Augustin acc. évangélistes 152

152

CHAPITRE 52, LEVAIN DES PHARISIENS.


107. Saint Matthieu continue ainsi: "Et les laissant là il s'en alla. Or ses disciples, étant passés à l'autre bord du lac, avaient oublié de prendre des pains. Jésus leur dit: Gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens," et le reste, jusqu'à ces mots: "Alors ils comprirent que Jésus ne leur avait pas dit de se garder du levain qui entre dans le pain, mais de la doctrine des Pharisiens et des Sadducéens (3)." Le texte de saint Mc nous offre le même récit dans le même ordre (4).

153

CHAPITRE 53, CONFESSION DE SAINT PIERRE.

108. Saint Matthieu poursuit ainsi: "Or Jésus vint aux environs de Césarée de Philippe; et il demanda à ses disciples: Que disent les hommes du Fils de l'homme? Et les disciples lui répondirent: Les uns disent que c'est Jean-Baptiste; les autres, Elie; les autres, Jérémie ou quelqu'un des prophètes;" et le

1 Mt 12,39. - 2 Mc 8,10-12. - 3 Mt 16,5-12. - 4 Mc 8,13-21.

185

reste, jusqu'à l'endroit où nous lisons: "Ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel (1)." Saint Mc rapporte le même événement à-peu-près dans le même ordre; mais il expose auparavant un fait dont lui seul a parlé, savoir, la guérison de cet aveugle qui répondit au Seigneur: "Je vois les hommes qui marchent semblables à des arbres (2)." C'est après avoir parlé du miracle des cinq pains que saint Luc rappelle à sa mémoire et rapporte la question du Sauveur et la réponse des disciples (3). Mais en suivant l'ordre de ses souvenirs,, il ne contredit nullement l'ordre des autres évangélistes. On pourrait, il est vrai, se demander comment, d'après saint Lc le Seigneur priait et se trouvait seul avec ses disciples quand il leur demanda ce que les hommes disaient de lui; tandis que selon saint Marc; ce fut dans le chemin. Mais ceci n'est une difficulté que pour celui qui ne prie jamais en marchant.

109. J'ai, du reste, il m'en souvient, averti plus haut le lecteur de ne pas croire que Simon reçut le nom de Pierre quand Jésus lui dit: "Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Eglise (4)." Car il est certain que ce nom lui fut donné lorsque, d'après saint Jn le Sauveur lui dit: "Tu t'appelleras Céphas; c'est-à-dire Pierre (5)." Il ne faut donc pas croire non plus que ce fut au moment où en rappelant les noms des douze Apôtres, saint Mc dit que Jacques et Jean furent appelés fils du tonnerre (6). C'est bien là que l'évangéliste parle du nom de Pierre donné à Simon;mais il le dit parce qu'il se le rappelle et non parce que le fait vient d'avoir lieu.

154

CHAPITRE 54 LA PASSION PRÉDITE.

110. On lit ensuite dans saint Matthieu; "En même temps Jésus défendit à ses disciples de dire à personne qu'il fût le Christ. Puis il commença à leur découvrir qu'il lui fallait aller à Jérusalem et y souffrir beaucoup de la part des anciens et des docteurs de la loi;" et le reste, jusqu'à ces mots: "Tu ne goûtes point les choses de Dieu, mais celles des hommes (7)." Saint Mc et saint Luc rapportent les mêmes faits dans le même ordre (8): seulement saint Luc omet de dire que Pierre s'opposa à la passion du Christ.

1 Mt 16,13-19. - 2 Mc 8,22-29. - 3 Lc 9,18-20. - 4 Mt 16,18. - 5 Jn 1,42. - 6 Mc 3,16-19. - 7 Mt 16,20-23. - 8 Mc 8,30-33 Lc 9,21 Lc 9,22.

155

CHAPITRE LV, SUIVRE LE CHRIST.

111. Saint Matthieu continue ainsi: "Alors Jésus dit à ses disciples: Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, se charge de sa croix et me suive:" et le reste, jusqu'à ces mots: "Et il rendra à chacun selon ses oeuvres (1)." Ceci est exposé par saint Mc dans le même ordre: mais cet évangéliste ne relève pas ce qui est dit du Fils de l'homme, qu'il doit venir avec ses anges pour rendre à chacun selon ses oeuvres. Pourtant il nous fait lire dans le discours de Notre-Seigneur: "Quiconque. aura rougi de moi et de ma parole au milieu de cette nation adultère et corrompue, le Fils de l'homme de son côté rougira de lui quand il viendra dans sa gloire accompagné des saints anges (2)." Ce qu'on peut rapporter à cette pensée du texte de saint Matthieu . "Alors le Fils de l'homme rendra à chacun selon ses oeuvres." Saint Luc aussi rapporte tout cela dans le même ordre. Il diffère peu de saint Mc dans la forme du récit: et quant au fond il n'en diffère nullement (3).

156

CHAPITRE 56, TRANSFIGURATION.

112. Saint Matthieu poursuit ainsi: "Je vous le dis en vérité, plusieurs de ceux qui m'en": tendent ne goûteront point la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir en son règne. Six jours après; Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère et les mena à l'écart sur une haute montagne;" et le reste, jusqu'à l'endroit où nous lisons: "Ne parlez à personne de ce que vous venez de voir, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts (4)." Cette transfiguration du Seigneur sur une montagne, devant les trois disciples, Pierre, Jacques et Jn avec le témoignage que lui rendit la voix de son Père, se trouve également racontée par les trois évangélistes, dans le même ordre et saris nulle différence pour le fond (5). D'après ce que nous avons dit et répété plusieurs fois, on peut en lisant les trois récits remarquer que les expressions différentes ne changent rien aux pensées.

1 Mt 16,24-27. - 2 Mc 8,34-38. - 3 Lc 9,23-26. - Mt 16,28 Mt 16,9. - 5 Mc 8,39 Mc 9,9 Lc 9,27-36.

186

113. Néanmoins il est des esprits qui ne voient pas comment saint Matthieu et saint Mc disent que le fait arriva six jours après, quand il s'agit de huit jours dans le texte de saint Luc. Nous ne devons pas leur répondre par le mépris; mais les instruire en leur faisant connaître la raison de cette différence. En effet, quand on dit qu'une chose arrivera dans tant de jours, quelquefois on ne compte ni le jour présent ni celui où elle doit avoir lieu, mais seulement les jours intermédiaires, les jours pleins et entiers après lesquels elle arrivera. C'est ce qu'ont fait saint Matthieu et saint Mc Ils ont exclu et le jour où le Sauveur parlait et celui de l'événement, et n'ayant égard qu'aux jours intermédiaires ils disent: "Six jours après;" tandis que saint Luc en comptant les deux jours exceptés par eux, savoir le premier et le dernier, et en suivant le mode de langage où la partie se prend pour le tout, nous fait lire: "Huit jours après."

114. De même quand saint Luc dit en parlant de Moïse et d'Elie: "Comme ils se séparaient de Jésus, Pierre lui dit: Maître, nous sommes bien ici," et le reste; il ne faut point penser qu'il est contredit par les textes de saint Matthieu et de saint Mc qui sembleraient indiquer que Moïse et Elie s'entretenaient encore avec le Seigneur lorsque l'Apôtre tint ce langage. Car leur texte ne dit pas que ce fut alors, et il permet de croire, comme le rappelle saint Lc que ce fut au moment de la retraite de Moïse et d'Elfe, que Pierre par la à Jésus des trois tentes. Saint Luc ajoute aussi que Moïse et Elie entraient dans la nuée, lorsque la voix du ciel se fit entendre. Saint Matthieu et saint Mc n'en parlent pas, mais ils ne disent rien non plus de contraire.

157

CHAPITRE 57, AVÉNEMENT D'ELIE.

115. On lit ensuite dans saint Matthieu: "Alors ses disciples l'interrogèrent et lui dirent: Pourquoi donc les Scribes disent-ils qu'il faut qu'Elfe vienne d'abord? Jésus leur répondit: Il est vrai qu'Elfe doit venir et qu'il rétablira toutes choses. Mais je vous déclare aussi qu'Elie est déjà venu, et ils ne l'ont point connu, mais ils l'ont traité comme il leur a plu. Ils feront de même souffrir le Fils de l'homme. Alors les disciples comprirent que c'était de Jean-Baptiste qu'il leur avait parlé (1)." Saint

1 Mt 17,10-13.

Mc relève ce trait en gardant le même ordre. Il offre bien quelque différence pour les termes, mais il exprime exactement les mêmes pensées (1). Seulement il ne rapporte pas que les disciples comprirent que le Sauveur avait voulu désigner Jean-Baptiste en leur disant: "Elie est déjà venu."

158

CHAPITRE 58,DÉMONIAQUE GUÉRI,

116. Saint Matthieu continue ainsi: "Lorsqu'il fut retourné vers le peuple, un homme s'approcha de lui, et tombant à genoux devant lui Seigneur, dit-il, ayez pitié de mon fils qui est lunatique et souffre beaucoup," et le reste, jusqu'à l'endroit où nous lisons: "Cette sorte de démons ne se chasse que par la prière et par le jeûne (2)." C'est ce que rapportent également saint Mc et saint Lc sans donner lieu à la moindre difficulté (3).

159

CHAPITRE 59, PASSION DE NOUVEAU PRÉDITE.

117. Saint Matthieu continue ainsi: "Comme ils étaient dans la Galilée, Jésus leur dit: Le Fils de l'homme doit être livré aux mains des hommes; et ils le feront mourir, et il ressuscitera le troisième jour: ce qui les affligea extrêmement (4)." C'est ce que rappellent aussi, dans le même ordre saint Mc et saint Luc (5).

160

CHAPITRE 60,TRIBUT PAYÉ.

118. Saint Matthieu dit ensuite: "Comme ils étaient arrivés à Capharnaüm, ceux qui levaient le tribut des deux dragmes vinrent dire à Pierre: Votre maître ne paie-t-il pas le tribut? Il leur répondit: Oui;" et le reste, jusqu'à l'endroit où nous lisons: "Tu y trouveras un statère, que tu prendras et que tu leur donneras pour moi et pour toi (6)." Il est seul pour rapporter ce fait; il reprend ensuite la même route que saint Mc et saint Luc.

1 Mc 9,10-12. - 2 Mt 17,14-20. - 3 Mc 9,16-28 Lc 9,38-43. - 4 Mt 17,21-22. - 5 Mc 9,29-31 Lc 9,44-45. - 6 Mt 17,23-26.

187

161

CHAPITRE 61, PETIT ENFANT MODÈLE.

119. Saint Matthieu continue donc ainsi: "En ce même temps les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent: Quel est selon vous le plus grand dans le royaume des cieux? Jésus ayant appelé un petit enfant, le mit au milieu d'eux; et il leur parla de cette manière: Je vous dis en vérité que si vous ne changez et si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux," et le reste, jusqu'aux mots: "C'est ainsi que vous traitera mon Père qui est dans le ciel, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond du coeur (1)." Ce discours dépasse un peu l'étendue ordinaire: saint Mc en reproduit quelques pensées, dans le même ordre que saint Matthieu; il y en ajoute d'autres que celui-ci a négligées (2). Il est certain, en effet, que le discours de Jésus-Christ en cette rencontre s'étend, dans le texte de saint Matthieu, jusqu'à l'endroit marqué par notre citation, et ne se trouve interrompu que par cette demande de Pierre: "Combien de fois pardonnerai-je à mon frère quand il aura c péché contre moi?" Car le sujet traité ici par le Seigneur indique assez clairement que la question de Pierre et la réponse que lui fit le Sauveur font partie de ce discours. Si ce n'est la circonstance du petit enfant proposé à l'imitation des disciples, quand il leur vint dans l'esprit de se demander quel était le plus grand parmi eux, saint Luc ne rapporte rien, dans la même suite, de ce que nous offre le texte de saint Matthieu (3). S'il rapporte ailleurs des pensées analogues à ce que nous rencontrons ici, il les cite comme ayant été exprimées dans des occasions différentes. Ainsi encore, d'après saint Jn c'est après sa résurrection que le Sauveur parla à ses Apôtres du pardon des péchés, du pouvoir de les remettre ou de les relever (4); quand d'après saint Matthieu ce fut dans le discours qui nous occupe, et quand il en avait déjà parlé précédemment à Pierre (5). Comme nous l'avons fait observer tant de fois jusqu'ici, et afin qu'il ne soit pas toujours nécessaire d'en avertir, nous devons nous rappeler que Jésus a souvent et en différentes circonstances répété les mêmes choses; et ne nous inquiétons pas s'il arrive aux évangélistes de les présenter quelquefois dans un ordre qui semble contradictoire.

1 Mt 18 2. Mc 9,33-49. - 3 Lc 9,46-48. - 4 Jn 20,29. - 5 Mt 16,19.

162

CHAPITRE 62,EST-IL PERMIS DE RENVOYER SA FEMME?

120. Saint Matthieu continue ainsi: "Il arriva, lorsque Jésus eut achevé ces discours, qu'il partit de Galilée et vint aux confins de la Judée, au-delà du Jourdain; et de grandes troupes le suivirent, et il les guérit. Et les Pharisiens s'approchèrent de lui pour le tenter disant. Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour quelque cause que ce soit?" et le reste, jusqu'à ces mots: "Que celui qui peut comprendre comprenne (1)." Saint Mc rappelle les mêmes faits dans le même ordre (2). Voici comment il faut examiner ce passage, pour n'y voir aucune contradiction . D'après saint Mc de Seigneur demande aux Pharisiens ce que Moïse leur a ordonné, et ceux-ci lui répondent que l'acte de répudiation leur a été permis: dans saint Matthieu le Seigneur cite d'abord les paroles de la Loi, pour montrer que Dieu à uni l'homme et la femme et que pour cette raison nul ne peut les séparer, puis les autres lui adressent cette question: "Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de lui donner un acte de répudiation et de la renvoyer?" Alors il ajoute: "C'est à cause de la dureté de vos coeurs que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes, mais au commencement il n'en fut pas ainsI," Saint Mc n'a point omis cette réponse du Seigneur, mais elle vient seulement après qu'on a répondu à sa question sur l'acte de divorce.

121. Dans quel ordre, pour l'intelligence du récit, faut-il disposer ces différentes expressions? N'ont-ils interrogé le Seigneur, qu'après qu'il eut condamné la séparation en s'appuyant sur le témoignage de la Loi? est-ce alors qu'ils l'ont questionné sur l'acte de répudiation qu'avait permis Moïse, après avoir écrit toutefois que Dieu avait uni l'homme et la femme 3? Ou bien ont ils eux-mêmes parlé de cet acte quand le Seigneur leur demanda ce qu'avait commandé Moïse? Ceci importe peu à la vérité ici établie. En effet, le Seigneur ne voulait point leur expliquer pourquoi Moïse avait accordé ce droit, avant qu'ils ne lui en eussent eux-mêmes parlé, et cette intention, saint Mc la fait connaître par la question qu'il lui fait poser: pour eux leur droit était de s'appuyer sur l'autorité de

1 Mt 19,1-12. - 2 Mc 10,1-19. - 3 Gn 2,24.

188

Moïse qui avait ordonné l'acte de répudiation, afin de surprendre Jésus lorsqu'il condamnerait la séparation des époux: voilà ce qu'ils se proposent quand ils s'approchent de lui pour le tenter. Cette intention est si nettement exprimée en saint Matthieu, qu'il ne dit rien de la question qui leur est faite, mais ils provoquent eux-mêmes une explication sur la permission donnée par Moïse afin de pouvoir accuser le Seigneur lorsqu'il condamnera la séparation des époux. Puisque les expressions, dans chaque évangéliste, rendent exactement la pensée des interlocuteurs, et elles ne doivent tendre qu'à ce but, il est de nulle importance que l'ordre dans les différents récits ne soit point le même, puisque ni l'un ni l'autre ne s'écarte de la vérité

122. Ou peut aussi expliquer ce passage de la manière suivante: après avoir été questionné sur le renvoi de la femme, comme saint Mc le raconte, le Seigneur de son côté leur demande ce qu'a ordonné Moïse. Quand ils ont répondu que Moïse a permis de donner l'acte de répudiation et de la renvoyer, alors il s'appuie sur la Loi donnée par Moïse pour expliquer comment Dieu institua le mariage de l'homme et de la femme; il dit alors ce qui est écrit en saint Matthieu: "N'avez-vous pas lu que celui qui fit l'homme au commencement les fit mâle et femelle?" etc. A ces mots ils insistent de nouveau sur ce qu'ils ont répondu à sa première question: "Pourquoi donc, disent-ils, Moïse a-t-il ordonné de lui donner l'acte de répudiation et de la renvoyer?" Jésus alors en découvre la cause dans la dureté de leur coeur. Saint Mc pour abréger, exprime d'abord cette idée comme si elle eût été donnée immédiatement après leur première réponse, que saint Matthieu a divisée; et il ne jugeait point que la vérité dût souffrir, quelle que fût la place qu'occuperait cette raison, puisque les paroles qui la provoquaient étaient répétées et que d'ailleurs le Sauveur l'avait exprimée en termes formels.

163

CHAPITRE 63,IMPOSITION DES MAINS AUX PETITS ENFANTS. - CONSEIL DONNÉ AU JEUNE HOMME RICHE. - OUVRIERS DE LA VIGNE.

123. Saint Matthieu continué: "Alors on lui présenta de petits enfants pour qu'il leur imposât les mains et priât. Orles disciples les repoussaient," etc, jusqu'à ces paroles: "Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus (1). Saint Mc a gardé le même ordre (2) que saint Matthieu; mais ce dernier seul fait mention des ouvriers loués pour la vigne. Saint Lc après avoir rapporté la réponse faite par Jésus à ses disciples lorsqu'ils cherchaient à savoir quel était le plus grand d'entre eux, parle de celui qu'on avait vu chassant les démons sans être à la suite de Jésus . Désormais il s'écarte des deux autres Evangélistes à l'endroit où il dit que le Sauveur avait fixé son visage pour aller à Jérusalem (3). Longtemps après, il s'en rapproche pour parler de ce riche à qui il fut dit: "Vends tout ce que tu possèdes (4)." Les deux autres en parlent également et dans le même ordre, qu'ils observent désormais; car saint Luc fait paraître comme eux les petits enfants avant de parler du riche. Quand ce dernier demande quel bien il doit accomplir pour posséder la vie éternelle, on pourrait constater une différence entre ce qui est dit en saint Matthieu: "Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon"? et ce que les autres ont écrit: "Pourquoi m'appelles-tu bon?" Car ces mots: "Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon?" paraissent mieux répondre à cette question qui est faite à Jésus: "Que ferai-je de bon?" puisque dans cette question se trouve le terme de bon. Mais ces mots: "Bon maître," n'annoncent par eux-mêmes aucune interrogation. Le plus simple est donc de croire que le Sauveur a dit tout à la fois: "Pourquoi m'appelles-tu bon?" et: "Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon?"

164

CHAPITRE LXIV, PRÉDICTION DE LA PASSION. - LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE.


124. Saint Matthieu continue ainsi: "Or Jésus montant à Jérusalem prit à part les douze disciples et leur dit: Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres et aux Scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils, pour être moqué, et flagellé, et crucifié; et le troisième jour il ressuscitera. Alors la mère des fils de Zébédée s'approcha de lui avec ses fils, l'adorant et lui demandant quelque chose, et le reste, jusqu'à ces mots: "Comme le fils de l'homme n'est point venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la

1 Mt 19,13 Mt 20,16. - 2 Mc 10,13-31. - 3 Lc 9,46-51 - 4 Lc 18,18-30.

189

rédemption d'un grand nombre (1)." C'est en suivant cet ordre que saint Mc fait dire aux fils de Zébédée ce qu'en saint.Matthieu ils expriment non point par eux-mêmes mais par leur mère, lorsque celle-ci expose leur désir au Seigneur. Aussi saint Mc pour abréger, les fait-il parler plutôt que leur mère, et dans saint Matthieu comme dans saint Mc c'est à eux plutôt qu'à la mère que le Seigneur répond. Quant à saint Lc il rapporte dans le même ordre les prédictions faites aux douze disciples sur la Passion et la Résurrection; mais il omet ce qui vient à la suite dans les autres, qui après ces détails se retrouvent avec lui devant Jéricho (2). Ce que saint Matthieu et saint Mc disent des chefs des nations qui dominent leurs sujets, tandis qu'il n'en sera pas ainsi parmi eux où le plus grand devra être le serviteur des autres, saint Lc le rapporte dans les mêmes termes, mais non pas au même endroit (3), et la marche même indique suffisamment que le Seigneur a exprimé cette pensée à deux reprises différentes.

165

CHAPITRE 65,AVEUGLES DE JÉRlCHO.

125. Saint Matthieu continue: "Lorsqu'ils sortaient de Jéricho une grande foule le suivit: et voilà quo deux aveugles, assis sur le bord du chemin, entendirent que Jésus passait. Et ils élevèrent la voix, disant: Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous,". etc, jusqu'à, ces paroles: "Et aussitôt ils recouvrèrent la vue, et le suivirent (4)." Saint Mc rapporte le même fait, mais ne mentionne qu'un seul aveugle (5). A cette difficulté nous répondrons, comme déjà nous avons répondu, au sujet des deux possédés que tourmentait une légion de démons au pays des Géraséniens (6). De. ces deux aveugles qui paraissent ici, l'un était en effet très-connu dans la ville, son nom était dans toutes les bouches; c'est ce que saint Mc donne à entendre en le nommant ainsi que son père; ce qui s'est fait rarement, car malgré le grand nombre de malades précédemment guéris parle Seigneur, l'Évangile n'appelle par son nom que Jaïre, dont Jésus ressuscita la fille (7): et ceci confirme notre sentiment, puisque ce chef de synagogue était un grand du pays. Donc sans aucun doute, ce Bartimée fils de Timée avait été autrefois dans la

1 Mt 20,17-28. - 2 Lc 18,31-35. - 3 Lc 22,24-27. - 4 Mt 20,29-34. - 5 Mc 10,46-52. - 6 Ci-dessus ch. 24,56. - 7 Mc 5,22-43.

prospérité, et la misère dans laquelle il était tombé avait eu un grand retentissement, non-seulement parce qu'il était devenu aveugle, mais parce qu'il était assis demandant l'aumône. Tel est le motif pour lequel saint Mc n'a désigné que lui par son nom. Le miracle qui lui rendait la vue dût avoir d'autant plus d'éclat, que son malheur était partout connu.

126. Quoique saint Luc raconte un fait entièrement semblable, il faut cependant croire qu'il s'agit d'un autre miracle, accompli dans les mêmes circonstances, mais sur un autre personnage. En effet, saint Luc dit que le prodige eut lieu lorsqu'on approchait de Jéricho (1); et les autres, quand on en sortait. D'après le nom de la ville et la parfaite ressemblance du fait on pourrait croire à un seul miracle, mais ce serait établir une contradiction entre les Evangélistes, puisque l'un dit: "Lorsqu'il approchait de Jéricho," elles autres: "Lorsqu'il sortait de Jéricho." Il n'y aurait pour le croire que ceux qui préfèrent trouver l'Évangile en défaut, plutôt que de convenir que Jésus a fait dans les mêmes circonstances deux miracles parfaitement semblables. Mais tout enfant fidèle de l'Évangile saura facilement ce qu'il doit croire, ce qui est plus conforme à la vérité; et celui qui aime à contester devra se taire devant ces explications ou au moins réfléchir s'il ne sait garder le silence.

166

CHAPITRE 66,L'ANESSE ET SON ANON.

127. Saint Matthieu continue: "Lorsqu'ils approchèrent de Jérusalem et qu'ils furent venus à Bethphagé, près du mont des Oliviers, Jésus envoya deux disciples, leur disant: Allez au village qui est devant vous, et soudain vous trouverez une ânesse attachée, et son ânon avec elle;" etc, jusqu'à ces paroles: "Béni celui qui vient au nom du Seigneur (2)." Saint Mc suit la même marche dans son récit (3). Saint Luc s'arrête à Jéricho et raconte ce que les autres ont ici passé sous silence, savoir l'histoire de Zachée, chef des publicains, et quelques paraboles: puis avec eux il parle de l'ânon sur lequel s'assit Jésus (4). Ne soyons point embarrassés de ce qu'il y a dans saint Matthieu une ânesse et son ânon, tandis que les autres ne font aucune mention de l'ânesse. Mais rappelons-nous la

1 Lc 18,35-13. - 2 Mt 21,1-9. - 3 Mc 11,1-10. - 4 Lc 19,1-38.

190

règle que nous avons indiquée plus haut, au sujet des personnes que l'on fit asseoir par groupes de cent et de cinquante, lorsque la foule fut nourrie avec cinq pains (1). Le lecteur guidé par cette règle ne devra éprouver aucune difficulté, quand même saint Matthieu aurait passé l'ânon sous silence comme les autres y ont passé l'ânesse . Si l'un avait seulement désigné celle-ci, et l'autre celui-là, on ne devrait y voir aucune contradiction. La difficulté ne sera-t-elle pas moindre encore, si l'un nomme l'ânesse dont les autres ne font point mention et désigne en même temps l'ânon mentionné par ceux-ci? Dès lors que deux choses ont pu avoir lieu en même temps, il n'y a plus d'objection à faire si l'un raconte la première et l'autre la seconde; à plus forte raison si l'un raconte l'une des deux et l'autre toutes les deux à la fois.

128. Saint Jean ne dit point comment le Seigneur envoya chercher ces deux animaux; cependant il indique en peu de mots qu'il y avait un ânon, et cite le passage du prophète également rapporté par saint Matthieu (2). Si donc le texte du prophète présente une légère différence avec celui des Evangélistes, on peut dire que la pensée n'est point différente. Mais la difficulté est plus sérieuse, parce que saint Matthieu fait paraître l'ânesse dans le passage qu'il cite du prophète, tandis qu'il n'en est pas question dans la même citation qu'en fait saint Jn ni dans les manuscrits dont se servent les Eglises. On peut, je crois, expliquer cette différence, par la raison que saint Matthieu, comme on le sait, écrivit en hébreu son Evangile. Or il est certain que la version des Septante ne s'accorde pas toujours avec le texte hébraïque, comme ont pu le constater ceux qui connaissent cette langue et qui ont entrepris de traduire chacun en particulier ces mêmes livres écrits en hébreu. Veut-on savoir encore la raison de cette différence, et chercher pourquoi cette version des Septante, qui jouit d'une si grande autorité, s'écarte en tant d'endroits du sens rigoureux exprimé dans les manuscrits hébraïques? Voici la raison qui me parait la plus probable. Les Septante ont été inspirés dans ce travail par le même Esprit qui a révélé les vérités contenues dans le texte à traduire: la preuve en est dans leur accord si admirable, attesté par l'histoire. Aussi, malgré quelques variétés d'expressions, comme ils ne se

1 Ci-dessus 46,98. - 1 Jn 12,14-15.

sont point écartés de la pensée divine, écrite en ces livres et à laquelle doit se plier le langage, ils nous offrent un nouvel exemple de ce que nous admirons aujourd'hui dans le récit à la fois si varié et si uniforme des quatre évangélistes car on ne peut accuser de fausseté un auteur dont les expressions diffèrent de celles d'un autre, s'il ne s'écarte point de sa pensée lorsqu'il doit exprimer les mêmes faits, les mêmes idées. Ce principe, très-utile dans le cours de la vie pour éviter ou condamner l'imposture, ne l'est pas moins en matière de fo1,Ne croyons pas, en effet, que la vérité soit attachée à des sons qui seraient comme consacrés et que Dieu nous recommande les mots comme la pensée qu'ils doivent exprimer: bien loin de là, les vérités sont tellement supérieures aux formes de langage qui doivent les reproduire, que nous ne devrions point nous mettre en peine de chercher ces formes, si nous pouvions, sans elles, connaître la vérité comme Dieu la connaît et comme les anges la connaissent en luI,

167

CHAPITRE 67,VENDEURS ET ACHETEURS CHASSÉS DU TEMPLE.

129. Saint Matthieu continue, ainsi: "Lorsqu'il fut entré dans Jérusalem, toute la ville s'émut, demandant: Qui est celui-ci? Et la multitude répondait: C'est Jésus, le Prophète, de Nazareth en Galilée. Et Jésus entra dans le temple de Dieu, et chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple," etc, jusqu'à cet endroit: "Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs." Tous les évangélistes parlent de cette troupe de vendeurs chassés du temple, mais saint Jean suit un ordre bien différent (1). Après avoir rapporté le témoignage que saint Jean-Baptiste rendit à Jésus, il fait aller le Seigneur en Galilée, où il change l'eau en vin; puis, après s'être arrêté quelques jours à Capharnaüm, le Seigneur vient à Jérusalem, au temps de la Pâque des Juifs, et là, ayant fait un fouet avec des cordes; il chasse les vendeurs du temple. D'où il faut conclure que le fait n'eut pas lieu une seule fois, et que le Seigneur le renouvela ensuite. Saint Jean raconte le premier de ces événements, et les autres le dernier.

1 Mt 21,10-13 Mc 11,15-17 Lc 19,45-46 Jn 11,13-17.

191

168

CHAPITRE 68,FIGUIER MAUDIT.

130. Saint Matthieu continue ainsi: "Et des aveugles et des boiteux s'approchèrent de lui dans le temple, et il les guérit. Mais les princes des prêtres et les Scribes, voyant les merveilles qu'il faisait, et les enfants qui criaient dans le temple et disaient: Hosanna au fils de David, s'indignèrent et lui dirent: Entendez-vous ce que disent ceux-ci? Jésus leur répondit: Oui. "N'avez-vous jamais lu: C'est de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, que vous avez tiré la louange la plus parfaite? Et les ayant quittés, il s'en alla hors de la ville, à Béthanie, et s'y arrêta. Le lendemain matin, comme il revenait à la ville, il eut faim. Or apercevant un figuier près du chemin, il s'en approcha, et n'y trouvant rien que des feuilles, il lui dit: Que jamais fruit ne naisse de toi à l'avenir. Et à l'instant le figuier sécha. Ce qu'ayant vu, les disciples s'étonnèrent, disant Comment a-t-il séché sur le champ? Alors Jésus, prenant la parole, leur dit: En vérité, je vous le déclare, si vous avez de la foi, et que vous n'hésitiez point, non-seulement vous ferez comme à ce figuier, mais môme si vous, dites à cette montagne: Lève-toi, et jette-toi à la mer, cela. se fera: et tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez (1)."

131. Nous retrouvons le môme fait dans saint Mc mais il n'y est point raconté dans le même ordre. D'abord saint Matthieu fait entrer Jésus dans le temple, d'où il chasse les vendeurs et les acheteurs: saint Mc sans parler de cette circonstance, dit qu'ayant regardé toutes choses, comme le soir était venu, il se retira à Béthanie avec les douze. Le lendemain, comme il sortait de Béthanie, il eut faim, et maudit le figuier c'est ce que dit saint Matthieu; mais saint Mc ajoute qu'étant vent à Jérusalem et étant entré dans le temple, il en chassa les vendeurs et les acheteurs, comme si le fait avait eu lieu ce jour-là et non la veille (2). Saint Matthieu précise mieux la suite des événements: "Et les ayant quittés, dit-il, il s'en alla hors de la ville à Béthanie, et s'y arrêta;" et c'est en revenant le lendemain à la ville, qu'il maudit le figuier. C'est donc saint Matthieu qui parait avoir

1 Mt 21,14-22. - 2 Mc 11,11-17.

mieux fixé le moment véritable où les acheteurs furent chassés du temple. En effet, lorsqu'il dit: "Et les ayant quittés, il s'en alla dehors," ces mots: "les ayant quittés," ne peuvent s'entendre que de ceux à qui il venait de parler, et qui s'indignaient d'entendre les enfants crier: "Hosanna au fils de David." Saint Mc a donc passé sous silence ce qui avait eu lieu le premier jour, lorsque Jésus entra dans le temple; mais se l'étant ensuite rappelé, il le raconte après avoir dit que Jésus n'avait trouvé sur le figuier que des feuilles; ce qui arriva le second jour, comme tous deux l'affirment.
L'étonnement des disciples à la vue de l'arbre desséché, et la réponse du Seigneur sur la foi qui transporte les montagnes, ne se rapportent point au second jour, où il est dit à l'arbre: "Que jamais personne ne mange plus de fruit venant de toi;" mais bien au troisième jour. En effet, le même saint Mc fait au second jour l'histoire des vendeurs chassés du temple, laquelle appartient évidemment au premier. Et en ce même jour il dit expressément que, le soir étant venu, Jésus sortit de la ville, et comme le lendemain matin ses disciples passaient, ils virent le figuier desséché jusqu'à la racine; c'est alors que Pierre se souvenant de ce qui s'était passé, dit au Seigneur: "Maître, comme a séché le figuier que vous avez maudit!" Alors Jésus lui parla de la puissance de la fo1,D'après saint Matthieu on pourrait croire que tout ceci s'est passé le second jour, quand il fut dit à l'arbre: "Jamais fruit ne naîtra de toi à l'avenir;" qu'à l'instant cet arbre sécha, et que, comme les disciples le voyaient et s'en étonnaient, ils entendirent immédiatement la réponse sur la puissance de la foI,
Il faut conclure de tout ceci que saint Mc a rapporté au second jour ce qu'il avait omis dans le récit du premier, l'histoire des vendeurs et des acheteurs chassés du temple. Saint Matthieu, de son côté, ayant dit que le figuier avait été maudit le second jour, quand le matin Jésus retournait de Béthanie à la ville, passe sous silence ce qu'ajoute saint Mc savoir que le Seigneur vint encore à la ville, qu'il en sortit de nouveau le soir, et que le lendemain matin, en passant, les disciples s'étonnèrent de voir cet arbre desséché. Mais ayant rapporté ce qui avait eu lieu le second jour, la malédiction prononcée contre le figuier, il ajoute immédiatement ce qui n'eut lieu que le troisième, l'étonnement des disciples (192) en le voyant desséché, et la réponse du Seigneur sur la puissance de la fo1,Ces faits sont tellement rapprochés, que sans le récit de saint Mc qui fixe notre attention, on ne pourrait découvrir ni les faits omis par saint Matthieu, ni l'époque où ils se sont accomplIs Voici d'ailleurs comment ce dernier s'exprime, "Et les ayant quittés, il s'en alla hors de la ville à Béthanie, et s'y arrêta. Le lendemain matin, comme il revenait à la ville, il eut faim. Or, apercevant un figuier près du chemin, il s'en approcha; et n'y trouvant rien que des feuilles il lui dit: Que jamais fruit ne naisse de toi à l'avenir. Et à l'instant le figuier sécha." Puis, omettant les autres événements du jour, il ajoute: "Ce qu'ayant vu, les disciples s'étonnèrent, disant: Comment a-t-il séché sur le champ?" quoique ceux-ci n'aient remarqué et admiré cela qu'un autre jour. On le comprend; l'arbre ne s'est point desséché quand ils l'ont vu, mais aussitôt après qu'il fut maudit, car ils ne le virent point se dessécher, mais complètement desséché, et ils comprirent qu'il avait commencé à sécher à la parole du Seigneur.


Augustin acc. évangélistes 152