de celui qui la remet. Ajoutez à cela qu'on accorde un bienfait d'autant moins volontiers qu'on sait que celui qui le reçoit, en sera moins reconnaissant, parce qu'il croit en avoir moins besoin. Celui-là donc se rend indigne du pardon, qui diminue le pris de la grâce qu'on lui veut faire; c'est ce que font tous ceux qui tâchent d'amoindrir leurs fautes par leurs paroles. Pour la troisième, que l'exemple du premier homme serve à nous en détourner. (Gn 3,2). Car de ce qu'il n'obtint point le pardon de son crime, bien qu'il le confessât, ce fut sans doute parce qu'il y mêla celui de sa femme. C'est une espèce d'excuse d'en accuser un autre, quand on nous reprend. Or David nous apprend qu'il est non-seulement inutile, mais funeste de s'excuser, lorsqu'on est repris (Ps 141,4). Car il appelle ces excuses, des paroles de malice, et prie et conjure Dieu de ne pas permettre qu'il y ait jamais recours. Et certes il avait bien raison; puisque celui qui s'excuse pèche contre son âme, en rejetant le remède de l'indulgence, et se ferme de sa propre bouche l'entrée à la vie. Et quelle plus grande malice que de s'armer contre son propre salut, et de se percer soi-même comme par le glaive de sa langue? Car pour qui peut être bon celui qui est méchant pour soi-même (Si 14,5).

12. Enfin la confession doit être fidèle, c'est-à-dire pleine d'espérance, exempte de toute crainte de ne pas obtenir le pardon de nos péchés, de peur que notre bouche ne nous condamne plutôt qu'elle ne noirs justifie. Judas qui trahit notre Seigneur, et Caïn qui tua son frère, confessèrent leur crime, mais ils se défièrent de la miséricorde de Dieu; l'un en disant, u J'ai péché en livrant le sang du juste (Mt 27,4),» et l'autre: a Mon iniquité est trop grande pour mé, riterqu'on me la remette (Gn 4,13).» Cette confession était véritable, mais parce qu'elle était infidèle, elle ne leur servit de rien. Voilà donc comment ces trois qualités de la confession jointes aux quatre premières de la componction accomplissent le nombre de sept.

13. Ainsi touché du repentir de vos fautes, les ayant humblement confessées, et vous trouvant ainsi comme assuré d'avoir recouvré la vie, vous devez aussi, je le pense, être certain que ce nom de Jésus n'est pas inutile et infructueux, puisqu'il a pu et voulu opérer en vous tant de merveilles, et que ce n'est pas en vain qu'il a suivi le bâton qu'il avait envoyé devant lui. Il n'est pas venu inutilement parce qu'il n'est pas venu vide. Et comment aurait-il été vide, lui en qui habitait la plénitude de la divinité (Ga 4,4)? Car le Saint Esprit ne lui a pas été donné avec mesure. Il est d'ailleurs venu dans la plénitude des temps, afin de faire voir qu'il est plein en toutes façons. Oui, et bien plein certes, puisque le père l'a sacré d'une huile de joie d'une manière beaucoup plus excellente que tous ceux qui participent à sa gloire (Ps 45,8). Il l'a sacré et envoyé au monde plein de grâce et de vérité. Il l'a sacré pour qu'il en sacrât d'autres. Tous ceux qui ont mérité de recevoir de sa plénitude ont été sacrés par lui. Aussi a-t-il dit a L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint: il m'a envoyé pour annoncer d'heureuses nouvelles à ceux qui sont pacifiques, pour guérir ceux qui ont le coeur contrit, pour prêcher la liberté aux captifs, la délivrance aux prisonniers, et pour prédire le temps où le Seigneur se rendra favorable (Is 61,1). Il venait, comme vous voyez, verser une huile salutaire sur mes plaies, et adoucir nos douleurs. C'est pourquoi il est venu rempli de fonction divine, il est venu, dis-je, avec une douceur et une bonté admirables, avec une miséricorde infinie envers tous ceux qui implorent gon assistance. Il savait bien qu'il descendait du ciel vers des malades, et c'est pour cela qu'il causé envers eux de toute (indulgence possible. Et parce qu'il avait beaucoup de maladies à guérir, ce charitable et prévoyant médecin a aussi eu soin d'apporter plusieurs remèdes. Il a apporté l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété, et enfin l'esprit de la crainte du Seigneur.

14. Voyez-vous combien ce médecin a préparé de fioles remplies de baumes célestes, pour guérir les plaies de ce misérable qui est tombé entre les mains des voleurs? Il y en a sept qui sont propres sans doute à exciter les sept bâillements dont nous avons parlé. Car l'esprit de vie était dans ces fioles. C'est d'elles qu'il a versé de l'huile sur mes blessures. Il y a aussi versé du vin, mais en moins grande quantité. Car mon extrême langueur avait besoin que sa miséricorde s'élevât au-dessus de sa justice, comme nous voyons l'huile monter au dessus du vin, quand on la verse dessus. C'est pourquoi il a apporté cinq fioles d'huile, et deux seulement de vin. Car il n'y a que la crainte et la force qui répondent au vin, au lieu que les cinq autres qualités désignent assez l'huile par la douceur qui leur est propre, c'est dans l'esprit de vigueur que, semblable à un homme puissant dont le vin a augmenté les forces, il est descendu aux enfers, a brisé les portes d'airain, et rompu les gonds de fer, a enchaîné le fort., et lui a ravi ses captifs. Il n'en est pas moins descendu dans l'esprit de crainte, mais pour se faire aussi craindre, non pas pour craindre lui-même.

15. O Sagesse! avec quel art et qu'elle adresse rendez-vous la santé à mon âme par le moyen de l'huile et du vin, mêlant ainsi la force à la douceur et la douceur à la force! Vous êtes fort pour moi, et vous êtes doux envers moi. Vous atteignez d'une extrémité du monde à l'autre, avec une force toute puissante, et vous disposez et ordonnez toutes choses avec une douceur merveilleuse. Vous chassez mon ennemi, et vous soutenez ma langueur. Guérissez-moi, Seigneur, et ma guérison sera parfaite;. je chanterai des cantiques de louange en votre honneur, et je dirai: «Votre nom est une huile répandue.» Je ne dis pas un vin répandu, car je ne veux pas que vous entriez en jugement avec votre serviteur; mais une huile, parce que vous me comblez de vos miséricordes et de vos grâces. Oui c'est une huile, car l'huile nage au-dessus des autres liqueurs, et désigne clairement ce nom qui est au-dessus de tout autre nom. O noria infiniment doux et agréable! Nom illustre, choisi par dessus tous, rehaussé par dessus tous, relevé par dessus tous, dans les siècles des siècles. C'est là véritablement cette huile qui rend le visage de l'homme plus gai et plus serein, et qui oint la tête de celui qui jeûne, afin qu'il ne sente point l'huile du pécheur. C'est là le nom nouveau que la bouche du Seigneur a prononcé (Is 62,2), et qui lui a été donné par l'Ange avant qu'il fût conçu dans les entrailles de la Vierge (Lc 2,21). Non-seulement le Juif, mais quiconque l'invoque, sera sauvé, tant il est répandu de toutes parts. Le Père l'a donné au Fils, à l'Époux de l'Église, à notre Seigneur Jésus-Christ, qui étant Dieu est au dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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Bernard sur Cant. 15